Language of document : ECLI:EU:T:2022:171

DOCUMENT DE TRAVAIL 

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

30 mars 2022 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Plainte pour harcèlement moral – Enquête administrative – Décision portant rejet de la plainte – Erreur d’appréciation – Principe de bonne administration – Responsabilité »

Dans l’affaire T‑299/20,

KF, représentée par Mes L. Levi et A. Blot, avocates,

partie requérante,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mme K. Carr et M. J. Pawlowicz, en qualité d’agents, assistés de Mes J. Currall et B. Wägenbaur, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 27 janvier 2020 de la BEI rejetant la plainte de la requérante pour harcèlement et, d’autre part, à la réparation du préjudice matériel et moral que celle-ci aurait subi du fait de cette décision,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mmes N. Półtorak (rapporteure) et M. Stancu, juges,

greffier : M. I. Pollalis, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 14 septembre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, KF, ancienne cheffe de l’unité [confidentiel](1) de la Banque européenne d’investissement (BEI), a intégré celle-ci au mois de [confidentiel] 2014, au titre d’un contrat à durée déterminée. Le [confidentiel] 2017, ce contrat a été prolongé jusqu’au [confidentiel] 2020.

2        Une nouvelle directrice de [confidentiel] de la BEI, A, a été nommée au mois de [confidentiel] 2016. Elle a occupé cette fonction jusqu’au mois de [confidentiel] 2018. Un nouveau chef de division par intérim, B, a été nommé au mois de [confidentiel] 2018.

3        Le [confidentiel] 2018, la requérante a été placée en congé de maladie, car elle souffrait d’une décompensation psycho-médicale (burnout) se manifestant par différents symptômes.  Après s’être d’abord vu prescrire un traitement médicamenteux, elle a été hospitalisée du [confidentiel] au [confidentiel] 2018.

4        Du [confidentiel] au [confidentiel], la requérante a travaillé à temps partiel.

5        Le 21 mars 2019, la requérante a déposé, par voie postale, une plainte au titre de la procédure d’enquête prévue par la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail de la BEI (ci-après la « plainte »), dans sa version alors applicable.

6        À partir du [confidentiel] 2019, la requérante a repris un régime de travail à temps plein jusqu’au [confidentiel] 2019, date à laquelle elle a de nouveau été placée en congé de maladie.

 Sur le contenu de la plainte relative à un harcèlement moral

7        Dans sa plainte, la requérante a informé le directeur général et chef du département du personnel de la BEI qu’elle avait décidé d’avoir recours à la procédure d’enquête prévue par la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail. Cette plainte était dirigée contre B et contre A.

8        La requérante exposait ensuite les différents éléments qui l’avaient conduite à se sentir harcelée. À cette fin, la plainte était divisée en deux parties distinctes. Dans la première partie, la requérante exposait le contexte juridique au regard duquel elle estimait que sa plainte devait être examinée. Dans la seconde partie, elle résumait les circonstances factuelles de son retour au travail à la suite de son congé de maladie. Elle mentionnait ensuite différents événements qui, selon elle, témoignaient de ce qu’elle avait était harcelée.

9        Premièrement, la requérante évoquait un incident survenu le [confidentiel]. Elle expliquait avoir demandé la tenue d’une réunion avec son équipe ainsi que de réunions individuelles avec les différents membres de celle-ci, afin de mieux comprendre les activités qui avaient été menées en son absence ainsi que les objectifs fixés auxdits membres. Elle indiquait ensuite que B était intervenu, sur un ton autoritaire, afin de lui interdire tout contact avec ladite équipe et en lui imposant de s’installer dans un autre bureau. Elle affirmait en avoir été choquée et s’être sentie isolée professionnellement. Elle faisait valoir que B ne lui avait d’abord fourni aucune explication et qu’il était, par la suite, venu la voir dans son bureau pour lui indiquer que cette décision avait été prise pour la protéger, tout en étant soutenue par le service des ressources humaines et par le service médical de la BEI, du fait de son retour au travail selon des modalités aménagées qui ne lui permettaient pas de demeurer cheffe d’unité. La requérante contestait ces explications, qu’elle estimait erronées. Par ailleurs, elle faisait valoir qu’elle avait été obligée de demander une autorisation écrite à B pour participer à des réunions. Elle ajoutait que cette situation d’isolement humiliante avait engendré des rumeurs et que ni B ni aucun de ses supérieurs hiérarchiques n’avaient entrepris une quelconque action pour y mettre fin.

10      Deuxièmement, la requérante décrivait, de manière plus générale, le processus de harcèlement qu’elle estimait avoir subi. Elle précisait que son estime de soi s’était dégradée et que le fait de devoir passer plusieurs fois par jour devant le bureau de son unité lui causait notamment un stress et une humiliation quotidiens. Elle soulignait que, après une réunion avec C, la nouvelle directrice de [confidentiel] depuis le mois de [confidentiel] 2019, et avec B, visant à lui réexpliquer sa situation actuelle, elle n’avait reçu aucune information portant sur son avenir à la BEI. Elle affirmait avoir l’impression que les différents comportements adoptés à son égard étaient destinés à lui faire quitter la BEI.

11      Enfin, troisièmement, la requérante transmettait également, en annexe, un certain nombre de correspondances destinées à étayer ses affirmations.

 Sur la procédure d’enquête

12      La requérante a sollicité le directeur général et chef du département du personnel de la BEI le 11 avril 2019 pour savoir ce qu’il était advenu de la plainte qu’elle avait déposée, car elle n’avait pas reçu d’information à cet égard. Après plusieurs échanges de courriels avec différents intervenants, il est apparu que la lettre recommandée contenant la plainte de la requérante avait bien été réceptionnée par la BEI le 22 mars 2019. Par courriel, le directeur général et chef du département du personnel s’est engagé à traiter la plainte de la requérante dès le lundi 15 avril 2019, tout en lui demandant si elle était disposée à transmettre à nouveau ladite plainte par la même voie. La requérante s’est exécutée le même jour.

13      Un comité composé de trois membres a été institué au titre de la procédure d’enquête prévue par la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail (ci-après le « comité »).

14      À partir du mois de juillet 2019, la requérante et les deux personnes qui faisaient l’objet de la plainte ont transmis des informations et divers documents au comité, y compris des témoignages fournis notamment par différents membres de la BEI.

15      Le 1er août 2019, le comité s’est réuni afin de mener des entretiens avec la requérante ainsi qu’avec B, A et différents témoins indiqués par les parties.

16      Un projet de rapport a été transmis le 12 novembre 2019 par le comité à la requérante ainsi qu’aux deux personnes qui faisaient l’objet de la plainte. La requérante a fait part de ses commentaires sur ledit projet le 29 novembre 2019.

 Sur le rapport d’enquête et la décision attaquée

17      Le rapport du comité a été finalisé le 15 janvier 2020 (ci-après le « rapport »).

18      Le 27 janvier 2020, le président de la BEI a approuvé intégralement le rapport et rejeté la plainte de la requérante (ci-après la « décision attaquée »).

19      Par courriel du [confidentiel] 2020, alors que la requérante était en congé de maladie, la décision attaquée a été transmise à cette dernière, de même que le rapport.

20      Par décision du 14 avril 2020, la BEI a décidé que le contrat de la requérante ne serait pas renouvelé et qu’il expirerait donc le [confidentiel] 2020.

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 mai 2020, la requérante a introduit le présent recours.

22      La phase écrite de la procédure a été close le 15 janvier 2021.

23      Saisi d’une demande présentée par la requérante sur le fondement de l’article 66 de son règlement de procédure, le Tribunal a décidé d’omettre le nom de cette partie dans la version publique du présent arrêt.

24      Le 12 février 2021, la requérante a demandé la tenue d’une audience en vertu de l’article 106 du règlement de procédure.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 14 septembre 2021.

26      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la BEI à l’indemniser au titre du préjudice matériel et moral subi ;

–        condamner la BEI aux dépens.

27      La BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation

28      Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante invoque quatre moyens. Le premier est tiré d’une violation de l’obligation de motivation, dont le président de la BEI aurait entaché la décision attaquée en se contentant d’approuver la recommandation formulée par le comité dans le rapport sans expliquer pourquoi. Le deuxième est tiré du fait que le comité a substitué son appréciation à celle du président de la BEI, car ce dernier s’est contenté d’approuver la recommandation d’un organe seulement consultatif. Le troisième est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, d’appréciations erronées, par le comité, du concept de harcèlement ainsi que d’une violation du principe de bonne administration et du devoir de diligence. Enfin, le quatrième est tiré d’une violation du principe de bonne administration et du devoir de diligence liée à la manière dont la BEI a géré l’ensemble de la procédure relative au traitement de sa plainte. Au cours de l’audience de plaidoiries, la requérante a également soulevé un moyen nouveau tiré d’une violation du droit d’être entendu.

