Language of document :

Conclusions

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. PHILIPPE LÉGER
présentées le 28 octobre 2004 (1)



Affaire C-57/02 P



Compañía Española para la Fabricación de Aceros Inoxidables SA (Acerinox)

contre

Commission des Communautés européennes


affaire C-65/02 P



ThyssenKrupp Stainless GmbH, anciennement Krupp Thyssen Stainless GmbH

contre

Commission des Communautés européennes


et affaire C-73/02 P



ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni SpA, anciennement Acciai Speciali Terni SpA

contre

Commission des Communautés européennes



«Pourvoi  – Concurrence – Entente  – Extra d'alliage  – Imputation de l'infraction  – Calcul de l'amende  – Coopération au cours de la procédure administrative  – Réduction d'amende plus importante pour les entreprises ayant reconnu l'existence de l'infraction que pour celles ayant reconnu la matérialité des faits  – Validité»





Table des matières

I – Les faits du litige

II – Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués

III – La procédure devant la Cour et les conclusions des pourvois

IV – Sur les pourvois

A – Sur le premier moyen, tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué

B – Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de la notion de «pratique concertée»

C – Sur le troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué

D – Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs dans l’interprétation et dans l’application des règles relatives à l’imputation de l’amende

E – Sur le cinquième moyen, tiré d’erreurs dans l’appréciation de la durée de l’infraction

F – Sur le sixième moyen, tiré de la violation des droits de la défense, du principe d’égalité de traitement et du principe de protection de la confiance légitime

V – Sur le pourvoi incident

A – Sur le premier moyen, tiré d’une dénaturation des éléments de preuve

B – Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des conditions de transfert de la responsabilité du comportement d’une entreprise à une autre

C – Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des exigences en matière de droits de la défense

D – Sur le quatrième moyen, tiré d’une inexactitude matérielle des faits et d’une dénaturation des éléments de preuve

VI – L’évocation du litige

VII – Sur le recours en première instance

VIII – Sur les dépens

IX – Conclusion


1.       Les présentes affaires ont pour objet les pourvois formés par les sociétés Compañía Española para la Fabricación de Aceros Inoxidables, SA (Acerinox) (ci-après «Acerinox»), Krupp Thyssen Stainless GmbH (ci-après «KTS») et ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni SpA (ci-après «AST») contre les arrêts du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 décembre 2001 dans les affaires «extra d’alliage»  (2) . Ces affaires concernaient une entente sur les prix dans le domaine de l’acier inoxydable.

2.       L’un des moyens soulevés par les parties pose une question intéressante relative à la coopération des entreprises avec la Commission des Communautés européennes au cours de la procédure administrative. Il s’agira ainsi de déterminer si la Commission peut accorder une réduction d’amende plus importante aux entreprises ayant reconnu l’existence de l’infraction qu’à celles qui se sont limitées à reconnaître la matérialité des faits.

3.       Avant d’examiner ces moyens, il convient de rappeler les faits du litige et, en particulier, les liens unissant les différentes entreprises concernées. Ceux-ci présentent, en effet, une certaine importance pour l’examen des pourvois.

I –   Les faits du litige

4.       Krupp Thyssen Nirosta GmbH (ci-après «KTN») est une société de droit allemand, née le 1er janvier 1995 de la concentration des activités dans le secteur des produits plats en acier inoxydable de Thyssen Stahl AG (ci-après «Thyssen Stahl») et de Fried Krupp AG Hoesch‑Krupp (ci-après «Krupp»). Le 16 septembre 1997, sa dénomination sociale a été changée en KTS.

5.       AST est une société de droit italien dont l’une des principales activités est la production de produits plats en acier inoxydable. Elle a été créée le 1er janvier 1994 lors de la séparation des activités du groupe italien ILVA en trois entreprises distinctes. Le 21 décembre 1994, la Commission a autorisé l’acquisition conjointe d’AST par plusieurs entreprises, dont Krupp et Thyssen Stahl. Au mois de décembre 1995, Krupp a augmenté sa participation dans AST de 50 à 75 %, puis a acquis la totalité des parts d’AST, le 10 mai 1996. Ces parts ont ensuite été transférées à KTN, devenue par la suite KTS.

6.       Acerinox, quant à elle, est une société espagnole opérant dans le domaine de l’acier inoxydable et, en particulier, dans le secteur des produits plats.

7.       Le 16 mars 1995, à la suite d’informations parues dans la presse et de plaintes de consommateurs, la Commission a, en vertu de l’article 47 du traité CECA, demandé à plusieurs producteurs d’acier inoxydable de lui communiquer des informations sur l’application par lesdits producteurs d’une majoration commune des prix connue sous le nom d’«extra d’alliage».

8.       L’extra d’alliage est un supplément de prix, calculé en fonction des cours des éléments d’alliage, qui vient s’ajouter au prix de base de l’acier inoxydable. Le coût des éléments d’alliage utilisés dans la production d’acier inoxydable (à savoir le nickel, le chrome et le molybdène) représente une proportion importante des coûts de production. En outre, les cours de ces éléments sont extrêmement variables.

9.       Sur la base des informations recueillies, la Commission a, le 19 décembre 1995, adressé une communication des griefs à 19 entreprises.

10.     Aux mois de décembre 1996 et de janvier 1997, après que la Commission ait effectué une série de vérifications sur place, les avocats ou représentants de certaines entreprises ont fait connaître à la Commission leur désir de coopérer. À cet effet, des déclarations ont été adressées à la Commission, le 17 décembre 1996, par Acerinox, ALZ NV, Avesta Sheffield AB (ci-après «Avesta»), KTN et Usinor SA (ci-après «Usinor» ou «Ugine»), ainsi que le 10 janvier 1997, par AST.

11.     Le 24 avril 1997, la Commission a adressé à ces entreprises, ainsi qu’à Thyssen Stahl, une nouvelle communication des griefs qui a remplacé celle du 19 décembre 1995.

12.     Le 21 janvier 1998, elle a adopté la décision 98/247/CECA, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (Affaire IV/35.814 – Extra d’alliage)  (3) .

13.     Selon cette décision, les prix des éléments d’alliage de l’acier inoxydable ont considérablement baissé en 1993. Lorsque, à partir de septembre 1993, le cours du nickel a augmenté, les marges des producteurs ont diminué de manière importante. Pour faire face à cette situation, la plupart des producteurs de produits plats en acier inoxydable sont convenus, au cours d’une réunion tenue à Madrid le 16 décembre 1993 (ci-après la «réunion de Madrid»), d’augmenter de manière concertée leurs prix en modifiant les paramètres de calcul de l’extra d’alliage. À cet effet, ils ont décidé d’appliquer, à partir du 1er février 1994, un extra d’alliage calculé d’après une formule utilisée pour la dernière fois en 1991, en adoptant, pour tous les producteurs, comme valeurs de référence pour les éléments d’alliage, celles du mois de septembre 1993, au cours duquel le cours du nickel a atteint un minimum historique.

14.     La décision litigieuse précise que l’extra d’alliage, calculé sur la base des valeurs de référence nouvellement fixées, a été appliqué par tous les producteurs à leurs ventes en Europe à partir du 1er février 1994, sauf en Espagne et au Portugal.

15.     Aux termes de l’article 1er de la décision litigieuse, la Commission a estimé qu’Acerinox, ALZ NV, AST, Avesta, Krupp (KTN à partir du 1er janvier 1995), Thyssen Stahl (KTN à partir du 1er janvier 1995) et Usinor avaient enfreint l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA à partir du mois de décembre 1993 jusqu’en novembre 1996 pour Avesta et jusqu’à la date de la décision litigieuse pour toutes les autres entreprises, en modifiant et en appliquant de manière concertée les valeurs de référence de la formule de calcul de l’extra d’alliage. Cette pratique a eu pour objet et pour effet de restreindre et de fausser le jeu normal de la concurrence sur le marché commun.

16.     À l’article 2 de la décision litigieuse, la Commission a décidé d’imposer les amendes suivantes:

Acerinox: 3 530 000 écus,

ALZ NV: 4 540 000 écus,

AST: 4 540 000 écus,

Avesta: 2 810 000 écus,

KTN: 8 100 000 écus,

Usinor: 3 860 000 écus.

II –  Les recours devant le Tribunal et les arrêts attaqués

17.     Par requêtes déposées les 11 mars 1998 et 13 mars 1998, KTS, AST et Acerinox ont introduit des recours devant le Tribunal.

18.     Chacune des requérantes concluait à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à l’annulation de l’amende qui lui avait été infligée ou à la réduction du montant de celle-ci.

19.     Le Tribunal a partiellement accueilli ces demandes. Dans l’arrêt KTS et AST/Commission, il a annulé l’article 1er de la décision litigieuse, pour autant que celle-ci imputait à KTN la responsabilité de l’infraction commise par Thyssen Stahl, et a réduit à 4 032 000 euros le montant de l’amende infligée à KTS et à AST. Dans l’arrêt Acerinox/Commission, le Tribunal a réduit à 3 136 000 euros le montant de l’amende infligée à Acerinox.

III –  La procédure devant la Cour et les conclusions des pourvois

20.     Par requêtes déposées au greffe de la Cour respectivement les 22 février 2002 (C‑57/02 P) et 28 février 2002 (C‑65/02 P et C‑73/02 P), Acerinox, KTS et AST ont formé des pourvois contre les arrêts précités.

21.     Chacune des requérantes conclut à l’annulation de l’arrêt attaqué et à la condamnation de la Commission aux dépens. Acerinox et KTS demandent, en outre, à la Cour d’évoquer le litige et de prononcer l’annulation de la décision litigieuse ou, à tout le moins, la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée.

22.     Dans l’affaire C‑65/02 P, la Commission a formé un pourvoi incident contre l’arrêt KTS et AST/Commission. Elle demande à la Cour d’annuler cet arrêt dans la mesure où il a annulé la décision litigieuse (dans sa partie relative à l’infraction commise par Thyssen Stahl) et réduit le montant de l’amende infligée à KTN. La Commission demande également à la Cour de condamner KTS aux dépens de l’instance.

IV –  Sur les pourvois

23.     À l’appui de leurs conclusions, les trois sociétés requérantes soulèvent deux moyens d’annulation:

erreurs dans l’appréciation de la durée de l’infraction et

violation des droits de la défense, du principe d’égalité de traitement et du principe de protection de la confiance légitime.

24.     KTS et AST soulèvent, en outre, un autre moyen, tiré d’erreurs dans l’interprétation et l’application des principes relatifs à l’imputation de l’amende.

25.     Acerinox, quant à elle, soulève trois moyens supplémentaires:

erreur dans l’appréciation de ses arguments et défaut de motivation de l’arrêt attaqué;

violation de la notion de «pratique concertée», et

défaut de motivation de l’arrêt attaqué.

26.     Nous commencerons par examiner les moyens propres à Acerinox (points A à C), puis le moyen commun à KTS et à AST (point D) pour terminer par les moyens communs aux trois sociétés requérantes (points E et F).

A –   Sur le premier moyen, tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué

27.     En première instance, Acerinox avait soutenu que la Commission n’avait pas rapporté la preuve de l’existence d’un accord ou d’une pratique concertée concernant l’application de l’extra d’alliage sur le marché espagnol.

28.     Le Tribunal a rejeté ce moyen pour les raisons suivantes:

«29
Il y a lieu de rappeler que, en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction [...].

30
Toutefois, dès lors qu’il a été établi qu’une entreprise a participé à des réunions [...] au caractère manifestement anticoncurrentiel, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle a indiqué à ses concurrents qu’elle y participait dans une optique différente de la leur [...].

31
En l’espèce, il n’est pas contesté que la requérante a participé à la réunion de Madrid du 16 décembre 1993, au cours de laquelle [...] certains producteurs de produits plats en acier inoxydable se sont concertés sur l’utilisation, à partir de la même date, de valeurs de référence identiques dans la formule de calcul de l’extra d’alliage, et donc sur la fixation d’un élément du prix final de ces produits, en violation de l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA.

32
Il convient de rechercher, toutefois, si la requérante a établi, à suffisance, s’être distanciée de cette entente, de telle sorte qu’une infraction à l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA, ne saurait lui être reprochée.

33
[En ce qui concerne le marché espagnol], il n’est pas contesté [...] que, lors de cette réunion [de Madrid], Acerinox a manifesté sa volonté de ne pas appliquer l’extra d’alliage en Espagne, en raison de la situation économique y prévalant.

34
[En effet], le considérant 27 de la Décision rappelle [...] que, au cours de la[dite] réunion, ‘Acerinox a fait part de son intention de ne pas appliquer l’extra en Espagne, parce qu’elle consid[érait] que cette mesure n’entraînerait aucune progression de la demande et n’aurait pas d’effet positif pour l’industrie espagnole, enlisée dans une crise profonde’.

35
Dans la mesure où il est, dès lors, constant que, à la date de la réunion de Madrid, la requérante s’est distanciée de l’entente sur l’extra d’alliage pour autant que celle-ci visait le marché espagnol, le simple fait qu’elle ait participé à cette réunion ne permet donc pas de la considérer comme partie à une entente ayant pour objet de fixer les valeurs de références de l’extra d’alliage sur ce marché, en violation de l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA.

36
La finalité d’une telle entente étant, à cette date, contraire aux intérêts d’Acerinox, pour autant qu’elle visait le marché espagnol, seule la preuve d’un engagement de cette entreprise d’appliquer l’extra d’alliage sur son marché domestique serait donc constitutive d’une adhésion de sa part à une entente concernant l’Espagne [...].

37
Or, il ressort du dossier que [...] Avesta a, par télécopie du 14 janvier 1994, informé ses filiales, dont celle présente en Espagne, de la position exprimée par certains de ses concurrents concernant la date d’application de l’extra d’alliage sur leurs marchés domestiques. En ce qui concerne plus particulièrement Acerinox, il est indiqué:

‘Acerinox a déclaré que les extras d’alliage seraient applicables à compter du 1er avril 1994 (vous avez bien lu avril!)’ [‘Acerinox have announced that surcharges will be applied from 1st april 1994 (yes April!!!)’].

