Language of document : ECLI:EU:T:2021:845

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

1er décembre 2021 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Recrutement – Avis de concours général EPSO/AD/371/19 – Décision du jury de ne pas admettre le requérant à l’étape suivante du concours – Critère d’admission lié à l’expérience professionnelle – Conformité avec l’avis de concours du critère utilisé par le jury – Erreur manifeste d’appréciation »

Dans l’affaire T‑293/20,

Vanesa Ruiz-Ruiz, demeurant à Alkmaar (Pays-Bas), représentée par Me M. Velardo, avocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. G. Gattinara, T. Lilamand et Mme I. Melo Sampaio, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision du jury du 20 septembre 2019 rejetant la demande de réexamen du refus d’admission de la requérante à l’étape suivante du concours général EPSO/AD/371/19 et, d’autre part, de la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination du 7 février 2020 rejetant la réclamation de la requérante à l’encontre de ladite décision,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, P. Nihoul et Mme R. Frendo (rapporteure), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 10 juin 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Mme Vanesa Ruiz-Ruiz, dispose d’un diplôme en chimie organique obtenu en 2003 et d’un doctorat en science des matériaux obtenu en 2008. Elle est également l’auteure de nombreuses publications scientifiques et a participé à des conférences et à des ateliers à des fins de vulgarisation.

2        À partir du 1er novembre 2016 et jusqu’au 25 mars 2019, la requérante a exercé les fonctions d’agent contractuel au sein du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission européenne.

3        Le 25 mars 2019, la requérante s’est portée candidate au concours général sur titres et épreuves EPSO/AD/371/19 pour le recrutement d’administrateurs (AD 7) spécialisés dans la recherche scientifique (ci-après le « concours ») dans le domaine no 5 « Communication et gestion des connaissances scientifiques ». Ce concours avait pour objet l’établissement de listes de réserve à partir desquelles les institutions européennes, principalement le JRC, pourraient recruter des fonctionnaires. L’avis de concours avait été publié par l’Office européen de sélection du personnel (EPSO) au Journal officiel de l’Union européenne le 21 février 2019 (JO 2019, C 68 A, p. 1, ci-après l’« avis de concours »).

4        L’avis de concours prévoyait une procédure en trois étapes. Lors d’une première étape, les dossiers de tous les candidats étaient examinés afin de vérifier le respect des conditions d’admission sur le fondement des informations communiquées dans l’acte de candidature en ligne. L’avis de concours énonçait les conditions d’admission, notamment concernant les titres et l’expérience professionnelle des candidats, à savoir un niveau d’enseignement correspondant à un cycle complet d’études universitaires d’au moins trois ou quatre ans respectivement, sanctionné par un diplôme dans un domaine scientifique pertinent, suivi d’une expérience professionnelle ayant un rapport direct avec les fonctions concernées d’au moins sept ou six ans respectivement.

5        L’avis de concours prévoyait que pouvaient être prises en compte au titre de l’expérience professionnelle, jusqu’à concurrence de trois ans, les études doctorales dans un domaine scientifique pertinent, à savoir science agronomique, architecture, biochimie, biologie, chimie, sciences informatiques, écologie, économie, sciences de l’éducation, ingénierie, sciences de l’environnement, sylviculture, géographie, géologie, sciences hydrologiques, sciences de la vie, sciences des matériaux, mathématiques, sciences médicales, météorologie, nanotechnologie, nanobiotechnologie, sciences naturelles, sciences nucléaires, sciences de la nutrition, océanographie/sciences de la mer, pharmacie, physique, sciences politiques, psychologie, sciences humaines et sociales, et statistiques.

6        L’annexe I de l’avis de concours, intitulée « Tâches et compétences spécifiques » décrivait la nature des fonctions, qui était spécifique pour chacun des domaines d’activités envisagés.

7        Une fois les conditions générales et spécifiques d’admission vérifiées, l’avis de concours prévoyait une deuxième étape de sélection, la sélection sur titres (« évaluateur de talent »), sur la base des qualifications indiquées dans l’acte de candidature. Il invitait les candidats à fournir, dans leur demande, le plus d’informations possible concernant les qualifications et l’expérience professionnelle, le cas échéant, qui étaient en rapport avec les fonctions concernées, comme cela était décrit dans la partie « Puis-je poser ma candidature ? » dudit avis. Cependant, le nombre de caractères disponibles pour les candidats était limité.

