Language of document : ECLI:EU:T:2024:51

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

31 janvier 2024 (*)

« FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement – Procédure d’apurement de conformité – Recours en annulation – Accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union et de l’Euratom – Représentation par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord EEE – Qualité pour agir – Recevabilité – Agriculteur actif – Notion de “groupement de personnes physiques ou morales” »

Dans l’affaire T‑56/22,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M. S. Fuller, en qualité d’agent, assisté de Me T. Buley, KC,

partie requérante,

soutenu par

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek, J. Vláčil, O. Serdula et Mme J. Očková, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par M. H. Krämer, Mmes J. Aquilina et A. Becker, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de Mme O. Porchia, présidente, MM. M. Jaeger (rapporteur) et P. Nihoul, juges,

greffier : M. A. Marghelis, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 13 septembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord demande l’annulation  de la décision d’exécution (UE) 2021/2020 de la Commission, du 17 novembre 2021, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2021, L 413, p. 10, ci-après la « décision attaquée »), en tant qu’elle concerne les dépenses qu’il aurait engagées, en 2017, pour un montant de 2 686 358,72 euros.

 Antécédents du litige

2        La Commission européenne a ouvert l’enquête NAC/2018/002/GB RLF à l’encontre du Royaume-Uni pour vérifier si le contrôle par celui-ci des aides versées par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) aux agriculteurs avait été effectué conformément à la législation de l’Union européenne pour les années 2015 à 2019 (ci-après l’« enquête »), sur le fondement de l’article 52 du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1290/2005 et no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549 et rectificatif JO 2016, L 130, p. 13) et de l’article 34 du règlement d’exécution (UE) no 908/2014 de la Commission, du 6 août 2014, portant modalités d’application du règlement no 1306/2013 en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les règles relatives aux contrôles, les garanties et la transparence (JO 2014, L 255, p. 59).

3        Du 5 au 9 mars 2018, dans le cadre de l’enquête, la Commission a effectué un audit sur place, au Royaume-Uni.

4        Par lettre du 14 juin 2018, la Commission a notifié aux autorités du Royaume-Uni les résultats de ses vérifications, conformément à l’article 34, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 908/2014. Dans cette lettre, la Commission a relevé que le système de contrôle mis en place par le Royaume-Uni pour vérifier l’octroi par le FEAGA et le Feader des aides au titre de la politique agricole commune n’était pas conforme à la législation de l’Union. De plus, elle a demandé aux autorités du Royaume-Uni de fournir une description détaillée des mesures correctives mises en place.

5        Le 14 mars 2019, la Commission et le Royaume-Uni se sont rencontrés lors d’une réunion bilatérale.

6        Le 26 avril 2019, la Commission a transmis au Royaume-Uni le procès-verbal de la réunion bilatérale et lui a demandé des informations supplémentaires concernant notamment l’application par les autorités du Royaume-Uni de l’article 9, paragraphe 2, du règlement (UE)  no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608).

7        Le 30 janvier 2020, l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait ») a été ratifié par l’Union européenne.

8        Conformément à l’accord de retrait, le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni a quitté l’Union et une période de transition a commencé pour prendre fin le 31 décembre 2020 (ci-après la « période de transition »).

9        Par lettre du 22 décembre 2020, la Commission a communiqué au Royaume-Uni les conclusions finales de l’enquête, conformément à l’article 34, paragraphe 4, du règlement d’exécution no 908/2014.

10      Par lettre du 18 mai 2021, la Commission a transmis au Royaume-Uni un rapport de synthèse. Dans celui-ci, elle a notamment fait valoir une violation par le Royaume-Uni, en 2017, de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 en raison du défaut de prise en compte des sociétés liées lors du contrôle du statut d’agriculteur actif du demandeur de l’aide au titre du FEAGA et du Feader (ci-après la « violation concernant le statut d’agriculteur actif ») et a proposé d’appliquer de ce fait une correction financière d’un montant de 2 686 358,72 euros.

11      Le 17 novembre 2021, la Commission a adopté la décision attaquée. En particulier, s’agissant du Royaume-Uni et de ses dépenses effectuées au titre du FEAGA et du Feader, la Commission a notamment constaté la violation concernant le statut d’agriculteur actif pour l’année 2017 et a décidé de lui infliger une correction financière d’un montant de 2 686 358,72 euros.

 Conclusions des parties

12      Le Royaume-Uni, soutenu par la République tchèque, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en tant qu’elle concerne la correction financière d’un montant de 2 686 358,72 euros appliquée aux dépenses qu’il aurait effectuées au titre du FEAGA et du Feader en 2017, se rapportant à la violation concernant le statut d’agriculteur actif ;

–        condamner la Commission aux dépens.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le Royaume-Uni aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

14      Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité, la Commission conteste la recevabilité du recours. Elle soutient en effet que le recours a été introduit par le Royaume-Uni après la fin de la période de transition, lorsqu’il ne pouvait plus être considéré comme étant un État membre. Par conséquent, selon la Commission, conformément à l’article 19, troisième et quatrième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, qui s’applique également aux procédures devant le Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut, le Royaume-Uni aurait dû être représenté par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE). Or, la Commission relève que, en l’espèce, le Royaume-Uni est représenté par un agent de son gouvernement assisté par un avocat habilité à exercer uniquement devant les juridictions du Royaume-Uni.

15      À cet égard, en premier lieu, la Commission fait valoir que la décision attaquée a été adoptée sur le fondement de l’article 52 du règlement no 1306/2013 ainsi que des articles 131 et 138 de l’accord de retrait.

