Language of document : ECLI:EU:T:2018:690

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

17 octobre 2018 (*)

« Privilèges et immunités – Membre du Parlement européen – Décision de levée de l’immunité parlementaire – Lien avec les fonctions de parlementaire – Égalité de traitement – Sécurité juridique – Confiance légitime – Procédure de levée de l’immunité – Droits de la défense – Détournement de pouvoir – Responsabilité non contractuelle »

Dans l’affaire T‑26/17,

Jean-François Jalkh, demeurant à Gretz-Armainvilliers (France), représenté initialement par Me J.-P. Le Moigne, puis par Me M. Ceccaldi et enfin par Me F. Wagner, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté initialement par Mme M. Dean et M. S. Alonso de León, puis par MM. Alonso de León, N. Görlitz et Mme S. Seyr, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision P8_TA(2016)0430 du Parlement, du 22 novembre 2016, de lever l’immunité parlementaire du requérant et, d’autre part, une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que le requérant aurait prétendument subi,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović, président, M. E. Bieliūnas et Mme A. Marcoulli (rapporteur), juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 7 mai 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Jean-François Jalkh, a été élu député au Parlement européen le 25 mai 2014. Il est également l’un des vice-présidents du parti politique français alors dénommé Front national.

2        Le 6 juin 2014, au cours d’une émission diffusée sur le site Internet officiel du Front national, puis sur le blog de M. Jean-Marie Le Pen, ce dernier a tenu les propos suivants :

Intervenante : « Mais il y a tous ceux qui avaient juré après la victoire du Front [n]ational, de prendre leurs cliques et leurs claques et de quitter la France ; apparemment, c’est toujours pas fait ? »

M. Le Pen : « Ah oui, c’est M. Noah. M. Noah a dit, il s’était engagé à ne plus chanter en France si le Front [n]ational arrivait en tête des élections. Cochon qui s’en dédit. »

Intervenante : « Et M. Bruel aussi. »

M. Le Pen : « Ah ça ne m’étonne pas. Écoutez, on en fera une fournée la prochaine fois. »

3        À la suite d’une plainte, déposée le 12 août 2014, par le bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, en raison des propos mentionnés au point 2 ci-dessus, une instruction judiciaire pour provocation publique à la haine raciale a été ouverte, au cours de laquelle le requérant a été entendu, le 15 mai 2015, en sa qualité de directeur de publication du site Internet officiel du Front national. Le 16 juin 2015, le requérant a été convoqué aux fins d’interrogatoire de première comparution. Il a opposé son immunité parlementaire européenne.

4        Le 14 avril 2016, le garde des Sceaux, ministre de la Justice français, a transmis au président du Parlement la requête du procureur général près la cour d’appel de Paris (France) tendant à obtenir la levée de l’immunité parlementaire du requérant.

5        Par décision du 22 novembre 2016 (ci-après la « décision attaquée »), le Parlement a levé l’immunité du requérant. En substance, le Parlement a relevé que le requérant n’avait pas pris ses fonctions de député au Parlement lorsque les déclarations litigieuses avaient été prononcées et que les accusations portées à son égard, et qui fondaient la demande de levée d’immunité, n’étaient pas, de toute évidence, liées à sa fonction de député au Parlement et se rapportaient à des activités d’une nature purement nationale ou régionale. Le Parlement a considéré que ces accusations ne concernaient pas des opinions ou des votes émis par le requérant dans l’exercice de ses fonctions de député au Parlement au sens de l’article 8 du protocole no 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 266, ci-après le « protocole »), et que rien ne laissait soupçonner une quelconque tentative d’entraver le travail parlementaire du requérant dans l’information judiciaire ouverte à son égard.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 janvier 2017, le requérant a introduit le présent recours.

7        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 18 janvier 2017, le requérant a introduit une demande en référé. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 26 juin 2017, Jalkh/Parlement (T‑26/17 R, non publiée, EU:T:2017:432), et les dépens ont été réservés.

8        Le 3 avril 2017, le Parlement a produit le mémoire en défense.

9        La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2017.

10      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 20 octobre 2017.

11      Par décision du président de la septième chambre du Tribunal du 23 mars 2018, la présente affaire a été jointe à l’affaire T‑27/17, Jalkh/Parlement, aux fins de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 68 du règlement de procédure du Tribunal.

12      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 7 mai 2018. En réponse à l’une de ces questions, le requérant s’est désisté de ses conclusions, formulées dans la réplique, tendant à l’annulation du règlement intérieur du Parlement (ci-après le « règlement intérieur »), ou, à titre subsidiaire, des articles 9 et 150 dudit règlement, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

13      Le requérant demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner le Parlement à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il aurait subi ;

–        condamner le Parlement aux dépens ;

–        condamner le Parlement à lui verser la somme de 5 000 euros en remboursement des dépens récupérables.

