Language of document : ECLI:EU:T:2011:264

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

9 juin 2011 (*)

« Référé – Marché public de services – Constatation d’irrégularités dans certains documents fournis par l’attributaire du marché – Décisions portant sanction administrative à l’égard de l’attributaire et résiliation unilatérale du contrat – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑87/11 R,

GRP Security, établie à Bertrange (Luxembourg), représentée par Me G. Osch, avocat,

partie requérante,

contre

Cour des comptes de l’Union européenne, représentée par MM. T. Kennedy, J.-M. Stenier et Mme J. Vermer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution, d’une part, de la décision du 14 janvier 2011 par laquelle la Cour des comptes a exigé de la requérante le paiement de dommages et intérêts à hauteur de 16 000 euros et s’est réservée le droit de réclamer des dommages et intérêts subséquents ainsi que, d’autre part, de sa décision du même jour portant sanction administrative d’exclusion de la requérante des marchés et des subventions financés par le budget de l’Union européenne pour une période provisoire de trois mois,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        En octobre 2010, la Cour des comptes de l’Union européenne a lancé une procédure négociée en vue de la conclusion d’un contrat de services de surveillance et de gardiennage des immeubles qu’elle occupe à Luxembourg (ci-après le « contrat litigieux »). À cette fin, elle a adressé à trois entreprises actives dans le domaine de la sécurité, dont la requérante, GRP Security, une invitation à soumissionner pour le marché en cause, dont la valeur globale était de 1 582 484,11 euros.

2        Par décision du 1er décembre 2010, la Cour des comptes a attribué ledit marché à la requérante et l’a informée de sa volonté de signer le contrat litigieux le 6 décembre 2010, tout en l’invitant à produire auparavant certains documents, notamment la liste nominative avec les qualifications, y compris les pièces justificatives, des agents assignés à l’exécution du contrat.

3        Le 6 décembre 2010, la requérante a soumis la liste requise ainsi que les curriculums vitae et les pièces justificatives (diplômes, attestations, certificats) des agents en cause. Sur cette liste, elle a présenté M. X comme chef de poste, à savoir comme le responsable sur place de l’équipe formée par une douzaine d’agents de sécurité, et a produit le curriculum vitae et un diplôme professionnel spécifique de M. X.

4        À la suite de la remise de ces documents, la requérante et la Cour des comptes ont signé, le 6 décembre 2010, le contrat litigieux, qui prévoit la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne et est régi par le droit de l’Union européenne, complété, en cas de besoin, par le droit luxembourgeois. Le 7 décembre 2010, la requérante a déployé ses agents sur les sites de la Cour des comptes et a commencé à fournir ses prestations contractuelles quelques jours plus tard.

5        Le 7 décembre 2010, la Cour des comptes a signalé à la requérante des incohérences et des lacunes dans le curriculum vitae de M. X et dans son diplôme professionnel. Ensuite, elle a invité le responsable d’exploitation de la requérante à une réunion le 20 décembre 2010, au cours de laquelle elle a demandé des informations sur les qualifications professionnelles de M. X et sur les documents fournis le 6 décembre 2010.

6        Le 21 décembre 2010, M. X a avoué, devant la Cour des comptes, qu’il avait falsifié le diplôme professionnel joint à son curriculum vitae pour donner l’impression d’être titulaire d’une agrégation officielle française dans le secteur de la sécurité. M. X a également exposé que, contrairement à ce qu’indiquait son curriculum vitae, il n’avait pas d’expérience en tant que chef de poste. À cette occasion, le responsable d’exploitation de la requérante a affirmé que cette dernière n’avait pas été au courant de ces falsifications et mensonges.

7        Dans ces circonstances, le secrétaire général de la Cour des comptes a adressé, en date du 21 décembre 2010, une télécopie à la requérante, l’informant de son intention d’exiger des dommages et intérêts, de résilier unilatéralement le contrat litigieux et de lui imposer des sanctions administratives et financières.

8        Après avoir donné à la requérante l’occasion de prendre position sur les événements susmentionnés, la Cour des comptes lui a adressé, le 14 janvier 2011, une lettre (ci-après la « lettre contestée ») dans laquelle elle a, d’une part, résilié le contrat litigieux avec effet au 31 mars 2011 et, d’autre part, exigé le paiement de dommages et intérêts à hauteur de 16 000 euros, en réparation du préjudice moral et pécuniaire qu’elle aurait subi, et ce pour le 15 février 2011 suivant les conditions figurant dans la note de débit jointe à cette lettre. De plus, la Cour des comptes s’est réservée le droit de demander une indemnisation supplémentaire si d’autres éléments faisaient apparaître un nouveau dommage ou un dommage plus étendu en relation avec les causes de résiliation du contrat litigieux.