38
À cet égard, la requérante ne conteste pas la véracité des propos qui lui sont prêtés, mais se limite à faire valoir qu’une telle déclaration démontre, à plus forte raison, l’inexistence d’un accord ou d’une pratique concertée, à la date de la réunion de Madrid, portant sur l’application différée de l’extra d’alliage en Espagne. Il n’en demeure pas moins qu’une telle déclaration constitue la preuve de ce que, à la date du 14 janvier 1994, Acerinox avait, en tout état de cause, manifesté son intention d’appliquer un extra d’alliage en Espagne, selon les modalités convenues par les entreprises concernées lors de la réunion de Madrid, et avait donc adhéré à l’entente.

[...]

45
Il résulte de tout ce qui précède que la requérante doit être considérée comme ayant participé à l’entente [...], pour autant que cette entente visait l’application de cet extra d’alliage en Espagne, à partir de son adhésion à l’entente, au plus tard le 14 janvier 1994 [...].»

29.     Dans le premier moyen de son pourvoi, Acerinox reproche au Tribunal d’avoir constaté qu’elle avait participé à l’entente concernant le marché espagnol et d’avoir trouvé la preuve de cette participation dans la télécopie d’Avesta du 14 janvier 1994.

30.     Elle rappelle que, devant le Tribunal, elle avait expressément contesté le contenu, et donc la valeur probante, de cette télécopie. En retenant ce document comme élément de preuve de sa participation à l’entente sans répondre à ses arguments, le Tribunal aurait donc violé l’obligation de motivation qui lui incombe.

31.     Comme nous l’avons indiqué dans l’affaire Belgique/Commission  (4) , la Cour a rarement saisi les occasions de définir positivement le contenu de l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal. La jurisprudence actuelle permet cependant de dégager certains principes.

32.     On peut considérer que la motivation d’un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel  (5) . S’agissant d’un recours fondé sur l’article 230 CE ou sur l’article 33 du traité CECA, l’exigence de motivation implique évidemment que le Tribunal examine les moyens d’annulation invoqués par le requérant et expose les raisons qui conduisent au rejet du moyen ou à l’annulation de l’acte attaqué.

33.     Il est cependant évident que, pour pouvoir répondre valablement à un moyen d’annulation, le Tribunal doit, au préalable, avoir correctement compris ce moyen. Si le Tribunal se méprend sur le sens d’un des moyens avancés par le requérant, il peut, de ce fait, déclarer à tort ce moyen irrecevable  (6) ou rejeter au fond un moyen autre que celui qui est effectivement invoqué  (7) . Dans les deux cas, le Tribunal méconnaît l’obligation de motivation qui lui incombe puisqu’il ne répond pas au moyen effectivement soulevé par le requérant.

34.     En l’espèce, nous pensons que le Tribunal a commis une erreur de cette nature.

35.     En effet, aux points 36 à 38 de l’arrêt attaqué, il a jugé qu’Acerinox avait participé à l’entente pour autant qu’elle concernait le marché espagnol. Il a trouvé la preuve de cette participation dans la télécopie d’Avesta du 14 janvier 1994, qui indique qu’«Acerinox a annoncé que les extras seront appliqués à partir du 1er avril 1994 (vous avez bien lu avril!)», et dans le fait que, selon lui, «la requérante ne contest[ait] pas la véracité des propos qui lui [étaient] prêtés».

36.     Or, contrairement à ce qu’il indique, Acerinox avait expressément contesté le contenu de cette télécopie. Dans sa requête, elle avait précisé que «[c]ette information concernant l’‘annonce’ faite par la requérante [...] était inexacte» et qu’«[a]ucune ‘annonce’ de la sorte n’a[vait] été faite»  (8) .

37.     Même si, comme nous le verrons  (9) , cette contestation n’était pas particulièrement ferme, il n’en reste pas moins qu’elle était réelle: devant le Tribunal, Acerinox avait contesté le contenu, et donc la valeur probante, de la télécopie d’Avesta du 14 janvier 1994.

38.     Dans ces conditions, nous pensons que le Tribunal ne pouvait pas retenir ce document comme élément de preuve sans expliquer en quoi la contestation de la requérante devait être rejetée. En omettant de répondre aux arguments avancés par la requérante, il a violé l’obligation de motivation qui lui incombe en vertu des articles 36 et 53 du statut de la Cour de justice.

39.     Nous proposons donc à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué sur ce point. Cette annulation n’étant cependant que partielle, il convient de poursuivre l’examen des autres moyens invoqués par les requérantes  (10) .

B –   Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de la notion de «pratique concertée»

40.     Le deuxième moyen d’annulation vise les points 29 à 45 de l’arrêt Acerinox/Commission.

41.     Le Tribunal y a développé le raisonnement suivant:

«29
Il y a lieu de rappeler que, en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction [...].

[…]

40
En ce qui concerne [l’application de l’extra d’alliage dans les pays de la Communauté européenne autres que l’Espagne], les arguments de la requérante [...] se fondent sur une conception erronée des exigences en matière de preuve posées par l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA.

41
Il convient, en effet, de constater que la requérante n’apporte pas la preuve que, lors de la réunion de Madrid, elle se serait distanciée des autres participants à la réunion en manifestant son intention de ne pas appliquer l’extra d’alliage dans les pays de la Communauté européenne autres que l’Espagne. À cet égard, il ressort, au contraire, du dossier que, dans sa déclaration du 17 décembre 1996 en réponse aux questions de la Commission, la requérante n’a pas prétendu que, lors de la réunion de Madrid, elle avait adopté la même attitude que celle choisie à propos de l’application de l’extra d’alliage en Espagne [...].

42
En outre, il ressort de cette même déclaration que la requérante a appliqué un extra d’alliage sur ses produits dès le mois de février 1994 au Danemark, puis, au mois de mars, en Allemagne, en Norvège et en Suède, au mois d’avril, en Irlande, au Portugal, au Royaume-Uni, ainsi qu’en Italie, et, enfin, en France et en Belgique, au mois de mai 1994.

43
Or, la requérante ne saurait utilement faire valoir que l’alignement de ses extras d’alliage sur ceux appliqués par les autres producteurs présents sur ces marchés résultait d’un simple parallélisme de comportements dû à la structure oligopolistique du marché des produits plats en acier inoxydable, ainsi qu’aux règles de transparence instaurées par l’article 60 du traité CECA. S’il résulte, certes, de la jurisprudence qu’un parallélisme de comportement ne peut être considéré comme apportant la preuve d’une concertation que si la concertation en constitue la seule explication plausible [...], il n’en demeure pas moins, en l’espèce, que la Commission a apporté la preuve de l’existence d’une concertation préalable, entre les entreprises concernées, dont l’objet était l’utilisation et l’application de valeurs de référence identiques dans la formule de calcul de l’extra d’alliage.

[...]

45
Il résulte de tout ce qui précède que la requérante doit être considérée comme ayant participé à l’entente à partir du 16 décembre 1993, date de la réunion de Madrid, pour autant que celle-ci visait l’application, dans les États membres de la Communauté à l’exception de l’Espagne, d’un extra d’alliage calculé sur la base des valeurs de référence convenues entre les entreprises [...].»

42.     Dans son deuxième moyen, Acerinox reproche au Tribunal d’avoir méconnu la notion de «pratique concertée» au sens de l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA.

43.     Elle rappelle que, en vertu de la jurisprudence, cette notion implique, non seulement une concertation entre les entreprises concernées, mais également un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments.

44.     Or, au point 43 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait constaté que la requérante a participé à l’infraction sans établir le lien de causalité entre la réunion de Madrid et son comportement sur le marché.

45.     À titre liminaire, on notera que, contrairement à ce que suggère Acerinox, le Tribunal n’a pas qualifié l’infraction de «pratique concertée» au sens de l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA. Il s’est limité à se référer à l’«entente», sans préciser si celle-ci avait la forme d’un accord ou d’une pratique concertée. Toutefois, même en se fondant sur l’hypothèse de la qualification retenue par Acerinox, son moyen devrait être rejeté.

46.     Il est vrai que, en vertu de la jurisprudence (11) , la notion de «pratique concertée» implique, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments. Il est donc acquis que, dans le cadre de l’interprétation de cette notion, on ne peut pas considérer que la concertation a nécessairement produit des effets sur le comportement des entreprises qui y ont participé  (12) .

47.     Toutefois, aux termes de la même jurisprudence, la Cour estime qu’«il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché»  (13) . La Cour a précisé qu’une telle présomption était compatible avec le principe de la présomption d’innocence  (14) ainsi qu’avec les règles applicables en matière de charge de la preuve  (15) .

48.     Il en résulte que le Tribunal est en droit de présumer, sauf preuve contraire qu’il appartient à l’entreprise concernée de rapporter, que la concertation a influencé le comportement des parties sur le marché  (16) .

49.     Or, en l’espèce, Acerinox n’a pas démontré, ni même soutenu, qu’elle avait rapporté cette preuve contraire devant le Tribunal.

50.     Dans la mesure où la Commission avait rapporté la preuve de l’existence d’une concertation préalable entre les entreprises concernées, le Tribunal pouvait donc valablement présumer que la requérante avait tenu compte des informations échangées pour déterminer son comportement sur le marché et qu’elle avait dès lors participé à l’entente relative aux pays autres que l’Espagne.

51.     Contrairement à ce que soutient Acerinox, le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur de droit dans l’interprétation ou l’application de la notion de «pratique concertée».

C –   Sur le troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué

52.     Par son troisième moyen, Acerinox reproche au Tribunal de ne pas avoir suffisamment motivé le point 90 de l’arrêt Acerinox/Commission.

53.     En première instance, elle avait soutenu que les amendes infligées par la Commission étaient disproportionnées. Selon elle, la Commission n’était pas en droit de fixer un point de départ uniforme pour le calcul du montant de l’amende pour l’ensemble des sociétés concernées puisqu’il existait d’importantes différences de taille entre lesdites sociétés.

54.     Le Tribunal a rejeté cet argument pour les raisons suivantes:

«77
Il y a lieu de rappeler [...] que, dans la Décision, la Commission a déterminé le montant des amendes imposées aux entreprises en cause, et en particulier à la requérante, en faisant application de la méthode définie dans les lignes directrices [pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3) (ci-après les ‘lignes directrices’)].

78
Selon cette méthode, la Commission prend comme point de départ un montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction [...] Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les ‘infractions peu graves’ [...], les ‘infractions graves’ [...] et les ‘infractions très graves’ [...].

[...]

80
À l’intérieur de chacune des trois catégories [...], il peut convenir de pondérer, dans certains cas, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature et d’adapter en conséquence le point de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (point 1 A, sixième alinéa).

81
En l’espèce, la Commission a considéré, au regard de la gravité de l’infraction, que le point de départ du calcul du montant de l’amende devait être fixé à 4 millions d’écus pour toutes les entreprises concernées [...]. [E]n évaluant si des ‘disparités considérables’ existaient entre les entreprises ayant participé à l’infraction, la Commission a estimé que toutes les entreprises sont de grande dimension et que, par conséquent, il n’y avait pas lieu d’effectuer de différenciation entre les montants retenus au titre de la gravité de l’infraction [...].

[...]

87
Quant à l’argument de la requérante tiré de ce que les amendes infligées ne tiendraient pas compte de la puissance respective des entreprises concernées au regard de leurs parts de marché, il doit également être rejeté.

88
Il convient, certes, de rappeler que les parts de marché détenues par une entreprise sont pertinentes afin de déterminer l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché, mais qu’elles ne sauraient être déterminantes afin de conclure qu’une entreprise appartient à une entité économique puissante [...].

89
Or, selon une jurisprudence constante, parmi les éléments d’appréciation de la gravité d’une infraction, peuvent, selon le cas, figurer le volume et la valeur des produits faisant l’objet de l’infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l’entreprise [...].

90
Dès lors, en l’espèce, la Commission a pu, à bon droit, se fonder, notamment, sur la taille et la puissance économique des entreprises concernées en constatant qu’elles étaient toutes de grande dimension, après avoir précédemment relevé que les six entreprises concernées représentaient plus de 80 % de la production européenne de produits finis en acier inoxydable (considérant 9 de la Décision). À cet égard, la comparaison effectuée par la requérante entre sa part de marché, d’environ 11 %, et celles d’Ugine, d’AST et d’Avesta, d’environ 18, 15 et 14 %, respectivement, n’est pas de nature à révéler une ‘disparité considérable’ entre ces entreprises, au sens du point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices, justifiant nécessairement une différenciation aux fins de l’appréciation de la gravité de l’infraction.

91
Dans ces conditions, le montant de l’amende infligée à la requérante ne saurait être considéré comme disproportionné [...].»

55.     Acerinox soutient que le point 90 de l’arrêt précité n’est pas suffisamment motivé pour deux raisons.

56.     D’abord, cette motivation ne permettrait pas de comprendre les raisons pour lesquelles le Tribunal a estimé que la comparaison des parts de marché de la requérante avec celles d’Usinor, d’AST et d’Avesta n’était pas de nature à révéler une «disparité considérable» entre ces entreprises, ni le degré de différence requis pour correspondre au critère retenu par le Tribunal.

57.     Ensuite, le Tribunal ne pouvait pas, dans le cadre de l’examen de la compatibilité du calcul de l’amende avec les lignes directrices, se limiter à vérifier s’il existait une «disparité considérable» entre les entreprises en cause. En effet, l’existence d’une telle disparité ne constituerait que l’un des cas où il peut être justifié de pondérer le montant de l’amende pour tenir compte du poids respectif des entreprises ayant participé à l’infraction.

