Language of document : ECLI:EU:T:1999:137

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

7 juillet 1999 (1)

«CECA - Recours en annulation - Recevabilité - Aides d'État -

Décision individuelle d'autorisation d'octroi d'aides d'État à une entreprise sidérurgique - Base juridique - Articles 4, sous c), et 95, premier alinéa,

du traité - Incompatibilité avec les dispositions du traité - Principe d'égalité - Principe de proportionnalité - Confiance légitime - Contreparties de l'octroi d'une aide publique - Absence de réduction de capacité -

Violation de formes substantielles»

Dans l'affaire T-106/96,

Wirtschaftsvereinigung Stahl, association de droit allemand, établie à Düsseldorf (Allemagne), représentée par Me Jochim Sedemund, avocat à Berlin, ayant élu domicile à Luxembourg à l'étude de Me Aloyse May, 31, Grand-rue,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Paul F. Nemitz et Frank Paul, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Guus Houttuin et Stephan Marquardt, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 96/315/CECA de la Commission, du 7 février 1996, concernant l'aide que le gouvernement irlandais projette d'accorder à la société sidérurgique Irish Steel (JO L 121, p. 16),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre élargie),

composé de MM. R. M. Moura Ramos, président, R. García-Valdecasas, Mmes V. Tiili, P. Lindh et M. P. Mengozzi, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 25 novembre 1998,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (ci-après «traité» ou «traité CECA») interdit, en principe, l'octroi des aides publiques à l'industrie sidérurgique. L'article 4, sous c), du traité déclare incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier «les subventions ou aides accordées par les États ou les charges spéciales imposées par eux, sous quelque forme que ce soit».

2.
    L'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité a la teneur suivante:

«Dans tous les cas non prévus au présent traité, dans lesquels une décision ou une recommandation de la Commission apparaît nécessaire pour réaliser dans le fonctionnement du marché commun du charbon et de l'acier et conformément aux dispositions de l'article 5, l'un des objets de la Communauté, tels qu'ils sont définis aux articles 2, 3 et 4, cette décision ou cette recommandation peut être prise sur avis conforme du Conseil statuant à l'unanimité et après consultation du Comité consultatif.

La même décision ou recommandation, prise dans la même forme, détermine éventuellement les sanctions applicables.»

3.
    Afin de répondre aux exigences de la restructuration du secteur de la sidérurgie, la Commission s'est fondée sur les dispositions précitées de l'article 95 du traité pour mettre en place, à partir du début des années 1980, un régime communautaire des aides autorisant l'octroi d'aides d'État à la sidérurgie dans certains cas limitativement énumérés. Ce régime a fait l'objet d'adaptations successives, en vue de faire face aux difficultés conjoncturelles de l'industrie sidérurgique. C'est ainsi que le code communautaire des aides à la sidérurgie en vigueur durant la période considérée en l'espèce est le cinquième de la série et a été instauré par la décision n° 3855/91/CECA de la Commission, du 27 novembre 1991, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie (JO L 362, p. 57, ci-après «code des aides» ou «cinquième code»). Le cinquième code était en vigueur jusqu'au 31 décembre 1996. Il a été remplacé, le 1er janvier 1997, par la décision n° 2496/96/CECA de la Commission, du 18 décembre 1996, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie (JO L 338, p. 42), laquelle constitue le sixième code des aides à la sidérurgie. Il ressort des considérants du cinquième code qu'il instituait, tout comme les codes précédents, un système communautaire destiné à couvrir des aides, spécifiques ou non, accordées par les États sous quelque forme que ce soit. Ce code n'autorisait ni les aides au fonctionnement ni les aides à la restructuration, sauf lorsqu'il s'agissait d'aides à la fermeture (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1997, British Steel/Commission, T-243/94, Rec. p. II-1887, ci-après «arrêt British Steel», point 3).

4.
    Parallèlement au code des aides, qui constituait une décision générale, la Commission a eu recours, à plusieurs reprises, à l'article 95 du traité pour arrêter des décisions individuelles autorisant l'octroi d'aides spécifiques à titre exceptionnel. C'est dans ces conditions que la Commission a adopté, le 12 avril 1994, six décisions individuelles d'autorisation d'octroi d'aides publiques à différentes entreprises sidérurgiques. Ces décisions ont fait l'objet de trois recours en annulation devant le Tribunal, ayant donné lieu aux arrêts du 24 octobre 1997, EISA/Commission (T-239/94, Rec. p. II-1839, ci-après «arrêt EISA»), British Steel, et Wirtschaftsvereinigung Stahl e.a./Commission (T-244/94, Rec. p. II-1963, ci-après «arrêt Wirtschaftsvereinigung»).

Faits à l'origine du litige

5.
    Irish Steel Ltd (ci-après «Irish Steel»). est une société appartenant à 100 % au secteur public qui exploite la seule installation de fonderie et de laminage en Irlande. Elle est située à Haulbowline, Cobh, dans le comté de Cork. Irish Steel dispose d'une capacité de production annuelle d'acier liquide de 500 000 tonnes et de fabrication de produits laminés à chaud (profilés) de 343 000 tonnes. Durant cinq années commerciales, de 1990 à 1995, sa production réelle de produits laminés à chaud a été, respectivement de 278 000, 248 000, 272 000, 276 000 et 258 000 tonnes, ce qui correspond à des niveaux de productivité considérablement inférieurs à sa capacité.

6.
    Durant la période 1980-1985, Irish Steel a reçu des aides du gouvernement irlandais d'une valeur de 183 millions de IRL suite à une autorisation de la Commission. Puis l'entreprise a traversé une période de troubles financiers persistants menant à des pertes totales à la fin de l'année commerciale 1994/1995 dépassant les 138 millions de IRL.

7.
    En 1993, le gouvernement irlandais a apporté sa caution pour garantir deux prêts (respectivement de 10 millions et de 2 millions de IRL) consentis à un taux d'intérêt effectif inférieur au taux du marché. Ces prêts ont été jugés nécessaires pour permettre la continuation du fonctionnement de l'entreprise. Cet élément d'aide n'a pas été notifié, à l'époque, à la Commission.

8.
    La détérioration financière d'Irish Steel a amené le gouvernement irlandais à notifier à la Commission, par lettre datée du 1er mars 1995, un plan de restructuration de cette société ainsi que les aides publiques y afférentes. Ce plan prévoyait une contribution de 40 millions de IRL de fonds propres et la garantie publique du prêt de 10 millions de IRL citée au point précédent (ci-après «premier plan de restructuration»). Simultanément, les autorités irlandaises ont engagé des négociations dans le but de privatiser Irish Steel.

9.
    Le 4 avril 1995, par une communication de la Commission 95/C 284/04 adressée conformément à l'article 6, paragraphe 4, du code des aides aux États membres et aux tiers intéressés concernant les aides que l'Irlande a décidé d'accorder à Irish Steel (JO C 284, p. 5, ci-après «communication 95/C»), la Commission a mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations sur la compatibilité avec le marché commun des mesures notifiées. La première notification du 1er mars 1995 a, toutefois, été retirée par lettre du 7 septembre 1995 et les autorités irlandaises ont présenté à la Commission une notification révisée. Celle-ci comprenait un nouveau projet d'aides publiques envisagées comme contrepartie de l'acquisition d'Irish Steel par la société privée Ispat International (basée en Indonésie, contrôlée par des capitaux indiens et opérant dans plusieurs pays), à l'issue d'une procédure d'appel d'offres. Ce deuxième projet n'a fait l'objet d'aucune communication aux tiers intéressés.

10.
    D'après les estimations de la Commission, les aides publiques envisagées en liaison avec la vente d'Irish Steel s'élevaient au total à 38,298 millions de IRL. Elles se répartissaient comme suit:

-    un montant maximal de 17 millions de IRL correspondant à l'annulation d'un prêt sans intérêt de l'État,

-    une contribution en numéraire de 2,831 millions de IRL irlandaises au maximum, destinée à financer le déficit de l'entreprise,

-    une contribution en numéraire de 2,36 millions de IRL au maximum, destinée à financer des travaux spécifiques de remise en état de l'environnement,

-    une contribution en numéraire de 4,617 millions de IRL au maximum, destinée à financer une partie du service de la dette,

-    une contribution en numéraire de 0,628 million de IRL au maximum, destinée à financer le déficit du régime de pension,

-    une contribution en numéraire de 7,2 millions de IRL au maximum, pour tenir compte des modifications du plan de restructuration auxquelles était subordonné l'accord du Conseil,

-    des indemnités d'un montant maximal de 2,445 millions de IRL destinées à compenser une éventuelle taxation résiduelle ainsi que d'autres coûts et charges financières hérités du passé,

-    un montant maximal de 1,217 million de IRL correspondant à l'élément d'aide contenu dans les garanties publiques couvrant deux prêts d'un montant total de 12 millions de IRL (ces garanties, qui étaient incluses dans la procédure engagée en vertu de l'article 6, paragraphe 4, du code des aides à la sidérurgie, sont maintenant - aux termes de l'accord de vente de la société - concrètement reprises par l'investisseur, qui fournit une contre-couverture au gouvernement irlandais).

11.
         Le deuxième plan de restructuration prévoyait qu'Ispat International acquerrait l'ensemble des actions d'Irish Steel pour 1 IRL et reprendrait la totalité des dettes et des engagements restants, à l'exception du prêt public sans intérêts de 17 millions de IRL qui serait annulé. En outre, Ispat International s'engageait à procéder à une injection de capital de 5 millions de IRL et à réaliser des investissements d'un montant total de 25 millions de IRL au cours des cinq années suivantes.

12.
    Par lettre du 11 octobre 1995, la Commission a communiqué ce deuxième projet au Conseil (ci-après «communication du 11 octobre 1995»), qui l'a approuvé le 22 décembre 1995. La décision 96/315/CECA de la Commission, du 7 février 1996, concernant l'aide que le gouvernement irlandais projette d'accorder à la société sidérurgique Irish Steel, publiée le 21 mai 1996 (JO L 121, p. 16, ci-après «décision attaquée»), a autorisé l'octroi des aides publiques envisagées.

13.
    La Commission a subordonné son autorisation au respect des conditions exposées aux points V à VII de la décision attaquée et énoncées aux articles 2 à 5 de celle-ci. Au point V de la décision attaquée, il a été prévu, notamment, «que la société n'accroisse pas sa capacité actuelle de production d'acier liquide et de produits finis à chaud, en dehors de l'accroissement résultant de l'amélioration de sa productivité, et ce pendant une période d'au moins cinq ans à compter du dernier versement d'aide».

14.
    Cependant, la décision attaquée, à la différence des décisions du 12 avril 1994, n'a pas exigé de réduction de la capacité de production au motif que ce «n'[était] pas techniquement possible [...] sans fermer l'entreprise étant donné qu'Irish Steel ne possédait qu'un laminoir» (point V). Néanmoins, elle a imposé à Irish Steel les conditions supplémentaires suivantes:

-    ne pas étendre sa gamme de produits, telle qu'elle l'a notifiée à la Commission en novembre 1995, durant les cinq années subséquentes au versement d'aides,

-    ne pas produire des poutrelles d'une taille supérieure à celles qu'elle fabriquait à l'époque,

-    ne pas dépasser un plafond à la production de produits finis laminés à chaud et de produits semi-finis (billettes) pour chaque exercice financier jusqu'au 30 juin 2000,

-    limiter à un certain plafond ses ventes européennes de produits finis (sur le territoire de la Communauté, en Suisse et en Norvège) pendant cette même période.

15.
    Par acte du 18 juin 1996, la dénomination sociale de la société Irish Steel a été modifiée en Irish Ispat Ltd (ci-après Ispat).

     Procédure

16.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 juillet 1996, l'association Wirtschaftsvereinigung Stahl a demandé, en vertu de l'article 33 du traité, l'annulation de la décision attaquée.

17.
    Parallèlement, un autre recours a été introduit le 11 juin 1996 contre la même décision par l'entreprise British Steel. Il a été enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro T-89/96.

