Language of document : ECLI:EU:T:2024:325

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

29 mai 2024 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Notion d’“homme d’affaires influent” – Article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145/PESC – Exception d’illégalité – Proportionnalité – Obligation de motivation – Droit à une protection juridictionnelle effective – Erreur d’appréciation – Droit au respect de la vie privée – Droit de propriété – Liberté d’entreprise »

Dans l’affaire T‑302/22,

Alexander Semenovich Vinokurov, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes E. Epron, C. Gimbert et J.-F. Quievy, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes K. Pavlaki et S. Lejeune, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. D. Spielmann, président, Mme M. Brkan (rapporteure) et M. T. Tóth, juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 7 novembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, le requérant, M. Alexander Semenovich Vinokurov, demande, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2022/397 du Conseil, du 9 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 31), et du règlement d’exécution (UE) 2022/396 du Conseil, du 9 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2022 »), troisièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars 2023 ») et, quatrièmement, de la décision (PESC) 2023/811 du Conseil, du 13 avril 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 101, p. 67), et du règlement d’exécution (UE) 2023/806 du Conseil, du 13 avril 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 101, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien d’avril 2023 »), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») inscrivent et maintiennent son nom sur les listes annexées auxdits actes.

 Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité russe.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16). Le même jour, il a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

4        Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Lougansk », autoproclamées, et a ordonné le déploiement des forces armées russes dans ces zones.

5        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives. Celles-ci concernaient, premièrement, des restrictions applicables aux relations économiques avec les régions non contrôlées par les gouvernements de Donetsk et de Lougansk, deuxièmement, des restrictions à l’accès au marché des capitaux, notamment en interdisant le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale, et, troisièmement, l’ajout de membres du gouvernement, de banques, d’hommes d’affaires, de généraux ainsi que de 336 membres de la Gosudarstvennaya Duma Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie) sur la liste des personnes, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives.

6        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

7        Le même jour, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a publié une déclaration au nom de l’Union européenne condamnant avec la plus grande fermeté l’« invasion non provoquée » de l’Ukraine par les forces armées russes et a indiqué que la riposte de l’Union comprendrait des mesures restrictives à la fois sectorielles et individuelles.

8        Lors de sa réunion extraordinaire du même jour, le Conseil européen a condamné l’intervention militaire russe en Ukraine tout en marquant son accord de principe pour l’adoption de mesures restrictives et de sanctions économiques envers la Fédération de Russie au regard des propositions de la Commission européenne et du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

9        Le 25 février 2022, le Conseil a adopté une deuxième série de mesures restrictives. À cette même date, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

10      L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 telle que modifiée »), prévoit ce qui suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a)      à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;

[…]

d)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;

[…]

f)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

11      Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

12      L’article 1er, paragraphe 1, sous a), b), d) et e), de la décision 2014/145 telle que modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a), d), f) et g), de cette même décision.

13      Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330 (ci-après le « règlement no 2014/145 tel que modifié »), impose l’adoption de mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 telle que modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement tel que modifié reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

14      Dans ce contexte, par les actes initiaux, le Conseil a ajouté le nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figuraient à l’annexe de la décision 2014/145 telle que modifiée et à l’annexe I du règlement no 269/2014 tel que modifié (ci-après les « listes litigieuses »).

15      Les motifs de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses sont les suivants :

« [le requérant] est un homme d’affaires russe ayant des intérêts commerciaux dans le commerce de détail alimentaire, les produits pharmaceutiques, l’agriculture et les infrastructures. Il occupe des postes de direction au sein du groupe Maraton, une société d’investissement, et de Magnit, le plus grand détaillant russe de produits alimentaires. [Le requérant] est marié à Ekaterina Sergueïevna Vinokourova, fille de Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie. Son père est Semen Vinokourov, qui a dirigé l’entreprise unitaire d’État “Pharmacies de la capitale” (“Stolitchnye apteki” ou “Capital Pharmacies”) et est considéré comme l’un des principaux entrepreneurs de l’industrie pharmaceutique russe. [Le requérant] a donc des liens étroits avec le gouvernement russe et est actif dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

Le 24 février 2022, à la suite des premières phases de l’agression russe contre l’Ukraine, [le requérant], ainsi que 36 autres hommes d’affaires, ont rencontré le président Vladimir Poutine et d’autres membres du gouvernement russe pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il a été invité à participer à cette réunion montre qu’il fait partie du cercle le plus proche de Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Cela montre également qu’il fait partie des hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. Cela est également corroboré par les liens personnels étroits entre [le requérant] et le ministre des affaires étrangères S. Lavrov, qui est responsable de l’agression et des politiques menées par la Russie qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. »

16      Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 10 mars 2022 (JO 2022, C 114 I, p. 1), un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes initiaux. Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes annexées aux actes attaqués, en y joignant des pièces justificatives.

17      Par lettre datée du 5 mai 2022, reçue par le Conseil le 9 mai 2022, le requérant a demandé la communication du dossier sur lequel s’est fondé le Conseil pour l’inscrire sur les listes litigieuses. Par lettre du 17 mai 2022, le Conseil a communiqué ce dossier portant la référence WK 2950/2022 (ci-après le « dossier de preuves de mars 2022 »).

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

18      Le 14 septembre 2022, sur le fondement de l’article 29 TUE et de l’article 215 TFUE, le Conseil a adopté les actes de maintien de septembre 2022.

19      Par ces actes de maintien de septembre 2022, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 15 mars 2023 à l’égard du requérant pour les mêmes motifs que ceux ayant fondé son inscription initiale, repris au point 15 ci-dessus.

20      Par lettre du 16 septembre 2022, le Conseil a informé le requérant de sa décision de maintenir les mesures restrictives à son égard et des voies de recours dont il disposait.

21      Par lettre du 18 octobre 2022, le requérant a demandé la communication du dossier sur lequel s’est fondé le Conseil pour le maintenir sur les listes litigieuses. Par lettre du 27 octobre 2022, le Conseil a informé le requérant qu’il s’était fondé sur le même dossier de preuves que celui utilisé pour son inscription initiale sur les listes litigieuses.

22      Par lettre du 22 décembre 2022, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard en modifiant les motifs d’inscription sur le fondement de dossier portant la référence WK 17686/2022 INIT (ci-après « le dossier de preuves de décembre 2022 ») et l’a invité à faire valoir ses observations avant 12 janvier 2023. Par lettre du 18 janvier 2023, le requérant a transmis ses observations au Conseil.

23      Le 13 mars 2023, sur le fondement de l’article 29 TUE et de l’article 215 TFUE, le Conseil a adopté les actes de maintien de mars 2023.

24      Les motifs du maintien du nom du requérant ont été modifiés, conformément à ce que le Conseil avait annoncé dans sa lettre du 22 décembre 2022, et étaient libellés comme suit :

« [le requérant] est un homme d’affaires russe ayant des intérêts commerciaux dans le commerce de détail alimentaire, les produits pharmaceutiques, l’agriculture et les infrastructures. Il occupe des postes de direction au sein du groupe Maraton, une société d’investissement, et de Magnit, le plus grand détaillant russe de produits alimentaires. Il détient également des parts dans Demetra Holding, le deuxième exportateur russe de céréales, la Russie étant le plus grand exportateur mondial de blé. Il est marié à Ekaterina Sergueïevna Vinokourova, fille de Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie. Son père est Semen Vinokourov, qui a dirigé l’entreprise unitaire d’État “Pharmacies de la capitale” (“Stolitchnye apteki” ou “Capital Pharmacies”) et est considéré comme l’un des principaux entrepreneurs de l’industrie pharmaceutique russe. [Le requérant] a donc des liens étroits avec le gouvernement russe et a une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

Le 24 février 2022, après les premières phases de l’agression russe contre l’Ukraine, [le requérant] ainsi que 36 autres hommes d’affaires ont rencontré le président Vladimir Poutine et d’autres membres du gouvernement russe pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il a été invité à participer à cette réunion montre qu’il appartient au cercle le plus proche de Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Cela montre aussi qu’il est un des hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. Cela est également corroboré par les liens personnels étroits entre [le requérant] et le ministre des affaires étrangères S. Lavrov, qui est responsable de la guerre d’agression et des politiques menées par la Russie qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. »

25      Par lettre du 14 mars 2023, le Conseil a informé le requérant que, après avoir pris en compte ses observations transmises dans sa lettre du 18 janvier 2023, il a été décidé de maintenir les mesures restrictives à son égard. Le requérant a également été informé des voies de recours à sa disposition.

26      Par lettre du 27 mars 2023, le requérant a demandé la communication du dossier sur lequel s’est fondé le Conseil pour maintenir le requérant sur les listes litigieuses.

27      Le 13 avril 2023, sur le fondement de l’article 29 TUE et de l’article 215 TFUE, le Conseil a adopté les actes de maintien d’avril 2023.

28      Les motifs du maintien du nom du requérant ont été modifiés comme suit :

« [le requérant] est un homme d’affaires russe ayant des intérêts commerciaux dans le commerce de détail alimentaire, les produits pharmaceutiques, l’agriculture et les infrastructures. Il occupe des postes de direction au sein du groupe Maraton, une société d’investissement, et de Magnit, le plus grand détaillant russe de produits alimentaires. Il détient également des parts dans Demetra Holding, l’un des plus grands négociants de céréales de Russie ayant des activités d’exportation de céréales, la Russie étant le plus grand exportateur mondial de blé. Il est marié à Ekaterina Sergueïevna Vinokourova, fille de Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie. Son père est Semen Vinokourov, qui a dirigé l’entreprise unitaire d’État “Pharmacies de la capitale” (Capital Pharmacies) et est considéré comme l’un des principaux entrepreneurs de l’industrie pharmaceutique russe. [Le requérant] a donc des liens étroits avec le gouvernement de la Fédération de Russie et a une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour ledit gouvernement, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.

Le 24 février 2022, après les premières phases de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, [le requérant] ainsi que 36 autres femmes et hommes d’affaires ont rencontré le président Vladimir Poutine et d’autres membres du gouvernement russe pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il a été invité à participer à cette réunion montre qu’il appartient au cercle le plus proche de Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Cela montre aussi qu’il est un des hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. Cela est également corroboré par les liens personnels étroits entre [le requérant] et le ministre des affaires étrangères Sergey Lavrov, qui est responsable de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de cet État. »

29      Par lettre du 21 avril 2023, le Conseil a informé le requérant, en réponse à son courrier du 27 mars 2023, que le maintien des mesures restrictives à son égard était fondé sur le dossier de preuves de décembre 2022.

 Conclusions des parties

30      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en tant qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

31      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les mesures adoptées à l’encontre du requérant, ordonner que les effets de l’annulation des décisions 2022/397, 2022/1530, 2023/572 et 2023/811 soient maintenus jusqu’à ce que l’annulation partielle des règlements d’exécution 2022/396, 2022/1529, 2023/571 et 2023/806 prenne effet ; 

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

32      À l’appui de son recours, le requérant soulève, par la voie de l’exception, l’illégalité du critère prévu à l’article 1er, sous e), et à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 telle que modifiée. Il invoque en outre un moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation, un moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, un moyen tiré d’une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux et un moyen tiré d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et d’une atteinte aux droits de la défense.