14      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable et partiellement non fondé ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens dans l’affaire au principal et, si besoin, dans la demande en référé.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation de la décision attaquée

15      À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée, le requérant fait valoir dix moyens, tirés, en substance, le premier, d’une erreur de droit qui résulterait de la confusion prétendument opérée par le Parlement entre les articles 8 et 9 du protocole, les deuxième et troisième, de la violation de l’article 9 du protocole, le quatrième, de l’atteinte portée à la « jurisprudence constante » de la commission des affaires juridiques du Parlement en matière de liberté d’expression et de fumus persecutionis et de l’erreur manifeste commise par le Parlement dans son appréciation de l’existence d’un fumus persecutionis, le cinquième, des atteintes portées aux principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement, le sixième, de l’atteinte à l’indépendance des députés, le septième, de la méconnaissance, par le Parlement, de la procédure prévue à l’article 3, paragraphe 4, deuxième alinéa, et à l’article 9, paragraphe 5, du règlement intérieur, le huitième, de la violation des droits de la défense et d’une exception d’illégalité de l’article 9, paragraphe 8, troisième alinéa, et de l’article 150, paragraphe 2, du règlement intérieur, le neuvième, de l’absence de tout fondement des poursuites en France et de la levée de son immunité et, le dixième, présenté dans la réplique, de l’existence d’un détournement de pouvoir.

 Observations liminaires

16      Conformément à la jurisprudence, l’immunité parlementaire des députés européens, telle que prévue aux articles 8 et 9 du protocole, comprend les deux formes de protection habituellement reconnues aux membres des parlements nationaux des États membres, à savoir l’immunité en raison des opinions et des votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires ainsi que l’inviolabilité parlementaire, comportant, en principe, une protection contre les poursuites judiciaires (voir arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 18 et jurisprudence citée).

17      L’article 8 du protocole, qui constitue une disposition spéciale applicable à toute procédure judiciaire pour laquelle le député européen bénéficie de l’immunité en raison des opinions et des votes exprimés dans l’exercice des fonctions parlementaires, vise à protéger la libre expression et l’indépendance des députés européens, de sorte qu’elle fait obstacle à toute procédure judiciaire en raison de tels opinions et votes (voir arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 26 et jurisprudence citée).

18      La Cour a rappelé que l’article 8 du protocole, eu égard à son objectif consistant à protéger la libre expression et l’indépendance des députés au Parlement et à son libellé, qui se réfère expressément, outre aux opinions, aux votes émis par lesdits députés, a essentiellement vocation à s’appliquer aux déclarations effectuées par ces derniers dans l’enceinte même du Parlement (arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 29).

19      La Cour a cependant précisé qu’il n’était pas exclu qu’une déclaration effectuée par de tels députés en dehors de cette enceinte puisse également constituer une opinion exprimée dans l’exercice de leurs fonctions au sens de l’article 8 du protocole, l’existence d’une telle opinion étant fonction non pas du lieu où une déclaration a été effectuée, mais bien de sa nature et de son contenu (arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 30).

20      Il ressort également du libellé de l’article 8 du protocole que, pour être couverte par l’immunité, une opinion doit avoir été émise par un député européen « dans l’exercice de [ses] fonctions », impliquant ainsi l’exigence d’un lien entre l’opinion exprimée et les fonctions parlementaires (arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 33).

21      S’agissant de déclarations d’un député européen faisant l’objet de poursuites pénales dans son État membre d’origine, il y a lieu de constater que l’immunité prévue à l’article 8 du protocole est susceptible d’empêcher définitivement les autorités judiciaires et les juridictions nationales d’exercer leurs compétences respectives en matière de poursuites et de sanctions des infractions pénales dans le but d’assurer le respect de l’ordre public sur leur territoire et, corrélativement, de priver ainsi totalement les personnes lésées par ces déclarations de l’accès à la justice, y compris, le cas échéant, en vue d’obtenir devant les juridictions civiles la réparation du dommage subi (arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 34).

22      Compte tenu de ces conséquences, il convient d’admettre que le lien entre l’opinion exprimée et les fonctions parlementaires doit être direct et s’imposer avec évidence (arrêt du 6 septembre 2011, Patriciello, C‑163/10, EU:C:2011:543, point 35).

