Language of document : ECLI:EU:C:2024:242

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 14 mars 2024 (1)

Affaire C86/23

E.N.I.,

Y.K.I.

contre

HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung AG

[demande de décision préjudicielle formée par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie)

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Loi applicable aux obligations non contractuelles – Règlement (CE) no 864/2007 – Dispositions impératives dérogatoires – Assurance responsabilité civile automobile – Accident de la circulation – Droits à réparation reconnus aux membres de la famille du défunt – Principe d’équité aux fins de la réparation du préjudice moral – Critères d’appréciation »






I.      Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) soulève la question de la loi applicable à une demande d’indemnisation dirigée par des particuliers, ressortissants bulgares, au titre de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, contre une compagnie d’assurances pour le préjudice moral causé par le décès de leur fille lors d’un accident de la circulation survenu en Allemagne.

2.        Cette question est liée au problème classique des « lois de police » et présente un double intérêt du point de vue du développement du droit international privé de l’Union. Elle offre à la Cour l’occasion, d’une part, de préciser les contours de la notion de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 du règlement (CE) nº 864/2007 (2), et, d’autre part, de déterminer les critères qui permettent de qualifier les normes protégeant les droits et libertés individuels de « dispositions impératives dérogatoires » au sens de cet article, ce dernier volet suscitant aujourd’hui d’intenses débats doctrinaux.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      Le règlement Rome II

3.        L’article 4 du règlement Rome II, qui figure sous le titre « Règle générale », dispose, à son paragraphe 1 :

«  Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. »

4.        L’article 16 de ce règlement, intitulé « Dispositions impératives dérogatoires », prévoit :

« Les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l’application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l’obligation non contractuelle. »

2.      Le règlement (CE)  593/2008

5.        L’article 9 du règlement  no 593/2008 (3), intitulé « Lois de police », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

«  1.      Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement.

2.      Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l’application des lois de police du juge saisi. »

B.      Le droit bulgare

6.        La responsabilité délictuelle en droit bulgare est régie par les dispositions des articles 45 à 54 du zakon za zadalzheniyata i dogovorite (loi sur les obligations et les contrats) (4) (ci-après le « ZZD »).

7.        L’article 45 du ZZD prévoit :

« (1)      Toute personne est tenue de réparer les dommages causés à autrui.

(2)      Dans tous les cas de fait délictuel, la faute est présumée jusqu’à preuve du contraire. »

8.        L’article 52 du ZZD dispose :

« La réparation du préjudice immatériel est déterminée par la juridiction en équité. »

C.      Le droit allemand

9.        Sous le titre « Préjudice immatériel », l’article 253 du BürgerlichesGesetzbuch (code civil allemand) (ci-après le « BGB »), dans sa version applicable au litige au principal, est libellé comme suit :

« (1)      Il n’est possible d’exiger une réparation en argent d’un dommage non patrimonial que dans les cas précisés par la loi.

(2)      Lorsque des dommages-intérêts doivent être versés au titre d’une lésion corporelle, d’une atteinte à la santé, à la liberté ou à l’autodétermination sexuelle, une réparation équitable en argent du dommage non patrimonial peut également être exigée. »

10.      L’article 823 du BGB, intitulé « Obligation de réparer le préjudice », dispose, à son paragraphe 1 :

« Quiconque, agissant intentionnellement ou par négligence, porte atteinte de manière illicite à la vie, au corps, à la santé, à la liberté, à la propriété ou à tout autre droit d’autrui, est tenu à l’égard de celui-ci de réparer le préjudice qui en résulte. »

11.      Sous le titre « Droit d’action directe », l’article 115 du Gesetzüber den Versicherungsvertrag (loi sur le contrat d’assurance), du 23 novembre 2007 (5), dans sa version applicable au litige au principal, dispose, à son paragraphe 1 :

« Le tiers peut également faire valoir son droit à réparation contre l’assureur,

1.      s’il s’agit d’une assurance de la responsabilité civile ayant pour objet l’exécution d’une obligation d’assurance résultant de la loi sur l’assurance obligatoire [...]

[...]

Le droit découle des obligations de l’assureur résultant du rapport d’assurance et, à défaut d’obligation, de l’article 117, paragraphes 1 à 4. L’assureur doit verser la réparation en argent. L’assureur et le preneur d’assurance tenu à la réparation du dommage sont solidairement responsables. »

III. Les faits du litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

12.      Le 27 juillet 2014, la fille de E.N.I. et Y.K.I., les requérants au principal, ressortissants bulgares, est décédée lors d’un accident de la circulation routière survenu en Allemagne. L’auteur de l’accident était assuré au titre de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile auprès de HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung AG (ci-après « HUK-COBURG »), une compagnie d’assurances établie en Allemagne.

13.      Le 25 juillet 2017, les requérants au principal ont introduit une action contre HUK-COBURG devant le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) tendant au versement de 250 000 leva bulgares (BGN) (environ 125 000 euros) à chacun d’entre eux à titre de réparation du préjudice immatériel causé par le décès de leur fille.

14.      Le 27 septembre 2017, HUK-COBURG a versé à chacun des parents la somme de 2 500 euros à titre de réparation du préjudice causé par le décès de leur fille.

15.      Par jugement du 23 décembre 2019, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a partiellement fait droit à la demande en accordant à chacun des parents une indemnité d’un montant de 100 000 BGN (environ 50 000 euros), dont a été déduite la somme de 2 500 euros déjà versée par l’assureur.

16.      Ce tribunal a constaté que le droit applicable était le droit allemand de la responsabilité civile, qui ne prévoirait la réparation du préjudice immatériel subi par des victimes indirectes tels que les demandeurs au principal que dans des circonstances exceptionnelles, à savoir lorsque la douleur et la souffrance ont entraîné une atteinte à la santé de la victime indirecte. Cette juridiction a estimé que la douleur et la souffrance subies par les parents devaient donner lieu à une indemnisation, notamment en raison du grave choc émotionnel qui aurait entraîné une réaction de stress aiguë et parce que, pendant environ un an après le décès de leur fille, ils ont souffert de dépression, d’anxiété, de tension, d’instabilité émotionnelle, de troubles du sommeil, d’une diminution de l’appétit et d’une aliénation émotionnelle. Pour motiver le montant accordé, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a indiqué qu’il existait un principe de réparation équitable du préjudice immatériel tant en droit bulgare, en vertu de l’article 52 du ZZD, qu’en droit allemand, en vertu de l’article 253, paragraphe 2, du BGB. Les critères de détermination de l’indemnité ne seraient cependant pas fixés par ces lois nationales, mais découleraient de la jurisprudence de chacun des deux pays.