58.     S’agissant du premier argument, on rappellera que la motivation d’un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle  (17) . On rappellera également que, s’agissant d’un recours fondé sur l’article 33 du traité CECA, l’obligation de motivation exige que le Tribunal examine les moyens invoqués par le requérant et expose les raisons qui conduisent au rejet du moyen ou à l’annulation de l’acte attaqué.

59.     Dans les arrêts Connolly/Commission  (18) et Belgique/Commission, précité, la Cour a cependant posé des limites à cette obligation de réponse aux moyens invoqués. Elle a considéré que la motivation d’un arrêt doit être appréciée au regard des circonstances de l’espèce  (19) et ne saurait exiger que le Tribunal soit tenu de répondre, dans le détail, à chaque argument invoqué par le requérant  (20) . Cette obligation de réponse détaillée cesse lorsque l’argument du requérant ne revêt pas un caractère suffisamment clair et précis ou lorsqu’il ne repose pas sur des éléments de preuve circonstanciés  (21) . Selon nous, cette obligation doit également cesser lorsque la réponse à l’argument du requérant est à ce point évidente qu’elle n’exige aucune explication.

60.     En l’espèce, il ressort du point 90 de l’arrêt attaqué que, pour le Tribunal, la différence entre la part de marché de la requérante et celles des autres sociétés concernées n’était pas suffisante pour constituer une «disparité considérable» au sens du point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices.

61.     Toutefois, contrairement à Acerinox, nous pensons qu’il n’était pas nécessaire que le Tribunal précise le critère retenu «pour parvenir à une telle conclusion, [ou] le degré de différence susceptible de correspondre [à ce] critère»  (22) .

62.     En effet, il était évident que, quel que soit le contenu donné à la notion de «disparité considérable dans la dimension des entreprises» au sens du point 1A, sixième alinéa, des lignes directrices, une différence de trois à sept points dans le pourcentage des parts de marché des sociétés concernées ne pouvait, en aucun cas, constituer une disparité telle qu’elle devait contraindre la Commission à pondérer le montant de l’amende en application des lignes directrices. La réponse à cet argument était donc à ce point évidente qu’elle n’exigeait aucune explication supplémentaire.

63.     Quant au second argument d’Acerinox, il ne nous paraît pas davantage fondé.

64.     On sait, en effet, que, dans les lignes directrices  (23) , l’existence d’une «disparité considérable dans la dimension des entreprises» ne constitue que l’un des cas dans lesquels il peut être justifié de pondérer le montant de l’amende, les autres cas ayant été laissés ouverts par les lignes directrices.

65.     On sait également que, devant le Tribunal, Acerinox n’avait visé que ce cas puisqu’elle avait soutenu que la Commission aurait dû pondérer le montant de l’amende en raison «d’importantes différences de tailles entre les sociétés»  (24) .

66.     Dans ces conditions, la thèse d’Acerinox revient à transférer au Tribunal la charge d’examiner, de sa propre initiative, l’ensemble des éléments pouvant justifier une pondération de l’amende. En effet, en soutenant que celui-ci ne pouvait pas se limiter à vérifier s’il existait une disparité considérable dans la dimension des entreprises puisque l’existence d’une telle disparité ne constitue que l’un des cas visés par les lignes directrices, Acerinox fait valoir, en substance, que l’obligation de motivation imposait au Tribunal les obligations suivantes:

imaginer l’ensemble des hypothèses dans lesquelles, en vertu des lignes directrices, le montant de l’amende peut être pondéré afin de tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise;

imaginer l’ensemble des arguments qu’Acerinox aurait pu invoquer pour contester la décision de la Commission portant refus de procéder à une telle pondération, et

vérifier la légalité de la décision de la Commission au regard des critères ainsi définis.

67.     Il nous semble que, même dans un recours de pleine juridiction formé en vertu des articles 229 CE ou 36, deuxième alinéa, du traité CECA, l’exigence de motivation n’impose pas une telle obligation au juge communautaire. Acerinox n’a, en tout cas, avancé aucun élément qui permettrait d’en douter.

68.     Nous proposons donc à la Cour de rejeter le troisième moyen comme non fondé.

D –   Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs dans l’interprétation et dans l’application des règles relatives à l’imputation de l’amende

69.     Le quatrième moyen est dirigé contre les points 189 à 192 de l’arrêt KTS et AST/Commission.

70.     Devant le Tribunal, KTS et AST avaient reproché à la Commission d’avoir imposé trois amendes distinctes à KTN, à AST et à Thyssen Stahl. Elles avaient soutenu que, en raison de la relation de groupe existant entre ces sociétés, la Commission aurait dû imposer une seule amende à KTN, couvrant à la fois les activités de KTN, celles d’AST et celles de Thyssen Stahl.

71.     Le Tribunal a rejeté cet argument pour les raisons suivantes:

«189
Selon une jurisprudence constante, le comportement anticoncurrentiel d’une entreprise peut être imputé à sa société mère lorsqu’elle n’a pas déterminé son comportement sur le marché de façon autonome, mais a appliqué pour l’essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient [...].

190
En l’espèce, il convient de rappeler [...] qu’AST a fait l’objet d’une acquisition conjointe par Krupp et un consortium italien. Par la suite, au mois de décembre 1995, Krupp a augmenté sa participation dans AST de 50 à 75 %, puis a acquis la totalité des parts d’AST, le 10 mai 1996. Ces parts ont ensuite été transférées à KTN, puis à KTS.

191
Toutefois, les requérantes ne soutiennent pas, ni à plus forte raison ne démontrent que, même après sa filialisation, AST a participé à l’entente faisant l’objet de la Décision en raison d’instructions imparties par sa société mère, et non pas de manière autonome. Il y a lieu de relever, au contraire, qu’elles ne contestent pas avoir agi de façon indépendante pendant toute la durée de l’entente.

192
Dès lors, ce moyen doit être rejeté.»

72.     Dans leur pourvoi, KTS et AST formulent trois griefs à l’encontre du raisonnement du Tribunal.

73.     Premièrement, elles estiment que le Tribunal a méconnu le principe d’égalité de traitement. Selon elles, lorsque la Commission fixe le montant de l’amende en se fondant sur un montant de base forfaitaire, le principe d’égalité de traitement exigerait que ce montant soit identique pour chaque entreprise ayant participé à l’infraction. Or, en l’espèce, le Tribunal aurait admis qu’une même entreprise (à savoir KTS) puisse se voir infliger deux fois le montant de base de l’amende (une fois pour AST et une fois pour KTN, devenue KTS).

74.     Deuxièmement, AST soutient que le Tribunal a fait une application erronée du droit communautaire. Selon elle, les premiers juges auraient dû appliquer l’arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission  (25) , selon lequel l’infraction commise par une filiale peut être imputé à la société mère lorsque celle-ci n’a pas pu ignorer le comportement anticoncurrentiel de sa filiale. Cette application correcte du droit communautaire aurait exigé, en l’espèce, que l’amende fût imposée uniquement à KTN puisque celle-ci n’ignorait pas le comportement anticoncurrentiel de sa filiale, AST.

75.     Enfin, KTS affirme que le Tribunal s’est rendu coupable d’un défaut de motivation et d’un déni de justice au motif qu’il n’a pas examiné son moyen concernant l’imputation d’amendes distinctes à Thyssen Stahl et à KTN.

76.     KTS reconnaît que, aux points 55 à 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal avait déjà annulé la décision litigieuse en tant qu’elle imputait à KTN l’infraction commise par Thyssen Stahl  (26) . Toutefois, elle souligne que cette annulation est intervenue pour des raisons d’ordre procédural, à savoir une violation des droits de la défense de KTN. Rien n’empêcherait donc la Commission de recommencer la procédure administrative en remédiant à cette irrégularité et d’adopter une décision identique, au fond, à la décision litigieuse. KTS en déduit que, nonobstant l’annulation de cette décision en raison de la violation des droits de la défense de KTN, le Tribunal était tenu d’examiner le moyen qu’elle avait avancé au fond.

77.     S’agissant du premier grief, nous pensons qu’il repose sur une conception manifestement erronée de la notion d’«entreprise».

78.     En effet, il est constant que, en droit de la concurrence, la notion d’«entreprise» désigne une «unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes, physiques ou morales»  (27) . À cet égard, la Cour considère qu’une société mère et sa filiale forment une unité économique lorsque la filiale «ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère»  (28) .

79.     Or, en l’espèce, le Tribunal a constaté qu’AST avait agi de façon autonome pendant toute la durée de l’infraction. Au moment de l’infraction, AST et KTN constituaient donc deux entreprises distinctes et non, comme le soutient AST, une entité économique unique. Le Tribunal n’a donc pas méconnu le principe d’égalité de traitement puisque, conformément à ce principe, le montant de base de l’amende était identique pour chaque entreprise ayant participé à l’infraction, dont AST et KTN.

80.     S’agissant du deuxième grief, il faut rappeler, d’une part, qu’AST a été acquise par KTN au cours de la période d’infraction et, d’autre part, faire une distinction entre la période antérieure à cette acquisition et la période postérieure à celle-ci.

81.     Pour ce qui est de la période antérieure à l’acquisition, il suffit de noter que, dans l’arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission  (29) , la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité, sur le point invoqué par AST. La Cour a expressément jugé que le fait, pour une société mère, de savoir que sa filiale avait participé à une entente pendant la période antérieure à son acquisition ne suffisait pas pour lui imputer la responsabilité des infractions commises par ladite filiale pendant cette période.

82.     Dès lors, on ne saurait reprocher au Tribunal de ne pas avoir appliqué le critère retenu dans son arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité.

83.     Pour ce qui est de la période postérieure à l’acquisition, on rappellera que le critère décisif est de savoir si la filiale a agi de manière autonome ou en raison d’instructions émanant de sa société mère. Il ressort, en effet, d’une jurisprudence constante que «le comportement anticoncurrentiel d’une entreprise peut être imputé à une autre lorsqu’elle n’a pas déterminé son comportement sur le marché de façon autonome, mais a appliqué pour l’essentiel les directives émises par cette dernière, eu égard en particulier aux liens économiques et juridiques qui les unissaient»  (30) .

84.     Il est vrai que, dans l’arrêt du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission  (31) , la Cour semble avoir utilisé un critère légèrement différent, qui se rapproche du critère de la connaissance préconisé par AST. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que la société mère était responsable de l’infraction commise par sa filiale pendant la période postérieure à son acquisition au motif que, ayant elle-même participé à l’infraction par l’intermédiaire d’une autre filiale, elle «connaissait et approuvait aussi nécessairement la participation de [sa première filiale] à l’infraction»  (32) .

85.     Toutefois, cette légère divergence de jurisprudence (ou ce qui semble l’être à première vue) n’a aucune incidence sur la réponse à donner au deuxième grief d’AST.

86.     En effet, indépendamment du fait que la Cour n’a pas confirmé le critère de la connaissance dans sa jurisprudence ultérieure, AST n’a, en tout état de cause, pas établi qu’un tel critère comporte l’obligation, pour la Commission, de remonter jusqu’à la société mère. Autrement dit, AST n’a pas démontré que, à supposer même que l’on doive retenir le critère de la connaissance, la Commission est, dans ce cas, tenue d’imputer le comportement anticoncurrentiel de la filiale à la société mère.

87.     Il nous semble, au contraire, que, même dans un tel cas, l’imputation de la responsabilité de l’infraction à la société mère devrait rester une simple faculté pour la Commission. Toute autre solution reviendrait à priver la Commission du large pouvoir d’appréciation que le législateur et le juge communautaires lui ont reconnu en matière d’amendes  (33) .

88.     Dans ces conditions, nous pensons que, quel que soit le critère retenu (celui du contrôle effectif ou celui de la connaissance), le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le comportement anticoncurrentiel d’AST pendant la période postérieure à son acquisition pouvait être imputé à AST et non à KTN.

89.     Enfin, s’agissant du troisième grief, nous rappellerons que l’une des préoccupations majeures du Tribunal, comme de la Cour, est de réduire, autant que possible, la durée de ses procédures et la longueur de ses arrêts. Or, KTS ne semble pas partager le même souci.

90.     Sa thèse revient, en effet, à considérer que, lorsqu’il décide de prononcer l’annulation d’un acte en raison d’un vice de forme ou d’un vice de procédure, le juge communautaire doit néanmoins poursuivre l’examen des autres moyens invoqués au fond, afin de déterminer si l’institution défenderesse pourra reprendre une décision identique à l’issue de la nouvelle procédure administrative.

91.     Il est évident que cette thèse ne saurait être admise dans la mesure où elle contrevient au principe de l’économie des moyens, qui régit le contentieux de la légalité.

92.     En effet, conformément à ce principe, le juge de la légalité, lorsqu’il décide d’accueillir un moyen et de prononcer l’annulation de l’acte attaqué, n’est plus tenu d’examiner les autres moyens invoqués par le demandeur. Il peut se limiter à fonder sa décision d’annulation sur un seul des moyens soulevés par le requérant.

93.     Il est vrai que, dans certains cas, le juge communautaire a, nonobstant sa décision d’annuler l’acte attaqué, décidé de poursuivre l’examen des autres griefs invoqués par le requérant. Toutefois, il lui appartient d’apprécier souverainement si une bonne administration de la justice justifie une telle décision et il ne saurait, en aucun cas, être tenu de procéder à cet examen ou de justifier son choix à cet égard.

94.     Compte tenu de ces différents éléments, nous proposons donc à la Cour de rejeter le quatrième moyen, invoqué par AST et KTS.

E –   Sur le cinquième moyen, tiré d’erreurs dans l’appréciation de la durée de l’infraction

95.     Le cinquième moyen est commun aux trois sociétés requérantes.

96.     En première instance, elles avaient soutenu que la Commission avait mal apprécié la durée de l’infraction en considérant que la concertation avait débuté avec la réunion de Madrid, en décembre 1993, et s’était poursuivie jusqu’au jour de l’adoption de la décision litigieuse. Selon elles, la modification des valeurs de référence de la formule de l’extra d’alliage, décidée lors de la réunion de Madrid, n’aurait eu qu’un caractère ponctuel et non continu.