29      Le Tribunal estime opportun d’examiner d’emblée le troisième moyen du recours.

30      Par son troisième moyen, la requérante soutient, en invoquant des griefs distincts, que c’est à tort que le comité a constaté, dans le rapport, que A et B n’avaient pas adopté de comportements constitutifs d’un harcèlement moral à son égard. En effet, elle estime, en substance, que le comité a appliqué erronément la définition du concept de harcèlement et qu’un certain nombre d’erreurs quant à l’établissement et à l’interprétation des faits entachent l’appréciation au terme de laquelle le comité est parvenu à une telle conclusion. Au regard de ces considérations, elle remet en cause la légalité de la décision attaquée au motif qu’elle serait entachée d’erreurs manifestes d’appréciation, d’une appréciation erronée, par le comité, du concept juridique de harcèlement ainsi que d’une violation du principe de bonne administration ainsi que du devoir de diligence.

31      À cet égard, il convient de préciser que dès lors que, dans la décision attaquée, le président de la BEI a fait siennes les appréciations du comité, l’appréciation des différents griefs soulevés par la requérante aux fins de remettre en cause le travail réalisé par ce dernier dans le rapport revient, par conséquent, nécessairement à apprécier la légalité de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 96).

32      Aux fins de cet examen, en premier lieu, il convient de rappeler que le point 3.6.1 du code de conduite du personnel de la BEI (ci-après le « code de conduite ») définit le harcèlement moral comme étant la « répétition, au cours d’une période assez longue, de propos, d’attitudes ou d’agissements hostiles ou déplacés, exprimés ou manifestés par un ou plusieurs membres du personnel envers un autre membre du personnel ». Cette disposition du code de conduite doit être lue conjointement avec la disposition de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail, qui traite de la définition du harcèlement moral et aux termes de laquelle le fait que le « comportement en cause soit intentionnel ou non importe peu [ ; étant donné que l]e principe déterminant est que le harcèlement et l’intimidation sont des comportements indésirables et inacceptables qui portent atteinte à l’estime de soi et à l’assurance de celui qui en fait l’objet » (voir arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 87 et jurisprudence citée).

33      Par conséquent, au sens de la définition donnée du harcèlement moral dans la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail, lue conjointement avec le point 3.6.1 du code de conduite, des propos, des attitudes ou des agissements d’un membre du personnel de la BEI à l’égard d’un autre membre de ce personnel seront constitutifs de « harcèlement moral » dès lors qu’ils ont entraîné objectivement une atteinte à l’estime de soi et à la confiance en soi de cette personne (voir arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 88 et jurisprudence citée).

34      La définition de la notion de « harcèlement moral » contenue au point 3.6.1 du code de conduite exige un caractère répétitif, de surcroît « au cours d’une période assez longue », des propos, des attitudes ou des agissements hostiles ou déplacés afin que ceux-ci puissent relever de cette notion. De ce point de vue, cette définition présente une analogie avec celle, visée à l’article 12 bis du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), qui définit le « harcèlement moral », pour les fonctionnaires et agents relevant de ce statut, comme étant une « conduite abusive » qui se matérialise par des comportements, paroles, actes, gestes ou écrits manifestés « de façon durable, répétitive ou systématique », ce qui implique que le harcèlement moral doit être compris comme un processus s’inscrivant nécessairement dans le temps et suppose l’existence d’agissements répétés ou continus et qui sont « volontaires », par opposition à « accidentels » (voir arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 89 et jurisprudence citée).

35      Dès lors, cette référence dans la jurisprudence relative à l’article 12 bis du statut à un « processus s’inscrivant nécessairement dans le temps et suppos[ant] l’existence d’agissements répétés ou continus » peut également s’appliquer, par analogie, aux fins de l’application de la notion de « harcèlement moral » applicable aux agents de la BEI (voir arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 90 et jurisprudence citée).

36      En tant que résultante d’un tel processus, le harcèlement moral peut, par définition, être le résultat d’un ensemble de comportements différents, d’un membre du personnel de la BEI à l’égard d’un autre, qui, pris isolément ne seraient pas nécessairement constitutifs en soi d’un harcèlement moral, mais qui, appréciés globalement et de manière contextuelle, y compris en raison de leur accumulation dans le temps, pourraient être considérés comme ayant « entraîné objectivement une atteinte à l’estime de soi et à l’assurance de [cet autre membre du personnel] » destinataire desdits comportements au sens du point 3.6.1 du code de conduite (arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 93).

37      C’est pourquoi, lorsqu’est examinée la question de savoir si des comportements invoqués par une partie requérante sont constitutifs d’un harcèlement moral, il convient d’examiner ces faits tant isolément que conjointement en tant qu’éléments d’un environnement global de travail créé par les comportements d’un membre du personnel à l’égard d’un autre membre de ce personnel (voir arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 94 et jurisprudence citée).

38      En outre, l’agissement en cause devant, en vertu de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, présenter un caractère abusif, il s’ensuit que la qualification de « harcèlement » est subordonnée à la condition que celui-ci revête une réalité objective suffisante, au sens où un observateur impartial et raisonnable, doté d’une sensibilité normale et placé dans les mêmes conditions, considérerait le comportement ou l’acte en cause comme excessif et critiquable (voir arrêt du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, point 78 et jurisprudence citée).

39      En deuxième lieu, il convient de rappeler que l’objectif d’une enquête administrative est d’établir les faits et d’en tirer, en connaissance de cause, les conséquences appropriées tant au regard du cas faisant l’objet de l’enquête que, d’une manière générale et afin de satisfaire au principe de bonne administration, pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir (voir arrêt du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, point 59 et jurisprudence citée).

40      Lorsque, en réponse à une demande d’assistance pour des faits allégués de harcèlement, l’autorité investie du pouvoir de nomination ou l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement estime être en présence d’un commencement de preuve suffisant, rendant nécessaire d’ouvrir une enquête administrative, il faut nécessairement que cette enquête soit conduite jusqu’à son terme, afin que l’administration, éclairée par les conclusions du rapport établi à l’issue de cette enquête, puisse prendre une position définitive à cet égard, lui permettant alors soit de classer sans suite la demande d’assistance, soit, lorsque les faits allégués sont avérés et relèvent du champ d’application de l’article 12 bis du statut, notamment d’engager une procédure disciplinaire en vue, le cas échéant, de prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre du harceleur présumé (voir, en ce sens, arrêt du 24 avril 2017, HF/Parlement, T‑570/16, EU:T:2017:283, points 56 et 57 et jurisprudence citée).

41      L’établissement des faits par l’institution à l’issue de l’enquête est essentiel pour la personne qui s’estime victime de harcèlement. Une situation de harcèlement, si elle est établie, porte préjudice à la personnalité, à la dignité et à l’intégrité physique ou psychique de la victime et la reconnaissance, à la suite de l’enquête administrative, de l’existence d’un harcèlement moral est en elle-même susceptible d’avoir un effet bénéfique dans le processus thérapeutique de reconstruction de la victime (arrêt du 14 juillet 2021, AI/ECDC, T‑65/19, EU:T:2021:454, point 95).

42      En troisième lieu, il convient de souligner que, dans le rapport, le comité a indiqué que, si la procédure suivie au cours de l’enquête n’avait pas été régie par la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail entrée en vigueur le 8 mai 2019, la méthode qu’il avait suivie avait toutefois été guidée par cette dernière.

43      À cet égard, il doit notamment être constaté que l’objet même de la procédure formelle d’enquête prévue par cette politique vise « à établir les faits et à adopter des mesures adéquates » (considérant 4). Dans le cadre de cette procédure formelle d’enquête, le mandat du comité consiste à « procéder à une enquête approfondie en vue d’établir les faits relatifs au harcèlement allégué, tels que décrits dans la plainte ou la note » [article 26.2, sous a)]. Ainsi, le comité est tenu de « mener l’enquête, ce qui implique notamment une appréciation des faits » [article 27.1, sous a)], et de « respecter, à tous les stades de la procédure, les droits de la défense et le droit d’être entendu » [article 27, sous d)]. La victime présumée est, pour sa part, tenue d’apporter « un commencement de preuve que le harcèlement allégué a eu lieu » (article 28.1).

44      En quatrième lieu, il importe d’indiquer que, afin de statuer sur le bien-fondé du troisième moyen dans lequel la requérante remet en cause l’appréciation, par le comité, de différents comportements dont elle estime qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral, il convient tout d’abord d’examiner successivement chacun des comportements allégués et, dans ce contexte, de relever que la notion de « harcèlement moral » visée au point 3.6.1 du code de conduite repose sur une notion objective. Dès lors, en présence d’une allégation de méconnaissance du point 3.6.1 du code de conduite, il convient de rechercher si la BEI a commis une erreur d’appréciation des faits au regard de la définition du harcèlement moral visée à cette disposition, et non une erreur manifeste d’appréciation de ces faits (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2018, SQ/BEI, T‑377/17, EU:T:2018:478, point 99 et jurisprudence citée).