17.      Le Sofiyski Apelativen sad (Cour d’appel de Sofia, Bulgarie) a mis à néant le jugement de la juridiction de première instance. Cette cour a rejeté l’action des parents dans son intégralité, estimant qu’ils n’avaient pas démontré que la douleur et les souffrances avaient entraîné des dommages pathologiques pour leur santé, ce qui, en vertu du droit allemand applicable, constituerait une condition de la réparation d’un préjudice immatériel. En outre, elle a jugé non fondé leur argument selon lequel l’article 52 du ZZD devrait être appliqué, en vertu de l’article 16 du règlement Rome II, au lieu du droit allemand désigné en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. Selon elle, les montants déjà versés par HUK-COBURG ne constitueraient pas une reconnaissance par l’assureur des prétentions des parents. Les parents n’auraient pas droit à cette somme qui, du fait de son montant, correspondrait à une « petite indemnisation » pour préjudice immatériel, prévue à l’article 253, paragraphe 2, du BGB.

18.      Les parents ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation), la juridiction de renvoi.

19.      Cette juridiction observe, tout d’abord, que la réglementation allemande applicable en l’espèce en vertu de l’article 4 du règlement Rome II, à savoir l’article 253, paragraphe 2, et l’article 823, paragraphe 1, du BGB, lus en combinaison avec l’article 115, paragraphe 1, premier alinéa, point 1, de la loi sur le contrat d’assurance, est identique à celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt HUK-COBURG-Allgemeine Versicherung (6), qui concernait le même accident de la circulation que celui en cause en l’espèce.

20.      Ensuite, le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) relève que, dans cet arrêt, la Cour a considéré, d’une part, que la réglementation allemande en cause relevait du droit national matériel de la responsabilité civile, auquel renvoie la directive (UE) 2009/103 (7), et prévoyait un critère objectif permettant d’identifier le préjudice immatériel susceptible de donner lieu à indemnisation d’un membre de la famille proche de la victime d’un accident de la circulation. D’autre part, la Cour a considéré que la directive 2009/103 ne s’opposait pas à une réglementation nationale qui fixe des critères contraignants pour la détermination des préjudices immatériels susceptibles d’être réparés.

21.      Enfin, la juridiction de renvoi précise que, contrairement à la réglementation allemande en cause en l’espèce, qui soumet le droit à réparation du préjudice immatériel à trois conditions, à savoir que la victime ait subi une atteinte à sa propre santé, qu’elle soit un membre de la famille proche de la victime directe et qu’il existe une relation causale entre la faute commise par le responsable de l’accident et cette atteinte, l’article 52 du ZZD prévoit que la réparation du préjudice immatériel est déterminée par la juridiction en équité. Selon elle, il découle d’une jurisprudence contraignante du Varhoven sad (Cour suprême, Bulgarie) et du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) que, en droit bulgare, toutes les douleurs morales et souffrances subies par les parents en raison du décès de leur enfant par suite d’un accident de la circulation causé par un acte délictuel ou quasi délictuel sont susceptibles de faire l’objet d’une indemnisation, sans qu’il soit nécessaire que le préjudice ait entraîné indirectement un dommage pathologique pour la santé de la victime. Elle indique que le montant des dommages-intérêts dépend des circonstances caractérisant le cas d’espèce, le montant habituel accordé pour préjudice immatériel à un parent pour le décès d’un enfant dans un accident de la circulation survenu en 2014 étant d’environ 120 000 BGN (environ 61 000 euros), alors que le montant maximal accordé en droit allemand serait d’environ 5 000 euros. Selon elle, à supposer que le grief des parents doive être accueilli et qu’ils aient apporté la preuve d’un dommage pathologique, le montant maximal à verser serait de 5 000 euros.

22.      La juridiction de renvoi, faisant référence à l’arrêt Da Silva Martins (8) dans lequel la Cour a considéré qu’une juridiction nationale doit déterminer, sur la base d’une analyse circonstanciée, si une disposition nationale revêt une importance telle dans l’ordre juridique national qu’elle justifie de s’écarter de la loi applicable, désignée en application de l’article 4 du règlement Rome II, se demande si l’article 52 du ZZD peut être considéré comme une telle disposition, au motif que le principe d’équité est un principe fondamental du droit bulgare et fait partie de l’ordre public de l’État. Elle indique que la jurisprudence nationale est divergente sur cette question.

23.      C’est dans ces conditions que le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) a, par décision du 7 février 2023, parvenue à la Cour le 15 février 2023, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 16 du [règlement Rome II] doit-il être interprété en ce sens qu’une disposition de droit national, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’application d’un principe fondamental du droit d’un État membre, tel que le principe d’équité, pour déterminer l’indemnisation du préjudice immatériel en cas de décès de proches survenu à cause d’un acte délictuel ou quasi délictuel, peut être considérée comme une disposition impérative dérogatoire ? »

24.      Des observations écrites ont été déposées devant la Cour par la défenderesse au principal, les gouvernements tchèque et allemand, ainsi que par la Commission européenne. La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries dans la présente affaire.

IV.    Analyse

A.      Remarques liminaires

25.      Avant d’examiner le problème juridique soulevé par la question préjudicielle, il me semble pertinent de formuler les précisions et considérations suivantes quant au contexte dans lequel la présente affaire s’inscrit. Je rappelle toutefois qu’il est de jurisprudence constante que la juridiction de renvoi est seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie (9).

26.      S’agissant, en premier lieu, des spécificités de la présente affaire, il ressort de la décision de renvoi que l’action introduite par les requérants au principal contre HUK-COBURG tendant à obtenir une indemnisation, au titre de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, pour le préjudice immatériel qu’ils ont subi du fait du décès de leur fille causé par un accident de la circulation concerne le même accident de la circulation que celui en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt HUK-COBURG I.

27.      Dans cette affaire, le litige au principal opposait les deux enfants de la même victime directe que celle en cause dans la présente affaire à HUK-COBURG au sujet de la réparation par cette dernière, au titre de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation, du préjudice immatériel qu’ils avaient subi du fait du décès de leur mère. L’action avait été introduite par ces enfants, représentés par leur père (10). La législation allemande applicable (lex causae) dans cette affaire en vertu de l’article 4 du règlement Rome II était, comme en l’espèce, l’article 253, paragraphe 2, et l’article 823, paragraphe 1, du BGB, lus en combinaison avec l’article 115, paragraphe 1, premier alinéa, point 1, de la loi sur le contrat d’assurance.

28.      S’agissant, en second lieu, de la législation allemande applicable en vertu de l’article 4 du règlement Rome II, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi, se référant à l’arrêt HUK-COBURG I, qu’elle subordonne la réparation du préjudice immatériel subi par des victimes indirectes d’un accident de la circulation à trois conditions (11). Concernant la condition tenant à ce que la victime ait subi une atteinte à sa propre santé, il ressort de cet arrêt que, selon le droit allemand, tel qu’interprété par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), les atteintes de nature psychique peuvent être considérées comme des atteintes à la santé uniquement si elles relèvent d’une pathologie et vont au-delà des atteintes à la santé auxquelles les personnes concernées sont généralement exposées en cas de décès ou de blessure grave d’un membre de la famille proche (12).