18.
    Dans la présente affaire, le Conseil a déposé au greffe du Tribunal, le 13 décembre 1996, une demande tendant à intervenir dans le litige à l'appui des conclusions de la partie défenderesse. Par ordonnance du 5 février 1997, le président de la première chambre élargie du Tribunal a admis cette intervention.

19.
    Dans sa requête, la requérante a demandé au Tribunal d'ordonner à la Commission, à titre de mesure d'organisation de la procédure, de lui communiquer tous les documents relatifs à l'adoption par les membres de la Commission de la décision attaquée.

20.
    Sur rapport du juge rapporteur (quatrième chambre élargie), le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale, a invité les parties à répondre par écrit à certaines questions et a demandé à la Commission de produire une copie certifiée du document SEC (96) 199 et de la version authentifiée du procès-verbal de la réunion de la Commission du 7 février 1996. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience du 25 novembre 1998.

Conclusions des parties

21.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    subsidiairement, annuler cette décision dans la mesure où elle permet à Irish Steel une augmentation du niveau de production dépassant la production totale pour l'année commerciale 1994/1995;

-    condamner la Commission aux dépens.

22.
    La partie défenderesse, soutenue par le Conseil, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

23.
    La Commission conteste la recevabilité du recours. Elle soutient que, conformément à l'article 33 du traité, le recours en annulation doit être formé «dans un délai d'un mois à compter, suivant le cas, de la notification ou de la publication de la décision». En outre, la Cour a interprété l'article 33 du traité CECA en liaison avec l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), qui prévoit que, à défaut de publication ou de notification de l'acte attaqué, le délai court à partir du jour où le requérant en a eu connaissance (arrêt de la Cour du 6 juillet 1988, Dillinger Hüttenwerke/Commission, 236/86, Rec. p. 3761).

24.
    La décision attaquée, qui est une décision individuelle adressée à l'Irlande, n'a pas été notifiée ni communiquée à la requérante. La Commission soutient que, néanmoins, en l'espèce, la requérante en aurait pris connaissance, pour la première fois, le jour de la réunion du Comité consultatif CECA (ci-après «Comité») où elle était représentée, à savoir le 25 octobre 1995. En tout état de cause, les déclarations de la requérante qui ont été publiées dans deux articles de journaux, dans le Engineer du 21 mars 1996 et dans le Irish Times du 28 mars 1996, démontreraient qu'elle connaissait déjà à cette époque le contenu intégral de la décision attaquée. Le délai d'un mois aurait ainsi commencé à courir, au plus tard, à partir de la fin du mois de mars 1996 et, en conséquence, le recours introduit le 10 juillet 1996 serait tardif.

25.
    La Commission soutient encore que, contrairement à la thèse défendue par la requérante, l'article 33 du traité ne permet pas le choix entre le moment de la publication et le moment de la prise de connaissance de l'acte. Cette interprétation découlerait de toute une série de considérations, notamment du sens et de l'objectif du délai qui privilégie la sécurité juridique, de l'importance que représente pour les intéressés la possibilité d'une réaction rapide et, notamment, de l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission (T-380/94, Rec. p. II-2169, point 42).

26.
    De toute manière, même si l'on retenait en faveur de la requérante que, à cette époque, elle n'avait pas connaissance de l'intégralité de la décision attaquée, il serait de jurisprudence constante qu'il appartient à celui qui a connaissance de l'existence de l'acte «d'en demander le texte intégral dans un délai raisonnable» (ordonnance de la Cour du 5 mars 1993, Ferrierre Acciaierie Sarde/Commission, C-102/92, Rec. p. I-801, points 18 et 19). La requérante, n'aurait pas satisfait à cette obligation.

27.
    La requérante, pour sa part, conteste que le recours soit tardif. Selon l'article 33 du traité, l'événement pertinent à compter duquel le délai commence à courir serait celui de la publication. La requérante estime également ne pas avoir eu connaissance du contenu complet de la décision attaquée avant sa publication. En toute hypothèse, l'article 33 du traité lui offrirait le choix d'introduire le recours immédiatement après avoir eu connaissance de la décision attaquée ou après la publication de celle-ci.

Appréciation du Tribunal

28.
    Selon les termes de l'article 33, troisième alinéa, du traité les recours en annulation doivent être formés dans le délai d'un mois à compter, suivant le cas, de la notification ou de la publication de la décision ou de la recommandation. La Cour, en interprétant cette disposition à la lumière de l'article 173, cinquième alinéa, du traité CE, a jugé que, à défaut de publication ou de notification, et seulement dans ce cas, il appartient à celui qui a connaissance de l'existence d'un acte qui le concerne d'en demander le texte intégral dans un délai raisonnable, sous peine de forclusion, mais que, sous cette réserve, le délai du recours ne saurait courir qu'à partir du moment où le tiers concerné a une connaissance exacte du contenu et des motifs de l'acte en cause de manière à pouvoir faire fruit de son droit de recours (arrêts de la Cour Dillinger Hüttenwerke/Commission, précité, point 14 et la jurisprudence citée, et du 6 décembre 1990, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission, C-180/88, Rec. p. I-4413, points 22 à 24).

29.
    En outre, le Tribunal a déjà jugé dans le cadre du traité CE que le critère de la date de prise de connaissance de l'acte en tant que point de départ du délai de recours présente un caractère subsidiaire par rapport à ceux de la publication ou de la notification de l'acte (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, BP Chemicals /Commission, T-11/95, Rec. p. II-3235, point 47 et la jurisprudence citée).

30.
    En l'espèce, la décision a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes le 21 mai 1996. Le recours ayant été déposé le 10 juillet 1996, il y a donc lieu de constater qu'il a été introduit dans le délai d'un mois prévu à l'article 33, troisième alinéa, du traité, à partir de la fin du quatorzième jour suivant la publication, augmenté de six jours en raison de la distance, en application des articles 102, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure du Tribunal, et 1er de l'annexe II au règlement de procédure de la Cour.

31.
    Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu d'appliquer le critère subsidiaire et les arguments de la Commission tendant à établir que la requérante avait eu connaissance de la décision attaquée avant sa publication ou qu'elle aurait dû en demander le texte intégral dans un délai raisonnable sont donc inopérants.

32.
    Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrecevabilité du recours doit être rejeté.

Sur le fond

33.
    La requérante invoque à l'appui de son recours différents griefs qui peuvent être regroupés en deux moyens, le premier tiré de la violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, le second de la violation des formes substantielles.

34.
    La requérante, pendant l'audience et à la suite de la production de certains documents par la Commission, s'est désistée d'une des branches du dernier moyen tirée de la violation du principe de la collégialité.

Sur le moyen pris de la violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application

35.
    En substance, ce moyen regroupe neuf griefs invoqués par la requérante. La décision attaquée serait entachée d'illégalité, en ce qu'elle n'est pas conforme au cinquième code, en ce qu'elle viole les conditions de l'application de l'article 95 du traité, en ce qu'elle méconnaît l'économie interne de l'article 3 du traité, en ce qu'elle viole le principe de l'interprétation restrictive, en ce qu'elle régularise des aides non notifiées, en ce qu'elle viole le principe d'égalité de traitement, en ce qu'elle méconnaît l'article 56, paragraphe 2, du traité, en ce qu'elle viole le principe de protection de la confiance légitime, enfin en ce qu'elle viole le principe de proportionnalité.

Sur la méconnaissance du cinquième code

- Arguments des parties

36.
    La requérante soutient que le cinquième code constitue une norme supérieure de caractère général que la Commission est tenue de respecter lors de l'adoption de décisions individuelles. En vertu de l'article 14, deuxième alinéa, du traité, le code des aides est obligatoire dans tous ses éléments et s'impose à tous les sujets de l'ordre juridique communautaire, y compris les institutions. Étant donné qu'il règle de manière détaillée la politique des aides à la sidérurgie, la Commission, en dérogeant à ses dispositions, aurait violé le principe de la hiérarchie des normes et le principe de légalité. La requérante invoque à ce propos les arrêts du Tribunal du 8 juin 1995, Langnese-Iglo/Commission (T-7/93, Rec. p. II-1533, point 208), et Schöller/Commission (T-9/93, Rec. p. II-1611).

37.
    En outre, le cinquième code, contrairement aux codes précédents, ne prévoirait aucune possibilité de dérogation. Partant, seules les aides satisfaisant aux conditions des dispositions des articles 2 à 5 du code des aides pourraient être considérées comme compatibles avec le bon fonctionnement du marché commun et, en conséquence, être autorisées par la Commission.

38.
    De surcroît, lors de l'adoption du cinquième code, le Conseil et la Commission qui connaissaient la situation financière précaire d'Irish Steel auraient expressément manifesté l'intention d'imposer la règle de l'interdiction des aides publiques dans le secteur de l'acier de façon stricte et d'éliminer les exceptions à cette règle. De ce fait, la crise traversée par Irish Steel, typique de l'industrie sidérurgique, ne constituerait en aucun cas un développement inattendu.

39.
    La Commission conteste que le cinquième code ait le caractère contraignant et exhaustif prétendu par la requérante. Cela aurait impliqué que la décision par laquelle la Commission a adopté ce code aurait modifié le traité en fixant de manière contraignante la portée de l'article 95 du traité. Or, l'interprétation selon laquelle une disposition de droit secondaire peut modifier une disposition de droit primaire en contournant l'ensemble de la procédure de révision du traité ne peut pas être acceptée. Selon la Commission, si les conditions de son application sont remplies, l'article 95 du traité peut toujours servir de base juridique à l'adoption de décisions ad hoc relatives à l'octroi d'aides dans des situations particulières.

40.
    Le Conseil fait valoir que le code des aides et la décision attaquée sont tous les deux formellement basés sur l'article 95, premier alinéa, du traité. En conséquence, les deux actes ont la même nature juridique et sont du même rang. Partant, le code des aides ne constituerait pas une norme hiérarchiquement supérieure à la décision attaquée à laquelle celle-ci devrait se conformer.

- Appréciation du Tribunal

    

41.
    Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, qu'il ressort des motifs du code des aides (voir notamment le point I) qu'il visait tout d'abord «à ne pas priver la sidérurgie du bénéfice des aides à la recherche et au développement ainsi que de celles destinées à lui permettre d'adapter ses installations aux normes nouvelles de protection de l'environnement». Afin de réduire les surcapacités de production et de rééquilibrer le marché, il autorisait également, sous certaines conditions, «les aides sociales susceptibles de favoriser une fermeture partielle d'installations et des aides au financement d'une cessation définitive de toute activité CECA des entreprises les moins compétitives». Comme le Tribunal l'a déjà jugé, notamment, dans l'arrêt British Steel, le code des aides énumérait d'une façon générale certaines catégories d'aides qu'il considérait comme compatibles avec le traité (points 47 et 49). Il introduisait des dérogations, présentant une portée générale, à l'interdiction des aides d'État en ce qui concerne exclusivement les aides à la recherche et au développement, les aides en faveur de la protection de l'environnement, les aides à la fermeture ainsi que les aides régionales aux entreprises sidérurgiques établies sur le territoire ou une partie du territoire de certains États membres, sous réserve que ces aides remplissent certaines conditions.

42.
    Dans ces circonstances, le code des aides ne constitue un cadre juridique exhaustif et contraignant que pour les aides qu'il énumère et qu'il considère compatibles avec le traité. Dans ce domaine, il instaure un système global destiné à assurer un traitement uniforme, dans le cadre d'une seule procédure, de toutes les aides relevant des catégories exonérées qu'il définit. La Commission est donc uniquement liée par ce système lorsqu'elle apprécie la compatibilité avec le traité d'aides visées par ledit code. Elle ne saurait, alors, autoriser de telles aides par une décision individuelle en contradiction avec les règles générales instituées par ce code (voir les arrêts EISA, point 71, British Steel, point 50, et Wirtschaftsvereinigung, point 42).