45      En cinquième lieu, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, l’administration est tenue, en vertu du principe de bonne administration qui est consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce dont elle est saisie et de réunir tous les éléments de fait et de droit nécessaires à l’exercice de son pouvoir d’appréciation ainsi que d’assurer le bon déroulement et l’efficacité des procédures qu’elle met en œuvre (voir arrêt du 5 juin 2019, Bernaldo de Quirós/Commission, T‑273/18, non publié, EU:T:2019:371, point 58 et jurisprudence citée).

 Sur les griefs tirés du comportement de A

46      En substance, la requérante reproche au comité d’avoir erronément apprécié les différents comportements qu’elle estimait constitutifs de harcèlement à son égard, au regard de la définition de cette notion. Lesdits comportements consistaient en ce que, d’une part, la BEI avait prolongé son contrat à durée déterminée plutôt que de l’avoir converti en contrat à durée indéterminée, sans lui donner d’explications convaincantes pour justifier ce choix, et, d’autre part, l’attitude de A à son endroit était, selon elle et de manière générale, agressive et humiliante. De manière plus globale, la requérante estime que la mauvaise appréciation de sa situation par le comité n’était pas conforme au principe de bonne administration ni à l’obligation de motivation et que celui-ci aurait dû parvenir à la conclusion qu’elle avait subi un harcèlement moral s’il avait correctement appliqué la définition de cette notion.

–       Sur la prorogation du contrat de la requérante

47      La requérante déplore les conditions dans lesquelles il a été décidé, au mois d’octobre 2017, de prolonger son contrat à durée déterminée pour une durée de deux ans, plutôt que de le convertir en contrat à durée indéterminée. Elle souligne qu’aucune explication ne lui a été donnée pour comprendre ce choix alors qu’elle avait réclamé de telles explications et que le niveau de ses prestations aurait justifié la conversion dudit contrat. Elle considère que ces événements sont imputables, au moins pour partie, à A. Elle conteste également les explications données a posteriori par la BEI pour justifier ce choix.

48      La BEI fait valoir que la requérante n’a pas attaqué la décision de prorogation de son contrat dans les délais prévus et que, puisque celle-ci revêt donc un caractère définitif, il ne saurait être considéré qu’un acte légal peut être considéré comme abusif. La BEI admet qu’il existait des éléments de preuve contradictoires concernant la raison pour laquelle le contrat de la requérante n’avait pas été reconduit ainsi que sur l’identité de la personne ayant recommandé de ne pas convertir ledit contrat en contrat à durée indéterminée. Cependant, elle considère que ces éléments ne permettent pas de conclure que A en était responsable.

49      Dans le rapport, le comité a observé que le taux de conversion des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée dans la division dans laquelle travaillait la requérante était inférieur au taux moyen de ces conversions dans le reste de la BEI depuis 2017. Il a également souligné que, dès lors qu’il n’y a pas d’obligation de donner une raison à l’expiration d’un contrat à durée déterminée, par analogie, il ne devrait pas non plus être nécessaire de motiver une décision de prolonger un contrat plutôt que d’y mettre fin. Toutefois, le comité a constaté que, malgré les demandes répétées formulées par la requérante, aucune explication n’avait été donnée à cette dernière pour lui indiquer les raisons pour lesquelles il avait été décidé de proroger son contrat à durée déterminée plutôt que de le convertir en contrat à durée indéterminée. Le comité a remarqué que la BEI n’avait pas non plus été capable de fournir davantage d’explications lorsqu’il l’avait lui-même interrogée à ce sujet. Dans ce contexte, il a indiqué qu’il considérait qu’il n’était pas étonnant que la requérante ait été surprise par le fait que son contrat a été prorogé plutôt que converti en contrat à durée indéterminée. Il a estimé que la gestion de cette situation par la BEI avait été mauvaise et qu’il en avait découlé que la requérante s’était sentie vulnérable et bouleversée. Cependant, le comité a considéré que cette communication défaillante ne représentait pas un fait de harcèlement au regard de la définition qui en avait été donnée préalablement dans le rapport.

50      À titre liminaire, la BEI fait valoir que la requérante cherche à contourner les délais de recours qui s’appliquaient à la décision de proroger son contrat pour une durée de deux ans, laquelle avait été adoptée le 1er novembre 2017, puis lui avait été communiquée au mois de janvier 2018.

51      À cet égard, il convient néanmoins de constater que le fait que la requérante n’a pas contesté la légalité de la décision de prolonger son contrat dans les délais impartis ne saurait impliquer que le Tribunal ne puisse pas tenir compte de cette décision dans son appréciation globale des éléments susceptibles d’établir si le président de la BEI a commis une erreur d’appréciation en entérinant les conclusions formulées dans le rapport selon lesquelles aucun comportement constitutif d’un harcèlement n’avait été adopté à l’encontre de la requérante. En effet, et sans apprécier pour autant la légalité de ladite décision, les circonstances et les motifs de son adoption ont vocation à être pris en considération en vue d’examiner si les éventuelles conséquences négatives qu’ils pouvaient emporter pour la requérante peuvent, ou non être liés à un harcèlement (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2005, Schmit/Commission, T‑144/03, EU:T:2005:158, point 68).

52      Par ailleurs, afin de justifier la conclusion à laquelle est parvenu le comité, premièrement, la BEI fait valoir au stade de la procédure juridictionnelle, en substance, que A n’était pas responsable de l’adoption de la décision du 1er novembre 2017 par laquelle le contrat de la requérante a été prorogé plutôt que converti en contrat à durée indéterminée. Deuxièmement, elle ajoute qu’il ne pouvait pas être conclu que cette dernière avait personnellement harcelé la requérante, puisqu’elle lui avait, au contraire, donné la possibilité d’améliorer le niveau de ses prestations en prolongeant son contrat à durée déterminée. Enfin, troisièmement, elle estime que l’absence de motivation de ladite décision représentait un échec collectif du personnel d’encadrement de son personnel, mais qu’il ne pouvait pas être imputé à A en particulier.

53      En premier lieu, en ce qui concerne l’implication de A dans l’adoption de la décision du 1er novembre 2017 ainsi que dans les défaillances qui ont été constatées par le comité au sujet de la communication à la requérante des motifs qui fondaient cette décision, c’est à tort que la BEI prétend qu’il n’existe pas de preuve de son implication personnelle.

54      Il convient de constater à cet égard qu’un tel argument ne figure même pas dans le rapport et qu’il a donc seulement été soulevé par la BEI au stade de la procédure juridictionnelle. Il ressort en effet dudit rapport que A a reconnu avoir pris part à l’adoption de la décision du 1er novembre 2017. Elle a toutefois précisé que le choix de prolonger le contrat de la requérante avait été communément effectué avec le chef de division de l’époque, ce qui a été expressément contesté par la requérante et démenti par ce dernier.

55      De plus, en ce qui concerne la motivation de la décision du 1er novembre 2017, la requérante a, dans un courriel du 2 février 2018, affirmé avoir demandé des explications sur ce point à A, qui ne les lui aurait pas apportées. Dans le rapport, le comité a, en outre, souligné que la requérante avait demandé des éclaircissements à sa hiérarchie à plusieurs reprises.

56      Or, il importe de constater que la BEI ne remet pas ces allégations en question.

57      En second lieu, en ce qui concerne la question de l’explication à la requérante des motifs qui ont fondé la décision de proroger son contrat à durée déterminée plutôt que de le convertir en contrat à durée indéterminée, celle-ci conteste l’appréciation qui en a été faite par le comité et au terme de laquelle il a conclu que ce comportement n’était pas constitutif d’un harcèlement au regard de la définition de cette notion.

58      Dans le rapport, le comité a estimé, en substance, que la gestion de la situation par A avait été défaillante et qu’elle concernait un membre du personnel qui se trouvait dans une situation particulièrement stressante. Il a ensuite relevé les contradictions qui entachaient les explications qui avaient été données par cette dernière pour justifier une telle décision. Enfin, il a constaté que lesdites informations avaient pu engendrer de la confusion pour la requérante. Il est donc parvenu à la conclusion selon laquelle la mauvaise gestion de la situation par A avait aggravé l’état de vulnérabilité et de perturbation dans lequel se trouvait la requérante.

59      Pour autant, le comité a considéré que cette gestion défaillante de la situation par A ne relevait pas d’un comportement constitutif d’un harcèlement moral. Pour justifier cette appréciation, il s’est contenté de renvoyer, de manière abstraite, à la définition de la notion de harcèlement moral exposée dans le rapport.