97.     Le Tribunal a écarté ce moyen pour les raisons suivantes  (34) :

«174
Ainsi qu’il résulte de la jurisprudence, il appartient à la Commission de prouver non seulement l’existence de l’entente mais aussi sa durée [...].

175
En l’espèce, il convient donc d’examiner si la Commission, lorsqu’elle a constaté [...] que la concertation s’est poursuivie jusqu’au jour de l’adoption de la Décision, s’est acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait [...].

176
Il importe, tout d’abord, de rappeler que l’objet de l’entente consistait en l’utilisation, dans la formule de calcul de l’extra d’alliage, de valeurs de référence identiques par les producteurs de produits plats en acier inoxydable en vue d’un relèvement de leur prix final, dont l’extra d’alliage représente une part importante.

177
Ainsi qu’il résulte de la Décision, cette entente a débuté lors de la réunion de Madrid du 16 décembre 1993, date à laquelle il a été décidé par les entreprises participantes d’appliquer l’extra d’alliage ainsi calculé à partir du 1er février 1994. Il a également été constaté que, à compter de cette dernière date, ces entreprises, parmi lesquelles KTN et AST, avaient effectivement appliqué à leurs ventes en Europe, sauf en Espagne et au Portugal, un extra d’alliage calculé sur la base de la formule fondée sur les valeurs de référence convenues lors de la réunion de Madrid. Enfin, il a été relevé, au considérant 50 de la Décision, que seule Avesta avait annoncé, au mois de novembre 1996, recourir à une autre méthode de calcul de l’extra d’alliage.

178
Force est de constater que les requérantes ne contestent pas, et n’ont pas contesté durant la procédure administrative, que les valeurs de référence de l’extra d’alliage, telles que convenues lors de la réunion de Madrid, n’ont pas été modifiées avant l’adoption de la Décision. Or, dès lors que les entreprises en cause ont continué à appliquer effectivement les valeurs de référence dont elles étaient convenues au cours de ladite réunion, le fait qu’aucune décision explicite n’ait alors été prise quant à la durée d’application de l’entente ne saurait démontrer le caractère ponctuel, et non pas continu, de celle-ci.

[…]

181
Enfin, il importe de rappeler que, dans le cas d’ententes qui ont cessé d’être en vigueur, il suffit, pour que l’article 85 du traité CE soit applicable, et, par analogie, l’article 65 du traité CECA, qu’elles poursuivent leurs effets au-delà de leur cessation formelle [arrêts de la Cour du 15 juin 1976, EMI Records, 51/75, Rec. p. 811, point 15, et du 3 juillet 1985, Binon, 243/83, Rec. p. 2015, point 17, ainsi que arrêts du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T‑2/89, Rec. p. II‑1087, point 212, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 95]. Il en est ainsi, à plus forte raison, lorsque, comme en l’espèce, les effets de l’entente ont perduré jusqu’à l’adoption de la Décision, sans qu’il ait été formellement mis fin à l’entente.

182
Il résulte de ces éléments que, dans la mesure où [KTN, AST et Acerinox] n’avaient pas renoncé à appliquer les valeurs de référence convenues lors de la réunion de Madrid avant l’adoption de la Décision, la Commission a pu considérer, à bon droit, que l’infraction avait perduré jusqu’à cette date.»

98.     Bien que les pourvois soient particulièrement confus sur ce point, on peut considérer que le cinquième moyen se compose de quatre branches, que nous examinerons successivement.

99.     Dans une première branche, KTS et AST avancent divers arguments visant à démontrer que l’entente n’a pas duré du mois de décembre 1993 au mois de janvier 1998, comme l’a jugé le Tribunal, mais qu’elle a cessé (quelques semaines) après la réunion de Madrid, une fois que la nouvelle formule de l’extra d’alliage fût introduite  (35) .

100.   Sur ce point, on rappellera que, en vertu d’une jurisprudence constante  (36) , la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise au contrôle de la Cour.

101.   Or, en l’espèce, le Tribunal a constaté, sur la base des éléments produits par la Commission, que «l’entente a débuté lors de la réunion de Madrid du 16 décembre 1993»  (37) et que «les entreprises en cause ont continué à appliquer effectivement les valeurs de référence dont elles étaient convenues au cours de ladite réunion [jusqu’à l’adoption de la décision litigieuse]» (38) .

102.   Dans ces conditions, la première branche du moyen est manifestement irrecevable. En effet, dans la mesure où les requérantes n’ont pas démontré, ni même soutenu, que le Tribunal avait dénaturé les éléments de faits et de preuve produits devant lui, son appréciation relative à la durée de l’infraction constitue une constatation de fait qui ne peut être mise en cause dans le cadre des présents pourvois.

103.   La deuxième branche vise le point 63 de l’arrêt Acerinox/Commission, qui correspond au point 181 de l’arrêt KTS et AST/Commission, reproduit ci-dessus.

104.   Acerinox estime que ce point est entaché d’une erreur de droit dans la mesure où aucun des arrêts cités par le Tribunal n’étaye la thèse selon laquelle les articles 81 CE et 65 du traité CECA pourraient s’appliquer à des ententes qui ont cessé d’être en vigueur mais qui «poursuivent leurs effets au-delà de leur cessation formelle». Une analyse de ces arrêts démontrerait, au contraire, que, pour appliquer l’article 81 CE, le juge communautaire exige toujours un élément de concertation entre les entreprises. Or, cet élément ferait défaut en l’espèce puisque la concertation entre les parties aurait cessé dès les premiers mois de l’année 1994.

105.   Comme l’a souligné la Commission, ce grief repose sur une prémisse erronée. En effet, Acerinox part du principe que, selon le Tribunal, l’entente n’a duré que quelques semaines (de la réunion de Madrid jusqu’au début 1994), mais qu’elle a poursuivi ses effets au-delà de sa cessation.

106.   Or, comme nous venons de le voir, le Tribunal a jugé que l’entente avait débuté lors de la réunion de Madrid, en décembre 1993, et s’était poursuivie jusqu’au jour de l’adoption de la décision litigieuse, le 21 janvier 1998.

107.   Dans ces conditions, le grief avancé par Acerinox est inopérant  (39) . En effet, à supposer même qu’il soit fondé (c’est-à-dire que le Tribunal ait effectivement commis une erreur dans l’interprétation de la jurisprudence qu’il a citée), ce grief ne pourrait pas conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué puisque le dispositif de cet arrêt resterait fondé sur le fait que, pour le Tribunal, l’entente, et donc la concertation, ont duré du mois de décembre 1993 jusqu’au 21 janvier 1998.

108.   Dans la troisième branche, KTS et AST reprochent au Tribunal d’avoir inclus la procédure administrative dans la durée de l’infraction. Selon elles, cette inclusion serait contraire au principe de protection de la confiance légitime puisque, lors de la procédure administrative, la Commission ne leur aurait pas clairement indiqué qu’elle considérait que l’infraction se poursuivait.

109.   Il convient de rappeler que, en l’espèce, le Tribunal a considéré que la Commission avait clairement informé les requérantes que l’infraction se poursuivait pendant la procédure administrative. Au point 215 de l’arrêt KTS et AST/Commission, il a jugé:

«[...] il ne saurait [...] être fait grief [à la Commission] d’avoir considéré l’infraction comme continue, sans en avertir les requérantes durant la procédure administrative. En effet, au point 50 de la communication des griefs qui leur a été adressée le 24 avril 1997, la Commission a indiqué clairement que ‘la concertation a débuté avec la réunion de Madrid en décembre 1993 et s’est poursuivie depuis lors’».

110.   Dans ces conditions, la troisième branche du moyen est manifestement irrecevable. En effet, dans la mesure où les requérantes n’ont pas démontré, ni même soutenu, que le Tribunal avait dénaturé les éléments de faits et de preuve sur ce point, son appréciation relative à l’information reçue par les requérantes au cours de la procédure administrative constitue une appréciation des éléments de faits et de preuve qui ne peut être mise en cause dans le cadre des présents pourvois.

111.   En tout état de cause, cette branche est manifestement dépourvue de tout fondement.

112.   En effet, on sait que, en vertu d’une jurisprudence constante, le principe de protection de la confiance légitime ne peut pas être invoqué par une personne qui s’est rendue coupable d’une violation manifeste de la réglementation en vigueur  (40) . Une entreprise qui adopte délibérément un comportement anticoncurrentiel n’est donc pas fondée à invoquer une violation de ce principe sous prétexte que la Commission ne lui aurait pas clairement indiqué que son comportement constituait une infraction.

113.   Sur ce point, la thèse des requérantes laisse, d’ailleurs, perplexe. Au final, elle revient à considérer qu’une entreprise peut enfreindre les règles de concurrence tant que la Commission n’a pas attiré son attention sur le caractère infractionnel de son comportement. Il est évident que l’on ne saurait admettre une telle inversion de la logique des règles du traité en matière de concurrence.

114.   Enfin, dans la quatrième branche, Acerinox reproche au Tribunal d’avoir violé l’obligation de motivation qui lui incombe. Elle rappelle que, en première instance, elle avait soutenu que l’infraction avait cessé en juillet 1994 au motif que, à cette date, les cours du nickel avaient atteint leur niveau initial. Or, le Tribunal aurait rejeté cet argument comme non pertinent «sans aucune autre explication»  (41) .

115.   Une simple lecture du point 62 de l’arrêt Acerinox/Commission suffit pour s’apercevoir que le grief est manifestement non fondé. Le Tribunal y a indiqué, en effet:

«[...] est dépourvu de pertinence et doit être rejeté l’argument de la requérante selon lequel l’entente aurait duré, tout au plus, jusqu’en juillet 1994, lorsque les cours du nickel ‘ont atteint leur niveau initial’. En effet, dans la mesure où les valeurs de référence des éléments d’alliage faisant l’objet de l’infraction sont restées inchangées, le fait que le prix du nickel ait rejoint, à une certaine date, son ‘niveau initial’ ne signifie nullement que l’infraction a alors cessé de produire ses effets anticoncurrentiels, mais simplement que l’extra d’alliage devait précisément être calculé en prenant en compte une telle évolution».

116.   Contrairement à ce que soutient Acerinox, le Tribunal a donc exposé les raisons conduisant au rejet de l’argument et a satisfait ainsi à l’obligation formelle de motivation qui lui incombe.

117.   Dans ces conditions, nous proposons à la Cour de rejeter l’intégralité du cinquième moyen.

F –   Sur le sixième moyen, tiré de la violation des droits de la défense, du principe d’égalité de traitement et du principe de protection de la confiance légitime

118.   Le sixième moyen d’annulation est dirigé contre l’appréciation du Tribunal relative à la coopération des requérantes au cours de la procédure administrative. Cette appréciation portait, notamment, sur la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes  (42) .

119.   Cette communication contient les règles de ce qu’il est convenu d’appeler la «politique de clémence» de la Commission, c’est-à-dire le traitement favorable qu’elle réserve aux entreprises qui ont coopéré avec elle au cours de la procédure administrative et qui lui ont permis ainsi de constater (plus facilement) une infraction aux règles de concurrence et, le cas échéant, d’y mettre fin. Bien qu’elle fut remplacée en 2002  (43) , la Communication constituait le texte applicable lors de l’adoption de la décision litigieuse.

120.   La Communication comporte trois séries de cas dans lesquels une entreprise peut bénéficier d’une réduction du montant de l’amende. Le premier cas, prévu au point B de ce texte, est celui où une entreprise a dénoncé une entente secrète avant que la Commission n’ait procédé à une vérification: ce cas peut amener à une réduction d’au moins 75 % du montant de l’amende. Le deuxième cas, énoncé au point C de la Communication, est celui où une entreprise a dénoncé une entente secrète après que la Commission a procédé à une vérification, mais sans que celle-ci ait donné une base suffisante pour justifier l’engagement de la procédure en vue de l’adoption d’une décision: ce cas peut amener à une réduction de 50 à 75 % du montant de l’amende.

121.   Enfin, le dernier cas figure au point D de la Communication, qui prévoit que: «[l]orsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération». Ce point D, paragraphe 2, précise:

«Tel peut notamment être le cas si:

avant l’envoi d’une communication des griefs, une entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise,

après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations.»

122.   En l’espèce, la Commission a estimé que toutes les entreprises concernées pouvaient bénéficier, de manière différenciée, des dispositions du point D de la Communication.

123.   Aux points 97 à 101 des motifs de la Décision, elle a relevé qu’Usinor et Avesta avaient fourni une coopération plus importante que les autres entreprises. Selon elle, ces deux opérateurs auraient, notamment, reconnu l’existence de l’infraction. En revanche, les autres entreprises et, en particulier, KTN, AST et Acerinox, auraient contesté l’existence de l’infraction et n’auraient apporté aucun élément de fait ou de preuve dont elle n’avait pas déjà connaissance. La Commission a conclu que ces éléments justifiaient une minoration du montant de l’amende de 10 % pour toutes les entreprises, à l’exception d’Avesta et d’Usinor, auxquelles elle a appliqué une minoration de 40 %.

124.   Devant le Tribunal, les requérantes avaient contesté cette décision. Dans un premier grief, elles avaient fait valoir que la Commission avait méconnu le point D de la Communication, ainsi que le principe d’égalité de traitement, en considérant qu’elles n’avaient apporté aucun élément nouveau.

125.   Le Tribunal a accueilli ce premier grief. Il a considéré que le degré de coopération fournie par les entreprises concernées (KTN, AST, Acerinox et Usinor) était comparable dans la mesure où elles avaient toutes communiqué à la Commission des informations semblables au même stade de la procédure et dans des circonstances analogues. Il a donc accordé aux requérantes une minoration de 20 % du montant de leur amende, au lieu de la minoration de 10 % consentie par la Commission.

