Language of document : ECLI:EU:T:2018:897

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

10 décembre 2018 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran – Réparation du préjudice prétendument subi par la requérante à la suite de l’inclusion et du maintien de son nom sur la liste des personnes et entités auxquelles s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Compétence du Tribunal – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers »

Dans l’affaire T‑552/15,

Bank Refah Kargaran, établie à Téhéran (Iran), représentée par Me J.-M. Thouvenin, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. V. Piessevaux et M. Bishop, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par MM. R. Tricot et A. Aresu, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation des préjudices que la requérante aurait prétendument subis du fait de l’adoption de mesures restrictives à son égard,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de MM. M. Prek, président, F. Schalin (rapporteur) et Mme M. J. Costeira, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires.

2        La requérante, la Bank Refah Kargaran, est une banque iranienne.

3        Le 26 juillet 2010, le nom de la requérante a été inscrit sur la liste des entités concourant à la prolifération nucléaire qui figure à l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 195, p. 39). L’inscription de son nom était motivée par le fait qu’elle aurait relayé des opérations en cours de la Bank Melli Iran à la suite de l’adoption des mesures restrictives visant cette dernière.

4        Par voie de conséquence, le nom de la requérante a été inscrit, pour le même motif, sur la liste figurant à l’annexe V du règlement (CE) no 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2007, L 103, p. 1), par le règlement d’exécution (UE) no 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007 (JO 2010, L 195, p. 25). Le règlement no 423/2007 ayant été abrogé par le règlement (UE) no 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2010, L 281, p. 1), le nom de la requérante a été inscrit sur la liste figurant à l’annexe VIII de ce dernier règlement.

5        Par la décision 2010/644/PESC, du 25 octobre 2010, modifiant la décision 2010/413 (JO 2010, L 281, p. 81), le Conseil de l’Union européenne a maintenu le nom de la requérante sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413. La décision 2011/783/PESC du Conseil, du 1er décembre 2011, modifiant la décision 2010/413 (JO 2011, L 319, p. 71), n’a pas modifié cette liste pour ce qui concernait la requérante.

6        L’inscription du nom de la requérante sur la liste figurant à l’annexe VIII du règlement no 961/2010 a été maintenue par le règlement d’exécution (UE) no 1245/2011 du Conseil, du 1er décembre 2011, mettant en œuvre le règlement no 961/2010 (JO 2011, L 319, p. 11). Le règlement no 961/2010 a été abrogé par le règlement (UE) no 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2012, L 88, p. 1). Le nom de la requérante a été inscrit sur la liste figurant à l’annexe IX de ce dernier règlement. Les motifs retenus à l’égard de la requérante n’ont pas été modifiés.

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 janvier 2011, la requérante a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑24/11, tendant, notamment, à l’annulation de la décision 2010/644 et du règlement no 961/2010, pour autant qu’ils la concernaient. La requérante a ensuite adapté ses conclusions, afin de demander l’annulation de la décision 2011/783, du règlement d’exécution no 1245/2011 et du règlement no 267/2012, pour autant que ces actes la concernaient.

8        Au point 80 de l’arrêt du 6 septembre 2013, Bank Refah Kargaran/Conseil (T‑24/11, ci-après l’« arrêt d’annulation », EU:T:2013:403), le Tribunal a accueilli le deuxième moyen soulevé par la requérante, en ce qu’il était tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

9        En conséquence, le Tribunal a annulé, en substance, l’inscription du nom de la requérante sur les listes figurant dans l’annexe II de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, puis par la décision 2011/783, dans l’annexe VIII du règlement no 961/2010, telle que modifiée par le règlement d’exécution no 1245/2011, et dans l’annexe IX du règlement no 267/2012.

10      Dans l’arrêt d’annulation, le Tribunal a également décidé que les effets de l’annexe II de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, puis par la décision 2011/783, à l’égard de la requérante étaient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation de l’annexe IX du règlement no 267/2012, pour autant que celle-ci concerne la requérante.

11      À la suite de l’arrêt d’annulation, par décision 2013/661/PESC du Conseil, du 15 novembre 2013, modifiant la décision 2010/413 (JO 2013, L 306, p. 18), le nom de la requérante a été réinscrit sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413.