16      Il s’ensuit, selon la Commission, que la procédure d’apurement de conformité ayant donné lieu à la décision attaquée se distingue, de par sa finalité et sa mise en œuvre, des procédures administratives ouvertes avant la fin de la période de transition en ce qui concerne le respect par le Royaume-Uni du droit de l’Union, prévues à l’article 92, paragraphe 1, sous a), figurant sous le titre X de la troisième partie, intitulée « Dispositions relatives à la séparation », de l’accord de retrait, régissant les procédures judiciaires et administratives (ci-après les « procédures administratives concernant le droit de l’Union »).

17      D’une part, s’agissant de sa finalité, la Commission considère que la procédure d’apurement de conformité ayant donné lieu à la décision attaquée vise à assurer la bonne utilisation, par les États membres, des fonds de l’Union et la répartition équitable, entre l’Union et les États membres, des charges financières relatives à la politique agricole, alors que les procédures administratives concernant le droit de l’Union ont pour objectif de garantir le respect par le Royaume-Uni du droit de l’Union.

18      D’autre part, en ce qui concerne sa mise en œuvre, la Commission fait valoir que la procédure d’apurement de conformité ayant donné lieu à la décision attaquée ne nécessite pas un enregistrement officiel auprès de l’institution compétente, alors que les procédures administratives concernant le droit de l’Union sont considérées comment ayant été ouvertes au moment où elles ont été officiellement enregistrées auprès de l’institution compétente.

19      Dans la mesure où la procédure d’apurement de conformité ayant donné lieu à la décision attaquée ne relève pas, selon la Commission, des procédures administratives concernant le droit de l’Union, elle en déduit que, en l’espèce, le Royaume-Uni ne peut pas invoquer l’article 91, paragraphe 2, de l’accord de retrait. En effet, cette disposition, qui prévoirait la faculté de cet État de se faire représenter ou assister devant la Cour de justice de l’Union européenne par un avocat habilité au Royaume-Uni, s’appliquerait uniquement dans les affaires portant sur les procédures administratives concernant le droit de l’Union.

20      Outre la question tenant à la recevabilité du recours sous le prisme d’un défaut de représentation par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’EEE, la Commission conteste le fondement juridique de la qualité pour agir du Royaume-Uni. Plus particulièrement, bien qu’elle reconnaisse que le Royaume-Uni jouit, en l’espèce, de la qualité pour agir, la Commission considère que cette qualité n’est pas fondée sur l’article 90, second alinéa, sous c), de l’accord de retrait. En effet, cette disposition s’appliquerait uniquement dans le cas d’intervention ou de participation du Royaume-Uni dans des procédures préjudicielles relatives aux procédures administratives concernant le droit de l’Union, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

21      Il s’ensuit, pour la Commission, que la seule disposition pouvant octroyer au Royaume-Uni la qualité pour agir en l’espèce est l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qui donne aux destinataires d’un acte la possibilité d’en contester la légalité par le biais d’un recours introduit devant la Cour de justice de l’Union européenne.

22      Le Royaume-Uni, soutenu par la République tchèque, conteste les arguments de la Commission.

 Sur la représentation du Royaume-Uni

23      Compte tenu de l’argumentation de la Commission, il convient de vérifier si la procédure d’apurement de conformité ayant donné lieu à la décision attaquée relève des procédures administratives concernant le droit de l’Union visées par l’accord de retrait.

24      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, selon l’article 2 de l’accord de retrait, il convient d’entendre notamment par « droit de l’Union » le traité UE, le traité FUE et le traité instituant la CEEA, tels que modifiés ou complétés, ainsi que les traités d’adhésion, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les principes généraux du droit de l’Union et les actes adoptés par les institutions, organes ou organismes de l’Union.

25      De plus, il y a lieu de noter que, aux termes de l’article 4 de l’accord de retrait, les dispositions dudit accord et les dispositions du droit de l’Union rendues applicables par cet accord produisent, à l’égard du Royaume-Uni et sur son territoire, les mêmes effets juridiques que ceux qu’elles produisent au sein de l’Union et de ses États membres.

26      L’article 92 de l’accord de retrait, relatif aux procédures administratives, dispose ce qui suit :

« 1.      Les institutions, organes et organismes de l’Union demeurent compétents pour les procédures administratives qui ont été ouvertes avant la fin de la période de transition en ce qui concerne :

a)      le respect du droit de l’Union par le Royaume-Uni ou par des personnes physiques ou morales résidant ou établies au Royaume-Uni ; ou

b)      le respect du droit de l’Union en matière de concurrence au Royaume-Uni.

2.      Sans préjudice du paragraphe 3, aux fins du présent chapitre, une procédure administrative est considérée comme ayant été ouverte au moment où elle a été officiellement enregistrée auprès de l’institution, de l’organe ou de l’organisme de l’Union [...] »

27      L’article 91, paragraphes 2 et 3, de l’accord de retrait prévoit ce qui suit :

« 2.      Sans préjudice de l’[a]rticle 88, les avocats habilités à exercer devant les juridictions du Royaume-Uni peuvent représenter ou assister une partie devant la Cour de justice de l’Union européenne dans les affaires visées à l’[a]rticle 87 et à l’[a]rticle 95, paragraphe 3 [...]

3.      Lorsqu’ils représentent ou assistent une partie devant la Cour de justice de l’Union européenne dans les affaires visées aux paragraphes 1 et 2, les avocats habilités à exercer devant les juridictions du Royaume-Uni sont traités à tous égards comme les avocats habilités à exercer devant les juridictions des États membres qui représentent ou assistent une partie devant la Cour de justice de l’Union européenne. »

28      L’article 95 de l’accord de retrait énonce ce qui suit :

« 1.      Les décisions qui sont adoptées par les institutions, organes et organismes de l’Union avant la fin de la période de transition, ou qui sont adoptées dans le cadre des procédures visées aux [a]rticles 92 et 93 après la fin de la période de transition, et dont le Royaume-Uni ou des personnes physiques ou morales résidant ou établies au Royaume-Uni sont destinataires, ont force obligatoire pour le Royaume-Uni et au Royaume-Uni.