60      À cet égard, il ressort toutefois des points 32 à 38 ci-dessus qu’un comportement doit, en substance, être considéré comme étant constitutif d’un harcèlement moral lorsque, d’abord, il est indésirable et inacceptable, ensuite, il porte objectivement atteinte à l’estime de soi et à la confiance en soi de la personne qui en fait l’objet et, enfin, il présente un caractère répétitif et volontaire.

61      Or, dès lors que le comité a lui-même considéré, d’une part, que le comportement de A s’était apparenté à une gestion défaillante de la situation et, d’autre part, qu’il avait eu pour conséquence de placer la requérante dans une situation de détresse et d’aggraver son état de vulnérabilité et de perturbation, il convient de constater qu’il ne pouvait pas, sur le seul fondement des motifs qui figurent dans le rapport et sans commettre d’erreur d’appréciation, parvenir à la conclusion que ledit comportement ne satisfaisait pas aux conditions d’un harcèlement moral décrites au point précédent.

–       Sur l’attitude de A

62      En substance, la requérante fait valoir que l’analyse du comportement de A à son égard, telle qu’elle a été réalisée par le comité dans le rapport, est erronée. Ainsi, elle soutient, en mentionnant des situations concrètes et des témoignages, que ledit comportement était, de manière générale, agressif et parfois humiliant à son égard. Elle fait valoir que le comité n’a pas tiré les conclusions qui s’imposaient au regard des témoignages qu’elle a fournis, qu’il n’a pas analysé correctement les éléments de preuve apportés et qu’il n’existait aucune preuve selon laquelle elle se serait comportée de manière non professionnelle.

63      La BEI considère que c’est à juste titre que le comité a estimé qu’un simple conflit de personnalité entre des membres du personnel n’était pas constitutif de harcèlement. Selon elle, le comité en a tiré la conclusion correcte selon laquelle, s’il pouvait être fait grief à A d’avoir fait preuve d’impatience, la requérante s’était toutefois comportée de manière inappropriée et, même si ce comportement pouvait en partie s’expliquer par la pression que A faisait peser sur elle, cela n’en constituait qu’une explication partielle. Elle affirme également que la requérante n’a pas soumis d’éléments probants suffisants pour démontrer qu’elle avait été harcelée par A.

64      De manière plus générale, concernant le comportement de A à l’encontre de la requérante, la BEI soutient que rien n’étaye l’argument de cette dernière selon lequel A l’aurait traitée de « femme stupide » ou aurait « crié contre elle ». De plus, elle estime que le rapport rend correctement compte à la fois des témoignages produits par la requérante, qui faisaient part de ce que A pouvait avoir un tempérament difficile, ainsi que des considérations formulées par un témoin selon lesquelles, s’il avait pu avoir des difficultés personnelles avec A à ses débuts, il considérait néanmoins que travailler avec la requérante s’était révélé bien plus délicat.

65      Dans le rapport, le comité a notamment observé qu’aucun problème particulier ne semblait avoir été posé par la requérante avant la prise de fonctions de A, mais que des conflits réguliers les avaient opposées après celle-ci. Il a également souligné que des témoignages contradictoires avaient été soumis par plusieurs témoins, certains faisant état du caractère approprié du comportement de A, d’autres faisant état d’un comportement inapproprié soit à leur endroit, soit à celui de la requérante. Les évaluations annuelles de A faisaient, par ailleurs, état de problèmes relationnels et de problèmes de communication lors de l’année 2017 et de l’année 2018. Au regard de ces éléments, le comité a estimé que les méthodes de gestion du personnel de A pouvaient être remises en cause en ce qui concernait leur efficacité à long terme. Cependant, le comité a conclu que, en l’espèce et en ce qui concernait spécifiquement les relations de A avec la requérante, celles-ci s’étaient notamment dégradées du fait de leur forte personnalité respective et qu’aucune d’entre elles ne supportait bien l’adversité. À cet égard, il a précisé que la requérante avait pu gérer difficilement ses émotions, la conduisant alors à adopter des comportements inappropriés. Il a néanmoins relativisé cette conclusion en constatant que de tels comportements pouvaient, au moins en partie, s’expliquer par la pression croissante que A avait fait peser sur elle. Toutefois, dès lors qu’aucune preuve ne permettait de démontrer l’existence d’un éventuel accès de colère de A envers la requérante, il a considéré que son comportement à l’encontre de cette dernière ne constituait pas un fait de harcèlement.

66      À titre liminaire, il convient de rappeler que, au regard de la jurisprudence exposée aux points 39 à 41 ci-dessus, dès lors que les allégations de la requérante avaient été considérées comme constituant un commencement de preuve suffisant pour justifier l’ouverture d’une enquête administrative, l’objectif de ladite enquête consistait d’abord à établir les faits avant d’en tirer, en connaissance de cause, les conséquences appropriées. Il incombait également à l’administration, au regard de la jurisprudence citée au point 45 ci-dessus, de réunir tous les éléments de fait et de droit nécessaires à l’exercice de son pouvoir d’appréciation. C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier les arguments de la requérante en l’espèce.

67      En premier lieu, la requérante affirme, en substance, que c’est à tort que le comité n’a pas constaté que le comportement de A à son égard était constitutif d’un harcèlement moral, alors que des indices concordants soutenaient sa position. À cet égard, elle mentionne, d’une part, les témoignages qu’elle avait fournis et dont elle estime qu’ils corroboraient ses propres déclarations et, d’autre part, des éléments de preuve dont elle estime qu’ils démontrent que le comportement de A suscitait des inquiétudes.

68      Premièrement, en ce qui concerne les témoignages que la requérante estimait de nature à participer à la démonstration du caractère inapproprié du comportement de A à son égard, il convient de constater que ceux de quatre personnes différentes ont été versés en tant qu’annexes au dossier de la présente affaire.

69      À ce sujet, trois témoins rapportent expressément avoir eu connaissance de comportements abusifs de A à l’encontre de la requérante et ont fait le lien entre la dégradation progressive de son état de santé et lesdits comportements.

70      L’un d’entre eux, D, estime, en substance, que le comportement de A a été une source de tensions dès son arrivée dans la direction. Il indique notamment que celle-ci avait tendance « à se mettre rapidement en colère lorsque quelqu’un ne répond[ait] pas à ses souhaits ». Il ajoute, plus spécifiquement, qu’elle aurait « [fait] des remarques publiques, négatives et dénigrantes sur le travail de KF ».

71      Il importe de rappeler qu’il incombe à l’entité chargée d’une enquête administrative, notamment lorsque cette enquête fait suite à des allégations de harcèlement, d’instruire de façon proportionnée les dossiers qui lui sont soumis. Elle dispose, à cet égard, d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la conduite de l’enquête et, en particulier, l’évaluation de la qualité et de l’utilité de la coopération fournie par des témoins (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 77 et jurisprudence citée).

72      Or, le Tribunal constate, à la lecture du rapport d’enquête, que le comité n’a pas procédé à une telle évaluation en ce qui concerne les témoignages cités aux points 69 et 70 ci-dessus.

73      En outre, des observations négatives adressées à un agent ne portent pas pour autant atteinte à sa personnalité, à sa dignité ou à son intégrité dans la mesure où elles sont formulées en des termes mesurés et où il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elles reposeraient sur des accusations abusives et dénuées de tout lien avec des faits objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2010, Menghi/ENISA, F‑2/09, EU:F:2010:12, point 110).

74      Cependant, il ne ressort ni du rapport ni des explications données par la BEI au cours de la procédure juridictionnelle que le comité ait cherché à établir si de telles remarques avaient bien été formulées, ni les termes qui auraient alors été précisément employés. Dans ces conditions, le comité ne pouvait pas déterminer si les remarques publiques dont D allègue qu’elles auraient été prononcées à propos du travail de la requérante reposaient sur des accusations abusives et dénuées de tout lien avec des faits objectifs ni si elles présentaient un caractère objectivement abusif pour un observateur impartial et raisonnable, doté d’une sensibilité normale, au sens de la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus.

75      Deuxièmement, la requérante fait valoir que des éléments de preuve corroborent les déclarations des témoins précédemment évoquées, selon lesquelles A s’était comportée de manière à porter atteinte à sa dignité.

76      À cet égard, il est fait référence, aux points 53 et 54 de la requête, à des appréciations négatives qui figuraient dans les évaluations annuelles de A pour l’année 2017 et pour l’année 2018 ainsi qu’à d’autres témoignages que ceux fournis par la requérante.