 Sur l’illégalité soulevée, par voie de l’exception, du critère prévu à l’article 1er, sous e), et à l’article 2, paragraphe 1, sous g) de la décision 2014/145 telle que modifiée 

33      Le requérant fait valoir que l’élargissement des critères par la décision 2022/329 ne permet plus de considérer l’objectif des mesures restrictives comme un moyen de pression sur les autorités russes en vue d’influer sur leurs décisions relatives à l’Ukraine au motif que les personnes visées n’ont aucun lien avec la situation en Ukraine. En particulier, le requérant soutient que l’objectif des mesures restrictives est affaibli en ce qu’il n’est plus exigé que les personnes visées par lesdites mesures participent directement ou indirectement aux actions de la Fédération de Russie en Ukraine et en Crimée.

34      Le Conseil conteste cette argumentation.

35      Lors de l’audience, en réponse à une demande de clarification du Tribunal, le requérant a indiqué que, par son argumentation, il soulève une exception d’illégalité sur le fondement de l’article 277 TFUE visant à contester la légalité du critère visant « [d]es femmes et hommes d’affaires influents […] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine [article 1er, sous e) et article 2, paragraphe 1, sous g) de la décision 2014/145 telle que modifiée (ci-après le « critère g) »] au motif que celui-ci viole le principe de proportionnalité.

36      Lors de l’audience, le Conseil a fait valoir que l’exception d’illégalité soulevée par le requérant devrait être déclarée irrecevable au motif qu’il s’agirait d’un argument nouveau soulevé tardivement en tant qu’il n’a pas été formulé clairement dans la requête.

37      Certes, il convient de relever que le requérant n’a pas soulevé formellement d’exception d’illégalité dans sa requête. Toutefois, il ressort clairement de la requête que le requérant entend faire valoir que le critère g) est contraire au principe de proportionnalité. En effet, le requérant y soutient que l’élargissement des critères d’inscription prévu par la décision 2022/329 ne permettrait pas d’atteindre les objectifs poursuivis par les mesures restrictives en raison de l’absence de lien entre les personnes visées par ledit critère et la situation en Ukraine.

38      En outre, il y a lieu de constater que le mémoire en défense contient des arguments visant à contester l’argumentation du requérant en ce qui concerne la légalité du critère g) au regard du principe de proportionnalité. Dès lors, le Conseil ne saurait faire valoir qu’il n’a pas eu la possibilité de se défendre. Il s’ensuit que l’argumentation visant à contester la légalité du critère g) figurant dans la requête satisfait aux exigences de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal dans la mesure où celle-ci est suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur cette demande.

39      Partant, l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil lors de l’audience doit être rejetée.

40      Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

41      L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base d’une telle décision si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).

42      Concernant l’intensité du contrôle juridictionnel, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).

43      Il n’en demeure pas moins que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes attaqués prévoyant les critères litigieux visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir [voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 149 (non publié)].

44      En l’espèce, le requérant soutient, en substance, que le critère g) viole le principe de proportionnalité au motif qu’il implique l’application de mesures restrictives à des personnes qui ne participent pas directement ou indirectement aux actions de la Fédération de Russie en Ukraine et en Crimée, de sorte que l’élargissement du champ d’application personnel des mesures restrictives ne permettrait pas d’atteindre l’objectif visant à faire pression sur les autorités russes en vue d’influer sur leurs décisions relatives à l’Ukraine.

45      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêts du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 52, et du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 100). Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205, et du 4 avril 2019, Sharif/Conseil, T‑5/17, EU:T:2019:216, point 90).

46      Il en résulte qu’il incombe au Tribunal de vérifier si le critère g) n’est pas manifestement inapte à réaliser les objectifs visés par l’article 21 TUE, tels qu’appliqués à la situation particulière de l’Ukraine, et s’il ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

47      Premièrement, il convient de relever que le critère g) poursuit un des objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune. En effet, l’adoption de mesures restrictives à l’égard notamment des hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, s’inscrit dans le cadre de l’objectif, visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies signée à San Francisco (États-Unis) le 26 juin 1945.

48      Deuxièmement, ainsi que cela ressort du préambule de la décision 2022/329, l’élargissement du champ d’application des mesures restrictives, notamment par l’adoption du critère g), a été justifié par la dégradation continue de la situation en Ukraine ayant abouti, le 24 février 2022, à l’agression de ce pays par la Fédération de Russie ainsi que par l’absence de succès des mesures adoptées précédemment. Or, il résulte d’une telle démarche fondée sur la progressivité de l’atteinte aux droits en fonction de l’effectivité des mesures que leur proportionnalité est établie (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 126, et du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 104).

49      En outre, en tant que le critère g) vise les femmes et les hommes d’affaires influents qui exercent des activités dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, le Conseil pouvait légitimement espérer que les mesures restrictives contribuent à accroître la pression sur les décideurs et le gouvernement russe responsable de l’invasion de l’Ukraine ainsi que le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Dès lors, contrairement à ce que fait valoir le requérant, il existe un rapport entre le critère g) et l’objectif poursuivi par les mesures restrictives. Il s’ensuit que ledit critère n’apparaît pas comme manifestement inapproprié afin d’atteindre les objectifs poursuivis par les mesures restrictives.

50      Troisièmement, l’élargissement du champ d’application des mesures restrictives, en tant que celui-ci vise également les femmes et les hommes d’affaires influents exerçant des activités dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie revêt un caractère nécessaire pour exercer une pression sur les décideurs russes ainsi que pour accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. En l’espèce, force est de constater que le requérant n’invoque aucune mesure alternative moins contraignante qui aurait permis d’atteindre efficacement les objectifs poursuivis par les mesures restrictives.

51      Au demeurant, il convient de relever que si les actes attaqués ne visaient pas cette catégorie des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant des activités dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, la réalisation des objectifs poursuivis par les mesures restrictives pourrait être compromise. En effet, compte tenu de l’importance de ces personnes dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance que revêt ce secteur pour l’économie russe, le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, estimer qu’un champ d’application des mesures restrictives n’incluant pas cette catégorie de personnes ne permettrait pas, compte tenu de l’aggravation de la situation en Ukraine, d’exercer une pression maximale sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays.

52      Eu égard aux considérations qui précèdent, l’exception d’illégalité soulevée par le requérant doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation

53      Le requérant soutient que les actes attaqués ne sont pas adéquatement motivés.

54      En premier lieu, si le requérant reconnaît qu’il connaissait le contexte des sanctions occidentales visant certains hommes d’affaires russes proches du gouvernement de la Fédération de Russie en lien avec le conflit ukrainien, il fait valoir en revanche que, au moment de l’adoption des actes attaqués, aucun contexte ne lui permettait de savoir que l’ensemble des personnes physiques impliquées dans une activité commerciale significative en Russie et à l’étranger pourrait faire l’objet de mesures restrictives.

55      En deuxième lieu, le requérant soutient que les motifs de l’acte faisant grief ne sont pas étayés de manière suffisamment précise. Premièrement, il relève que les motifs d’inscription se rapportent à des secteurs d’activités alors que les critères visés dans la décision 2022/397 ne visent que des personnes déterminées ce qui ne lui permettrait pas de comprendre les raisons justifiant sur inscription sur les listes litigieuses des actes attaqués. Deuxièmement, le requérant conteste l’absence de précisions sur ce que le Conseil entend par « fournir des revenus substantiels au gouvernement ». Troisièmement, le requérant reproche au Conseil d’avoir utilisé des motifs qui ne correspondent pas aux critères pertinents. En particulier, il soutient que ses liens familiaux ne sauraient corroborer des liens étroits avec les décideurs ou le gouvernement russe. Quatrièmement, le requérant estime que sa participation à la réunion du 24 février 2024 avec le président Poutine et des hommes d’affaires russes n’implique pas qu’il soutienne ou mette en œuvre des actions ou politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. De même, le requérant considère que le motif tiré de ce qu’il met en œuvre des actions ou des politiques gouvernementales ne correspond pas au critère du soutien matériel et financier au gouvernement russe ou aux décideurs russes.

56      En troisième lieu, en réponse à l’argument du Conseil selon lequel il ressort du libellé des motifs d’inscription qu’il a notamment été inscrit sur les listes litigieuses dans les actes attaqués sur le fondement du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 telle que modifiée [ci-après le « critère a) »], le requérant fait valoir que le libellé des motifs d’inscription ne permettent pas de le rattacher à ce critère. Selon le requérant, le Conseil a substitué a posteriori les critères d’inscription par de nouveaux critères.

57      Le Conseil conteste cette argumentation.

58      Il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 49).

59      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).

60      De plus, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 104 et jurisprudence citée).

61      En outre, la jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 105 et jurisprudence citée).

62      En l’espèce, il convient de relever, tout d’abord, que le requérant reconnaît avoir eu connaissance du contexte de l’adoption de mesures restrictives à l’égard de certains hommes d’affaires russes proches du gouvernement de la Fédération de Russie en lien avec le conflit ukrainien. En outre, les mesures litigieuses ont été adoptées sur le fondement des actes attaqués qui, tant pour les actes initiaux que pour les actes de maintien, précisent le contexte, dans le cadre de leurs considérants respectifs, et les fondements juridiques sur lesquels ils ont été adoptés. En particulier, il ressort du préambule des actes attaqués que la gravité de la situation en Ukraine ainsi que la poursuite des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de ce pays justifient l’inscription des personnes désignées sur les listes litigieuses ainsi que leur maintien sur lesdites listes. Il s’ensuit que le requérant ne saurait faire valoir qu’il n’avait pas connaissance du contexte dans lequel s’inscrivent les mesures restrictives adoptées à son égard.

63      Ensuite, il ressort des motifs des actes initiaux et des actes de maintien de septembre 2022 énoncés au point 15 ci-dessus et de ceux des actes de maintien de mars et d’avril 2023 repris respectivement aux points 24 et 28 ci-dessus, d’une part, que ceux-ci visent le critère g) en tant qu’il est indiqué que le requérant « fait partie des hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine » et, d’autre part, que ceux-ci visent également le critère a) en ce qu’il est énoncé que le requérant « soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine ». Partant, même si la motivation ne fait pas expressément référence aux dispositions établissant le critère a) et le critère g), elle s’y rattache nécessairement au vu de sa formulation presque identique à celle du libellé de ces critères.

64      Il convient de relever que l’argument du requérant tiré de ce que le Conseil aurait procédé à une substitution de critères au motif que le dossier de preuves de mars 2022 ne mentionnait pas le critère a) et faisait référence à d’autres critères que ceux retenus dans les actes attaqués, à savoir ceux prévus à l’article 2, paragraphe 1, sous d) et f), de la décision 2014/145 telle que modifiée, est inopérant dans le cadre d’un moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation. En effet, la motivation des actes attaqués doit être appréciée à la lumière du libellé des motifs d’inscription desquels il ressort clairement, dans le cas d’espèce, que le requérant a été inscrit sur le fondement des critères a) et g).