[…]

3.      La légalité d’une décision visée au paragraphe 1 du présent [a]rticle est contrôlée exclusivement par la Cour de justice de l’Union européenne conformément à l’[a]rticle 263 TFUE […] »

29      Il résulte de ces dispositions que la procédure d’apurement de conformité ayant donné lieu à la décision attaquée présente les mêmes caractéristiques que les procédures administratives concernant le droit de l’Union.

30      En premier lieu, conformément à l’article 92, paragraphe 1, sous a), de l’accord de retrait, sa finalité est de vérifier le respect par le Royaume-Uni du droit de l’Union.

31      À cet égard, il convient de noter que, comme cela ressort de l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, l’objectif de la procédure d’apurement de conformité est de vérifier si les dépenses engagées par un État membre, au titre de la politique agricole commune, ont été effectuées conformément au droit de l’Union. Cette disposition prévoit, en effet, ce qui suit :

« Lorsqu’elle considère que des dépenses relevant du champ d’application de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 5 n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union et, pour le Feader, n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union et de l’État membre applicable visé à l’article 85 du règlement (UE) no 1303/2013, la Commission adopte des actes d’exécution déterminant les montants à exclure du financement de l’Union […] »

32      Ainsi, en l’espèce, dans la mesure où la Commission a considéré que certaines dépenses engagées par le Royaume-Uni avaient été réalisées en violation du droit de l’Union, elle a décidé, dans la décision attaquée, de les exclure du budget de l’Union.

33      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Commission (voir point 17 ci-dessus), la finalité de la procédure d’apurement de conformité n’est pas seulement d’assurer la bonne utilisation, par les États membres, des fonds de l’Union et la répartition équitable, entre l’Union et les États membres, des charges financières relatives à la politique agricole commune, mais aussi de vérifier plus généralement le respect par les États membres du droit de l’Union au titre de la politique agricole commune et d’habiliter la Commission à adopter, dans le cadre de la procédure d’apurement de conformité, les actes nécessaires pour évaluer les dépenses et, le cas échéant, les exclure du financement de l’Union.

34      Par conséquent, il y a lieu de considérer que la procédure d’apurement de conformité ayant donné lieu à la décision attaquée poursuit la même finalité, tenant au respect par le Royaume-Uni du droit de l’Union, que les procédures administratives concernant le droit de l’Union prévues à l’article 92 de l’accord de retrait.

35      En second lieu, il convient de rappeler que, conformément à l’article 92, paragraphe 1, de l’accord de retrait, pour pouvoir être qualifiée de procédure administrative concernant le droit de l’Union, il est nécessaire qu’une procédure administrative ait été ouverte avant la fin de la période de transition. À cet égard, l’article 92, paragraphe 2, de l’accord de retrait prévoit qu’une procédure administrative est considérée comme ayant été ouverte lorsqu’elle a été officiellement enregistrée auprès de l’institution compétente et l’article 92, paragraphe 3, dudit accord précise, pour différentes procédures, quand ce moment est considéré comme étant intervenu.

36      Certes, l’article 92, paragraphes 2 et 3, de l’accord de retrait ne définit pas la notion d’« enregistrement » d’une procédure administrative. Toutefois, comme cela a été confirmé par les parties lors de l’audience, la finalité de cette disposition est d’établir une date certaine permettant de considérer que la procédure administrative en cause a bien été ouverte par l’autorité compétente avant la fin de la période de transition par le biais de la mise en œuvre d’une mesure officielle, qu’il s’agisse, selon les cas, d’un enregistrement, de l’attribution d’un numéro de dossier, d’une notification, de l’expiration d’un délai ou d’une communication.

37      Selon une jurisprudence constante, la date d’ouverture officielle de la procédure d’apurement de conformité est celle de l’envoi, par la Commission à l’État membre concerné, de ses constatations, conformément à l’article 34, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 908/2014. Dans ce document, la Commission identifie, de manière suffisamment précise, toutes les irrégularités qu’elle reproche à l’État membre, précise les mesures correctives qu’elle estime nécessaires et indique le niveau provisoire de correction financière qu’elle considère approprié (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2023, Bulgarie/Commission, T‑235/21, sous pourvoi, EU:T:2023:105, points 36 à 38).

38      En l’espèce, il est constant que la procédure d’apurement de conformité a été ouverte le 14 juin 2018 par l’envoi de la lettre mentionnée au point 4 ci-dessus. Il s’agit donc d’une date avérée, antérieure à celle de la fin de la période de transition, à savoir le 31 décembre 2020.

39      Ainsi, il y a lieu de considérer que, en l’espèce, la procédure d’apurement de conformité ayant donné lieu à la décision attaquée relève des procédures administratives concernant le droit de l’Union.

40      Contrairement à ce qu’affirme la Commission, les dispositions sur lesquelles se fonde la décision attaquée, à savoir l’article 52 du règlement no 1306/2013 ainsi que les articles 131 et 138 de l’accord de retrait, ne sauraient remettre en cause cette conclusion.

41      Premièrement, la référence à l’article 52 du règlement no 1306/2013, dont les termes sont rappelés au point 31 ci-dessus, permet de qualifier la procédure ayant donné lieu à la décision attaquée de procédure d’apurement de conformité et de l’assujettir ainsi à l’ensemble des dispositions du droit de l’Union régissant ce type de procédure. Cette référence est toutefois dénuée de pertinence lorsqu’il s’agit de vérifier si la procédure ayant donné lieu à la décision attaquée relève des procédures administratives concernant le droit de l’Union au titre de l’accord de retrait.

