Language of document : ECLI:EU:T:2001:123

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

24 avril 2001 (1)

«Fonctionnaires - Affectation liée à la qualité de membre du comité du personnel - Absence de réaffectation immédiate dans son emploi d'origine à l'expiration de son mandat - Recours en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé»

Dans l'affaire T-172/00,

Jean-Pierre Pierard, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Woluwé-Saint-Lambert (Belgique), représenté par Mes J. Lombart et É. Boigelot, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Berardis-Kayser et M. D. Martin, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision implicite de la Commission portant rejet de la demande de réaffectation du requérant dans son service d'origine à l'expiration de son mandat au comité du personnel et, d'autre part, une demande en réparation du préjudice moral prétendument subi,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. P. Mengozzi, président, Mme V. Tiili et M. R. M. Moura Ramos, juges,

greffier: M. H. Jung,

rend la présente

Ordonnance

Faits à l'origine du litige

1.
    M. Pierard est fonctionnaire de la Commission depuis le 15 janvier 1975. Le 7 avril 1995, il a été affecté à la direction générale «Relations politiques extérieures» (DG IA).

2.
    Par décision du 25 juillet 1995, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a affecté le requérant à la direction générale «Personnel et administration» (DG IX) afin de lui permettre, dans l'intérêt du service, l'exercice des tâches qui lui incombent à la suite de son élection au comité du personnel en tant que représentant du personnel hors Communauté. Cette décision précisait que l'intérêt du service rendrait indispensable sa réaffectation immédiate dans son emploi antérieur à la fin de son mandat de représentant du personnel.

3.
    Le 23 avril 1999, à l'issue de nouvelles élections pour le comité du personnel, la liste des élus fut publiée. Le nom du requérant n'y figurait pas. Le délai de contestation ayant expiré, la liste est devenue définitive le 18 mai 1999.

4.
    Le 26 avril 1999, par courrier électronique adressé à M. E. Halskov, conseiller «Dialogue social» auprès du directeur général de la DG IX, avec copie à Mme C.Graykowski, chef de l'unité «Ressources humaines et informatique» de la DG IA et à M. C. Stathopoulos, directeur de la direction E «Gestion du service extérieur» au sein de cette même direction générale, le requérant, d'une part, indiquait que, étant donné les résultats des élections, il incombait à l'AIPN de le réintégrer dans sa direction générale d'origine, la DG IA, et, d'autre part, demandait «la marche à suivre pour gagner du temps».

5.
    Le même jour, le requérant a envoyé un courrier électronique à Mme Graykowski, dans lequel il mentionnait:

«J'ai posé ma candidature auprès de la DG IA.B.5 si celle que j'ai déposée pour [la délégation de la Commission à] Moscou ne [devait pas être acceptée].»

6.
    Par note du 28 avril 1999, M. Halskov a demandé à Mme Graykowski, d'une part, de prendre les mesures nécessaires pour que le requérant puisse réintégrer son poste au sein de la DG IA et, d'autre part, de le tenir informé de la suite de la procédure.

7.
    Par note du 20 juin 1999, Mme Graykowski demanda à M. R. Fry, chef d'unité à la DG IX, «de prendre les mesures et décisions pertinentes» afin d'affecter le requérant à l'unité 1 «Personnel, planification de l'évolution du service extérieur» de la direction E de la DG IA.

8.
    Par note du 15 septembre 1999, adressée à Mme Graykowski, M. Halskov a réitéré sa demande de réintégration du requérant dans le service d'origine de ce dernier et a demandé l'identification, dans les meilleurs délais, du poste sur lequel celui-ci serait affecté.

9.
    Le 11 octobre 1999, selon la Commission, Mme Graykowski informa, par téléphone, le requérant qu'il était réaffecté et pouvait prendre ses fonctions dès le lendemain. Il aurait déclaré préférer arriver en «fin de semaine». Elle adressa aussi le même jour une note à M. E. Carozza concernant l'installation pratique du requérant.

