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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

18 octobre 2022 (*)

« Référé – Médicaments à usage humain – Directive 2001/83/CE – Autorisations de mise sur le marché de médicaments contenant la substance active « solutions pour perfusions d’hydroxyéthylamidon (HEA) » – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑416/22 R,

Fresenius Kabi Austria GmbH, établie à Graz (Autriche), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentées par Mes W. Rehmann et A. Knierim, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme M. Escobar Gómez et M. K. Mifsud‑Bonnici, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, les requérantes, Fresenius Kabi Austria GmbH et les autres personnes morales dont les noms figurent en annexe, sollicitent le sursis à l’exécution de la décision d’exécution C(2022) 3591 final de la Commission européenne, du 24 mai 2022, concernant, dans le cadre de l’article 107 septdecies de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, les autorisations de mise sur le marché de médicaments à usage humain contenant la substance active « solutions pour perfusions d’hydroxyéthylamidon (HEA) », à la suite d’une évaluation d’une étude de sécurité post‑autorisation (ci‑après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        Les requérantes font partie du groupe Fresenius Kabi, groupe de taille mondiale qui appartient au groupe Fresenius, spécialisé dans les soins de santé, qui fabrique et distribue, notamment, des médicaments contenant de l’hydroxyéthylamidon comme substance active.

3        Les solutions pour perfusions d’hydroxyéthylamidon sont utilisées pour remplacer le volume plasmatique à la suite d’une perte soudaine et aiguë de sang, lorsque le traitement à l’aide de produits de remplacement appelés « cristalloïdes » est, à lui seul, insuffisant.

4        Le 17 octobre 2017, conformément à une demande de l’autorité compétente nationale suédoise, une procédure au titre de l’article 107 decies de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67), a été ouverte.

5        Le 17 juillet 2018, la Commission a adopté la décision d’exécution C(2018) 4832 final, concernant, dans le cadre de l’article 107 decies de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, les autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain contenant la substance active «solutions pour perfusion d’hydroxyéthylamidon (HEA)». Par cette décision, destinée aux États membres, la Commission a décidé que les États membres concernés devraient modifier les autorisations nationales de mise sur le marché des médicaments en cause sur la base des conclusions scientifiques du groupe de coordination pour la procédure de reconnaissance mutuelle et la procédure décentralisée – médicaments à usage humain (CMDh), qui est un organe qui représente les États membres de l’Union européenne responsable de l’harmonisation des normes de sécurité des médicaments autorisés par le biais de procédures nationales dans l’ensemble de l’Union. Dans ses conclusions scientifiques, le CMDh a considéré que les solutions pour perfusion contenant de l’hydroxyéthylamidon pourraient rester sur le marché à condition qu’une série de mesures complémentaires de minimisation des risques soient adoptées afin que ces médicaments ne soient pas utilisés chez les patients exposés à un risque grave d’atteinte à la santé.

6        Le 10 février 2022, le comité pour l’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance (ci‑après le « PRAC »), qui est le comité de l’Agence européenne des médicaments (EMA) responsable de l’évaluation des questions de sécurité liées aux médicaments à usage humain, a adopté un rapport d’évaluation dans lequel il a conclu que les solutions pour perfusion contenant de l’hydroxyéthylamidon continuaient d’être utilisées chez des populations présentant des contre‑indications et courant donc un plus grand risque d’atteinte grave à leur santé, y compris de mortalité, et que globalement, le rapport bénéfice‑risque était négatif pour les produits contenant de l’hydroxyéthylamidon. Par conséquent, ce comité a recommandé de suspendre les autorisations de mise sur le marché de ces médicaments.

7        Le 23 février 2022, le CMDh a, sur la base de la recommandation du PRAC et des conclusions scientifiques qui y sont jointes, par décision adoptée à la majorité, considéré qu’il convenait de suspendre les autorisations de mise sur le marché de ces médicaments.

8        Le 24 mai 2022, la Commission a adopté la décision attaquée, destinée aux États membres, par laquelle elle a décidé que les États membres concernés devraient suspendre les autorisations nationales de mise sur le marché des médicaments en cause sur la base des conclusions scientifiques des organismes compétents en la matière.

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er juillet 2022, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée.

10      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 19 juillet 2022, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée, en ce qu’elle ordonne aux États membres de l’Union de suspendre les autorisations de mise sur le marché nationales des médicaments visés à l’annexe I de cette décision ;

–        à titre subsidiaire, ordonner le sursis à l’exécution, à titre conservatoire, de la décision attaquée, en ce qu’elle ordonne aux États membres de l’Union de suspendre les autorisations de mise sur le marché nationales des médicaments qu’elles commercialisent et qui sont visés à l’annexe I de cette décision ;

–        condamner la Commission aux dépens.