8        L’annexe II de l’avis de concours, intitulée « Critères de sélection », énumérait les critères à prendre en considération dans le cadre de la sélection sur titres (« évaluateur de talent »).

9        L’avis de concours prévoyait, enfin, une troisième étape, durant laquelle les candidats ayant obtenu les meilleurs résultats lors de la deuxième étape étaient invités à passer les épreuves du centre d’évaluation et des tests de type « questionnaires à choix multiples ». Ceux ayant obtenu les meilleures notes globales à l’issue de cette phase de la procédure étaient inscrits sur les listes de réserve du concours.

10      Le 23 mai 2019, l’EPSO a informé la requérante que le jury avait décidé de ne pas l’admettre à la deuxième étape du concours (ci-après la « décision d’exclusion »). Plus particulièrement, l’EPSO a constaté que la requérante ne remplissait pas les conditions spécifiques relatives à l’expérience professionnelle, à savoir six ans d’expérience professionnelle, y compris les années d’études doctorales jusqu’à concurrence de trois ans.

11      Le même jour, la requérante a introduit une demande de réexamen de la décision d’exclusion.

12      Le 20 septembre 2019, l’EPSO a répondu à la demande de réexamen en constatant que le jury avait confirmé sa décision d’exclusion (ci-après la « décision sur la demande de réexamen »). Il a indiqué que, avant d’entamer la procédure d’admission, le jury avait défini des critères, en prenant en considération les conditions particulières de l’avis de concours qui, tout comme les tâches, étaient définies sur la base des compétences requises pour les postes et dans l’intérêt du service. Il a ajouté que les critères d’admission et la pondération des divers éléments de qualification ou de l’expérience professionnelle reflétaient les besoins en recrutement des institutions, à ce moment donné. Enfin, la décision sur la demande de réexamen assurait la requérante que le jury avait rigoureusement appliqué les critères à tous les candidats afin de garantir une égalité de traitement entre eux.

13      Le 1er octobre 2019, la requérante a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») à l’encontre de la décision d’exclusion et de la décision sur la demande de réexamen.

14      Le 7 février 2020, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a rejeté la réclamation de la requérante (ci-après la « décision sur la réclamation »). En substance, tout d’abord, l’AIPN a fait observer que le jury avait défini au préalable et appliqué de manière égalitaire des critères objectifs d’évaluation afin de garantir un examen uniforme des candidatures.

15      Ensuite, l’AIPN a constaté que le jury avait accepté le doctorat en chimie de la requérante, conformément à l’avis de concours, et l’avait pris en compte en tant que trois années d’expérience professionnelle. Néanmoins, le jury avait retenu que la requérante n’avait pas satisfait aux conditions d’admission exigées par l’avis de concours, car elle ne possédait pas la durée requise de six années d’expérience professionnelle.

16      À cet égard, l’AIPN a expliqué qu’aucune des fonctions mentionnées dans l’acte de candidature n’était liée aux tâches d’un spécialiste en gestion et communication de connaissances scientifiques. Dans ce cadre, en premier lieu, elle a précisé que l’un des critères adoptés par le jury indiquait que toute communication scientifique limitée au domaine propre du candidat n’était pas considérée comme pertinente.

17      En second lieu, l’AIPN a souligné que l’expérience professionnelle de la requérante était une expérience de production de connaissances scientifiques, en la qualifiant principalement d’expérience de chercheuse dans son propre domaine scientifique (pour deux des cinq activités accomplies par la requérante après l’obtention de son doctorat) ou d’analyste chimique (pour une autre de ces activités). Selon l’AIPN, les deux dernières activités de la requérante, accomplies pendant ses études postdoctorales, n’étaient pas non plus en lien avec les tâches dans le domaine « Communication et gestion de connaissances scientifiques ».

18      Enfin, l’AIPN a considéré que l’évaluation faite par le jury de l’expérience professionnelle de la requérante en appliquant des critères objectifs prédéfinis ne saurait être qualifiée de manifestement erronée.

 Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 mai 2020, la requérante a introduit le présent recours. Le mémoire en défense de la Commission, la réplique et la duplique ont été déposés, respectivement, le 6 août 2020, le 21 octobre 2020 et le 3 décembre 2020.

20      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision d’exclusion ;

–        annuler la décision sur la demande de réexamen ;

–        annuler la décision sur la réclamation ;

–        condamner la Commission aux dépens.

21      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du recours

22      À titre liminaire, il y a lieu de relever, ainsi que le fait valoir la Commission, que, par ses deux premiers chefs de conclusions, la requérante a attaqué les deux décisions du jury, à savoir la décision d’exclusion et celle sur la demande de réexamen.

23      Or, il est de jurisprudence constante que la décision prise après réexamen se substitue à la décision initiale du jury (voir arrêt du 16 mai 2019, Nerantzaki/Commission, T‑813/17, non publié, EU:T:2019:335, point 25 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que, dans la présente procédure, la décision d’exclusion a été remplacée par la décision sur la demande de réexamen et qu’il y a lieu de considérer que les premier et deuxième chefs de conclusions tendent à la seule annulation de la décision sur la demande de réexamen, qui constitue, en l’espèce, l’acte attaqué.

24      Par son troisième chef de conclusions, la requérante demande aussi l’annulation de la décision sur la réclamation.

25      Or, il est de jurisprudence constante que des conclusions dirigées contre le rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le juge de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée dans la mesure où elles sont, comme telles, dépourvues de contenu autonome (voir arrêt du 20 novembre 2007, Ianniello/Commission, T‑205/04, EU:T:2007:346, point 27 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, Europol/Kalmár, T‑455/11 P, EU:T:2013:595, point 41).

26      Toutefois, il y a lieu de constater que, si, en l’espèce, la décision sur la réclamation est dépourvue de contenu autonome et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer spécifiquement sur celle-ci, elle contient des arguments visant à compléter la portée de ceux qui figuraient notamment dans la décision sur la demande de réexamen. Dès lors, dans l’examen de la légalité de la décision de réexamen, il conviendra de prendre en considération la motivation figurant dans la décision sur la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec celle de la décision de réexamen (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2009, Commission/Birkhoff, T‑377/08 P, EU:T:2009:485, points 58 et 59 et jurisprudence citée).

27      Par conséquent, il y a lieu de considérer que l’objet du présent recours porte sur la décision sur la demande de réexamen, qui constitue, en l’espèce, l’acte faisant grief à la requérante, telle que complétée par la décision sur la réclamation.

 Sur le fond

28      À l’appui de son recours, la requérante soulève trois moyens. Le premier moyen est tiré de l’erreur manifeste d’appréciation de son expérience professionnelle ainsi que de la violation de l’article 5, paragraphe 1, de l’annexe III du statut et de l’avis de concours, le deuxième, de la violation du principe d’égalité de traitement et, le troisième, de la violation de l’obligation de motivation et du principe d’égalité des parties à la procédure, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

29      Le premier moyen se divise en deux branches, la première, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation de l’expérience professionnelle de la requérante et, la seconde, tirée d’une violation de l’article 5, paragraphe 1, de l’annexe III du statut et de l’avis de concours.

30      Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal estime qu’il y a lieu de commencer par l’examen de la seconde branche du premier moyen.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 5, paragraphe 1, de l’annexe III du statut et de l’avis de concours

31      La requérante invoque une violation de l’avis de concours et notamment de l’article 5, paragraphe 1, de l’annexe III du statut. En vertu de cette disposition, le jury d’un concours devrait, pour déterminer la liste des candidats admis, se fonder sur les seules conditions fixées par ledit avis. Elle estime que, dans la décision sur la demande de réexamen, le jury aurait évoqué, pour la première fois, le fait qu’il avait adopté et se serait fondé sur d’autres critères que ceux prévus dans l’avis de concours pour l’examen de l’expérience professionnelle. Selon la requérante, ces critères supplémentaires auraient été introduits arbitrairement par le jury, qui l’aurait, par conséquent, illégalement exclue de la procédure de sélection, en appliquant des critères différents de ceux fixés dans l’avis de concours.

32      La liste des critères établie et utilisée par le jury lors de la procédure litigieuse a été produite par la Commission avec son mémoire en défense en tant que l’annexe B.1.

