Language of document : ECLI:EU:T:2021:576

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

15 septembre 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Libye – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Restrictions d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union européenne – Liste des personnes faisant l’objet de restrictions d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union – Maintien du nom du requérant sur les listes – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Décès du requérant  »

Dans l’affaire T‑700/19,

Tareg Ghaoud, en qualité d’héritier d’Abdel Majid Al-Gaoud demeurant à Dubai (Émirats arabes unis), représenté par Mme S. Bafadhel, barrister,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme P. Mahnič et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision d’exécution (PESC) 2019/1299 du Conseil, du 31 juillet 2019, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2019, L 204, p. 44), et de la décision d’exécution (PESC) 2020/1137 du Conseil, du 30 juillet 2020, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2020, L 247, p. 40), en tant qu’elles maintiennent le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes figurant aux annexes II et IV de la décision (PESC) 2015/1333 du Conseil, du 31 juillet 2015, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant la décision 2011/137/PESC (JO 2015, L 206, p. 34), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2019/1292 du Conseil, du 31 juillet 2019, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2019, L 204, p. 1), et du règlement d’exécution (UE) 2020/1130 du Conseil, du 30 juillet 2020, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2020, L 247, p. 14), en tant qu’ils maintiennent le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur la liste figurant à l’annexe III du règlement (UE) 2016/44 du Conseil, du 18 janvier 2016, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) no 204/2011 (JO 2016, L 12, p. 1),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, U. Öberg et Mme O. Spineanu‑Matei (rapporteure), juges,

greffier : Mme E. Artemiou, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 11 janvier 2021,

vu l’ordonnance de réouverture de la phase orale de la procédure du 9 avril 2021 et les réponses des parties aux questions écrites du Tribunal,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Tareg Ghaoud est le fils de M. Abdel Majid Al-Gaoud, ancien ministre de l’Agriculture et des Ressources animales et maritimes du gouvernement libyen de M. Mouammar Qadhafi.

2        Le 26 février 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité ») a adopté la résolution 1970 (2011), qui instaure des mesures restrictives à l’encontre de la Libye et des personnes et des entités ayant participé à la commission de violations graves des droits de l’homme contre des personnes, y compris à des attaques, en violation du droit international, contre des populations ou des installations civiles.

3        M. Abdel Majid Al-Gaoud ne faisait pas partie des personnes visées par la résolution 1970 (2011).

4        Le 28 février et le 2 mars 2011, le Conseil de l’Union européenne a adopté, respectivement, la décision 2011/137/PESC (JO 2011, L 58, p. 53), et le règlement (UE) no 204/2011 (JO 2011, L 58, p. 1), tous deux concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux de 2011 »).

5        L’article 5, paragraphe 1, sous b), de la décision 2011/137 prévoyait que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes, non visées à l’annexe I de ladite décision, qui ordonnent, contrôlent ou dirigent de toute autre manière les violations graves des droits de l’homme contre des personnes se trouvant en Libye, ou qui en sont complices, y compris en planifiant, commandant, ordonnant ou conduisant des attaques, en violation du droit international, y compris des bombardements aériens, contre des populations ou des installations civiles, ou en étant complices, ou qui agissent au nom ou sur les instructions de ces personnes, dont le nom figure à l’annexe II de cette décision.

6        L’article 6, paragraphe 1, sous b), de la décision 2011/137 et l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 204/2011, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 2, de ce dernier, disposaient, en substance, que les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou sous le contrôle direct ou indirect des personnes et des entités ne relevant pas de l’annexe III de ladite décision ou de l’annexe II dudit règlement, qui ordonnent, contrôlent ou dirigent de toute autre manière les violations graves des droits de l’homme contre des personnes se trouvant en Libye, ou qui en sont complices, y compris en préparant, commandant, ordonnant ou conduisant des attaques, en violation du droit international, y compris des bombardements aériens, contre des populations ou des installations civiles, ou en étant complices, ou des individus ou entités agissant en leur nom ou sur leurs instructions, ou d’entités se trouvant en leur possession ou sous leur contrôle, visés à l’annexe IV de cette décision et à l’annexe III de ce règlement, sont gelés.

7        M. Abdel Majid Al-Gaoud ne figurait pas sur les listes annexées aux actes initiaux de 2011.

8        Le 21 mars 2011, le Conseil a adopté, respectivement, la décision d’exécution 2011/175/PESC mettant en œuvre la décision 2011/137 (JO 2011, L 76, p. 95) et le règlement d’exécution no 272/2011 mettant en œuvre l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 (JO 2011, L 76, p. 32) (ci-après les « actes d’inscription de 2011 »), par lesquels il a inscrit de nouvelles personnes et de nouvelles entités sur les listes de celles qui devaient faire l’objet de mesures restrictives. Il s’agissait, notamment, de M. Abdel Majid Al-Gaoud, inscrit sur les listes figurant aux annexes II et IV de la décision 2011/137 et à l’annexe III du règlement no 204/2011, avec les informations d’identification et la motivation suivantes :

« Abdelmajid Al-Gaoud. Ministre de l’agriculture et des ressources animales et maritimes du gouvernement du colonel Kadhafi. »

9        Le 4 septembre 2011, M. Abdel Majid Al-Gaoud a été arrêté à son domicile de Tripoli (Libye) par des membres du Conseil militaire de Tripoli, un groupe radical alors dirigé par M. Abdulhakim Belhaj, et finalement détenu dans le complexe Al-Hadba à Tripoli.

10      Le 27 mars 2015, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2213 (2015) qui apporte notamment certaines modifications aux critères d’inscription sur les listes. M. Abdel Majid Al-Gaoud ne faisait pas partie des personnes visées par celle-ci. En vue de la mise en œuvre de cette résolution, le 26 mai 2015, le Conseil a adopté, respectivement, la décision (PESC) 2015/818, du 26 mai 2015, modifiant la décision 2011/137 (JO 2015, L 129, p. 13) et le règlement (UE) 2015/813, du 26 mai 2015, modifiant le règlement no 204/2011 (JO 2015, L 129, p. 1).

11      Par la suite, le Conseil a procédé à un réexamen complet des listes de noms des personnes et des entités figurant aux annexes des actes initiaux et d’inscription de 2011.

12      Ce réexamen s’est clôturé par l’adoption, le 31 juillet 2015, de la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant la décision 2011/137 (JO 2015, L 206, p. 34) et, le 18 janvier 2016, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement no 204/2011 (JO 2016, L 12, p. 1) (ci-après les « actes d’inscription subséquents »).