29.      La juridiction de renvoi indique que la législation bulgare (lex fori) prévoit en revanche que la réparation du préjudice immatériel est déterminée par la juridiction en équité. Cette juridiction précise que, en droit bulgare, toutes les douleurs morales et souffrances subies par les parents en raison du décès de leur enfant par suite d’un accident de la circulation causé par un acte délictuel ou quasi délictuel sont susceptibles de faire l’objet d’une réparation, sans qu’il soit nécessaire que le préjudice ait entraîné indirectement un dommage pathologique pour la santé de la victime (13).

30.      À cet égard, il me faut relever que la juridiction de renvoi semble considérer que, contrairement à la législation bulgare, la législation allemande applicable pour déterminer la réparation d’un préjudice immatériel ne serait pas fondée sur le principe d’équité (14). Bien qu’il n’appartienne pas à la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, de se prononcer sur l’interprétation des dispositions nationales et de juger si l’interprétation qu’en donne la juridiction nationale est correcte (15), il convient de noter que, contrairement à ce qu’indiquent HUK-COBURG et la Commission, il ne ressort pas de l’article 253, paragraphe 2, du BGB que cette disposition serait  fondée sur le principe d’équité, mais elle prévoit simplement la possibilité d’exiger « une réparation équitable », ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (16).

31.      En l’occurrence, il est toutefois évident que l’application de la législation allemande en vertu de l’article 4 du règlement Rome II aboutirait à un résultat différent en ce qui concerne le montant de l’indemnisation, dès lors que cette législation subordonne la réparation du préjudice immatériel à la condition que les membres de la famille proche aient subi un préjudice à leur santé (17). En effet, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, les parents de la victime directe n’ont pas démontré un tel préjudice et, en conséquence, ils n’ont pas eu droit à une telle réparation (18).

32.      À cet égard, je tiens à souligner qu’il va de soi que le simple fait que, en appliquant la lex fori, on parvienne à une solution différente, en ce qui concerne le montant de la réparation, de celle à laquelle on serait parvenu en appliquant la lex causae ne suffit pas pour conclure que la disposition bulgare en cause peut être qualifiée de « disposition impérative dérogatoire », au sens de l’article 16 du règlement Rome II, sous réserve que l’application de la lex causae soit compatible avec des considérations de justice. Autrement dit, en soi, cette différence – à savoir le fait que le montant de la réparation du dommage subi par les parents soit moindre du seul fait que leur fille est décédée dans un accident survenu en Allemagne et non pas en Bulgarie – ne permet pas de conclure à une telle qualification, à moins que cette différence découle de la protection, notamment, d’un droit fondamental qui justifie la nécessité d’appliquer la lex fori.

33.      Par ailleurs, j’observe, ainsi qu’il ressort des indications de la juridiction de renvoi, que la jurisprudence des juridictions bulgares est divergente sur la question de savoir si l’article 52 du ZZD constitue une disposition impérative dérogatoire au sens de l’article 16 du règlement Rome II, conduisant, dans le litige au principal, à l’exclusion du droit allemand. Je reviendrai plus tard sur ce point (19).

34.      Cela étant dit, j’analyserai maintenant la question posée par la juridiction de renvoi.

B.      Sur la question préjudicielle

35.      Par sa question unique, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une disposition de droit national qui prévoit, en tant que critère pour déterminer la réparation du préjudice immatériel subi par les membres de la famille proche d’une personne décédée par suite d’un accident de la circulation routière, l’application d’un principe fondamental du droit d’un État membre, tel que le principe d’équité, peut être considérée comme une disposition impérative dérogatoire au sens de l’article 16 du règlement Rome II.

36.      HUK-COBURG, les gouvernements tchèque et allemand ainsi que la Commission estiment que la question préjudicielle appelle une réponse négative. HUK-COBURG fait valoir, notamment, que l’application d’une disposition du droit national désigné par le règlement Rome II ne peut être écartée en vertu de l’article 16 de ce règlement que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. Le gouvernement allemand soutient que, par principe, le droit national prévoyant que la réparation du préjudice immatériel est déterminée en équité ne remplit pas les conditions d’application de cette disposition. Pour sa part, le gouvernement tchèque, faisant référence à l’arrêt Da Silva Martins, soulève que l’approche selon laquelle une disposition de droit national pourrait être considérée comme une disposition impérative dérogatoire, au sens de l’article 16 du règlement Rome II, au seul motif qu’elle repose sur des principes fondamentaux de ce droit ou s’y réfère ne correspond pas au caractère exceptionnel des dispositions impératives dérogatoires et constitue un moyen aisé de contourner l’application de la loi désignée en vertu de ce règlement. La Commission relève, quant à elle, que l’identification d’une disposition impérative dérogatoire, au sens de l’article 16 dudit règlement, doit être effectuée selon les critères établis par la Cour, notamment, dans les arrêts Unamar (20) et Da Silva Martins.

37.      Pour répondre de manière utile à la question préjudicielle, j’exposerai, en premier lieu, quelques brèves considérations concernant l’articulation entre l’article 4 et l’article 16 du règlement Rome II (section 1). J’analyserai, en deuxième lieu, la jurisprudence de la Cour relative à la définition de la notion de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 de ce règlement (section 2), en soulignant, en troisième lieu, l’importance de la prise en compte de liens suffisamment étroits avec le pays de la lex fori dans l’application de cette disposition (section 3) avant de déterminer, en quatrième et dernier lieu, les critères permettant de qualifier les normes protégeant les droits et libertés individuels de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de ladite disposition (section 4).

1.      Brèves considérations sur l’articulation entre l’article 4 et l’article 16 du règlement Rome II

38.      À titre liminaire, je rappelle qu’il ressort de son considérant 1 que le règlement Rome II contribue à maintenir et à développer un espace de liberté, de sécurité et de justice. À cette fin, ce règlement prévoit deux règles de conflit de lois, à savoir, d’une part, la règle générale de rattachement prévue à son article 4 (21), qui figure sous le chapitre II, intitulé « Faits dommageables » et, d’autre part, celle introduisant l’autonomie de la volonté prévue à son article 14, qui figure sous le chapitre IV, intitulé « Liberté de choix » (22). S’agissant de cette première disposition, je relève que la rédaction de la règle générale de rattachement qu’elle prévoit a été guidée par des impératifs de sécurité juridique et par la volonté de réaliser un compromis entre les intérêts divergents des parties (23). Je reviendrai plus tard sur ces objectifs (24).

