Language of document : ECLI:EU:T:2000:198

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

20 juillet 2000 (1)

«Marchés publics de services - Procédure d'appel d'offres communautaire - Procédure de référé - Sursis à exécution - Urgence - Absence»

Dans l'affaire T-169/00 R,

Esedra SPRL, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes G. Vandersanden, É. Gillet et L. Levi, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la Société de gestion fiduciaire SARL, 2-4, rue Beck,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. X. Lewis et L. Parpala, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande visant à obtenir, d'une part, qu'il soit sursis à l'exécution des décisions de la Commission de ne pas attribuer à la requérante le marché ayant fait l'objet de l'avis n° 99/S 132-97515/FR pour les services de gestion d'une crèche et d'attribuer ce marché à une autre entreprise et, d'autre part, qu'il soit fait injonction à la Commission de prendre les mesures nécessaires pour suspendre les effets de la décision d'attribuer ce marché ou du contrat éventuellement conclu à la suite de cette décision,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

Faits et procédure

1.
    En 1994, la Commission a décidé de confier à une société privée la gestion du Centre de la petite enfance Clovis, comprenant une crèche et un jardin d'enfants, ouvert aux enfants des agents des institutions européennes, situé dans ses locaux, boulevard Clovis, à Bruxelles (ci-après le «CPE Clovis»). À la suite d'un appel d'offres, elle a attribué ce marché à deux sociétés italiennes, Aristea et Cooperativa italiana di ristorazione. La gestion du CPE Clovis a été confiée à la requérante, constituée par les deux sociétés susvisées. Le contrat de gestion était conclu pour une durée initiale de deux ans à compter du 1er août 1995, avec possibilité de reconduction à trois reprises pour un an.

2.
    Par lettre du 15 avril 1999, la requérante a informé la Commission de sa décision de ne pas demander la reconduction du contrat. La lettre contenait notamment le passage suivant:

«La société déclare en outre, d'ores et déjà, sa disponibilité à participer à un éventuel futur appel d'offres, dont les caractéristiques auront pour finalité de permettre une gestion du service plus efficace et l'application correcte des rapports devant exister entre les sujets intéressés, surtout dans le cas de sujets non contractants.»

3.
    Le 26 mai 1999 la Commission a, en vertu de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics deservices (JO L 209, p. 1), publié au Supplément au Journal officiel des Communautés européennes un premier avis de marché (JO S 100, p. 35), selon la procédure restreinte, pour les services relatifs à la gestion du CPE Clovis. Trois entreprises, parmi lesquelles figuraient la requérante et la société Centro studi Antonio Manieri (ci-après le «Centro studi»), se sont portées candidates.

4.
    Estimant que le nombre de candidatures était insuffisant pour assurer une concurrence réelle, la Commission a, le 10 juillet 1999, publié un nouvel avis de marché (JO S 132) pour les services de gestion d'une crèche (n° 99/S 132-97515/FR). Ledit avis précisait que l'attribution du marché se ferait «à l'offre économiquement la plus avantageuse compte tenu des prix offerts et de la qualité des services proposés (détails au cahier des charges)».

5.
    À la suite de la sélection des candidatures prévue dans l'avis de marché, le cahier des charges a été remis, le 29 octobre 1999, aux sept sociétés invitées à présenter leur offre. Celui-ci précisait que les offres devaient être déposées pour le 6 janvier 2000 au plus tard, que le délai de validité de l'offre était de neuf mois à compter du 6 janvier 2000 et que le contrat-cadre aurait une durée initiale de deux ans, avec possibilité de reconduction à trois reprises pour un an. En outre, les critères d'attribution étaient les suivants:

«L'attribution du marché se fera à l'offre économiquement la plus avantageuse et la mieux disante compte tenu:

-    des prix offerts et

-    de la qualité de l'offre et du service proposé, évaluée, par ordre     décroissant en fonction de:

a)    la valeur du projet pédagogique (40 %)

b)    les mesures et les moyens mis en oeuvre pour le remplacement dû à l'absentéisme des ressources humaines (30%)

c)    la méthodologie et les moyens de contrôle proposés pour le contrôle de: (30 %)

    -    la qualité du service et de la gestion

    -    la préservation de la stabilité du personnel

    -    la mise en oeuvre du projet pédagogique.»