13      L’article 8, paragraphe 2, de la décision 2015/1333 prévoit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes :

a)      qui ordonnent, contrôlent ou dirigent de toute autre manière la commission de violations graves des droits de l’homme contre des personnes se trouvant en Libye, ou qui en sont complices, y compris en préparant, commandant, ordonnant ou conduisant des attaques, en violation du droit international, y compris des bombardements aériens contre des populations ou des installations civiles, ou en étant complices, ou qui agissent pour le compte de ces personnes, en leur nom ou sur leurs instructions ;

b)      qui sont identifiées comme ayant participé aux politiques répressives de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou ayant été autrefois associées d’une autre manière à ce régime, et qui continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays ;

c)      qui se livrent ou apportent un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou qui entravent ou compromettent la réussite de sa transition politique, y compris en :

i)      préparant, donnant l’ordre de commettre ou commettant des actes qui violent le droit international des droits de l’homme ou le droit international humanitaire, ou qui constituent des atteintes aux droits de l’homme, en Libye ;

ii)      perpétrant des attaques contre un aéroport, une gare ou un port en Libye, ou contre une institution ou une installation publique libyenne, ou contre toute mission étrangère en Libye ;

iii)      fournissant un appui à des groupes armés ou des réseaux criminels par l’exploitation illégale de pétrole brut ou de toute autre ressource naturelle en Libye ;

iv)      menaçant ou contraignant les institutions financières libyennes et la Libyan National Oil Company (Compagnie pétrolière nationale libyenne), ou commettant tout acte susceptible d’entraîner le détournement de fonds publics libyens ;

v)      violant ou aidant à contourner les dispositions de l’embargo sur les armes imposé par la résolution 1970 (2011) du [Conseil de sécurité] à l’égard de la Libye et par l’article 1er de la présente décision ;

vi)      agissant pour le compte, au nom ou sur les instructions de personnes ou d’entités inscrites sur la liste ;

d)      qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, susceptibles d’être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique,

dont le nom figure à l’annexe II de la présente décision. »

14      L’article 9, paragraphe 2, de la décision 2015/1333 dispose :

« Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques qui sont en la possession ou sous le contrôle, direct ou indirect, des personnes et entités :

a)      qui ordonnent, contrôlent ou dirigent de toute autre manière la commission de violations graves des droits de l’homme contre des personnes se trouvant en Libye, ou qui en sont complices, y compris en préparant, commandant, ordonnant ou conduisant des attaques, en violation du droit international, y compris des bombardements aériens, contre des populations ou des installations civiles ou en étant complices, ou des autorités libyennes ou des personnes et entités qui ont enfreint ou ont aidé à enfreindre les dispositions de la résolution 1970 (2011) du [Conseil de sécurité] ou de la présente décision, ou des personnes ou entités agissant pour leur compte, en leur nom ou sous leurs ordres, ou d’entités qui sont en leur possession ou sous leur contrôle, ou en la possession ou sous le contrôle des personnes et entités figurant à l’annexe III de la présente décision ;

b)      qui sont identifiées comme ayant participé aux politiques répressives de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou ayant été autrefois associées d’une autre manière à ce régime, et qui continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays ;

c)      qui se livrent ou apportent un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou qui entravent ou compromettent la réussite de sa transition politique, y compris en :

i)      préparant, donnant l’ordre de commettre ou commettant des actes qui violent le droit international des droits de l’homme ou le droit international humanitaire, ou qui constituent des atteintes aux droits de l’homme, en Libye ;

ii)      perpétrant des attaques contre un aéroport, une gare ou un port en Libye, ou contre une institution ou une installation publique libyenne, ou contre toute mission étrangère en Libye ;

iii)      fournissant un appui à des groupes armés ou des réseaux criminels par l’exploitation illégale de pétrole brut ou de toute autre ressource naturelle en Libye ;

iv)      menaçant ou contraignant les institutions financières libyennes et la Libyan National Oil Company (Compagnie pétrolière nationale libyenne), ou commettant tout acte susceptible d’entraîner le détournement de fonds publics libyens ;

v)      violant ou aidant à contourner les dispositions de l’embargo sur les armes imposé par la résolution 1970 (2011) du [Conseil de sécurité] à l’égard de la Libye et par l’article 1er de la présente décision ;

vi)      agissant pour le compte, au nom ou sur les instructions de personnes ou d’entités inscrites sur la liste ;

d)      qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, susceptibles d’être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique,

dont le nom figure à l’annexe IV. »

15      L’article 5, paragraphe 1, du règlement 2016/44 dispose que « [t]ous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou contrôlés par les personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés aux annexes II et III dudit règlement sont gelés ». Selon l’article 6, paragraphe 2, du règlement 2016/44,

« L’annexe III comprend les personnes physiques ou morales, les entités et les organismes non visés par l’annexe II qui :

a)      sont impliqués dans de graves atteintes aux droits de l’homme en Libye ou complices de ces atteintes en ayant ordonné, contrôlé ou dirigé celles-ci, notamment en étant impliqués ou complices d’attaques, y compris les bombardements aériens, qu’ils auraient planifiées, commandées, ordonnées ou menées en violation du droit international sur des populations ou installations civiles ;

b)      ont violé les dispositions des résolutions du [Conseil de sécurité] 1970 (2011) ou 1973 (2011) ou du présent règlement, ou ont aidé à la violation de ces dispositions ;

c)      ont été identifiés comme ayant participé aux politiques répressives de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou comme ayant été autrefois associés d’une autre manière à ce régime, et continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays ;

d)      se livrent ou apportent un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou qui entravent ou compromettent la réussite de la transition politique du pays, notamment :

i)      en préparant, en donnant l’ordre de commettre ou en commettant en Libye des actes qui violent le droit international des droits de l’homme ou le droit international humanitaire applicable, ou des actes qui constituent des atteintes aux droits de l’homme en Libye ;

ii)      en perpétrant des attaques contre les aéroports, les gares ou les ports en Libye, ou contre une institution ou une installation publique libyenne, ou contre toute mission étrangère en Libye ;

iii)      en fournissant un appui à des groupes armés ou à des réseaux criminels par l’exploitation illicite de pétrole brut ou de toute autre ressource naturelle en Libye ;

iv)      en menaçant ou en contraignant les institutions financières publiques libyennes et la Compagnie pétrolière nationale libyenne ou en commettant tout acte susceptible d’entraîner le détournement de fonds publics libyens ;

v)      en violant les dispositions de l’embargo sur les armes imposé par la [résolution du Conseil de sécurité] 1970 (2011) et l’article 1er du présent règlement à l’égard de la Libye ou en aidant à les contourner ;

vi)      en agissant pour le compte, au nom ou sur les ordres de toutes personnes, entités ou organismes visés ci-dessus, ou en étant détenus ou contrôlés par eux ou par des personnes, entités ou organismes énumérés à l’annexe II ou à III ; ou

e)      détiennent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés à l’époque de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye susceptibles d’être utilisés pour menacer la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de la transition politique du pays. »

16      M. Abdel Majid Al-Gaoud a été inscrit sur les listes figurant aux annexes II et IV de la décision 2015/1333 et à l’annexe III du règlement 2016/44 (ci-après les « listes litigieuses »), avec les informations d’identification et la motivation suivantes :

« AL-GAOUD, Abdelmajid. Date de naissance : 1943. Ministre de l’agriculture et des ressources animales et maritimes du gouvernement du colonel Qadhafi. Étroitement associé à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi. »

17      M. Abdel Majid Al-Gaoud n’ayant fait l’objet d’aucune procédure de jugement pendant six années de détention, les poursuites engagées contre lui ont été officiellement suspendues et il a été libéré sur instruction du gouvernement d’entente nationale libyen pour des raisons médicales en mai 2017.

18      Par lettre du 24 septembre 2018, les représentantes de M. Abdel Majid Al-Gaoud se sont adressées au Conseil pour qu’il réexamine l’inscription de ce dernier et annule les restrictions en matière de déplacements le concernant. Par lettre du 19 novembre 2018, le Conseil a indiqué que ces mesures devaient être maintenues à son encontre.