9        Le 14 janvier 2011 également, la Cour des comptes a adopté une décision portant sanction administrative à l’égard de la requérante (ci-après la « décision attaquée »), au motif que cette dernière se trouvait en défaut grave d’exécution de ses obligations tant contractuelles que réglementaires, au sens de l’article 93, paragraphe 1, sous f), et de l’article 96, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, sous a), du règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, tel que modifié ; ci-après le « règlement financier »). En conséquence, elle a exclu la requérante des marchés et des subventions financés par le budget de l’Union, pour une durée provisoirement établie à trois mois à compter du 15 janvier 2011. De plus, elle a annoncé son intention de revoir cette décision en vue d’une prolongation de la durée d’exclusion si, avant l’expiration de la période de trois mois, la requérante n’apportait pas la preuve qu’elle avait pris les mesures correctrices internes appropriées pour éviter que des faits similaires ne se reproduisent à l’avenir. Enfin, elle a indiqué que l’imposition de ces sanctions entraînait l’inscription provisoire de l’exclusion de la requérante dans la base de données centrale visée à l’article 95 du règlement financier.

10      Par ailleurs, la Cour des comptes a invité la requérante, par courrier du 17 février 2011, à participer à une réunion prévue pour le 21 mars 2011 afin d’y présenter les mesures correctrices internes susmentionnées, tout en lui demandant de transmettre pour le 14 mars 2011 un mémorandum préparatoire en ce sens, ce que la requérante a fait en date du 10 mars 2011.

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 février 2011, la requérante a introduit un recours visant, en substance, à l’annulation tant de la lettre contestée que de la décision attaquée, et ce sur le fondement des articles 263 TFUE et 264 TFUE.

12      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la lettre contestée et de la décision attaquée ;

–        condamner la Cour des comptes aux dépens.

13      Dans les observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 16 mars 2011, la Cour des comptes conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

14      En réponse à une question écrite posée par le juge des référés, la Cour des comptes a attesté, par mémoire du 27 mai 2011, que l’exclusion de la requérante des marchés et des subventions financés par le budget de l’Union n’était plus inscrite dans la base de données centrale susmentionnée depuis le 14 avril 2011. Elle a ajouté, d’une part, avoir informé la requérante, le 1er avril 2011, qu’elle n’envisageait plus, au regard des mesures correctrices présentées (voir point 10 ci-dessus), de lui imposer des sanctions supplémentaires et, d’autre part, avoir procédé, le 12 mai 2011, au recouvrement intégral de la somme de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts (voir point 8 ci-dessus).

 En droit

15      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

16      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie concernée, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73). Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnances du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30, et du 10 décembre 2009, Commission/Italie, C‑573/08 R, non publiée au Recueil, points 11 et 12].

17      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

18      Il importe d’ajouter que l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

19      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

20      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

21      Dans ce contexte, la requérante allègue deux types de préjudices graves et irréparables qui lui seraient causés en cas de rejet de sa demande en référé. Elle affirme que les mesures prises par la Cour des comptes lui causeraient, d’une part, un préjudice financier – en se réservant le droit de produire, en cours d’instance, des pièces justifiant la gravité de ce préjudice – et, d’autre part, un préjudice moral consistant en une atteinte à sa bonne réputation, atteinte qui ne pourrait d’ailleurs pas être réparée, même si elle obtenait gain de cause au principal. Les conséquences découlant de ces mesures mettraient nécessairement en péril son existence et entraîneraient la perte de nombreux emplois.

22      Selon la requérante, son exclusion des marchés publics pour une durée de trois mois constitue un préjudice irréparable, du fait qu’elle ne pourra rétroactivement participer aux marchés, se chiffrant en millions d’euros, dont elle aura été exclue. Cette exclusion entraînerait un préjudice en termes de manque à gagner, de perte de clientèle et de parts de marché, puisque la requérante aurait perdu et perdrait la chance d’être sélectionnée lors d’une procédure de passation de marchés publics, notamment si les sanctions imposées devaient être maintenues. En outre, l’exclusion des marchés publics serait inscrite dans la base de données centrale, accessible aux autres institutions de l’Union, en vertu du règlement (CE, Euratom) nº 1302/2008 de la Commission, du 17 décembre 2008, relatif à la base de données centrale sur les exclusions (JO L 344, p. 12), ce qui causerait à la requérante un préjudice moral qu’elle ne mérite pas, au vu de l’absence de toute culpabilité dans les infractions pénales commises par M. X. Au demeurant, son exclusion des marchés publics serait susceptible d’être renouvelée par la Cour des comptes. Cette menace placerait la requérante dans une situation d’incertitude juridique intolérable.