65      En ce qui concerne la prétendue insuffisance des motifs d’inscription qui ne permettraient pas au requérant de connaître les raisons pour lesquelles il a été inscrit sur les listes litigieuses, force est de constater que l’énoncé des circonstances factuelles figurant dans les motifs d’inscription des actes attaqués, rappelés aux points 15, 24 et 28 ci-dessus, constitue une motivation suffisamment claire et précise pour permettre au requérant de comprendre les raisons pour lesquelles son nom a été inscrit, puis maintenu, sur les listes litigieuses sur le fondement des critères a) et g).

66      Enfin, il convient de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (arrêts du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96, et du 22 juin 2022, Haswani/Conseil, T‑479/21, non publié, EU:T:2022:383, point 57).

67      Or, il convient de relever que, par ses autres arguments, le requérant conteste la légalité du critère g), le recours à des motifs non pertinents par rapport aux critères retenus et l’absence de pertinence de sa participation à la réunion du 24 février 2022 pour établir que les critères seraient remplis. Force est de constater, ainsi que l’a relevé le Conseil, que de tels arguments ne visent pas à contester la motivation des actes attaqués, mais leur bien-fondé.

68      Partant, il convient de rejeter le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur le moyen tiré d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et d’une atteinte aux droits de la défense 

69      Le requérant fait valoir que le Conseil a violé son droit à une protection juridictionnelle effective en tant que les actes initiaux n’ont pas fait l’objet d’une communication individuelle alors que son domicile est connu. En outre, le requérant reproche au Conseil d’avoir transmis tardivement le dossier de preuves de mars 2022 à quelques jours de l’expiration du délai de recours.

70      De plus, le requérant relève que les critères mentionnés dans le dossier de preuves de mars 2022 ne se recoupent pas avec ceux retenus dans les actes attaqués. À cet égard, le requérant estime que le Conseil a procédé à une substitution des critères a posteriori qui ne lui a pas permis de préparer sa défense dans les meilleures conditions possibles. Dès lors, le requérant considère que le Conseil a violé son droit à une protection juridictionnelle effective.

71      Le Conseil conteste cette argumentation.

72      S’agissant du droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 100).

73      L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 101).

74      En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102).

75      C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’analyser le présent moyen.

76      En premier lieu, en ce qui concerne l’argument tiré de ce que Conseil aurait violé le droit à la protection juridictionnelle effective du requérant au motif que les actes initiaux n’ont pas fait l’objet d’une communication individuelle, il convient de relever, tout d’abord, que l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2014/145 telle que modifiée, d’une part, et l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 269/2014 tel que modifié, d’autre part, prévoient que le Conseil communique sa décision et l’exposé des motifs à la personne qui fait l’objet des mesures restrictives « soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations ».

77      Ensuite, il ressort de la jurisprudence que, si une communication individuelle de ce type de décisions est en principe nécessaire, la seule publication au Journal officiel n’étant pas suffisante, il y a cependant lieu pour le juge de l’Union d’examiner, dans chaque affaire, si le fait de ne pas avoir porté individuellement les motifs de la décision litigieuse à la connaissance de la partie requérante a eu pour conséquence de priver cette dernière de la possibilité de connaître, en temps utile, la motivation de la décision litigieuse et d’apprécier le bien-fondé de la mesure de gel de fonds et de ressources économiques adoptée à son égard (arrêts du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 48, et du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 102 ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, EU:C:2011:735, point 56).

78      En outre, selon la jurisprudence, le Conseil peut être considéré comme étant dans l’impossibilité de communiquer individuellement à une personne physique ou morale ou à une entité un acte comportant des mesures restrictives la concernant soit lorsque l’adresse de cette personne ou cette entité n’est pas publique et ne lui a pas été fournie, soit lorsque la communication envoyée à l’adresse dont il dispose échoue, en dépit des démarches qu’il a entreprises, avec toute la diligence requise, afin d’effectuer une telle communication [arrêts du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 61, et du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 103(non publié)].

79      En l’espèce, le Conseil soutient que l’adresse du requérant n’était pas publique et qu’il n’en disposait pas au moment de l’adoption des actes initiaux.

80      Or, le requérant n’a pas apporté d’indices tendant à démontrer que le Conseil disposait de son adresse, qu’elle fût personnelle ou professionnelle, à la date d’adoption des actes initiaux, soit parce que ladite adresse lui avait été fournie, soit parce qu’elle était publique.

81      Dès lors, il y a lieu de considérer que l’argument selon lequel le Conseil aurait dû communiquer au requérant les actes initiaux par notification directe doit être écarté.

82      En deuxième lieu, s’agissant de la prétendue communication tardive par le Conseil du dossier de preuves de mars 2022, il convient de rappeler que, par l’avis publié au Journal officiel le 10 mars 2022 mentionné au point 16 ci-dessus, les personnes et entités visées par les mesures restrictives découlant des actes initiaux avaient été informées de la mise en œuvre desdites mesures ainsi que des voies de recours à leur disposition.

83      Force est de constater que c’est par une lettre datée du 5 mai 2022, laquelle a été réceptionnée par le Conseil le 9 mai 2022, que le requérant a demandé la communication du dossier de preuves de mars 2022. Il ressort des éléments du dossier que le Conseil a fait droit à cette demande par l’envoi d’une lettre le 17 mai 2022, soit huit jours calendaires après la réception de la demande. Il s’ensuit que, compte tenu du fait que le requérant a demandé l’accès au dossier de preuves près de deux mois après son inscription sur les listes litigieuses, il ne saurait reprocher au Conseil d’avoir transmis tardivement le dossier de preuves de mars 2022 à quelques jours de l’expiration du délai pour introduire le présent recours.

84      En troisième lieu, il convient d’examiner l’argument tiré de ce que le requérant n’aurait pas pu assurer convenablement sa défense dans le présent recours en raison du fait que les critères mentionnés dans le dossier de preuves de mars 2022 ne se recoupent pas avec ceux retenus dans les actes attaqués. Certes, compte tenu de la divergence entre les critères mentionnés dans le dossier de preuves de mars 2022 et ceux retenus lors de l’adoption des actes initiaux, il est regrettable que dans la lettre par laquelle ledit dossier a été communiqué au requérant, le Conseil n’ait pas précisé que les critères proposés aux fins de l’adoption des actes initiaux étaient différents de ceux finalement retenus dans lesdits actes. Cela étant, ainsi que cela a été constaté au point 63 ci-dessus, il ressort sans équivoque des motifs d’inscription des actes attaqués que le requérant a été inscrit sur les listes litigieuses sur le fondement des critères a) et g).

85      Dès lors, le requérant pouvait exposer dans sa requête des arguments visant à contester son inscription sur le fondement du critère a) même si celui-ci n’était pas mentionné dans le dossier de preuves de mars 2022. Au demeurant, il y a lieu de relever que le requérant a présenté des arguments visant à contester son inscription sur le fondement dudit critère dans son mémoire en réplique ainsi que dans ses mémoires en adaptation des conclusions.

86      En outre, s’agissant du critère g), lequel est également clairement visé dans les actes attaqués et mentionné dans le dossier de preuves de mars 2022, il y a lieu de constater que le requérant a soulevé des arguments pour contester le fondement de son inscription sur ce fondement et ce tant dans la requête que dans l’ensemble de ses mémoires.

87      Par conséquent, le requérant ne saurait faire valoir qu’il n’a pas été en mesure de défendre convenablement ses intérêts dans le cadre du présent recours.

88      Partant, il y a lieu de rejeter le moyen tiré d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et d’une atteinte aux droits de la défense.

 Sur le moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation

89      Le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil a commis des erreurs manifestes d’appréciation en tant que, par les actes initiaux, les actes de maintien de septembre 2022, et les actes de maintien de mars 2023 et d’avril 2023, il a été inscrit et maintenu sur les listes litigieuses en application du critère g) ainsi que des critères prévus à l’article 2, paragraphe 1, sous a), d) et f), de la décision 2014/145 telle que modifiée.

 Considérations liminaires

90      Il importe de relever que le présent moyen doit être considéré comme tiré d’erreurs d’appréciation et non d’erreurs manifestes d’appréciation. En effet, s’il est vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).

91      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 62).

92      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, points 63 et 66).

93      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cette fin, il n’est pas requis que le Conseil produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou l’entité concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 66 et 67 ; voir, également, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 73 et jurisprudence citée).

94      Dans cette hypothèse, il incombe au juge de l’Union de vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et d’apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

95      S’agissant, plus particulièrement, du contrôle de légalité exercé sur les actes de maintien du nom de la personne concernée sur les listes litigieuses, il convient de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67).

96      Il en résulte que, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur une liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la partie requérante sur ladite liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99). À ce titre, l’évolution du contexte inclut la prise en considération, d’une part, de la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi ainsi que de la situation particulière de la personne concernée (arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 ; voir également, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 101), et, d’autre part, de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, de l’absence de réalisation des objectifs visés par les mesures restrictives (arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 56 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 82 à 84 et jurisprudence citée).

97      En l’espèce, il ressort clairement des motifs d’inscription des actes attaqués que le requérant a été inscrit sur les listes litigieuses sur le fondement des critères a) et g) de la décision 2014/145 telle que modifiée. À cet égard, il convient de relever que la légalité des actes attaqués doit être appréciée à la lumière des critères retenus dans les actes attaqués et non en tenant compte de ceux proposés par le SEAE à l’attention du Conseil. Ainsi, la circonstance que les critères proposés par le SEAE ne sont pas les mêmes que ceux retenus par le Conseil dans les actes attaqués à l’égard du requérant est sans incidence sur la légalité de ces actes. Au demeurant, si le requérant fait valoir en substance que le Conseil a procédé à une substitution de base légale en retenant des critères différents de ceux proposés par le SEAE, la substitution de base légale ainsi alléguée manque en fait puisque le Conseil s’est toujours fondé sur les mêmes critères dans les actes attaqués.

98      C’est à la lumière de ces considérations liminaires qu’il convient de vérifier si le Conseil a commis des erreurs d’appréciation en décidant d’inscrire puis de maintenir le nom du requérant sur les listes litigieuses, en commençant par l’examen de l’application à celui-ci du critère g).

 Sur les actes initiaux

99      En premier lieu, s’agissant de l’interprétation et de la portée du critère g), le requérant fait valoir que ledit critère n’est pas expressément prévu par la décision 2022/397 par laquelle il a été inscrit sur les listes litigieuses. En outre, selon le requérant, la décision 2022/397 vise uniquement les personnes qui fournissent au gouvernement de la Fédération de Russie une source substantielle de revenus. Par conséquent, il estime que le Conseil doit démontrer que les personnes inscrites sur le fondement de ce critère fournissent personnellement une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

100    En deuxième lieu, le requérant considère que, pour déterminer si une personne est influente dans une société, il convient d’appliquer les critères de « propriété et de contrôle » figurant aux points 62 et 63 sous la section B, partie VIII, de la note du secrétariat général du Conseil relative aux meilleures pratiques de l’UE en ce qui concerne la mise en œuvre effective de mesures restrictives mise à jour le 27 juin 2022 (document 10572/22, ci-après « meilleures pratiques de l’UE »). En application de ces critères, le requérant soutient qu’il ne saurait être considéré comme étant le représentant légal de Magnit, Bentus et Demetra, de même qu’il n’est pas le propriétaire desdites sociétés. En outre, il fait valoir qu’il n’a pas la capacité d’exercer un contrôle sur lesdites sociétés au motif qu’il ne dispose que de participations minoritaires par l’intermédiaire de Marathon Group.