23      En revanche, l’article 9 du protocole prévoit que, pendant la durée des sessions du Parlement, les membres de celui-ci bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays et, sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire. Le dernier alinéa de cet article prévoit également que l’immunité ne fait pas obstacle au droit du Parlement de la lever.

24      La teneur de l’inviolabilité établie à l’article 9 du protocole s’analyse par renvoi aux dispositions nationales pertinentes et elle est par conséquent susceptible de varier selon l’État membre d’origine du député européen (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 44 et jurisprudence citée).

25      En outre, l’inviolabilité du député peut être levée par le Parlement, conformément à l’article 9, troisième alinéa, du protocole, alors que l’immunité prévue à l’article 8 ne le peut pas (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 45 et jurisprudence citée).

26      Ainsi, lorsqu’une demande de levée de l’immunité lui est transmise par une autorité nationale, il appartient tout d’abord au Parlement de vérifier si les faits à l’origine de la demande de levée sont susceptibles d’être couverts par l’article 8 du protocole, auquel cas une levée de l’immunité est impossible (arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 46).

27      Si le Parlement aboutit à la conclusion que l’article 8 du protocole ne s’applique pas, il lui incombe ensuite de vérifier si le député au Parlement bénéficie de l’immunité prévue par l’article 9 du protocole pour les faits qui lui sont reprochés et, si tel est le cas, de décider s’il y a lieu ou non de lever cette immunité (arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 47).

28      Par ailleurs, il y a lieu de reconnaître au Parlement un très large pouvoir d’appréciation quant à l’orientation qu’il entend donner à une décision faisant suite à une demande de levée d’immunité en raison du caractère politique que revêt une telle décision (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 59 et jurisprudence citée).

29      L’exercice de ce pouvoir n’est toutefois pas soustrait à tout contrôle juridictionnel. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que, dans le cadre de ce contrôle, le juge de l’Union doit vérifier le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus par l’institution, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou l’absence de détournement de pouvoir (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 60 et jurisprudence citée).

30      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner les moyens soulevés à l’encontre de la décision attaquée.

 Sur le premier moyen, tiré de la confusion entre les articles 8 et 9 du protocole

31      Par son premier moyen, le requérant reproche au Parlement d’avoir « feint de confondre les articles 8 et 9 du protocole […], en prétendant que serait applicable, en l’espèce, l’article 8 dudit protocole ». Il appuie son affirmation sur la première phrase du point G et sur le point J de la décision attaquée.

32      Le Parlement conteste les allégations du requérant.

33      Il ressort de la décision attaquée que le Parlement a apprécié si les faits à l’origine de la demande de levée d’immunité étaient susceptibles d’être couverts par l’article 8 du protocole, auquel cas, ainsi que cela a été précisé au point 26 ci-dessus, la levée d’immunité ne pouvait être ordonnée. Ainsi, au point J de la décision attaquée, le Parlement a exclu l’application de cet article en relevant, en substance, que les faits reprochés au requérant ne concernaient pas des opinions ou des votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions au sens de l’article 8 du protocole.

34      Il ressort également de la décision attaquée que la demande de levée d’immunité du requérant a été examinée par le Parlement sur le fondement de l’article 9 du protocole et des dispositions nationales auquel il renvoie, à savoir, en l’espèce, l’article 26 de la Constitution française.

35      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 26 de la Constitution française dispose :

« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l’assemblée dont il fait partie le requiert […] »

36      Si, ainsi que le relève le requérant, la première phrase du point G de la décision attaquée fait référence à l’article 8 du protocole en indiquant que l’étendue de l’immunité accordée aux députés du parlement français correspond en fait à celle accordée aux députés du Parlement européen par l’article 8 du protocole, c’est uniquement dans la mesure où les dispositions de cet article coïncident avec celles de l’article 26, premier alinéa, de la Constitution française.

37      Partant, le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision attaquée a été prise sur le fondement de l’article 8 du protocole, ni qu’elle procède d’une confusion entre les articles 8 et 9 du protocole. Il y a lieu, par suite, d’écarter le premier moyen.

 Sur les deuxième et troisième moyens, tirés de la violation de l’article 9 du protocole, et sur le sixième moyen, tiré de l’atteinte à l’indépendance des députés

38      Le requérant fait valoir, à l’appui de son deuxième moyen, que le Parlement a commis une erreur de droit en refusant de le faire bénéficier de l’article 9 du protocole. Il soutient que son immunité ne pouvait être levée alors que les faits qui fondent les poursuites en France relèvent de ses activités politiques. Il estime en effet que la liberté de débat politique et la liberté d’expression du député doivent être protégées, qu’elles soient ou non utilisées dans le cadre strict du Parlement et que, en levant son immunité, le Parlement aurait porté atteinte au « concept cohérent de l’immunité parlementaire posé par la jurisprudence constante antérieure de la commission des affaires juridiques et des commissions antérieurement compétentes en matière d’immunité ».