43.
    A l'inverse, les aides ne relevant pas des catégories exonérées de l'interdiction par les dispositions du code sont susceptibles de bénéficier d'une dérogation individuelle à cette interdiction, si la Commission estime, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire au titre de l'article 95 du traité, que de telles aides sont nécessaires aux fins de la réalisation des objectifs du traité. En effet, le code des aides ne saurait avoir pour objet d'interdire les aides qui n'entrent pas dans les catégories qu'il énumère de manière exhaustive. La Commission n'est pas compétente en vertu de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, qui vise uniquement les cas non prévus par le traité (voir l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1962, Pays-Bas/Haute Autorité, 9/61, Rec. p. 413, point 2), pour prohiber certaines catégories d'aides, puisqu'une telle prohibition est déjà prévue par le traité lui-même, en son article 4, sous c). Les aides ne relevant pas des catégories que le code exonère de cette interdiction demeurent donc exclusivement soumises à l'article 4, sous c), du traité. Il en résulte que, lorsque de telles aides s'avèrent néanmoins nécessaires pour réaliser les objectifs du traité, la Commission est habilitée à recourir à l'article 95 du traité, en vue de faire face à cette situation imprévue, le cas échéant, au moyen d'une décision individuelle (voir dans ce sens les arrêts EISA, point 72, British Steel, point 51, et Wirtschaftsvereinigung, point 43).

44.
    En l'occurrence, les aides d'État visées par la décision attaquée, permettant la restructuration, et par ce biais la privatisation d'Irish Steel, ne relèvent pas du champ d'application du code des aides. La Commission était donc fondée à autoriser ces aides par une décision individuelle prise sur la base de l'article 95 du traité si les conditions de cette disposition se trouvaient remplies.

    

45.
    La requérante, pendant l'audience, a fait valoir, se fondant sur les arrêts EISA, British Steel et Wirtschaftsvereinigung, que la contribution en numéraire de 2,36 millions de IRL destinée à financer des travaux spécifiques de remise en état de l'environnement, d'une part, et celle de 0,628 million de IRL destinée à financer le déficit du régime de pension, d'autre part, relevaient des catégories énumérées dans le code des aides et que, par conséquent, la Commission ne pouvait pas les autoriser en dehors de la procédure établie par celui-ci.

46.
    L'article 3 du code des aides exonère, en principe, «les aides destinées à faciliter l'adaptation aux nouvelles normes légales de protection de l'environnement des installations en service deux ans au moins avant la mise en vigueur de ces normes» dont le montant des aides ne dépasse pas «15 % en équivalent-subvention net des dépenses d'investissement directement liées à la mesure visée de protection de l'environnement».

47.
    Concernant l'élément de l'aide destiné à financer les travaux spécifiques de remise en l'état de l'environnement (voir ci-dessus point 10), il ne relève pas du champ d'application de l'article 3 du code. Même si celui-ci vise à financer l'adaptation des installations à des exigences législatives de protection de l'environnement, son montant dépasse 15 % en équivalent-subvention net des dépenses d'investissement s'y rapportant. Cette aide n'est donc pas exonérée par cette disposition de l'interdiction générale de l'article 4, sous c), du traité.

48.
         De même, l'article 4 du codes des aides, exonère, en principe, de l'interdiction de l'article 4, sous c), du traité, des aides à la fermeture partielle ou à la cessation définitive de toute activité «destinées à couvrir des allocations versées aux travailleurs rendus disponibles ou mis anticipativement à la retraite» qui remplissent certaines conditions.

49.
    Or, la contribution de 0,628 million de IRL, susvisée, est comprise dans un programme d'aides à la restructuration d'Irish Steel, et elle ne vise pas la fermeture partielle de l'entreprise ou sa cessation définitive d'activité.

50.
    Dans ces conditions, ces aides pouvaient être autorisées par une décision individuelle fondée directement sur l'article 95 du traité, dès lors que les conditions prévues par cet article se trouvaient remplies (voir ci-dessus point 43 et 44). La décision attaquée ayant un champ d'application différente du code des aides, étant donné qu'elle approuve pour des raisons exceptionnelles et una tantum des aides qui en principe ne pourraient être compatibles avec le traité, la dérogation qu'elle autorise est tout à fait indépendante du code des aides. Dans ces circonstances, elle n'est pas subordonnée aux conditions énoncées dans ledit code et présente dès lors, un caractère additionnel par rapport à celui-ci aux fins de la poursuite des objectifs définis par le traité.

51.
    Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée ne saurait être considérée comme une dérogation injustifiée au cinquième code, mais constitue en revanche un acte trouvant, tout comme celui-ci, son fondement dans les dispositions de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité. Par conséquent, la référence aux arrêts Langnese-Iglo/Commission et Schöller/Commission, précités, est dépourvue de pertinence en l'espèce puisque la décision attaquée n'a pas été adoptée dans le cadre du cinquième code.

52.
    Il en découle que la décision attaquée n'est pas entachée d'illégalité du fait d'une prétendue méconnaissance du code des aides.

Sur la violation des conditions d'application de l'article 95 du traité

- Arguments des parties

53.
    La requérante indique que c'est à tort que la Commission se fonde sur l'article 95 du traité pour prendre la décision attaquée. L'article 4, sous c), du traité interdit «les subventions ou aides accordées par les États ou les charges spéciales imposées par eux, sous quelque forme que ce soit». Partant, les aides publiques ne constitueraient pas un «cas non prévu au traité» pour lequel il serait légitime de recourir à l'article 95 du traité. La requérante soutient également que l'expression «cas non prévus au traité» devrait être entendue dans le sens de «non réglementés», ce qui ne serait pas le cas des aides d'État, vu la prohibition de l'article 4, sous c), du traité. Bien au contraire, les aides publiques auraient été prévues par le traité et interdites. D'ailleurs, cette question serait une pure question de droit à l'égard de laquelle la Commission ne jouirait d'aucune marge d'appréciation.

54.
    La requérante allègue également que, même si la Commission a indiqué au premier alinéa du point IV de la décision attaquée que les subventions octroyées à Irish Steel vont dans le sens de la réalisation des objets du traité, visés notamment par les articles 2 et 3, il n'apparaît pas clairement de quels objectifs il s'agit. Par ailleurs, il est précisé à l'article 2, premier alinéa, du traité que les objectifs de la Communauté doivent être poursuivis «grâce à l'établissement d'un marché commun, dans les conditions définies à l'article 4». Compte tenu de l'interdiction prévue à l'article 4, sous c), du traité, il ne serait pas légitime de prendre des mesures en conflit avec cette règle en les justifiant par la poursuite des objectifs des articles 2 à 4 du traité.

55.
    De plus, les aides en question ne tendraient pas à la réalisation d'un des objectifs visés aux articles 2 et 3, du traité. Aucun de leurs éléments ne contribuerait à la «modernisation de la production» ou à «l'amélioration de la qualité» puisqu'elles viseraient à compenser les pertes antérieures. En outre, compte tenu du caractère excédentaire de l'offre dans le secteur sidérurgique, les aides en question ne pourraient pas non plus contribuer au «développement des échanges internationaux». En ce qui concerne l'objectif prévu à l'article 3, sous d), du traité selon lequel la Communauté est tenue de «veiller au maintien des conditions incitant les entreprises à développer et à améliorer leur potentiel de production», la certitude pour une entreprise de pouvoir toujours compenser des pertes par des aides publiques libérerait cette entreprise de l'obligation d'avoir à faire face à la concurrence par l'innovation et la rationalisation. Il en va de même en ce qui concerne les intérêts des utilisateurs. En effet, l'aide ne viserait pas «l'approvisionnement régulier du marché commun en tenant compte des besoins des pays tiers» ni à «assurer à tous les utilisateurs du marché commun [...] un égal accès aux sources de production», puisque l'approvisionnement pourrait être assuré par des producteurs d'aciers rentables dans la Communauté. Le «développement de l'emploi», qui constitue une des missions de la Communauté au sens de l'article 2, premier alinéa, du traité, ne pourrait pas non plus être poursuivi par le biais des aides publiques en vertu de l'interdiction de l'article 4, sous c), du traité, ni par le biais des mesures individuelles.

56.
    Pour finir, la décision attaquée serait également entachée d'illégalité dans la mesure où elle ne serait pas indispensable à la poursuite des objectifs du traité. A ce propos, la requérante invoque l'arrêt de la Cour du 3 octobre 1985, Allemagne/Commission (214/83, Rec. p. 3053, point 30).

57.
    La Commission, pour ce qui est de la question de savoir si les conditions d'application de l'article 95 du traité sont remplies, rappelle que l'objectif de cette disposition est de lui permettre de réagir de façon rapide, efficace et appropriée à des imprévus qui compromettent la réalisation des objectifs du traité. En conséquence, et contrairement à ce qui serait soutenu par la requérante, la Commission aurait un large pouvoir d'appréciation pour examiner si une situation de fait constitue un «cas non prévu dans le traité» justifiant le recours à l'article 95 du traité. De surcroît, la requérante n'aurait pas exposé dans quelle mesure la Commission aurait commis un détournement de pouvoir en qualifiant la situation d'Irish Steel de situation exceptionnelle non prévue dans le traité et en adoptant la décision attaquée. Cela vaudrait également pour les conditions de la nécessité et du caractère indispensable des aides.

- Appréciation du Tribunal

58.
    L'article 4, sous c), du traité interdit, en principe, les aides d'État, à l'intérieur de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, dans la mesure où elles sont susceptibles de porter atteinte à la réalisation des objectifs essentiels de la Communauté définis par le traité, notamment à l'instauration d'un régime de libre concurrence.

59.
    Toutefois, une telle interdiction ne signifie pas que toute aide étatique dans le domaine de la CECA doive être considérée comme incompatible avec les objectifs du traité. L'article 4, sous c), du traité, interprété à la lumière de l'ensemble des objectifs du traité, tels qu'ils sont définis par ses articles 2 à 4, ne vise pas à faire obstacle à l'octroi d'aides d'État susceptibles de contribuer à la réalisation desdits objectifs. Il réserve aux institutions communautaires la faculté d'apprécier la compatibilité avec le traité et, le cas échéant, d'autoriser l'octroi de telles aides, dans le domaine couvert par le traité. Cette analyse est confirmée par l'arrêt de la Cour du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité (30/59, Rec. p. 1, 43), et l'arrêt British Steel (point 41), selon lesquels, de même que certains concours financiers non étatiques à des entreprises productrices de charbon ou d'acier, autorisés par les articles 55, paragraphe 2, et 58, paragraphe 2, du traité, ne peuvent être attribués que par la Commission ou avec son autorisation expresse, de même l'article 4, sous c), du traité, doit être interprété en ce sens qu'il attribue aux institutions communautaires une compétence exclusive dans le domaine des aides à l'intérieur de la Communauté.

60.
    Dans l'économie du traité, l'article 4, sous c), ne s'oppose donc pas à ce que la Commission autorise, à titre dérogatoire, des aides envisagées par les États membres et compatibles avec les objectifs du traité, en se fondant sur l'article 95, premier et deuxième alinéas, dudit traité en vue de faire face à des situations imprévues (voir les arrêts Pays-Bas/Haute Autorité, précité, et British Steel, point 42).

61.
    En outre, comme le traité CECA, à la différence du traité CE, n'attribue à la Commission ou au Conseil aucun pouvoir spécifique en vue d'autoriser les aides d'État, la Commission est habilitée, en vertu de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, à prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs du traité et, partant, à autoriser, suivant la procédure qu'il instaure, les aides qui lui paraissent nécessaires pour atteindre ces objectifs (voir notamment l'arrêt EISA, points 61 à 64 et la jurisprudence citée). Contrairement à ce que la requérante fait valoir, dès lors que l'aide est jugée nécessaire au bon fonctionnement du marché commun de l'acier, elle ne constitue plus une aide d'État interdite par le traité.