19      Par lettres des 28 novembre 2018 et 11 janvier 2019, les représentantes de M. Abdel Majid Al-Gaoud se sont adressées à nouveau au Conseil, en demandant, notamment, de leur fournir le fondement probatoire qui démontrait spécifiquement, concrètement et individuellement que M. Abdel Majid Al-Gaoud continuait de représenter une menace pour la Libye et des précisions sur les motifs pour lesquels il avait considéré que la note verbale du gouvernement d’entente nationale du 25 juillet 2018 qui lui avait été adressée par l’ambassade de Libye au Caire (Égypte) (ci-après la « note verbale du 25 juillet 2018 »), visant l’annulation des restrictions imposées à M. Abdel Majid Al-Gaoud, n’avait pas démontré que ce dernier devait faire l’objet d’une appréciation différente.

20      Par lettre du 29 janvier 2019, le Conseil a maintenu sa position et a fourni à M. Abdel Majid Al-Gaoud huit documents à l’appui de celle-ci (ci-après la « lettre du 29 janvier 2019 »).

21      Par lettres des 14 mai et 3 juillet 2019, les représentantes de M. Abdel Majid Al-Gaoud se sont adressées à nouveau au Conseil, qui a répondu par lettre du 31 juillet 2019.

22      Le 31 juillet 2019, le Conseil a adopté, respectivement, la décision d’exécution (PESC) 2019/1299 mettant en œuvre la décision 2015/1333 (JO 2019, L 204, p. 44) et le règlement d’exécution (UE) 2019/1292 mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement 2016/44 (JO 2019, L 204, p. 1) (ci-après les « actes de 2019 »), par lesquels le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud a été maintenu sur les listes litigieuses, et ce sans que la motivation de son inscription sur ces listes ait été modifiée par rapport à celle des actes d’inscription subséquents.

23      Le même jour, le Conseil a également adressé une lettre à l’avocate de M. Abdel Majid Al-Gaoud. Dans cette lettre, le Conseil informait M. Abdel Majid Al-Gaoud que, aux fins du réexamen des mesures restrictives, il avait pris en considération les observations que M. Abdel Majid Al-Gaoud avait présentées dans sa correspondance précédente et indiquait qu’il n’acceptait pas les arguments formulés par celui-ci dans ses observations. Le Conseil attirait l’attention de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur la possibilité de présenter de nouvelles observations.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

24      Le 30 juillet 2020, le Conseil a adopté la décision d’exécution (PESC) 2020/1137 mettant en œuvre la décision 2015/1333 (JO 2020, L 247, p. 40), et le règlement d’exécution (UE) 2020/1130 mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement 2016/44 (JO 2020, L 247, p. 14) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2020 »), par lesquels le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud a été maintenu sur les listes litigieuses, et ce sans que la motivation de son inscription sur ces listes ait été modifiée par rapport à celle des actes d’inscription subséquents.

25      Par courrier du 31 juillet 2020, le Conseil a informé M. Abdel Majid Al-Gaoud du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a également indiqué le délai pour présenter des observations avant la prise de décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur les listes litigieuses.

26      Par la décision d’exécution (PESC) 2021/672 du Conseil, du 23 avril 2021, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 (JO 2021, L 141, p. 21), et par le règlement d’exécution (UE) 2021/667 du Conseil du 23 avril 2021 mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 (JO 2021, L 141, p. 1), le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud a été supprimé des listes litigieuses.

 Procédure et conclusions des parties

27      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 octobre 2019, M. Abdel Majid Al-Gaoud a introduit le présent recours.

28      Le 20 décembre 2019, le Conseil a déposé son mémoire en défense au greffe du Tribunal.

29      Le 24 décembre 2019, M. Abdel Majid Al-Gaoud a introduit une demande fondée sur l’article 85 du règlement de procédure du Tribunal, visant à déposer un élément de preuve supplémentaire, une photocopie de son passeport récemment renouvelé, au soutien de ses conclusions en annulation.

30      La réplique et la duplique ont été déposées au greffe du Tribunal, respectivement, par M. Abdel Majid Al-Gaoud, le 28 février 2020, et par le Conseil, le 17 avril 2020. 

31      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 9 septembre 2020, M. Abdel Majid Al-Gaoud a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, adapté la requête, de sorte que celle-ci vise également, outre l’annulation des actes de 2019, celle des actes de 2020 (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), en tant qu’ils le concernent. Le Conseil a répondu au mémoire en adaptation par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 octobre 2020.

32      Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

33      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 11 janvier 2021. À l’issue de l’audience, la phase orale de la procédure a été close et l’affaire mise en délibéré.

34      Le 4 mars 2021, M. Abdel Majid Al-Gaoud est décédé.

35      Par lettre du 23 mars 2021, la représentante de M. Abdel Majid Al-Gaoud a transmis un certificat attestant du décès de ce dernier.

36      Par ordonnance du 9 avril 2021, le Tribunal a décidé de rouvrir la phase orale de la procédure et a invité la représentante de M. Abdel Majid Al-Gaoud, par questions écrites du 13 avril 2021 et du 12 mai 2021, à faire part au Tribunal de l’existence éventuelle d’ayants droit afin qu'ils se positionnent sur la suite de la procédure devant le Tribunal, qu’ils produisent un certificat d’hérédité et qu’ils attestent de leur représentation par un avocat.

37      Le 14 juin 2021, le certificat d’hérédité confirmant la qualité d’héritier de Monsieur Tareg Ghaoud, ainsi que la preuve que ce dernier avait désigné la représentante de M. Abdel Majid Al-Gaoud pour défendre ses intérêts, ont été versés au dossier.

38      Le 5 juillet 2021, le Conseil a présenté des observations dans lesquelles il mentionnait ne pas avoir d’objection à la poursuite de la procédure. Le 7 juillet 2021, le Tribunal a clos de nouveau la phase orale de la procédure.

39      À la suite de l’adaptation de la requête, le requérant, M. Tareg Ghaoud, conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, dans la mesure où le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud a été maintenu sur les listes litigieuses ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

40      À la suite des observations relatives au mémoire en adaptation, le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où les actes attaqués seraient annulés en ce qui concerne M. Abdel Majid Al-Gaoud, ordonner que les effets de la décision d’exécution 2020/1137 soient maintenus à son égard jusqu’à la date de prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2020/1130 ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité des annexes C.1 à C.4 jointes à la réplique et des arguments exposésaux points 4 à 10 de la demande de tenue d’une audience

41      Le Conseil fait valoir dans sa duplique que les annexes C.1 à C.4 de la réplique sont irrecevables. D’une part, ils seraient postérieurs à l’adoption des actes de 2019 et n’auraient ainsi pas d’incidence sur la légalité de ceux-ci. D’autre part, le requérant serait resté en défaut d’expliquer la production tardive de ces annexes.

42      Lors de l’audience, le Conseil a fait également valoir que les arguments exposés aux points 4 à 10 de la demande de tenue d’une audience sont irrecevables, en ce qu’ils constitueraient une réplique aux arguments exposés dans la duplique.

43      Le requérant soutient que les documents et les arguments visés aux points 41 et 42 ci-dessus sont recevables.

44      En premier lieu, il convient de rappeler que la phase écrite de la procédure devant le Tribunal comporte un premier échange de mémoires, conformément aux articles 76 et 81 de son règlement de procédure, qui peut, en vertu de l’article 83 dudit règlement, être suivi d’un second et dernier échange de mémoires, lorsque le Tribunal l’estime nécessaire pour compléter le contenu du dossier de l’affaire.