6.
    Selon le procès-verbal de la visite des lieux et de la réunion d'information obligatoire des 24 et 25 novembre 1999, des précisions ont, au cours de celles-ci, été apportées au cahier des charges par les représentants de la Commission.

7.
    Par télécopie du 20 décembre 1999, rédigée en italien, la Commission a informé la requérante que la date limite de dépôt des offres était reportée au 7 janvier 2000. En outre, en ce qui concerne les critères spécifiques du cahier des charges, il a été précisé ce qui suit:

«L'actuel contractant a [...] manifesté l'intention de conserver son personnel et de l'assigner à d'autres affectations si le marché ne lui était pas attribué. Dans ces circonstances, le problème de protection des droits des travailleurs ne se poserait en aucune sorte.»

8.
    Le 7 janvier 2000, un représentant de la requérante s'est rendu dans les bureaux de la Commission pour y déposer une offre. Il lui a été précisé que, en réalité, le délai avait été reporté jusqu'au 7 février 2000 et non jusqu'au 7 janvier 2000, comme il avait été indiqué à la suite d'une erreur de transcription dans la télécopie du 20 décembre 1999. Le représentant de la requérante a donc repris son offre.

9.
    À la date limite prévue à cet effet, quatre sociétés parmi lesquelles le Centro studi et la requérante avaient déposé une offre.

10.
    À la suite de ce dépôt, la Commission a adressé aux candidats deux demandes de précisions en date des 25 et 29 février 2000.

11.
    Les offres ont été examinées par un comité d'évaluation composé de six personnes, désignées, cinq d'entre elles, en leur qualité de fonctionnaires de la direction générale «Personnel et administration» et, la sixième, en sa qualité de représentante de l'association des parents. Cette sixième personne, qui était la vice-présidente de ladite association, n'avait pas d'enfant inscrit à la crèche du CPE Clovis.

12.
    Par lettre du 31 mai 2000, la requérante a été informée de ce que le marché en cause ne lui avait pas été attribué (ci-après la «décision de non-attribution»).

13.
    Par lettre du 2 juin 2000, les conseils de la requérante ont demandé à la Commission de leur communiquer la motivation de cette décision. Ils lui ont également demandé de suspendre toute mesure visant à donner effet à la décision d'attribution du marché litigieux à un autre candidat (ci-après la «décision d'attribution») et, dès lors, de ne pas conclure le contrat visé par le cahier des charges.

14.
    Par télécopie du 9 juin 2000, la Commission a fourni des informations quant à la motivation de la décision d'attribution. Elle a, notamment, indiqué que l'offre déposée par le Centro studi était meilleure que celle de la requérante en ce qui concerne tant le prix que la qualité (d'une part, l'indice prix de la requérante était de 102,9 alors que celui du Centro studi était de 100 par rapport à l'offre conforme la moins disante et, d'autre part, l'indice qualité de la requérante était de 80,4 tandis que celui du Centro studi était de 100 par rapport à l'offre ayant obtenu la meilleure qualification). De plus, la Commission a refusé de suspendre l'exécution de la décision d'attribution.

15.
    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 juin 2000, la requérante a saisi le Tribunal d'un recours en vertu de l'article 230, quatrième alinéa, CE tendant à l'annulation des décisions de non-attribution et d'attribution, ainsi que d'une demande en indemnité afin de réparer le préjudice qu'elle a prétendument subi en raison de ces décisions.

16.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a formé la présente demande visant à obtenir, d'une part, qu'il soit sursis à l'exécution des décisions d'attribution et de non-attribution et qu'il soit fait injonction à la Commission de prendre les mesures nécessaires pour suspendre les effets juridiques de la décision d'attribution ou du contrat éventuellement conclu en application de celle-ci et, d'autre part, sur le fondement de l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, qu'il soit statué de manière urgente sur ces demandes de sursis à exécution.

