Language of document : ECLI:EU:F:2006:87

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

12 septembre 2006 (*)

« Pension – Demande de mise à la retraite anticipée sans réduction des droits à pension – Rejet de la demande »

Dans l’affaire F‑86/05,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

Mme Henders De Soeten, ancienne fonctionnaire du Conseil de l’Union européenne, demeurant à La Haye (Pays-Bas), représentée par Mes S. Orlandi, A. Coolen, J.-N. Louis et E. Marchal, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes M. Simm et I. Sulce, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. H. Kreppel, président, H. Tagaras et S. Gervasoni (rapporteur), juges,

greffier : M. S. Boni, administrateur,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal de première instance des Communautés européennes le 5 septembre 2005 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 6 septembre suivant), la requérante demande l’annulation de la décision du Conseil de l’Union européenne en date du 5 octobre 2004 rejetant sa demande tendant au bénéfice d’une mise à la retraite anticipée sans réduction de ses droits à pension.

 Cadre juridique

2        En vertu de l’article 77, cinquième alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »), le droit à pension d’ancienneté est acquis à l’âge de 63 ans.

3        Aux termes de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe XIII du statut relative aux mesures de transition applicables aux fonctionnaires des Communautés :

« Le fonctionnaire âgé de 50 ans ou plus ou ayant accompli 20 années de service ou plus au 1er mai 2004 a droit à une pension d’ancienneté à l’âge de 60 ans. »

4        Aux termes de l’article 52 du statut :

« Sans préjudice des dispositions de l’article 50, le fonctionnaire est mis à la retraite :

a) soit d’office, le dernier jour du mois durant lequel il atteint l’âge de 65 ans,

b) soit sur sa demande, le dernier jour du mois pour lequel la demande a été présentée lorsqu’il est âgé d’au moins 63 ans ou que, ayant atteint un âge compris entre 55 et 63 ans, il réunit les conditions requises pour l’octroi d’une pension à jouissance immédiate, conformément à l’article 9 de l’annexe VIII. L’article 48, deuxième alinéa, deuxième phrase, s’applique par analogie. »

5        L’article 9 de l’annexe VIII du statut dispose :

« 1. Le fonctionnaire cessant ses fonctions avant l’âge de 63 ans peut demander que la jouissance de sa pension d’ancienneté soit :

a) différée jusqu’au premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel il atteint l’âge de 63 ans ;

b) immédiate, sous réserve qu’il ait atteint au moins l’âge de 55 ans. Dans ce cas, la pension d’ancienneté est réduite en fonction de l’âge de l’intéressé au moment de l’entrée en jouissance de sa pension.

Une réduction de 3,5 % sur la pension est opérée par année d’anticipation avant l’âge auquel le fonctionnaire aurait acquis le droit à une pension d’ancienneté, au sens de l’article 77 du statut. Si la différence entre l’âge auquel le droit à la pension d’ancienneté est acquis au sens de l’article 77 du statut et l’âge que l’intéressé a atteint dépasse un nombre exact d’années, une année supplémentaire est ajoutée dans le calcul de la réduction.

2. Dans l’intérêt du service, sur la base de critères objectifs et de procédures transparentes fixées par la voie de dispositions générales d’exécution, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut décider de ne pas appliquer la réduction susmentionnée aux fonctionnaires intéressés. Le nombre total de fonctionnaires et d’agents temporaires qui prennent ainsi leur retraite sans aucune réduction de leur pension chaque année n’est pas supérieur à 10 % du nombre total des fonctionnaires de toutes les institutions ayant pris leur retraite l’année précédente. Ce pourcentage peut varier annuellement entre 8 % et 12 % dans le respect d’un total de 20 % sur deux ans et de la neutralité budgétaire. Dans un délai de cinq ans après l’adoption de cette mesure, la Commission soumet au Parlement européen et au Conseil un rapport d’évaluation concernant sa mise en œuvre. Le cas échéant, la Commission présente une proposition visant, au bout de cinq ans, à fixer le pourcentage annuel maximal entre 5 et 10 % de tous les fonctionnaires de toutes les institutions ayant pris leur retraite l’année précédente, sur la base de l’article 283 du traité CE. »

6        Par décision du 29 avril 2004, le Conseil a adopté les dispositions générales d’exécution relatives à la mise en œuvre par le secrétariat général du Conseil de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut (ci-après les « DGE »). L’article 5 des DGE dispose :

« 1. La notion de l’intérêt du service s’apprécie au regard des circonstances et de différents facteurs parmi lesquels :

–        les nécessités de redéploiement structurel de certains services ;

–        les nécessités de renouvellement ou de réorientation des compétences requises au sein du secrétariat général du Conseil en fonction des nouvelles missions qui lui sont imparties ainsi que des contraintes liées à l’élargissement.