42      Deuxièmement, les termes de l’article 131, premier alinéa, de l’accord de retrait sont les suivants :

« Pendant la période de transition, les institutions, organes et organismes de l’Union disposent des pouvoirs qui leur sont conférés par le droit de l’Union à l’égard du Royaume-Uni et des personnes physiques et morales résidant ou établies au Royaume-Uni. En particulier, la Cour de justice de l’Union européenne est compétente dans les conditions prévues par les traités. »

43      Il ressort de cette disposition que la référence à l’article 131 de l’accord de retrait est dénuée de pertinence, dans la mesure où cette disposition établit les pouvoirs de la Commission et de la Cour de justice de l’Union européenne pendant la période de transition et ne concerne pas la période postérieure à celle-ci, qui est en cause en l’espèce. En effet, la décision attaquée a été adoptée par la Commission le 17 novembre 2021, soit après la fin de la période de transition le 31 décembre 2020.

44      Troisièmement, les termes de l’article 138, paragraphe 1, de l’accord de retrait sont les suivants :

« En ce qui concerne la mise en œuvre des programmes et activités de l’Union engagés au titre du [cadre financier pluriannuel] 2014-2020 ou des perspectives financières précédentes, le droit de l’Union applicable, y compris les règles relatives aux corrections financières et à l’apurement des comptes, continue de s’appliquer au Royaume-Uni après le 31 décembre 2020 jusqu’à la clôture de ces programmes et activités de l’Union. »

45      Il s’ensuit que les règles relatives aux procédures d’apurement de conformité engagées au titre du cadre financier pluriannuel 2014-2020 continuent de s’appliquer au Royaume-Uni jusqu’à la clôture des procédures en cours. Or, rien ne permet de considérer que l’article 138, paragraphe 1, de l’accord de retrait s’applique à l’exclusion des normes régissant les procédures administratives concernant le droit de l’Union.

46      Quatrièmement, il y a lieu de noter que les articles 92 et 95 de l’accord de retrait figurent sous le titre X de la troisième partie, intitulée « Dispositions relatives à la séparation », qui régit les procédures judiciaires et administratives, alors que l’article 138 est inclus dans la cinquième partie de l’accord relative aux dispositions financières. Ainsi, ces dispositions ont un champ d’application qui pourrait être interprété comme étant complémentaire :

–        l’article 92 et l’article 95, paragraphes 1 et 3, de l’accord de retrait établissent de manière générale les règles à suivre après la fin de la période de transition pour la gestion des procédures administratives concernant le droit de l’Union ;

–        l’article 138 de l’accord de retrait concerne uniquement la mise en œuvre, jusqu’à leur clôture, des programmes et activités de l’Union engagés au titre du cadre financier pluriannuel 2014-2020.

47      Par conséquent, dans la mesure où, d’une part, l’article 92 et l’article 95, paragraphes 1 et 3, de l’accord de retrait et, d’autre part, l’article 138 dudit accord peuvent être considérés comme ayant une nature complémentaire, le fait que la décision attaquée se fonde sur ledit article 138 ne fait pas obstacle à ce que, de manière plus générale, elle relève également de l’article 92 et de l’article 95, paragraphes 1 et 3, de cet accord.

48      Au vu de ce qui précède, il convient de considérer que le présent recours ne saurait être déclaré irrecevable au motif que le Royaume-Uni est représenté par des avocats qui ne sont pas habilités à exercer devant les juridictions d’un État membre.

 Sur la qualité pour agir du Royaume-Uni

49      Bien que la Commission ne conteste pas que le Royaume-Uni jouisse en l’espèce de la qualité pour agir, elle fait valoir que celui-ci ne peut pas se prévaloir de l’article 90, second alinéa, sous c), de l’accord de retrait pour justifier d’une telle qualité. En effet, cette disposition s’appliquerait uniquement dans le cadre des procédures préjudicielles introduites devant la Cour ayant pour objet des procédures administratives concernant le droit de l’Union. Par conséquent, selon la Commission, la qualité pour agir du Royaume-Uni résulte uniquement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

50      Le Royaume-Uni, soutenu par la République tchèque, conteste cet argument.

51      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les conditions de recevabilité des recours, dont fait partie celle tenant à l’existence de la qualité pour agir du requérant, constituent une fin de non-recevoir d’ordre public que le Tribunal peut et doit soulever d’office le cas échéant, conformément à l’article 129 de son règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2009, Sahlstedt e.a./Commission, C‑362/06 P, EU:C:2009:243, point 22 et jurisprudence citée).

52      En outre, le choix de la base juridique de la qualité pour agir du Royaume-Uni n’est pas sans conséquence, dans la mesure où l’article 90, second alinéa, sous c), de l’accord de retrait lui confère cette qualité, dans les affaires relatives aux procédures concernant le droit de l’Union, dans les mêmes conditions qu’un État membre, alors que l’article 263, quatrième alinéa, TFUE lui reconnaît cette qualité en tant qu’État tiers.

53      Les termes de l’article 90, second alinéa, de l’accord de retrait sont les suivants :

« Le Royaume-Uni peut également intervenir ou participer à la procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne de la même manière qu’un État membre :

[…]

c)      en ce qui concerne les affaires visées à l’[a]rticle 95, paragraphe 3. »

54      Il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 95, paragraphe 3, de l’accord de retrait, lu conjointement avec l’article 95, paragraphe 1, dudit accord, la Cour de justice de l’Union européenne a une compétence exclusive pour connaître de la légalité des décisions adoptées par les institutions de l’Union, après la fin de la période de transition dans le cadre des procédures administratives concernant le droit de l’Union, dont le Royaume-Uni est le destinataire et qui ont une force obligatoire à son égard.

55      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Commission, l’article 90, second alinéa, sous c), de l’accord de retrait, lu conjointement avec l’article 95, paragraphe 3, dudit accord, donne au Royaume-Uni le droit d’intervenir ou de participer à la procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne de la même manière qu’un État membre dans toutes les affaires portant sur la légalité des décisions concernant le Royaume-Uni mentionnées au point 53 ci-dessus, sans qu’aucune distinction soit posée quant à la typologie de l’affaire en cause.