33      Il convient de rejeter d’emblée l’argument de la requérante tiré d’une violation de l’article 5, paragraphe 1, de l’annexe III du statut, car, ainsi que le fait valoir la Commission, cette disposition ne fait pas obstacle par principe à ce que le jury fixe des critères d’appréciation des titres. En effet, le jury d’un concours sur titres et épreuves a la responsabilité d’apprécier, au cas par cas, si les diplômes produits ou l’expérience professionnelle de chaque candidat correspondent au niveau requis par le statut et par l’avis de concours (arrêts du 28 novembre 1991, Van Hecken/CES, T‑158/89, EU:T:1991:63, point 22 ; du 21 novembre 2000, Carrasco Benítez/Commission, T‑214/99, EU:T:2000:272, point 69, et du 28 novembre 2002, Pujals Gomis/Commission, T‑332/01, EU:T:2002:289, points 39 à 41) et, en adoptant des critères d’appréciation, il tend à assurer une certaine homogénéité de ses appréciations, dans l’intérêt des candidats, notamment lorsque leur nombre est élevé (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 1996, Parlement/Innamorati, C‑254/95 P, EU:C:1996:276, point 29). À cet égard, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a précisé que, dans le cas où une condition de l’avis de concours était rédigée dans des termes généraux, le jury disposait d’un large pouvoir d’appréciation pour définir les critères d’application des conditions d’admission, dont celle de la durée de l’expérience professionnelle requise (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2017, Commission/FE, T‑734/15 P, EU:T:2017:612, point 26).

34      Toutefois, malgré sa large marge d’appréciation, le jury reste toujours lié par le texte de l’avis de concours, qui a le rôle essentiel d’informer les intéressés, d’une façon aussi exacte que possible, de la nature des conditions requises pour occuper le poste dont il s’agit, afin de les mettre en mesure d’apprécier, notamment, s’il y a lieu pour eux de faire acte de candidature (voir, en ce sens, ordonnance du 3 avril 2001, Zaur-Gora et Dubigh/Commission, T‑95/00 et T‑96/00, EU:T:2001:114, point 47, et arrêt du 13 septembre 2010, Espagne/Commission, T‑156/07 et T‑232/07, non publié, EU:T:2010:392, point 87). Au demeurant, il ressort explicitement de l’annexe B.1 que le jury est toujours soumis au libellé de l’avis de concours et que les termes dudit avis doivent être interprétés dans l’esprit du texte, ainsi que dans le respect des attentes légitimes des candidats.

35      En l’espèce, la requérante reproche au jury d’avoir considéré, ainsi qu’il ressort du point 16 ci-dessus, que toute communication scientifique limitée au domaine scientifique du candidat n’était pas pertinente pour l’appréciation de l’expérience professionnelle (ci-après le « critère contesté »).

36      Le critère contesté figure clairement dans l’annexe B.1, qui comporte explicitement les critères adoptés par le jury dont le respect devrait être contrôlé lors de la première étape, à savoir la « phase d’admission », au cours de laquelle sont vérifiées les conditions d’admission et durant laquelle la requérante a été éliminée. Dès lors, force est de constater que, contrairement à ce que soutient la Commission, la portée de la définition de ces critères ne peut, pour cette étape, être qualifiée de négligeable.

37      La requérante fait ensuite valoir que le critère contesté contredit de façon flagrante les exigences de l’avis de concours qui requérait, en tant que condition d’admission, une expertise en communication scientifique, sans pour autant que cette communication s’étende à d’autres domaines. Selon elle, le fait de valoriser l’expérience en communication dans des domaines autres que le domaine scientifique tout en écartant la communication scientifique, comme l’a fait le jury, revient à aller à l’encontre de la finalité dudit avis.

38      La Commission, en revanche, soutient que le critère contesté est légal en faisant valoir que le jury pouvait légitimement exiger l’existence d’un rapport particulièrement étroit entre les tâches à accomplir et l’expérience professionnelle des candidats. Elle estime qu’il résulterait de la nature des fonctions et des compétences spécifiques que le profil scientifique des candidats n’était pas le seul élément à prendre en compte pour apprécier la pertinence de l’expérience professionnelle, tout en insistant sur le fait que le seul rapport obligatoire avec le domaine d’appartenance des études scientifiques du candidat était celui concernant le diplôme, qui devait figurer parmi ceux indiqués au point 5 ci-dessus.