2. L’[autorité investie du pouvoir de nomination] saisit en temps utile la Commission paritaire afin que celle-ci formule un avis concernant les critères objectifs et concrets permettant la mise en œuvre du paragraphe 1 au cours de l’année considérée. La Commission paritaire rend son avis dans un délai de 15 jours ouvrables à compter de la date de sa saisine. »

7        Après consultation de la commission paritaire, le secrétaire général adjoint du Conseil, autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN »), a retenu dans sa communication au personnel n° 105/04, du 15 juillet 2004 (ci-après la « communication au personnel »), les critères suivants :

« a) l’intérêt du service, conformément à l’article 5 des DGE, qui s’apprécie au regard notamment :

–        des nécessités de redéploiement structurel de certains services,

–        des nécessités de renouvellement ou de réorientation des compétences requises au sein du [s]ecrétariat général du Conseil en fonction des nouvelles missions qui lui sont imparties ainsi que des contraintes liées à l’élargissement,

[50 points] ;

b)       l’ancienneté effective de service auprès des Communautés européennes

[25 points] ;

c)       les mérites du fonctionnaire au regard de ses prestations dans l’[i]nstitution et sur l’ensemble de sa carrière

[25 points]. »

 Faits à l’origine du litige

8        Mme Henders De Soeten a été employée jusqu’en 2004 en qualité de fonctionnaire de l’unité « Langue néerlandaise » du service linguistique du Conseil (ci-après l’« unité ‘Langue néerlandaise’ »).

9        En juin 2004, elle a sollicité sa mise à la retraite anticipée à compter du 31 juillet 2004, en application de l’article 52, sous b), du statut.

10      L’AIPN a accédé à sa demande par décision n° 92/2004 en date du 22 juin 2004.

11      La requérante ayant été admise au bénéfice de la pension à l’âge de 58 ans, soit avant l’âge de 60 ans auquel le droit à pension d’ancienneté lui était acquis en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de l’annexe XIII du statut, sa pension est réduite de 3,5 % par année d’anticipation, conformément aux dispositions de l’article 9, paragraphe 1, de l’annexe VIII du statut.

12      Toutefois, en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, l’AIPN peut décider, dans l’intérêt du service, de ne pas appliquer la réduction susmentionnée aux fonctionnaires intéressés.

13      Conformément à la communication au personnel, la procédure au titre de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut a été lancée, afin de sélectionner les fonctionnaires pouvant bénéficier d’une pension anticipée sans réduction. Le 28 juillet 2004, la requérante a introduit une demande dans le cadre de cette procédure afin de bénéficier d’une pension non réduite.

14      Par décision du 5 octobre 2004 (ci-après la « décision attaquée »), notifiée le lendemain, l’AIPN a rejeté la candidature de Mme De Soeten.

15      Le 21 décembre 2004, la requérante a introduit une réclamation contre cette décision.

16      Cette réclamation a fait l’objet, le 19 mai 2005, d’une décision explicite de rejet prise par l’AIPN.

 Procédure et conclusions des parties

17      Le présent recours a initialement été enregistré au greffe du Tribunal de première instance sous le numéro T‑336/05.

18      Par ordonnance du 15 décembre 2005, le Tribunal de première instance, en application de l’article 3, paragraphe 3, de la décision 2004/752/CE, Euratom du Conseil, du 2 novembre 2004, instituant le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (JO L 333, p. 7), a renvoyé l’affaire devant ce dernier. Le recours a été enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro F‑86/05.

19      La requérante ayant déclaré renoncer au dépôt d’un mémoire en réplique par courrier en date du 2 février 2006, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale.

20      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience publique du 30 mai 2006.

21      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner le Conseil de l’Union européenne à supporter les dépens.