39      Le requérant soutient également, à l’appui de son troisième moyen, que, en levant son immunité, le Parlement a méconnu la notion même d’immunité parlementaire, en particulier l’inviolabilité, laquelle protège le député contre les pressions pouvant être exercées sur lui durant son mandat, y compris au titre d’activités extraparlementaires ou ante-parlementaires. Dans la réplique, le requérant précise que ce moyen est fondé sur la violation de l’article 9 du protocole et de l’article 2 et de l’article 5, paragraphes 1 et 2, du règlement intérieur, mais également sur la méconnaissance de certains documents internes au Parlement, à savoir un document de travail de la direction générale des études du Parlement relatif à « L’immunité parlementaire dans les États membres de la communauté européenne et au Parlement européen » ainsi qu’un document intitulé « Workshop sur l’immunité parlementaire dans l’Union européenne » en date du 19 octobre 2015.

40      Le requérant fait valoir, à l’appui de son sixième moyen, et après avoir rappelé l’article 6, paragraphe 1, du règlement intérieur et, dans la réplique, les articles 2 et 5 de ce règlement, que l’immunité vise à protéger la liberté d’expression des députés et la liberté du débat politique et qu’aucun précédent jurisprudentiel ne prévoit d’obligation, pour le député européen qui s’exprime en dehors des lieux de travail habituels du Parlement, de faire état de sa qualité de député européen afin de pouvoir bénéficier des privilèges et des immunités attachés à son mandat. Il soutient également que, en levant fautivement son immunité sur le fondement de l’article 9 du protocole, le Parlement a porté atteinte à son indépendance.

41      Le Parlement soutient que les deuxième et sixième moyens ne sont pas fondés et que le troisième moyen est irrecevable, faute d’être suffisamment étayé.

42      En premier lieu, s’agissant du moyen tiré de la violation de l’article 9 du protocole, il convient de rappeler que, aux termes de cet article, le requérant jouit, sur le territoire français, des immunités reconnues aux membres du parlement français, lesquelles sont fixées par l’article 26 de la Constitution française.

43      Il y a lieu de relever que, pour pouvoir bénéficier des dispositions de l’article 26, premier alinéa, de la Constitution française, il faut, tout comme en ce qui concerne l’article 8 du protocole, que les opinions émises par le membre du Parlement l’aient été dans l’exercice de ses fonctions de député au Parlement, puisque c’est en cette qualité qu’il bénéficie, par le biais de l’article 9 du protocole, de l’immunité reconnue par la Constitution française (arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 84).

44      Il s’ensuit que le requérant n’est pas fondé à soutenir qu’il devait bénéficier de l’inviolabilité prévue à l’article 9 du protocole au motif qu’il était poursuivi au titre de faits relevant de ses activités politiques nationales et alors même que ces faits avaient eu lieu avant sa prise de fonctions en tant que député au Parlement.

45      À cet égard, le requérant ne conteste pas que les poursuites pénales en cause dans la présente affaire se rapportent à la publication, sur le site Internet officiel du Front national, de déclarations faites par M. Le Pen, ces déclarations étant liées aux élections municipales françaises des 23 et 30 mars 2014. De même, le requérant ne conteste pas que cette publication soit antérieure à l’exercice de son mandat de député européen, qui a débuté le 1er juillet 2014.

46      Partant, c’est à bon droit que le Parlement a considéré que les faits reprochés au requérant étaient, de toute évidence, dépourvus de lien avec ses fonctions de député au Parlement.

47      En outre, et à supposer même que le requérant puisse être regardé comme se prévalant également de l’article 26, deuxième et troisième alinéas, de la Constitution française, il y a lieu de rappeler que l’article 9 du protocole prévoit expressément la possibilité, pour le Parlement, de lever l’immunité dont est susceptible de jouir le député au titre de cette disposition.

48      Par ailleurs, en tant que le requérant fait valoir qu’il n’a pas l’obligation de faire état de sa qualité de député européen pour bénéficier des privilèges et des immunités attachés à son mandat, force est de constater que, la décision attaquée n’étant pas fondée sur une telle obligation, cet argument est manifestement inopérant.

49      Enfin, pour autant que le requérant fait valoir que la décision attaquée méconnaît la « jurisprudence constante » de la commission compétente du Parlement, force est de constater qu’une telle méconnaissance, laquelle est également invoquée au soutien des quatrième et cinquième moyens du recours et sera également examinée dans ce cadre, n’est pas de nature à établir l’existence d’une violation de l’article 9 du protocole.