126.   Dans un second grief, les requérantes avaient reproché à la Commission d’avoir considéré qu’elles avaient contesté l’infraction. Elles avaient soutenu que, au cours de la procédure administrative, elles avaient reconnu l’existence de l’entente et que, en tout état de cause, la reconnaissance d’une infraction ne pouvait pas constituer un facteur de réduction du montant des amendes.

127.   À cet égard, le Tribunal a constaté, sur la base des éléments du dossier, que les requérantes n’avaient pas expressément reconnu l’existence de l’infraction au cours de la procédure administrative: elles s’étaient limitées à reconnaître la matérialité des faits qui leur étaient reprochés  (44) . Ensuite, le Tribunal a développé le raisonnement suivant  (45) :

«272
En second lieu, dans la mesure où les requérantes font encore valoir que l’absence de contestation par les entreprises de la qualification juridique des faits effectuée par la Commission ne doit pas constituer un facteur de réduction des amendes, il convient de déterminer si, comme elles le soutiennent, la minoration effectuée à ce titre méconnaît la communication sur la coopération et viole le principe de protection de la confiance légitime, ainsi que les droits de la défense.

273
Tout d’abord, il convient de constater que, si le point D, paragraphe 2, de la communication sur la coopération mentionne effectivement l’hypothèse dans laquelle, après la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations, il ne saurait toutefois être interprété comme visant exclusivement ce type de coopération.

274
En effet, l’énumération des types de coopération visés au point D, paragraphe 2, de la communication sur la coopération n’est faite qu’à titre indicatif, comme le confirme l’utilisation de l’adverbe ‘notamment’.

275
Il importe également de rappeler que ladite communication vise aussi les cas où l’une des entreprises concernées a dénoncé une entente à la Commission, soit avant que celle-ci n’ait procédé à une vérification (point B de la communication), soit après que la Commission a procédé à une vérification sans que cette dernière ait pu donner une base suffisante pour justifier l’engagement de la procédure en vue de l’adoption d’une décision (point C de la communication). Le fait que la communication envisage ainsi expressément la possibilité de reconnaître l’infraction à ce stade de la procédure administrative n’exclut pas qu’une telle reconnaissance intervienne à un stade ultérieur.

276
En outre, le fait de reconnaître l’existence d’une entente facilite plus le travail de la Commission lors de l’enquête que la simple reconnaissance de la matérialité des faits.

277
La Commission étant tenue d’apprécier le degré de coopération fournie par les entreprises sans méconnaître le principe d’égalité de traitement, AST n’était donc pas fondée à placer une confiance légitime dans le fait qu’il ne serait pas procédé à une différenciation entre les entreprises ayant admis les faits et celles ayant également admis l’existence d’une entente.

278
Enfin, l’argument de KTN selon lequel la Commission aurait, en fait, pénalisé les entreprises ayant exercé leurs droits de la défense ne saurait être retenu. En effet, il n’est nullement allégué que la Commission, en procédant à des réductions du montant des amendes au titre de la coopération, aurait, en l’espèce, obligé KTN à fournir des réponses par lesquelles celle-ci aurait été amenée à admettre l’existence de l’infraction [...].»

128.   En conséquence, le Tribunal a confirmé que la Commission était en droit d’accorder une réduction d’amende plus importante aux entreprises ayant reconnu l’existence de l’entente qu’à celles qui avaient reconnu la matérialité des faits qui leur étaient reprochés.

129.   Dans de leur sixième moyen, les requérantes contestent l’appréciation du Tribunal. Elles avancent trois séries de griefs.

130.   Premièrement, elles estiment que le Tribunal a méconnu les droits de la défense et, plus particulièrement, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination reconnu par l’arrêt du 18 octobre 1989, Orkem/Commission  (46) . En effet, dans la mesure où il admet qu’une réduction d’amende plus importante puisse être accordée aux entreprises ayant reconnu l’existence de l’infraction, le raisonnement du Tribunal serait de nature à décourager, voire à sanctionner, les entreprises qui exercent leurs droits de la défense en contestant la qualification juridique des faits opérée par la Commission.

131.   Acerinox ajoute que l’arrêt Orkem a établi une nette distinction entre la clémence offerte en échange d’éléments de preuve (qui serait licite) et la clémence offerte en échange d’aveux de culpabilité (qui serait illicite). Selon elle, le raisonnement du Tribunal méconnaîtrait cette distinction puisqu’il récompenserait les aveux de culpabilité.

132.   Deuxièmement, les requérantes estiment que l’appréciation du Tribunal est contraire au principe d’égalité de traitement. En effet, elles rappellent que, dans les arrêts attaqués, le Tribunal a jugé que la coopération qu’elles avaient offerte au cours de la procédure administrative était «comparable» à celle fournie par Usinor. Dans ces conditions, le seul fait qu’Usinor ait, en plus, reconnu l’existence de l’entente ne constituerait pas une raison objective pour lui accorder une réduction d’amende supplémentaire. D’autant que la qualification juridique des faits au cours de la procédure administrative relèverait de la compétence exclusive de la Commission et que l’on ne voit pas en quoi l’acceptation d’une telle qualification serait de nature à faciliter le travail d’enquête de la Commission, qui, par définition, porterait sur des éléments de fait et non des éléments de droit.

133.   Troisièmement, les requérantes soutiennent que le raisonnement du Tribunal viole le principe de protection de la confiance légitime. En effet, rien dans la Communication ne permettait d’imaginer qu’une réduction d’amende plus importante serait accordée aux entreprises ayant reconnu l’existence de l’entente. Le point D, paragraphe 2, de la Communication ne viserait, au contraire, que le cas où les entreprises ne contestent pas la «matérialité des faits»  (47) .

134.   Avant d’examiner ces différents griefs, il est utile de rappeler que le juge communautaire a déjà reconnu la compatibilité de la pratique de la clémence avec les droits de la défense et, en particulier, avec le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, reconnu par l’arrêt Orkem. Dans les arrêts Finnboard/Commission  (48) et BPB De Eendracht/Commission  (49) , la Cour et le Tribunal ont jugé que l’exonération ou la réduction du montant de l’amende au titre de la coopération fournie pendant la procédure administrative ne conduisait pas les entreprises à s’incriminer elles-mêmes ou à sanctionner l’exercice, par celles-ci, de leurs droits de la défense  (50) .

135.   Cette jurisprudence s’explique par la place qu’occupe la notion de contrainte dans le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. En effet, pour être en présence d’une violation de ce droit, il est nécessaire que la personne concernée ait été effectivement contrainte à fournir des informations ou des éléments de preuve susceptibles de prouver l’infraction  (51) .

136.   Ainsi, on a pu considérer que des demandes de renseignements au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité  (52) étaient conformes au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination puisque, dans ce cas, les entreprises ne sont pas tenues de répondre aux questions qui leur sont posées par la Commission (53) . En revanche, des décisions de demandes de renseignements, au titre de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17, peuvent contrevenir aux droits de la défense puisqu’elles exposent les entreprises à une sanction, sous forme d’astreinte ou d’amende, en cas de refus de réponse  (54) .

137.   Cet élément de contrainte se retrouve également dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci considère qu’il y a violation du droit de se taire uniquement lorsque la personne a été contrainte de fournir des informations susceptibles de prouver l’infraction  (55) . En revanche, si l’intéressé n’a pas été contraint à parler ou à déposer, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination n’a pas été méconnu  (56) .

138.   En conséquence, les juridictions communautaires ont reconnu la licéité de la pratique de la clémence. Elle ont relevé que cette pratique, même si elle incite les entreprises à collaborer avec la Commission, ne les contraint nullement à communiquer des éléments de fait ou de preuve puisque la décision de l’entreprise de fournir ces éléments revêt toujours un caractère volontaire  (57) .

139.   Compte tenu des ces éléments, nous pensons que la distinction opérée par le Tribunal – entre les entreprises ayant reconnu la matérialité des faits et celles ayant reconnu l’existence de l’entente – n’est pas contraire aux droits de la défense.

140.   En effet, comme la communication d’éléments de fait ou de preuve, la reconnaissance de l’infraction revêt un caractère purement volontaire dans le chef de l’entreprise. Celle-ci n’est, en aucune manière, contrainte à reconnaître l’entente ou à fournir des éléments qui seraient de nature à en prouver l’existence. Le degré de coopération que l’entreprise souhaite offrir au cours de la procédure administrative relève donc exclusivement du libre choix de l’entreprise et n’est, en aucun cas, imposé par la Commission.

141.   À cet égard, il serait erroné de croire que la distinction du Tribunal revient à sanctionner les entreprises qui ont exercé leurs droits de la défense. En effet, comme la Cour  (58) et le Tribunal  (59) l’ont déjà souligné, les entreprises qui exercent leurs droits de la défense ne se voient pas infliger, pour ce motif, une amende majorée. Elles sont simplement sanctionnées en fonction de la gravité de l’infraction et des autres critères qui peuvent être légitimement pris en considération, sous le contrôle de la Cour et du Tribunal.

142.   En conséquence nous pensons que la distinction litigieuse n’est pas contraire au principe des droits de la défense.

143.   Cette distinction ne paraît pas davantage contraire au principe d’égalité de traitement.

144.   En vertu d’une jurisprudence constante  (60) , le principe d’égalité de traitement interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Or, en l’espèce, la différence de traitement entre les entreprises ayant reconnu la matérialité des faits et celles qui ont reconnu l’existence de l’infraction est précisément justifiée par une raison objective, liée à l’allégement de la charge de travail de la Commission.

145.   En effet, le juge communautaire a itérativement jugé qu’une réduction du montant de l’amende n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise a permis à la Commission de constater l’infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin  (61) .

146.   Or, comme l’a souligné le Tribunal au point 276 de l’arrêt KTS et AST/Commission, la reconnaissance de l’existence de l’infraction facilite beaucoup plus le travail de la Commission que la simple reconnaissance de la matérialité des faits. Dans ce dernier cas, la Commission doit encore, à partir des faits reconnus par l’entreprise (par exemple, le fait qu’elle a participé à une réunion avec d’autres producteurs), établir le caractère anticoncurrentiel du comportement de cette entreprise (par exemple, le fait que la réunion avait pour objet de procéder à une augmentation concertée des prix). En revanche, dans le premier cas, la Commission est tout simplement dispensée de cette dernière tâche puisque l’entreprise a reconnu le caractère anticoncurrentiel ou infractionnel de son comportement.

147.   Cette démarche ne nous paraît pas, non plus, de nature à empiéter sur les compétences de la Commission dans le cadre de la procédure administrative. En effet, indépendamment de toute discussion relative au contenu de ces compétences, il suffit d’indiquer que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la réduction du montant de l’amende n’intervient pas en raison de la reconnaissance d’une qualification juridique précise [par exemple, le fait que le comportement de l’entreprise constitue un accord sur les prix au sens de l’article 81, paragraphe 1, sous a), CE], mais en raison de la reconnaissance du caractère anticoncurrentiel dudit comportement (par exemple, le fait que la réunion avait pour objet une augmentation commune des prix). Les entreprises ne sont donc pas invitées à fournir une qualification juridique précise qu’il appartiendrait uniquement à la Commission de donner.

148.   Enfin, s’agissant du dernier grief, nous pensons que la distinction opérée par la Commission n’est pas contraire au principe de protection de la confiance légitime.

149.   Il suffit, en effet, d’observer que, même avant l’adoption de la communication sur la coopération, la Commission pratiquait déjà la distinction litigieuse. Ainsi, dans l’affaire Finnboard/Commission, précitée, elle avait accordé une réduction de deux tiers du montant de l’amende aux entreprises ayant reconnu l’existence de l’infraction, alors que celles qui avaient reconnu la matérialité de faits n’avaient bénéficié que d’une réduction d’un tiers du montant de l’amende  (62) . Le Tribunal, sans être infirmé par la Cour, avait jugé que cette distinction était justifiée au regard, notamment, du comportement adopté par les entreprises concernées au cours de la procédure administrative  (63) .

150.   Contrairement à ce que prétendent les requérantes, aucun élément ne permet de penser que la Commission avait décidé d’abandonner la distinction litigieuse dans le cadre de la Communication. Au contraire, il ressort clairement du point D, paragraphe 2, de ce texte et, en particulier, de l’utilisation de l’adverbe «notamment», que la reconnaissance de la matérialité des faits ne constitue que l’un des comportements pouvant donner lieu à une réduction du montant de l’amende au titre de la coopération.

151.   Dans ces conditions, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en considérant que la Commission pouvait valablement accorder une réduction d’amende plus importante aux entreprises ayant reconnu l’existence de l’entente qu’à celles qui se sont limitées à reconnaître la matérialité des faits.

152.   Nous proposons donc à la Cour de rejeter le sixième moyen invoqué par les requérantes.

V –  Sur le pourvoi incident

153.   Le pourvoi incident est dirigé contre les points 55 à 68 de l’arrêt KTS et AST/Commission, qui ont annulé la décision litigieuse en ce qu’elle avait imputé à KTN l’infraction commise par Thyssen Stahl.

154.   Devant le Tribunal, KTS a soutenu que la décision litigieuse violait l’article 36, premier alinéa, du traité CECA au motif que son droit d’être entendue à propos des agissements de Thyssen Stahl n’avait pas été respecté.

155.   Le Tribunal a accueilli ce moyen au terme du raisonnement suivant:

«55
Les droits de la défense invoqués par KTS sont, en l’espèce, garantis par l’article 36, premier alinéa, du traité CECA, aux termes duquel, avant de prendre une des sanctions pécuniaires prévues audit traité, la Commission doit mettre l’intéressé en mesure de présenter ses observations.