77      En ce qui concerne les évaluations annuelles de A, il convient d’observer que celles-ci font état de difficultés relationnelles avec certains membres du personnel. Elles constituaient donc des éléments de preuve matériels qui tendaient à établir sa propension à se mettre en colère, ce qui a d’ailleurs conduit le comité à remettre lui-même en cause ses méthodes de gestion du personnel. Elles pouvaient, dès lors, être prises en compte comme un élément de contexte de nature à corroborer les différents témoignages produits et dont il ressortait que A avait tendance à se mettre en colère et à adopter parfois un comportement agressif.

78      En second lieu, la requérante conteste la méthodologie employée par le comité aux fins de déterminer si elle était victime de harcèlement, dans la mesure où celui-ci a mis en balance les éléments tendant à démontrer que A faisait peser sur elle une pression accrue et que les méthodes de gestion du personnel qu’elle employait pourraient finir par intimider le personnel et par affaiblir son moral et sa motivation avec des éléments relatifs à sa personnalité.

79      À cet égard, il convient d’observer que le comité pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, prendre en compte le comportement de la requérante pour comprendre le caractère conflictuel des relations qu’elle entretenait avec A (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, ZQ/Commission, T‑647/18, non publié, EU:T:2019:884, point 106).

80      Toutefois, si le comité était certes fondé à prendre en compte le comportement de la requérante pour déterminer si la situation devait être appréhendée comme une simple relation conflictuelle entre deux membres de la BEI ou comme un comportement constitutif de harcèlement de la part de A envers la requérante, force est de constater que, en l’espèce, le comité s’est contenté de renvoyer, outre aux déclarations de A, à celles d’un témoin.

81      Or, il convient de constater que la requérante conteste ces allégations portant sur sa conduite. Pourtant, le comité n’a pas examiné le caractère établi, la plausibilité ou l’aptitude desdites allégations à remettre en cause les allégations de la requérante selon lesquelles le comportement de A était constitutif d’un harcèlement moral à son égard. Au demeurant, il y a lieu de constater que rien dans l’appréciation du comité ne permet d’appuyer le constat figurant au point 54 du rapport selon lequel la requérante aurait adopté des comportements inappropriés.

82      En outre, il y a lieu d’observer que, au regard du contexte que les rapports d’évaluation de A ainsi que certains témoignages décrivaient, et dans la mesure où le témoignage d’au moins un témoin direct corroborait l’allégation de la requérante selon laquelle l’attitude de cette dernière envers elle avait été abusive, le comité n’explique pas non plus pourquoi le simple fait que la requérante a eu tendance à réagir de manière émotionnelle signifiait que ses différentes allégations ne tendaient qu’à décrire un conflit interpersonnel.

83      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, premièrement, il y a lieu d’observer que le comité n’a pas établi les faits pertinents qu’il lui revenait pourtant d’examiner pour se prononcer quant à l’existence éventuelle d’un harcèlement moral en l’espèce. Il a, ce faisant, notamment manqué aux exigences qui découlaient du principe de bonne administration, telles que rappelées aux points 39 et 45 ci-dessus.

84      Deuxièmement, l’examen, dans le rapport, des différentes allégations de la requérante et notamment des éléments matériels et des témoignages invoqués à leur appui ne permet, à plusieurs égards, pas d’appuyer la conclusion du comité quant à l’inexistence d’un harcèlement moral.

 Sur les griefs tirés du comportement de B

85      La requérante estime que le comité a commis une erreur d’appréciation en considérant que cinq des allégations qu’elle avait soulevées ne pouvaient pas être qualifiées de faits de harcèlement commis par B à son égard. À ce titre, elle fait de nouveau valoir, en substance, que le comité n’a pas établi correctement les faits ni examiné les éléments de preuve et les témoignages pertinents en ce qui concernait plusieurs desdites allégations et que, dans ces conditions, il ne pouvait donc pas interpréter correctement la définition du harcèlement moral pour apprécier ces allégations sans commettre d’erreur d’appréciation.

–       Sur l’évaluation du niveau des prestations de la requérante

86      La requérante soutient, en substance, que le fait que la mention « inférieur aux attentes » a été utilisée pour évaluer le niveau de ses prestations dans la rubrique « Implication dans l’organisation 3 : soutient l’organisation » de son rapport d’évaluation portant sur l’année 2018 constitue un fait de harcèlement commis par B à son égard. En effet, elle estime que cette évaluation était fondée sur un événement particulier dont elle conteste qu’il puisse être considéré comme une faute. Ainsi, elle indique que, durant son congé de maladie, elle avait conservé son ordinateur portable professionnel à son domicile, lequel contenait des données nécessaires à l’élaboration d’un rapport. Elle précise que les données brutes nécessaires à l’élaboration dudit rapport étaient cependant disponibles sur le serveur de la BEI.

87      La BEI estime que la requérante ne peut pas contester son rapport d’évaluation pour l’année 2018 à ce stade. Par ailleurs, elle souligne que, si un congé de maladie exonère l’agent de l’obligation d’aller au bureau pour travailler, ce dernier n’est pas pour autant libéré de toutes obligations. Ainsi, elle considère qu’emporter chez soi des données officielles du travail est susceptible de compromettre la continuité de celui-ci et qu’il était donc justifié qu’il en ait été fait grief à la requérante dans son rapport d’évaluation. À cet égard, elle soutient que l’argument selon lequel cet épisode n’aurait pas porté préjudice à la BEI n’est ni pertinent ni avéré.

88      Dans le rapport, le comité a explicitement considéré que la mention « inférieur aux attentes » qui figurait dans le rapport d’évaluation de la requérante pour l’année 2018 était liée au fait qu’elle avait emporté à son domicile pendant son congé de maladie son ordinateur, sur lequel figuraient un certain nombre de données qui devaient servir à l’élaboration d’un rapport. Or, cela avait été considéré comme une faute grave par A. Il a néanmoins estimé que ladite appréciation ne constituait pas un fait de harcèlement.

89      À titre liminaire, il convient de rappeler que des notes et des appréciations tant négatives que positives contenues dans un rapport de notation ne sauraient être, en tant que telles, considérées comme des indices de ce que ledit rapport aurait été établi dans un but de harcèlement moral (voir arrêt du 16 septembre 2013, Faita/CESE, F‑92/11, EU:F:2013:130, point 90 et jurisprudence citée).

90      Il y a également lieu de constater que, pour les raisons qui sont, en substance, exposées au point 51 ci-dessus, le fait que la requérante n’a pas contesté la légalité de son rapport d’évaluation pour l’année 2018 dans les délais impartis ne signifie pas pour autant qu’elle ne peut pas se référer audit rapport afin de démontrer que le comportement de B envers elle était constitutif de harcèlement.

91      En premier lieu, il convient de constater que, ainsi que cela a été indiqué au point 88 ci-dessus, l’appréciation litigieuse était seulement motivée par le fait que la requérante avait emporté son ordinateur à son domicile pendant son congé de maladie et que des données avaient par conséquent été indisponibles pour les autres membres du personnel de la BEI. Ces éléments n’ont, par ailleurs, pas été contestés par les parties.

92      En second lieu, la requérante fait valoir que les données brutes étaient demeurées disponibles sur ledit serveur et que seules des données de travail étaient demeurées inaccessibles.

93      Dans le rapport, le comité a constaté que les données brutes étaient demeurées disponibles sur le serveur de la BEI lors de l’absence de la requérante. Or, il ne pouvait se contenter de considérer, sans chercher à établir précisément quelles étaient les données inaccessibles et les règles applicables aux membres du personnel de la BEI relatives à l’accessibilité de leurs travaux sur le serveur interne de cette dernière, que l’appréciation litigieuse ne constituait pas un comportement constitutif de harcèlement. Il a, par conséquent, manqué aux exigences qui découlaient du principe de bonne administration, telles que rappelées aux points 39 et 45 ci-dessus.

–       Invitation à travailler durant le congé de maladie

94      La requérante affirme avoir été invitée à travailler au cours de son congé de maladie par courriel ainsi que par téléphone et conteste l’appréciation du comité selon laquelle cela ne serait pas un comportement constitutif de harcèlement moral.

95      La BEI soutient que B a seulement réclamé des informations que la requérante avait en sa possession et qu’elle n’aurait pas dû emporter chez elle. Elle précise que les travaux qu’il convenait de réaliser sur la base desdites informations étaient urgents. En outre, elle soutient que B ne pouvait pas savoir que cette demande serait problématique, puisqu’il n’avait pas encore reçu de lettre du médecin de la requérante. Au stade de la duplique, la BEI précise que le fait d’être déchargé de l’obligation d’aller au bureau pour cause de maladie ne signifie pas que l’agent est libéré de toutes obligations et qu’il convient donc de considérer que la simple production d’un document pouvait lui être demandée. Elle ajoute, par ailleurs, que, en l’absence de renseignements complémentaires, l’allégation de la requérante selon laquelle les informations qu’elle détenait sur son ordinateur étaient les mêmes que celles figurant sur le serveur de la BEI ne semble pas étayée, puisque la requérante a elle-même distingué les données brutes qui figuraient sur ledit serveur et les données sur lesquelles elle affirmait avoir travaillé. En tout état de cause, selon la BEI, même en admettant que ces données aient été identiques, il aurait été beaucoup plus contraignant pour le remplaçant de la requérante de les rechercher sur son serveur.