45      En l’espèce, il y a lieu de constater que les arguments exposés aux points 4 à 10 de la demande de tenue d’une audience ne constituent pas des motifs pour lesquels le requérant souhaite être entendu, qui seuls doivent figurer dans cet acte, ainsi que le précise l’article 106 du règlement de procédure. Or, dans ces points, le requérant développe des arguments déjà présentés dans ses écritures précédentes et réplique aux observations figurant dans la duplique. Dès lors, il y a lieu d’écarter les arguments exposés aux points 4 à 10 de la demande de tenue d’une audience.

46      En second lieu, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure, les preuves et les offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires. Toutefois, selon l’article 85, paragraphe 2, du même règlement, les parties peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve dans la réplique et la duplique à l’appui de leur argumentation, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

47      Il ressort cependant de la jurisprudence que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve fournies à la suite d’une preuve contraire de la partie adverse dans le mémoire en défense ne sont pas visées par la règle de forclusion prévue à l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure. En effet, cette disposition concerne les preuves nouvelles et doit être lue à la lumière de l’article 92, paragraphe 7, dudit règlement, qui prévoit expressément que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Post Bank Iran/Conseil, T‑559/15, EU:T:2018:948, point 75 et jurisprudence citée).

48      En l’espèce, l’annexe C.1 contient un extrait d’un site Internet daté du 30 septembre 2019, relatant les activités récentes de la délégation de l’Union européenne en Libye liées au programme visant à faciliter l’accès à l’eau potable que le requérant produit afin de démontrer que les activités que M. Abdel Majid Al-Gaoud a exercées du fait de ses fonctions coïncident avec celles de ladite délégation. L’annexe C.2 contient un rapport du comité des Affaires étrangères du Royaume-Uni, examinant l’intervention et les politiques du Royaume-Uni envisageables à l’avenir en Libye, daté du 6 septembre 2016, et les annexes C.3 et C.4 renvoient aux profils de deux membres du comité général du peuple issus de deux articles publiés sur un site Internet et datés du 18 juillet 2012 et du 22 août 2011. Le requérant produit ces trois annexes afin de démontrer que l’appréciation de la communauté internationale, de même que celle d’acteurs officiels en Libye, n’est pas un élément dénué de pertinence pour l’appréciation politique à laquelle le Conseil procéderait lui-même de façon autonome, contrairement à ce que ce dernier aurait soutenu dans son mémoire en défense.

49      En ce qui concerne l’annexe C.1, le requérant est resté en défaut d’expliquer les raisons de sa production tardive et n’a pas non plus fait valoir qu’il s’agissait d’une preuve contraire ou d’une ampliation des offres de preuve qu’il avait déjà fournies à la suite d’une preuve contraire du Conseil dans le mémoire en défense. Cette annexe est dès lors irrecevable.

50      En revanche, la règle de forclusion prévue à l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure n’a pas vocation à s’appliquer aux annexes C.2, C.3 et C.4, dès lors qu’elles ont été produites afin de contester des affirmations figurant dans le mémoire en défense du Conseil. Sans préjudice de la question de leur pertinence, qui relève de l’examen au fond du cadre factuel et juridique de la présente affaire, ces annexes sont dès lors recevables.

 Sur le fond

51      À l’appui de son recours, le requérant invoque en substance deux moyens, tirés, le premier, de l’insuffisance de la motivation des actes attaqués et de l’omission du Conseil d’exposer des motifs spécifiques et concrets justifiant le maintien du nom M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses. Dans le cadre de son second moyen, le requérant fait valoir que les actes attaqués violaient de manière disproportionnée les droits fondamentaux M. Abdel Majid Al-Gaoud, notamment ses droits à la santé et au respect de la vie familiale.

52      À titre liminaire, il convient de distinguer les actes par lesquels M. Abdel Majid Al-Gaoud a été inscrit sur les listes des personnes visées par des mesures restrictives et les actes successifs qui ont pour objet le maintien de l’inscription de son nom sur ces listes. En effet, les actes d’inscription de 2011 ainsi que les actes d’inscription subséquents ne font manifestement pas l’objet du présent recours et n’ont pas été contestés en temps utile devant le juge de l’Union. Les moyens du requérant ne sont dès lors recevables que dans la mesure où ils ont pour objet d’obtenir l’annulation des actes attaqués, soit des actes de 2019 et, à la suite de l’adaptation de la requête sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, également des actes de 2020, dans la mesure où ils maintiennent l’inscription du nom M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses.

53      Dans le cadre de son premier moyen, le requérant avance des arguments qui relèvent, d’une part, d’une insuffisance de la motivation des actes attaqués et tirés du fait que le Conseil n’a pas précisé les motifs de l’inscription et du maintien du nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses et, d’autre part, d’un défaut de base factuelle justifiant le maintien de l’inscription du nom de ce dernier sur les listes litigieuses et tirés du fait que le Conseil n’a pas produit d’éléments de preuve démontrant que les mesures à son égard étaient fondées.

54      Or, il convient d’observer que la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application de mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (voir arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 60 et jurisprudence citée).

55      Il s’ensuit que les griefs du requérant visant la question de la motivation des actes attaqués et les différents griefs ayant trait à l’existence d’une base factuelle justifiant le maintien de l’inscription du nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses seront examinés séparément.

 Sur le premier grief, tiré du défaut de motivation des actes attaqués

56      Le requérant fait valoir que, contrairement à ce qu’exigent l’article 13, paragraphe 3, de la décision 2015/1333 et l’article 21, paragraphe 3, du règlement 2016/44 ainsi que les lignes directrices du Conseil en matière de sanctions, celui-ci n’a pas fourni de motivation claire et non équivoque susceptible de permettre à M. Abdel Majid Al-Gaoud de comprendre le fondement juridique du maintien de son inscription.

57      Le Conseil soutient que les motifs qu’il a invoqués sont suffisamment précis et concrets et démontrent que M. Abdel Majid Al-Gaoud a exercé les fonctions de ministre de l’Agriculture et des Ressources animales et maritimes du gouvernement libyen de M. Qadhafi, circonstance qui n’est pas contestée, et qu’il était étroitement associé à l’ancien régime instauré par ce dernier en Libye. De plus, M. Abdel Majid Al-Gaoud aurait été en mesure de comprendre le contexte et la portée des mesures le concernant.

58      Il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 49 et jurisprudence citée). En outre, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution auteure de l’acte (voir arrêts du 24 septembre 2014, Kadhaf Al Dam/Conseil, T‑348/13, non publié, EU:T:2014:806, point 63 et jurisprudence citée, et du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 27 et jurisprudence citée).

59      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêts du 24 septembre 2014, Kadhaf Al Dam/Conseil, T‑348/13, non publié, EU:T:2014:806, point 67 et jurisprudence citée, et du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 31).

60      En l’espèce, il convient de constater que les actes attaqués font état, d’une part, du motif pour lequel le Conseil a maintenu le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses en juillet 2019 et en juillet 2020 et qui correspond aux justifications qui avaient été mises en avant pour procéder à l’inscription de son nom sur les listes annexées aux actes d’inscription de 2011, soit le fait d’avoir été ministre de l’Agriculture et des Ressources animales et maritimes du gouvernement de M. Qadhafi. Les actes attaqués font état, d’autre part, du motif pour lequel le Conseil a maintenu le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses annexées aux actes d’inscription subséquents, soit le fait d’avoir été ministre et d’être étroitement associé à l’ancien régime de M. Qadhafi.