12      Par voie de conséquence, par le règlement d’exécution (UE) no 1154/2013 du Conseil, du 15 novembre 2013, mettant en œuvre le règlement no 267/2012 (JO 2013, L 306, p. 3), le nom de la requérante a été réinscrit sur la liste figurant à l’annexe IX du règlement no 267/2012. La motivation suivante a été retenue en ce qui concerne la requérante :

« Entité apportant un soutien financier au gouvernement iranien. Elle est détenue à 94 % par l’Iranian Social Security Organisation [l’organisation de sécurité sociale iranienne], qui est elle-même contrôlée par le gouvernement iranien, et elle fournit des services bancaires aux ministères du gouvernement. »

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 janvier 2014, la requérante a introduit un recours visant notamment à l’annulation de la décision 2013/661 et du règlement d’exécution no 1154/2013, pour autant que ces actes la concernaient. Par arrêt du 30 novembre 2016, Bank Refah Kargaran/Conseil (T‑65/14, non publié, EU:T:2016:692), le Tribunal a rejeté le recours. Ledit arrêt n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2015, la requérante a introduit le présent recours.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 janvier 2016, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil. Par décision du 3 février 2016, le président de la première chambre du Tribunal a admis cette intervention. La Commission a déposé son mémoire en intervention et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

16      Par décision du 7 octobre 2016 du président de la première chambre du Tribunal, la procédure a été, conformément à l’article 69, sous b), du règlement de procédure du Tribunal, suspendue jusqu’à la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑45/15 P, Safa Nicu Sepahan/Conseil.

17      Par arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402), la Cour a rejeté les pourvois formés par Safa Nicu Sepahan Co. et par le Conseil.

18      Par mesure d’organisation de la procédure en date du 27 février 2018, les parties ont été invitées à indiquer au Tribunal les conséquences qu’elles tiraient pour la présente affaire de l’arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402). La Commission a répondu à la question le 13 mars 2018, le Conseil et la requérante y ont répondu le 15 mars 2018.

19      Par décision du président du Tribunal du 11 juin 2018, la présente affaire a été réattribuée à la deuxième chambre et un nouveau juge rapporteur a été désigné.

20      Le Tribunal (deuxième chambre) a décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, de statuer sans phase orale de la procédure.

21      Par mesure d’organisation de la procédure en date du 19 septembre 2018, la requérante a été invitée à présenter ses observations sur l’argument du Conseil, figurant au point 4 de la duplique, selon lequel le Tribunal ne serait pas compétent pour connaître du présent recours en indemnité à l’égard des décisions 2010/413, 2010/644 et 2011/783 et sur l’affirmation du Conseil, figurant aux points 7 et 17 de la duplique, selon laquelle ces arguments auraient été soulevés pour la première fois au stade de la réplique et seraient donc irrecevables sur le fondement de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure.

22      Les réponses aux questions de la requérante sont parvenues au greffe du Tribunal le 4 octobre 2018.

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner l’Union européenne à réparer les préjudices résultant de l’adoption et du maintien des mesures restrictives la concernant qui ont été annulées par l’arrêt d’annulation, en lui versant la somme de 68 651 318 euros, augmentée des intérêts légaux, au titre du préjudice matériel et la somme de 52 547 415 euros, augmentée des intérêts légaux, au titre du préjudice moral ;

–        à titre subsidiaire, considérer que tout ou partie des sommes réclamées au titre du préjudice moral soient considérées comme relevant du préjudice matériel ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

24      Le Conseil et la Commission concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la compétence du Tribunal

25      À titre liminaire, il y a lieu de relever que le Conseil fait valoir dans la duplique que le Tribunal n’est pas compétent pour statuer sur un recours en indemnité à l’égard des décisions 2010/413, 2010/644 et 2011/783, adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

26      Par le présent recours, la requérante soutient que l’adoption par le Conseil des mesures restrictives à son égard, qui ont été déclarées illégales par le Tribunal dans l’arrêt d’annulation, constitue une illégalité de nature à engager la responsabilité de l’Union.

27      Il convient de relever que la requérante ne fait pas la distinction entre, d’une part, la responsabilité de l’Union qui découlerait de l’adoption des décisions 2010/413, 2010/644 et 2011/783 dans le cadre de la PESC et, d’autre part, celle qui découlerait de l’adoption des règlements nos 961/2010 et 267/2012 ainsi que du règlement d’exécution no 1245/2011.

28      Il importe de rappeler que, aux termes de l’article 129 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non-recevoir d’ordre public, au rang desquelles figurent, selon la jurisprudence, la compétence du juge de l’Union pour connaître du recours et les questions portant sur la recevabilité du recours. Toutefois, le juge de l’Union ne peut, en principe, fonder sa décision sur un moyen de droit ou sur une fin de non-recevoir, fussent-ils d’ordre public, sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations (voir arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, point 28 et jurisprudence citée).