22      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

 En droit

23      À l’appui de son recours, la requérante invoque :

–        la violation de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut et de ses DGE ;

–        l’erreur manifeste d’appréciation commise par l’AIPN dans l'application des critères d'attribution de la pension anticipée sans réduction.

24      Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’examiner d’abord le deuxième moyen invoqué par la requérante.

 Arguments des parties

25      Selon la requérante, les critères d’examen des candidatures au bénéfice de la pension immédiate sans réduction, fixés par la communication au personnel prise en application de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, ont été méconnus par le Conseil.

26      En premier lieu, l’un des neuf candidats admis au bénéfice de la pension immédiate sans réduction aurait été, comme la requérante, affecté au sein de l’unité « Langue néerlandaise ». Dans ces conditions, l’appréciation portée au titre du critère de l’intérêt du service et des nécessités de renouvellement et de réorientation des compétences aurait dû être la même pour les deux candidats qui faisaient partie de cette unité. Par ailleurs, s’agissant de l’examen des deuxième et troisième critères fixés par la communication au personnel, la requérante aurait eu une ancienneté plus grande que celle de son collègue et ses mérites auraient été jugés supérieurs. Par conséquent, en admettant au bénéfice de la pension anticipée sans réduction ledit collègue plutôt que la requérante, l’AIPN aurait méconnu les critères d’attribution de la pension immédiate sans réduction.

27      En deuxième lieu, la requérante estime que le Conseil s’est mépris en considérant que le premier critère, tiré des nécessités du service, impliquait de prendre en considération les qualités individuelles des fonctionnaires au regard des exigences de l’intérêt du service.

28      En troisième lieu, dès lors que l’AIPN avait distingué le critère des nécessités du service de celui des mérites, ces critères ne pouvaient pas, selon la requérante, donner lieu à une interprétation contradictoire des mêmes éléments.

29      En dernier lieu, la requérante considère qu’un « fonctionnaire méritant au cours de sa carrière » ne devrait pas, au motif qu’il est plus méritant que d’autres, être pénalisé pour des raisons de service dans ses droits à pension.

30      En effet, le deuxième critère étant l’ancienneté de service et le troisième les mérites, toute décision accordant le bénéfice de la pension immédiate sans réduction prévue à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut devrait viser à récompenser les fonctionnaires les plus méritants dans la durée.

31      Pour sa part, le Conseil fait tout d’abord valoir qu’en vertu de la jurisprudence du Tribunal de première instance, il dispose d’une large marge d’appréciation pour évaluer l’intérêt du service, le contrôle du juge communautaire se limitant à la question de savoir si l’autorité concernée s’est tenue dans des limites raisonnables et n’a pas usé de son pouvoir d’appréciation de manière manifestement erronée (voir arrêts du 16 décembre 1999, Cendrowicz/Commission, T‑143/98, RecFP p. I‑A‑273 et II‑1341, point 23, et du 12 décembre 2000, Dejaiffe/OHMI, T‑223/99, RecFP p. I‑A‑277 et II‑1267, point 53). Ainsi, dans l’arrêt du 28 octobre 2004, Meister/OHMI (T‑76/03, RecFP p. I‑A‑325 et II‑1477, point 107), le Tribunal de première instance a jugé que tant des circonstances organisationnelles liées à la restructuration d’un service que des circonstances individuelles tenant au comportement d’un fonctionnaire pouvaient être prises en compte au titre de l’intérêt du service.

32      Une telle interprétation de la notion d’intérêt du service trouverait aussi à s’appliquer à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut. Il serait, en effet, dans l’intérêt du service de prendre en considération les qualités individuelles des fonctionnaires qui demandent à quitter le service avant l’âge de la pension.

33      Le fait d’évaluer les qualités individuelles des fonctionnaires dans le cadre de l’appréciation du critère de l’intérêt du service serait justifié par la nécessité d’apprécier le « potentiel » du personnel en place au regard de la mise en œuvre des mesures de réorganisation envisagées, ainsi que des mesures de renouvellement et de réorientation des compétences requises au sein du secrétariat général du Conseil. En revanche, le critère tiré des mérites ne viserait à évaluer les compétences des fonctionnaires que pour le passé, dans le cadre d’une organisation et de missions de l’institution inchangées.