56
Selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé en toutes circonstances, même s’il s’agit d’une procédure de caractère administratif. Le respect effectif de ce principe exige que l’entreprise intéressée ait été mise en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de ses allégations [...]. Il en résulte, notamment, que la Commission ne peut retenir que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer [...].

57
Il convient également de rappeler qu’il incombe, en principe, à la personne physique ou morale qui dirigeait l’entreprise concernée au moment où l’infraction a été commise de répondre de celle-ci, même si, au jour de l’adoption de la décision constatant l’infraction, l’exploitation de l’entreprise a été placée sous la responsabilité d’une autre personne [...].

58
En l’espèce, il ressort, tout d’abord, du dossier que, le 24 avril 1997, KTN et Thyssen Stahl se sont vu, chacune, adresser une communication des griefs, et que chacune de ces entreprises y a répondu, de manière distincte, par lettres de leurs représentants respectifs du 30 juin suivant. Dans sa réponse à la communication des griefs, KTN a, en outre, expressément indiqué qu’elle présentait ses observations ‘au nom et pour le compte de KTN’.

59
Par la suite, il est constant que KTN, à laquelle a succédé [...] KTS, a accepté, par lettre du 23 juillet 1997 adressée à la Commission, d’être tenue pour responsable des faits reprochés à Thyssen Stahl pour la période commençant à courir à partir de l’année 1993, alors que les activités de Thyssen Stahl dans le secteur des produits concernés ne lui avaient été transférées qu’à partir du 1er janvier 1995.

60
En effet, par la lettre susvisée, KTN a expressément indiqué ce qui suit:

‘Concernant la procédure mentionnée en objet [Affaire IV/35.814 – KTN], vous avez demandé au représentant légal de Thyssen Stahl [...] que [KTN] confirme expressément qu’elle endossait la responsabilité des actes éventuellement passés par Thyssen Stahl, à la suite du transfert du secteur d’activité des produits plats inoxydables de Thyssen Stahl, dans la mesure où les produits plats inoxydables, qui font l’objet de la présente procédure, sont concernés, et ce également pour la période remontant jusqu’à l’année 1993. Par la présente, nous vous le confirmons expressément.’

61
Enfin, au considérant 102 de la Décision, la Commission a déduit de cette déclaration qu’il y avait lieu d’en tenir compte dans le dispositif de la Décision. En conséquence, la Commission a considéré KTN responsable des agissements de Thyssen Stahl considérés comme contraires à l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA [...] et lui a, partant, infligé une amende en raison, également, des faits reprochés à Thyssen Stahl [...]. À cet égard, la Commission a considéré, au considérant 78 de la Décision, que la durée de l’infraction reprochée à Thyssen Stahl était comprise entre le mois de décembre 1993, date de la réunion de Madrid lors de laquelle avait débuté la concertation entre les producteurs de produits plats en acier inoxydable, et le 1er janvier 1995, date de la cessation des activités de Thyssen Stahl dans ce secteur.

62
Il importe de souligner qu’il n’est pas contesté que, compte tenu de la déclaration fournie par KTN le 23 juillet 1997, la Commission était exceptionnellement en droit d’imputer à cette dernière la responsabilité du comportement infractionnel reproché à Thyssen Stahl entre le mois de décembre 1993 et le 1er janvier 1995 [...].

63
Cependant, dans la mesure où elle déroge au principe en vertu duquel une personne, physique ou morale, ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, une telle déclaration doit être interprétée de manière stricte. En particulier, à défaut d’indication contraire de sa part, la personne à l’origine d’une telle déclaration ne saurait être présumée avoir renoncé à l’exercice de ses droits de la défense.

64
Or, contrairement à ce que fait valoir, en substance, la Commission, la déclaration de KTN du 23 juillet 1997 ne pouvait être interprétée comme impliquant, également, une renonciation de celle-ci à son droit d’être entendue sur les faits reprochés à Thyssen Stahl dans la communication des griefs notifiée à cette dernière, le 24 avril 1997, faits pour lesquels KTN acceptait désormais d’être tenue pour responsable aux fins de l’imputation d’une amende éventuelle.

65
Il en est d’autant plus ainsi que la communication des griefs a été adressée, de façon séparée, à KTN et à Thyssen Stahl et que, de toute évidence, cette communication n’imputait pas à KTN la responsabilité des agissements allégués à l’encontre de Thyssen Stahl.

66
Force est donc de constater, en l’espèce, que la Commission n’a pas mis KTN en mesure de présenter ses observations sur la réalité et la pertinence des faits reprochés à Thyssen Stahl et que, par conséquent, KTN n’a pas pu exercer ses droits de la défense à cet égard.

67
Dès lors, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence, la Commission n’était pas en droit d’imputer la responsabilité des agissements de Thyssen Stahl à KTN ni, en conséquence, d’infliger une amende à KTN en raison des faits reprochés à Thyssen Stahl alors que, sur ce point, la communication des griefs n’était adressée qu’à cette dernière [...].

68
Au regard de ces éléments, il convient donc de déclarer le présent moyen de KTS fondé et, partant, d’annuler l’article 1er de la Décision pour autant qu’il impute à KTN l’infraction reprochée à Thyssen Stahl.»

156.   En conséquence, le Tribunal a décidé, au point 315 de l’arrêt précité, de réduire l’amende infligée à KTN d’un montant de 3 564 000 euros.

157.   Dans son pourvoi, la Commission demande l’annulation de l’arrêt attaqué sur ce point. Elle avance quatre moyens au soutien de sa demande:

dénaturation des éléments de preuve;

violation des conditions de transfert de la responsabilité du comportement anticoncurrentiel d’une entreprise à une autre;

violation des exigences en matière de droits de la défense, ainsi que

inexactitude matérielle des faits et dénaturation des éléments de preuve.

A –   Sur le premier moyen, tiré d’une dénaturation des éléments de preuve

158.   Dans son premier moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir jugé que KTN n’avait pas renoncé à exercer ses droits de la défense à propos des faits reprochés à Thyssen Stahl.

159.   Elle estime que, sur ce point, le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve produits devant lui. En effet, il n’aurait pas suffisamment tenu compte de certains éléments du dossier, tels que la communication des griefs du 24 avril 1997, la réponse de Thyssen Stahl aux communications des griefs et la lettre par laquelle la Commission avait demandé à KTN de confirmer qu’elle acceptait d’assumer la responsabilité du comportement de Thyssen Stahl. La Commission considère qu’un examen complet de ces éléments aurait dû révéler que KTN avait renoncé à son droit d’être entendue à propos des faits reprochés ᅠ Thyssen Stahl.

160.   On sait que, en vertu de l’article 32 quinto du traité CECA, qui est identique à l’article 225 CE, un pourvoi peut uniquement s’appuyer sur des moyens portant sur la violation de règles de droit, à l’exclusion de toute appréciation des faits  (64) .

161.   Il résulte cependant d’une jurisprudence constante que la Cour est qualifiée pour examiner la détermination des faits opérée par le Tribunal dans l’hypothèse où l’inexactitude matérielle de ces constatations résulte des pièces du dossier  (65) . La Cour a précisé que, dans ce cas, l’inexactitude matérielle doit apparaître de manière manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits  (66) .

162.   Il résulte également d’une jurisprudence constante que, si le Tribunal est seul compétent pour apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments de preuve  (67) , la question de la dénaturation de ces éléments est une question qui peut être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi  (68) . Un moyen tiré de la dénaturation des éléments de preuve vise à faire constater que le Tribunal a altéré le sens, le contenu ou la portée des éléments produits devant lui. La dénaturation peut ainsi résulter d’une modification du contenu des éléments de preuve  (69) , d’une absence de prise en considération de leurs aspects essentiels  (70) ou d’une absence de prise en compte de leur contexte  (71) .

163.   En l’espèce, la Commission soutient que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve produits devant lui (en ce qu’il n’aurait pas tenu compte de l’ensemble des éléments du dossier) et que ses constatations factuelles sont donc entachées d’une inexactitude matérielle (puisque KTN aurait renoncé à exercer ses droits de la défense). Contrairement à ce que soutient KTS  (72) , le premier moyen de la Commission est donc recevable en application de la jurisprudence précitée.

164.   Toutefois, nous pensons que ce moyen est manifestement dépourvu de tout fondement.

165.   En effet, aucun élément du dossier ne permet de constater que KTN a renoncé à exercer ses droits de la défense en ce qui concerne les faits reprochés à Thyssen Stahl pour la période de décembre 1993 à janvier 1995. Ni dans sa réponse à la première communication des griefs  (73) , ni dans sa réponse à la seconde communication des griefs  (74) , ni dans son procès-verbal d’accès au dossier  (75) , ni dans sa déclaration du 23 juillet 1997  (76) , KTN n’a indiqué qu’elle ne souhaitait pas faire connaître son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits reprochés à Thyssen Stahl pour la période susvisée.

166.   On ajoutera que, dans la mesure où elle déroge à l’application d’un principe fondamental du droit communautaire, à savoir le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, une telle renonciation doit impérativement intervenir de manière expresse et non équivoque. Comme l’a souligné le Tribunal au point 63 de l’arrêt attaqué, personne ne peut être présumé avoir renoncé à exercer ses droits de la défense.

167.   Dans ces conditions, les documents invoqués par la Commission (la communication des griefs du 24 avril 1997, la réponse de Thyssen Stahl aux communications des griefs et la lettre par laquelle elle avait demandé à KTN de confirmer qu’elle acceptait d’assumer le comportement de Thyssen Stahl) ne pouvaient, en aucun cas, démontrer que KTN avait renoncé à exercer ses droits de la défense. En effet, dans la mesure où ils émanent d’un auteur autre que l’entreprise concernée (KTN), le Tribunal ne pouvait leur accorder de valeur probante quant à l’intention de cette entreprise de renoncer à l’exercice de ses droits.

168.   Compte tenu de ces éléments, nous pensons que le Tribunal n’a commis aucune erreur en constatant que KTN n’avait pas renoncé à exercer ses droits de la défense à propos des faits reprochés à Thyssen Stahl.

169.   Nous proposons donc à la Cour de rejeter le premier moyen de la Commission.

B –   Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des conditions de transfert de la responsabilité du comportement d’une entreprise à une autre

170.   Par son deuxième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a méconnu les conditions relatives au transfert de la responsabilité du comportement anticoncurrentiel d’une entreprise vers une autre.

171.   Elle souligne que, indépendamment de la question de savoir si KTN avait renoncé à ses droits de la défense, elle était, de toutes façons, en droit de lui imputer l’infraction commise par Thyssen Stahl. En effet, selon elle, les conditions posées par la jurisprudence pour déroger au principe de la «responsabilité personnelle» des entreprises étaient réunies puisque KTN se présentait comme le successeur économique et juridique de Thyssen Stahl. La Commission invoque, à cet égard, les arrêts du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission  (77) et du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission  (78) , ainsi que les arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission  (79) et du 11 mars 1999, NMH Stahlwerke/Commission  (80) .

172.   Selon nous, ce deuxième moyen est également dépourvu de fondement.

173.   En effet, en vertu d’une jurisprudence constante  (81) , il incombe, en principe, à la personne physique ou morale qui dirigeait l’entreprise concernée au moment où l’infraction a été commise de répondre de celle-ci, même si, au jour de l’adoption de la décision constatant l’infraction, l’exploitation de l’entreprise a été placée sous la responsabilité d’une autre personne.

174.   En outre, la Cour a précisé que le critère dit «de la continuité économique», qui permet de déroger au principe de la responsabilité personnelle des entreprises en cas de reprise d’activités, ne joue que lorsque la personne morale responsable de l’exploitation de l’entreprise au moment de l’infraction a cessé d’exister juridiquement après la commission de ladite infraction  (82) .

175.   Or, en l’espèce, il ressort du dossier  (83) que Thyssen Stahl a continué à exister pendant toute la durée de l’infraction, et ce (au moins) jusqu’au jour de l’adoption de la décision litigieuse.

176.   La jurisprudence invoquée par la Commission n’est donc pas applicable en l’espèce.

C –   Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des exigences en matière de droits de la défense

177.   Par son troisième moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir posé des exigences trop strictes en matière de droits de la défense.

178.   Elle souligne que, en l’espèce, KTN a été le destinataire des deux communications des griefs, celle du 19 décembre 1995 et celle du 24 avril 1997; que, pendant toute la durée de la procédure administrative, KTN a présenté des observations non seulement en son nom propre, mais également au nom de Thyssen Stahl; que, dans sa deuxième communication des griefs, la Commission a précisé que KTN assumait la responsabilité du comportement de Thyssen Stahl; que, dans un courrier ultérieur, elle a demandé à KTN de confirmer ce fait, et que, dans sa déclaration du 23 juillet 1997, KTN a confirmé qu’elle assumerait la responsabilité des agissements de Thyssen Stahl, «et ce également pour la période remontant jusqu’à l’année 1993».

179.   La Commission estime que, dans ces conditions, KTN connaissait parfaitement les griefs formulés à l’encontre de Thyssen Stahl et qu’elle savait que la Commission lui imputerait l’infraction commise par cette société. Dès lors, le respect des droits de la défense n’exigeait pas, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, que la Commission invite à nouveau KTN à présenter son point de vue sur les faits reprochés à Thyssen Stahl. En posant une telle exigence, le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit.

180.   Sur ce point, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé même s’il s’agit d’une procédure à caractère administratif  (84) .

181.   Ce principe exige notamment que la communication des griefs adressée par la Commission à une entreprise contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative menée contre elle  (85) .

182.   En outre, dans les arrêts du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission  (86) et du 2 octobre 2003, ARBED/Commission  (87) , la Cour a précisé que, «[e]u égard à son importance, la communication des griefs doit préciser sans équivoque la personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes».