39      À cet égard, il est certes vrai que, en l’absence de dispositions plus précises et compte tenu de son large pouvoir d’appréciation de la pertinence des qualifications des candidats, le jury pouvait légitimement adopter des critères exigeant un rapport étroit entre les tâches à accomplir et l’expérience professionnelle. En effet, selon la jurisprudence, les conditions d’admission doivent être interprétées à la lumière des finalités du concours, telles qu’elles résultent de la description générale des tâches (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2000, Teixeira Neves/Cour de justice, T‑146/99, EU:T:2000:194, point 34 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, l’avis de concours rattachait explicitement les conditions d’admission aux fonctions des postes à pourvoir. Sous la rubrique « Conditions particulières – titres et expérience professionnelle », il indiquait notamment que les candidats devaient posséder une expérience professionnelle d’au moins six ans en rapport direct avec les fonctions à exécuter, telles que définies dans son annexe I selon le domaine choisi.

41      Or, le point 5 de l’annexe I de l’avis de concours énumérait les tâches principales pour le domaine « Communication et gestion des connaissances scientifiques », choisi par la requérante, comme consistant en « la gestion des connaissances, une notion qui, au [JRC,] recouvre notamment la collecte, l’organisation, le contrôle de la qualité, la validation, la communication, l’explicitation et la disponibilité de données, d’informations, d’outils et de méthodes fondés sur la science, en vue de soutenir l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de l’Union européenne ». Le même point soulignait aussi les capacités d’anticiper les besoins stratégiques, de recenser les lacunes en matière de connaissances et de proposer des thèmes de recherche pour soutenir les services de la Commission chargés des politiques, tout en indiquant que l’accent était mis sur le développement d’outils communs, de bonnes pratiques et de plateformes pour faciliter la gestion des connaissances à des fins d’élaboration des politiques.

42      Enfin, le même avis de concours a aussi établi, explicitement, que, au titre de l’expérience professionnelle pertinente, les candidats devaient faire preuve de « quelques-unes des compétences spécifiques » énumérées encore au point 5 de l’annexe I de l’avis de concours, à savoir :

–        synthèse de la recherche ;

–        participation à l’élaboration des politiques ;

–        compréhension des implications pour la recherche des besoins des décideurs politiques ;

–        communication des résultats de la recherche aux décideurs politiques ;

–        communication sur des sujets scientifiques auprès de la communauté scientifique (notamment au moyen de publications) ;

–        gestion de communautés de savoir ;

–        suivi et évaluation de l’impact des résultats de la recherche sur l’élaboration des politiques ;

–        dialogue avec les citoyens et les parties prenantes ;

–        exploration, évaluation et cartographie de données ;

–        analyse statistique ;

–        communication numérique, notamment via l’internet et les réseaux sociaux ;

–        communication sur des sujets scientifiques auprès des décideurs et du grand public (notamment au moyen de supports visuels et graphiques et de techniques de mises en récit) ;

–        gestion d’événements et de réunions ;

–        gestion de projet ;

–        analyse du marché, du cycle de vie et des chaînes de valeur des technologies.

43      Or, il ressort de la décision sur la réclamation que, par application du critère contesté, le jury n’a pas retenu les publications de la requérante dans le domaine de la chimie parmi les types d’expériences pertinentes au titre du critère de l’expérience professionnelle.

44      La Commission estime que le concours visait à sélectionner des administrateurs dans le domaine de la recherche, et non des universitaires de profession. Elle soutient que si le jury n’avait pas considéré que les publications dans d’autres domaines étaient pertinentes, il serait allé à l’encontre des dispositions claires de l’avis de concours, selon lesquelles le nouveau collaborateur devrait anticiper les besoins politiques, identifier les lacunes en matière de connaissances et proposer des thèmes de recherche en vue de soutenir ses services chargés des politiques.