39.      L’article 16 du règlement Rome II, intitulé « Dispositions impératives dérogatoires », qui relève du chapitre V, intitulé « Règles communes », prévoit que « les dispositions [de ce règlement] ne portent pas atteinte à l’application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l’obligation non contractuelle ». Ainsi, tandis que l’article 4 dudit règlement désigne la loi du pays où le dommage survient (lex loci damni), l’article 16 de celui-ci prévoit de déroger à l’application de la loi désignée par ce critère de rattachement pour appliquer une disposition impérative de la loi du for. Cette dérogation à la règle de conflit de lois a toutefois un caractère exceptionnel, ce qui implique que son application doit être dûment justifiée, « [l’]observation [de cette dérogation étant] nécessaire à la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique » (25).

40.      Dans ce cadre, la question juridique soulevée par la présente affaire est donc de savoir s’il est possible d’écarter la législation applicable, en vertu de l’article 4 du règlement Rome II, à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable pour appliquer, conformément à l’article 16 de ce règlement, des dispositions de la loi du for qui « régissent impérativement la situation ».

41.      L’articulation de ces deux dispositions au moyen de la définition de la notion de « dispositions impératives dérogatoires » fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour, instaurée par les arrêts Unamar, ERGO Insurance et Gjensidige Baltic (26), ainsi que Da Silva Martins.

2.      Sur la jurisprudence de la Cour relative à la notion de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 du règlement Rome II

42.      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ERGO Insurance et Gjensidige Baltic, les juridictions de renvoi cherchaient, notamment, à savoir comment il convenait d’interpréter les règlements Rome I et Rome II pour déterminer la ou les lois applicables à l’action récursoire intentée par l’assureur d’un véhicule tracteur, qui avait indemnisé la victime d’un accident causé par le conducteur de ce véhicule, contre l’assureur de la remorque tractée lors de cet accident. Dans ce contexte, la Cour a rappelé que, s’agissant des champs d’application respectifs des règlements Rome I et Rome II, les notions d’« obligation contractuelle » et d’« obligation non contractuelle » y figurant doivent être interprétées non seulement de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ces règlements, mais également en tenant compte, ainsi qu’il ressort des considérants 7 desdits règlements, de l’objectif de cohérence dans l’application réciproque des mêmes règlements (27).

43.      Dans l’arrêt Da Silva Martins (28), dans lequel la Cour a interprété pour la première fois l’article 16 du règlement Rome II, celle-ci a, dans un premier temps, se basant sur le point 43 de l’arrêt ERGO Insurance et Gjensidige Baltic, jugé que, l’exigence de cohérence dans l’application des règlements Rome I et Rome II militant en faveur d’une harmonisation dans toute la mesure du possible de l’interprétation des notions fonctionnellement identiques employées par ces deux règlements, il y a lieu de considérer que, indépendamment du fait que certaines versions linguistiques du règlement Rome II emploient une terminologie différente de celle du règlement Rome I, les « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 du règlement Rome II, répondent à la définition des « lois de police », au sens de l’article 9 du règlement Rome I, si bien que l’interprétation, par la Cour, de cette dernière notion vaut également pour celle de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 du règlement Rome II (29). Je rappelle que l’article 9, paragraphe 1, du règlement Rome I définit la loi de police comme « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat [selon ce règlement] » (30).

44.      Se référant à l’arrêt Unamar (31), la Cour a, dans un second temps, rappelé que, dans le contexte de la convention de Rome, elle avait déjà souligné que l’exception relative à l’existence d’une « loi de police », au sens de la législation de l’État membre concerné, doit être interprétée de manière stricte (32). En particulier, s’agissant de cette interprétation, la Cour a jugé que, afin d’identifier une « disposition impérative dérogatoire », au sens de l’article 16 du règlement Rome II, la juridiction de renvoi doit constater, sur la base d’une analyse circonstanciée des termes, de l’économie générale, des objectifs ainsi que du contexte de l’adoption de cette disposition, qu’elle revêt une importance telle dans l’ordre juridique national qu’elle justifie de s’écarter de la loi applicable, désignée en application de l’article 4 de ce règlement (33). Plus précisément, la juridiction de renvoi doit identifier des raisons particulièrement importantes, telles qu’une atteinte manifeste au droit à un recours effectif et à une protection juridictionnelle effective qui résulterait de l’application de la loi désignée comme applicable en vertu de l’article 4 dudit règlement (34).

45.      Par conséquent, la Cour a jugé qu’une disposition nationale, telle que celle en cause dans cette affaire, qui prévoit que le délai de prescription de l’action en réparation des préjudices résultant d’un sinistre est de trois ans, ne peut pas être considérée comme une disposition impérative dérogatoire, au sens de l’article 16 du règlement Rome II, à moins que la juridiction saisie ne constate, sur la base d’une analyse circonstanciée des termes, de l’économie générale, des objectifs ainsi que du contexte de l’adoption de cette disposition, qu’elle revêt une importance telle dans l’ordre juridique national qu’elle justifie de s’écarter de la loi applicable, désignée en application de l’article 4 de ce règlement (35).

46.      Cela étant rappelé, il me semble important de relever que, dans la mesure où, comme je l’ai déjà indiqué, l’application de dispositions impératives dérogatoires, au sens de l’article 16 du règlement Rome II, a pour effet d’écarter l’application de la loi applicable en vertu de ce règlement en dérogeant au mécanisme établi par les règles de conflit de lois prévues par celui-ci, le juge national ne doit recourir aux dispositions impératives dérogatoires, au sens de cette disposition, qu’en dernier ressort.

47.      En effet, dans sa jurisprudence, la Cour a affirmé que l’objectif poursuivi par le règlement Rome II consiste, notamment, ainsi qu’il ressort de ses considérants 6 (36), 14 (37) et 16 (38), à garantir la sécurité quant au droit applicable quel que soit le pays dans lequel l’action est introduite ainsi qu’à améliorer la prévisibilité des décisions de justice et à assurer un équilibre raisonnable entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est invoquée et ceux de la personne lésée (39).

48.      À mon avis, la Cour a implicitement admis dans sa jurisprudence sur la définition de la notion de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 du règlement Rome II, que qualifier une disposition nationale de « disposition impérative dérogatoire », au sens de cette disposition, ne peut pas être une opération automatique, mais requiert une appréciation des circonstances du cas d’espèce qui conduise à considérer l’application de la loi du for comme nécessaire pour la sauvegarde des intérêts publics d’un pays (40).

49.      À cet égard, non seulement il doit résulter d’une analyse circonstanciée que l’application des dispositions impératives dérogatoires est nécessaire dans l’ordre juridique du for, mais il faut aussi qu’une telle application soit le moyen le plus efficace d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir protéger l’intérêt étatique. Si tel n’est pas le cas, et dans la mesure où les intérêts publics de l’État peuvent être également protégés, voire mieux protégés, par l’application de la loi généralement applicable aux obligations non contractuelles en vertu de l’article 4 du règlement Rome II, le juge de renvoi devrait s’abstenir de faire application du mécanisme dérogatoire prévu à l’article 16 de ce règlement (41).