183.   En l’espèce, il est vrai que, dans sa communication des griefs du 24 avril 1997, la Commission avait indiqué que KTN «assumait la responsabilité des agissements de Thyssen Stahl avant sa propre création»  (88) . Toutefois, comme le Tribunal l’a jugé dans l’arrêt attaqué, cette communication n’indiquait pas clairement que la Commission avait l’intention d’infliger une amende à KTN en raison de l’infraction commise par Thyssen Stahl. Elle ne contenait pas, non plus, d’invitation claire, à l’intention de KTN, de présenter des observations sur la réalité et la pertinence des faits reprochés à Thyssen Stahl, ni sur les documents que la Commission avait retenus à cet égard.

184.   En outre, l’ambiguïté résultant de la communication des griefs du 24 avril 1997 a été entretenue, notamment, par le fait que cette communication a été adressée de façon séparée à KTN et à Thyssen Stahl. Par ce double envoi, la Commission a laissé entendre que Thyssen Stahl pourrait se voir infliger l’amende pour l’infraction qu’elle avait commise pendant la période antérieure au 1er janvier 1995.

185.   Compte tenu de ces éléments, nous pensons que la communication des griefs du 24 avril 1997 ne répondait pas aux exigences de clarté posées par la jurisprudence. Le Tribunal n’a donc commis aucune erreur de droit en constatant que la Commission n’avait pas valablement mis KTN en mesure de présenter ses observations sur les faits reprochés à Thyssen Stahl.

186.   En conséquence, nous proposons à la Cour de rejeter le troisième moyen de la Commission.

D –   Sur le quatrième moyen, tiré d’une inexactitude matérielle des faits et d’une dénaturation des éléments de preuve

187.   Par son quatrième moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir jugé que KTN n’avait pas pu exercer ses droits de la défense à propos des agissements de Thyssen Stahl.

188.   Elle estime, en substance, que l’arrêt attaqué est entaché, sur ce point, d’une inexactitude matérielle des faits et d’une dénaturation des éléments de preuve. En effet, selon elle, «les pièces du dossier montrent que KTN, en accord avec Thyssen [Stahl], a fait connaître spontanément et à plusieurs reprises son point de vue sur les reproches formulés par la Commission [à l’encontre de] Thyssen [Stahl] et qu’elle a exercé ainsi les droits de la défense»  (89) .

189.   Indépendamment du fait que la Commission n’a pas étayé ce moyen dans ses écrits  (90) , nous pensons que, en tout état de cause, il n’est pas fondé.

190.   Il convient de rappeler que, en vertu de la jurisprudence  (91) , la Cour peut sanctionner une inexactitude matérielle dans les constatations de faits du Tribunal uniquement dans l’hypothèse où cette inexactitude ressort de manière manifeste des pièces du dossier. De même, nous avons vu qu’un moyen tiré de la dénaturation des éléments de preuve ne peut être accueilli que si le Tribunal a véritablement altéré le sens, le contenu ou la portée des éléments de preuve produits devant lui  (92) .

191.   Or, le Tribunal n’a commis aucune erreur de cette nature en l’espèce.

192.   En effet, une lecture, même attentive, du dossier  (93)  ne permet pas de constater, de manière certaine et évidente, que KTN a exercé ses droits de la défense à propos des agissements de Thyssen Stahl. Il n’est pas évident, selon nous, que les observations déposées par KTN au cours de la procédure administrative couvraient également, d’une manière ou d’une autre, les faits reprochés par la Commission à Thyssen Stahl.

193.   Dans ces conditions, on ne saurait considérer que le Tribunal a commis une inexactitude manifeste dans ses constatations de faits ou une dénaturation des éléments de preuve.

194.   Nous proposons donc à la Cour de rejeter le dernier moyen avancé par la Commission.

VI –  L’évocation du litige

195.   L’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice prévoit que, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Dans ce cas, la Cour peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

196.   En l’espèce, nous pensons que le litige est en état d’être jugé sur le point sur lequel nous avons proposé l’annulation  (94) . Nous proposons donc à la Cour de l’évoquer et de statuer définitivement sur le moyen invoqué par Acerinox en première instance.

VII – Sur le recours en première instance

197.   Acerinox demande l’annulation de la décision litigieuse et invoque deux moyens, dont un est tiré de sa non-participation à l’infraction.

198.   Dans le cadre de ce moyen, Acerinox soutient que la Commission n’a pas rapporté la preuve de l’existence d’un accord ou d’une pratique concertée concernant l’application de l’extra d’alliage sur le marché espagnol.

199.   Elle souligne, notamment, que la preuve d’une telle entente ne saurait être trouvée dans la télécopie d’Avesta du 14 janvier 1994, qui indique qu’«Acerinox a annoncé que les extras seront appliqués à partir du 1er avril 1994 (vous avez bien lu avril!)». En effet, selon elle, «[c]ette information concernant l’‘annonce’ faite par la requérante [...] était inexacte»  (95) et «[a]ucune ‘annonce’ de la sorte n’a été faite»  (96) .

200.   À cet égard, il convient de rappeler que, en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction  (97) .

201.   On rappellera également qu’aucun principe de droit communautaire ne s’oppose à ce que la Commission, pour conclure à l’existence d’une infraction, se fonde sur une seule pièce, pourvu que la valeur probante de celle-ci ne fasse pas de doute et que, à elle seule, ladite pièce atteste de manière certaine de l’existence de l’infraction  (98) . De même, la Commission peut retenir comme preuve du comportement d’une entreprise une correspondance échangée entre des tiers  (99) : le fait que l’entreprise incriminée ne soit pas l’auteur  (100) ou le destinataire  (101) du document n’est pas de nature à le priver de sa valeur probante, laquelle doit être appréciée uniquement en fonction de son contenu et de sa portée.

202.   À cet égard, pour établir la valeur probante d’un document, il faut tenir compte de plusieurs éléments, tels que l’origine du document, les circonstances de son élaboration, son destinataire, son contenu, et se demander si, d’après ces éléments, l’information qui y est contenue paraît sensée et fiable  (102) . En outre, une entreprise ne peut valablement contester la valeur probante d’un document que si elle avance des éléments circonstanciés de nature à mettre en doute la véracité de l’information qu’il contient  (103) .

203.   En l’espèce, la valeur probante de la télécopie d’Avesta du 14 janvier 1994 ne fait aucun doute.

204.   En effet, cette télécopie a été rédigée par le représentant d’Avesta à la réunion de Madrid, à savoir M. W.  (104) . Elle fait suite à cette réunion, au cours de laquelle les principaux producteurs de produits plats en acier inoxydable se sont concertés sur l’application, à compter de la date de cette réunion, d’un extra d’alliage calculé à partir de valeurs de référence identiques. Elle a également été rédigée peu de temps après qu’Ugine a transmis à tous ses concurrents, par une télécopie du 11 janvier 1994, des informations détaillées concernant les extra d’alliage qu’elle avait l’intention d’appliquer sur le marché français à partir du 1er février 1994.

205.   En outre, la télécopie litigieuse est adressée aux filiales de distribution d’Avesta et fait suite à une télécopie antérieure, de la mi-décembre 1993, par laquelle Avesta leur avait annoncé la possibilité d’introduire l’extra d’alliage à partir de février 1994  (105) .

206.   Enfin, s’agissant de son contenu, la télécopie litigieuse s’avère également fiable et sensée. En effet, Avesta y informe ses filiales de la position exprimée par certains de ses concurrents concernant la date d’application de l’extra d’alliage sur leurs marchés domestiques dans les termes suivants:

«D’après nos informations, certaines initiatives ont déjà été prises:

Ugine a annoncé l’application, à partir du 1. 2. 1994, des extras suivants:

4,36 livres sterling pour la qualité 430

47,55 livres pour la qualité 304 et

74,03 livres pour la qualité 316;

Acerinox a déclaré que les extras seraient applicables à compter du 1. 4. 1994 (vous avez bien lu avril!);

Outokumpu devrait, pense-t-on, se rallier à cette position, mais elle ne l’a pas encore confirmé;

Thyssen devrait faire une déclaration lundi prochain;

En ce qui concerne Krupp, nous n’avons encore aucune information;

Ilva a fait savoir qu’elle appliquerait un prix de base modifié à dater de février, mais que cette modification ne concernerait que les stockistes et non les utilisateurs finals;

ALZ n’a pas encore pris de position définitive.»

207.   Dans ces conditions, l’information selon laquelle Acerinox s’est engagée à appliquer l’extra d’alliage sur le marché espagnol à compter du 1er avril 1994 semble difficilement contestable. Acerinox n’a, d’ailleurs, avancé aucun élément circonstancié de nature à mettre en doute la véracité de cette information.

208.   Compte tenu de ces éléments, nous pensons que la télécopie litigieuse constitue la preuve que, à la date du 14 janvier 1994, Acerinox avait, en tout état de cause, manifesté son intention d’appliquer un extra d’alliage en Espagne, selon les modalités convenues par les entreprises concernées lors de la réunion de Madrid, et avait donc adhéré à l’entente.

209.   Nous proposons donc à la Cour de rejeter le moyen avancé par Acerinox.

VIII – Sur les dépens

210.   Conformément à l’article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, la Commission a conclu à la condamnation des requérantes aux dépens et celles-ci ont succombé en (quasi) tous leurs moyens. Il y a donc lieu, selon nous, de les condamner à l’ensemble des dépens exposés dans les présentes procédures de pourvoi.

211.   Par ailleurs, l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure prévoit que, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. En l’espèce, Acerinox a succombé en son moyen tiré de sa non-participation à l’entente sur le marché espagnol et la Commission a conclu à la condamnation de la requérante aux dépens. Il y a donc lieu de condamner Acerinox aux dépens sur ce point, conformément à l’article 69, paragraphe 2, du même règlement. Pour le surplus, il n’y a aucune raison de modifier le dispositif de l’arrêt Acerinox/Commission.

IX –  Conclusion

212.   Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de déclarer:

«1)
L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 décembre 2001, Acerinox/Commission (T-48/98) est annulé en tant qu’il a rejeté le moyen de la requérante, tiré de sa non-participation à l’entente sur le marché espagnol.

2)
Les pourvois sont rejetés pour le surplus.

3)
Le recours en annulation de Compañía Española para la Fabricación de Aceros Inoxidables SA (Acerinox) est rejeté.

4)
Compañía Española para la Fabricación de Aceros Inoxidables SA (Acerinox), ThyssenKrupp Stainless GmbH et ThyssenKrupp Acciai Speciali Terni SpA sont condamnées à supporter les dépens qu’elles ont exposés dans les procédures de pourvoi ainsi que les dépens exposés par la Commission des Communautés européennes dans ces procédures.

5)
Compañía Española para la Fabricación de Aceros Inoxidables SA (Acerinox) est condamnée à supporter les dépens qu’elle a exposés dans la procédure de première instance ainsi que les deux tiers des dépens exposés par la Commission des Communautés européennes dans cette procédure. La Commission supportera un tiers des dépens qu’elle a exposés dans ladite procédure.»


1
Langue originale: le français.


2
Arrêts Krupp Thyssen Stainless GmbH et Acciai speciali Terni Spa/Commission (T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, autrement dénommé l’«arrêt attaqué» ou l’«arrêt KTS et AST/Commission»), et Compañía Española para la Fabricación de Aceros Inoxidables SA (Acerinox)/Commission (T‑48/98, Rec. p. II‑3859, autrement dénommé l’«arrêt attaqué» ou l’«arrêt Acerinox/Commission»).


3
JO L 100, p. 55 (ci‑après la «décision litigieuse» ou la «Décision»).


4
Arrêt du 11 septembre 2003 (C-197/99 P, non encore publié au Recueil, points 65 à 68 de nos conclusions).


5
Voir, en ce sens, arrêts du 14 mai 1998, Conseil/De Nil et Impens (C-259/96 P, Rec. p. I-2915, points 32 à 34), et du 17 mai 2001, IECC/Commission (C-449/98 P, Rec. p. I-3875, point 70), ainsi que ordonnances du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a. [C-149/95 P(R), Rec. p. I-2165, point 58]; du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission [C-268/96 P(R), Rec. p. I-4971, point 52], et du 25 juin 1998, Antilles néerlandaises/Conseil [C-159/98 P(R), Rec. p. I-4147, point 70].


6
Arrêt du 29 juin 1994, Klinke/Cour de justice (C‑298/93 P, Rec. p. I‑3009, points 21 à 25).


7
Ibidem (points 19 et 20).


8
Requête déposée par Acerinox dans l’affaire T‑48/98 (p. 9). Voir également mémoire en réplique déposé par Acerinox dans cette affaire (point 10).


9
Voir points 203 à 209 des présentes conclusions.


10
Voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission (C‑196/99 P, non encore publié au Recueil, point 102).


11
Voir, notamment, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, points 118 et 119), et Hüls/Commission (C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, point 161).


12
Arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité (point 119).


13
Arrêts précités Commission/Anic Partecipazioni (point 121) et Hüls/Commission (point 162).


14
Arrêt Hüls/Commission, précité (points 149, 150 et 168).


15
Ibidem (points 167 et 168).


16
Voir, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission (T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II-491, points 1865, 1910 et 1938).


17
Voir point 32 des présentes conclusions.


18
Arrêt du 6 mars 2001 (C‑274/99 P, Rec. p. I‑1611).


19
Arrêt Connolly/Commission, précité (point 120).


20
Arrêts précités Connolly/Commission (point 121) et Belgique/Commission (point 81).


21
Idem.


22
Pourvoi d’Acerinox (point 46).


23
On notera que la légalité des lignes directrices est mise en cause dans les affaires Dansk Rørindustri e.a./Commission (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P), pendantes devant la Cour, dans lesquelles l’avocat général Tizzano a présenté ses conclusions le 8 juillet 2004.