45      Il est certes vrai que, ainsi qu’il ressort de la description des tâches au point 5 de l’annexe I de l’avis de concours (voir point 39 ci-dessus), les lauréats seraient appelés à exercer des fonctions dépassant le domaine de la recherche scientifique au sens strict. Toutefois, l’illégalité du critère contesté ne consiste pas dans le fait que le jury ait considéré comme pertinentes des publications dans d’autres domaines, mais dans le fait que, en retenant que toute communication scientifique limitée au domaine propre du candidat n’était pas considérée comme pertinente, il a violé les termes exprès de l’avis de concours, dès lors que ces publications rentraient pleinement dans la compétence spécifique de la « communication sur des sujets scientifiques auprès de la communauté scientifique (notamment au moyen de publications) » (voir point 42 ci-dessus). Il n’était en effet pas requis par ledit point que les candidats démontrent cette compétence spécifique par des communications portant sur des sujets autres que ceux relevant de leur domaine scientifique.

46      Il s’ensuit que le critère contesté contredit, à l’évidence, l’avis de concours.

47      Or, ainsi qu’il ressort du point 34 ci-dessus, nonobstant sa large marge d’appréciation, le jury demeure lié par le texte de l’avis de concours. Ainsi, les termes de l’avis de concours constituent aussi bien le cadre de légalité que le cadre d’appréciation pour le jury de concours (arrêts du 16 avril 1997, Fernandes Leite Mateus/Conseil, T‑80/96, EU:T:1997:57, point 27, et du 21 octobre 2004, Schumann/Commission, T‑49/03, EU:T:2004:314, point 63), et il ne revient pas au jury de restreindre ou d’élargir les critères de sélection déterminés par l’avis de concours, sous peine de ne pas respecter le texte dudit avis (arrêt du 14 décembre 2018, UR/Commission, T‑761/17, non publié, EU:T:2018:968, point 67).

48      Il s’ensuit que, en adoptant et en appliquant le critère contesté, le jury s’est écarté de manière illégale des critères de sélection déterminés par l’avis de concours et a, dès lors, méconnu ledit avis.

49      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir la seconde branche du premier moyen.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée de l’erreur manifeste d’appréciation de l’expérience professionnelle de la requérante

50      Ainsi qu’il ressort du point 17 ci-dessus, l’AIPN s’est également fondée sur un second motif pour l’exclusion de la requérante du concours en soulignant le fait que son expérience professionnelle était une expérience de production de connaissances scientifiques, surtout comme chercheuse dans son propre domaine scientifique ou comme analyste chimique. L’AIPN en a conclu que la requérante n’avait pas satisfait aux conditions d’admission requises par l’avis de concours en ce qu’elle ne possédait pas la durée requise de six années d’expérience professionnelle.

51      À cet égard, la requérante soutient que le jury a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant, à tort, que son expérience professionnelle n’était pas pertinente, alors qu’elle concernait précisément les domaines scientifiques dans lesquels les lauréats auraient été appelés à travailler. Elle fait valoir que ladite expérience correspondait au profil requis par l’avis de concours, à savoir la gestion de l’information scientifique en relation avec toutes les étapes du processus politico-législatif, la capacité à participer au processus d’identification des objectifs politiques, ainsi que l’organisation des informations et des connaissances scientifiques, à l’appui des politiques de l’Union et de l’organisme chargé de les élaborer.

52      La Commission rétorque que la conclusion du jury selon laquelle l’expérience professionnelle de la requérante n’était pas pertinente au regard du concours est plausible et n’est entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation, puisque la requérante n’aurait effectué aucune activité liée à la communication et à la gestion des connaissances scientifiques.

53      En l’espèce, l’avis de concours s’appuyait, en particulier, sur les besoins spécifiques du JRC, et la description des tâches énoncée au point 5 de l’annexe I de l’avis de concours, ainsi qu’il ressort du point 42 ci-dessus, indiquait que « la gestion des connaissances scientifiques » était une notion qui, au JRC, recouvrait, notamment et parmi d’autres, la collecte, l’organisation et la communication d’informations fondées sur la science, en vue de soutenir l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de l’Union. En outre, la participation à l’élaboration des politiques figurait parmi les compétences spécifiques aussi énumérées audit point (voir point 44 ci-dessus) et la partie introductive dudit avis prévoyait que « le personnel du [JRC] serait chargé de fournir un appui scientifique et technique à la conception, au développement, à la mise en œuvre et au suivi des politiques de l’[Union] ».