23      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires (ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C‑213/91 R, Rec. p. I‑5109, point 18 ; ordonnances du président du Tribunal du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 95, et du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 82). Il n’est pas suffisant d’alléguer que l’exécution de l’acte dont le sursis est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnance du président du Tribunal du 25 juin 2002, B/Commission, T‑34/02 R, Rec. p. II‑2803, point 85). Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67, et ordonnance Neue Erba Lautex/Commission, précitée, point 83].

24      S’agissant du préjudice d’ordre financier allégué par la requérante, il est de jurisprudence bien établie qu’un préjudice de cette nature ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut, en règle générale, faire l’objet d’une compensation financière ultérieure. Dans un tel cas de figure, la mesure provisoire sollicitée se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, la partie qui la sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière irrémédiable et importante au regard, notamment, de la taille de son entreprise (voir ordonnance du président du Tribunal du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée au Recueil, points 33 à 35, et la jurisprudence citée).

25      De plus, pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende la partie concernée présente un caractère grave et irréparable et justifie donc d’accorder, à titre exceptionnel, le sursis à exécution sollicité, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent la situation financière de ladite partie et permettent d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées. La partie qui sollicite les mesures provisoires est ainsi tenue de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, points 32, 57 et 61].

26      Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que cette image fidèle et globale de la situation financière doit être fournie dans le texte de la demande en référé. En effet, une telle demande doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé [ordonnances du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13, et du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 17].

27      En l’espèce, force est de constater que la requérante se contente de prétendre que l’exécution immédiate des mesures prises par la Cour des comptes lui causerait un préjudice financier grave et irréparable du fait qu’elles seraient susceptibles de mettre en péril sa viabilité financière, sans que ces allégations aient été étayées par les preuves documentaires requises (voir point 25 ci-dessus). Elle s’est notamment abstenue de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière. Par conséquent, les affirmations de la requérante ne permettent pas au juge des référés d’apprécier la gravité du préjudice allégué au regard de la taille de son entreprise, prise individuellement.

28      Eu égard à la jurisprudence mentionnée au point 26 ci-dessus, il n’était pas suffisant, pour la requérante, d’indiquer, dans la demande en référé, qu’elle se réservait le droit de produire, en cours d’instance, des pièces visant à justifier la gravité du préjudice financier allégué. En effet, il est de jurisprudence bien établie qu’une demande en référé ne saurait être utilement complétée, en vue de remédier à des déficiences de présentation, par un mémoire postérieur, déposé par la partie requérante, le cas échéant, en réponse aux observations de la partie adverse. L’ouverture d’une telle possibilité de « rattrapage » serait incompatible non seulement avec la célérité requise en matière de référé, mais aussi, et surtout, avec l’esprit de l’article 109 du règlement de procédure en vertu duquel, en cas de rejet d’une demande en référé, la partie requérante ne peut présenter une autre demande que si cette dernière est fondée sur des « faits nouveaux », c’est-à-dire des éléments factuels que la partie requérante était dans l’impossibilité d’invoquer lors de l’introduction de sa demande en référé et qui sont pertinents pour apprécier le cas en cause (voir ordonnance du 7 mai 2010, Almamet/Commission, précitée, point 55, et la jurisprudence citée).

29      En tout état de cause, la requérante s’est abstenue d’invoquer, en cours d’instance, d’éventuels éléments nouveaux et pertinents, tels que des procédures de passation de marchés publics, « se chiffrant en millions d’euros », qui auraient été publiées pendant la période de son exclusion de ces marchés et au regard desquelles elle aurait perdu la chance d’être sélectionnée, ce qui aurait entraîné pour elle un manque à gagner ainsi qu’une perte de clientèle et de parts de marché.