34      Enfin, la ratio legis de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut serait d’inciter des fonctionnaires dont les aptitudes ne correspondent plus aux exigences des emplois à partir à la retraite.

 Appréciation du Tribunal

35      L’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut habilite l’AIPN à déroger, de manière significative, à deux caractéristiques essentielles du régime de pension des Communautés : l’âge d’entrée en jouissance de la pension et le montant de celle-ci. C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu, notamment, que les décisions d’octroi d’une pension immédiate sans réduction interviendraient « dans l’intérêt du service », sur la base de critères objectifs et de procédures transparentes qu’il a chargé les institutions de définir. Après avoir prévu, dans les DGE, notamment la consultation de la commission paritaire sur ces critères, le Conseil a précisé lesdits critères dans la communication au personnel. Il résulte des termes de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, et n’est d’ailleurs pas contesté, que ces critères s’imposent à l’institution dans l’examen des demandes et l’attribution de l’avantage en cause.

36      Le premier critère est l’intérêt du service. La communication au personnel précise que ce critère s’apprécie notamment au regard des nécessités de redéploiement structurel de certains services et des nécessités de renouvellement ou de réorientation des compétences requises au sein du secrétariat général du Conseil, en fonction des nouvelles missions qui lui sont imparties ainsi que des contraintes liées à l’élargissement. Ce critère donne lieu à une évaluation sur 50 points.

37      Le deuxième critère, relatif à l’ancienneté du fonctionnaire au service des Communautés, est évalué sur 25 points.

38      Les mérites du fonctionnaire au regard de ses prestations dans l’institution et sur l’ensemble de sa carrière constituent le troisième critère, également évalué sur 25 points.

39      Dans la décision attaquée, l’AIPN a fait application de ces critères pour départager la candidature de la requérante et celle d’un de ses collègues de l’unité « Langue néerlandaise ». La requérante bénéficiait d’une ancienneté supérieure à celle de son collègue, ce qui lui a valu d’obtenir 23 points contre 20 points attribués à ce dernier, et ses mérites, qui étaient également jugés supérieurs à ceux de son collègue, ont donné lieu à l’attribution de 20 points contre 15. En revanche, au titre du premier critère, celui de l’intérêt du service, la requérante n’a obtenu que 25 points contre 45 pour son collègue. Il ressort des pièces annexées au mémoire en défense, notamment de l’avis du responsable de l’unité « Langue néerlandaise », et des observations présentées par le Conseil à l’audience, que l’avantage décisif reconnu au collègue de la requérante au titre de l’intérêt du service s’explique par le fait que ledit collègue n’avait acquis, à la différence de la requérante, aucune connaissance informatique et que ses méthodes de travail étaient jugées, en conséquence, ne plus correspondre aux besoins d’une unité de traduction moderne.

40      La requérante conteste la prise en compte d’éléments personnels au titre du critère de l’intérêt du service. Le Conseil fait valoir que l’appréciation de l’intérêt du service requiert, au contraire, de prendre en compte les qualités du fonctionnaire, lesquelles peuvent plaider, comme en l’espèce, en faveur du maintien du fonctionnaire dans le service et donc en défaveur de son départ anticipé.

41      Sans mettre en cause la légalité de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut ni celle des critères de la communication au personnel, la requérante conteste l’interprétation du critère de l’intérêt du service retenue par le Conseil.

42      Entre les deux interprétations du critère de l’intérêt du service avancées par les parties, il convient de retenir – en vertu d’une méthode d’interprétation utilisée de longue date par le juge communautaire (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 9 juin 1964, Nonnenmacher, 92/63, Rec. p. 557, p. 573, et du 13 décembre 1983, Commission/Conseil, 218/82, Rec. p. 4063, point 15) – celle qui est compatible avec les normes supérieures et, au premier chef, l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut.

43      A l’appui de sa thèse, l’institution défenderesse assure le Tribunal que la ratio legis de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut serait d’inciter les fonctionnaires les moins performants à partir à la retraite et qu’elle aurait fait, par conséquent, l’interprétation des critères la plus conforme à l’esprit de cette disposition.