61      De plus, le Conseil a fourni des informations à M. Abdel Majid Al-Gaoud dans le cadre de l’échange de correspondances avec ses représentantes, duquel il ressort que le Conseil le considérait, en raison de sa participation ou de son association passée à l’ancien régime, comme un danger, que ce soit pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour la réussite de la transition politique du pays au moment de l’adoption des actes attaqués.

62      Il en découle que M. Abdel Majid Al-Gaoud ne pouvait ignorer ni que son nom avait été maintenu sur les listes litigieuses au motif que le Conseil estimait qu’il était étroitement associé à l’ancien régime de M. Qadhafi du fait de ses fonctions d’ancien ministre du gouvernement de ce dernier, ni que le Conseil jugeait ces mesures nécessaires en raison de la situation en Libye. Les indications figurant dans les actes attaqués, auxquels s’ajoutent les informations fournies dans les lettres du Conseil des 19 novembre 2018, 29 janvier 2019 et 31 juillet 2019 (voir points 18, 20 et 21 ci-dessus), étaient donc suffisamment précises, conformément à la jurisprudence citée aux points 58 et 59 ci-dessus, pour permettre à M. Abdel Majid Al-Gaoud de préparer sa contestation des mesures, ce qu’il a valablement pu faire en l’espèce.

63      Il convient dès lors de rejeter le grief du requérant tiré d’un défaut de motivation des actes attaqués.

 Sur le second grief, tiré du défaut de base factuelle du maintien du nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses

64      En premier lieu, le requérant avance que le Conseil, en invoquant le fait que M. Abdel Majid Al-Gaoud ait exercé la fonction de « ministre de l’Agriculture et des Ressources animales et maritimes du gouvernement de Mouammar Qadhafi » et qu’il ait été « étroitement associé à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi », ne satisfait à aucun des critères de désignation énoncés dans la décision 2015/1333 ou dans le règlement 2016/44. Le requérant insiste sur le fait que, bien que M. Abdel Majid Al-Gaoud ait exercé des fonctions politiques au moment des actes d’inscription de 2011, celles-ci étaient limitées au domaine agricole et découlaient de son rôle de secrétaire de l’Autorité de la Grande Rivière artificielle, projet de génie civil conçu pour fournir de l’eau pour des usages agricoles, urbains et industriels, en exploitant des eaux fossiles transportées à travers la Libye. Il précise aussi que M. Abdel Majid Al-Gaoud n’a à aucun moment exercé des fonctions militaires ou liées à la sécurité au sein du gouvernement libyen dirigé par M. Qadhafi et que M. Abdel Majid Al-Gaoud n’a pas non plus fait l’objet de sanctions imposées par les Nations unies.

65      En deuxième lieu, le requérant soutient qu’il ne suffit pas que le Conseil établisse qu’une personne était autrefois associée au régime de M. Qadhafi pour justifier le maintien de son nom sur les listes litigieuses, mais il lui faudrait aussi démontrer que, au moment du réexamen, la personne concernée continuait de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye ou la réussite de sa transition politique. À cette fin, il incomberait au Conseil d’indiquer les raisons individuelles, spécifiques et concrètes en ce qui concerne le rôle joué par M. Abdel Majid Al-Gaoud ainsi que le risque que ce rôle constituait, également à la lumière de sa détention arbitraire prolongée (voir points 9 et 17 ci-dessus), et d’une modification considérable de la situation en Libye.

66      En troisième lieu, le requérant fait valoir que le Conseil s’appuie à tort sur la jurisprudence tirée de l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), pour affirmer que le Tribunal a validé son appréciation selon laquelle tous les anciens ministres du gouvernement de M. Qadhafi continuent de représenter une menace en Libye. Le requérant soutient, premièrement, que M. Bashir Saleh Bashir Alsharghawi, partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), revêtait les fonctions d’ancien chef de cabinet de M. Qadhafi et, en tant que personne qui occupait le poste hiérarchiquement le plus élevé au sein du cabinet de M.  Qadhafi, le Tribunal avait estimé que M. Alsharghawi était susceptible d’alimenter l’exacerbation des divisions de la société libyenne, notamment au vu du fait qu’il avait reconnu qu’il lui arrivait, malgré son retrait de la vie politique libyenne, d’être consulté par des forces en présence en Libye, en raison précisément des fonctions à très haut niveau précédemment occupées et de son expertise sur la Libye. En revanche, M. Abdel Majid Al-Gaoud aurait occupé un poste sans rapport avec l’armée et la sécurité dans l’ancien cabinet de M. Qadhafi et ne représenterait pas un facteur de division dans la situation actuelle en Libye. Deuxièmement, en 2015 et 2016, soit à l’époque où, selon les déclarations de M. Alsharghawi, ce dernier avait été contacté en vue d’être consulté par des forces en présence en Libye, le requérant rappelle que M. Abdel Majid Al-Gaoud était détenu dans le complexe Al-Hadba de Tripoli. Troisièmement, le requérant soutient que M. Abdel Majid Al-Gaoud ne jouait aucun rôle politique depuis sa démission en 2011 et que, en raison de son âge avancé et de son état de santé préoccupant, il aurait été incapable de constituer un quelconque danger, d’autant plus qu’il avait résidé en Égypte de manière pacifique depuis sa libération en 2017 et qu’il n’existait aucune preuve ni allégation d’une quelconque participation aux affaires internes de la Libye.

67      En quatrième lieu, selon le requérant, le Conseil a utilisé les mêmes termes dans ses lettres des 19 novembre 2018, 29 janvier 2019 et 31 juillet 2019 (voir points 18, 20 et 23 ci-dessus), ce qui démontrerait que celui-ci n’a pas procédé à un réexamen indépendant et actuel de la légalité du maintien de l’inscription de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses.

68      En cinquième lieu, le requérant allègue également que les actes attaqués sont manifestement infondés. Il soutient que les éléments de preuve avancés par le Conseil ne suffisent pas à étayer l’exactitude factuelle des motifs justifiant l’inscription de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses. Les documents annexés par le Conseil à la lettre du 29 janvier 2019 (voir point 20 ci-dessus) auraient tous pour sources des recherches effectuées sur des moteurs de recherche sur Internet postérieurement à son inscription sur les listes litigieuses et ne serviraient qu’à démontrer que M. Abdel Majid Al-Gaoud a exercé des fonctions publiques, mais ne parviendraient ni à établir le lien des mesures imposées à son égard avec les objectifs poursuivis par lesdites sanctions ni à clarifier les motifs de son inscription sur les listes litigieuses. Alors que le Conseil chercherait à renverser la charge de la preuve en la faisant peser sur le requérant, l’établissement d’une prétendue association étroite de M. Abdel Majid Al-Gaoud avec le régime ne reposerait que sur une présomption et des sources inconnues. En revanche, la note verbale du 25 juillet 2018 adressée au Conseil (voir point 19 ci-dessus), sans que celui-ci la prenne véritablement en considération, serait manifestement pertinente et d’actualité et aurait une valeur probante apte à démontrer que M. Abdel Majid Al-Gaoud ne représentait pas une menace pour la situation en Libye.