30      Au demeurant, il ressort du dossier que la requérante, dans un « mémoire technique » déposé auprès de la Cour des comptes dans le cadre de sa soumission pour le marché en cause, a expressément fait état de son appartenance au « Groupe GRP » et s’est prévalue du soutien financier des filiales de ce dernier. Or, il est de jurisprudence constante que, pour apprécier la situation matérielle d’une société, notamment sa viabilité financière, il convient de tenir compte des caractéristiques du groupe de sociétés auquel elle se rattache par son actionnariat et, en particulier, des ressources dont dispose globalement ce groupe [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 7 mars 1995, Transacciones Marítimas e.a./Commission, C‑12/95 P, Rec. p. I‑467, point 12 ; du 14 décembre 1999, DSR‑Senator Lines/Commission, C‑364/99 P(R), Rec. p. I‑8733, point 49, et Ziegler/Commission, précitée, point 44], ce qui peut amener le juge des référés à estimer que la condition de l’urgence n’est pas remplie malgré l’état d’insolvabilité prévisible de la société requérante, prise individuellement [voir ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2002, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑232/02 P(R), Rec. p. I‑8977, point 56, et la jurisprudence citée]. Il s’agit donc d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave compte tenu des caractéristiques du groupe auquel appartient la société requérante [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C‑43/98 P(R), Rec. p. I‑1815, point 36, et la jurisprudence citée].

31      Cette prise en considération de la puissance financière du groupe auquel appartient la société concernée repose sur l’idée que les intérêts objectifs de cette société ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes, physiques ou morales, qui la contrôlent ou qui sont membres du même groupe. Le caractère grave du préjudice allégué doit donc être apprécié au niveau du groupe que ces personnes composent. Cette coïncidence des intérêts justifie que l’intérêt de la société concernée à poursuivre son activité ne soit pas apprécié indépendamment de l’intérêt que portent à sa pérennité ceux qui la contrôlent ou sont membres du même groupe (voir, en ce sens, ordonnance Ziegler/Commission, précitée, point 46, et la jurisprudence citée, et ordonnance du président du Tribunal du 18 juin 2008, Dow AgroSciences/Commission, T‑475/07 R, non publiée au Recueil, point 79).

32      Il s’ensuit que la requérante, afin de démontrer la gravité du préjudice financier allégué en produisant une image fidèle et globale de sa situation financière, aurait dû soit fournir tous les éléments permettant au juge des référés d’apprécier les caractéristiques financières du groupe auquel elle appartient, soit démontrer l’autonomie de ses intérêts objectifs par rapport à ceux de son groupe. Toutefois, la requérante n’a fourni aucun élément de cette nature, qui aurait permis au juge des référés d’examiner la pertinence du concept de groupe pour le cas d’espèce ou d’apprécier la gravité du préjudice financier allégué, en le mettant en rapport avec le chiffre d’affaires total du groupe auquel appartient la requérante.

33      Par conséquent, la requérante n’a pas davantage établi la gravité du préjudice allégué s’il est tenu compte de la jurisprudence relative à la prise en considération des caractéristiques du groupe auquel elle appartient.

34      Au regard des éléments de contestation de l’urgence avancés par la Cour des comptes, le juge des référés ne saurait donc admettre la gravité du préjudice financier invoqué, en se contentant des simples affirmations non étayées de la requérante. En effet, compte tenu du caractère strictement exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires (voir point 18 ci-dessus), de telles mesures ne peuvent être accordées que si ces affirmations s’appuient sur des éléments de preuve (voir, en ce sens, ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 57).

35      En outre, s’agissant du caractère irréparable du préjudice financier allégué, la requérante n’a pas démontré, ni même allégué, qu’elle serait dans l’impossibilité d’obtenir une compensation financière ultérieure par la voie d’un recours en indemnité. En effet, rien ne semble s’opposer à ce que ce préjudice soit susceptible d’être réparé dans le cadre des voies de recours prévues par les articles 268 TFUE et 340 TFUE, étant entendu que la seule possibilité de former un recours en indemnité suffit à attester du caractère en principe réparable d’un tel préjudice (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 24 avril 2009, Nycomed Danmark/EMEA, T‑52/09 R, non publiée au Recueil, points 72 et 73, et la jurisprudence citée).

36      Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n’est pas parvenue à démontrer qu’elle subirait un préjudice financier grave et irréparable, en ce qui concerne le préjudice qui serait causé tant par la lettre contestée que par la décision attaquée.