62.
    La condition de la nécessité est remplie notamment lorsque le secteur concerné est confronté à des situations de crise exceptionnelle. A cet égard, la Cour a souligné, dans son arrêt Allemagne/Commission, précité (point 30), «le lien étroit qui réunit, dans le cadre de la mise en oeuvre du traité, en temps de crise, l'octroi d'aides à l'industrie sidérurgique et les efforts de restructuration qui s'imposent à cette industrie». La Commission apprécie discrétionnairement, dans le cadre de cette mise en oeuvre, la compatibilité, avec les principes fondamentaux du traité, des aides destinées à accompagner les mesures de restructuration (arrêt EISA, points 77 et 78).

63.
    Dans ce domaine, le contrôle de légalité doit se limiter à examiner si la Commission n'a pas excédé les limites inhérentes à son pouvoir d'appréciation par une dénaturation ou une erreur manifeste d'appréciation des faits ou par un détournement de pouvoir ou de procédure (voir, notamment, l'arrêt de la Cour du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, point 25).

64.
    La décision attaquée indique au point IV qu'elle tend à «doter l'industrie sidérurgique irlandaise d'une structure assainie et économiquement viable». Il convient dès lors de vérifier, en premier lieu, si une telle finalité va à l'encontre des objectifs prévus aux articles 2 et 3 du traité et, en second lieu, si la décision attaquée était nécessaire en vue d'atteindre ces objectifs.

65.
    Il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, vu la diversité des objectifs fixés par le traité, le rôle de la Commission consiste à assurer la conciliation permanente de ces différents objectifs, en utilisant son pouvoir discrétionnaire afin de parvenir à la satisfaction de l'intérêt commun (arrêts de la Cour du 13 juin 1958, Meroni/Haute Autorité, 9/56, Rec. p. 9, 43, du 21 juin 1958, Groupement des hauts fourneaux et aciéries belges/Haute Autorité, 8/57, Rec. p. 223, 242, et du 29 septembre 1987, Fabrique de fer de Charleroi et Dillinger Hüttenwerke/Commission, 351/85 et 360/85, Rec. p. 3639, point 15). En particulier, dans l'arrêt du 18 mars 1980, Valsabbia e.a./Commission (154/78, 205/78, 206/78, 226/78, 227/78, 228/78, 263/78 et 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, Rec. p. 907,point 54), la Cour a précisé que, lorsque la Commission détecte d'éventuelles contradictions entre les objectifs considérés séparément, elle doit accorder à l'un des objectifs de l'article 3 du traité la prééminence que peuvent lui paraître imposer les faits et circonstances économiques au vu desquels elle a arrêté sa décision.

66.
    S'agissant de la question de savoir si l'assainissement de l'entreprise bénéficiaire tend à la réalisation des objectifs du traité, il y a lieu de rappeler que, comme le Tribunal l'a précisé dans ses arrêts EISA, British Steel et Wirtschaftsvereinigung, la privatisation d'une entreprise afin d'en assurer la viabilité et la suppression d'emplois dans une mesure raisonnable concourent à réaliser les objectifs du traité, eu égard à la sensibilité du secteur sidérurgique et au fait que l'aggravation de la crise aurait risqué de provoquer, dans l'économie de l'État membre, des troubles extrêmement graves et persistants. Or, il n'est pas contesté que l'aide en cause vise à faciliter la privatisation de l'entreprise publique bénéficiaire, la restructuration des installations existantes et la suppression des emplois dans une mesure acceptable (voir le point II de la décision attaquée). En outre, il n'est pas contesté non plus que le secteur de l'acier revêt, dans plusieurs États membres, une importance essentielle, en raison de la localisation des installations sidérurgiques dans des régions caractérisées par une situation de sous-emploi et de l'ampleur des intérêts économiques en jeu. Dans ces circonstances, des décisions éventuelles de fermeture et de suppression d'emplois auraient été susceptibles de créer, en l'absence de mesures de soutien de l'autorité publique, de très graves difficultés d'ordre public, notamment en aggravant le problème du chômage et en risquant de générer une situation de crise économique et sociale majeure (arrêt British Steel, point 107). Or, le fait qu'Irish Steel est la seule entreprise sidérurgique en Irlande renforce inévitablement les effets qu'une éventuelle fermeture aurait pu causer dans l'économie et dans la situation de l'emploi de l'État membre.

67.
    Dans ces circonstances, en visant à résoudre de telles difficultés par l'assainissement d'Irish Steel, la décision attaquée satisfait aux exigences du traité en ce qu'elle tend incontestablement à sauvegarder «la continuité de l'emploi» comme l'exige l'article 2, deuxième alinéa. En outre, elle poursuit les objectifs consacrés par l'article 3 du traité, relatifs, notamment, au «maintien de conditions incitant les entreprises à développer et à améliorer leur potentiel de production» [sous d)] et à la promotion de «l'expansion régulière et de la modernisation de la production ainsi que de l'amélioration de la qualité, dans des conditions qui écartent toute protection contre les industries concurrentes» [sous g)] (voir dans ce sens l'arrêt British Steel, point 108).

68.
    Il s'ensuit que la décision attaquée concilie différents objectifs du traité, en vue de sauvegarder le bon fonctionnement du marché commun.

69.
    Il convient de vérifier, en outre, si la décision attaquée était nécessaire à la réalisation de ces objectifs. Comme la Cour l'a précisé au point 30 de son arrêt Allemagne/Commission, précité, la Commission ne pourrait «en aucun cas autoriser l'octroi d'aides étatiques qui ne sont pas indispensables pour atteindre les objectifs visés par le traité et qui seraient de nature à entraîner des distorsions de concurrence sur le marché commun de l'acier» (arrêt British Steel, point 110).

70.
    Il convient de rappeler liminairement qu'en matière d'aides d'État la Cour a constamment affirmé que «la Commission jouit d'un pouvoir discrétionnaire dont l'exercice implique des appréciations complexes d'ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire» (arrêts de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730/79, Rec. p. 2671, point 24, et Matra/Commission, précité, ainsi que arrêts du Tribunal du 13 septembre 1995, TWD/Commission, T-244/93 et T-486/93, Rec. p. II-2265, point 82, et British Steel, point 112).

71.
    Or, il ressort de la décision attaquée (voir point III), comme de la communication du 11 octobre 1995, que le plan de restructuration allié à la privatisation d'Irish Steel s'est présenté à la Commission comme la seule solution qui permettait le rétablissement de la société avec le minimum de coûts socio-économiques (voir notamment les points 5 et suivants de la communication). La vente de la société à un investisseur privé opérant sur le plan international, ayant une large expérience dans le secteur sidérurgique, ainsi que la capacité de ce dernier à assainir des entreprises sidérurgiques non rentables ont été, parmi d'autres, des facteurs de pondération qui ont amené la Commission à adopter la décision attaquée. En outre, la viabilité du plan de restructuration associé à la privatisation d'Irish Steel a été confirmée par des experts indépendants qui ont jugé que les investissements proposés par Ispat International permettraient de réaliser les gains de productivité nécessaires et de réduire les coûts (voir notamment les points 7.15 à 7.18 et 13.1 de la communication du 11 octobre 1995).

72.
    Il en résulte, que la requérante n'a fourni aucun élément concret permettant de conclure que la Commission a commis une violation des conditions d'application de l'article 95 du traité.

Sur la violation de l'économie interne de l'article 3 du traité

- Argumentation des parties

73.
    La requérante soutient que la décision attaquée ne tend pas à la réalisation des objectifs prévus à l'article 3 du traité ni, à défaut de pouvoir les concilier, de l'un d'entre eux et qu'en tout état de cause elle n'est pas nécessaire à la réalisation des objectifs qu'elle prétend poursuivre. L'objectif énoncé par la Commission d'un «approvisionnement proche du consommateur» serait un objectif qui, premièrement, ne figure pas dans le traité et qui, deuxièmement, serait sans pertinence puisque l'objectif principal en la matière serait de garantir que les consommateurs aient le même accès au marché et non pas un accès proche au marché. Par ailleurs, la requérante relève que seulement 6 % du chiffre d'affaires d'Irish Steel est réalisé en Irlande.

74.
    La Commission conteste l'affirmation selon laquelle la décision attaquée ne serait pas de nature à contribuer à la poursuite des objectifs énoncés à l'article 3 du traité.

- Appréciation du Tribunal

75.
    Cette branche du premier moyen revient à invoquer l'argumentation que la requérante a fait valoir au titre de la nécessité de l'aide pour l'accomplissement des objectifs du traité (voir ci-dessus les points 55 à 57). Ce grief a donc déjà été jugé non fondé. En tout état de cause, il paraît encore utile de rappeler que dans l'arrêt Groupement des hauts fourneaux et aciéries belges/Haute Autorité, précité (Rec. p. 242), la Cour a précisé «qu'il faudra en pratique procéder à une certaine conciliation entre les différents objectifs de l'article 3, car il est manifestement impossible de les réaliser tous ensemble et chacun au maximum, ces objectifs étant des principes généraux vers la réalisation et l'harmonisation desquels il faut tendre dans toute la mesure du possible».

76.
    Dans le cas d'espèce, la Commission, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, a établi que le projet d'assainissement d'Irish Steel, dans la situation de crise du secteur (mentionnée au point I de la décision attaquée), constituait un moyen approprié à l'accomplissement de certains des objectifs du traité, notamment, de ceux mentionnés au point 67 ci-dessus. Or, l'argumentation développée par la requérante, notamment à l'égard de l'objectif «d'approvisionnement proche du consommateur», ne suffit pas à démontrer une erreur manifeste d'appréciation de la part de la Commission puisque cet objectif ne constitue que l'un de ceux qui ont été pondérés au moment de la prise de la décision attaquée.

77.
    Dans ces conditions, la requérante ne fournit aucun élément permettant de supposer que la Commission aurait commis une erreur d'appréciation en estimant que les aides en cause étaient utiles et nécessaires à la réalisation de certains objectifs du traité. Il s'ensuit qu'il convient également de rejeter le grief tiré de la violation de l'économie interne de l'article 3 du traité.

Sur la violation du principe d'interprétation restrictive

- Argumentation des parties

78.
    La requérante soutient que la décision attaquée enfreint le principe d'interprétation restrictive tel qu'il a été développé par la jurisprudence de la Cour à propos de l'interprétation des articles 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE), 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE) et 55 du traité CE (devenu article 45 CE). La Commission aurait elle aussi soutenu ce principe dans le cadre de l'application de l'article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE), et aurait précisé que «les dérogations au principe de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE énoncées au paragraphe 3 du même article doivent s'interpréter restrictivement lors de l'examen de tout régime d'aides ou de toute mesure individuelle d'aide» (décision 89/348/CEE de la Commission, du 23 novembre 1988, relative aux aides accordées par le gouvernement français à une entreprise fabriquant du matériel pour le secteur de l'automobile - Valéo, JO 1989, L 143, p. 44, deuxième alinéa, sous VI).

79.
    Il y aurait lieu de déduire que les exceptions à l'article 4, sous c), du traité sur la base de l'article 95 du traité, devraient se limiter, en leur durée et en leur ampleur, à ce qui serait strictement nécessaire, qu'elles ne pourraient être autorisées qu'à titre transitoire et qu'elles s'appliqueraient de la même manière à toutes les entreprises. Par conséquent, seul le code des aides réunirait ces conditions. Le recours à l'article 95 du traité, comme dans la décision attaquée, ne servirait qu'à perpétuer dans le temps les aides à des entreprises, sans jamais les rendre rentables.

80.
         La requérante fait remarquer qu'Irish Steel a bénéficié de manière répétée d'aides publiques. En effet, l'entreprise aurait reçu durant les années 1980 à 1985 des aides pour un montant de 183 millions de IRL (communication 95/C). Cette contribution aurait dépassé le capital propre versé de 125 millions de IRL. L'application du principe d'interprétation restrictive à l'octroi des subventions publiques aurait pour conséquence qu'une entreprise ne pourrait être subventionnée de manière à remplacer ses fonds propres qu'une seule fois.