96      Dans le rapport, le comité a indiqué que la demande suivante avait été formulée à la requérante par courriel et par téléphone : « [p]ouvez-vous, s’il vous plaît finaliser le rapport sur lequel vous étiez en train de travailler ; c’est urgent et nous en avons besoin ». Il a ensuite précisé que le docteur de la requérante avait contacté la BEI pour demander à ce que celle-ci ne soit plus contactée durant son congé de maladie. En outre, le comité a souligné que B s’était justifié en expliquant n’avoir pas été au courant de la durée du congé de maladie de la requérante ni de la gravité de son état de santé et qu’il n’avait pas présenté de nouvelle demande après avoir reçu la lettre du docteur de la requérante. Par ailleurs, le comité a également estimé qu’il ressortait du dossier que les informations avaient en réalité été demandées par A et que la requérante avait répondu être en congé de maladie et ne pas être autorisée à travailler.

97      Il convient de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence, applicable par analogie aux agents de la BEI, que le congé de maladie permet d’excuser l’absence d’un fonctionnaire pour une raison valable et que, compte tenu de sa situation de santé, celui-ci n’est plus tenu de travailler pour l’institution (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2007, Verheyden/Commission, T‑368/04, EU:T:2007:102, point 62).

98      En l’espèce, le Tribunal observe d’emblée que les événements liés aux différentes demandes adressées à la requérante pour lui enjoindre de transmettre des travaux ou des documents à la BEI au cours de son congé de maladie sont résumés de manière confuse dans le rapport.

99      En effet, il ressort du dossier qu’au moins deux demandes distinctes lui ont été adressées à cette fin.

100    Une première demande a été formulée par B. À cet égard, il y a néanmoins lieu de constater que le comité n’explique pas s’il a utilisé les termes qui avaient été employés pour formuler cette demande ou si ceux qui sont exposés au point 96 ci-dessus ne représentent qu’un résumé de la situation telle qu’elle lui avait été rapportée par la requérante elle-même. La requérante a répondu à cette demande par un courriel du 7 août 2018 aux fins de transmettre un « rapport final modifié » qui visait à intégrer audit rapport des remarques formulées lors d’une réunion. Dans ledit courriel, elle précisait que cette transmission lui avait été réclamée. Le même jour, elle a adressé un autre courriel à B pour lui transmettre la version originale de ce rapport, en précisant à nouveau que cela lui avait été demandé. Ce dernier en a accusé réception, également par courriel.

101    La seconde demande a été adressée à la requérante par A. Par un courriel du 14 septembre 2018, cette dernière a invité la requérante à lui transmettre aussi rapidement que possible des données issues de l’année 2017 sur lesquelles elle avait travaillé ainsi que le rapport de cette même année qui avait été transmis avec des données issues de l’année 2016. Le lendemain, la requérante a signalé, par courriel, à la BEI, qu’elle était en congé de maladie et qu’il était donc inapproprié de la contacter pour des questions relatives au travail.

102    Au regard du résumé exposé aux points 100 et 101 ci-dessus, il convient de constater que, alors qu’il ressort dudit résumé que deux demandes différentes ont été adressées à la requérante à deux périodes elles aussi différentes, le rapport n’indique pas si le comité a distingué entre ces deux demandes, ni s’il les a étudiées conjointement ou séparément. En outre, la nature des travaux qui ont été demandés à la requérante et les termes dans lesquels ces demandes lui ont été adressées ne sont pas non plus analysés dans le rapport. Il en ressort en effet seulement que le comité a considéré que le comportement de B n’était pas constitutif d’un harcèlement, sans autre explication. Quant au comportement de A à cette occasion, il n’a pas été analysé.

103    Au regard des imprécisions qui viennent d’être décrites, il ne peut qu’être constaté que le comité n’a pas établi les faits pertinents de manière suffisamment rigoureuse pour parvenir à la conclusion que les différentes demandes adressées à la requérante pendant son congé de maladie n’étaient pas constitutives de harcèlement.

–       Isolement et mise à l’écart de la requérante à l’issue de son congé de maladie

104    L’argumentation de la requérante dans le cadre du présent grief repose, en substance, sur trois arguments distincts. En premier lieu, elle fait valoir avoir été privée des fonctions de gestion qui lui incombaient en tant que cheffe d’unité à son retour au travail au mois de [confidentiel]  2019. Elle ajoute que, alors que la BEI connaissait son désaccord à ce sujet, aucune solution satisfaisante n’a toutefois été recherchée. En deuxième lieu, elle déplore n’avoir pas été autorisée à entretenir des contacts avec son équipe et soutient que des témoins en ont attesté. Elle ajoute qu’il lui a été ordonné de déménager dans un autre bureau et que les tâches qui lui ont été confiées n’occupaient qu’une très faible partie de son temps. Enfin, en troisième lieu, elle estime que le comité a mal analysé les éléments de preuve qu’elle avait soulevés.

105    La BEI soutient que le comité s’est montré catégorique pour rejeter cette branche de l’argumentation de la requérante alors qu’il a mis un soin particulier à l’examiner. Elle souligne que la période concernée était particulièrement courte et estime que le désaccord de la requérante quant à l’interprétation des faits en cause, et notamment quant au fait que la décision de lui attribuer un bureau individuel a été prise dans son intérêt, illustre ses difficultés comportementales. En effet, alors que cette décision aurait visé à l’aider à reprendre le travail dans des conditions plus sereines et dans un contexte de travail à mi-temps, la requérante l’aurait vécue comme un acte hostile. En outre, la BEI fait valoir que la requérante avait accepté cette décision après une discussion avec B et que plusieurs témoins ont expliqué la finalité poursuivie par les mesures provisoires adoptées.  Par ailleurs, la BEI fait valoir que des éléments de preuve démontrent que la version défendue par la requérante n’est pas crédible. De plus, elle conteste l’argument selon lequel il lui aurait été ordonné de ne pas entretenir de contact avec son ancienne équipe et de déménager dans un autre bureau. Elle rejette également celui selon lequel la requérante aurait été privée de ses fonctions d’encadrement et souligne que, en tout état de cause, elle les a réintégrées dès le [confidentiel] 2019. Au stade de la duplique, la BEI souligne que l’organisation du service lui incombe, et non à la requérante ou à son médecin.

106    Dans le rapport, le comité a indiqué qu’un rendez-vous avait été organisé entre un témoin, la requérante et B, afin de prévoir les modalités du retour au travail de cette dernière et que c’est dans ce cadre qu’il avait été décidé que la requérante travaillerait dans le service de [confidentiel] plutôt qu’en tant que cheffe d’unité de [confidentiel], notamment afin d’éviter des conditions de reprise du travail trop stressantes. Le comité a toutefois noté que, malgré ce plan de retour précis, la requérante avait commencé à organiser des réunions avec son équipe l’après-midi même de son retour et que B avait dû intervenir pour que cela cesse. Le comité a considéré que, dès lors que ce dernier avait rapidement communiqué avec la requérante et que les mesures adoptées l’avaient été sur recommandation du personnel médical de la BEI, lesdites mesures ne pouvaient pas être considérées comme des faits de harcèlement, mais constituaient, au contraire, une gestion satisfaisante de la situation. En ce qui concerne l’isolement de la requérante, le comité a considéré qu’il n’existait aucune preuve de ce qu’elle avait été placée dans un bureau isolé dans le but de la mettre à l’écart. Il a en effet estimé que cette décision avait été prise sur la recommandation d’experts en matière de médecine du travail.

107    Le comité a, par ailleurs, indiqué que la décision de redéfinir provisoirement les fonctions de la requérante avait été prise conjointement par B et par un témoin, notamment afin de suivre les recommandations du service du personnel et du service médical de la BEI en évitant de placer la requérante dans une situation stressante. En ce qui concerne l’attribution provisoire d’un nouveau bureau, il a également constaté qu’elle avait été prise par B, qui affirmait suivre les recommandations formulées par des experts en médecine du travail.

108    En ce qui concerne la situation de la requérante lorsqu’elle a repris le travail au mois de [confidentiel] 2019, celle-ci fait valoir, d’une part, qu’elle a été privée de ses fonctions de cheffe d’unité et, d’autre part, que rien n’a été fait par la BEI pour trouver une solution satisfaisante à ce problème malgré son insatisfaction.