37      Par ailleurs, s’agissant plus particulièrement de la somme de 16 000 euros dont le paiement a été réclamé par la Cour des comptes à titre de dommages et intérêts, il convient d’ajouter que, dans l’hypothèse où cette somme aurait effectivement été recouvrée entre-temps (voir point 14 ci-dessus), le préjudice financier allégué serait déjà survenu à la date de la présente ordonnance et ne pourrait donc plus être évité par l’octroi du sursis à exécution demandé. Or, selon une jurisprudence bien établie, la finalité de la procédure de référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice déjà subi (ordonnances du président du Tribunal du 8 avril 2008, Chypre/Commission, T‑54/08 R, T‑87/08 R, T‑88/08 R et T‑91/08 R à T‑93/08 R, non publiée au Recueil, point 78 ; du 27 août 2008, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 R, non publiée au Recueil, point 53, et du 8 juin 2009, Dover/Parlement, T‑149/09 R, non publiée au Recueil, point 37).

38      Il en va de même du préjudice moral qui serait provoqué par l’exclusion de la requérante des marchés publics et par l’inscription de cette exclusion dans la base de données centrale faisant l’objet du règlement nº 1302/2008. À cet égard, il suffit de rappeler que la mesure d’exclusion avait été prise par la Cour des comptes pour une durée de trois mois et cessait ses effets au 14 avril 2011. À supposer que ladite mesure ait effectivement été préjudiciable pour la requérante, le préjudice allégué serait déjà survenu à la date de la présente ordonnance et ne pourrait plus être évité par l’octroi du sursis à exécution demandé. De plus, cette exclusion ayant été décidée sur le fondement de l’article 93, paragraphe 1, sous f), et de l’article 96, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, sous a), du règlement financier, l’avis d’inscription y relatif a été supprimé, en vertu de l’article 10, paragraphe 1, et de l’article 11, premier alinéa, du règlement nº 1302/2008, à l’expiration de la période de trois mois susmentionnée, à savoir le 14 avril 2011. En réponse à une question du juge des référés, la Cour des comptes a, du reste, confirmé que l’inscription de la requérante a été supprimée, en date du 14 avril 2011, de la base de données en cause. Le préjudice moral invoqué dans ce contexte, à le supposer établi, se serait donc entre-temps réalisé intégralement et ne pourrait plus être évité par l’octroi du sursis à exécution demandé.

39      Par ailleurs, la requérante allègue elle-même que l’atteinte à sa bonne réputation ne pourrait plus être réparée, même si elle obtenait gain de cause au principal. Ainsi, la requérante admet que le préjudice moral allégué s’est déjà réalisé et que la présente procédure de référé n’est pas le remède approprié pour éviter la survenance d’un tel préjudice.

40      Dans la mesure où la requérante craint encore que la durée de son exclusion des marchés publics pourrait être prolongée par la Cour des comptes, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées, le préjudice allégué devant être certain ou, à tout le moins, établi avec une probabilité suffisante (ordonnances du président du Tribunal du 2 décembre 1994, Union Carbide/Commission, T‑322/94 R, Rec. p. II‑1159, point 31 ; du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission, T‑241/00 R, Rec. p. II‑37, point 37, et du 22 juillet 2010, Fondation IDIAP/Commission, T‑286/10 R, non publiée au Recueil, point 22). En l’espèce, la Cour des comptes s’étant déclarée disposée à permettre à la requérante d’échapper à une prolongation de la sanction administrative en cause (voir point 10 ci-dessus), il ne saurait être constaté que l’imminence d’une telle prolongation a été établie avec la probabilité requise. L’éventualité que la Cour des comptes pourrait exercer son droit d’exclure la requérante des marchés publics pour une période supplémentaire – comme, d’ailleurs, le droit qu’elle s’est réservé de demander à la requérante une indemnisation supplémentaire (voir point 8 ci-dessus) – doit donc être qualifiée de préjudice purement hypothétique. Au demeurant, la Cour des comptes a explicitement indiqué qu’elle n’envisageait pas d’imposer à la requérante des sanctions administratives supplémentaires (voir point 14 ci-dessus), ce qui renforce le caractère hypothétique des craintes exprimées par celle-ci.

41      L’existence de l’urgence n’ayant pas été établie par la requérante, il y a lieu de rejeter la présente demande en référé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions d’octroi des mesures provisoires sollicitées, notamment celle de l’existence d’un fumus boni juris, sont remplies, ni de se prononcer sur la recevabilité du recours principal en ce qu’il vise à l’annulation de la lettre contestée et de la note de débit jointe à cette lettre.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 9 juin 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.