81.
    La Commission estime que c'est à tort que la requérante assimile l'article 95 du traité à un régime dérogatoire. Cette disposition ne se référerait spécifiquement à aucun principe du traité, mais devrait permettre, à l'instar de l'article 235 du traité CE (devenu article 308 CE), de réaliser les objectifs du traité dans des cas non prévus par celui-ci.

- Appréciation du Tribunal

82.
    L'argumentation de la requérante se fonde sur la thèse, déjà jugée erronée, que seul le code des aides réunirait les conditions d'application de l'article 95 du traité en matière d'aides d'État. En outre, le Tribunal a également jugé que les conditions d'application de l'article 95 du traité, pour ce qui concerne la nécessité de l'aide en vue de réaliser certains objectifs du traité, sont réunies dans le cas d'espèce (voir points 70 à 72 ci-dessus).

83.
    En tout état de cause, le principe évoqué n'a pas été violé. En effet, il ressort des points IV, deuxième alinéa, et VI de la décision attaquée que les aides en cause ont été limitées dans le temps. Ainsi, la décision attaquée a accordé à l'entreprise bénéficiaire un délai jusqu'au 30 juin 1998 pour redevenir rentable (article 1er, paragraphe 2). De même, elle a imposé un certain nombre de conditions (voir les points 13 et 14 ci-dessus) de manière à garantir que l'aide est limitée au strict nécessaire. Notamment, elle a fixé le niveau des charges financières nettes dès le départ au minimum à 3,5 % du chiffre d'affaires annuel, correspondant à la moyenne dans le secteur communautaire de la sidérurgie (articles 2 et 3).

84.
    Le fait qu'Irish Steel a bénéficié d'aides dans le passé et que ces contributions ont dépassé son capital propre versé de 125 millions de IRL ne constitue qu'un des éléments de l'évaluation faite au moment de la prise de la décision, notamment, concernant la capacité de l'entreprise à devenir rentable dans un délai raisonnable. Or, comme il a été déjà mentionné (voir point 71 ci-dessus), il ressort de la décision attaquée et plus en détail de la communication du 11 octobre 1995 qu'il y a eu tout un ensemble de facteurs, notamment celui de l'intervention d'Ispat International, qui ont été pris en compte. En outre, le fait d'avoir reçu des aides dans le passé ne saurait constituer un élément dirimant comme le prétend la requérante.

85.
    Il s'ensuit que le grief de la violation du principe d'interprétation restrictive doit être rejeté.

Sur la régularisation illégale d'aides non notifiées préalablement

- Argumentation des parties

86.
    La requérante indique, sans que cela ait été contesté par la défenderesse, que durant l'année 1993, l'État irlandais s'est porté garant pour un montant de 10 millions de IRL d'un prêt à Irish Steel. Celui-ci aurait été consenti à un taux plus favorable que le taux du marché. L'aide constituée par ce prêt n'aurait pas été notifiée à la Commission conformément à l'article 6, paragraphe 4, du code des aides (voir ci-dessus point 7).

87.
    Cette aide, affectée par une illégalité formelle, ne pourrait pas être légalisée a posteriori par une décision d'autorisation de la Commission. Cela aurait été confirmé par la Cour dans son arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon (C-354/90, Rec. p. I-5505, point 16, ci-après «arrêt FNCE»).

88.
    La requérante ajoute dans son mémoire en réplique, qu'il ne résulte pas de la décision attaquée que la Commission ait procédé à l'examen de la compatibilité de l'aide en cause avec le marché commun. De surcroît, la Commission ne pourrait pas légaliser l'aide qui ne lui aurait pas été notifiée en recourant à l'article 95 du traité, puisque cette disposition ne se réfère qu'à l'adoption de décisions réglementant des cas pour l'avenir.

89.
    La Commission fait valoir que le non-respect de la procédure de notification n'aurait, ni dans le cas de l'article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE) ni dans celui de l'article 6 du cinquième code, qui prévoit la même obligation de notification préalable et l'interdiction des versements anticipés, d'incidence sur la compatibilité, quant au fond, de l'aide avec le marché commun.

- Appréciation du Tribunal

90.
    Le système établi par le traité CECA en matière d'aides d'État permet à la Commission, sous certaines conditions et tout en respectant la procédure prévue à l'article 95 du traité, d'autoriser l'octroi d'aides d'État qui sont nécessaires au bon fonctionnement du marché commun de l'acier. Dans ces circonstances, l'interdiction de l'article 4, sous c), du traité ne constitue une interdiction ni inconditionnelle ni absolue.

91.
    La logique inhérente à ce système d'autorisation d'aides présuppose, tout d'abord, concernant les décisions individuelles, une demande de recours à la procédure de l'article 95 du traité de la part de l'État membre à la Commission et, ensuite, l'examen de la nécessité de l'aide en vue de la réalisation des objectifs du traité. En conséquence, le système établi dans le traité CECA est constitué, tout comme celui de l'article 93 du traité CE, de deux phases distinctes: la première a un caractère instrumental et comporte pour les États membres l'obligation de notifier à la Commission toutes les aides envisagées et l'interdiction de les verser avant leur approbation par celle-ci [qui découle tout simplement de l'article 4, sous c), du traité]; la deuxième a un caractère substantiel et consiste dans l'analyse de la nécessité de l'aide en vue de réaliser certains des objectifs du traité. Par ailleurs, l'article 6 du code des aides établit par rapport aux aides qu'il exonère de l'interdiction de l'article 4, sous c) du traité, une procédure de notification et d'examen de leur compatibilité tout à fait comparable.

92.
    Il ressort du dossier que l'aide en cause, d'un montant de 1,217 million de IRL, qui correspondait à la garantie publique couvrant deux prêts à concurrence de 12 millions de IRL (voir ci-dessus point 7), a été octroyée sans notification préalable à la Commission (voir, notamment, le point 9 de la communication 95/C). Il reste donc à examiner si, compte tenu de ce défaut de notification préalable, la décision attaquée constitue, comme le prétend la requérante, une régularisation illégale de cette aide.

93.
    Il y a lieu de rappeler que, dans le cadre du traité CE, la Cour a jugé que la violation des obligations visées à l'article 93, paragraphe 3, du traité CE n'est pas de nature à dispenser la Commission d'examiner la compatibilité de l'aide eu égard à l'article 92 du traité CE et que la Commission ne peut pas la déclarer illégale sans avoir vérifié si l'aide est ou non compatible avec le marché commun (voir l'arrêt FNCE, point 13).

94.
    Or, étant donné que l'interdiction prévue à l'article 4, sous c), du traité ne constitue qu'une interdiction de principe et que la Commission a le pouvoir d'autoriser des aides d'État considérées comme nécessaires au bon fonctionnement du marché commun, la notification préalable a également une nature instrumentale par rapport à la décision finale de compatibilité de l'aide et, de surcroît, de nécessité de celle-ci en vue de la réalisation de certains objectifs du traité. Le défaut d'une telle notification n'est pas suffisant pour dispenser ou même empêcher la Commission de prendre une initiative se fondant sur l'article 95 du traité et, éventuellement, de déclarer les aides compatibles avec le marché commun. En l'espèce, la Commission a conclu que les aides à la restructuration d'Irish Steel, y compris l'aide litigieuse, étaient nécessaires au bon fonctionnement du marché commun et qu'elles n'entraînaient pas de distorsions de concurrence inacceptables. Par conséquent, le défaut de notification ne saurait affecter la légalité de la décision attaquée, ni dans son ensemble ni en ce qu'elle concerne l'aide non préalablement notifiée.

95.
    Au surplus, cette prise de position de la Commission n'empêche pas les justiciables affectés par le versement anticipé de l'aide de saisir les juridictions nationales en demandant l'invalidité des actes d'exécution de l'aide irrégulière ou l'octroi d'une compensation pour des préjudices éventuellement subis, même si l'aide a été déclarée postérieurement compatible avec le marché commun. En effet, la Cour a déjà reconnu l'effet direct de l'interdiction des aides étatiques énoncée à l'article 4, sous c), du traité (arrêt du 23 avril 1956, Groupement des industries sidérurgiques luxembourgeoises/Haute Autorité, 7/54 et 9/54, Rec. p. 53, 91). Par ailleurs, comme la Commission le mentionne à juste titre, la Cour, dans l'arrêt FNCE, met en évidence l'effet direct de l'article 93, paragraphe 3, du traité CE et l'obligation pour les juridictions nationales d'en tirer les conséquences nécessaires de façon à rétablir la légalité, et le cas échéant, d'indemniser les particuliers pour les dommages subis en raison de l'octroi illégal d'une aide publique. Cependant, le fait que l'article 93, paragraphe 3, du traité CE a un effet direct n'a pas, d'une part, d'incidence nécessaire sur l'examen de l'aide quant au fond et n'entraîne pas, d'autre part, l'illégalité de la décision de compatibilité prise par la Commission (points 13 et 14).

96.
    De surcroît, l'argument de la requérante relatif à l'absence d'examen de la compatibilité de cette aide avec le marché commun est dénué de fondement. En effet, il ressort clairement du point II, septième alinéa, huitième tiret, de la décision attaquée que l'aide contestée se trouvait comprise dans l'ensemble des aides projetées et qu'elle a été soumise à l'appréciation de la Commission. Il ressort, en outre, de la communication du 11 octobre 1995 (voir, notamment, les points 11.8 à 11.11) que la Commission a calculé le montant de 1,217 million de IRL de la manière suivante:

«La Commission estime qu'il existe et qu'il subsistera un élément d'aide dans les garanties, puisque celles-ci n'étaient assorties d'aucune commission et que la nouvelle société continuera à bénéficier des avantages ainsi obtenus. Compte tenu de la durée des prêts (environ douze mois et dix ans respectivement) et partant de l'hypothèse qu'une commission de 3 % aurait normalement dû être payée, la Commission estime que les garanties représentent un élément d'aide de 1,217 million de IRL (1,502 million d'écus), soit approximativement 10 % du montant des prêts.» (Point 11.10.)

97.
    Par conséquent, le grief relatif à une prétendue régularisation illégale des aides est privé de fondement.

Sur la violation du principe d'égalité de traitement

- Argumentation des parties

98.
    La requérante soutient que, par le biais du code des aides, la Commission a établi les principes qui régissent son action dans ce secteur. Cela étant, chaque entorse à ces principes, lorsqu'elle ne serait pas suffisamment justifié, constituerait une infraction au principe d'égalité de traitement (arrêts de la Cour du 1er décembre 1983, Blomefield/Commission, 190/82, Rec. p. 3981, point 20, et du 29 mars 1984, Buick/Commission, 25/83, Rec. p. 1773, point 15).

99.
    Selon la requérante, la Commission n'a pas indiqué dans la décision attaquée en quoi la situation d'Irish Steel justifierait d'écarter l'application du code des aides. Ainsi, la décision attaquée n'exposerait qu'en termes généraux la situation de crise dans laquelle se trouve la sidérurgie communautaire dans son ensemble. Or, ce cadre, déjà connu de la Commission à l'époque de l'adoption du code des aides, ne pouvait pas justifier un écart des règles prévues dans celui-ci sans violation du principe d'égalité.

100.
    La requérante soutient que la défenderesse a également violé le principe d'égalité dans la mesure où elle aurait accordé un traitement différencié à des situations comparables. En effet, la Commission aurait refusé d'autoriser des aides publiques, en application du cinquième code, à des entreprises sidérurgiques qui se trouvaient dans une situation comparable à celle d'Irish Steel comme Hamburger Stahlwerke GmbH et Neue Maxhütte GmbH. Néanmoins, la requérante indique que, dans ces deux cas, le gouvernement fédéral allemand n'avait pas introduit une demande de dérogation au titre de l'article 95 du traité.