101    En troisième lieu, en ce qui concerne les secteurs économiques, le requérant soutient que Marathon Group n’est pas une société s’adressant à un secteur particulier, mais constitue une société d’investissement, dont les investissements sont diversifiés et de nature minoritaire.

102    S’agissant du secteur pharmaceutique, le requérant fait valoir qu’il n’avait plus d’activité dans ce secteur au moment de son inscription sur les listes litigieuses et qu’il ne saurait être considéré comme un acteur important dudit secteur. En particulier, les actifs dans ce secteur figurant dans les éléments de preuve nos 4 et 5, à savoir les sociétés Fort, Sintez et Biocom, auraient été cédées plusieurs années avant l’adoption des actes initiaux. Selon le requérant, le Conseil s’est fourvoyé en s’attachant à la dénomination sociale de Marathon Pharma qui constitue une holding par laquelle la société Marathon détient une participation dans Bentus qui est une entreprise d’une taille insignifiante ne produisant aucun médicament au sens de la législation russe, mais uniquement des gels hydroalcooliques, des parfums d’ambiance, des savons et des produits ménagers.

103    En ce qui concerne le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire, le requérant indique que l’agriculture ne représente que 3,8 % du PIB en Russie, ce qui est la part la plus faible par rapport au secteur industriel et à celui des services.

104    Le requérant considère également que, eu égard à son classement dans la base Crunch, Demetra Holding n’est pas une société d’une importance particulière pour le secteur agroalimentaire russe. Quant à la société Magnit qui représente un peu moins de 15 % du marché national du commerce alimentaire, le requérant considère que, eu égard à son classement dans la base Crunch, cette société ne saurait être considérée comme l’une des plus importantes au niveau mondial.

105    En quatrième lieu, le requérant soutient que si le fait de diriger une entreprise russe d’une taille importante payant ses impôts en conformité avec la loi applicable devrait être un motif d’inscription sur les listes des personnes visées par des mesures restrictives, il y aurait lieu d’inscrire également les dirigeants des filiales russes de groupes européens.

106    Le Conseil conteste cette argumentation.

107    À titre liminaire, ainsi que le requérant l’a reconnu lors de l’audience, il y a lieu de relever que le critère g), sur le fondement duquel il a notamment été inscrit sur les listes litigieuses, a été introduit dans le régime de mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine par la décision 2022/329 mentionnée aux points 9 et 10 ci-dessus. Par conséquent, l’argument tiré de ce que le critère sur le fondement duquel il a été inscrit n’a pas été prévu par la décision 2022/397 est dépourvu de pertinence. En effet, dans cette dernière décision, par laquelle le requérant a été inscrit sur les listes litigieuses, il a été fait application à son égard de critères de désignation prévus par la décision 2014/145 telle que modifiée par la décision 2022/329, parmi lesquels figure notamment le critère g).

108    S’agissant des difficultés d’interprétation du critère g) évoquées par le requérant, il convient de constater que ce critère implique la notion d’influence liée à l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe », sans autre condition concernant un lien avec le régime.

109    La notion d’« hommes d’affaires influent », doit donc être comprise comme visant l’importance de ces derniers au regard, selon le cas, de leurs statuts professionnels, de l’importance de leurs activités économiques, de l’ampleur de leurs possessions capitalistiques ou de leurs fonctions au sein d’une ou de plusieurs entreprises dans lesquelles ils exercent ces activités.

110    En effet, il existe un lien logique entre, d’une part, le fait de cibler les femmes et les hommes d’affaires influents exerçant leurs activités dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement, au vu de l’importance que revêtent ces secteurs pour l’économie russe, et, d’autre part, l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût des actions de celle-ci visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157 et jurisprudence citée).

111    Il convient de relever que, contrairement à ce que prétend le requérant, l’expression « qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » figurant au critère g) se réfère, au vu du libellé de celui-ci, aux revenus provenant des secteurs économiques importants de la Fédération de Russie et non uniquement aux impôts payés personnellement par les femmes et les hommes d’affaires influents.

112    À cet égard, le préambule de la décision 2022/397, et en particulier ses considérants 5 et 6, est dépourvu de pertinence aux fins de l’interprétation du critère g) étant donné que ce n’est pas cette décision qui a introduit ledit critère dans le régime de mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. En tout état de cause, il convient de rappeler que le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé (voir arrêt du 24 novembre 2005, Deutsches Milch-Kontor, C‑136/04, EU:C:2005:716, point 32 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que, à supposer même que le préambule de la décision 2022/397 puisse être pris en considération, celui-ci ne saurait justifier une interprétation du critère g) dans un sens contraire à son libellé, lequel vise, sans équivoque, les revenus fournis au gouvernement russe par des secteurs économiques importants et non les impôts payés par des femmes et des hommes d’affaires influents.

113    En outre, contrairement à ce que soutient le requérant, la notion de « source substantielle de revenus » ne saurait être considérée comme étant vague ou ambiguë. En effet, s’il est vrai que ni la décision 2014/145 telle que modifiée ni le règlement no 269/2014 tel que modifié ne définissent cette notion, il n’en demeure pas moins que l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au mot « source », implique que cette source doit être significative et donc non négligeable.

114    Il convient donc, à l’aune de cette interprétation du critère g), d’examiner le bien-fondé des motifs des actes initiaux.

115    Il y a lieu de rappeler que le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses sur le fondement du critère g) au motif qu’il est un homme d’affaires russe ayant des intérêts commerciaux dans le commerce de détail alimentaire, les produits pharmaceutiques, l’agriculture et les infrastructures, qu’il occupe des postes de direction de la société d’investissement Marathon Group et du plus grand détaillant russe de produits alimentaires Magnit, qu’il a participé le 24 février 2022, avec d’autres hommes d’affaires, à une réunion avec le président de Fédération de Russie et des membres du gouvernement russe et que son père était considéré comme l’un des principaux entrepreneurs du secteur pharmaceutique russe.

116    En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil a fourni le dossier de preuves de mars 2022 comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, en particulier des captures d’écran et des articles de sites Internet d’information. Il s’agit en particulier des éléments suivants :

–        de captures d’écran du compte Twitter d’un journaliste du Financial Times indiquant la liste des participants à la réunion qui s’est tenue au Kremlin le 24 février 2022 entre le président Poutine et les milieux d’affaires russes (pièce no 1) ;

–        une capture d’écran de la biographie du requérant figurant sur le site Internet officiel de Marathon Group, consulté le 27 février 2022 (pièce no 2) ;

–        une capture d’écran de la biographie du requérant figurant sur le site Internet officiel de Magnit, consulté le 27 février 2022, (pièce no 3) ;

–        un lien vers un article intitulé « Russian millionaire to establish leading national drug distribution », publié le 11 février 2016 sur le site Internet d’information et d’analyse sur les produits pharmaceutiques, génériques et biotechnologiques The Pharma letter, consulté le 3 mars 2022 (pièce no 4) ;

–        un lien vers un article intitulé « Joint treatment : why Rostekh and Marathon Group combine assets », publié le 5 août 2017 sur le site Internet d’information sur les acteurs du marché de l’acier et des matières premières « steelland.org », consulté le 3 mars 2022 (pièce no 5) ;

–        des captures d’écran de la page du site Internet officiel de Marathon Group, consultée le 3 mars 2022 (pièce no 6) ;

–        une capture d’écran de la page du site Internet officiel de Magnit, consultée le 3 mars 2022 (pièce no 7).

117    Il convient de vérifier si l’ensemble de ces éléments de preuve soumis par le Conseil pour adopter les actes initiaux satisfaisait à la charge de la preuve qui lui incombe, et constitue un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer l’inscription du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement du critère g).

118    En premier lieu, concernant la qualification d’homme d’affaires influent conférée au requérant, il ressort des pièces nos 2 et 5 du dossier de preuves de mars 2022 qu’il est le fondateur et le président de la société d’investissement Marathon Group, laquelle a été créée en 2017. Ainsi que cela ressort de la pièce no 6 dudit dossier, cette société détient dans ses actifs des participations directes ou indirectes dans Magnit, KFC, Bentus et Demetra Holding.

119    Il convient de relever que selon les informations fournies par Marathon Group, issues de la pièce no 6 du dossier de preuves de mars 2022, cette société d’investissement se présente comme étant une société dont « la philosophie d’investissement est de rechercher les futurs leaders sur le marché en croissance et de développer leur efficacité grâce à des outils de planification efficaces, en développant des équipes de gestion, en établissant des systèmes de contrôles et en utilisant les meilleures pratiques de gestion d’entreprises ». En outre, selon ces informations sur ses activités, dans le cadre des projets achevés dans le secteur pharmaceutique, Marathon Group se prévaut d’avoir restructuré et amélioré le fonctionnement du distributeur de médicaments CIA group, lequel a été vendu en novembre 2018, d’avoir modernisé et amélioré les performances et l’efficience du producteur de produits pharmaceutiques et de matériel médical Biocom, lequel a été vendu en 2019, d’avoir mis en œuvre une nouvelle stratégie dans le producteur de produits pharmaceutiques et de matériel médical Sintez, lequel a été vendu en 2019, et d’avoir accru et modernisé les capacités de Fort, à savoir l’un des plus grands fabricants de vaccins contre la grippe, lequel a été vendu en 2020.

120    Compte tenu de la stratégie d’investissement de Marathon Group, caractérisée par une intervention dans la stratégie ou l’organisation des sociétés dans lesquelles des investissements sont réalisés, le Conseil pouvait valablement considérer que le requérant, en sa qualité de fondateur et de président de cette société d’investissement, était en mesure d’exercer une influence sur les sociétés dans lesquelles Marathon Group détient des participations, à savoir, notamment, Magnit, Bentus et Demetra Holding.

121    Le requérant considère que le Conseil ne saurait se fonder sur les participations de Marathon Group dans les sociétés dans lesquelles des investissements sont réalisés pour considérer qu’il est capable d’exercer une influence dans Magnit, Bentus et Demetra Holding. Selon le requérant, pour déterminer la capacité d’influence d’une personne ou d’une entité sur une société, le Conseil serait tenu d’appliquer les critères de « propriété et de contrôle » figurant dans les meilleures pratiques de l’UE.

122    Or, il y a lieu de relever qu’il ressort du point 3 des meilleures pratiques de l’UE que ces dernières doivent être considérées comme comportant des recommandations non exhaustives à caractère général, destinées à la mise en œuvre effective de mesures restrictives conformément au droit de l’Union en vigueur et à la législation nationale applicable. Ces recommandations n’ont pas d’effet juridique contraignant et ne doivent pas être comprises comme des dispositions recommandant une action qui serait incompatible avec le droit de l’Union. En outre, ainsi que le relève à bon droit le Conseil, les critères de propriété et de contrôle n’ont ni pour objet d’interpréter le critère g) ni pour effet de restreindre son champ d’application.