17.
    Le 21 juin 2000, la Commission a été invitée par le juge des référés à répondre à des questions concernant l'état d'avancement de la procédure d'appel d'offres en cause ainsi qu'à produire le contrat éventuellement passé avec le Centro studi.

18.
    Le 22 juin 2000, la Commission a répondu aux questions posées. Elle a produit le contrat passé avec le Centro studi et indiqué qu'il avait été signé le 21 juin 2000 et entrerait en vigueur le 1er août suivant.

19.
    Le 26 juin 2000, il a été demandé à la Commission de produire des documents concernant le Centro studi.

20.
    Le 30 juin 2000, la Commission a présenté ses observations sur la présente demande en référé auxquelles elle a joint les documents demandés. Elle a signalé que l'offre du Centro studi et la lettre de garantie étaient confidentielles et ne devaient pas être communiquées à la requérante.

21.
    Par conséquent, le juge des référés a décidé de ne pas verser ces pièces au dossier.

En droit

22.
    En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE et de l'article 4 de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

23.
    L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi des mesures auxquelles elles concluent. Ces conditions sont cumulatives,de sorte qu'une demande de sursis à exécution doit être rejetée dès lors que l'une d'elles fait défaut (ordonnance du président du Tribunal du 10 février 1999, Willeme/Commission, T-211/98 R, RecFP p. I-A-15 et II-57, point 18). Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 29 juin 1999, Italie/Commission, C-107/99 R, Rec. p. I-4011, point 59).

24.
    Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu'il soit utile d'entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

25.
    Il convient, en l'espèce, d'examiner la condition relative à l'urgence.

Arguments des parties

26.
    La requérante fait valoir que l'exécution des décisions d'attribution et de non-attribution est de nature à lui causer un préjudice grave et irréparable. Son recours au fond ne pourrait aboutir qu'à l'allocation d'une indemnité, ce qui serait, en l'occurrence, inadéquat par rapport aux circonstances propres à l'espèce et à l'objet principal de son action.

27.
    Le préjudice prétendument subi par la requérante ne serait pas exclusivement d'ordre financier. La perte alléguée consisterait, d'une part, en une perte directe, pouvant être évaluée à 40 000 000 francs belges (BEF) (991 574,09 euros) et, d'autre part, en une perte indirecte compte tenu du fait que la requérante a mis sur pied une forme de collaboration originale en matière de gestion de crèches basé sur le contrat de franchise. Or, la réussite d'une telle structure ne s'envisagerait que si elle peut prendre appui sur un volume suffisant d'activités. La perte de la gestion du CPE Clovis mettrait en péril cette structure.

28.
    Selon la requérante, le marché en cause constitue un marché de référence, dont le candidat choisi pourra très utilement se prévaloir par la suite en vue de l'obtention d'autres marchés. Ainsi, les références joueraient un rôle déterminant dans l'attribution des marchés publics. Elle ajoute que cela ressort également du mécanisme de sélection qualitative instauré par la directive 92/50 qui établit à l'article 32 des critères qui se fondent, notamment, sur l'expérience dont le prestataire de services peut se prévaloir en vue de remettre une offre.

29.
    La requérante ne pourrait donc pas se prévaloir à l'avenir du marché en cause et le préjudice ainsi encouru ne serait pas susceptible d'être réparé par l'allocation éventuelle de dommages et intérêts. Les mesures provisoires sollicitées permettraient d'éviter qu'elle soit empêchée définitivement, malgré l'illégalité de la décision d'attribution, d'obtenir ce marché.

30.
    Alléguant qu'il ne peut être tiré d'enseignement de la jurisprudence communautaire concernant spécifiquement cette notion de perte de références propre à la matière desmarchés publics, la requérante propose de se référer à la jurisprudence des juridictions belges, la loi belge étant d'ailleurs la loi applicable au contrat en cause. Selon cette jurisprudence, la perte d'un marché de référence ou de prestige est, dans une certaine mesure, prise en considération au titre du risque de préjudice grave difficilement réparable.