50      Partant, le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision attaquée a été prise en méconnaissance des dispositions de l’article 9 du protocole.

51      En deuxième lieu, s’agissant du moyen tiré de la violation de l’article 2 et de l’article 5, paragraphes 1 et 2, du règlement intérieur, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 2 du règlement intérieur, dans sa version antérieure à la révision du 13 décembre 2016, applicable à l’espèce :

« Les députés au Parlement européen exercent leur mandat de façon indépendante. Ils ne peuvent être liés par des instructions ni recevoir de mandat impératif. »

52      Par ailleurs, l’article 5, paragraphes 1 et 2, du règlement intérieur dispose :

« 1. Les députés jouissent des privilèges et immunités prévus par le protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne.

2. L’immunité parlementaire n’est pas un privilège personnel du député, mais une garantie d’indépendance du Parlement dans son ensemble et de ses députés. »

53      L’article 6, paragraphe 1, du règlement intérieur prévoit :

« Dans l’exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement s’emploie à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’accomplissement de leurs tâches. Toute demande de levée d’immunité est examinée conformément aux articles 7, 8 et 9 du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ainsi qu’aux principes visés au présent article. »

54      Le requérant fait valoir que la levée de son immunité en violation de l’article 9 du protocole porte atteinte à son indépendance, rappelée à l’article 2, à l’article 5, paragraphes 1 et 2, et à l’article 6, paragraphe 1, du règlement intérieur.

55      Dans la mesure où, d’une part, l’argumentation développée par le requérant repose uniquement sur la prétendue violation de l’article 9 du protocole et où, d’autre part, ainsi qu’il a été conclu au point 50 ci-dessus, le moyen tiré de la violation de cet article n’est pas fondé, le moyen tiré de la violation des articles susmentionnés du règlement intérieur ne saurait prospérer.

56      En troisième lieu, le requérant ne saurait utilement se prévaloir de la violation d’un document de travail émanant de la direction générale des études du Parlement, au demeurant non daté, ni du document anonyme intitulé « Workshop sur l’immunité parlementaire dans l’Union européenne » en date du 19 octobre 2015, qui s’apparente à un compte rendu personnel de débats menés sur la question de l’immunité parlementaire, ces documents étant dépourvus de caractère normatif.

57      Il s’ensuit que, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le Parlement, tirée du caractère insuffisamment étayé du troisième moyen, il y a lieu d’écarter les deuxième, troisième et sixième moyens comme non fondés.

 Sur le quatrième moyen, tiré, en substance, de l’atteinte à la « jurisprudence constante » de la commission des affaires juridiques du Parlement en matière de liberté d’expression et de fumus persecutionis et de l’erreur manifeste commise par le Parlement dans son appréciation de l’existence d’un fumus persecutionis, sur le cinquième moyen, tiré des atteintes portées aux principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement, et sur le neuvième moyen, tiré de l’absence de tout fondement des poursuites en France et de la levée de l’immunité

58      À l’appui du quatrième moyen, le requérant soutient que, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation, le Parlement a développé des principes généraux applicables en matière de levée d’immunité, créant ainsi une « jurisprudence » en ce domaine.

59      S’agissant de la liberté d’expression des députés, cette « jurisprudence » ressortirait du rapport adopté les 17 et 18 septembre 1990 par la commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités, de la résolution adoptée par le Parlement le 10 mars 1987 (JO 1987, C 99, p. 44), sur la base du rapport de M. Donnez, d’un document de la commission juridique et du marché intérieur du Parlement, intitulé « Communication aux membres no 11/2003 », du 6 juin 2003 (ci-après la « communication no 11/2003 »), complété par un document de la commission des affaires juridiques du Parlement, intitulé « Communication aux membres no 11/2016 », du 9 mai 2016 (ci-après la « communication no 11/2016 »), et de décisions rendues par le Parlement en matière de levée d’immunité entre le 1er juillet 2003 et le 22 avril 2009.

60      Selon le requérant, il résulterait de cette « jurisprudence » du Parlement qu’une demande de levée de l’immunité devrait être rejetée lorsque les faits à l’origine des poursuites nationales se rapportent à une « expression » du député s’inscrivant dans le cadre de ses activités politiques. Selon lui, tel aurait dû être le cas en l’espèce, dès lors que les propos dont la diffusion lui est reprochée sont directement liés à ses activités politiques, à savoir être membre du parti alors dénommé Front national et directeur de publication du site Internet de ce parti, en tant que membre duquel il a été élu au Parlement.