123    Ainsi, contrairement à ce que fait valoir le requérant, la circonstance que Marathon Group ne détient que des participations minoritaires dans Magnit, Bentus et Demetra Holding n’implique pas nécessairement une incapacité du requérant à exercer une influence dans lesdites sociétés par l’intermédiaire de la société d’investissement dont il est le fondateur et le président. En effet, un actionnaire, même minoritaire, est susceptible, du fait de l’importance de ses parts dans le capital, de la répartition de l’actionnariat ou des modalités d’adoption des décisions, d’exercer une influence sur des sociétés dans lesquelles il détient des participations. Il en résulte que la détermination de la capacité d’influence d’une personne ou d’une entité sur une société dans laquelle des participations sont détenues doit nécessairement faire l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière de l’ensemble des circonstances juridiques et factuelles pertinentes.

124    Tout d’abord, en ce qui concerne Magnit, il ressort de la pièce no 7 du dossier de preuves de mars 2022 qu’il s’agit d’une société cotée dont environ 66,7 % du capital est flottant. Or, le requérant reconnaît que Marathon Group détient directement 29,23 % des parts du capital de Magnit. De plus, il ressort de l’annexe A.17 que le reliquat du capital de Magnit, à savoir environ 4,07 % des parts du capital, se partage entre les membres du directoire de cette société et une filiale de Magnit dénommée Tander. Ainsi, il ressort de la structure de l’actionnariat de Magnit que le requérant, par l’intermédiaire de Marathon Group, en est non seulement le premier actionnaire, mais également le seul à détenir une part significative du capital.

125    En outre, il convient de relever que les motifs d’inscription font état de fonctions de direction occupées par le requérant dans Magnit. En effet, ainsi que cela ressort de la pièce no 3 du dossier de preuves de mars 2022, le 27 février 2022, le requérant était présenté comme un membre du conseil d’administration de Magnit. Certes, le requérant n’est pas le président de ce conseil, mais un des onze membres. Toutefois, ainsi que le fait valoir à juste titre le Conseil, il ressort de la description du rôle du conseil d’administration (annexe D.1) ainsi que des statuts de Magnit (annexe D.2), que cet organe de gouvernance est responsable de la stratégie de l’entreprise, du cadre afférent à sa gestion des risques et du contrôle interne ainsi que de la surveillance des organes exécutifs et d’autres fonctions clés de l’entreprise. Ainsi, pour mener à bien les missions qui lui sont confiées, le conseil d’administration dispose d’importantes prérogatives énumérées à l’article 14.2 des statuts de Magnit. Il s’ensuit que, dans les motifs d’inscription, le Conseil pouvait valablement considérer que la fonction de membre du conseil d’administration peut être assimilée à « un poste de direction » au sein de cette entreprise.

126    Ainsi, dès lors que le requérant est, par l’intermédiaire de Marathon Group, le premier actionnaire et le seul actionnaire à détenir une part significative du capital de Magnit et eu égard aux fonctions de direction qu’il occupe dans cette entreprise en tant que membre du conseil d’administration, le requérant ne saurait soutenir qu’il n’était pas capable d’exercer une influence sur Magnit.

127    Ensuite, s’agissant de Bentus, le requérant reconnaît que Marathon Group détient 30 % des parts de cette société par l’intermédiaire de la holding Pharmakontur. Or, il ressort de l’annexe C.5 que, parmi les dix actionnaires de Bentus, le requérant est indirectement le premier actionnaire de cette société. Dès lors, il ne saurait faire valoir qu’il n’est pas capable d’exercer une influence sur Bentus ce d’autant plus que, conformément aux statuts de cette société, la plupart des décisions de l’assemblée générale des actionnaires sont adoptées à l’unanimité ou à la majorité des trois quarts (annexe C.4). Ces éléments corroborent le fait que la stratégie d’investissement de Marathon Group consiste à intervenir dans la l’organisation des sociétés dans lesquelles des investissements sont réalisés, de sorte que, par son intermédiaire, le requérant est capable d’exercer une influence sur Bentus.

128    Enfin, s’agissant de Demetra Holding, le requérant reconnaît que Marathon Group détient 27,499 % de cette société par l’intermédiaire de la holding dénommée Marathon SPN. Il ressort de l’annexe C.8 que, au jour de l’adoption des actes initiaux, les autres parts du capital de Demetra Holding étaient détenues par seulement deux autres sociétés, à savoir Aphina qui détenait 45,001 % des parts et Granum qui détenait 27,5 % des parts de Demetra Holding. Certes, le requérant n’est pas indirectement le premier actionnaire de Demetra Holding. Toutefois, il y a lieu de relever que, conformément aux statuts de cette société dans leur version applicable en mars 2022, les décisions de l’assemblée générale des actionnaires étaient adoptées à l’unanimité ou à la majorité des deux tiers (annexe C.6). Ainsi, compte tenu du fait que cette société n’est détenue que par trois actionnaires et eu égard aux modalités d’adoption des décisions par l’assemblée générale des actionnaires, il s’avère que les voix de chaque actionnaire peuvent être décisives dans la mesure où pour l’adoption de décision il était nécessaire soit d’obtenir l’accord de tous les actionnaires soit d’au moins deux des trois actionnaires. Ainsi, ces éléments corroborent également que la stratégie d’investissement de Marathon Group se caractérise par une intervention dans la l’organisation des sociétés dans lesquelles des investissements sont réalisés, si bien que, par son intermédiaire, le requérant est en mesure d’exercer une influence sur Demetra Holding.

129    S’agissant de l’argument du requérant tiré de ce que Bentus n’est pas une société importante dans le secteur pharmaceutique, certes il ressort de la pièce no 6 du dossier de preuves de mars 2022 que ladite société assure la fabrication de produits désinfectants instantanés pour les mains et de solutions désinfectantes topiques à usage domestique et professionnel. Toutefois, ainsi que l’a démontré le requérant, cette société fabrique également des parfums d’ambiance, des savons et des produits ménagers. En outre, à supposer même que les produits désinfectants instantanés pour les mains et les solutions désinfectantes topiques à usage professionnel puissent être considérés comme étant des produits pharmaceutiques, il y a lieu de relever que le Conseil n’a apporté aucun élément de nature à démontrer que Bentus fabriquerait également d’autres produits susceptibles d’être considérés comme étant des produits pharmaceutiques, tels que des médicaments ou des substances actives entrant dans la composition de médicaments par fonction. Or, force est de constater que la production de produits désinfectants instantanés pour les mains et de solutions désinfectantes topiques à usage professionnel ne représente qu’une part très limitée du marché des produits pharmaceutiques. Dès lors, la circonstance que Bentus est présenté comme étant le plus grand producteur de ce type de produits en Russie ne saurait suffire, à elle seule, pour considérer qu’il s’agit d’une entreprise importante du secteur pharmaceutique dans ce pays.

130    Force est également de constater qu’il ressort de la pièce no 6 du dossier de preuves de mars 2022, que les participations que Marathon Group détenait dans d’autres sociétés du secteur pharmaceutique, à savoir CIA group, Biocom, Sintez et Fort, avaient toutes été cédées bien avant l’adoption des actes initiaux, de sorte que ces anciennes participations ne sauraient être prises en considération pour déterminer l’importance du requérant dans le secteur pharmaceutique au jour de l’adoption des actes attaqués. De même, la circonstance que le père du requérant avait occupé des fonctions importantes dans le secteur pharmaceutique russe est dépourvue de pertinence pour établir l’importance des activités du requérant dans le secteur pharmaceutique en Russie. Par conséquent, le Conseil ne saurait se fonder sur les intérêts commerciaux du requérant dans ce secteur, lesquels se limitent aux activités de Bentus, pour considérer que le requérant relève de la qualité d’homme d’affaires influent au sens du critère g).

131    En revanche, il ressort des motifs d’inscription que Magnit est considéré comme étant le plus grand détaillant russe de produits alimentaires. À cet égard, il ressort de la pièce no 7 du dossier de preuves de mars 2022, que, au 3 mars 2022, Magnit se présentait comme l’une des principales chaînes de distribution alimentaire en Russie occupant la première place en ce qui concerne le nombre de magasins et la couverture géographique. Selon cet élément de preuve, au 31 décembre 2021, il était dénombré 26 077 magasins présents dans 67 régions de Russie et le programme de fidélité de Magnit comptait environ 59 millions de clients. La pièce no 7 du dossier de preuves de mars 2022 indique également que Magnit est l’un des principaux employeurs en Russie avec environ 360 000 salariés ainsi que l’une des plus grandes entreprises de Russie avec un chiffre d’affaires, pour l’année 2021, de 1 856 milliards de roubles russes (RUB) (environ 18 milliards d’euros) et un EBITDA (à savoir les bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements) de 214,2 milliards de RUB (environ 2 milliards d’euros). Dès lors, le Conseil pouvait valablement considérer que Magnit est une entreprise importante du secteur du commerce de détail alimentaire.

132    Ainsi, en l’espèce, dans la mesure où le requérant est indirectement le premier actionnaire et le seul à détenir des parts significatives dans le capital de Magnit, qu’il occupe dans cette société des fonctions de direction et eu égard à l’importance de Magnit dans le secteur du commerce de détail alimentaire en Russie, au moment de l’adoption des actes initiaux, le Conseil pouvait valablement considérer, sur le seul fondement des activités du requérant dans ce secteur, qu’il relève de la qualité d’homme d’affaires influent au sens du critère g).

133    Cette conclusion est corroborée par l’importance de Demetra Holding dans le secteur de l’agriculture. En effet, il ressort de la pièce no 6 du dossier de preuves de mars 2022 que Demetra Holing détient des sociétés impliquées dans la logistique pour assurer le transport et l’exportation de céréales russes. En particulier, parmi les actifs de cette société figurent notamment le terminal céréalier et l’usine céréalière de Novorossiïsk (Russie), le terminal céréalier du port de Taman (Russie) ainsi que Russagrotrans considérée comme étant la principale compagnie de transport ferroviaire de céréales de Russie. Pour corroborer les éléments figurant dans le dossier de preuves, le Conseil a produit des éléments additionnels dans son mémoire en duplique qui confirment l’importance de Demetra Holding dans le transport et l’exportation des céréales produites en Russie. Il ressort de ces éléments additionnels que cette société se présente comme étant « la plus grande société d’infrastructure intégrée verticalement de Russie, combinant la logistique d’exportation et d’actifs commerciaux » et que ses actifs contribuent au transport et à l’exportation de plusieurs millions de tonnes de céréales (annexe D.3).

134    Ainsi, dans la mesure où le requérant est capable d’exercer une influence sur Demetra Holding par la détention indirecte de participations dans le capital de cette société et compte tenu de l’importance de cette société dans le secteur agricole, en particulier dans le transport et l’exportation de céréales, le Conseil pouvait également se fonder sur les intérêts commerciaux du requérant dans le domaine de l’agriculture et des infrastructures pour corroborer le constat qu’il relève de la qualité d’homme d’affaires influent au sens du critère g).

135    Par ailleurs, ainsi que cela ressort de la pièce no 1 du dossier de preuves de mars 2022, il convient de souligner que le requérant était présent à la réunion du 24 février 2022 organisée par le président de la Fédération de Russie et réunissant plusieurs hommes d’affaires russes. Or, bien que n’étant pas à lui seul déterminant, cet élément corrobore également la qualité d’homme d’affaires influent du requérant. En effet, parmi tous les hommes d’affaires actifs en Russie, seulement 37 ont été conviés à cette réunion.