29      Partant, en l’espèce, bien que le Conseil ait soulevé tardivement l’incompétence du Tribunal, ce dernier peut néanmoins examiner s’il est compétent pour connaître de cette demande, la requérante ayant pu présenter ses observations à cet égard par le biais d’une mesure d’organisation de la procédure.

30      À cet égard, il résulte de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, sixième phrase, TUE et de l’article 275, premier alinéa, TFUE que le juge de l’Union n’est, en principe, pas compétent en ce qui concerne les dispositions de droit primaire relatives à la PESC ni en ce qui concerne les actes juridiques pris sur la base de celles-ci. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que, conformément à l’article 275, second alinéa, TFUE, le juge de l’Union est compétent dans le domaine de la PESC. Cette compétence comprend, d’une part, le contrôle du respect de l’article 40 TUE et, d’autre part, les recours en annulation formés par des particuliers, dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, contre des mesures restrictives adoptées par le Conseil dans le cadre de la PESC. En revanche, l’article 275, second alinéa, TFUE n’attribue au juge de l’Union aucune compétence pour connaître d’un quelconque recours en indemnité. Il s’ensuit qu’un recours en indemnité tendant à la réparation du préjudice prétendument subi du fait de l’adoption d’un acte en matière de PESC échappe à la compétence du Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, points 30 à 33).

31      En revanche, le Tribunal est compétent pour connaître d’une demande en réparation d’un préjudice prétendument subi par une personne ou une entité en raison de mesures restrictives adoptées à son égard, conformément à l’article 215 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié, EU:T:2007:207, points 232 à 251, et du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, points 45 à 149).

32      Par conséquent, il y a lieu de conclure que le Tribunal n’est pas compétent pour connaître de la demande en réparation de la requérante pour autant que cette demande vise à obtenir réparation du préjudice prétendument subi du fait des mesures restrictives prévues par les décisions 2010/413, 2010/644 et 2011/783. Il y a donc lieu de considérer que le Tribunal n’est compétent pour statuer sur le présent recours qu’en tant qu’il vise à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union en raison des règlements nos 961/2010 et 267/2012 ainsi que du règlement d’exécution no 1245/2011.

 Sur le fond

33      Par le présent recours, la requérante demande réparation des préjudices matériel et moral qu’elle aurait prétendument subis du fait de l’inscription de son nom sur les listes des personnes visées par des mesures restrictives depuis le 26 juillet 2010 et jusqu’au 15 novembre 2013, date à laquelle l’arrêt d’annulation, annulant cette inscription, a été revêtu de l’autorité de la chose jugée.

34      Selon une jurisprudence constante, le bien-fondé d’un recours en indemnité introduit au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (voir arrêt du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, point 24 et jurisprudence citée).

35      Selon une jurisprudence bien établie, la constatation de l’illégalité d’un acte juridique ne suffit pas, pour regrettable qu’elle soit, pour considérer que la condition d’engagement de la responsabilité de l’Union tenant à l’illégalité du comportement reproché aux institutions est remplie. Pour admettre qu’il est satisfait à la condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union relative à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, points 31 et 33 et jurisprudence citée ; arrêts du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 50, et du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, point 42).

36      S’agissant de l’illégalité du comportement reproché au Conseil, la requérante fait valoir que le comportement à l’origine des préjudices allégués consiste dans l’adoption et le maintien en vigueur des mesures restrictives prises à son égard à compter du 26 juillet 2010, date d’inscription de son nom sur la liste figurant en annexe de la décision 2010/413, jusqu’à la date de prise d’effet de leur annulation prévue par l’arrêt d’annulation, soit le 15 novembre 2013.

37      Selon la requérante, l’illégalité constatée par le Tribunal dans l’arrêt d’annulation est de nature à engager la responsabilité de l’Union. En effet, elle fait valoir que les mesures restrictives la concernant ont été jugées illégales par le Tribunal parce qu’elles violent, en les appliquant sans aucune justification, les règlements correspondant à la décision 2010/413, qui confèrent des droits aux particuliers. Elle ajoute que l’illégalité constatée par le Tribunal dans cet arrêt est également due à la violation par le Conseil de ses droits de la défense, de l’obligation de motivation et de son droit à une protection juridictionnelle effective, qui sont également des règles de droit qui confèrent des droits aux particuliers.