56      Dans ces conditions, dans la mesure où la procédure d’apurement de conformité ayant donné lieu à la décision attaquée relève, en l’espèce, des procédures administratives concernant le droit de l’Union, il y a lieu de considérer que le Royaume-Uni jouit de la qualité pour agir sur le fondement de l’article 90, second alinéa, sous c), de l’accord de retrait.

 Sur le fond

57      Le Royaume-Uni, soutenu par la République tchèque, conteste, par un moyen unique, la violation concernant le statut d’agriculteur actif.

58      À cet égard, il fait valoir que l’expression « groupements de personnes physiques ou morales » figurant à l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 vise uniquement les groupements de personnes physiques ou morales, à l’exclusion des sociétés liées. Selon le Royaume-Uni, cela signifie que c’est uniquement par rapport à un groupement dans son ensemble qu’il convient de vérifier l’existence des conditions visées par cette disposition permettant au demandeur de l’aide d’accéder au statut d’agriculteur actif.

59      La Commission conteste ce moyen unique.

60      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 9, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 1307/2013 établit une présomption simple selon laquelle les personnes physiques ou morales et les groupements de personnes physiques ou morales qui exploitent des aéroports, des services ferroviaires, des sociétés de services des eaux, des services immobiliers ou des terrains de sport et de loisirs permanents (ci-après la « liste d’exclusion ») ne sont pas, sauf preuve contraire, autorisés à recevoir des aides dans le cadre de la politique agricole commune au motif qu’ils ne sont pas considérés comme étant des agriculteurs actifs (ci-après la « présomption simple »). Cependant, aux termes de l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1307/2013, ces mêmes personnes ou groupements peuvent renverser la présomption simple s’ils produisent des éléments de preuve vérifiables, selon les prescriptions des États membres, qui démontrent que l’une des trois conditions suivantes est remplie :

a)      le montant annuel des paiements directs qu’ils ont reçus s’élève au minimum à 5 % des recettes totales découlant des activités non agricoles au cours de l’année fiscale la plus récente pour laquelle ils disposent de telles preuves ;

b)      leurs activités agricoles ne sont pas négligeables ;

c)      leur activité principale ou leur objet social est l’exercice d’une activité agricole.

61      Il y a lieu également de noter que la notion de « groupements de personnes physiques ou morales » au sens de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 n’est définie ni par le règlement no 1307/2013, ni par le règlement délégué (UE) no 639/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement no 1307/2013 et modifiant l’annexe X dudit règlement (JO 2014, L 181, p. 1), qui prévoit les critères de mise en œuvre de l’article 9 du règlement no 1307/2013.

62      En ce qui concerne les sociétés liées, il convient de relever qu’aucune référence et, a fortiori, aucune définition de cette notion n’est contenue ni dans le règlement no 1307/2013, ni dans le règlement délégué no 639/2014, ni dans le document d’orientation DSCG/2014/29 de la Commission, du 15 avril 2014, qui fixe des critères d’interprétation de l’article 9 du règlement no 1307/2013.

63      Dans une présentation à l’intention des États membres qui s’est tenue le 27 octobre 2015 pour évaluer le statut d’agriculteur actif, la Commission a indiqué que l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 devait être interprété dans le sens que les activités relevant de la liste d’exclusion pouvaient être exercées par des personnes physiques ou morales, par leurs groupements directement ou par le biais d’une société liée.

64      De plus, dans une lettre envoyée au ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture allemand le 29 janvier 2016, mise ensuite à la disposition des autres États membres, et dans une lettre envoyée au ministère de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales du Royaume-Uni le 14 juillet 2017, la Commission a fait valoir que, pour l’application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013, il convenait d’entendre par « société liée » toute entité directement ou indirectement liée au demandeur de l’aide par une relation de contrôle prenant la forme d’une possession entière ou majoritaire.

65      C’est dans ce contexte qu’il convient d’examiner les trois griefs soulevés par le Royaume-Uni au sein de son moyen unique ainsi que l’argument avancé par la République tchèque relatif à la violation du principe de sécurité juridique.

 Sur le premier grief du moyen unique, relatif aux termes de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013

66      Au sein de son premier grief, le Royaume-Uni soulève trois arguments.

–       Sur le premier argument, selon lequel il ne ressort pas du libellé de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 que les sociétés liées au demandeur de l’aide doivent être prises en considération lors du contrôle par un État membre des conditions d’accès au statut d’agriculteur actif

67      Par son premier argument, le Royaume-Uni, soutenu par la République tchèque, fait valoir qu’il ne ressort pas du libellé de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 que les sociétés liées au demandeur de l’aide doivent être prises en considération lors du contrôle par un État membre des conditions d’accès au statut d’agriculteur actif. Aucune référence aux sociétés liées ne figurerait en effet dans cette disposition. Selon le Royaume-Uni, l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 se limite à prévoir qu’aucun paiement direct n’est octroyé à des personnes physiques, à des personnes morales ou à des groupements de personnes physiques ou morales qui exercent eux-mêmes l’une des activités relevant de la liste d’exclusion.

68      La Commission conteste le bien-fondé de cet argument.

69      Premièrement, il peut être observé que la notion de « sociétés liées » ne figure pas dans le texte de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013, qui vise « les personnes physiques ou morales et les groupements de personnes physiques ou morales ».

70      Deuxièmement, il y a lieu de relever que, par essence, un « groupement » désigne un ensemble d’entités liées l’une à l’autre au sein d’une même organisation. Ainsi, le terme « groupement » doit être interprété comme se rapprochant du terme « groupe » et comme visant tout ensemble de personnes physiques ou morales liées l’une à l’autre au sein d’une même organisation sociétaire plus ou moins structurée. Il s’ensuit qu’un groupement de personnes physiques ou morales inclut les sociétés liées.