136    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant est un homme d’affaires influent au sens du critère g).

137    Il convient donc d’examiner, en second lieu, si le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que le requérant, en tant qu’un homme d’affaires influent, avait une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

138    S’agissant du secteur de la distribution alimentaire, certes, le Conseil n’a pas fourni de données chiffrées des revenus procurés au gouvernement par ce secteur. Toutefois, eu égard au chiffre d’affaires de Magnit de 1 856 milliards de RUB (environ 18 milliards d’euros) et à son EBITDA de 214,2 milliards de RUB (environ 2 milliards d’euros), le Conseil pouvait valablement en déduire que les impôts payés par cette entreprise de ce secteur économique sont significatifs et non négligeables. S’il est vrai que ces chiffres concernent uniquement Magnit, il n’en demeure pas moins que, à partir de ces données, le Conseil pouvait considérer que les impôts payés par l’ensemble des entreprises actives dans le secteur du commerce de détail alimentaire constituent une source substantielle de revenus de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. En particulier, dans un secteur tel que celui de la distribution alimentaire, lequel se caractérise par une très importante clientèle ainsi que cela ressort notamment de la pièce no 7 du dossier de preuves de mars 2022 indiquant que les magasins de Magnit comptabilisent 14 millions de clients quotidiens, il importe de tenir compte également, ainsi que le Conseil l’a précisé lors de l’audience, des impôts indirects payés par les consommateurs dans ce secteur. En effet, quand bien même ces impôts seraient payés uniquement par les consommateurs, il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent être une source substantielle de revenus étant donné que dans le libellé du critère g) rien ne permet d’exclure la prise en compte de tels impôts.

139    En ce qui concerne le secteur de l’agriculture, s’il est constant entre les parties que ce secteur représente entre 3,7 % et 3,8 % du PIB russe, elles sont toutefois en désaccord sur la portée de cette donnée en termes de revenus pour le gouvernement russe.

140    Le requérant fait valoir en substance que ce secteur ne saurait fournir une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie au motif que la part de l’agriculture dans le PIB est inférieure à la part du secteur industriel et à celle du secteur des services.

141    Or, le fait qu’un secteur économique représente une part relative moins importante que d’autres secteurs dans le PIB russe ne signifie pas pour autant que ce secteur n’est pas susceptible de fournir une source substantielle au gouvernement de la Fédération de Russie. En effet, ainsi que cela ressort des données fournies par le Conseil dans l’annexe B.1, la valeur ajoutée de l’agriculture dans l’économie russe est importante et la Russie figure parmi les plus grands exportateurs de céréales au niveau mondial.

142    Partant, eu égard à la place de la Russie au niveau mondial dans le secteur de l’agriculture ainsi qu’à l’importance de ce secteur dans son économie, le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que les revenus fournis par ce secteur au gouvernement russe sont significatifs et non négligeables.

143    Il résulte des considérations qui précèdent que le Conseil a établi, par des indices suffisamment concrets, précis et concordants, que le requérant est un homme d’affaires influent qui exerce, par l’intermédiaire de Marathon Group, des activités dans des secteurs économiques, en l’occurrence celui du commerce de détail alimentaire et celui de l’agriculture, qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

144    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments invoqués par le requérant.

145    Premièrement, s’agissant de l’argument tiré de ce que le requérant n’exercerait pas d’activités dans des secteurs économiques spécifiques au motif que Marathon Group serait une société d’investissement ne s’adressant pas à un secteur d’activité particulier, il y a lieu de rappeler, ainsi que cela ressort des points 119 et 120 ci-dessus, que la stratégie d’investissement de cette société implique qu’elle exerce une influence sur les sociétés dans lesquelles des investissements sont réalisés. Or, dès lors que Magnit et Demetra Holding constituent des sociétés importantes des secteurs économiques dans lesquelles elles opèrent, il pouvait valablement être considéré que le requérant exerce des activités dans lesdits secteurs par l’intermédiaire de Marathon Group. À cet égard, il convient de relever que ce constat est confirmé par le requérant lui-même. D’une part, au point 110 de la requête, le requérant reconnaît que son principal secteur d’activité est celui de la distribution alimentaire dans lequel il exerce par l’intermédiaire de la société Marathon laquelle détient 29,23 % du capital de Magnit. D’autre part, dans les informations fournies à l’annexe A.7, le requérant indique que les investissements de Marathon Group poursuivent l’objectif d’accéder à certains marchés, notamment celui de la vente de détail en Russie et en Europe de l’Est avec l’acquisition, en 2018, d’actions de la société Magnit, et celui de la logistique d’exportation de céréales avec l’acquisition, en 2020, d’une participation dans la société Demetra Holding. Par conséquent, le requérant ne saurait faire valoir qu’il n’exerce pas des activités spécifiques dans les secteurs économiques dans lesquels Marathon Group a réalisé des investissements.

146    Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel, en substance, le Conseil aurait omis d’adopter des mesures restrictives à l’égard de certaines personnes en application du critère litigieux, en particulier à l’égard des dirigeants de filiales russes de certains groupes de distribution européens, il y a lieu de rappeler que, même à supposer que le Conseil ait effectivement omis d’adopter des mesures de gel des fonds à l’égard de certaines personnes répondant audit critère et d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents relatifs à ces personnes, cette circonstance ne pourrait être valablement invoquée par la requérante, dès lors que le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination ainsi que celui de bonne administration doivent se concilier avec le principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 59 et jurisprudence citée). Il en résulte que, pour remettre en cause la légalité de son inscription sur les listes litigieuses, le requérant ne saurait se prévaloir de ce que le Conseil aurait omis d’inscrire d’autres personnes sur lesdites listes.

147    Troisièmement, ne saurait pas davantage prospérer l’argument selon lequel, en substance, Magnit et Demetra Holding ne seraient pas des entreprises importantes en raison de leur classement au niveau mondial dans la base de données Crunch. À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ne ressort pas du libellé du critère g) que le classement d’une société au niveau mondial constitue une condition à remplir pour justifier l’application de mesures restrictives à l’égard d’une personne qui détient des parts dans une société ou qui y exerce des fonctions de direction. En effet, aux fins de l’application dudit critère, ce qui importe c’est l’importance d’une société dans l’économie russe et non dans l’économie mondiale. Or, ainsi qu’il a été constaté aux points 131 et 133 ci-dessus, le Conseil a valablement établi que Magnit et Demetra Holding sont des sociétés importantes dans leurs secteurs d’activité respectifs en Russie.

148    Il résulte des considérations qui précèdent que le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, en raison de sa qualité d’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie au sens du critère g), est suffisamment étayé, de sorte que, au regard de ce critère, l’inscription de son nom sur ces listes est fondée.

 Sur les actes de maintien de septembre 2022

149    Selon le requérant, le Conseil a commis des erreurs d’appréciation lors de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022. En particulier, il reproche au Conseil de ne pas avoir tenu compte de l’évolution de sa situation personnelle.

150    D’une part, le requérant soutient qu’il n’est plus membre du conseil d’administration en exercice de Magnit depuis le 30 juin 2022 au motif que l’assemblée générale des actionnaires n’a pas pu procéder à l’élection des nouveaux membres dudit conseil du fait de l’absence de quorum.

151    D’autre part, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir tenu compte du fait que la participation détenue indirectement par Marathon Group dans Demetra holding a significativement diminué depuis le 10 août 2022.

152    Le Conseil conteste cette argumentation.

153    En l’espèce, il résulte de l’article 6 de la décision 2014/145 telle que modifiée que cette décision fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée, ou modifiée le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. L’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014 tel que modifié prévoit quant à lui la révision à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois de la liste figurant à son annexe.

154    Dans le cadre des actes de maintien de septembre 2022, il y a lieu de constater que les motifs d’inscription, repris au point 15 ci-dessus, sont demeurés les mêmes que dans les actes initiaux.

155    Il convient donc, en application de la jurisprudence rappelée au point 96 ci-dessus, de vérifier si le contexte, les objectifs et la situation individuelle du requérant permettaient de maintenir l’inscription de son nom sur la base de motifs inchangés.

156    S’agissant du contexte général lié à la situation de l’Ukraine, force est de constater que, à la date d’adoption des actes de maintien de septembre 2022, la gravité de la situation en Ukraine demeurait.

157    De même, les mesures restrictives sont toujours justifiées au regard de l’objectif poursuivi, à savoir exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays, et accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

158    S’agissant de la situation individuelle du requérant, il convient d’examiner, tout d’abord, l’argument tiré de ce que le requérant ne serait plus membre du conseil d’administration en exercice de Magnit au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022. Au soutien de cet argument, le requérant a produit en annexe E.2 une notice informant de la tenue de l’assemblée générale annuelle des actionnaires qui était prévue le 30 juin 2022 ainsi qu’une capture d’écran du site Internet de Magnit indiquant que ladite assemblée a été déclarée invalide. Force est de constater que les éléments de preuve fournis pour contester les actes de maintien de septembre 2022 ne sauraient suffire pour établir que le requérant n’était plus un membre du conseil d’administration en exercice à partir du 30 juin 2022. En effet, ces éléments de preuve ne précisent pas le motif pour lequel l’assemblée générale des actionnaires a été déclarée invalide et ne permettent pas de déduire les conséquences de ladite invalidation sur le mandat des membres du conseil d’administration en fonction. Par conséquent, cet argument du requérant doit être rejeté comme étant insuffisamment étayé par des éléments de preuve.

159    Ensuite, il convient de vérifier si, ainsi que le fait valoir en substance le requérant, il ne serait plus en mesure d’exercer une influence sur Demetra Holding à la suite de la diminution de sa participation indirecte à 10,78 % des parts du capital de cette société. À cet égard, il y a lieu de constater que, selon l’extrait du registre du commerce concernant Demetra Holding en date du 14 novembre 2022 (annexe E.3), si les parts du capital de cette société détenues par Aphina (45,001 %) et Granum (27,5 %) sont demeurées inchangées, la part détenue par la holding Marathon SPN a, le 10 août 2022, effectivement diminué de 27,5 % à environ 10,78 %. Il ressort également de cette pièce produite par le requérant que le 10 août 2022, une société dénommée Valiance, laquelle a été constituée le même jour selon les données figurant dans cet extrait du registre du commerce, a acquis environ 16,71 % des parts du capital de Demetra Holding. Ainsi, il peut être déduit que Marathon SPN a cédé environ 16,71 % des parts du capital de Demetra Holding à Valiance.

160    Or, il y a lieu de relever que le requérant n’a fourni aucune information sur les modalités de cette cession partielle des participations détenues par Marathon SPN dans Demetra Holding et aucun élément d’identification des bénéficiaires effectifs de Valiance n’a été produit. Ainsi, il y a lieu de considérer que le requérant n’a pas démontré que la cession d’une partie des participations détenues par Marathon SPN dans Demetra Holding a été effectuée en faveur d’un tiers indépendant du requérant. Contrairement à ce qu’a soutenu le requérant à l’audience, le fait d’exiger qu’il prouve qu’il n’est pas impliqué dans la société à laquelle une partie des participations de Marathon SPN dans le capital de Demetra Holding a été cédée n’implique pas la production d’une « preuve négative ». En effet, le requérant avait la possibilité de produire tout document pertinent et suffisamment probant de nature à démontrer que la cession des parts a été effectuée en faveur d’un tiers indépendant.