38      La requérante estime que la violation en cause constitue une violation suffisamment caractérisée, dans la mesure où le Conseil a violé une obligation pour laquelle il ne disposait pas de marge d’appréciation. Le Conseil n’aurait pu agir qu’en application des critères posés par la décision 2010/413 et les règlements correspondants. Or, le Tribunal aurait jugé, dans l’arrêt d’annulation, que l’illégalité viciant les actes du Conseil résultait de la violation de l’obligation de motivation, qui serait une « violation claire » des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. En outre, l’obligation de motivation serait « claire et précise ». Cette obligation ainsi que celle de respecter ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ne seraient pas « complexes ou difficiles à appliquer ».

39      Par ailleurs, selon la requérante, la situation en l’espèce serait identique à celle ayant donné lieu à l’arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil (T‑384/11, EU:T:2014:986), et à l’arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402).

40      La requérante soutient, en substance, que les violations constatées par le Tribunal dans l’arrêt d’annulation constituent des violations suffisamment caractérisées de règles de droit conférant des droits aux particuliers, susceptibles d’engager la responsabilité de l’Union.

41      À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt d’annulation, le Tribunal a annulé l’inscription du nom de la requérante sur les listes figurant dans l’annexe VIII du règlement no 961/2010, telle que modifiée par le règlement d’exécution no 1245/2011, et dans l’annexe IX du règlement no 267/2012, sur le fondement du grief tiré de la violation de l’obligation de motivation, en constatant que le motif de cette inscription n’était pas suffisamment précis (arrêt d’annulation, point 80).

42      En premier lieu, la requérante fait valoir que la violation de l’obligation de motivation constatée par le Tribunal dans l’arrêt d’annulation constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers, susceptible d’engager la responsabilité de l’Union.

43      Or, selon une jurisprudence constante, la violation de l’obligation de motivation, consacrée par l’article 296 TFUE, n’est pas en soi de nature à engager la responsabilité de l’Union (voir arrêts du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié, EU:T:2007:207, point 238 et jurisprudence citée, et du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 243 et jurisprudence citée).

44      Par ailleurs, la requérante soutient que la situation en l’espèce est identique à celle ayant donné lieu à l’arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil (T‑384/11, EU:T:2014:986), confirmé sur pourvoi à cet égard par l’arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402, points 40 et 41). Elle se réfère à l’appréciation du Tribunal, figurant au point 60 de cet arrêt, selon laquelle l’obligation pour le Conseil d’établir le bien-fondé des mesures restrictives adoptées est dictée par le respect des droits fondamentaux des personnes et des entités concernées, et notamment de leur droit à une protection juridictionnelle effective, ce qui impliquerait qu’il ne dispose pas de marge d’appréciation à cet égard. Or, dans cet arrêt qui a été confirmé ensuite sur ce point par la Cour, le Tribunal a estimé que l’illégalité des actes attaqués tenait au fait que le Conseil ne disposait pas d’informations ou d’éléments de preuve établissant le bien-fondé des mesures restrictives concernées. Il en a conclu que le Conseil s’était rendu responsable d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

45      Il suffit de rappeler que, dans l’arrêt d’annulation, le Tribunal a annulé les mesures restrictives visant la requérante sur le fondement de la violation de l’obligation de motivation, mais ne s’est pas prononcé sur leur bien-fondé. L’illégalité constatée dans l’arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil (T‑384/11, EU:T:2014:986), puis confirmée sur pourvoi par l’arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402), est donc de nature différente et, le Tribunal ne s’étant pas prononcé sur la violation de l’obligation de motivation par le Conseil dans cet arrêt, la requérante ne saurait donc en tirer argument quant à l’établissement d’une violation suffisamment caractérisée en l’espèce.

46      En deuxième lieu, la requérante fait valoir que le Tribunal a également constaté, dans l’arrêt d’annulation, une illégalité due à la violation par le Conseil de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, qui constitue une violation suffisamment caractérisée de règles de droit conférant des droits aux particuliers, susceptible d’engager la responsabilité de l’Union.

47      Cependant, il convient de rappeler que, dans l’arrêt d’annulation, le Tribunal a annulé les mesures restrictives visant la requérante sur le seul fondement du grief tiré d’une violation de l’obligation de motivation. En effet, au point 83 dudit arrêt, le Tribunal a constaté qu’il y avait lieu d’accueillir le deuxième moyen, pour autant qu’il était tiré de la violation de l’obligation de motivation, constatation qui justifiait à elle seule l’annulation des actes attaqués en ce qu’ils concernaient la requérante.

48      Il en ressort que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur les griefs soulevés par la requérante et tirés de la violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. La requérante ne saurait donc se contenter de renvoyer à cet arrêt confirmé par l’arrêt de la Cour pour établir l’existence, en l’espèce, d’une violation suffisamment caractérisée de ces droits.