10.
    Par note du 13 octobre 1999, Mme Graykowski a informé le requérant de l'emplacement de son nouveau bureau et lui a confirmé que sa réintégration aurait lieu le 15 octobre 1999.

11.
    Le requérant a introduit une réclamation, enregistrée au secrétariat général le 14 octobre 1999, au titre de l'article 90 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), concernant sa réintégration, dans laquelle il concluait de la manière suivante:

«Nous sommes aujourd'hui le 13 octobre 1999 et je n'ai reçu aucune information écrite, ni de la [DG IX] ni de la [DG IA].

Je pense [...] que tout délai raisonnable est, aujourd'hui, largement dépassé et estime donc que la non-décision de me réaffecter dans mon service d'origine me porte grief notamment dans le déroulement de ma carrière et m'autorise à demander réparation dans le cadre de la procédure de réclamation au titre de l'annexe II [du statut], section 1, article 1er, dernier paragraphe, dernière phrase: 'l'intéressé ne peut subir de préjudice du fait de l'exercice de ces fonctions [de membre du comité du personnel]‘.»

12.
    En octobre 1999, le requérant posa sa candidature à un poste à la DG IX. Il a été muté à cette DG avec effet au 1er décembre 1999.

13.
    Le 21 mars 2000, l'AIPN a adopté une décision de rejet de la réclamation du requérant dont ce dernier a accusé réception le 28 mars 2000. Cette décision mentionnait les diligences effectuées et les difficultés rencontrées pour la réintégration du requérant. Dans ce contexte, l'AIPN déclarait, notamment:

«Il ressort du dossier que certaines discussions ont eu lieu entre M. Pierard et son futur directeur, M. Stathopoulos, dans lesquelles M. Pierard avait demandé à ce dernier de ne pas accélérer sa réintégration compte tenu des résultats de certaines démarches qu'il avait engagé[es] afin de trouver une autre affectation. Dès le mois de mars 1999, M. Pierard avait effectivement posé sa candidature [à] plusieurs postes dont un à la [direction générale "Développement" (DG VIII)] pour lequel il attendait les résultats du choix du candidat ([la réunion du comité consultatif des nominations] devant avoir lieu au mois de juillet 1999).

Au mois de septembre 1999, M. Pierard, puis la DG IX ont relancé la DG IA afin de le réaffecter rapidement.»

14.
    Dans la même décision, l'AIPN déclarait également:

«En ce qui concerne le délai intervenu dans sa réintégration, l'AIPN remarque que pour la période du mois de mai au mois de juillet 1999, M. Pierard [a lui-même] contribué à ce retard dans la mesure où il avait indiqué son désir d'être réintégré sur un autre poste et donc sa volonté de ne pas être réintégré trop rapidement.»

15.
    L'AIPN observait encore que le requérant n'avait pas contesté lors de la réunion interservices, tenue le 15 décembre 1999, le fait que l'AIPN avait attendu le mois de juillet «afin de tenir compte de sa possibilité d'être réintégré sur le poste de la DG VIII».

16.
    À la fin de la décision, l'AIPN a rappelé que le requérant considérait avoir subi un préjudice touchant sa carrière du fait de l'exercice de ses fonctions de membre du comité du personnel. L'AIPN a conclu que le requérant n'avait pas démontré la réalité du dommage subi à cause du retard dans sa réintégration et a souligné qu'il avait conservé, durant toute la période en cause, ses droits à rémunération, à l'avancement et sa vocation à la promotion.

Procédure et conclusions des parties

17.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 juin 2000, le requérant a introduit le présent recours.

18.
    Avant le dépôt du mémoire en réplique le Tribunal a demandé au requérant de préciser si, au regard de la note du 13 octobre 1999 lui confirmant sa réaffectation, son recours gardait encore un objet et, dans l'affirmative, de motiver sa position. Dans la réplique, le requérant a maintenu ses conclusions.