61      S’agissant du fumus persecutionis, la situation du requérant répondrait, selon lui, aux critères dégagés par la « jurisprudence » ou la « doctrine » du Parlement pour établir l’existence d’un tel fumus persecutionis. Ainsi, la procédure trouverait son origine dans une plainte déposée par une association notoirement hostile au parti politique dont il est membre, peu de temps après les élections européennes de 2014. Ensuite, la demande de levée de l’immunité aurait été adressée au Parlement près de deux ans après les faits litigieux. Les poursuites seraient également dénuées de tout fondement. En outre, la rédaction du rapport aurait été confiée par la commission des affaires juridiques à un adversaire déclaré du Front national. Le rapport serait d’ailleurs entaché d’une erreur de fait dès lors que la plainte initiale aurait été déposée contre X et non contre lui, comme cela est indiqué à tort dans le rapport. Par ailleurs, le gouvernement français, qui aurait adressé le même jour deux demandes de levée de l’immunité du requérant, aurait volontairement omis de préciser que le requérant encourait une peine accessoire d’inéligibilité. Enfin, le Parlement n’aurait pas permis au requérant de s’exprimer avant le vote en séance plénière.

62      Selon le requérant, le Parlement ne pouvait se départir de sa « jurisprudence » sans une motivation particulière sur ce point.

63      À l’appui du cinquième moyen, le requérant fait valoir que, en levant son immunité en méconnaissance de la « jurisprudence » établie par le Parlement, ce dernier a méconnu les principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement.

64      Au soutien de son neuvième moyen, le requérant soutient que les poursuites dont il fait l’objet en France sont dépourvues de tout fondement dès lors qu’il n’est pas l’auteur des propos en cause, lesquels ont été retirés du site officiel du Front national le jour même de leur diffusion et qu’il ne peut, de ce fait, faire l’objet de sanctions en application des dispositions de la loi 2004-575, du 21 juin 2004, pour la confiance dans l’économie numérique (JORF du 22 juin 2004, p. 11168). Ces poursuites révéleraient ainsi une volonté manifeste de persécution, tant de sa personne que du parti dont il est membre. Il ajoute que, selon lui, l’absence manifeste de fondement des poursuites constitue un indice grave et concordant de fumus persecutionis.

65      Le Parlement conteste ces allégations.

–       Sur les griefs tirés de l’atteinte à la « jurisprudence constante » du Parlement et de la violation des principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

66      En ce qui concerne l’atteinte alléguée à la « jurisprudence constante » du Parlement et la violation du principe d’égalité de traitement, il y a lieu de rappeler que les institutions sont tenues d’exercer leurs compétences en conformité avec les principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe d’égalité de traitement et le principe de bonne administration, et que, eu égard à ces principes, il leur appartient de prendre en considération les décisions déjà prises sur des demandes similaires et de s’interroger avec une attention particulière sur la question de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens. En outre, les principes d’égalité de traitement et de bonne administration doivent se concilier avec le respect de la légalité (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 109 et jurisprudence citée).

67      Il convient de rappeler, à cet égard, que le principe d’égalité de traitement s’oppose, notamment, à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 110 et jurisprudence citée).

68      S’agissant du principe de sécurité juridique, il peut être souligné que ce principe, qui a pour corollaire celui de la protection de la confiance légitime, exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C‑98/14, EU:C:2015:386, point 77 et jurisprudence citée).

69      Quant au principe de protection de la confiance légitime, il peut être rappelé que, selon une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir de ce principe appartient à tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître à son égard des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants. En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence desdites assurances (voir arrêt du 13 septembre 2017, Pappalardo e.a./Commission, C‑350/16 P, EU:C:2017:672, point 39 et jurisprudence citée).

70      En l’espèce, en premier lieu, en tant que le requérant fait valoir que la décision attaquée aurait méconnu la pratique constante du Parlement consistant à refuser de lever l’immunité de ses membres dès lors que les faits, objets des poursuites nationales contre ces derniers, auraient trait à une activité politique, force est de constater que le requérant n’a pas établi l’existence d’une telle pratique à la date d’adoption de la décision attaquée.