11      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 1er septembre 2022, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondée ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Considérations générales

12      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

13      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

14      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

15      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

16      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

17      Dans les circonstances du cas d’espèce, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la recevabilité de la présente demande en référé, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la condition relative à l’urgence

18      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

19      Par ailleurs, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».

20      Ainsi, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur cette demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle‑ci se fonde devant ressortir du texte même de ladite demande (voir ordonnance du 6 septembre 2016, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P‑R, non publiée, EU:C:2016:668, point 17 et jurisprudence citée).

21      Il est également de jurisprudence constante que, pour pouvoir apprécier si toutes les conditions mentionnées au point 18 ci‑dessus sont remplies, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir ordonnance du 29 février 2016, ICA Laboratories e.a./Commission, T‑732/15 R, non publiée, EU:T:2016:129, point 39 et jurisprudence citée).

22      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si la requérante parvient à démontrer l’urgence.

23      En l’espèce, les requérantes soutiennent qu’elles subiront un préjudice grave et irréparable consistant en une perte substantielle de parts de marché, en un manque à gagner direct résultant de l’arrêt de la distribution des médicaments s’élevant à deux millions d’euros par mois, et, surtout, en une perte de réputation due au fait que la décision attaquée, telle que publiée, suggère aux professionnels de santé intéressés et aux autorités compétentes d’autres pays ne faisant pas partie de l’Union que les médicaments concernés ne sont pas sûrs.

24      En particulier, s’agissant du préjudice financier invoqué, les requérantes allèguent que ce préjudice ne peut être compensé par le groupe auquel elles appartiennent étant donné que toutes les quinze sociétés de ce groupe sont concernées.

25      Dans ce cadre, les requérantes ajoutent que la reconquête d’une fraction appréciable des parts de marché, notamment par des mesures appropriées de publicité, serait extrêmement difficile en raison d’obstacles de nature structurelle et juridique.

26      De plus, les requérantes font valoir qu’il serait fort peu probable que les requérantes puissent obtenir gain de cause dans le cadre d’un recours en indemnité dans l’hypothèse où la décision attaquée est annulée étant donné que, dans la mesure où la Commission s’en remet aux conclusions scientifiques du PRAC et du CMDh, elles pourront difficilement démontrer que la Commission a manifestement et gravement méconnu les limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation.

27      En outre, les requérantes avancent qu’elles feraient face à des mesures similaires adoptées par les autorités compétentes de certains pays tiers à l’Union. Leurs médicaments n’auraient ainsi plus accès aux marchés et n’y pourraient être de nouveau introduits.

28      Par conséquent, en l’absence de sursis à exécution de la décision attaquée, les requérantes seraient de facto privées de leur droit à une protection juridictionnelle effective. L’atteinte à ce droit ne saurait être compensée par l’intérêt du public dans la mesure où les médicaments concernés seraient sûrs, la sécurité du patient ne serait pas menacée et aucun intérêt public ne justifierait la suspension des autorisations de mise sur le marché.

29      À cet égard, premièrement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel elles subiront un préjudice grave et irréparable consistant en une perte substantielle de parts de marché et en un manque à gagner résultant de l’arrêt de la distribution des médicaments, il y a lieu de constater que ce préjudice doit être considéré comme étant d’ordre purement financier.

30      Dans ce cadre, il importe de rappeler que, lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie qui les sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 12 juin 2014, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P‑R, EU:C:2014:1749, point 46 et jurisprudence citée). L’imminence de la disparition du marché constituant effectivement un préjudice tant irrémédiable que grave, l’adoption de la mesure provisoire demandée apparaît justifiée dans une telle hypothèse (ordonnance du 9 juin 2010, Colt Télécommunications France/Commission, T‑79/10 R, non publiée, EU:T:2010:228, point 37).

31      En outre, selon une jurisprudence bien établie, un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Un tel préjudice pourrait notamment être réparé dans le cadre d’un recours en indemnité introduit sur la base des articles 268 et 340 TFUE [voir ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 24 et jurisprudence citée].