50.      En outre, je relève un point important pour l’application de l’article 16 du règlement Rome II qui ne ressort pas avec évidence de la jurisprudence de la Cour, à savoir l’importance de l’existence de liens suffisamment étroits avec le pays de la lex fori. En effet, on ne peut pas qualifier a priori certaines règles de « dispositions impératives dérogatoires », dès lors que cette qualification dépend, dans certains cas, des circonstances factuelles dont résultent des liens suffisamment étroits avec le pays du for.

3.      Sur l’existence de liens suffisamment étroits avec le pays de la lex fori

51.      Comme on le sait, il résulte de la lecture de l’article 16 du règlement Rome II que le législateur de l’Union n’a pas mentionné d’autres conditions qui devraient être remplies pour que la juridiction saisie puisse appliquer les dispositions impératives de la loi du for en dérogeant à la loi généralement applicable. En particulier, il n’est pas fait mention de la nécessité de démontrer que la situation concernée présente un lien étroit avec le pays du for, lien qui justifierait l’application exceptionnelle de ces dispositions (42). Toutefois, comme l’ont souligné certains auteurs de doctrine, ce silence ne doit pas être interprété comme signifiant que des dispositions impératives dérogatoires peuvent être appliquées sans tenir compte de l’exigence d’un lien étroit avec le pays de la lex fori (43).

52.      En effet, compte tenu du fait que l’application des dispositions impératives déroge à l’application de la loi généralement applicable en vertu du règlement Rome II, ces dispositions ne sont pas d’application automatique et les juridictions nationales doivent d’abord vérifier si la situation en cause a des liens de rattachement étroits avec le pays du for (44). En d’autres termes, et surtout en ce qui concerne des dispositions qui ne protègent pas exclusivement l’intérêt public ou étatique, le juge ne peut recourir à l’article 16 de ce règlement que si l’État membre du for peut justifier l’intérêt impératif à régir cette situation (45).

53.      En outre, exiger un lien étroit permet de lutter contre le forum shopping. Ce phénomène risque de se manifester surtout dans les circonstances en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Inkreal (46).

54.      Il s’ensuit qu’il n’est pas possible de qualifier in abstracto des règles de « dispositions impératives dérogatoires » ni de dire, également in abstracto, si, en l’espèce, il faut avoir recours à l’article 16 du règlement Rome II. En particulier, aux fins de l’application de cette disposition, il doit résulter de l’ensemble des circonstances que la situation en question présente des liens suffisamment étroits avec le pays de la lex fori.

55.      Cela dit, il me reste encore à clarifier les critères permettant de qualifier les normes protégeant les droits individuels de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 du règlement Rome II, lu en combinaison avec le considérant 32 de celui-ci.

4.      Sur les critères permettant de qualifier les normes protégeant les droits et libertés individuels de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 du règlement Rome II

56.      Je relève, en premier lieu, que la définition de la notion de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 du règlement Rome II, telle qu’elle résulte de la définition de la notion de « lois de police », au sens de l’article 9 du règlement Rome I et de la jurisprudence consolidée de la Cour exposée plus haut (47), doit être lue conjointement avec le considérant 32 du règlement Rome II. Ce considérant prévoit notamment que « [d]es considérations d’intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l’exception d’ordre public et les lois de police » (48).

57.      Il résulte, à mon sens, de la lecture conjointe de cette jurisprudence et du considérant 32 du règlement Rome II que les juridictions des États membres peuvent recourir au mécanisme dérogatoire de l’article 16 de ce règlement, dans des « circonstances exceptionnelles », lorsqu’elles jugent l’application de la lex fori « cruciale » sur la base de « considérations d’intérêt public ». Autrement dit, des considérations d’intérêt public conditionnent l’application des dispositions de la lex fori « dont le respect est jugé crucial » par les juridictions nationales. En particulier, le considérant 32 dudit règlement mentionne que « l’application d’une disposition de la loi désignée par [le même règlement] qui conduirait à l’octroi de dommages et intérêts exemplaires ou punitifs non compensatoires excessifs peut être considérée comme contraire à l’ordre public du for, compte tenu des circonstances de l’espèce et de l’ordre juridique de l’État membre de la juridiction saisie ».

58.      En deuxième lieu, je relève que la protection envisagée par l’article 16 du règlement Rome II ne concerne pas automatiquement tous les intérêts publics d’un État. Pour relever du champ d’application de cette disposition, ces intérêts doivent être si importants qu’ils affectent, notamment, l’organisation politique, sociale ou économique de l’État concerné (49). Il est donc important de déterminer si, dans le cadre du considérant 32 de ce règlement, la référence du législateur de l’Union aux objectifs d’intérêt public doit être interprétée stricto sensu ou si elle peut également s’étendre aux dispositions nationales protégeant les intérêts individuels. Cette question fait l’objet d’un vif débat entre les auteurs de doctrine dans la mesure où la frontière entre la protection des intérêts collectifs et celle des intérêts individuels n’est pas facile à discerner (50). Clarifier cette frontière apportera une contribution décisive à l’interprétation autonome de la notion de « dispositions impératives dérogatoires », au sens de l’article 16 dudit règlement. En effet, la possibilité de protéger également les intérêts individuels devrait être prise en compte dans le cadre de l’interprétation de l’article 16 du même règlement à la lumière du considérant 32 de celui-ci.

59.      Deux arguments plaident, à mon avis, en faveur de cette interprétation.

60.      Un premier argument est lié à l’interaction entre les intérêts collectifs et les intérêts individuels. Ainsi, dans le domaine de la responsabilité délictuelle, les règles qu’instaure un État membre afin de protéger une catégorie de personnes lésées, en modifiant, notamment, la charge de la preuve ou en établissant un seuil minimal de réparation, pourraient avoir pour objectif principal de rétablir l’équilibre entre les intérêts concurrents de parties privées. Indirectement, elles pourraient de ce fait contribuer également à protéger l’ordre social et économique de l’État membre en réduisant l’incidence des accidents sur les ressources publiques (51).

61.      Un second argument, dans le même sens, tient à la constatation que le considérant 32 du règlement Rome II mentionne, en particulier, des dispositions relatives à l’évaluation de la réparation, ce qui inclut, en conséquence, la possibilité que cette réparation soit due entre certaines catégories de personnes physiques. À cet égard, je dois préciser que, même si ce considérant énonce que l’application de telles dispositions peut être considérée « comme contraire à l’ordre public du for », sans mentionner également le mécanisme des lois de police, il en va de même, à mon avis, en ce qui concerne ce dernier mécanisme.

62.      Dans ces circonstances, je considère que des dispositions visant avant tout à protéger des droits et libertés individuels peuvent être qualifiées de « dérogatoires », au sens de l’article 16 du règlement Rome II, si, au-delà du fait que ces dispositions concilient des intérêts individuels, l’existence d’un lien suffisant avec des intérêts publics jugés cruciaux au sein de l’ordre juridique de l’État concerné est établie.