31.
    En l'espèce, il s'agirait d'un marché de référence et les décisions d'attribution et de non-attribution porteraient atteinte à la crédibilité et à la réputation de la requérante. À cet égard, elle souligne que le marché est d'une importance particulière en raison tant de sa valeur financière annuelle (3 470 509,35 euros) que du nombre d'enfants dont il faut s'occuper (400). La qualité et le caractère très particulier et prestigieux du pouvoir adjudicateur devraient également être pris en compte. Le fait pour la requérante, qui avait obtenu le marché précédent relatif à la gestion du CPE Clovis, de ne pas se voir octroyer celui en cause constituerait pour elle un désaveu public, très préjudiciable à ses intérêts commerciaux, ainsi qu'une atteinte à sa crédibilité et à sa réputation. Différents projets dans lesquels la requérante est engagée, et qui reposeraient sur la référence que constitue le marché en cause, seraient ainsi mis en péril.

32.
    En outre, la requérante soutient qu'elle dispose d'environ 95 collaborateurs (membres de son personnel), dont le travail est organisé de manière à répondre aux principes de gestion et d'organisation «ISO 9001:94». Elle serait détentrice d'un certificat «ISO 9001» depuis février 1998. Il serait vraisemblable qu'elle ne puisse reclasser l'ensemble de ce personnel et qu'elle perde, de la sorte, le principal potentiel de sa société de services et les investissements consentis pour atteindre le label de qualité consacré par le certificat susvisé.

33.
    L'urgence résulterait également de ce que, avant que l'arrêt au fond ne soit rendu, le contrat correspondant au marché en cause sera non seulement conclu mais également largement exécuté. L'arrêt sur le recours au principal serait donc dépourvu d'effet utile (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 16 février 1987, Commission/Irlande, 45/87 R, Rec. p. 783, du 27 septembre 1988, Commission/Italie, 194/88 R, Rec. p. 5647, et du 31 janvier 1992, Commission/Italie, C-272/91 R, Rec. p. I-457, rendues dans des recours en manquement).

34.
    Enfin, la requérante expose que la Commission était informée de ses intentions de contester les décisions d'attribution et de non-attribution et que si cette dernière a poursuivi leur exécution par la conclusion du contrat, cela ne saurait faire obstacle à ce qu'il soit fait droit au présent recours (par analogie, ordonnance du président de la Cour du 22 avril 1994, Commission/Belgique, C-87/94 R, Rec. p. I-1395).

35.
    La Commission estime que le préjudice allégué par la requérante n'est ni grave ni irréparable au sens de la jurisprudence du Tribunal. La requérante étant en mesure de quantifier son préjudice direct, celui-ci serait dès lors parfaitement réparable par le versement de dommages et intérêts.

36.
    En ce qui concerne l'autre chef de préjudice que la requérante prétend subir et qu'elle qualifie elle-même de «perte indirecte», il s'agirait de la perte d'un «marché de référence». En qualifiant elle-même ce chef de préjudice de perte indirecte, la requérante admettrait, d'une part, que le lien de causalité entre un tel dommage et les décisions d'attribution et de non-attribution fait défaut et, d'autre part, que sa position sur les autres marchés est aléatoire. La requérante serait dans l'impossibilité d'établir un lien entre l'obtention du marché en cause et celle d'autres marchés. En outre, le droit communautaire n'accorderait aucune protection contre les conséquences indirectes des actes des institutions communautaires.

37.
    Par ailleurs, un préjudice découlant de la perte d'un marché de référence ne serait pas non plus qualifié, selon la jurisprudence belge, de préjudice grave et irréparable, mais plutôt de «préjudice grave difficilement réparable». Le fait pour un candidat de ne pas conserver un marché d'une durée limitée lors d'un nouvel appel d'offres serait le résultat nécessaire du caractère périodique des appels d'offres relatifs aux marchés publics. En tout état de cause, l'argument de la requérante suivant lequel les mesures provisoires s'imposeraient pour éviter qu'elle soit placée dans l'impossibilité d'obtenir le marché litigieux ne serait pas fondé.