44      Afin d’être en mesure d’apprécier si l’AIPN se prévaut à bon droit de l’intention du législateur, le Tribunal a demandé au Conseil, au titre des mesures d’organisation de la procédure, de produire l’ensemble des travaux préparatoires des dispositions de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut. Seuls deux documents parmi ceux produits comportent des indications sur la finalité de cette disposition. Selon la note n° 9522/03, de la présidence, du 19 mai 2003, relative à la proposition concernant le statut du personnel, la disposition en cause « vise à faciliter la gestion du personnel ». Aux termes de la note n° 12957/03, de la présidence, du 26 septembre 2003, portant sur l’approbation des résultats de la commission de concertation, ladite disposition est destinée à « assurer aux institutions une flexibilité appropriée ». La ratio legis invoquée par le Conseil ne ressort donc pas des documents que celui-ci a produits.

45      Si les travaux préparatoires de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut produits par le Conseil ne confirment pas l’argumentation de celui-ci, le texte même de ces dispositions statutaires fournit, en revanche, des indications utiles à l’interprétation des critères en cause.

46      En premier lieu, le texte indique explicitement que la désignation des bénéficiaires de la pension anticipée sans réduction doit avoir lieu « sur la base de critères objectifs et de procédures transparentes ».

47      Or, il ressort d’une lecture sans a priori des critères définis par la communication au personnel que les qualités du fonctionnaire sont seulement prises en compte au titre du troisième critère et dans un sens favorable à sa candidature. En effet, les seules précisions apportées au contenu du critère de l’intérêt du service sont les nécessités de redéploiement structurel des services et les nécessités de renouvellement et de réorientation des compétences en fonction des nouvelles missions du secrétariat général du Conseil et des contraintes liées à l’élargissement. Il est vrai que, précédées de l’adverbe « notamment », ces précisions sont citées à titre indicatif, mais rien ne permet de supposer que les qualités d’un fonctionnaire devraient être aussi prises en compte au titre du critère de l’intérêt du service et, de surcroît, dans un sens défavorable à sa candidature. Au vu du libellé de la communication au personnel, les fonctionnaires ne pouvaient donc que difficilement savoir que le Conseil ferait une telle lecture et un tel usage des critères. Ainsi, l’interprétation du critère de l’intérêt du service retenue par le Conseil s’écarte non seulement de la lettre de la communication au personnel, mais surtout, par voie de conséquence, de l’intention du législateur, clairement exprimée à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, d’assurer de manière transparente, c’est-à-dire selon des règles connues à l’avance, l’attribution des pensions anticipées sans réduction.

48      En deuxième lieu, il ressort des dispositions dudit article qu’en prévoyant que l’appréciation de l’intérêt du service en vue de l’attribution de la pension anticipée sans réduction devait avoir lieu sur la base de critères objectifs et de procédures transparentes fixées par voie de DGE, le législateur a entendu, pour l’application de ce régime, encadrer le pouvoir d’appréciation de l’administration quant à l’intérêt du service. L’importance de l’avantage statutaire en cause et les garanties dont le législateur a entouré son attribution justifient l’exercice par le juge communautaire d’un contrôle précis, sur la base des critères définis par les institutions elles-mêmes, de l’appréciation de l’intérêt du service par l’AIPN.

49      Or l’interprétation du premier critère défendue par le Conseil irait à l’encontre de l’objectif ainsi poursuivi par le législateur.

50      En effet, admettre que l’intérêt du service, au sens de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, est apprécié sans restriction au titre du seul premier critère de la communication au personnel reviendrait à considérer que le Conseil a retenu comme critère objectif de l’appréciation de l’intérêt du service l’intérêt du service lui-même, ce qui empêcherait tout contrôle de cette appréciation au regard dudit critère, pris isolément. Cela priverait, en outre, d’effectivité le contrôle juridictionnel de l’appréciation de l’intérêt du service au regard des deux autres critères, puisque leur coefficient cumulé est seulement égal à celui du premier critère. Une telle interprétation des critères de la communication au personnel contredirait la finalité poursuivie par le législateur dans l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, d’encadrer l’appréciation de l’intérêt du service par des critères permettant l’exercice d’un contrôle juridictionnel.