24
Requête déposée par Acerinox dans l’affaire T‑48/98 (p. 19).


25
T‑354/94 (Rec. p. II‑2111, points 82 et 83).


26
Voir, à cet égard, points 154 à 156 des présentes conclusions.


27
Arrêt du 12 juillet 1984, Hydrotherm (170/83, Rec. p. 2999, point 11).


28
Arrêt du 14 juillet 1972, ICI/Commission (48/69, Rec. p. 619, point 133). Voir, également, arrêts du 31 octobre 1974, Sterling Drug (15/74, Rec. p. 1147, point 41); Winthrop (16/74, Rec. p. 1183, point 32); du 4 mai 1988, Bodson (30/87, Rec. p. 2479, point 19); du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebuero (66/86, Rec. p. 803, point 35), et du 24 octobre 1996, Viho/Commission (C‑73/95 P, Rec. p. I‑5457, point 16).


29
C‑286/98 P (Rec. p. I‑9925, point 39).


30
Arrêt du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission (C‑294/98 P, Rec. p. I‑10065, point 27). Voir, également, arrêts ICI/Commission, précité (points 132 et 133); du 25 octobre 1983, AEG/Commission (107/82, Rec. p. 3151, point 49); du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission (C‑310/93 P, Rec. p. I-865, point 11, ainsi que nos conclusions dans cette affaire, points 20 à 31); du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, (C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, point 77, ainsi que les conclusions de l’avocat général Mischo dans cette affaire, point 59), et Aristrain/Commission, précité (point 96).


31
C‑248/98 P (Rec. p. I‑9641, points 71 à 74).


32
Ibidem (point 73, quatrième alinéa).


33
Sur ce pouvoir, voir, notamment, arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission (T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59); du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission (T‑49/95, Rec. p. II‑1799, point 53); du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission (T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 127), et du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midlands Ingredients/Commission (T‑224/00, non encore publié au Recueil, point 55).


34
Arrêt KTS et AST/Commission. Voir, également, arrêt Acerinox/Commission (points 55 à 66).


35
Voir pourvois d’AST (points 12 et 14 à 17) et de KTS (points 11, 12, 16, 17 et 19).


36
Voir, comme exemples récents, arrêt du 8 mai 2003, T. Port/Commission (C‑122/01 P, Rec. p. I‑4261, point 27), et ordonnance du 9 juillet 2004, Fichtner/Commission (C-116/03, non publiée au Recueil, point 33).


37
Arrêts KTS et AST/Commission (point 177) et Acerinox/Commisson (point 57).


38
Arrêts KTS et AST/Commission (point 178) et Acerinox/Commision (point 60).


39
On rappellera que, selon une jurisprudence constante, la Cour rejette d'emblée les griefs qui sont dirigés contre des motifs développés à titre subsidiaire ou surabondant par le Tribunal. La Cour considère que, dans la mesure où le dispositif de l'arrêt du Tribunal est fondé sur d'autres motifs, dᄅveloppés à titre principal, de tels griefs ne sauraient conduire à l'annulation de l'arrêt attaqué et sont, de ce fait, inopérants (voir, comme exemple récent, arrêt T. Port/Commission, précité, points 16, 17 et 30 à 33, ainsi que nos conclusions dans cette affaire, point 23).


40
Voir, notamment, arrêts du 12 décembre 1985, Sideradria/Commission (67/84, Rec. p. 3983, point 21), et du 16 mai 1991, Commission/Pays-Bas (C‑96/89, Rec. p. I‑2461, point 30), ainsi que arrêts du Tribunal du 24 avril 1996, Industrias Pesqueras Campos e.a./Commission (T‑551/93, T‑231/94 à T‑234/94, Rec. p. II-247, point 76); du 29 septembre 1999, Sonasa/Commission (T‑126/97, Rec. p. II-2793, point 34); du 26 septembre 2002, Sgaravatti Mediterranea/Commission (T‑199/99, Rec. p. II-3731, point 111); du 13 mars 2003, José Martí Peix/Commission (T‑125/01, Rec. p. II-865, point 107), et du 9 avril 2003, Forum des migrants/Commission (T‑217/01, Rec. p. II-1563, point 76).


41
Pourvoi d’Acerinox (point 43).


42
JO 1996, C 207, p. 4 (ci-après la «communication sur la coopération» ou la «Communication»).


43
Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).


44
Arrêts KTS et AST/Commission (points 260 à 268) et Acerinox/Commission (point 147).


45
Arrêt KTS et AST/Commission. Voir, aussi, arrêt Acerinox/Commission (points 145 à 150).


46
Affaire 374/87 (Rec. p. 3283, ci-après l’«arrêt Orkem»).


47
Dans son pourvoi, KTS formule, en outre, un argument subsidiaire, tiré de la méconnaissance de la portée de ses déclarations au cours de la procédure administrative. Elle soutient que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, elle a expressément reconnu l’existence de l’entente au cours de la procédure administrative, si bien que le Tribunal aurait dû lui accorder la même réduction d’amende qu’à Usinor. Selon nous, cet argument est manifestement irrecevable. En effet, aux points 262 à 267 de l’arrêt KTS et AST/Commission, le Tribunal a constaté, sur la base des éléments du dossier, que KTS n’avait pas reconnu l’existence de l’entente au cours de la procédure administrative. Dans la mesure où KTS n’a pas démontré, ni même soutenu, que le Tribunal avait dénaturé les éléments de preuve sur ce point, la conclusion du Tribunal, selon laquelle KTS a contesté l’existence de l’entente, constitue une appréciation des éléments de preuve qui ne peut être mise en cause dans le cadre des présents pourvois.


48
Arrêt du 16 novembre 2000 (C‑298/98 P, Rec. p. I‑10157, point 58).


49
Arrêt du Tribunal du 14 mai 1998 (T‑311/94, Rec. p. II‑1129, points 323 et 324).


50
Voir également, conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire Finnboard/Commission, précitée (points 22 à 27).


51
Arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P, et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 275).


52
JO 1962, 13, p. 204.


53
Arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II-931, points 455 à 457), confirmé par l’arrêt de la Cour Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité (point 279).


54
Voir, notamment, arrêt Orkem (points 34 et 35); arrêt de la Cour Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité (point 279), ainsi que arrêt du Tribunal du 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke/Commission (T‑112/98, Rec. p. II‑729, points 67 et suiv.).


55
Voir Cour eur. D. H., arrêts Funke du 25 février 1993 (série A n° 256 A, § 44); Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996 (Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2044, § 68 à 76), et J. B. c. Suisse du 3 mai 2001 (Recueil des arrêts et décisions 2001-III, p. 436, § 65 et 66).


56
Voir Cour eur. D. H., arrêt Murray c. Royaume-Uni du 8 février 1996 (Recueil des arrêts et décisions 1996-I, p. 30, § 50).


57
Voir également, en ce sens, Wils, W. «The Commission notice on the non-imposition or reduction of fines in cartel cases: a legal land economic analysis», dans E. L. Rev., 1997, p. 125 à 140 (p. 137).


58
Arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, précité (point 58), et conclusions de l’avocat général Mischo dans cette affaire (point 24).


59
Arrêts BPB De Eendracht/Commission, précité (point 323), et du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission (T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 308).


60
Voir, notamment, arrêts du 13 décembre 1984, Sermide (106/83, Rec. p. 4209, point 28), et du 28 juin 1990, Hoche (C‑174/89, Rec. p. I‑2681, point 25).


61
Voir arrêts du Tribunal BPB De Eendracht/Commission, précité (point 325); du 14 mai 1998, Finnboard/Commission (T‑338/94, Rec. p. II‑1617, point 363, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, précité), et Mayr-Melnhof/Commission, précité (point 330).


62
Voir conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire Finnboard/Commission, précitée (point 13).


63
Arrêts du Tribunal Finnboard/Commission, précité (points 364 et 365), et de la Cour Finnboard/Commission, précité (point 58).


64
Voir, notamment, arrêts du 1er octobre 1991, Vidrányi/Commission (C‑283/90 P, Rec. p. I‑4339, point 12), et du 2 mars 1994, Hilti/Commission (C-53/92 P, Rec. p. I‑667, point 10).


65
Arrêts du 1 er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a. (C-136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 49), et du 30 mars 2000, VBA/Florimex e.a. (C‑265/97 P, Rec. p. I‑2061, point 139); ordonnances du 16 septembre 1997, Koelman/Commission (C‑59/96 P, Rec. p. I‑4809, point 33), et du 6 octobre 1997, AIUFASS et AKT/Commission (C‑55/97 P, Rec. p. I‑5383, point 24).


66
Arrêts du 28 mai 1998, New Holland Ford/Commission (C‑8/95 P, Rec. p. I‑3175, point 72); VBA/Florimex e.a., précité (point 139), et ordonnance du 27 janvier 2000, Proderec/Commission (C‑341/98 P, non publiée au Recueil, point 27).


67
Voir, notamment, arrêts Commission/Brazzelli Lualdi e.a., précité (point 66); du 7 mai 1998, Somaco/Commission (C-401/96 P, Rec. p. I-2587, point 54), et du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 24).


68
Arrêts Hilti/Commission, précité (point 42); du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission (C-362/95 P, Rec. p. I-4775, point 29); New Holland Ford/Commission, précité (point 26); Baustahlgewebe/Commission, précité (point 24); du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission (C-257/98 P, Rec. p. I-5251, point 45 à 47), et ordonnances AIUFASS et AKT/Commission, précitée (point 25); du 16 octobre 1997, Dimitriadis/Cour des comptes (C‑140/96 P, Rec. p. I-5635, point 35), et Proderec/Commission, précitée (point 28).


69
Voir, dans un cas de dénaturation de l’acte attaqué, arrêts du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission (C‑164/98 P, Rec. p. I‑447, points 47 et 48), et arrêt du 11 septembre 2003, Belgique/Commission, C‑197/99 P, non encore publié au Recueil, point 67).


70
Voir, dans un cas de dénaturation de l’acte attaqué, ordonnance du 11 avril 2001, Commission/Trenker [C‑459/00 P(R), Rec. p. I‑2823, point 71].


71
Voir, dans un cas de dénaturation de l’acte attaqué, arrêt du 3 avril 2003, Parlement/Samper (C‑277/01 P, Rec. p. I‑3019, point 40).


72
Mémoire en réplique au pourvoi incident (point 3).


73
Requête déposée par KTS dans l’affaire T-45/98 (annexe 6).


74
Ibidem (annexe 7).


75
Ibidem (annexe 8).


76
Ibidem (annexe 9).


77
40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73 (Rec. p. 1663, points 77 à 84).


78
29/83 et 30/83 (Rec. p. 1679, points 6 à 9).


79
T‑6/89 (Rec. p. II‑1623, point 235).


80
T‑134/94 (Rec. p. II‑239, point 135 à 138).


81
Voir, notamment, arrêts Cascades/Commission, précité (point 78); du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité (point 37), et du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission (C‑297/98 P, Rec. p. I‑10101, point 27).


82
Voir arrêts Commission/Anic Partecipazioni, précité (point 145); du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, précité (point 38), et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, non encore publié au Recueil, point 359).


83
Voir les informations communiquées par KTS dans son mémoire en réplique au pourvoi incident (point 35), qui n’ont pas été contestées par la Commission.


84
Arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, Rec. p. 461, point 9).


85
Voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission (41/69, Rec. p. 661, point 26); du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 29), et du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, (C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307, point 135).


86
C‑395/96 P et C‑396/96 P (Rec. p. I‑1365, point 143).


87
C‑176/99 P (non encore publié au Recueil, point 21).


88
Annexe 4 de la lettre adressée par KTS le 10 mars 1998 au greffe du Tribunal dans l’affaire T‑45/98 (point 11 F, traduction libre).


89
Mémoire en réponse de la Commission (point 55).


90
Aux points 94 à 102 de son mémoire en réponse, elle analyse des arrêts qui, de son propre aveu (voir mémoire en réponse, point 54), concernent un grief différent, à savoir le troisième moyen, relatif aux exigences en matière de droits de la défense.


91
Voir point 161 des présentes conclusions.


92
Voir point 162 des présentes conclusions.


93
Voir, en particulier, la réponse de KTN à la première communication des griefs; la réponse de KTN à la seconde communication des griefs; le procès-verbal d’accès au dossier du 28 mai 1997, et la déclaration de KTN du 23 juillet 1997 (respectivement annexes 6, 7, 8 et 9 de la requête déposée par KTN dans l’affaire T‑45/98).


94
Voir points 27 à 39 des présentes conclusions.


95
Requête déposée par Acerinox dans l’affaire T‑48/98 (p. 9).


96
Idem.


97
Voir, notamment, arrêt Baustahlgewebe/Commission, précité (point 58).


98
Arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, précité (point 1838).


99
Voir, notamment, arrêt Suiker Unie e.a., précité (point 164), et arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Marlines/Commission (T‑56/99, non encore publié au Recueil, point 46).


100
Voir, notamment, arrêt du Tribunal du 15 mars 1994, La Pietra/Commission (T‑100/92, RecFP p. I-A-83 et II‑275, point 37).


101
Voir, notamment, arrêt du Tribunal du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission (T‑5/00 et T-6/00, non encore publié au Recueil, point 174).


102
Conclusions du juge Vesterdorf faisant fonction d’avocat général dans l'affaire Rhône-Poulenc/Commission (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, T‑1/89, Rec. p. II‑867, II‑956), et arrêt du Tribunal Cimenteries CBR e.a./Commission, précité (points 1838 et 3172).


103
Voir arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, précité (points 1346 à 1349), et, pour un cas contraire, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2003, Chetaud/Parlement (T‑65/02, non publié au Recueil, points 48 et suiv.).


104
Le nom de cette personne étant occulté dans la décision litigieuse (voir point 21 des motifs), nous l’occultons également dans les présentes conclusions.


105
La télécopie litigieuse précise, en effet: «Martin mentioned in a fax before Christmas that there is a possibility that surchages [...] could be applied from February onwards» (Martin a indiqué dans un fax avant Noël qu’il était possible que des extra soient appliqués à partir de février) (traduction libre).