38.
    La Commission souligne que, contrairement à ce que prétend la requérante, les références ne jouent pas un rôle déterminant dans l'attribution d'un marché, dont les critères sont énumérés aux articles 36 et 37 de la directive 92/50. Elles constitueraient uniquement un élément, parmi beaucoup d'autres, dans la sélection qualitative préalable à ladite attribution, en vertu de l'article 32 de la même directive.

39.
    En outre, la Commission estime que la requérante ne démontre pas l'existence de circonstances exceptionnelles permettant de qualifier le préjudice financier qu'elle encourt de grave et irréparable. En effet, la requérante n'apporterait pas la preuve que, en l'absence des mesures provisoires sollicitées, elle risque d'être placée dans une situation susceptible de mettre en péril son existence même ou de modifier de manière irréparable ses parts de marché.

40.
    La Commission expose ensuite que la prétendue perte du bénéfice d'une partie des investissements que la requérante a réalisés, notamment afin de former les membres de son personnel pour obtenir un certificat «ISO 9001», qui résulterait du licenciement de ces membres, serait également un préjudice purement financier.

41.
    L'argumentation de la requérante, selon laquelle l'urgence découlerait du fait que le contrat conclu entre la Commission et le candidat dont l'offre a été retenue sera largement exécuté avant qu'une décision ne soit prise au fond, serait dépourvue de toute pertinence en l'espèce. La requérante se fonderait sur la jurisprudence applicable dans le cadre des recours en manquement. Or, ces derniers seraient des recours bien particuliers et ne pourraient pas donner lieu à une action en indemnité devant le juge communautaire. En outre, les faits dans l'ordonnance du 31 janvier 1992, Commission/Italie, précitée, invoquée par la requérante et ceux de la présente affaire ne seraient pas comparables. En l'espèce, si le Tribunal devait annuler la décisiond'attribution, la Commission serait en mesure d'organiser à nouveau un appel d'offres auquel la requérante pourrait participer, et ce sans rencontrer de difficultés particulières.

42.
    Enfin, la Commission rappelle que c'est la requérante elle-même qui avait émis le souhait de ne pas poursuivre l'exécution du contrat de gestion du CPE Clovis. La Commission en déduit qu'il ne serait pas possible de qualifier de préjudice grave et irréparable une perte qui a été envisagée de manière volontaire.

Appréciation du juge des référés

    

43.
    Il ressort d'une jurisprudence constante que le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement, afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C'est à cette dernière qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnances du président du Tribunal du 15 juillet 1998, Prayon-Rupel/Commission, T-73/98 R, Rec. p. II-2769, point 36, du 9 août 1999, Sociedade Agrícola dos Arinhos e.a./Commission, T-38/99 R à T-42/99 R, T-45/99 R et T-48/99 R, non encore publiée au Recueil, point 42, et du 14 avril 2000, IMA/Commission, T-144/99 R, non encore publiée au Recueil, point 42).

44.
    En ce qui concerne le préjudice d'ordre financier invoqué par la requérante, il convient de relever que, comme l'a fait valoir la Commission, selon une jurisprudence bien établie, un tel préjudice ne peut, en principe, être regardé comme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu'il peut faire l'objet d'une compensation financière ultérieure (ordonnances du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C-213/91 R, Rec. p. I-5109, point 24, et du président du Tribunal du 30 juin 1999, Alpharma/Conseil, T-70/99 R, Rec. p. II-2027, point 128).

45.
    En application de ces principes, le sursis demandé ne se justifierait, dans les circonstances de l'espèce, que s'il apparaissait que, en l'absence d'une telle mesure, la requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence même ou de modifier de manière irrémédiable sa position sur le marché.

46.
    Or, la requérante n'est pas parvenue à établir que, à défaut d'octroi des mesures provisoires demandées, la perte de la gestion du CPE Clovis mettrait en péril la structure de gestion de crèches qu'elle a mise sur pied, ni, en tout état de cause, son existence même. À cet égard, il convient de rappeler que la requérante a fait référence à plusieurs autres projets dans lesquels elle est déjà engagée et qui pourraient aboutir à la création de crèches d'une capacité d'accueil de plus que 410 places.