32      Si, dans la jurisprudence, il a également été tenu compte du fait que, en l’absence de la mesure provisoire sollicitée, les parts de marché de la partie requérante seraient modifiées de manière irrémédiable, il doit être précisé que ce cas de figure ne saurait être mis sur un pied d’égalité avec celui du risque de la disparition du marché et justifier l’adoption de la mesure provisoire demandée que si la modification irrémédiable des parts de marché présente aussi un caractère grave. Il ne suffit donc pas qu’une part de marché risque d’être irrémédiablement perdue par une entreprise, mais il importe que cette part de marché soit suffisamment importante au regard, notamment, de la taille de cette entreprise, compte tenu des caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat. Une partie sollicitant des mesures provisoires qui se prévaut de la perte d’une telle part de marché doit démontrer, en outre, que des obstacles de nature structurelle ou juridique l’empêchent de reconquérir une fraction appréciable de cette part de marché (voir ordonnance du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée, EU:T:2009:124, point 35 et jurisprudence citée).

33      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les éléments avancés par les requérantes pour établir qu’elles subiraient un préjudice grave et irréparable d’ordre financier si le sursis à l’exécution de la décision attaquée n’était pas ordonné.

34      En l’espèce, en premier lieu, les requérantes n’établissent ni même n’allèguent qu’elles se trouvent dans une situation susceptible de mettre en péril leur viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond, au regard de la taille, du chiffre d’affaires et des caractéristiques du groupe auquel elles appartiennent.

35      En effet, le seul élément quantitatif avancé par les requérantes ressort de l’allégation selon laquelle le manque à gagner résultant de l’arrêt de la distribution des médicaments en cause s’élève à deux millions d’euros par mois.

36      Outre cette allégation, les requérantes n’apportent aucun élément chiffré, comptable ou autre, de nature à étayer l’existence d’un préjudice grave et irréparable.

37      Les requérantes se contentent d’affirmer que leur préjudice financier ne saurait être compensé par le groupe Fresenius Kabi auquel elles appartiennent étant donné que toutes les quinze sociétés du groupe sont concernées.

38      Toutefois, il y a lieu de relever que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 21 ci‑dessus, afin de démontrer un risque pour leur viabilité financière, les requérantes auraient dû produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de leur situation financière.

39      Or, les requérantes n’ayant fourni aucune information supplémentaire, ni aucun élément de preuve certifié concernant leur situation financière et la situation financière du groupe Fresenius auquel le groupe Fresenius Kabi appartient, force est de constater qu’elles se limitent à des affirmations qui ne sont pas étayées par des éléments de preuve.

40      Dès lors, le juge des référés n’est pas en mesure d’établir une image fidèle et globale de la situation financière des requérantes, au sens de la jurisprudence citée au point 21 ci‑dessus.

41      En second lieu, en ce qui concerne les prétendus dommages provoqués par la perte substantielle de parts de marché, tout d’abord, il y a lieu de constater que la prétendue perte de parts de marché constitue également un préjudice d’ordre purement financier en ce qu’elle consiste en la perte des revenus tirés des ventes des médicaments en cause.

42      En effet, selon une jurisprudence constante, la part de marché détenue par une entreprise ne désigne que le pourcentage de tous les produits présents sur le marché en cause qui ont été vendus par cette entreprise à la clientèle au cours d’une période de référence déterminée. Par conséquent, la perte de cette part de marché consiste en la perte des revenus susceptibles d’être tirés à l’avenir des ventes du produit en cause. Une part de marché se traduit donc, à l’évidence, en des termes financiers, son détenteur ne pouvant en bénéficier que dans la mesure où elle lui procure des revenus (voir ordonnance du 30 avril 2010, Xeda International/Commission, T‑71/10 R, non publiée, EU:T:2010:173, point 41 et jurisprudence citée).

43      Ensuite, force est de constater que les requérantes n’ont pas démontré, à suffisance de droit, l’existence d’obstacles de nature structurelle ou juridique les empêchant de reconquérir une fraction appréciable de leurs parts de marché, au sens de la jurisprudence citée au point 32 ci‑dessus.

44      En effet, comme il ressort des écritures des requérantes, en particulier du point 84 de la demande en référé, deux entreprises concurrentes seulement se partagent le marché des médicaments en cause en Europe et les parts de marché dans l’Union des sociétés faisant partie du groupe Fresenius Kabi s’élèvent à environ 81 %. Ainsi, il y a lieu d’observer, à l’instar de la Commission, que les requérantes et leur unique concurrent, en tant que titulaire d’une autorisation de mise sur le marché pour les médicaments en cause, sont tous deux affectés exactement de la même manière par la décision attaquée. Par conséquent, leur concurrent ne sera pas en mesure de prendre des parts de marché aux requérantes.