69      Le Conseil fait valoir, en premier lieu, que le fait de continuer à mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays n’est pas un critère distinct pour lequel des indications autres que celles liées à l’association à l’ancien régime de M. Qadhafi devraient être fournies. Au contraire, le fait que M. Abdel Majid Al-Gaoud, de même que d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue, a continué à constituer un danger, au moment de l’adoption des actes attaqués, que ce soit pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour la réussite de la transition politique du pays, découlerait précisément de sa participation ou de son association passée à l’ancien régime. Ce critère n’exigerait ainsi aucune indication supplémentaire quant à une implication dans l’état actuel de la situation.

70      En deuxième lieu, l’appréciation selon laquelle M. Abdel Majid Al-Gaoud, en tant qu’ancien membre du gouvernement de M. Qadhafi, continuait de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye, ou la réussite de la transition politique du pays, relèverait des appréciations politiques du Conseil. Ainsi, le Conseil rappelle qu’il appartient à un requérant qui conteste son appréciation politique de présenter des éléments de preuve de nature à remettre en cause les allégations du Conseil et les documents les étayant. Par ailleurs, lorsque l’association à un régime au pouvoir constitue un motif permettant l’inscription du nom d’une personne sur la liste, il ne serait pas nécessaire de démontrer, en plus, que cette personne se livre directement à des activités mettant en danger la paix, la stabilité ou la sécurité du pays concerné.

71      En troisième lieu, le Conseil indique que le requérant s’appuie en grande partie sur des pièces qui n’avaient pas été portées à son attention avant les dates d’adoption des actes attaqués. Il s’agirait, en tout état de cause, d’informations dépourvues de pertinence. En ce qui concerne la note verbale du 25 juillet 2018 (voir point 19 ci-dessus), le Conseil fait valoir que celle-ci renvoie uniquement à la prétendue absence de risque pour la sécurité nationale en Libye. Elle n’évoquerait nullement l’éventuel risque pour la réussite de la transition politique de la Libye, qui est un « critère supplémentaire et alternatif » en vertu des actes attaqués sur la base desquels M. Abdel Majid Al-Gaoud a été maintenu sur la liste, alors qu’il serait de notoriété publique que la transition politique en Libye est loin d’être achevée.

72      En quatrième lieu, les éléments de preuve avancés par le Conseil dans sa lettre du 29 janvier 2019 (voir point 20 ci-dessus) proviennent de différentes sources connues et clairement indiquées. Ces documents auraient été à la disposition du Conseil avant l’adoption des actes attaqués. Selon le Conseil, chaque source d’information numérique, publiquement accessible, apporte des éléments d’information différents, et toutes ces sources concordent, en substance, à désigner M. Abdel Majid Al-Gaoud comme étant étroitement associé à l’ancien régime de M. Qadhafi. En outre, la documentation aurait été publiée à différentes dates sur une longue période et, pour certains documents, bien avant qu’il n’ait occupé son dernier poste de ministre de l’Agriculture et des Ressources animales et maritimes, ce qui serait important et pertinent en ce que cela démontrerait que, déjà à l’époque, il était considéré comme étant associé au régime de M. Qadhafi et qu’il a continué à l’être, sans aucune interruption, jusqu’à la chute du régime. Par ailleurs, le requérant se limiterait à remettre en cause la valeur probante des documents en question, sans contester l’exactitude des informations y figurant.

73      Dans sa réplique, le requérant fait valoir, notamment, qu’il ressortirait de ses arguments que le Conseil se fonde sur des actes commis par d’autres personnes en 2011, pour justifier l’application des mesures restrictives à l’égard de M. Abdel Majid Al-Gaoud. En ce qui concerne l’affirmation du Conseil selon laquelle il n’appartiendrait pas au Tribunal de remettre en cause son appréciation politique de la situation en Libye, le requérant soutient que le Conseil ne s’est auparavant pas appuyé sur cet argument et n’y a pas « renvoyé explicitement dans la correspondance précédente » avec M. Abdel Majid Al-Gaoud. Cet argument ne serait pas non plus conforme au principe selon lequel les sanctions ne devraient pas être de nature punitive. Le Conseil ne pourrait pas non plus faire abstraction du contexte politique relatif à la situation en Libye, ni faire totalement abstraction des appréciations de la communauté internationale, des autorités libyennes ou des autres protagonistes de l’Union.

74      Dans sa duplique, d’une part, le Conseil ajoute que le requérant ne nie pas que M. Abdel Majid Al-Gaoud a occupé différents postes au sein du gouvernement de M. Qadhafi et que la date des recherches sur Internet, annexées à sa lettre du 29 janvier 2019 (voir point 20 ci-dessus), ne saurait démontrer que le Conseil ne connaissait pas le rôle que M. Abdel Majid Al-Gaoud jouait en 2011 ou en 2015. Cela pourrait tout au plus démontrer que le Conseil ne s’est pas fondé sur ces informations au moment de l’inscription initiale de M. Abdel Majid Al-Gaoud ou que le Conseil ne juge pas nécessaire de démontrer, dans la présente espèce, qu’il disposait d’éléments de preuve suffisants pour justifier l’inscription initiale de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur la liste. Aucune autre conclusion ne peut raisonnablement être tirée de ces allégations formulées par le requérant en ce qui concerne la légalité des actes attaqués. Le Conseil fait également valoir que les raisons pour lesquelles M. Abdel Majid Al-Gaoud n’a pas contesté les décisions d’inscription antérieures le concernant sont également dénuées de pertinence.

75      D’autre part, le Conseil soutient que, lorsque le fait d’être associé au régime en place (ou à l’ancien régime) constitue un critère d’inscription, la portée et l’intensité du contrôle juridictionnel du juge de l’Union sont limitées. Ce critère d’inscription constitue avant tout un choix de politique étrangère opéré par le Conseil et, en tant que tel, est uniquement soumis à un contrôle du caractère manifestement inapproprié. Selon le Conseil, le fait d’avoir été « autrefois associé d’une autre manière à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi » suffisait pour que les mesures restrictives en question soient appliquées à M. Abdel Majid Al-Gaoud et le requérant n’aurait pas démontré que l’établissement d’un tel lien serait manifestement inapproprié et donc susceptible d’affecter la légalité du choix politique particulier opéré par le Conseil eu égard au large pouvoir d’appréciation dont il dispose dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune. Par ailleurs, les actes attaqués n’auraient aucun rapport avec la détention de M. Abdel Majid Al-Gaoud par les autorités libyennes, ni avec les préoccupations de la communauté internationale qui ont été adressées aux autorités libyennes en ce qui concerne les conditions de sa détention.

76      Selon la jurisprudence, en vue de définir l’étendue du pouvoir d’appréciation du Conseil et l’intensité du contrôle juridictionnel sur l’exercice de ce pouvoir, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, les règles générales définissant les conditions légales entourant l’adoption de mesures restrictives et, d’autre part, l’adoption, sur la base d’un examen individuel, de décisions de gel des fonds et de restrictions de mouvement en application de ces conditions légales, à l’égard de personnes et d’entités déterminées (voir, en ce sens, arrêts du 12 juin 2013, HTTS/Conseil, T‑128/12 et T‑182/12, non publié, EU:T:2013:312, point 45, et du 6 septembre 2013, Bateni/Conseil, T‑42/12 et T‑181/12, non publié, EU:T:2013:409, point 42).

77      En ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation (arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir. Ce contrôle restreint s’applique, en particulier, à l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles les mesures restrictives sont fondées (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 45).

78      Cependant, de manière générale, le juge de l’Union doit, conformément aux compétences dont il est investi en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).