47.
    Il s'ensuit que le préjudice d'ordre financier allégué par la requérante doit être considéré comme réparable. En effet, un tel préjudice constitue une perte économiquement susceptible d'être réparée dans le cadre des voies de recours prévuespar le traité, notamment par l'article 235 CE (ordonnance du président du Tribunal du 1er octobre 1997, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T-230/97 R, Rec. p. II-1589, point 38).

48.
    Quant au préjudice d'ordre non financier allégué par la requérante, pour ce qui est de l'argument de celle-ci selon lequel des mesures provisoires seraient urgentes en raison du dommage irréparable qui serait causé à sa réputation et à sa crédibilité, il convient d'observer que la décision de non-attribution n'aurait pas nécessairement pour effet de causer un tel dommage. La participation à une soumission publique, par nature hautement compétitive, implique forcément des risques pour tous les participants et l'élimination d'un soumissionnaire, en vertu des règles de la soumission, n'a, en soi, rien de préjudiciable (ordonnance du président de la Cour du 5 août 1983, CMC/Commission, 118/83 R, Rec. p. 2583, point 51). Un tel risque était, d'ailleurs, connu par la requérante quant elle a décidé de ne pas demander la reconduction de son contrat avec la Commission, conduisant celle-ci à entamer une nouvelle procédure de passation de marché public.

49.
    Quant à l'argument de la requérante selon lequel les références joueraient un rôle déterminant dans l'attribution des marchés publics, il convient d'observer, comme l'a fait valoir la Commission à juste titre, qu'il ressort de l'article 32 de la directive 92/50 que ces références ne constituent que l'un des critères, parmi beaucoup d'autres, pris en compte aux fins de la sélection qualitative des prestataires de services. En outre, les effets préjudiciables qui résulteraient, selon la requérante, de l'atteinte portée à sa crédibilité et à sa réputation ne sauraient être considérés comme une conséquence nécessaire de l'exécution des décisions d'attribution et de non-attribution. Le préjudice que cette exécution pourrait causer à la requérante est donc de nature purement hypothétique (ordonnance du président du Tribunal du 2 décembre 1994, Union Carbide/Commission, T-322/94 R, Rec. p. II-1159, point 31).

50.
    De même, s'agissant du préjudice qui serait occasionné par le licenciement de membres de son personnel, le fait que la requérante le qualifie elle-même de «vraisemblable» démontre son caractère hypothétique.

51.
    Enfin, le fait que l'exécution du contrat conclu avec le Centro studi aura déjà commencé avant le prononcé de l'arrêt mettant fin au recours au principal ne constitue pas une circonstance établissant l'urgence. Si, par hypothèse, le Tribunal devait reconnaître le bien-fondé du recours au principal, il incomberait à la Commission d'arrêter les mesures nécessaires pour assurer une protection appropriée des intérêts de la requérante (ordonnance du président du Tribunal du 2 mai 1994, Candiotte/Conseil, T-108/94 R, Rec. p. II-249, point 27). Or, cette dernière n'a fait état d'aucune circonstance susceptible d'empêcher que ses intérêts soient sauvegardés, éventuellement par le versement d'une indemnité combiné avec une nouvelle procédure d'appel d'offres.

52.
    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que les éléments de preuve apportés par la requérante n'ont pas permis d'établir à suffisance de droit que le préjudice d'ordrenon financier qu'elle invoque est certain ou irréparable et qu'il est la conséquence directe des décisions prises par la Commission ou de leur exécution.

53.
    Il découle de ce qui précède que la requérante n'est pas parvenue à prouver que, à défaut d'octroi des mesures provisoires demandées, elle subirait un préjudice grave et irréparable.

54.
    En conséquence, la demande en référé doit être rejetée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les autres conditions d'octroi du sursis à exécution sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1)    La demande en référé est rejetée.

2)    Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 20 juillet 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.