63.      À cet égard, en troisième lieu, il me semble important de relever, à l’instar du gouvernement allemand, que la protection particulière conférée par une disposition impérative dérogatoire devrait apparaître comme étant l’expression nécessaire de principes juridiques fondamentaux.

64.      Il est certes vrai que les règles prévues par les États pour protéger certaines catégories de droits individuels, tels que le droit à obtenir des dommages et intérêts pour les victimes d’infractions criminelles ou d’accidents de la circulation, pourraient se voir attribuer, au sein d’un ordre juridique national donné, une importance telle qu’elles sont considérées comme des principes juridiques fondamentaux, dont le principe d’équité ferait également partie.

65.      En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que le principe d’une réparation équitable énoncé à l’article 52 du ZZD constitue un principe fondamental du droit bulgare, le principe d’équité faisant partie de l’ordre public de l’État. Ainsi que je l’ai déjà relevé, cette juridiction a cependant constaté que la jurisprudence des juridictions bulgares est divergente sur la question de savoir si l’article 52 du ZZD, qui impliquerait que non seulement les souffrances ayant causé un dommage pathologique, mais toutes les souffrances subies, pourraient faire l’objet d’une telle réparation, constitue une disposition impérative dérogatoire, au sens de l’article 16 du règlement Rome II, ce qui conduirait, dans le litige au principal, à l’exclusion du droit allemand (52). La circonstance que cette jurisprudence des juridictions bulgares est, comme l’indique la juridiction de renvoi, divergente m’amène, à première vue, à douter du fait que le principe d’équité soit un principe fondamental de l’ordre juridique bulgare. Il appartient néanmoins à cette juridiction de le vérifier.

66.      En tout état de cause, je dois souligner, en quatrième et dernier lieu, que, dans le cadre de l’application de l’article 16 du règlement Rome II, lu en conjonction avec le considérant 32 de celui-ci, la possibilité de recourir aux dispositions impératives dérogatoires afin de protéger des intérêts tant collectifs qu’individuels doit être mise en relation avec le droit matériel de l’Union, qui peut constituer la loi applicable en vertu de l’article 4 de ce règlement.

67.      Dans l’arrêt HUK-COBURG I, la Cour a considéré que la directive 2009/103 ne s’oppose, en principe, pas à une réglementation nationale qui fixe des critères contraignants pour la détermination des préjudices immatériels susceptibles d’être réparés. Elle a donc jugé que cette directive ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne la réparation, par l’assureur de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, du préjudice immatériel subi par les membres de la famille proche des victimes d’accidents de la circulation à la condition que ce préjudice ait entraîné un dommage pathologique chez de tels membres de la famille proche (53). Par conséquent, la Cour a déclaré qu’une législation nationale applicable en vertu de l’article 4 du règlement Rome II, disposition nationale qui transpose dans le droit national la directive 2009/103 (54), est conforme à cette directive à condition qu’elle prévoie un critère d’indemnisation équitable du préjudice immatériel.

68.      Dans de telles circonstances, où la directive 2009/103 prévoit des montants minimaux de couverture par l’assurance obligatoire, la prise en compte de la lex fori, notamment dans le cas où celle-ci prévoit des montants de couverture supérieurs, pourra être envisagée uniquement si la protection qui est considérée comme cruciale pour la sauvegarde des intérêts publics de l’État du for, au sens de l’article 16 du règlement Rome II, est considérée, au sein de l’ordre juridique de cet État, comme allant au-delà des standards minimaux assurés par le droit de l’Union, indépendamment de ce qui est prévu par la législation des autres États membres.

69.      Toutefois, ainsi qu’il ressort également de l’arrêt HUK-COBURG I, l’obligation de couverture par l’assurance de la responsabilité civile des dommages causés aux tiers du fait de véhicules automoteurs est distincte de l’étendue de l’indemnisation de ces dommages au titre de la responsabilité civile de l’assuré. En effet, alors que la première est définie et garantie par la réglementation de l’Union, la seconde est régie, essentiellement, par le droit national. La Cour précise qu’il ressort en effet de l’objet de la directive 2009/103 et de son libellé que celle-ci, à l’instar des directives qu’elle codifie, ne vise pas à harmoniser les régimes de responsabilité civile des États membres et que, en l’état actuel du droit de l’Union, ces derniers restent libres de déterminer le régime de responsabilité civile applicable aux sinistres résultant de la circulation des véhicules automoteurs (55). Par conséquent, et eu égard notamment à l’article 1er, point 2, de la directive 2009/103, la Cour a considéré que, en l’état actuel du droit de l’Union, les États membres restent, en principe, libres de déterminer, en particulier, quels dommages causés par des véhicules automoteurs doivent obligatoirement faire l’objet d’une indemnisation, l’étendue du droit à indemnisation et les personnes qui doivent y avoir droit (56).

70.      Dans la présente affaire, la loi qui est applicable en vertu de l’article 4 du règlement de Rome II et qui viendrait à être écartée au profit de la loi du for, applicable en vertu de l’article 16 de ce règlement, relève du droit matériel de la responsabilité civile auquel renvoie la directive 2009/103 (57).

V.      Conclusion

71.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) :

L’article 16 du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »)

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à ce qu’une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, en tant que critère pour déterminer l’indemnisation du préjudice immatériel subi par les membres de la famille proche d’une personne décédée lors d’un accident de la circulation routière, l’application d’un principe fondamental du droit d’un État membre, tel que le principe d’équité, puisse être considérée comme une disposition impérative dérogatoire, au sens de cet article, à moins que la juridiction saisie constate, sur la base de l’existence de liens suffisamment étroits avec le pays du for et d’une analyse circonstanciée des termes, de l’économie générale, des objectifs ainsi que du contexte de l’adoption de cette disposition, qu’elle revêt une importance telle dans l’ordre juridique national qu’elle justifie de s’écarter de la loi applicable désignée en application de l’article 4 de ce règlement.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») (JO 2007, L 199, p. 40, ci-après le « règlement Rome II »).


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6, ci-après le « règlement Rome I »).


4      DV no 275, du 22 novembre 1950.


5      BGBl. 2007 I, p. 2631.


6      Arrêt du 15 décembre 2022 (C‑577/21, ci-après l’« arrêt HUK-COBURG I », EU:C:2022:992).


7      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO 2009, L 263, p. 11).


8      Arrêt du 31 janvier 2019 (C‑149/18, ci-après l’« arrêt Da Silva Martins », EU:C:2019:84).


9      Voir, notamment, arrêt du 20 octobre 2022, Ekofrukt (C‑362/21, EU:C:2022:815, point 26 et jurisprudence citée).


10      Il ressort des points 16 à 18 de l’arrêt HUK-COBURG I que le père, qui était assuré auprès de HUK-COBURG au titre de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile, avait causé l’accident. En effet, il conduisait son véhicule en état d’ébriété, tandis que la mère était installée sur la place avant droite, sans avoir attaché la ceinture de sécurité.