161    En tout état de cause, à supposer même que le requérant ne détienne plus que 10,78 % des parts du capital de Demetra Holding, cela ne signifie pas pour autant qu’il ne serait plus capable d’exercer une influence au sein de cette société. À cet égard, ainsi que le reconnaît le requérant, à la suite de la modification dans la structure de l’actionnariat, les statuts de Demetra Holding ont été modifiés. En effet, alors qu’une majorité des deux tiers était requise en mars 2022 pour les décisions qui n’étaient pas adoptées à l’unanimité, une majorité de trois quarts est désormais requise pour l’adoption desdites décisions (annexe E.4). Or, il y a lieu de relever que le capital de Demetra Holding est détenu par seulement quatre actionnaires et que la répartition des parts dans le capital de cette société implique l’obtention d’un accord d’au moins trois des quatre actionnaires pour l’adoption des décisions ne pouvant pas être adoptées à l’unanimité. Dès lors, même si le requérant ne dispose pas d’une minorité de blocage, il s’avère que les voix de chaque actionnaire peuvent être décisives au sein de l’assemblée générale des actionnaires. Dans ces conditions, le requérant ne saurait faire valoir qu’il n’a pas la capacité d’exercer une influence sur Demetra Holding en détenant 10,78 % des parts du capital de cette société.

162    Il résulte des considérations qui précèdent que, compte tenu de la gravité de la situation en Ukraine qui demeure, du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’ont pas été atteints et de l’absence d’éléments probants attestant que la situation individuelle du requérant avait changé, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a maintenu les mesures restrictives en cause par les actes de maintien de septembre 2022.

 Sur les actes de maintien de mars et d’avril 2023

163    Le requérant soutient que les motifs d’inscription des actes de maintien de mars et d’avril 2023 sont entachés d’ erreurs d’appréciation.

164    Premièrement, le requérant rappelle qu’il n’est plus membre du conseil d’administration en exercice de Magnit depuis le 30 juin 2022. À cet égard, il précise que les pouvoirs statutaires du conseil d’administration ont été annulés conformément à l’article 14.4 dernier alinéa des statuts de cette entreprise et que celui-ci ne dispose plus que du pouvoir de convoquer l’assemblée générale ordinaire de ladite entreprise afin de permettre la désignation d’un nouveau conseil d’administration de plein exercice.

165    Deuxièmement, s’agissant de Demetra Holding, le requérant fait valoir que, en tant que holding, cette société n’a aucune activité d’exportation ni de négoces de céréales ainsi que cela ressort de ses statuts. En outre, il considère que les motifs d’inscription des actes de maintien de mars 2023 sont entachés d’une erreur en ce qu’ils indiquent que cette société est le deuxième exportateur russe de céréales.

166    Troisièmement, en ce qui concerne le caractère substantiel des revenus générés par les secteurs d’activités désignés, le requérant fait valoir que s’agissant des contributions fiscales, le seul secteur pouvant apparaître comme fournissant une source substantielle de revenus est celui des hydrocarbures qui a fourni plus de 60 % des recettes fiscales de la Fédération de Russie en 2021.

167    Quatrièmement, le requérant fait valoir que ses liens familiaux ne sauraient être pris en considération afin d’établir qu’il relève du critère g).

168    Le Conseil conteste cette argumentation.

169    Il convient de relever que, dans les actes de maintien de mars 2023, le Conseil a justifié la prorogation des mesures restrictives visant le requérant en reprenant l’ensemble des motifs des actes initiaux et en précisant que « [le requérant] détient également des parts dans Demetra Holding, le deuxième exportateur russe de céréales, la Russie étant le plus grand exportateur mondial de blé ». Dans les actes de maintien d’avril 2023, cette précision a été modifiée de la façon suivante « [le requérant] détient également des parts dans Demetra Holding, l’un des plus grands négociants de céréales de Russie ayant des activités d’exportation de céréales, la Russie étant le plus grand exportateur mondial de blé ».

170    Pour justifier, par l’adoption des actes de maintien de mars et d’avril 2023, le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil s’est également fondé sur les éléments figurant dans le dossier de preuves de décembre 2022 comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, en particulier des captures d’écran et des articles de sites Internet d’information. Il s’agit en particulier des éléments suivants :

–        un lien et des captures d’écran d’une liste publiée le 26 juillet 2022 sur le site Internet russe de Forbes, consulté le 13 novembre 2022, relative aux 50 plus grandes entreprises de Russie au titre de la contribution à l’impôt sur les revenus (pièce no 1) ;

–        un lien et des captures d’écran d’un article intitulé « What’s in the Ukraine grain deal for Russia ? » publié le 26 juillet 2022 sur le site Internet de Carnegie Endowment, consulté le 13 novembre 2022 (pièce no 2) ;

–        un lien et des captures d’écran du compte Twitter de Karel Burger Dirven, conseiller pour la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et premier consul honoraire d’Ukraine aux Pays-Bas, évoquant notamment que 50 % du terminal céréalier de Taman a été acquis par Demetra Holding, une société détenue en partie par Marathon Group appartenant au requérant (pièce no 3) ;

–        un lien et des captures d’écran d’un article intitulé « Russian grain exports boom while deal risk hobbles Ukraine Flow » publié le 14 novembre 2022 sur le site Internet d’information Bloomberg, consulté le 15 novembre 2022 (pièce no 4) ;

–        un lien et des captures d’écran d’une infographie intitulée « Russia, Ukraine and the global wheat supply » publiée le 17 février 2022 sur le site Internet d’information de Al Jazeera, consulté le 15 novembre 2022 (pièce no 5) ;

–        un lien et des captures d’écran du compte-rendu de la réunion du 24 février 2022 entre le président de la Fédération de Russie et les milieux d’affaires russes, publié le même jour sur le site Internet de la présidence de la Fédération de Russie, consulté le 23 novembre 2022 (pièce no 6) ;

–        un lien et des captures d’écran vers un article intitulé « Three dozen tycoons met Putin on invitation day. Most had moved money abroad » publié le 3 mai 2022 sur le site Internet d’information du Washington Post, consulté le 23 novembre 2022 (pièce no 7).

171    Il convient de relever que, s’agissant du contexte général lié à la situation de l’Ukraine, il ressort du préambule des actes de maintien de mars 2023, que le maintien des mesures restrictives à l’égard du requérant pour une durée de six mois était justifié par la poursuite des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

172    Dès lors, les mesures restrictives sont toujours justifiées au regard de l’objectif poursuivi, à savoir exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays, et accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

173    En ce qui concerne la situation personnelle du requérant, en premier lieu, il convient de vérifier si c’est à tort que le Conseil a considéré que le requérant occupait des fonctions de direction au sein de Magnit aux moments de l’adoption des actes de maintien de mars et d’avril 2023.

174    À cet égard, il convient de relever que le requérant ne conteste pas le fait que, aux moments de l’adoption des actes de maintien de mars et d’avril 2023, le requérant était encore membre du conseil d’administration de Magnit. Selon le requérant, il ne serait plus possible de le considérer comme étant un membre d’un conseil d’administration en exercice au motif que, en application de l’article 14.4 des statuts de Magnit, ledit conseil d’administration aurait perdu l’intégralité de ses pouvoirs à l’exception de celui de convoquer une nouvelle assemblée générale des actionnaires. Certes, l’article 14.4, quatrième alinéa, des statuts de Magnit dispose que si la réunion annuelle de l’assemblée générale des actionnaires n’a pas été tenue dans le délai fixé par l’article 47, alinéa 1, de la loi fédérale russe sur les sociétés par actions, les compétences du conseil d’administration de la société prennent fin, à l’exception de celle portant sur la préparation, la convocation et la tenue de l’assemblée générale annuelle des actionnaires (annexe G.4). Toutefois, force est de constater que le dossier ne contient aucun élément indiquant que le délai fixé par l’article 47, paragraphe 1, de la loi fédérale russe sur les sociétés par actions avait expiré. En réponse à une question du Tribunal posée lors de l’audience sur le délai prévu par cette disposition et sur son éventuelle expiration en l’espèce, le requérant a indiqué, d’une part, ne pas connaître le délai prévu par cette disposition législative du droit fédéral russe et, d’autre part, ne pas savoir si ce délai avait expiré aux moments de l’adoption des actes de maintien de mars et d’avril 2023. Or, il y a lieu de rappeler que l’adage iura novit curia ne s’étendant pas au droit des États membres et encore moins au droit des pays tiers, il s’agit d’une question de fait, qui doit être démontrée, le cas échéant, par celui qui s’en prévaut (arrêt du 20 mars 2019, Foshan Lihua Ceramic/Commission, T‑310/16, EU:T:2019:170, point 128). Il s’ensuit que l’argumentation tirée de ce que le conseil d’administration de Magnit aurait perdu ses prérogatives en application de l’article 14.4 des statuts de cette société doit être écartée comme étant insuffisamment étayé.

175    En tout état de cause, à supposer même que le requérant n’était plus membre du conseil d’administration en exercice de Magnit aux moments de l’adoption des actes de maintien de mars et d’avril 2023, il y a lieu de relever qu’il n’apporte aucun élément tendant à démontrer qu’il n’était plus, par l’intermédiaire de Marathon Group, le premier et le seul actionnaire à détenir une part significative du capital de Magnit. Or, ainsi que le relève à juste titre le Conseil, la seule détention de telles participations dans Magnit serait suffisante pour considérer qu’il était capable d’exercer une influence sur cette société.

176    En deuxième lieu, en ce qui concerne les arguments visant à contester les motifs d’inscription des actes de maintien de mars et d’avril 2023 relatifs à la détention de participations dans le capital de Demetra Holding, il y a lieu de relever, tout d’abord, que le requérant invoque la même argumentation que celle figurant dans son premier mémoire en adaptation pour soutenir, en substance, qu’il n’est pas capable d’exercer une influence sur cette société. Par conséquent, cette argumentation doit être écartée pour les mêmes motifs qui ceux exposés aux points 159 à 161 ci-dessus.

177    Ensuite, en ce qui concerne l’argument selon lequel le Conseil aurait commis une erreur d’appréciation en considérant que Demetra Holding serait une société active dans le négoce et l’exportation de céréales au motif que ces activités sont assurées par Demetra Trading, il y a lieu de relever que le requérant n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause le fait que, ainsi que cela ressort des informations figurant dans la pièce no 6 du dossier de preuves de mars 2022, telles que corroborées par celles reprises dans l’annexe D.3, Demetra Holding détient dans ses actifs des sociétés impliquées dans la logistique pour assurer le transport et l’exportation de céréales russes et notamment Demetra Trading. Par conséquent, le requérant ne saurait faire valoir que le Conseil aurait commis une erreur d’appréciation en considérant que Demetra Holding est une société active dans le domaine de l’exportation de céréales russes.