54      La requérante fait valoir que les études scientifiques qu’elle a réalisées ont servi au processus législatif. Au demeurant, en ce qui concerne l’activité de la requérante pendant la période où elle était agent contractuel au JRC, la Commission ne conteste pas cet argument, mais soutient que, même si l’activité antérieure de la requérante ayant pour but de préparer une éventuelle législation future était pertinente, cette activité avait été marginale par rapport aux autres activités de la requérante et n’aurait de toute façon pas été suffisante, car ladite activité, effectuée pendant 28 mois et 24 jours, était inférieure à la durée de trois ans requise par l’avis de concours en plus des trois années d’études doctorales.

55      À cet égard, il y a lieu de considérer que l’expérience professionnelle de la requérante au soutien du processus législatif était pertinente dans le cadre du concours.

56      En effet, l’AIPN ne pouvait pas considérer que toute l’expérience professionnelle de la requérante se limitait à une expérience de production de connaissances scientifiques et non de gestion, et que par conséquent, la requérante ne possédait pas une expérience professionnelle en rapport direct avec les fonctions à exécuter.

57      Il est vrai que l’expérience professionnelle pertinente de la requérante indiquée au point 54 ci-dessus était, à elle seule, d’une durée insuffisante pour satisfaire aux conditions d’admission. Toutefois, la requérante fait aussi valoir qu’elle disposait d’une expertise considérable en matière de diffusion de la science en soulignant ses 35 publications, la participation à 40 conférences ainsi que l’organisation d’ateliers.

58      Or, ainsi qu’il ressort du point 46 ci-dessus, le jury ne pouvait, sans violer l’avis de concours, retenir que toute communication scientifique limitée au domaine propre du candidat n’était pas considérée comme pertinente.

59      Dès lors, le manque de prise en compte, notamment, des publications de la requérante constitue une erreur d’appréciation de la part du jury.

60      Pour autant, en matière de concours, étant donné le large pouvoir d’appréciation du jury, pour entraîner l’annulation de la décision, l’erreur d’appréciation doit présenter un caractère manifeste. Selon la jurisprudence, une erreur peut seulement être qualifiée de manifeste lorsqu’elle peut être aisément détectée à l’aune des critères auxquels le législateur a entendu subordonner l’exercice par l’administration de son large pouvoir d’appréciation. En conséquence, afin d’établir qu’une erreur manifeste a été commise dans l’appréciation des faits qui soit de nature à justifier l’annulation d’une décision, il est nécessaire de démontrer que les appréciations retenues dans la décision litigieuse ne sont pas plausibles (arrêts du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T‑380/94, EU:T:1996:195, point 59, et du 23 octobre 2012, Eklund/Commission, F‑57/11, EU:F:2012:145, point 51 ; voir, également, arrêt du 24 avril 2013, Demeneix/Commission, F‑96/12, EU:F:2013:52, point 45 et jurisprudence citée).

61      Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 55 ci-dessus, la requérante disposait d’une expérience professionnelle pertinente de 28 mois et 24 jours concernant l’activité ayant pour but de préparer une éventuelle législation future. Par ailleurs, elle a fait valoir, en tant qu’expérience professionnelle, dans son acte de candidature, notamment, des publications scientifiques relatives à quatre des six activités et couvrant plusieurs années.

62      Il s’ensuit que l’appréciation faite par le jury est entachée d’une erreur manifeste, dès lors qu’elle n’est pas plausible à l’aune des critères posés par l’avis de concours. Par conséquent, la requérante a été illégalement exclue de la procédure de sélection.

63      Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir la première branche du premier moyen et, partant, ce dernier dans son intégralité.

64      Dès lors, il convient d’annuler la décision sur la demande de réexamen, sans qu’il soit besoin d’examiner le deuxième et le troisième moyens soulevés par la requérante.

 Sur les dépens

65      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il convient de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du jury du 20 septembre 2019 portant rejet de la demande de réexamen de l’exclusion de Mme Vanesa Ruiz-Ruiz du concours EPSO/AD/371/19 est annulée.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Gervasoni

Nihoul

Frendo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er décembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.