101.
    La Commission, pour sa part, conteste avoir refusé l'octroi d'aides dans des situations comparables. Les exemples invoquées par la requérante ne pourraient pas être pris en compte puisque, dans ces affaires, il n'y a pas eu de demande de dérogation au sens de l'article 95 du traité. En conséquence, la question de l'application de cette disposition ne se posait pas. De surcroît, les situations des entreprises Neue Maxhütte GmbH et Hamburger Stahlwerke GmbH présenteraient d'autres différences importantes par rapport à celle d'Irish Steel, notamment l'absence de plan de restructuration dûment établi.

- Appréciation du Tribunal

102.
    Il y a lieu de remarquer, à titre liminaire, que ce grief repose en partie sur la thèse, déjà écartée, que la Commission aurait dû appliquer les règles du cinquième code au cas d'espèce. En invoquant la méconnaissance du principe d'égalité, la requérante semble admettre toutefois que, même dans les situations où le cinquième code est le régime juridique applicable, la Commission peut déroger aux règles qu'il prévoit si cette dérogation est objective et suffisamment justifiée. Or, comme il a déjà été relevé précédemment, ce raisonnement ne peut pas être accueilli. Dans la présente affaire, la Commission n'a pas dérogé au cinquième code, mais a tout simplement considéré, à juste titre, que le cinquième code n'était pas applicable.

103.
    En ce qui concerne le grief selon lequel la Commission aurait méconnu le principe d'égalité en traitant différemment la situation d'Irish Steel de celles de Neue Maxhütte GmbH et Hamburger Stahlwerke GmbH, il y a lieu de rappeler la jurisprudence selon laquelle, «pour qu'on puisse reprocher à la Commission d'avoir commis une discrimination, il faut qu'elle ait traité d'une façon différente des situations comparables, entraînant un désavantage pour certains opérateurs par rapport à d'autres, sans que cette différence de traitement soit justifiée par l'existence de différences objectives d'une certaine importance» (voir notamment les arrêts de la Cour du 13 juillet 1962, Klöckner Werke et Hoesch/Haute Autorité, 17/61 et 20/61, Rec. p. 615, 652, et du 15 janvier 1985, Finsider/Commission, 250/83, Rec. p. 131, point 8). Afin de juger si le traitement de la situation d'Irish Steel reproché à la Commission constitue une violation du principe d'égalité de traitement, il faut examiner si ce traitement repose sur l'existence de différences objectives.

104.
    Comme le soutient la Commission, la situation d'Irish Steel n'était pas comparable à celles des autres sociétés mentionnées. En effet, dans le cas de Neue Maxhütte GmbH et Hamburger Stahlwerke GmbH, il n'y a pas eu de demande de dérogation au titre de l'article 95 du traité de la part du gouvernement allemand ni de plan de restructuration permettant à la Commission d'apprécier la viabilité des programmes d'aides présentés. Or, ces éléments, dont la réalité n'est pas contestée par la requérante, différencient objectivement la situation de ces sociétés de celle d'Irish Steel.

105.
    Il s'ensuit que le grief pris d'une violation du principe d'égalité de traitement doit être rejeté.

Sur la méconnaissance de l'article 56, paragraphe 2, du traité

- Argumentation des parties

106.
    La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir eu recours à l'article 56, paragraphe 2, sous a) et sous b), du traité pour répondre à la situation d'Irish Steel. En vertu de cette disposition, le gouvernement irlandais aurait dû introduire auprès de la Commission une demande pour obtenir une autorisation d'aide à la fermeture.

107.
    Le fait que le traité contient une disposition permettant de répondre efficacement aux besoins d'une entreprise sidérurgique non rentable, et notamment aux conséquences sociales des fermetures nécessaires, ferait disparaître la condition de base du recours à l'article 95 du traité, puisque le cas auquel la Commission a voulu répondre serait prévu dans le traité.

108.
    La Commission conteste l'argumentation de la requérante.

- Appréciation du Tribunal

109.
    Il résulte de la jurisprudence de la Cour, notamment de l'arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil (45/86, Rec. p. 1493, point 11), que le choix de la base juridique d'un acte ne peut pas dépendre seulement de la conviction d'une institution quant au but poursuivi, mais doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel. Parmi de tels éléments figurent, notamment, le but et le contenu de l'acte (voir l'arrêt du 11 juin 1991, Commission/Conseil, C-300/89, Rec. p. I-2867, point 10). Il résulte encore de la jurisprudence de la Cour que le recours à une disposition de «dernier recours» tel que l'article 95 du traité (disposition équivalente à l'article 235 du traité CE) comme base juridique d'un acte, n'est justifié que si aucune autre disposition ne confère aux institutions communautaires la compétence nécessaire pour arrêter cet acte (arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil, précité, point 13).

110.
    Il convient de vérifier si, dans le cas d'espèce, l'octroi des aides à Irish Steel ne relevait pas de l'article 56, paragraphe 2, du traité et, comme le prétend la Commission, s'il débordait de ce cadre de telle sorte que l'utilisation de l'article 95 du traité s'avérait nécessaire.

111.
         Les programmes d'aides prévus à l'article 56, paragraphe 2, du traité visent à diriger le personnel des entreprises qui ont dû cesser leur production vers de nouvelles activités. Ils concernent, notamment, la reconversion professionnelle, le replacement et la réinstallation des travailleurs qui ont été mis au chômage suite aux difficultés d'écoulement du charbon et de l'acier. Dans ces conditions, l'article 56, paragraphe 2, du traité permettait, éventuellement, de résoudre une partie des problèmes rencontrés par la restructuration d'Irish Steel, à savoir, celui de la reconversion professionnelle et de la réinstallation des travailleurs. Néanmoins, le cadre prévu par cet article ne permettait pas de résoudre le problème de base qui était celui de la rentabilité de la société. Or, la solution trouvée qui consiste à adopter un plan de restructuration par le biais de la privatisation de la société accompagnée d'un programme d'aides publiques, sort manifestement des situations auxquelles l'article 56, paragraphe 2, du traité peut répondre.

112.
    En outre, comme la Commission l'a indiqué à juste titre, elle a été priée de prendre position sur la compatibilité avec le traité du programme d'aides que le gouvernement irlandais projetait d'accorder à Irish Steel. Or, l'article 56, susvisé, prévoit des programmes d'aides provenant directement du budget communautaire et non des aides nationales. Le parallélisme et l'éventuelle articulation des deux procédures (aides nationales/aides communautaires) ressort du passage suivant de la communication du 11 octobre 1995: «En ce qui concerne la subvention à la reconversion de 0,2 million de IRL (0,247 million d'écus), elle représente, selon les autorités irlandaises, la contribution de contrepartie du gouvernement irlandais d'une subvention accordée au titre de l'article 56, paragraphe 2, sous b), du traité CECA et destinée à financer la reconversion de 134 travailleurs. Conformément à la politique qu'elle suit normalement à cet égard, la Commission accepte que cette subvention soit considérée comme une aide d'État compatible avec le marché commun, puisqu'elle représente le cofinancement national qui doit compléter l'aide communautaire en vertu de l'article 56, paragraphe 2, sous b).» (Point 11.6.)

113.
    Il s'ensuit que les objectifs visés par la Commission en adoptant la décision attaquée débordaient du cadre prévu à l'article 56, paragraphe 2, du traité et que, par conséquent, la décision n'est pas entachée d'illégalité du fait qu'elle a pour base juridique l'article 95 du traité.

114.
    Partant, le grief tiré de la violation de l'article 56, paragraphe 2, du traité doit être rejeté.

Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

- Argumentation des parties

115.
    La requérante estime que la Commission, en autorisant les aides en question, a dérogé aux principes qu'elle et le Conseil ont eux-mêmes établis en la matière. Partant, elle aurait déçu les attentes des entreprises du secteur qui avaient cru que, en dehors du cinquième code, aucune aide publique ne serait autorisée.

116.
    Pour se prévaloir de la confiance légitime, il ne serait pas nécessaire que l'entreprise soit assurée, par un acte juridique formel, qu'aucune aide complémentaire ne sera autorisée au bénéfice de ses concurrents. Il suffirait qu'elle puisse se fier au caractère exact et non équivoque de chaque acte des institutions communautaires dont celles-ci ne peuvent s'écarter sans justification objective valable (conclusions de l'avocat général M. Trabucchi sous l'arrêt de la Cour du 4 février 1975, Compagnie Continentale/Conseil, 169/73, Rec. p. 117, 137, et l'arrêt de la Cour du 24 novembre 1987, RSV/Commission, 223/85, Rec. p. 4617).

117.
    Cette conviction serait fondée non seulement sur le libellé du cinquième code, qui se révélerait exhaustif et contraignant, mais également sur la base de plusieurs déclarations de la Commission et du Conseil par lesquelles ils se seraient obligés à imposer une discipline stricte en matière d'aides publiques dans le secteur et à autoriser seulement les aides compatibles avec le cinquième code.

118.
    Dès lors, les entreprises sidérurgiques auraient été convaincues que, jusqu'en 1996 (date d'expiration du cinquième code), leurs investissements ne seraient pas dévalorisés par des prix inférieurs pratiqués par des concurrents subventionnés. Cette confiance aurait été remise en cause par la décision attaquée, sans qu'aucune justification ne puisse être donnée.

119.
    Le fait que la Commission ait adopté dans le passé des décisions similaires ne pourrait faire obstacle à la naissance d'une confiance légitime dans l'esprit de la requérante puisque de telles décisions, à l'instar de la décision attaquée, seraient illégales.

120.
    Pour sa part, la défenderesse, conteste que les actes mentionnés par la requérante soient de nature à fonder la confiance légitime prétendue et indique également que, en tout état de cause, la décision attaquée ne pourrait porter atteinte à cette confiance.

121.
    La Commission fait remarquer que la décision attaquée a eu pour base l'article 95 du traité, disposition qui lui permet de faire face à des situations non prévues par le traité. Donc, par définition, les décisions ainsi fondées ne seraient pas de nature à porter atteinte à la confiance légitime.

122.
    En outre, indépendamment de savoir si les actes et les déclarations invoqués étaient de nature à fonder la confiance légitime de la requérante, la décision attaquée ne saurait y avoir porté atteinte puisque des décisions similaires auraient été prises antérieurement.

123.
    Pour sa part, le Conseil ajoute que la décision attaquée a été arrêtée afin de tenir compte d'une «variation de la situation économique» dans un cas particulier. Ainsi, par leur nature et leurs objectifs, les mesures arrêtées sur la base de l'article 95 du traité, y compris le cinquième code, ne sauraient créer une situation juridique contraignante et immuable pour tous les opérateurs économiques.

- Appréciation du Tribunal

124.
    Ce moyen découle de la thèse déjà rejetée selon laquelle seules les aides exonérées par le cinquième code pourraient être autorisées. Or, ainsi que le Tribunal l'a déjà constaté dans ses arrêts EISA, British Steel et Wirtschaftsvereinigung, le code des aides n'a pas le même objet que la décision attaquée, adoptée pour faire face à une situation exceptionnelle. Il n'était dès lors en aucun cas susceptible de faire naître des attentes légitimes en ce qui concerne la possibilité éventuelle d'accorder des dérogations individuelles à l'interdiction des aides d'État, sur la base de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, dans une situation imprévue comme celle qui a conduit à l'adoption de la décision attaquée (arrêt British Steel, point 75).

125.
    En outre, et en toute hypothèse, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que, «si le principe du respect de la confiance légitime s'inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires» (voir l'arrêt de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88, Rec. p. I-395, point 33, et l'arrêt British Steel, point 76).

126.
    En effet, le bon fonctionnement du marché commun de l'acier comporte la nécessité évidente d'une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique, et les opérateurs économiques ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien de la situation juridique existante à un moment donné (voir les arrêts de la Cour du 27 septembre 1979, Eridania et Societa italiana per l'industria degli zuccheri, 230/78, Rec. p. 2749, point 22, et du Tribunal du 21 février 1995, Campo Ebro e.a./Conseil, T-472/93, Rec. p. II-421, point 52). En outre, la Cour a également utilisé la notion d'«opérateur prudent et avisé» pour souligner que, dans certains cas, il est possible de prévoir l'adoption de mesures spécifiques destinées à contrecarrer des situations évidentes de crise, de sorte que le principe de protection de la confiance légitime ne saurait être invoqué (voir, notamment, l'arrêt British Steel, point 77 et la jurisprudence citée).