11      Voir point 21 des présentes conclusions.


12      Arrêt HUK-COBURG I (point 46). Le législateur allemand a éliminé cette exigence au moyen de l’article 844, paragraphe 3, du BGB ; voir BGBl 2017 I, p. 2421.


13      Voir point 21 des présentes conclusions.


14      Voir point 21 des présentes conclusions.


15      Voir, notamment, arrêt du 15 juin 2023, Bank M. (Conséquences de l’annulation du contrat) (C‑520/21, EU:C:2023:478, point 52).


16      Je note également qu’il ressort de la décision de renvoi que, s’agissant de la motivation du montant accordé en première instance, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) avait indiqué qu’il existait un principe de réparation équitable du préjudice moral tant en droit bulgare, en vertu de l’article 52 du ZZD, qu’en droit allemand, en vertu de l’article 253 du BGB. Voir point 16 des présentes conclusions.


17      Voir points 9 et 21 des présentes conclusions.


18      Voir point 17 des présentes conclusions.


19      Voir point 65 des présentes conclusions.


20      Arrêt du 17 octobre 2013 (C‑184/12, ci-après l’« arrêt Unamar », EU:C:2013:663).


21      À cet égard, le considérant 14 du règlement Rome II énonce que « [ce] règlement prévoit une règle générale et des règles spécifiques  ainsi que, pour certaines dispositions, une “clause dérogatoire” qui permet de s’écarter de ces règles s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays. Cet ensemble de règles crée donc un cadre flexible de règles de conflit de lois ». Voir, également, note en bas de page 37 des présentes conclusions.


22      S’agissant de l’article 14 du règlement Rome II, voir Pacuła, K., Wybór prawa a ochrona osób trzecich na tle rozporządzenia Rzym II, Wolters Kluwer, Varsovie, 2024.


23      Voir proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») [COM(2003) 427 final], p. 12, ainsi que considérant 16 du règlement Rome II. Voir, notamment, Francq, S., « Le règlement Rome II concernant la loi applicable aux obligations non contractuelles. Entre droit communautaire et droit international privé », Journal de droit européen, 2008, p. 289 à 296.


24      Voir, à cet égard, point 47 des présentes conclusions.


25      Voir Francescakis, P., « Quelques précisions sur les lois d’application immédiate et leurs rapports avec les règles de conflits de lois », Revue critique de droit international privé, 1966, p. 1 et suiv. Pour un avis contraire au mécanisme des lois de police, voir, notamment, Heuzé, V., « Un avatar du pragmatisme juridique : la théorie des lois de police », Revue critique de droit international privé, nº 1, 2020, p. 31 à 60.


26      Arrêt du 21 janvier 2016 (C‑359/14 et C‑475/14, ci-après l’« arrêt ERGO Insurance et Gjensidige Baltic », EU:C:2016:40).


27      Arrêt ERGO Insurance et Gjensidige Baltic (point 43). Le considérant 7 du règlement Rome II énonce que « [l]e champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [(JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le “règlement Bruxelles I”)] et les instruments relatifs à la loi applicable aux obligations contractuelles ». À mon avis, les considérants 7 des règlements Rome I et Rome II constituent le fondement du concept selon lequel les notions utilisées par le législateur de l’Union afin de désigner les champs d’application de ces deux règlements, du règlement Bruxelles I [règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I bis)] ainsi que de leurs dispositions, devraient être interprétées de manière cohérente ; voir Szpunar, M., « Droit international privé de l’Union : cohérence des champs d’application et/ou des solutions ? », Revue critique de droit international privé, 2018, p. 573.


28      Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le litige au principal opposait la victime portugaise à une compagnie d’assurances espagnole au sujet de la détermination de la loi applicable à une obligation d’indemnisation résultant d’un accident de voiture survenu en Espagne. La législation espagnole prévoyait un délai de prescription d’un an, tandis que celui prévu par la législation portugaise était de trois ans. La juridiction de renvoi cherchait à savoir, notamment, si la législation portugaise « qui [transposait] en droit interne [la directive 2009/103] et qui [prévoyait] que la loi de l’État [...] de survenance de l’accident [était] remplacée par la loi portugaise “dès lors qu’elle prévoit une meilleure couverture” revêt un caractère impératif, au sens de l’article 16 du règlement Rome II ». Arrêt Da Silva Martins (point 21).


29      Arrêt Da Silva Martins (point 28). L’absence de définition de la notion de « dispositions impératives dérogatoires » dans le règlement Rome II s’explique certainement par le fait que la formulation de l’article 16 de ce règlement s’est appuyée sur l’article 7, paragraphe 2, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1, ci-après la « convention de Rome »), le règlement Rome I ayant été adopté après le règlement Rome II. Cette lacune a été comblée peu de temps après par l’article 9 du règlement Rome I ; voir, à cet égard, Ho-Dac, M., « L’arrêt da Silva Martins de la Cour de justice de l’Union européenne, expression des “rapports de méthodes” dans l’ordre juridique européen », Revue trimestrielle de droit européen, nº 4, 2019, p. 869 à 882, en particulier point 10. Certains auteurs de doctrine ont qualifié de « maladroite » l’expression « dispositions impératives dérogatoires » employée à l’article 16 du règlement Rome II dans la version linguistique française au lieu de l’expression classique « lois de police », employée au considérant 32 de ce règlement ; voir Francq, S., et Jault-Seseke, F., « Les lois de police, une approche de droit comparé », Le règlement communautaire Rome I et le choix de loi dans les contrats internationaux, Corneloup, S., et Joubert, S. (éd.), Lexis Nexis Litec, Paris, 2011, p. 357 à 393, en particulier p. 360.


30      Ainsi que je l’ai déjà relevé dans mes conclusions dans l’affaire Nikiforidis (C‑135/15, EU:C:2016:281, point 71), cette définition s’inspire de la formulation utilisée dans l’arrêt du 23 novembre 1999, Arblade e.a. (C‑369/96 et C‑376/96, EU:C:1999:575, point 30), où la Cour s’est référée aux dispositions du droit du travail belge, qualifiées en droit belge de « lois de police et de sûreté ».


31      Voir point 49 de cet arrêt. Pour rappel, la Cour a jugé dans ledit arrêt que l’article 3 et l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome doivent être interprétés en ce sens que la loi d’un État membre de l’Union qui satisfait à la protection minimale prescrite par la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (JO 1986, L 382, p. 17), choisie par les parties à un contrat d’agence commerciale, peut être écartée par la juridiction saisie, établie dans un autre État membre, en faveur de la lex fori pour un motif tiré du caractère impératif, dans l’ordre juridique de ce dernier État membre, des règles régissant la situation des agents commerciaux indépendants uniquement si la juridiction saisie constate de façon circonstanciée que, dans le cadre de cette transposition, le législateur de l’État du for a jugé crucial, au sein de l’ordre juridique concerné, d’accorder à l’agent commercial une protection allant au-delà de celle prévue par ladite directive, en tenant compte à cet égard de la nature et de l’objet de telles dispositions impératives (point 52 et dispositif).