71      En effet, il y a lieu de relever que, selon la communication no 11/2016, qui recense différents principes applicables aux affaires d’immunité selon la commission des affaires juridiques du Parlement :

« 42. Une opinion est réputée émise dans l’exercice des fonctions du député si celui-ci l’exprime dans l’enceinte du Parlement européen. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, une opinion peut également être réputée émise dans l’exercice des fonctions du député si celui-ci livre en dehors du Parlement européen une appréciation subjective qui présente un lien direct et évident avec l’exercice de ses fonctions de député au Parlement européen. […]

43. Lorsque la procédure en question ne porte pas sur des opinions ou votes émis par un député dans l’exercice de ses fonctions, il convient de lever l’immunité à moins qu’il ne s’avère que la finalité qui sous-tend les poursuites soit de porter préjudice à l’activité politique du député et, partant, à l’indépendance du Parlement (fumus persecutionis). »

72      Ainsi, selon cette communication, lorsqu’il est saisi d’une demande de levée d’immunité, le Parlement examine d’abord si les faits reprochés à l’intéressé présentent un lien avec ses fonctions de député au Parlement et s’ils sont couverts par l’immunité prévue à l’article 8 du protocole. Si tel n’est pas le cas, le Parlement apprécie l’existence d’un fumus persecutionis, lequel est constaté si la finalité des poursuites nationales est de nuire à l’activité politique du député. À défaut de cas de fumus persecutionis, le Parlement décide de lever l’immunité. Les huit décisions rendues, durant la législature 2014-2019, en matière de levée d’immunité au titre de déclarations d’un député faites avant son mandat ou relatives à des faits antérieurs à ce mandat, transmises dans la duplique par le Parlement, confirment la mise en pratique d’une telle méthode par le Parlement.

73      Dans ce contexte, ni les documents généraux du Parlement ou de ses organes, émis entre les années 1987 et 2003, dont se prévaut le requérant, ni les décisions invoquées par le requérant, aux points 17 à 21 de la réplique, et adoptées par le Parlement au cours des années 2003 à 2009, ne sauraient établir que, à la date d’adoption de la décision attaquée, il existait une pratique constante du Parlement consistant à rejeter les demandes de levée d’immunité parlementaire fondées sur des faits ayant trait à l’activité politique des députés.

74      En second lieu, en tant que le requérant fait valoir que la décision attaquée aurait méconnu la pratique constante du Parlement en matière de fumus persecutionis, il y a lieu de rappeler que cette notion est définie au point 3 de la communication no 11/2003 comme la présomption que les poursuites judiciaires à l’encontre d’un député sont entamées dans l’intention de porter atteinte à ses activités politiques. La communication identifie divers cas dans lesquels cette présomption s’applique, notamment si l’enquête résulte d’une dénonciation anonyme, si la demande de levée de l’immunité a été introduite longtemps après les faits reprochés, s’il s’agit de poursuites en diffamation engagées par un adversaire politique, si les poursuites sont engagées en raison de faits anciens, pendant une campagne électorale ou pour faire de l’accusé un exemple.

75      À cet égard, contrairement à ce que soutient le Parlement, il ne saurait être considéré que la communication no 11/2003 a été remplacée par la communication no 11/2016. En effet, la première indique clairement qu’il s’agit d’un document établi sur la base des décisions prises par le Parlement en matière de levée d’immunité et qui tente d’en extraire des principes communs. La seconde, qui ne fait aucune référence à la communication no 11/2003, identifie, eu égard à la jurisprudence de la Cour, différents principes, tant de procédure que de fond, que la commission des affaires juridiques entend appliquer aux affaires d’immunité.

76      En l’espèce, premièrement, il y a lieu de constater que les poursuites contre le requérant ont été engagées sur la base, non pas d’une dénonciation anonyme, mais d’une plainte déposée par le bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, à savoir une association habilitée par la loi française à poursuivre devant les tribunaux les paroles ou les écrits antisémites en application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (Bulletin des Lois, 1881, no 637, p. 125). Il s’ensuit que la plainte à l’origine des poursuites n’est pas une plainte en diffamation engagée par un adversaire politique du requérant. Deuxièmement, il y a lieu de constater que les faits litigieux datent du 6 juin 2014, que la plainte a été déposée le 12 août 2014 et que l’instruction judiciaire, au cours de laquelle le requérant a été entendu, a été ouverte le 5 février 2015. Dans ces conditions, et compte tenu des délais liés à l’instruction judiciaire, il ne saurait être considéré que les poursuites ou la demande de levée d’immunité visant le requérant, datée du 14 avril 2016, se rapportaient à des faits anciens. Troisièmement, ces poursuites n’ont pas été engagées pendant une campagne électorale. Quatrièmement, il ne ressort pas du dossier que ces poursuites auraient été engagées pour faire de l’accusé un exemple.

77      Il s’ensuit qu’aucun des cas identifiés par la communication no 11/2003 dans lesquels un cas de fumus persecutionis pourrait être présumé n’est présent en l’espèce.