19.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le recours recevable et fondé;

-    en conséquence, annuler la décision implicite de la Commission portant rejet de sa demande visant à sa réaffectation dans son service d'origine;

-    annuler la décision explicite de rejet de sa réclamation, qui lui a été notifiée le 28 mars 2000;

-    condamner la défenderesse à lui payer, à titre de préjudice moral, une somme de 6 200 euros, augmentée des intérêts jusqu'à complet paiement;

-    condamner la Commission aux entiers dépens.

20.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable, et à titre subsidiaire comme non fondé;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

En droit

21.
    Aux termes de l'article 111 du règlement de procédure, lorsque le recours est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment informé par les pièces du dossier pour statuer sans poursuivre la procédure.

Sur les conclusions du requérant tendant à l'annulation de la décision de rejet explicite de sa réclamation

22.
    Bien que les conclusions du requérant visent également à l'annulation de la décision de la Commission qui a rejeté la réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, enregistrée le 14 octobre 1999, le présent recours a pour effet, conformément à une jurisprudence constante, de saisir le Tribunal de l'acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 9 juillet 1997, Echauz Brigaldi e.a./Commission, T-156/95, RecFP p. I-A-171 et II-509, point 23, et du 15 décembre 1999, Latino/Commission, T-300/97, RecFP p. I-A-259 et II-1263, point 30). Il en résulte que le chef de conclusions du requérant concernant l'annulation de la décision explicite de la Commission de rejet de sa réclamation se confond avec celui relatif à l'annulation de la décision implicite de la Commission portant rejet de sa demande visant à sa réintégration dans son service d'origine.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de la Commission portant rejet de la demande du requérant visant à sa réintégration dans son service d'origine

Arguments des parties

23.
    À l'appui de ses conclusions en annulation, le requérant invoque un moyen unique tiré de la violation du statut, notamment de ses articles 1er bis, 7, paragraphe 1, 26, 38, sous g), et 45, ainsi que de l'article 1er, dernier alinéa, de l'annexe II du statut, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux de droit, tels que celui d'égalité de traitement, de sollicitude, de confiance légitime et celui qui impose à toute autorité administrative de prendre une décision intéressant la situation individuelle de ses fonctionnaires ou agents dans un délai raisonnable.

24.
    Le requérant estime qu'il a parfaitement respecté les règles statutaires et que son recours doit être déclaré recevable. Il indique, en particulier, que le 28 avril 1999 est la date de la demande officielle de réintégration, tel que le confirme la référence faite au point 3 de la décision explicite de rejet de sa réclamation, mentionnée ci-dessus, qui a été adoptée par la Commission le 21 mars 2000. Il estime que la décision attaquée est celle, implicite, intervenue le 28 août 1999, ne faisant pas droit à sa demande du 28 avril 1999.

25.
    La défenderesse conteste le bien-fondé du recours et avance qu'il doit être déclaré irrecevable pour non-respect de la procédure précontentieuse.

Appréciation du Tribunal

26.
    Il échet de rappeler que le requérant a été réintégré dans son service d'origine plus de huit mois avant d'introduire le présent recours.

27.
    Par conséquent, et indépendamment du point de savoir si la réclamation du requérant a été précédée d'une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut, il y a lieu de constater que, lors de l'introduction du présent recours, lerequérant n'avait plus d'intérêt à agir en annulation, puisqu'il avait déjà atteint le but qui lui avait fait déclencher la procédure précontentieuse.

28.
    Dans ces circonstances, il convient, sans poursuivre la procédure, de rejeter le recours comme manifestement irrecevable en ce qui concerne les conclusions en annulation, en application de l'article 111 du règlement de procédure.