79      En effet, l’Union est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité FUE et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 281 et jurisprudence citée).

80      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

81      Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée). En revanche, il incombe à ladite autorité compétente de l’Union, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cette fin, il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122).

82      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le maintien du nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses repose sur une base factuelle suffisamment solide.

83      En l’espèce, le choix des critères d’inscription sur les listes litigieuses et l’inscription de M. Abdel Majid Al-Gaoud comme remplissant lesdits critères, en ce qu’il était considéré comme étant étroitement associé à l’ancien régime de M. Qadhafi en raison de ses fonctions d’ancien ministre du gouvernement de ce dernier, relèvent d’une appréciation politique du Conseil, dont la légalité ne peut en tout état de cause plus être remise en question, faute pour M. Abdel Majid Al-Gaoud d’avoir contesté en temps utile devant le juge de l’Union les actes d’inscription de 2011 et les actes d’inscription subséquents ainsi que cela a été constaté au point 52 ci-dessus.

84      Toutefois, les actes d’inscription subséquents, sur la base desquels les actes attaqués ont été adoptés, à l’instar des actes d’inscription de 2011, prévoient, respectivement à leur article 17, paragraphe 2, et à leur article 21, paragraphe 6, un réexamen périodique des mesures restrictives afin de permettre au Conseil de tenir compte des changements de circonstances concernant la situation individuelle des personnes visées par celles-ci. Les actes attaqués représentent l’aboutissement de cet exercice de réexamen périodique.

85      Or, le Conseil ne saurait présumer du seul fait que M. Abdel Majid Al-Gaoud a été ministre dans plusieurs ministères du gouvernement de M. Qadhafi au moment où les actes à l’origine des sanctions contre ce régime ont été commis qu’il aurait pu éventuellement être tenu pour responsable des actions de ce régime même après sa chute, voire même huit à neuf ans après les actes d’inscription de 2011, soit lors de l’adoption des actes attaqués, au point d’être toujours considéré comme une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye. Cela aurait conduit à figer la situation de M. Abdel Majid Al-Gaoud (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 155) et à priver de tout effet utile l’exercice de réexamen périodique prévu notamment par les actes d’inscription subséquents.

86      Dès lors, il y a lieu d’examiner si la décision de maintenir les mesures restrictives à l’égard de M. Abdel Majid Al-Gaoud en vertu des actes attaqués, en ce qu’il a exercé les fonctions de ministre du gouvernement de M. Qadhafi et était ainsi étroitement associé audit régime, repose sur une base factuelle suffisamment solide.

87      Il convient de rappeler que, selon les considérants 1 à 5 de la décision 2011/137, les actes initiaux de 2011 avaient été adoptés « [c]ompte tenu de la gravité de la situation en Libye », « pour qu’il soit mis fin immédiatement à l’usage de la force et pour que des mesures soient prises afin de répondre aux exigences légitimes de la population » et parce que l’Union estimait qu’il était « nécessaire d’instituer des mesures restrictives supplémentaires » à celles instaurées par le Conseil de sécurité. Les actes d’inscription subséquents ont été adoptés dans le but de consolider dans de nouveaux instruments juridiques les mesures restrictives imposées par les actes initiaux de 2011, tels que modifiés et mis en œuvre par plusieurs actes ultérieurs, « compte tenu de la menace spécifique que la situation en Libye fait peser sur la paix et la sécurité internationales dans la région » (voir considérant 4 du règlement 2016/44).

88      Il convient en outre de constater que, dans sa lettre du 19 novembre 2018 (voir point 18 ci-dessus), le Conseil a indiqué que M. Abdel Majid Al-Gaoud continuait à constituer une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye et pour la réussite de sa transition politique en raison de ses anciennes fonctions et de sa conséquente association étroite au régime de M. Qadhafi.

89      Dans sa lettre du 29 janvier 2019 (voir point 20 ci-dessus), le Conseil a réaffirmé que M. Abdel Majid Al-Gaoud continuait à constituer une menace en raison de ses anciennes fonctions. En ce qui concerne les éléments de preuve, le Conseil a communiqué à M. Abdel Majid Al-Gaoud un document de travail contenant huit annexes, une copie de la note verbale du 25 juillet 2018 (voir point 19 ci-dessus) et la réponse qu’il avait envoyée à l’ambassade de Libye au Caire.

90      Or, premièrement, les annexes au document de travail sont datées de 1977 (éléments de preuve nos4 et 5), 1981 (élément de preuve no 7), 2010 (élément de preuve no 1), 2011 (élément de preuve no 3), 2016 (élément de preuve no 6) et 2017 (éléments de preuve nos 2 et 8) et ont pour sources des recherches effectuées en 2018 sur des sites Internet. Deuxièmement, ces documents peuvent tout au plus démontrer le fait que M. Abdel Majid Al-Gaoud a effectivement occupé différents postes de haut rang, ce que d’ailleurs le requérant ne conteste pas, à commencer par celui de secrétaire chargé de la mise en valeur et du développement des terres en 1977, puis celui de ministre de l’Énergie atomique et de président du Comité national de l’énergie atomique en 1981, puis le poste de secrétaire du Comité général du peuple de 1994 à 1997, et enfin celui de ministre de l’Agriculture et des Ressources animales et maritimes au sein du gouvernement de M. Qadhafi, où il est resté jusqu’à la chute du régime. Troisièmement, la note verbale du gouvernement d’entente nationale du 25 juillet 2018 qui lui avait été adressée par l’ambassade de Libye au Caire (voir point 19 ci-dessus) fait état, d’une part, des changements significatifs intervenus dans la situation politique, sécuritaire et économique de la Libye et du progrès du processus de réconciliation national et, d’autre part, du fait que le gouvernement d’entente nationale ne voyait pas M. Abdel Majid Al-Gaoud comme étant un risque actuel pour la situation courante du pays à la suite de sa libération pour des raisons médicales. Partant, il ne saurait être considéré, ainsi que le prétend le Conseil (voir point 71 ci-dessus), que cette note renvoie uniquement à la prétendue absence de risque pour la sécurité nationale en Libye, sans évoquer l’éventuel risque représenté par M. Abdel Majid Al-Gaoud pour la réussite de la transition politique de la Libye. Il ressort au contraire du contenu de cette note que le gouvernement d’entente nationale n’effectue pas de distinction et ne considère M. Abdel Majid Al-Gaoud, en raison de sa participation ou de son association passée à l’ancien régime, comme un danger ni pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ni pour la réussite de la transition politique du pays au moment de l’adoption des actes attaqués. En outre, le Conseil a répondu à cette note, en se contentant d’affirmer simplement que des raisons suffisantes existaient pour maintenir le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses, sans prendre position sur les considérations y figurant.

91      Dans sa lettre du 31 juillet 2019 (voir point 21 ci-dessus), le Conseil a réaffirmé sa position selon laquelle M. Abdel Majid Al-Gaoud continuait à constituer une menace en raison de ses anciennes fonctions, en indiquant que, en vertu de l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), il appartenait à M. Abdel Majid Al-Gaoud de rapporter la preuve contraire et que les observations produites ne démontraient pas qu’une appréciation différente devrait être portée sur sa situation.