32      Arrêt Da Silva Martins (point 29).


33      Arrêt Da Silva Martins (point 31).


34      Arrêt Da Silva Martins (point 34).


35      Arrêt Da Silva Martins (point 35 et dispositif).


36      Le considérant 6 du règlement Rome II énonce que « [l]e bon fonctionnement du marché intérieur exige, afin de favoriser la prévisibilité de l’issue des litiges, la sécurité quant au droit applicable et la libre circulation des jugements, que les règles de conflit de lois en vigueur dans les États membres désignent la même loi nationale, quel que soit le pays dans lequel l’action est introduite ».


37      Le considérant 14 du règlement Rome II énonce que « [l]’exigence de sécurité juridique et la nécessité de rendre la justice en fonction de cas individuels sont des éléments essentiels d’un espace de justice ». Voir, également, note en bas de page 21 des présentes conclusions.


38      Le considérant 16 du règlement Rome II énonce que « [l]e recours à des règles uniformes devrait améliorer la prévisibilité des décisions de justice et assurer un équilibre raisonnable entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est invoquée et ceux de la personne lésée. Le rattachement au pays du lieu où le dommage direct est survenu (“lex loci damni”) crée un juste équilibre entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est invoquée et ceux de la personne lésée et correspond également à la conception moderne du droit de la responsabilité civile et au développement des systèmes de responsabilité objective ».


39      Arrêts du 10 décembre 2015, Lazar (C‑350/14, EU:C:2015:802, point 29), et du 17 mai 2023, Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d’Autres Infractions (FGTI) (C‑264/22, EU:C:2023:417, point 30).


40      Sur l’importance pour la juridiction saisie d’apprécier les circonstances de l’espèce, voir mes conclusions dans l’affaire Nikiforidis (C‑135/15, EU:C:2016:281, point 72).


41      Bonomi, A., « Article 9 », Commentary on the Rome I Regulation, Magnus, U., et Mankowski, P. (éd.), Verlag Dr. Otto Schmidt, Cologne, 2017, vol. 22, p. 599 à 629, en particulier p. 626, point 85.


42      Voir point 39 des présentes conclusions.


43      Wautelet, P., « Article 16 », Commentary on the Rome II Regulation, Magnus, U., et Mankowski, P. (éd.), Verlag Dr. Otto Schmidt, Cologne, 2019, vol. 3, p. 549 à 566, en particulier points 48 et 49.


44      Voir point 48 des présentes conclusions.


45      Sur le rôle de la proximité lors de l’application de dispositions impératives dérogatoires et sur la jurisprudence qui y est citée, voir Nuyts, A., « L’application des lois de police dans l’espace (Réflexions au départ du droit belge de la distribution commerciale et du droit communautaire) », Revue critique de droit international privé, 1999, p. 50 ; Bonomi, A., « Overriding Mandatory Provisions in the Rome I Regulation on the Law Applicable to Contracts », Yearbook of Private International Law, vol. X, SELP, 2008, p. 291 et suiv., et Pacuła, K., « Przepisy wymuszające swoje zastosowanie jako instrument ochrony „strony słabszej” umowy ubezpieczenia », Problemy Prawa Prywatnego Międzynarodowego, vol. 15, 2014, p. 38 et suiv.


46      Sur la question de savoir si l’existence d’une clause attributive de juridiction constitue en soi un élément d’extranéité suffisant pour entraîner l’application de l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis relatif à la prorogation de compétence, voir arrêt du 8 février 2024, Inkreal (C‑566/22, EU:C:2024:123, point 39 et dispositif). Dans cet arrêt, la Cour a conclu que l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis s’applique à une convention attributive de juridiction par laquelle les parties à un contrat établies dans un même État membre conviennent de la compétence des juridictions d’un autre État membre pour connaître de litiges nés de ce contrat, même si ledit contrat ne comporte aucun autre lien avec cet autre État membre.


47      Voir points 38 et suiv. des présentes conclusions.


48      Voir, également, considérant 37 du règlement Rome I. Sur la corrélation étroite entre les lois de police et la « protection de l’ordre public », voir mes conclusions dans l’affaire Nikiforidis (C‑135/15, EU:C:2016:281, points 68 et suiv.).


49      Bonomi, A., « Article 9 », Commentary on the Rome I Regulation, op. cit., p. 626, point 84.


50      S’agissant du débat doctrinal portant sur l’interprétation du considérant 32 du règlement Rome II, voir, notamment, Wautelet, P., « Article 16 », Commentary on the Rome II Regulation, op. cit., p. 554, point 15 ; Francq, S., et Jault-Seseke, F., « Les lois de police, une approche de droit comparé », Le règlement communautaire Rome I et le choix de loi dans les contrats internationaux, op. cit., p. 360 à 371, et Pailler, L., « Conflit de lois : CJUE, 6e ch., 31 janv. 2019, aff. C-149/18, Agostinho da Silva Martins c/ Dekra Claims Services Portugal SA. », Journal du droit international (Clunet), nº 3, 2019, p. 890 à 894.


51      Wautelet, P., « Article 16 », Commentary on the Rome II Regulation, op. cit., p. 554, points 15 et 16.


52      Voir point 33 des présentes conclusions.


53      Arrêt HUK-COBURG I (point 51 et dispositif).


54      Comme je l’ai déjà relevé, la législation nationale en cause dans cette affaire était la même que celle en cause en l’espèce.


55      Arrêt HUK-COBURG I (points 35 et 36). Il ressort, notamment, du point 48 de cet arrêt que la directive 2009/103 n’impose pas aux États membres le choix d’un régime de responsabilité civile en particulier pour déterminer l’étendue du droit de la victime à une indemnisation au titre de la responsabilité civile de l’assuré.


56      Arrêt HUK-COBURG I (point 37).


57      Dans le cas hypothétique où la législation applicable en vertu de l’article 4 du règlement Rome II relèverait de la directive 2009/103, on devrait constater, afin d’écarter son application en faveur de la lex fori pour un motif tiré du caractère impératif de dispositions de celle-ci dans l’ordre juridique du for, sur le fondement d’une appréciation circonstanciée de ces dispositions, que, dans le cadre de la transposition de la directive 2009/103, le législateur du for a jugé crucial, au sein de son ordre juridique, d’accorder aux membres de la famille proche d’une victime d’un accident de la circulation routière « une protection allant au-delà de celle prévue par [cette] directive, en tenant compte à cet égard de la nature et de l’objet de [cette disposition jugée impérative] ». Voir, en ce sens, arrêts Unamar (points 50 à 52) et Da Silva Martins (point 30).