Sur les conclusions en indemnité

Arguments des parties

29.
    Le requérant allègue avoir subi un préjudice moral, provoqué par la manière dont s'est déroulée sa réintégration, en dehors de toute considération liée aux dommages matériels qu'il pourra souffrir du fait d'une absence de promotion en raison de l'insuffisance de points au titre de son ancienneté dans le service. Le requérant fait valoir être également affecté lorsqu'il constate que l'AIPN tente, de façon qu'il estime surprenante et déstabilisante, de lui imputer le retard anormal pris dans l'adoption de la décision de réintégration.

30.
    Il soutient que, si les conditions statutaires n'ont pas été respectées par l'administration, ni les mesures nécessaires mises en oeuvre dans des délais raisonnables, il existe une faute de service commise par celle-ci qui doit entraîner réparation au profit du fonctionnaire lésé.

31.
    En outre, le requérant soutient que sa demande en indemnité est recevable, puisque le recours en annulation l'est également et qu'il existe un lien étroit entre ce recours et la demande en dommages et intérêts.

32.
    La Commission fait valoir qu'il découle de la jurisprudence que l'irrecevabilité du recours en annulation entraîne celle du recours en indemnité, sauf s'il n'existe pas de lien étroit entre les deux recours. Dans ce dernier cas, la procédure précontentieuse prévue par l'article 90 du statut devrait être suivie. Elle estime que, en l'espèce, ladite procédure a été manifestement irrégulière, et donc que le recours en indemnité doit, en toute hypothèse, être déclaré irrecevable.

33.
    La Commission fait observer également que le requérant reste en défaut d'établir le préjudice moral certain qu'il aurait subi.

Appréciation du Tribunal

34.
    Selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions concernant l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et lepréjudice invoqué (voir, notamment, l'arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C-257/98 P, Rec. p. I-5251, point 11).

35.
    Il s'ensuit que, même dans l'hypothèse où une faute de la Commission serait établie, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée que si le requérant est parvenu à démontrer la réalité de son préjudice (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Lucaccioni/Commission, T-165/95, RecFP p. I-A-203 et II-627, point 57).

36.
    Le requérant ne saurait prétendre subir un préjudice moral par le fait que l'AIPN essayerait de lui imputer le retard anormal pris dans la décision relative à sa réintégration. En effet, il est constant que, à l'issue de sa non-réélection au comité du personnel, le requérant a effectué des démarches pour être réintégré dans divers postes (voir ci-dessus point 5), ce qui peut expliquer, au moins en partie, le retard dans sa réintégration.

37.
    En tout état de cause, les considérations développées par la défenderesse sur ce point, au cours de la procédure précontentieuse et devant le Tribunal, ne contiennent aucun caractère blessant pour le requérant, qui serait de nature à lui causer un préjudice moral et à créer dans son chef un droit à réparation. Ces considérations relèvent tout simplement de la discussion sur l'existence, ou non, d'une faute de service de la défenderesse relative à la réintégration du requérant dans son service d'origine.

38.
    S'agissant de la référence du requérant au fait qu'il est susceptible de subir un préjudice important en termes de promotion, il y a lieu de rappeler qu'un tel préjudice ne serait que futur et hypothétique et que seul un préjudice réel et certain est susceptible de donner lieu à réparation (arrêt du Tribunal du 26 mai 1998, Bieber/Parlement, T-205/96, RecFP p. I-A-231 et II-723, point 67).

39.
    En outre, il y a lieu de constater que le requérant n'a indiqué aucun autre élément qui pourrait parvenir à démontrer la réalité de son préjudice.

40.
    Dans ces circonstances, sans que le Tribunal ait besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions en indemnité et indépendamment de la question de savoir s'il existe un comportement illicite pouvant être reproché à la défenderesse et qui pourrait être à l'origine du préjudice allégué, il n'est pas démontré que les conditions engageant la responsabilité non contractuelle de la Communauté sont réunies.

41.
    Il résulte de ce qui précède que les conclusions en indemnité sont manifestement non fondées.

42.
    Partant, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

43.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. En l'espèce, chaque partie supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Chaque partie supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 24 avril 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Mengozzi


1: Langue de procédure: le français.