71      Dans ces conditions, il convient de considérer qu’il résulte des termes de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013, que le demandeur de l’aide, groupement de personnes physiques ou morales, peut exercer les activités relevant de la liste d’exclusion tant directement que par le biais d’une société liée faisant partie du même groupement demandeur de l’aide. De même, si le demandeur de l’aide n’est pas un groupement mais une personne physique ou morale faisant partie d’un groupement, il peut exercer les activités relevant de la liste d’exclusion directement ou par le biais d’une société liée faisant partie du même groupement.

72      Partant, il convient de rejeter le premier argument.

–       Sur le deuxième argument, selon lequel la prise en compte des sociétés liées lors de la détermination du statut d’agriculteur actif du demandeur de l’aide rendrait sans pertinence la référence aux conditions prévues à l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1307/2013 permettant à un demandeur de renverser la présomption simple

73      Par son deuxième argument, le Royaume-Uni soutient que les conditions prévues à l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 1307/2013 visent à permettre à un agriculteur exerçant l’une des activités relevant de la liste d’exclusion de renverser la présomption simple et de prouver que son activité agricole n’est pas marginale. Or, selon le Royaume-Uni, la référence à ces conditions serait dénuée de pertinence s’il fallait exclure du statut d’agriculteur actif les agriculteurs dont l’activité principale est l’agriculture simplement parce qu’ils font partie d’un groupement dont l’un des membres exerce une activité relevant de la liste d’exclusion.

74      La Commission conteste cet argument.

75      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement n° 1307/2013, dont la teneur est rappelée au point 59 ci-dessus, donne la possibilité aux personnes physiques, aux personnes morales et aux groupements de personnes physiques ou morales qui exercent l’une des activités relevant de la liste d’exclusion de renverser la présomption simple en démontrant qu’ils remplissent l’une des conditions prévues par cette disposition leur permettant d’accéder au statut d’agriculteur actif.

76      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, la circonstance que le demandeur de l’aide exerce l’une des activités relevant de la liste d’exclusion non pas directement, mais par le biais d’une société liée faisant partie du même groupement, ne rend pas sans pertinence la référence aux conditions prévues par l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement n° 1307/2013. En effet, dans cette hypothèse, le demandeur peut accéder au statut d’agriculteur actif en démontrant que, au niveau du groupement dont il fait partie, il remplit l’une des conditions lui permettant de renverser la présomption simple.

77      Dès lors, le deuxième argument doit être rejeté.

–       Sur le troisième argument, selon lequel la prise en compte des sociétés liées lors de la détermination du statut d’agriculteur actif du demandeur de l’aide priverait de sens la référence aux groupements de personnes physiques prévue à l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013

78      Par son troisième argument, le Royaume-Uni relève que l’interprétation de la Commission selon laquelle les activités relevant de la liste d’exclusion peuvent être exercées par le demandeur de l’aide directement ou par le biais de sociétés liées prive de sens la référence aux groupements de personnes physiques figurant à l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013, dans la mesure où, par définition, une personne physique ne peut pas être liée à une autre personne physique.

79      La Commission conteste cet argument.

80      Premièrement, il convient de noter que le libellé de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013 ne permet pas de considérer que les groupements qui introduisent une demande d’aide ou qui sont liés à une autre personne, physique ou morale, introduisant une telle demande doivent être composés exclusivement de personnes physiques. Cette disposition se réfère, en effet, indistinctement aux groupements de personnes physiques ou morales. Cela signifie qu’un groupement peut être composé tant de personnes physiques que de personnes morales.

81      Deuxièmement, il convient également de relever que l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013 ne définit pas ce qu’il faut entendre par « personnes physiques », par « personnes morales » ou par « groupements de personnes physiques ou morales » pouvant accéder au statut d’agriculteur actif. Ainsi, l’appréciation du statut juridique du demandeur de l’aide doit être effectuée conformément au droit national. Or, il existe différentes formes d’entités juridiques reconnues au sein du droit national des États membres. Ainsi, il ne saurait être soutenu que, en termes absolus, dans tous les États membres, une personne physique ne peut pas faire partie d’un groupement plus étendu composé, notamment, de plusieurs sociétés liées.

82      Troisièmement, il y a lieu d’observer que, en se référant de manière large aux personnes physiques, aux personnes morales et aux groupements de personnes physiques ou morales, l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013 vise à éviter toute discrimination entre les demandeurs fondée sur leur statut juridique. Ainsi, indépendamment de leur statut juridique, les demandeurs sont exclus, sauf preuve contraire, du statut d’agriculteur actif s’ils exercent une activité relevant de la liste d’exclusion.

83      Il y a ainsi lieu de rejeter le troisième argument et, partant, le premier grief du moyen unique dans son ensemble.

 Sur le deuxième grief du moyen unique, relatif au contexte de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013

84      Au sein de son deuxième grief, le Royaume-Uni soulève deux arguments.

–       Sur le premier argument, selon lequel il n’est pas possible d’interpréter l’expression « groupements de personnes physiques ou morales » figurant à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1307/2013 comme se référant aux sociétés liées au demandeur de l’aide

85      Par son premier argument, le Royaume-Uni fait valoir que l’expression « groupements de personnes physiques ou morales » figurant à l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 se retrouve également dans l’article 9, paragraphe 1, du même règlement.

86      Or, le Royaume-Uni considère qu’il n’est pas possible d’interpréter l’expression « groupements de personnes physiques ou morales » figurant à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013 comme se référant aux sociétés liées au demandeur de l’aide, dans la mesure où cela reviendrait à exclure un agriculteur du bénéfice de l’aide pour le simple fait que l’une de ses sociétés liées posséderait des pâturages sur lesquels elle n’exercerait pas l’activité minimale définie par les États membres.