109    Il convient d’observer que, dans le rapport, le comité explique que, malgré le plan de retour qui avait été mis en place pour faciliter la reprise de son travail par la requérante, consistant notamment en la modification provisoire de ses fonctions, cette dernière a organisé des réunions avec son équipe en lien avec ses fonctions de cheffe d’unité de [confidentiel]. Ainsi, selon le comité, B est intervenu en lui ordonnant de ne plus tenir de telles réunions et de s’installer dans un bureau individuel afin de faire respecter ce qui avait été convenu pour mettre en œuvre ledit plan de retour.

110    À cet égard, en premier lieu, il y a lieu d’observer que le comité affirme, de manière lacunaire, que les mesures adoptées par la BEI lors du retour au travail de la requérante étaient de bonnes pratiques de gestion du personnel plutôt que du harcèlement.

111    Plus spécifiquement, le comité n’a pas apprécié la véracité des allégations soulevées par la requérante, selon lesquelles elle ne pouvait plus communiquer avec les membres de [confidentiel], dont elle n’était provisoirement plus la cheffe, alors même que ces allégations étaient appuyées par le témoignage de D.

112    En second lieu, en ce qui concerne l’attribution d’un nouveau bureau individuel à la requérante, d’une part, il y a lieu d’observer que l’affirmation du rapport selon laquelle cette décision avait été prise notamment pour suivre les conseils d’experts en matière de médecine du travail est contestée par la requérante et qu’elle n’est étayée par aucun élément du dossier. Le comité reste d’ailleurs en défaut d’identifier les éléments sur lesquels il s’est appuyé pour se fonder sur cette affirmation.

113    D’autre part, les parties s’opposent quant à la manière dont se sont déroulés les événements au terme desquels le bureau individuel a été attribué à la requérante. Ainsi, la BEI soutient que la question de l’installation de la requérante dans un bureau spécifique avait été évoquée au cours d’une discussion entre B et cette dernière et qu’elle avait accepté de s’y installer à l’issue de cette discussion. En revanche, la requérante affirme que cette décision lui a été imposée et qu’elle n’a pas été consultée à ce sujet. Or, le rapport conclut que l’attribution d’un bureau individuel à la requérante ne pouvait être considérée comme un comportement constitutif de harcèlement sans même trancher cette question.

114    Au regard de l’ensemble de ce qui précède, il ne peut qu’être constaté que le comité, d’une part, n’a pas cherché à établir les faits pertinents de manière suffisamment diligente et, d’autre part, a privilégié la version des événements litigieux présentée par les deux personnes qui faisaient l’objet de la plainte par rapport à celle soumise par la requérante, sans motif apparent. Par conséquent, il a manqué aux exigences qui découlaient du principe de bonne administration, telles que rappelées aux points 39 et 45 ci-dessus.

–       Comportement autoritaire de B

115    La requérante fait valoir qu’un témoin a affirmé que, en son absence, B avait critiqué son travail publiquement. Ledit témoin a, par ailleurs, souligné la méchanceté des termes employés à cet égard.

116    La BEI soutient qu’il ne peut pas être considéré que B s’était comporté de manière autoritaire alors que les faits allégués s’étaient déroulés en l’absence de la requérante.  Elle souligne que l’appréciation du comité selon laquelle B avait pu émettre des critiques, mais que cela n’en faisait pas quelqu’un d’autoritaire était fondée et que les éléments de preuve tendant à démontrer que B était une personne diligente et respectueuse avaient été privilégiés par ce dernier sans que cela puisse être considéré comme une erreur manifeste.

117    Dans le rapport, le comité a d’abord mentionné le témoignage de D, qui avait évoqué les reproches formulés par B à l’encontre de la requérante en son absence. Ensuite, il a indiqué, d’une part, qu’un autre témoignage avait décrit ce dernier comme un professionnel diligent, poli et respectueux et, d’autre part, qu’il avait été en mesure de relever ces traits de la personnalité de B. Enfin, le comité a considéré que, même si D avait entendu ce dernier évoquer le travail de la requérante de manière désobligeante, cela n’en faisait pas pour autant quelqu’un d’autoritaire et il ne pouvait en être déduit qu’il avait harcelé la requérante.

118    Le grief de la requérante, tel qu’il est formulé dans la requête, se fonde sur le témoignage de D, qu’elle avait fourni au comité.

119    Dans ledit témoignage, il est notamment affirmé ce qui suit :

« Pendant l’absence de KF, E est venue pratiquement tous les jours dans le bureau de B, à côté du mien à l’époque, pour se plaindre du travail qui avait été fait par KF, de manière virulente et publique et avec l’approbation de B sur les [soi-disant] manquements […] B et E ont cependant continué à la blâmer publiquement (nous étions dans un open space) et à remettre en cause tout le travail exécuté par KF de façon générale, ce qui m’a marqué, car ni l’un ni l’autre n’ont, à mes yeux, les compétences et connaissances nécessaires pour attaquer si violemment son professionnalisme. [L]a méchanceté des propos de B et E à son égard m’ont choqué, surtout que KF n’avait aucune possibilité de se défendre. »

120    Au regard de ce qui précède, il convient de constater que, de la même manière qu’en ce qui concerne les témoignages évoqués au point 69 ci-dessus, il ne ressort ni du rapport ni des explications données par la BEI au cours de la procédure juridictionnelle que le comité aurait cherché, au regard des éléments de preuve apportés par la requérante, à établir si les critiques publiques qui auraient été émises à l’encontre de son travail avaient bien été formulées, ni les termes qui auraient alors été précisément employés. En outre, et ainsi que cela a été constaté au point 72 ci-dessus, le comité n’a pas non plus procédé à la moindre évaluation du témoignage fourni par D.

121    Ainsi, le comité s’est contenté de mentionner les allégations qui figuraient dans le témoignage évoqué au point 118 ci-dessus, sans en établir ni la réalité ni le contenu, et sans se livrer à aucune appréciation quant audit contenu.

122    Le comité a pourtant privilégié les appréciations générales portées sur la personnalité de B qui découlaient d’autres témoignages cités dans le rapport plutôt que l’argument de la requérante, fondé sur un témoignage direct, selon lequel B avait critiqué son travail de manière répétée en son absence. Les précisions visant à indiquer qu’il a pu constater, au cours de l’audition menée dans le cadre de l’enquête administrative, que la personnalité de B correspondait aux témoignages élogieux qui viennent d’être mentionnés n’expliquent en rien en quoi un tel constat pourrait avoir un quelconque rapport avec l’incident relaté par D.

123    Par ailleurs, il y a lieu d’observer que, si la requérante soutient que B a adopté un comportement autoritaire, le présent grief tend plutôt à faire valoir que celui-ci a prononcé des remarques désobligeantes à son égard et en son absence, lesquelles s’inscriraient dans le processus de harcèlement que la requérante allègue avoir subi.

124    Au regard de ce qui précède, il convient de constater que le comité n’a pas fait preuve de la diligence nécessaire pour établir les faits relatés par le témoignage de D et qu’il a donc manqué aux exigences qui découlaient du principe de bonne administration, telles que rappelées aux points 39 et 45 ci-dessus.

 Sur l’analyse globale du comportement de A et de B

125    Ainsi que cela ressort de la jurisprudence et des dispositions pertinentes du code de conduite et de la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail rappelées aux points 32 à 38 ci-dessus, l’existence d’un harcèlement moral, d’une part, suppose que les comportements mis en cause se soient répétés au cours d’une période assez longue et qu’ils soient analysés tant isolément que conjointement. D’autre part, elle exige que ces comportements aient pu porter atteinte à l’estime de soi et à l’assurance de celui qui en a fait l’objet.

126    En outre, il a également été précisé que rien n’excluait que le harcèlement puisse être le fait sinon d’une institution, du moins de plusieurs personnes, relevant d’une même institution, qui agissent de manière coordonnée ou, à tout le moins, univoque. C’est d’ailleurs dans ce sens que le point 3.6.1 du code de conduite prévoit que le harcèlement peut consister en des propos, des attitudes ou des agissements hostiles ou déplacés, « exprimés ou manifestés par un ou plusieurs membres du personnel » de la BEI (arrêt du 11 novembre 2014, De Nicola/BEI, F‑52/11, EU:F:2014:243, point 182).

127    Ainsi, c’est à juste titre que, dans le rapport, le comité a procédé à une analyse globale des différents comportements de A et de B dont la requérante alléguait qu’ils étaient de nature à établir l’existence d’un harcèlement moral à son égard.

128    Néanmoins, il ressort de l’ensemble de ce qui précède que le comité n’a pas établi les faits litigieux de manière diligente et a tiré de ces derniers des conclusions qu’ils ne corroboraient pas.