92      Or, l’argument du Conseil fondé sur l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), et au terme duquel le Tribunal aurait validé son appréciation selon laquelle tous les anciens ministres du gouvernement de M. Qadhafi continueraient de représenter une menace en Libye, doit être écarté. En effet, il ressort de cet arrêt que les éléments de preuve produits par le requérant dans cette affaire n’étaient pas de nature à remettre en cause l’exactitude matérielle des faits tels qu’ils avaient été présentés par le Conseil. En particulier, le requérant avait reconnu qu’il lui arrivait encore, et malgré son retrait de la vie politique libyenne, d’être consulté par des forces en présence en Libye, en raison précisément des fonctions à très haut niveau précédemment occupées et de son expertise sur la Libye (arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, points 108 et 109).

93      En l’espèce, M. Abdel Majid Al-Gaoud a été considéré par le Conseil comme associé à l’ancien régime de M. Qadhafi, du fait des fonctions qu’il exerçait avant la chute du régime de ce dernier et en cela sa situation présente certes une similitude avec celle du requérant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520). Cependant, si les fonctions que M. Abdel Majid Al-Gaoud occupait ont pu justifier l’inscription de son nom dans les actes d’inscription initiaux et dans les actes d’inscription subséquents dont la légalité ne peut au demeurant plus être remise en cause, le Conseil aurait dû, au stade du réexamen du maintien de l’inscription de son nom, tenir compte du fait que sa situation différait de celle de l’ancien chef de cabinet de M. Qadhafi.

94      À cet égard, il ressort du dossier que la situation de M. Abdel Majid Al-Gaoud a changé après la chute du régime, voire depuis les actes d’inscription de 2011 et les actes d’inscription subséquents. Alors que M. Alsharghawi était encore sollicité au moment des actes d’inscription subséquents par des forces en présence en Libye, en raison précisément des fonctions à très haut niveau précédemment occupées et de son expertise sur la Libye, M. Abdel Majid Al-Gaoud se trouvait en régime de détention depuis septembre 2011 jusqu’à sa libération pour des raisons de santé en 2017, sans qu’aucune décision de justice soit intervenue à son égard. M. Abdel Majid Al-Gaoud était également étranger, et ce depuis 2011, à toute participation à la vie politique libyenne.

95      Quant aux affirmations du Conseil, s’appuyant sur les arrêts du 9 juillet 2020, Haswani/Conseil (C‑241/19 P, EU:C:2020:545, points 70 et 71), et du 4 avril 2019, Sharif/Conseil [T‑5/17, EU:T:2019:216, points 55 à 57 (non publiés)], il convient de rappeler que les personnes revêtant une certaine qualité ou un statut déterminé ne sont pas inscrites ou maintenues sur la liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime visé par lesdites mesures ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci (arrêt du 9 juillet 2020, Haswani/Conseil, C‑241/19 P, EU:C:2020:545, point 73).

96      Or, ainsi que cela a été constaté au point 94 ci-dessus, la situation de M. Abdel Majid Al-Gaoud a connu d’importantes modifications depuis la cessation de ses fonctions de ministre en 2011, du fait de sa mise en détention prolongée pour six années (voir points 9 et 17 ci-dessus), soit de 2011 à 2017, de sa libération subséquente sans qu’aucune décision de justice ait été adoptée à son égard et de la détérioration de son état de santé après sa libération. Il convient de rappeler à ce sujet que le groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (document A/HRC/WGAD/2016/4), dans son avis adopté le 15 juin 2016, a confirmé le caractère arbitraire de la détention de M. Abdel Majid Al-Gaoud, en sollicitant sa libération auprès du gouvernement libyen. C’est donc à tort que, malgré ces éléments et les informations contenues dans la note verbale du 25 juillet 2018 qui lui avait été adressée (voir point 19 ci-dessus), le Conseil a considéré que M. Abdel Majid Al-Gaoud demeurait lié au régime visé par les mesures restrictives attaquées. Lors de l’audience, le Conseil a indiqué, d’une part, qu’il n’avait pas présumé des fonctions que M. Abdel Majid Al-Gaoud avait exercées que ce dernier continuait de représenter une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou une entrave à la réussite de la transition politique du pays, et, d’autre part, que des vérifications étaient nécessaires, au moment de son réexamen annuel des mesures en question, pour maintenir le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses. Le Conseil a toutefois indiqué que, en tant qu’ancien membre du gouvernement de M. Qadhafi, M. Abdel Majid Al-Gaoud continuait de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye, ou la réussite de la transition politique du pays, et qu’il revenait au requérant d’apporter la preuve que les fonctions que M. Abdel Majid Al-Gaoud avait exercées n’auraient pas été suffisantes pour maintenir son nom sur les listes litigieuses, en renversant ainsi la charge de la preuve qui lui incombait pour décider dudit maintien.

97      Si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune pour examiner le contexte existant en Libye et pour effectuer les choix qu’il estime appropriés, il y a lieu de constater que la décision de maintenir les mesures restrictives à l’égard de M. Abdel Majid Al-Gaoud en vertu des actes attaqués, du seul fait de son statut d’ancien ministre du gouvernement de M. Qadhafi où il est resté jusqu’à la chute du régime, et partant, comme étant étroitement associé au régime instauré par ce dernier, ne repose pas sur une base factuelle suffisamment solide. En effet, le Conseil s’est borné à réitérer les justifications ayant conduit à l’inscription de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses, sans valablement réfuter, lors du réexamen de ladite inscription, les informations et les changements invoqués concernant sa situation factuelle et personnelle.

98      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, les griefs du requérant, tirés du fait que les actes attaqués sont dépourvus de base factuelle justifiant le maintien du nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes litigieuses, sont fondés.

99      Il convient donc d’accueillir le premier moyen du recours et, par voie de conséquence, d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le M. Abdel Majid Al-Gaoud, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments soulevés par le requérant à l’appui de sa demande d’annulation.

 Sur les effets dans le tempsde l’annulation des actes attaqués

100    Le Conseil demande, à titre subsidiaire (voir point 40, deuxième tiret, ci-dessus), en substance, le maintien des effets de la décision d’exécution 2020/1137 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi et, au cas où un pourvoi serait présenté, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci.

101    Le requérant s’oppose à la demande du Conseil.

102    Dès lors que la décision d’exécution (PESC) 2021/672 et le règlement d’exécution (UE) 2021/667 (voir point 26 ci-dessus) ont supprimé le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud des listes litigieuses à la suite de son décès, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la question du maintien des effets de la décision d’exécution 2020/1137 en ce qu’elle vise celui-ci.

 Sur les dépens

103    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution (PESC) 2019/1299 du Conseil, du 31 juillet 2019, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, et la décision d’exécution (PESC) 2020/1137 du Conseil, du 30 juillet 2020, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, sont annulées en tant qu’elles maintiennent le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur les listes figurant aux annexes II et IV de la décision (PESC) 2015/1333 du Conseil, du 31 juillet 2015, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant la décision 2011/137/PESC.

2)      Le règlement d’exécution (UE) 2019/1292 du Conseil, du 31 juillet 2019, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, et le règlement d’exécution (UE) 2020/1130 du Conseil, du 30 juillet 2020, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, sont annulés en tant qu’ils maintiennent le nom de M. Abdel Majid Al-Gaoud sur la liste figurant à l’annexe III du règlement (UE) 2016/44 du Conseil, du 18 janvier 2016, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) no 204/2011.

3)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, les dépens de M. Tareg Ghaoud, en qualité d’héritier de M. Abdel Majid Al-Gaoud.

Spielmann

Öberg

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.