87      Il s’ensuit, selon le Royaume-Uni, que l’expression « groupements de personnes physiques ou morales » doit être interprétée de manière cohérente au sein de l’article 9 du règlement no 1307/2013, comme se référant aux groupements eux-mêmes, à l’exclusion des sociétés liées.

88      La Commission conteste cet argument.

89      Les termes de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1307/2013 sont les suivants :

« Aucun paiement direct n’est octroyé à des personnes physiques ou morales ni à des groupements de personnes physiques ou morales dont les surfaces agricoles sont principalement des surfaces naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage ou à la culture et qui n’exercent pas sur ces surfaces l’activité minimale définie par les États membres conformément à l’article 4, paragraphe 2, [sous] b). »

90      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, le libellé de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013 ne s’oppose pas à ce que l’expression « groupements de personnes physiques ou morales » soit interprétée comme se référant non seulement aux groupements en eux-mêmes, mais aussi à chacune de leurs sociétés liées.

91      Par conséquent, la référence à l’expression « groupements de personnes physiques ou morales » figurant à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 1307/2013 ne donne pas d’indication quant à l’interprétation qu’il convient de donner à la même expression figurant à l’article 9, paragraphe 2, du même règlement.

92      Le premier argument doit ainsi être rejeté.

–       Sur le second argument, selon lequel l’interprétation de la notion d’« agriculteur actif » doit être faite à la lumière de celle d’« agriculteur », au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1307/2013

93      Par son second argument, le Royaume-Uni, soutenu par la République tchèque, fait valoir que la notion d’« agriculteur actif », au sens de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013, doit être interprétée à la lumière de celle d’« agriculteur », au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du même règlement. Or, tant la notion d’« agriculteur actif » que celle d’« agriculteur » se référeraient aux demandeurs de l’aide eux-mêmes, à l’exclusion des sociétés liées.

94      La Commission conteste cet argument.

95      Il y a lieu de relever que l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1307/2013 définit un agriculteur comme étant une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales, quel que soit le statut juridique conféré selon le droit national à un tel groupement et à ses membres, dont l’exploitation se trouve dans le champ d’application territoriale des traités, tel que défini à l’article 52 TUE, en liaison avec les articles 349 et 355 TFUE, et qui exerce une activité agricole.

96      L’existence d’un lien entre la notion d’« agriculteur actif », au sens de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013, et celle d’« agriculteur », au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du même règlement, est confirmée par la jurisprudence, qui précise que, pour pouvoir bénéficier du statut d’agriculteur actif, une personne doit, au préalable, satisfaire aux exigences visées à l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1307/2013 concernant la notion d’agriculteur (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑176/20, EU:C:2022:274, point 54).

97      Or, l’existence d’un lien entre la notion d’« agriculteur » et celle d’« agriculteur actif » ne saurait remettre en cause la conclusion, établie au point 69 ci-dessus, selon laquelle il convient de considérer que, aux termes de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013, le demandeur de l’aide peut exercer les activités relevant de la liste d’exclusion tant directement que par le biais d’une société liée faisant partie du même groupement.

98      En effet, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, il ne ressort pas du libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1307/2013 que, pour pouvoir être qualifié d’agriculteur, une personne physique, une personne morale ou un groupement de personnes physiques ou morales doit exercer les activités relevant de la liste d’exclusion directement.

99      Il convient ainsi de rejeter le second argument et, partant, le deuxième grief du moyen unique dans son ensemble.

 Sur le troisième grief du moyen unique, relatif à la finalité de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013

100    Par son troisième grief, le Royaume-Uni, soutenu par la République tchèque, fait valoir que la finalité de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 est de limiter les paiements directs, au titre de la politique agricole commune, aux agriculteurs qui exercent eux-mêmes une activité agricole non marginale. La prise en compte des sociétés liées ne serait donc pas nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par cette disposition. De plus, selon le Royaume-Uni, l’inclusion des sociétés liées dans le champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 créerait des difficultés pratiques pour les autorités compétentes des États membres qui seraient tenues d’exercer un contrôle approfondi non seulement sur le demandeur, mais aussi sur le groupement dont il fait partie pour déceler d’éventuelles sociétés liées.

101    La Commission conteste ce grief.

102    Il y a lieu de relever que l’objectif de la réglementation concernant la notion d’« agriculteur actif » est précisé par le considérant 10 du règlement no 1307/2013, qui indique ce qui suit :

« L’expérience acquise dans le cadre de l’application des différents régimes de soutien en faveur des agriculteurs montre que, dans certains cas, le soutien était accordé à des personnes physiques ou morales dont l’objectif commercial n’était pas, ou n’était que de façon marginale, lié à l’exercice d’une activité agricole. Afin de garantir un meilleur ciblage du soutien, il importe que les États membres s’abstiennent d’octroyer des paiements directs à certaines personnes physiques ou morales, à moins que celles-ci ne soient en mesure de démontrer que leur activité agricole ne revêt pas un caractère marginal […] »

103    Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, le considérant 10 du règlement n° 1307/2013 ne requiert pas que les activités relevant de la liste d’exclusion soient exercées directement par le demandeur de l’aide, qu’il s’agisse d’une personne physique, d’une personne morale ou d’un groupement de personnes physiques ou morales.

104    Au vu de sa finalité, qui, en substance, est d’éviter le risque de fraude à l’encontre du budget de l’Union et de limiter les paiements, au titre de la politique agricole commune, aux seuls agriculteurs qui exercent véritablement une activité agricole non marginale, l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013 doit être interprété comme s’appliquant indépendamment du fait que le demandeur, personne physique ou morale, ou le groupement concerné exerce l’une des activités relevant de la liste d’exclusion directement ou par l’intermédiaire de sociétés liées.