127.
    Or, après l'adoption des décisions individuelles du 12 avril 1994, précitées, que de surcroît la requérante a attaquées devant le Tribunal, il est incontestable qu'au moment de l'adoption de la décision attaquée, celle-ci savait que la Commission se fondait sur l'article 95 du traité pour adopter des décisions individuelles d'autorisation d'aides étatiques en vue de réaliser certains objectifs du traité.

128.
    Il s'ensuit que le grief tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime doit être rejeté.

Sur la violation du principe de proportionnalité

- Argumentation des parties

129.
    La requérante reproche à la Commission d'avoir enfreint le principe de proportionnalité dans la mesure où les avantages découlant de l'aide en question n'auraient pas été contrebalancés par des exigences de réduction de la capacité de production.

130.
    Elle estime que l'application de ce principe découlerait de l'article 5 du traité, auquel renvoie l'article 95, premier alinéa, du traité. Aux termes de l'article 5 du traité, la Commission ne devrait accomplir sa mission qu'au moyen d'interventions limitées (voir l'arrêt de la Cour du 12 juin 1958, Compagnie des hauts fourneaux de Chasse/Haute Autorité, 2/57, Rec. p. 129).

131.
    Il serait de jurisprudence constante qu'une autorisation d'aide fondée sur l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, ne doit en aucun cas conduire à une distorsion de la concurrence dans l'industrie sidérurgique communautaire (arrêt Allemagne/Commission, précité, point 30). Néanmoins, chaque autorisation d'aide au bénéfice d'une entreprise constituerait en soi un avantage par rapport aux autres entreprises, ce qui influencerait toujours les rapports de concurrence (arrêt de la Cour du 24 février 1987, Falck/Commission, 304/85, Rec. p. 871, point 24).

132.
    Dans ces conditions, seules les aides qui seraient consenties «pour une durée limitée» et liées à une «franche réduction de la capacité de production» (arrêt Allemagne/Commission, précité, point 31) pourraient être autorisées parce qu'elles n'entraîneraient pas des inconvénients pour les concurrents dans une proportion excessive par rapport aux avantages escomptés pour le marché commun.

133.
    La requérante soutient que, dans le cas d'espèce, la décision attaquée permettrait expressément l'augmentation massive de la production et que les limites de production que la Commission a imposées afin de «réduire au minimum les distorsions du marché» (article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision attaquée) ne seraient pas suffisantes.

134.
    D'après les données communiquées au Conseil (voir le point 4 de la communication du 11 octobre 1995), Irish Steel disposerait d'une capacité de production de 500 000 tonnes d'acier liquide et de 343 000 tonnes de produits longs laminés à chaud. Durant l'année commerciale 1994/1995, la production de produits laminés à chaud aurait été de 258 000 tonnes. Par contre, le plan de restructuration prévoirait la pleine exploitation des capacités actuelles de production d'acier liquide pour la réalisation de billettes et de laminés à chaud. Selon les plafonds de production imposés par la décision attaquée, le niveau de production totale pouvait déjà atteindre 350 000 tonnes au cours de l'année commerciale 1995/1996, soit une augmentation d'environ 40 % par rapport à l'année commerciale précédente.

135.
    Les contreparties exigées par la Commission ne seraient pas suffisantes pour éviter que l'aide autorisée n'entraîne une distorsion disproportionnée de la concurrence. Cela se manifesterait particulièrement sur le marché des billettes d'alliage où il existe une surcapacité communautaire et dont certains producteurs allemands se sont retirés au cours de l'année 1993.

136.
    La requérante ajoute que le marché pertinent pour calculer la part d'Irish Steel dans le marché des billettes, serait celui des billettes en alliage d'acier et non celui des produits semi-finis comme l'indique la Commission. Il en résulterait que la part dont dispose Irish Steel serait, non pas de 0,2 % comme le précise la Commission, mais de 10 %.

137.
    La Commission, soutient que les contreparties exigées, notamment les limitations de production et de vente, sont proportionnées et ne causent aucune distorsion de la concurrence. D'ailleurs, cette distorsion serait invoquée mais non démontrée par la requérante. En outre, la production de billettes d'Irish Steel à la fin de la période couverte par la décision attaquée (90 000 tonnes) ne constituerait que 0,2 % de la consommation communautaire actuelle de 40 000 tonnes environ, ce qui exclurait pratiquement toute distorsion de la concurrence.

138.
    Elle estime également que la réduction de capacité, qui d'ailleurs serait impossible dans le cas d'Irish Steel, ne serait pas obligatoirement une contrepartie nécessaire, mais que d'autres contreparties seraient envisageables en fonction de son pouvoir d'appréciation.

139.
    La Commission ajoute que les chiffres utilisés par la requérante induiraient en erreur, car pendant la période 1994/1995 des grèves très importantes ont eu pour conséquence une diminution anormale de la production totale. Elle soutient, en outre, que le marché pertinent serait celui des billettes, ainsi qu'elle l'a retenu, et non pas celui des billettes en acier allié, parce que les producteurs pourraient sans difficulté faire passer leur production d'un type de billettes à l'autre.

- Appréciation du Tribunal

140.
    L'argumentation de la requérante revient en substance à soutenir que la décision attaquée est disproportionnée en ce que, d'une part, elle n'impose pas des réductions de capacité et, d'autre part, les contreparties imposées ne seraient pas suffisantes pour minimiser l'impact de l'aide sur la concurrence.

141.
    Selon l'article 95, premier alinéa, du traité, les décisions adoptées par la Commission pour faire face à des cas non prévus par le traité doivent respecter les dispositions de l'article 5 du traité, énonçant que la Commission ne doit accomplir sa mission qu'«avec des interventions limitées». Cette dernière disposition doit être interprétée comme une consécration du principe de proportionnalité (voir, en ce sens, les conclusions de l'avocat général M. Roemer sous l'arrêt de la Cour du 4 avril 1960, Acciaieria e Tubificio di Brescia/Haute Autorité, 31/59, Rec. p. 151, 178, 189).

142.
    Dans le domaine des aides d'État, la Cour a jugé, dans son arrêt Allemagne/Commission, précité, que la Commission ne peut pas autoriser l'octroi d'aides «qui seraient de nature à entraîner des distorsions de la concurrence sur le marché commun de l'acier» (point 30). Dans le même sens, elle a affirmé, dans son arrêt du 13 juin 1958, Compagnie des hauts fourneaux de Chasse/Haute Autorité (15/57, Rec. p. 155, 187), que cette institution «est soumise à l'obligation d'agir avec prudence et de n'intervenir qu'après avoir soigneusement pesé les différents intérêts en jeu, en limitant - autant que possible - les préjudices prévisibles pour des tiers».

143.
    Par ailleurs, selon une jurisprudence bien établie, la Commission dispose en la matière d'un «large pouvoir d'appréciation, qui correspond aux responsabilités politiques» qu'elle exerce (voir l'arrêt de la Cour du 26 juin 1990, Zardi, C-8/89, Rec. p. I-2515, point 11). Par conséquent, seul le «caractère manifestement inapproprié» ou démesuré d'une décision adoptée par la Commission, par rapport à l'objectif qu'elle entend poursuivre, pourrait affecter la légalité de cette décision (voir les arrêts de la Cour du 9 juillet 1985, Bozzetti, 179/84, Rec. p. 2301, ainsi que du 11 juillet 1989, Schräder HS Kraftfutter, 265/87, Rec. p. 2237, point 22).

144.
    Certes, la jurisprudence communautaire, notamment l'arrêt Allemagne/Commission, précité, a toujours mis en relief le lien étroit existant entre l'octroi d'aides à l'industrie sidérurgique et les efforts de restructuration qui s'imposent à cette industrie (point 30). En outre, le juge communautaire a souligné à plusieurs reprises que cet effort de restructuration comprenait, en particulier, une réduction des capacités de production des entreprises bénéficiaires. Cependant, les facteurs de nature à influencer les montants exacts des aides à autoriser ne consistent pas seulement en un nombre de tonnes de capacité à éliminer, mais comprennent également d'autres éléments, qui varient d'une région à l'autre, tels que les efforts de restructuration accomplis dans le passé, les problèmes régionaux et sociaux provoqués par la crise de l'industrie sidérurgique, l'évolution technique et l'adaptation des entreprises aux exigences du marché (arrêts Allemagne/Commission, précité, points 31 et 34, et British Steel, point 136).

145.
    Par conséquent, de même que le principe de proportionnalité, appliqué en la matière, n'exige pas qu'un rapport quantitatif soit établi entre les montants des aides et l'importance des réductions de capacité de production imposées, il n'exige pas non plus que des réductions de capacité soient les seules contreparties exigibles et adéquates de l'autorisation des aides. Dans les cas où la Commission estime qu'une réduction de capacité n'est pas possible, comme dans le cas d'espèce, ou que celle-ci n'est pas la solution la plus adéquate aux objectifs poursuivis, elle peut toujours imposer d'autres contreparties, à savoir des limitations de production et de ventes, dès lors qu'elles sont propres à minimiser l'impact de l'aide sur la concurrence. Comme le Tribunal l'a déjà jugé, l'appréciation de la Commission ne peut pas être soumise à un contrôle se fondant uniquement sur des critères économiques. Elle peut légitimement tenir compte d'un large éventail de considérations d'ordre politique, économique ou social, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire au titre de l'article 95 du traité (arrêt British Steel, point 136).

146.
    A l'article 2 de la décision attaquée, la Commission a imposé à Irish Steel plusieurs engagements:

«1. L'entreprise bénéficiaire s'engage à ne pas augmenter sa capacité actuelle de production d'acier liquide (500 000 tonnes par an) et de produits finis laminés à chaud (343 000 tonnes par an), en dehors de l'accroissement résultant de l'amélioration de sa productivité, pendant une période d'au moins cinq ans, à compter de la date du dernier versement d'aide prévu dans le plan.

2. L'entreprise bénéficiaire s'engage à ne pas étendre la gamme actuelle de ses produits finis, telle qu'elle l'a notifiée à la Commission en novembre 1995, durant les cinq premières années et à ne pas fabriquer au cours de cette période de poutrelles d'une taille supérieure à celles qu'elle produit actuellement. Elle limitera en outre, au sein de sa gamme actuelle, la production destinée au marché communautaire de ses plus grandes poutrelles U (impérial), HE (métrique) et IPE à un niveau global de 35 000 tonnes par an pendant cette période.

3. L'entreprise bénéficiaire s'engage à ne pas dépasser les niveaux de production suivants par exercice financier:

(en milliers de tonnes)

1995/1996 1996/1997 1997/1998 1998/1999 1999/2000
Produits finis laminés à chaud

320

335

350

356

361
Billettes
30
50
70
80
90

4. L'entreprise bénéficiaire s'engage à respecter les plafonds ci-après pour ses ventes européennes (Communauté européenne, Suisse et Norvège) de produits finis laminés à chaud par exercice financier:

(en milliers de tonnes)

1995/1996
1996/1997
1997/1998
1998/1999
1999/2000
298
302
312
320
320

[...]»

147.
    S'agissant de ces mesures de limitation de production et de vente imposées à Irish Steel, il y a lieu de constater qu'elles constituent le résultat d'un exercice de pondération et d'équilibre de plusieurs facteurs, à savoir la situation spécifique du secteur de la sidérurgie et notamment la situation de surcapacité (point I de la décision attaquée), la position d'Irish Steel dans le marché concerné (point 4.3 de la communication du 11 octobre 1995), la capacité d'Ispat International de rétablir la viabilité de l'entreprise bénéficiaire (point III de la décision attaquée), et la nécessité d'imposer certaines contreparties pour limiter l'impact dans le marché des avantages accordés par les aides tout en permettant à l'entreprise d'augmenter sa productivité (point V). Or, la requérante n'a apporté aucun élément concret permettant de conclure que la fixation de plafonds à la production et aux ventes, comme contrepartie de l'autorisation des aides, est manifestement inappropriée ou démesurée.