49      Par ailleurs, la requérante fait référence au point 82 de l’arrêt d’annulation, dans lequel le Tribunal a affirmé que le Conseil avait violé l’obligation de lui communiquer, en sa qualité d’entité intéressée, les éléments retenus à sa charge en ce qui concerne le motif retenu pour les mesures de gel des fonds décidées à son égard. Toutefois, cette affirmation doit être lue à la lumière de l’argument de la requérante, mentionné au point 68 dudit arrêt, auquel elle entend répondre et selon lequel l’insuffisance de motivation n’aurait pas été palliée par les documents communiqués ultérieurement par le Conseil à la requérante.

50      De plus, cette affirmation n’est pas de nature à établir à elle seule l’existence d’une violation suffisamment caractérisée des droits de la défense, dans la mesure où il ressort notamment des points 13, 14, 18 et 19 de l’arrêt d’annulation que la requérante a présenté, à plusieurs reprises, ses observations au Conseil concernant l’inscription de son nom sur les listes des personnes visées par des mesures restrictives et que le Conseil lui a répondu en lui communiquant certains documents. En outre, il y a lieu de relever que la requérante ne soulève aucun autre argument de nature à établir une telle violation.

51      Enfin, il y a lieu de rappeler que, la requérante ayant introduit un recours à l’encontre des mesures restrictives la visant et le Tribunal ayant annulé ces mesures dans l’arrêt d’annulation, elle ne saurait invoquer l’existence d’une violation suffisamment caractérisée de son droit à une protection juridictionnelle effective en l’espèce.

52      En troisième lieu, dans la réplique, la requérante fait valoir que le Conseil, en inscrivant illégalement son nom sur les listes des personnes visées par des mesures restrictives, n’a pas appliqué le critère qu’il prétend avoir appliqué, à savoir le critère visant les entités qui ont « aidé les personnes ou les entités désignées à se soustraire aux dispositions prévues par les résolutions 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2010) ou par la présente décision, ou à les enfreindre » [article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413]. La motivation retenue pour l’inscription de son nom, à savoir qu’elle a relayé des opérations de la Bank Melli Iran, ne correspondrait pas à ce critère.

53      Dans la duplique, le Conseil fait valoir que cet argument, ayant été soulevé pour la première fois au stade de la réplique, est irrecevable en vertu de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure.

54      Selon l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, explicitement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable. Pour pouvoir être regardé comme une ampliation d’un moyen ou d’un grief antérieurement énoncé, un nouvel argument doit présenter, avec les moyens ou les griefs initialement exposés dans la requête, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse (voir arrêt du 20 novembre 2017, Petrov e.a./Parlement, T‑452/15, EU:T:2017:822, point 46 et jurisprudence citée).

55      Il suffit de relever que le moyen et les arguments soulevés dans la requête visant à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers susceptible d’engager la responsabilité de l’Union se fondaient uniquement sur les illégalités prétendument constatées par le Tribunal dans l’arrêt d’annulation. Parmi ces illégalités, la requérante n’a pas, au stade de la requête, invoqué une prétendue illégalité tirée de l’absence de conformité du motif d’inscription de son nom sur les listes des personnes visées par des mesures restrictives avec le critère appliqué par le Conseil.

56      Il peut, en outre, être observé que l’argument présenté par la requérante dans la réplique se différencie de celui figurant dans la requête en ce qu’il ne repose pas sur une violation de l’obligation de motivation, mais sur une contestation du bien-fondé des motifs de son inscription.

57      L’argument présenté par la requérante dans la réplique ne saurait, partant, être considéré comme une ampliation du moyen soulevé dans la requête.

58      Étant donné que ce n’est qu’au stade de la réplique que la requérante a soulevé cet argument et qu’il ne se rattache à aucun moyen ou argument soulevé dans la requête, il y a lieu de le qualifier de moyen nouveau au sens de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure. Dans la mesure où ce moyen ne se fonde pas sur des éléments qui se sont révélés après l’introduction du recours, il y a lieu de le considérer comme étant tardif et, partant, de l’écarter comme étant irrecevable.

59      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union relative à l’illégalité du comportement reproché au Conseil n’est pas remplie en l’espèce.

60      Partant, le recours doit être rejeté, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union.

 Sur les dépens

61      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

62      En outre, selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

63      En l’espèce, la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier. La Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Bank Refah Kargaran est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Prek

Schalin

Costeira

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 décembre 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. Prek


*      Langue de procédure : le français.