105    À défaut de prise en compte des sociétés liées, un demandeur pourrait, en effet, répartir ses activités entre plusieurs entités juridiques liées afin de contourner les limites posées par cette disposition à la reconnaissance de son statut d’agriculteur actif. Le contrôle exercé par les autorités compétentes des États membres serait alors limité aux activités agricoles exercées directement par le demandeur, à l’exclusion de celles mises en œuvre par le biais de sociétés liées.

106    À cet égard, lors de l’audience, la République tchèque a fait valoir que le risque que le demandeur de l’aide fractionne, de manière intentionnelle, ses activités en plusieurs entités juridiques pour contourner l’application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013 est contré par les termes de l’article 60 du règlement n° 1306/2013.

107    En premier lieu, il convient de noter que l’article 60 du règlement n° 1306/2013 ne suffit pas pour éviter le risque de fraude au budget de l’Union qui résulterait du fractionnement des activités d’un demandeur en plusieurs sociétés liées pour échapper aux contrôles effectués au titre du statut d’agriculteur actif. Cette disposition prévoit, en effet, ce qui suit :

« Sans préjudice de dispositions particulières, aucun des avantages prévus par la législation agricole sectorielle n’est accordé en faveur des personnes physiques ou morales dont il est établi qu’elles ont créé artificiellement les conditions requises en vue de l’obtention de ces avantages, en contradiction avec les objectifs visés par cette législation. »

108    En deuxième lieu, l’article 60 du règlement n° 1306/2013 ne vise pas les groupements de personnes physiques ou morales, mais uniquement les personnes physiques ou morales qui introduisent une demande d’aide au titre de la politique agricole commune. Ainsi, cette disposition ne couvre pas de manière explicite l’hypothèse selon laquelle un groupement de personnes physiques ou morales ou une personne physique ou morale faisant partie de ce groupement fractionne ses activités en plusieurs sociétés liées pour échapper aux contrôles effectués dans le cadre de la reconnaissance du statut d’agriculteur actif.

109    En troisième lieu, selon une jurisprudence constante, la preuve de la création artificielle des conditions requises pour obtenir un avantage, au sens de l’article 60 du règlement n° 1306/2013, nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives dont il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation pertinente, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant dans la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2005, Eichsfelder Schlachtbetrieb, C‑515/03, EU:C:2005:491, point 39 et jurisprudence citée).

110    Dans ces circonstances, compte tenu du champ d’application de l’article 60 du règlement no 1306/2013 et des contraintes en termes de preuve établies par la jurisprudence visée au point 108 ci-dessus, il se peut qu’une pratique abusive consistant à contourner l’application des règles relatives au statut d’agriculteur actif ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 60 du règlement n° 1306/2013, mais qu’elle constitue pourtant une violation de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013.

111    Ainsi, il ne saurait être soutenu que les seuls termes de l’article 60 du règlement n° 1306/2013 suffisent pour éviter le risque que le demandeur de l’aide fractionne ses activités en plusieurs entités juridiques afin de se soustraire au contrôle de son statut d’agriculteur actif au titre de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013.

112    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du Royaume-Uni selon lequel l’inclusion des sociétés liées dans le champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013 créerait des difficultés pratiques aux autorités compétentes des États membres, qui seraient tenues d’exercer un contrôle approfondi non seulement sur le demandeur de l’aide, mais aussi sur le groupement dont il fait partie.

113    À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un État membre ne saurait invoquer des difficultés pratiques pour justifier le défaut de mise en œuvre de mesures de contrôle appropriées (voir arrêt du 20 mars 1990, Commission/France, C‑62/89, EU:C:1990:123, point 23 et jurisprudence citée ; arrêt du 1er février 2001, Commission/France, C‑333/99, EU:C:2001:73, point 44).

114    Il convient ainsi de rejeter le troisième grief du moyen unique.

 Sur l’argument relatif à la violation du principe de sécurité juridique

115    Dans son mémoire en intervention, la République tchèque fait valoir que, conformément au principe de sécurité juridique, la Commission ne peut infliger une correction financière à un État membre que si la violation qu’elle lui reproche résulte avec clarté et précision du cadre juridique applicable. Or, en l’espèce, l’inclusion des sociétés liées dans le champ d’application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 1307/2013 ne résulterait pas avec clarté et précision du cadre juridique applicable. Le Royaume-Uni a fait sien cet argument lors de l’audience.

116    La Commission conteste ledit argument.

117    Selon une jurisprudence constante, toute obligation imposée aux États membres qui est susceptible d’avoir des conséquences financières pour ceux-ci doit être suffisamment claire et précise, afin de leur permettre d’en comprendre la portée et de s’y conformer. En effet, le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2018, République tchèque/Commission, C‑4/17 P, EU:C:2018:678, point 58 ; du 17 novembre 2022, Avicarvil Farms, C‑443/21, EU:C:2022:899, point 46, et du 19 décembre 2019, République tchèque/Commission, T‑509/18, EU:T:2019:876, point 40).

118    Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité d’un tel argument, il suffit de constater que, en l’espèce, il ressort avec suffisamment de clarté et de précision, au sens de cette jurisprudence, qu’un groupement de personnes physiques ou morales ou une personne physique ou morale faisant partie d’un groupement peut exercer les activités relevant de la liste d’exclusion tant directement que par le biais d’une société liée faisant partie du même groupement. En effet, comme cela est indiqué au point 70 ci-dessus, un groupement de personnes physiques ou morales inclut, par essence, les sociétés liées.

119    Ainsi, l’argument relatif à la violation du principe de sécurité juridique ne peut pas prospérer.

120    Eu égard à tout ce qui précède, le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

121    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

122    Le Royaume-Uni ayant succombé, il convient de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est condamné aux dépens.

Porchia

Jaeger

Nihoul

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 31 janvier 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.