129    Partant, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen soulevé par la requérante et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’analyser les autres moyens du recours ni de se prononcer sur la recevabilité du moyen nouveau soulevé au cours de l’audience de plaidoiries.

 Sur les conclusions indemnitaires

130    La requérante formule deux demandes indemnitaires qu’il convient d’examiner successivement.

131    À titre liminaire, il convient de rappeler que l’engagement de la responsabilité de l’administration suppose la réunion d’un ensemble de conditions en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (arrêt du 30 janvier 2020, BZ/Commission, T‑336/19, non publié, EU:T:2020:21, point 53).

 Sur la réparation du préjudice moral

132    La requérante fait valoir l’existence d’un préjudice moral qui résulte du traitement injuste répété qu’elle a subi et qui lui a causé un stress et une détresse importants. Elle soutient avoir ressenti un profond sentiment d’injustice et évalue ledit préjudice à un montant de 10 000 euros. Au cours de l’audience, la requérante a précisé que sa demande était fondée sur la manière dont la BEI avait traité sa plainte, et non sur le harcèlement moral dont elle allègue avoir été la victime.

133    La BEI soutient que si la demande doit être interprétée comme une demande de réparation du préjudice moral découlant du harcèlement allégué, celle-ci doit être rejetée, puisque la conclusion selon laquelle la requérante n’avait pas été harcelée est fondée. Par ailleurs, elle fait valoir que si cette demande doit être interprétée comme visant à réparer une illégalité qu’elle aurait commise, elle est alors irrecevable dans la mesure où la faute supposée n’a pas été indiquée et où aucun argument n’est avancé à l’appui de cette dernière.

134    S’agissant d’un préjudice moral, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité, tel que la décision attaquée, constitue, en elle-même, la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé. Tel ne saurait toutefois être le cas lorsque la partie requérante démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et n’étant pas susceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (arrêt du 30 janvier 2020, BZ/Commission, T‑336/19, non publié, EU:T:2020:21, point 54).

135    En l’espèce, il convient d’observer, à titre liminaire, que la requérante renvoie, ainsi qu’elle l’a précisé au cours de l’audience, aux illégalités commises par la BEI dans le traitement de sa plainte et qu’elle a exposées dans son recours. À cet égard, il ressort dudit recours que, concernant le traitement de sa plainte, d’une part, la requérante a, en substance, fait valoir que le comité et la BEI avaient manqué à leurs devoirs de bonne administration et de sollicitude en ne veillant pas à établir les faits de manière suffisamment rigoureuse et en interprétant la définition de la notion de harcèlement de manière erronée. D’autre part, elle a indiqué que les délais pris pour mener l’ensemble de la procédure liée audit traitement avaient été excessifs.

136    Or, compte tenu des conditions critiquables dans lesquelles la plainte a été instruite par le comité, l’annulation de la décision attaquée serait insusceptible de constituer en elle-même une réparation adéquate et suffisante du préjudice moral subi, lequel tient à l’état d’incertitude et d’inquiétude engendré par l’illégalité de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2012, Allgeier/FRA, F‑58/10, EU:F:2012:130, point 85).

137    Eu égard à ce qui précède, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de condamner la BEI à payer à la requérante des dommages et intérêts évalués ex æquo et bono à la somme de 3 000 euros.

 Sur la réparation du préjudice matériel

138    D’une part, la requérante fait valoir que son contrat a été renouvelé pour une durée de deux ans plutôt que converti en contrat à durée indéterminée et que cette décision s’inscrivait dans le cadre du harcèlement pratiqué par A à son égard et qu’elle a été prise malgré la demande de son supérieur direct. À cet égard, elle conteste toute performance insuffisant ayant prétendument fondé cette décision et rappelle n’avoir jamais reçu d’explication quant à ce choix. D’autre part, la requérante considère que la décision du 14 avril 2020 par laquelle la BEI a décidé de ne pas renouveler son contrat doit être considérée comme la poursuite du harcèlement dont elle affirme être victime. Ainsi, elle soutient que son préjudice financier résulte de la perte de rémunération, à compter du [confidentiel] 2020 et jusqu’à la date à laquelle elle aura atteint l’âge de la retraite, soit huit années après cette date. Elle évalue ledit préjudice à la somme d’environ 904 000 euros.

139    La BEI conteste cette argumentation.

140    En ce qui concerne, en premier lieu, les arguments de la requérante tirés de ce que son contrat aurait, selon elle, dû être converti en contrat à durée indéterminée plutôt que prolongé pour une période de deux ans, il convient de constater ce qui suit.

141    En application du principe de l’autonomie des voies de recours, une partie peut agir par le moyen d’une action en responsabilité sans être astreinte par aucun texte à poursuivre l’annulation de l’acte illégal qui lui cause préjudice et, dès lors, elle peut se fonder sur la prétendue illégalité d’un même acte si cet acte est devenu définitif (voir, en ce sens, arrêts du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 61, et du 12 mai 2016, Holistic Innovation Institute/Commission, T‑468/14, EU:T:2016:296, point 46).

142    Cependant, une exception a été posée au principe de l’autonomie des voies de recours lorsque l’action en indemnité comporte un lien étroit avec l’action en annulation. À cet égard, le Tribunal a jugé que, si une partie pouvait agir par le moyen d’une action en responsabilité sans être astreinte par aucun texte à poursuivre l’annulation de l’acte illégal qui lui causait préjudice, elle ne saurait contourner par ce biais l’irrecevabilité d’une demande visant la même illégalité et tendant aux mêmes fins pécuniaires (arrêt du 28 mai 1997, Burban/Parlement, T‑59/96, EU:T:1997:75, point 26).

143    Il s’ensuit qu’il n’y a pas d’autonomie entre les recours lorsqu’un recours en indemnité a pour seul objet la réparation d’un préjudice résultant des conséquences d’une décision, préjudice qui n’aurait pas été subi si, par ailleurs, un recours en annulation, introduit en temps utile, avait prospéré. Ainsi, un intéressé qui a omis d’attaquer les actes lui faisant grief en introduisant, en temps utile, un recours en annulation ne saurait réparer cette omission et, dans un certain sens, se ménager de nouveaux délais de recours, par le biais d’une demande en indemnité (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 1997, Burban/Parlement, T‑59/96, EU:T:1997:75, point 27).

144    Si la jurisprudence rappelée aux points 142 et 143 ci-dessus a été développée dans le contexte des recours introduits sur le fondement de l’article 270 TFUE et des articles 90 et 91 du statut, il convient d’en faire application, mutatis mutandis, dans le cadre du présent recours, dans la mesure où ce dernier porte sur une relation de travail entre la requérante et un organisme de l’Union européenne (voir, en ce sens, ordonnance du 17 décembre 2020, IM/BEI, T‑872/19, non publiée, EU:T:2020:634, point 23).

145    Ainsi, il a déjà été jugé dans une affaire s’inscrivant dans un contexte analogue à celui du présent recours que, si la partie requérante cherchait, par le biais d’une demande en indemnité, à obtenir un résultat qui était identique à celui que lui aurait procuré le succès d’un recours en annulation qu’elle avait omis d’intenter en temps utile, le recours en indemnité devait être déclaré irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance du 17 décembre 2020, IM/BEI, T‑872/19, non publiée, EU:T:2020:634, point 24).

146    Or, en l’espèce, la requérante cherche précisément à obtenir la réparation des conséquences prétendument dommageables de la décision de prolonger son contrat à durée déterminée plutôt que de le convertir en contrat à durée indéterminée, qu’elle estime illégale et abusive, ainsi que cela ressort clairement du point 85 de la requête.

147    Partant, l’argument de la requérante tiré de l’illégalité de la décision du 1er novembre 2017 de prolonger son contrat pour une durée de deux ans doit être écarté comme irrecevable.

148    En ce qui concerne, en second lieu, l’argument tiré de la décision du 14 avril 2020 de ne pas proroger le contrat de la requérante, il convient de constater que, dès lors que cette dernière, intervenue postérieurement à la décision attaquée, est distincte de celle-ci, elle ne saurait être regardée comme permettant de démontrer le préjudice matériel résultant de cette décision.

149    Il convient donc de rejeter la demande en réparation du préjudice matériel prétendument subi par la requérante.

 Sur les dépens

150    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent sur un ou plusieurs chefs. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

151    En l’espèce, la demande en annulation de la décision attaquée ayant été accueillie et la demande indemnitaire ayant été partiellement accueillie, il sera fait une juste appréciation de la cause en décidant que la BEI supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du président de la Banque européenne d’investissement (BEI) du 27 janvier 2020 est annulée.

2)      La BEI est condamnée à verser à KF la somme de 3 000 euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      La BEI est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par KF.

Kanninen

Półtorak

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 mars 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.