45      Il en découle que la perte alléguée de parts de marché n’est manifestement pas irréversible. Bien au contraire, ces parts seraient automatiquement récupérées dans l’hypothèse où la décision attaquée viendrait à être annulée à l’issue de la procédure au principal.

46      S’agissant, deuxièmement, de l’argument des requérantes selon lequel la décision attaquée porte une grave atteinte à leur réputation, car cette décision suggère aux professionnels de santé intéressés et aux autorités compétentes d’autres pays ne faisant pas partie de l’Union que les médicaments concernés ne sont pas sûrs, il y a lieu de souligner que, conformément à une jurisprudence constante, l’atteinte à la réputation des requérantes, à la supposer établie, aurait déjà été causée par la décision attaquée et durerait aussi longtemps que cette décision ne serait pas annulée par l’arrêt au principal. Or, la finalité de la procédure de référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice déjà subi. En outre, les requérantes ne sauraient se prévaloir utilement, pour établir l’existence d’un préjudice grave et irréparable, de ce que seul un sursis à l’exécution de la décision attaquée permettrait d’éviter qu’il soit porté atteinte à sa réputation. En effet, une annulation de la décision attaquée au terme de la procédure dans l’affaire principale constituerait une réparation suffisante du préjudice moral allégué (voir, en ce sens, ordonnance du 24 mars 2021, The Floow/Commission, T‑765/20 R, non publiée, EU:T:2021:167, point 34 et jurisprudence citée).

47      Troisièmement, en ce qui concerne l’allégation des requérantes selon laquelle il serait fort peu probable qu’elles puissent obtenir gain de cause dans le cadre d’un recours en indemnité dans l’hypothèse où la décision attaquée est annulée, il convient de rappeler, à cet égard, qu’il a déjà été jugé que l’incertitude liée à la réparation d’un préjudice d’ordre pécuniaire dans le cadre d’un éventuel recours en indemnité ne saurait être considérée, en elle‑même, comme une circonstance de nature à établir le caractère irréparable d’un tel préjudice, au sens de la jurisprudence. En effet, au stade du référé, la possibilité d’obtenir ultérieurement la réparation d’un préjudice d’ordre pécuniaire dans le cadre d’un éventuel recours en indemnité, qui pourrait être intenté à la suite de l’annulation de l’acte attaqué, est nécessairement incertaine. Or, la procédure de référé n’a pas pour objet de se substituer à un tel recours en indemnité pour éliminer cette incertitude, sa finalité étant seulement de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive à intervenir dans la procédure au fond sur laquelle le référé se greffe, à savoir, en l’espèce, un recours en annulation [voir ordonnance du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 50 et jurisprudence citée].

48      Quatrièmement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel elles feraient face à des mesures similaires adoptées par les autorités compétentes de certains pays tiers à l’Union, leurs médicaments n’ayant ainsi plus accès aux marchés et n’y pouvant être de nouveau introduits, il convient de constater que les requérantes n’ont pas établi que le sursis à l’exécution de la décision attaquée, à supposer qu’il soit accordé, empêcherait les autorités des pays non membres de l’Union d’adopter des mesures similaires aux conditions spécifiques énoncées dans la décision attaquée. Par conséquent, elles n’ont pas démontré que le sursis à l’exécution de la décision attaquée serait de nature à empêcher la réalisation du préjudice allégué causé, le cas échéant, sur le marché de pays tiers (voir, en ce sens, ordonnance du 25 octobre 2021, Troy Chemical Company et Troy/Commission, T‑297/21 R, non publiée, EU:T:2021:733, point 46 et jurisprudence citée).

49      En outre, il convient de relever que l’éventuelle suspension des autorisations de mise sur le marché des médicaments en cause sur le territoire de certains pays tiers du fait que ces pays suivraient la réglementation de l’Union ne peut être prise en compte dans l’appréciation de la gravité du préjudice allégué, car de telles mesures seraient la conséquence directe, non pas de la décision attaquée, mais d’une décision prise par les autorités de chaque pays tiers dans l’exercice de leur pouvoir souverain (voir, en ce sens, ordonnance du 11 juillet 2018, GE Healthcare/Commission, T‑783/17 R, EU:T:2018:503, point 46 et jurisprudence citée).

50      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée à défaut pour les requérantes d’établir que la condition relative à l’urgence est remplie, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le fumus boni juris ou de procéder à la mise en balance des intérêts.

51      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 18 octobre 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.