178    Enfin, il y a lieu de rappeler que, ainsi que cela ressort du point 133 ci-dessus, le Conseil pouvait valablement considérer que Demetra Holding est une société importante dans le secteur de l’agriculture. Or, force est de constater que le requérant n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause l’importance de cette société dans le secteur de l’agriculture, en particulier son importance dans la logistique pour assurer le transport et l’exportation de céréales russes. D’une part, pour contester l’importance de Demetra Holding dans ce secteur, le requérant se prévaut une nouvelle fois du classement mondial de cette société dans la base de données Crunch. Dès lors, cet argument doit être écarté pour les mêmes motifs qui ceux exposés au point 147 ci-dessus. D’autre, part, s’agissant des actes de maintien de mars 2023, en ce qui concerne l’argument tiré de ce que Demetra Holding ne saurait être considérée comme étant le deuxième exportateur russe de céréales, à supposer même que cette société ne soit plus en deuxième position dans le classement des exportateurs de céréales, il n’en demeure pas moins qu’elle demeure importante dans le secteur de l’agriculture. En effet, le requérant n’a apporté aucun élément de nature à remettre en cause le fait que Demetra Holding détient d’importants terminaux céréaliers ainsi que la principale compagnie de transport ferroviaire de céréales de Russie. De même, ainsi que cela ressort du point 133 ci-dessus, il y a lieu de rappeler que cette société se présente comme étant la plus grande société d’infrastructure verticalement intégrée de Russie dont les actifs contribuent à l’exportation de plusieurs millions de tonnes de céréales.

179    En troisième lieu, il y a lieu de relever que l’application du critère g) n’implique pas nécessairement que le Conseil prenne en compte la totalité des recettes fiscales du budget de l’État russe, mais qu’il vérifie si le secteur économique dans lequel le requérant a ses activités constitue une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Or, en l’espèce, ainsi que cela ressort des points 138 à 143 ci-dessus, le Conseil pouvait valablement considérer que les secteurs du commerce de détail alimentaire et de l’agriculture sont des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. Au demeurant, il ressort de la pièce no 1 du dossier de preuves de décembre 2022 que Magnit figure à la 31ème place des plus grands contributeurs pour les recettes de la Fédération de Russie, ce qui constitue un indice pertinent pour déterminer l’importance du secteur économique dans lequel cette société opère en termes de sources de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. En outre, le requérant ne conteste pas, ainsi que cela est confirmé par la pièce no 5 dudit dossier de preuves, que la Russie figure parmi les plus importants exportateurs de céréales au plan mondial, ce qui lui permet de dégager des revenus de ces activités d’exportation. Ainsi, les éléments additionnels figurant dans le dossier de preuves de décembre 2022 tendent à corroborer le constat selon lequel les secteurs du commerce de détail alimentaire et de l’agriculture constituent des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

180    En ce qui concerne l’argument selon lequel, en substance, les recettes fournies au gouvernement de la Fédération de Russie par les secteurs du commerce de détail alimentaire et de l’agriculture seraient insignifiantes par rapport aux recettes totales du budget de l’État russe, il n’en demeure pas moins que, bien que moins importantes que d’autres recettes fiscales, telles que celles tirées du secteur de l’énergie et en particulier des revenus provenant des hydrocarbures, elles peuvent s’avérer substantielles. En effet, les secteurs économiques susceptibles de relever du critère g) en tant qu’ils fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie ne sauraient être limités aux premiers secteurs économiques exprimés en parts relatives des revenus de la Fédération de Russie, mais couvrent tous les secteurs qui fournissent audit gouvernement une source de revenus significative et donc non négligeable. Or, il y a lieu de relever qu’il ressort des données fournies par le requérant que la contribution fiscale du secteur du commerce de détail alimentaire était d’environ 961 milliards de RUB (environ 9,6 milliards d’euros) en 2021 et de 878 milliards de RUB (environ 8,8 milliards d’euros) de janvier à septembre 2022 et celle du secteur de l’agriculture était d’environ 213 milliards de RUB (environ 2,1 milliards d’euros) en 2021 et d’environ 162 milliards de RUB (environ 1,6 milliards d’euros) de janvier à septembre 2022. Force est de constater que les revenus fiscaux de chacun de ces secteurs sont significatifs et non négligeables. Dès lors, la circonstance que, en termes relatifs, les recettes fiscales des secteurs du commerce de détail alimentaire et de l’agriculture dans le budget de l’État représentent respectivement 3,46% et 0,76 % de l’ensemble des recettes fiscales, ne saurait remettre en cause le fait que lesdits secteurs fournissent une source substantielle de revenus au sens du critère g).

181    En quatrième lieu, s’agissant des liens familiaux mentionnés dans les motifs s’inscription, en particulier ceux avec le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, il y a lieu de relever que ces éléments n’ont été mentionnés, ainsi que le Conseil l’a précisé dans sa lettre du 14 mars 2023 et tel que cela a été confirmé lors de l’audience, qu’à titre accessoire en tant qu’élément de contexte relatif à l’ancrage du requérant dans la vie économique en Russie. Il s’ensuit que, dès lors que les autres arguments du requérant pour contester le bien-fondé des motifs d’inscription sur le fondement du critère g) ont été écartés, son argumentation tendant à contester la prise en compte de ses relations familiales en tant qu’élément de contexte non décisif pour justifier son inscription sur le fondement dudit critère doit être rejetée comme étant inopérante.

182    Partant, le requérant n’a pas démontré que le Conseil aurait commis une erreur d’appréciation en maintenant son inscription sur les listes litigieuses par les actes de maintien de mars et d’avril 2023.

183    Au vu de tout ce qui précède, il convient de considérer que le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, fondé sur le statut d’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, correspondant au critère g), est suffisamment étayé, de sorte que, au regard de celui-ci, l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses, résultant des actes attaqués sont fondés.

184    Or, selon la jurisprudence, eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision [voir arrêt du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, EU:T:2022:298, point 178 (non publié) et jurisprudence citée].

185    Dès lors, il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant et visant à remettre en cause l’application du critère a), de rejeter le moyen tiré d’une erreur d’appréciation comme étant non fondé en tant qu’il vise les actes attaqués.

 Sur le moyen tiré d’une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux 

186    Le requérant considère que les mesures restrictives qui le visent restreignent de manière disproportionnée ses droits fondamentaux, en particulier le droit au respect de la vie privée, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre.

187    Le Conseil conteste cette argumentation.

188    Il convient d’emblée de relever que le requérant n’explique pas en quoi les mesures restrictives adoptées à son égard porteraient une atteinte au droit au respect de sa vie privée, de sorte que cet argument doit être écarté étant non étayé.

189    S’agissant du droit de propriété, celui-ci se trouve consacré à l’article 17 de la Charte. De même, aux termes de l’article 16 de la Charte, « [l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».

190    En l’espèce, les mesures restrictives découlant des actes initiaux limitent incontestablement les droits dont le requérant bénéficie en vertu des articles 16 et 17 de la Charte, dès lors qu’elles imposent notamment un gel de ses fonds et ressources économiques.

191    Toutefois, la liberté d’entreprise et le droit de propriété ne sont pas des prérogatives absolues et leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil, C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, point 80, et du 12 mai 2016, Bank of Industry and Mine/Conseil, C‑358/15 P, non publié, EU:C:2016:338, point 55).

192    Le droit de propriété dont se prévaut le requérant peut faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, aux termes duquel, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par [ladite c]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

193    Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte au droit de propriété doit répondre à quatre conditions. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre le droit de propriété d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel du droit de propriété. Troisièmement, elle doit répondre effectivement à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 145 et jurisprudence citée).

194    Or, en l’espèce, force est de constater que ces quatre conditions sont remplies.

195    Premièrement, les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi » en ce qu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale, à savoir la décision 2014/145 telle que modifiée et le règlement no 269/2014 tel que modifié, et disposant d’une base légale claire en droit de l’Union, à savoir respectivement les articles 29 TUE et 215 TFUE.

196    Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence que les mesures restrictives ne portent pas atteinte au contenu essentiel du droit de propriété ni de la liberté d’entreprise dès lors qu’elles présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 169 et jurisprudence citée, et du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 225). En l’espèce, le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses est soumis à un réexamen régulier, tous les six mois, visant à vérifier que ce maintien demeure compatible avec les critères d’inscription en application de l’article 6 de la décision 2014/145 telle que modifiée. Partant, il y a lieu de conclure que la nature et l’étendue du gel de fonds temporaire en cause respectent le contenu essentiel du droit de propriété et de la liberté d’entreprise et ne remettent pas en cause ces droits en tant que tels.

197    Troisièmement, les mesures restrictives en cause répondent à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150). En effet, elles visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Dans cette perspective, les mesures restrictives en cause sont conformes à l’objectif visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, qui est de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 163).

198    Quatrièmement, il y a lieu de vérifier si la limitation en cause est proportionnée au but recherché.

199    Tout d’abord, il convient de vérifier si les mesures restrictives en cause sont appropriées pour atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. En l’espèce, il importe de relever que le gel des fonds du requérant, en tant que mesure s’inscrivant dans le cadre d’une riposte rapide, unifiée, graduée et coordonnée, mise en place au titre d’une série de mesures restrictives, constitue une mesure appropriée pour atteindre l’objectif d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays.

200    Ensuite, en ce qui concerne leur caractère nécessaire, il convient de constater que les mesures de remplacement et les mesures moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les personnes associées aux responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 178).

201    Enfin, une mise en balance des intérêts en jeu démontre que les inconvénients que comporte le gel temporaire de fonds ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis. En effet, l’importance des objectifs poursuivis par les actes initiaux, qui s’inscrivent dans l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE, est de nature à prévaloir sur des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs. Ainsi, le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses fait l’objet d’un suivi constant et est soumis à un réexamen régulier visant à vérifier que ce maintien demeure compatible avec les critères d’inscription. En outre, il y a lieu de relever que des dérogations spécifiques aux mesures peuvent être accordées par les autorités des États membres conformément à l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 telle que modifiée et aux articles 4 à 6 du règlement no 269/2014 tel que modifié, notamment pour répondre aux besoins fondamentaux ou essentiels des personnes en cause ou pour faire face aux dépenses nécessaires.

202    Il s’ensuit que les mesures de gel des fonds du requérant respectent le principe de proportionnalité. Par conséquent, ces mesures sont compatibles avec la liberté d’entreprise et le droit de propriété de ce dernier.

203    Partant, il convient de rejeter le moyen tiré d’une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux du requérant.

204    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

205    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Alexander Semenovich Vinokurov est condamné aux dépens.

Spielmann

Brkan

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 mai 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


Table des matières


Antécédents du litige

Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

Conclusions des parties

En droit

Sur l’illégalité soulevée, par voie de l’exception, du critère prévu à l’article 1er, sous e), et à l’article 2, paragraphe 1, sous g) de la décision 2014/145 telle que modifiée

Sur le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation

Sur le moyen tiré d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et d’une atteinte aux droits de la défense

Sur le moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation

Considérations liminaires

Sur les actes initiaux

Sur les actes de maintien de septembre 2022

Sur les actes de maintien de mars et d’avril 2023

Sur le moyen tiré d’une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux

Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.