51      En troisième lieu, l’interprétation retenue par le Conseil permettrait de prendre en compte les qualités du fonctionnaire aussi bien comme un élément favorable à l’attribution d’une pension de retraite anticipée sans réduction, au titre du troisième critère, que comme un élément défavorable, au titre du premier critère. Or des critères qui permettraient la prise en compte des mêmes éléments dans des sens opposés pourraient ouvrir la voie à une attribution arbitraire du bénéfice de la pension anticipée sans réduction et iraient, par conséquent, à l’encontre de la volonté clairement exprimée du législateur d’assurer que l’octroi de cet avantage important ait lieu de manière objective et transparente. Ainsi interprétés, lesdits critères rendraient possibles des applications contradictoires d'une même règle de droit.

52      Certes, le Conseil fait valoir sur ce point que le troisième critère, permettant d’apprécier les mérites, ne vise qu’à évaluer les compétences des fonctionnaires dans le cadre de l’organisation antérieure du service, alors qu’il est nécessaire d’évaluer, au titre de l’intérêt du service, dans le cadre du premier critère, le potentiel du personnel en place en vue de la réorganisation envisagée.

53      Toutefois, cet argument ne peut être accueilli. Ainsi compris, le premier critère ne satisferait pas à l’exigence d’objectivité énoncée par l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut.

54      En effet, la ligne de partage entre les mérites et le potentiel du fonctionnaire est incertaine. Elle recouvre moins une différence de contenu que de perspective, selon que les qualités du fonctionnaire sont envisagées de manière prévisionnelle ou rétrospective. Par conséquent, la distinction entre le potentiel et les mérites ne permettrait pas de prévoir au titre de quel critère et, par conséquent, dans quel sens, telle qualité ou compétence du fonctionnaire serait prise en compte. Ainsi, dans le cas d’espèce, l’absence de connaissances informatiques du fonctionnaire appartenant à la même unité que la requérante, qui a été admis à bénéficier de la pension anticipée sans réduction, est de nature à affecter tout autant ses mérites que son potentiel.

55      En quatrième et dernier lieu, le Conseil n’a pu, en l’espèce, effectivement apprécier que les mérites, et non le potentiel, de la requérante et de son collègue de service, puisqu’il ressort des déclarations faites à l’audience par les représentants de la partie défenderesse que l’un et l’autre avaient déjà été admis à la retraite, lorsque la décision attaquée a été prise par l’AIPN, circonstance qui, à elle seule, privait de pertinence l’examen, au titre du premier critère, du potentiel futur des intéressés. Ainsi, à supposer même que le potentiel des fonctionnaires puisse être pris en compte au titre du premier critère dans un sens défavorable aux fonctionnaires méritants, tel ne peut être le cas, en tout état de cause, à l’égard de fonctionnaires qui, telle la requérante, avaient déjà été admis à la retraite.

56      Il résulte de tout ce qui précède que, pour être conforme aux dispositions de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut, le premier critère de la communication au personnel, tiré de l’intérêt du service, doit être interprété comme fondé sur l’appréciation de l’intérêt du service au sens strict, c’est-à-dire indépendamment des qualités individuelles des fonctionnaires, que le Conseil a décidé, dans la communication au personnel, de prendre en compte au titre d’un critère distinct.

57      Par suite, en fondant l’appréciation de l’intérêt du service au titre du premier critère sur des éléments individuels et, de surcroît, du même type que ceux pris en compte au titre du troisième critère, l’AIPN a fait une application inexacte de la communication au personnel et ainsi entaché d’illégalité la décision attaquée. Dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête, la requérante est fondée à demander l’annulation de cette décision.

 Sur les dépens

58      Ainsi que le Tribunal l’a jugé dans son arrêt du 26 avril 2006, Falcione/Commission (F‑16/05, non encore publié au Recueil, points 77 à 86), aussi longtemps que le règlement de procédure du Tribunal et, notamment, les dispositions particulières relatives aux dépens ne sont pas entrés en vigueur, il y a lieu de faire seulement application du règlement de procédure du Tribunal de première instance.

59      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure de ce dernier Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé dans la présente instance, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du Conseil de l’Union européenne du 5 octobre 2004 rejetant la demande de Mme De Soeten tendant au bénéfice d’une mise à la retraite anticipée sans réduction de droits à pension est annulée.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Kreppel

Tagaras

Gervasoni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 septembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

      H. Kreppel


* Langue de procédure : le français.