148.
    S'agissant du marché pertinent de produits et de la part de marché d'Irish Steel, évaluée à 0,2 % par la Commission, aucun des éléments produits par la requérante ne permet de conclure que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en choisissant le marché des billettes au lieu de celui des billettes en alliage d'acier. L'argument très général selon lequel au niveau de leur utilisation les billettes en alliage d'acier se différencient clairement des autres produits finis n'est pas suffisant pour mettre en cause l'analyse de la Commission selon laquelle la séparation de marchés prétendue par la requérante n'existe pas au niveau de la production.

149.
    La même constatation s'impose s'agissant du grief tiré de l'augmentation de la production permise par la décision attaquée (produits finis laminés à chaud: de 320 000 tonnes pour 1995/1996 jusqu'à 361 000 tonnes en 1999/2000; billettes: de 30 000 tonnes en 1995/1996 jusqu'à 90 000 tonnes en 1999/2000), car les pourcentages avancés par la requérante sont basés sur des valeurs de comparaison anormalement basses, à savoir sur les valeurs de l'exercice 1994/1995 (258 000 tonnes, tandis qu'il y a eu des exercices au cours desquels les ventes ont atteint 281 000 tonnes - point 4.4 de la communication du 11 octobre 1995).

150.
         Il s'ensuit que les conclusions de la Commission selon lesquelles, d'une part, l'augmentation des ventes prévue par la décision attaquée n'aura qu'un impact mineur sur la concurrence [0,15 % de part de marché pour le marché des billettes en alliage d'acier = [90 000 - 30 000) : 40 000 000, voir ci-dessus point 137] et, d'autre part, l'établissement de limites à la production et aux ventes d'Irish Steel pendant une période de cinq ans constituait une alternative efficace et adéquate à la réduction de la capacité de celle-ci ne sont pas entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

151.
    Il découle de ce qui précède que le grief tiré de la violation du principe de proportionnalité, doit être rejeté.

152.
    Par conséquent, le premier moyen tiré de la violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation des formes substantielles

153.
    A l'appui de ce moyen, la requérante fait valoir une violation du droit à être entendu et une violation de l'obligation de motivation.

Sur la violation du droit à être entendu

- Argumentation des parties

154.
    La requérante estime que, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité CE et de l'article 6, paragraphe 4, du code des aides, la Commission est tenue d'informer les tiers intéressés de la demande d'autorisation, de manière à ce qu'ils puissent présenter leurs observations.

155.
    Dans le cas d'espèce, la Commission a fait publier au Journal officiel le projet initial du gouvernement irlandais (communication 95/C) mais pas le deuxième projet de restructuration. En conséquence, la Commission n'aurait pas respecté le droit de la requérante d'être entendue et de fournir en temps utile ses observations sur le projet en examen.

156.
    La requérante ajoute que le respect du droit à être entendu est une obligation procédurale objective valable à l'égard de toutes les entreprises ayant un intérêt justifiable. Partant, ce droit ne pourrait pas être ignoré au motif que les entreprises sont représentées au sein du Comité.

157.
    La Commission fait remarquer que l'article 95 du traité ne prévoit pas de disposition relative à l'audition des entreprises concurrentes et que, eu égard au caractère exceptionnel de ce type de décisions limitées au traité CECA, la jurisprudence relative à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE ne devrait pas être applicable. Cependant, elle rappelle que la requérante a eu l'opportunité de suivre le déroulement de la procédure et de faire valoir ses observations concernant le deuxième projet de restructuration, étant représentée au sein du Comité, qui a été consulté conformément à l'article 95 du traité.

- Appréciation du Tribunal

158.
    La décision attaquée a été adoptée sur la base de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité. Cette disposition prévoit l'avis conforme du Conseil et la consultation obligatoire du Comité. Elle ne consacre pas le droit des destinataires des décisions et des personnes intéressées à être entendus. De son côté, l'article 6, paragraphe 4, du code des aides instaure un tel droit en énonçant que, «si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide n'est pas compatible avec les dispositions de la présente décision, elle informe l'État membre intéressé de sa décision». Cette disposition était incluse dans tous les codes des aides précédant le cinquième code (voir, à cet égard, la décision n° 257/80/CECA, de la Commission, du 1er février 1980, instituant des règles communautaires pour les aides spécifiques à la sidérurgie, JO L 29, p. 5).

159.
    Dans le cadre de la procédure d'adoption de la décision attaquée, la partie requérante a, en tout état de cause, eu l'occasion de faire valoir sa position au sein du Comité. En effet, en vertu de l'article 18 du traité, le Comité est composé des représentants des producteurs, des travailleurs, des utilisateurs et des négociants. Or, il n'est pas contesté que la requérante, en tant que représentante des industries sidérurgiques allemandes, y était représentée. Ainsi, lors de la 324e réunion de celui-ci, le 24 novembre 1995, l'autorisation des aides à Irish Steel a été discutée et le représentant de la requérante a eu l'opportunité de donner son avis sur les mesures proposées par la Commission (voir dans ce sens l'arrêt British Steel, point 176).

160.
    En tout état de cause, la publication au Journal officiel de la communication 95/C ne saurait avoir induit la requérante en erreur quant à la proposition qui a été soumise au Conseil et sur laquelle le Comité a été entendu. En effet, avant la publication de cette communication, le 28 octobre 1995, la requérante était déjà en mesure de savoir, par sa participation à la réunion du Comité qui a eu lieu le 25 octobre 1995, que les autorités irlandaises avaient retiré le premier plan de restructuration et qu'elles avaient présenté un deuxième plan modifié.

161.
    Il en résulte que la requérante a eu l'opportunité de se faire entendre, selon la procédure établie à l'article 95 du traité, sur l'adoption de la décision attaquée. Dans ces conditions, le grief selon lequel la décision attaquée serait entachée d'une violation du droit de la requérante à être entendue doit être rejeté.

    Sur la violation de l'obligation de motivation

- Argumentation des parties

162.
    La requérante soutient que la décision attaquée viole l'obligation de motivation prévue à l'article 15 du traité.

163.
    En vertu d'une jurisprudence constante, les arguments sur lesquels la partie défenderesse fonde son raisonnement devraient être clairs et comprendre les éléments juridiques qui sont significatifs pour la structure et le contenu de la décision (voir l'arrêt de la Cour du 4 juillet 1963, Allemagne/Commission, 24/62, Rec. p. 129, 143, et l'arrêt du Tribunal du 8 juin 1995, Siemens/Commission, T-459/93, Rec. p. II-1675, point 31).

164.
    Dans le cas d'espèce, cette obligation s'imposerait d'autant plus qu'il s'agit d'une dérogation fondée sur l'article 95 du traité qui exige que des conditions très particulières soient réunies. Or, il ne ressortirait pas de la décision attaquée en quoi la situation d'Irish Steel, eu égard aux articles 4, sous c), et 56, paragraphe 2, du traité, constituerait une situation «non prévue dans le traité», quels seraient les objectifs prévus à l'article 2 et 3 du traité poursuivis et pourquoi la Commission n'a pas envisagé la fermeture d'Irish Steel.

165.
    La Commission considère que la décision attaquée satisfait à l'obligation de motivation en ce qu'elle expose les considérations nécessaires à la compréhension de l'acte, de façon claire et distincte, en indiquant les principaux éléments de fait et de droit (arrêt du 4 juillet 1963, Allemagne/Commission, précité, p. 143).

    - Appréciation du Tribunal

166.
    L'article 5, deuxième alinéa, quatrième tiret, du traité prévoit que la Communauté «rend publics les motifs de son action». L'article 15, premier alinéa, du traité précise que «les décisions, recommandations et avis de la Commission sont motivés et visent les avis obligatoirement recueillis». Il ressort de ces dispositions, ainsi que des principes généraux du traité, qu'une obligation de motivation incombe à la Commission lorsqu'elle adopte des décisions générales ou individuelles, quelle que soit la base juridique choisie à cet effet.

167.
    Selon une jurisprudence constante, la motivation doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au juge communautaire d'exercer son contrôle. Il n'est toutefois pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents. Elle doit être appréciée non seulement au regard du libellé de l'acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56/93, Rec. p. I-723, p. 86, et l'arrêt du Tribunal du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T-266/94, Rec. p. II-1399, point 230). En outre, la motivation d'un acte doit être appréciée en fonction, notamment, «de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées par l'acte, au sens de l'article 33, deuxième alinéa, du traité CECA peuvent avoir à recevoir des explications» (arrêt de la Cour du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172/83 et 226/83, Rec. p. 2831, point 24, et arrêt British Steel, point 160).

168.
    Premièrement, en ce qui concerne la qualification par la Commission de la situation spécifique d'Irish Steel de situation «non prévue par le traité», il résulte des points IV, premier et troisième alinéas, et VIII de la décision attaquée que, conformément à l'article 4, sous c), du traité, les aides publiques envisagées ne pouvaient être autorisées qu'à titre exceptionnel, sur la base de l'article 95 du traité. Il ressort aussi du point I que la décision attaquée a motivé le caractère exceptionnel en décrivant la situation particulièrement difficile que traversait l'industrie sidérurgique depuis quelques années et en exposant au point IV que cette crise «a remis en question l'existence même du secteur dans plusieurs États membres, l'Irlande y compris».

169.
    Deuxièmement, il résulte du point V de la décision attaquée que la Commission n'a pas envisagé, dans le cas d'espèce, une réduction des capacités puisque ce n'était pas «techniquement possible, [...] sans fermer l'entreprise étant donné qu'Irish Steel ne possède qu'un laminoir» et que, de surcroît, une telle solution aurait été incompatible avec «la volonté de doter l'industrie sidérurgique irlandaise d'une structure assainie et économiquement viable» (point IV).

170.
    Troisièmement, s'agissant des objectifs prévus aux articles 2 et 3 du traité poursuivis par la Commission dans la décision attaquée, le point IV de celle-ci expose également dans quelle mesure l'incidence tant économique que sociale de l'aide financière proposée par l'Irlande, intégrée dans un programme de restructuration de la société qui a été jugé viable par l'analyse d'experts indépendants, remplissait les objectifs prévus par ces articles (voir ci-dessus point 67).

171.
    En tout état de cause, l'absence de spécification plus formelle des objectifs visés par les articles 2 et 3 du traité ne saurait être considérée comme une insuffisance de motivation (arrêt Wirtschaftsvereinigung, point 145).

172.
    Enfin, selon une jurisprudence bien établie, ce grief est d'autant moins fondé qu'il n'est pas contesté que la requérante a eu un rôle actif dans la procédure d'élaboration de la décision attaquée par le biais de son représentant au Comité et qu'elle connaissait les raisons de fait et de droit ayant amené la Commission à estimer les aides compatibles avec le marché commun et à ne pas exiger comme contrepartie une réduction de capacité (voir notamment l'arrêt de la Cour du 11 janvier 1973, Pays-Bas/Commission, 13/72, Rec. p. 27, point 12, et l'arrêt British Steel, point 168).

173.
    Il résulte de ces considérations que la décision attaquée n'est pas entachée d'une illégalité du fait d'une prétendue violation du devoir de motivation.

174.
    Il en découle que le second moyen, tiré de la violation des formes substantielles, doit être rejeté.

175.
    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

176.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

177.
    Selon l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supporteront leurs dépens. Il s'ensuit que le Conseil, partie intervenante, devra supporter ses dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La partie requérante est condamnée à supporter ses propres dépens et ceux de la partie défenderesse.

3)    Le Conseil supportera ses propres dépens.

Moura Ramos García-Valdecasas Tiili

Lindh Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juillet 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: l'allemand.