78      Partant, le requérant ne démontre pas que, par la décision attaquée, le Parlement aurait, sans motivation spécifique, méconnu sa pratique décisionnelle antérieure concernant tant la liberté d’expression que l’existence d’un éventuel fumus persecutionis et, par suite, réservé au requérant un traitement différent de celui qui est habituellement réservé aux députés au Parlement dans des situations comparables.

79      Il s’ensuit que le requérant n’établit pas l’existence d’une atteinte portée au principe d’égalité de traitement. Par voie de conséquence, dans la mesure où les griefs tirés des atteintes portées aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime sont fondés sur la méconnaissance alléguée de la pratique décisionnelle du Parlement, le requérant n’établit pas le bien-fondé de tels griefs. Partant, il y a lieu de les écarter.

–       Sur le grief tiré de l’erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence d’un fumus persecutionis

80      Le requérant soutient que le Parlement a commis une erreur manifeste d’appréciation en écartant l’hypothèse d’un cas de fumus persecutionis.

81      À cet égard, d’une part, il y a lieu de rappeler que le requérant n’a pas établi que, en l’espèce, la demande de levée d’immunité relevait de l’un des cas identifiés par la communication no 11/2003 dans lesquels une présomption de fumus persecutionis pourrait être retenue.

82      D’autre part, s’agissant des autres éléments de fait invoqués par le requérant, il y a lieu de relever, premièrement, que la circonstance que la plainte a été déposée peu de temps après les élections européennes de 2014 n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, de nature à établir l’existence d’un cas de fumus persecutionis, dès lors que la plainte a été déposée peu après les faits reprochés.

83      Deuxièmement, la question de savoir si les conditions pour une levée d’immunité sont remplies est distincte de celle de savoir si les poursuites sont justifiées et si l’infraction est établie. Ces dernières questions relèvent en effet de la seule compétence des autorités de l’État membre qui a sollicité la levée de l’immunité. À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 9, paragraphe 7, du règlement intérieur dispose que la commission compétente du Parlement « ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député ni sur l’opportunité ou non de le poursuivre au pénal pour les opinions ou actes qui lui sont imputés, même dans le cas où l’examen de la demande permet à la commission d’acquérir une connaissance approfondie de l’affaire ».

84      Partant, le requérant ne saurait utilement contester l’opportunité des poursuites au motif, exposé lors de l’audience, que l’auteur des propos litigieux étant connu, les poursuites engagées à son égard, en sa qualité de directeur de publication, n’étaient pas nécessaires.

85      De même, les arguments tirés de ce que l’infraction, objet des poursuites, ne serait pas constituée, sont inopérants. Tel est le cas du fait que, selon le requérant, sa responsabilité pénale ne saurait être engagée en application de l’article 6, paragraphe I, troisième alinéa, de la loi no 2004/575, du 21 juin 2004, pour la confiance dans l’économie numérique, dès lors qu’il avait retiré du site du Front national les propos de M. Le Pen le jour même de leur diffusion, avant toute plainte. En effet, il n’appartient ni au Parlement ni au Tribunal d’apprécier si les conditions d’application de cette loi sont réunies. De même, est inopérant l’argument tiré de ce que les faits reprochés au requérant ne seraient pas susceptibles de constituer une infraction au droit de l’Union alors, au surplus, que les faits sont poursuivis au regard du droit français. Enfin, en tout état de cause, le requérant ne saurait utilement faire valoir qu’il n’est pas l’auteur des propos litigieux dès lors qu’il fait l’objet de poursuites en sa qualité de directeur de publication du site officiel du Front national.

86      Troisièmement, dans la mesure où l’existence d’un fumus persecutionis dépend uniquement de la question de savoir si les poursuites à l’échelle nationale ont été engagées dans l’intention de nuire à l’activité politique du député, force est de constater que les arguments développés par le requérant visant à faire valoir un prétendu manque d’impartialité et d’objectivité du Parlement, s’agissant en particulier du choix du rapporteur et de l’absence d’audition par l’assemblée plénière, sont inopérants. Il en va de même, pour les mêmes motifs, de l’affirmation du requérant selon laquelle le gouvernement français aurait, à dessein, omis d’informer le Parlement de la peine d’inéligibilité qui pourrait le frapper.

87      Il s’ensuit que le grief tiré de l’erreur manifeste d’appréciation doit être écarté et, partant, les quatrième, cinquième et neuvième moyens dans leur ensemble.

 Sur le septième moyen, tiré de la méconnaissance des dispositions du règlement intérieur relatives à la procédure susceptible d’aboutir à la déchéance d’un député

88      Le requérant fait valoir que les faits pour lesquels il est poursuivi sont susceptibles d’être sanctionnés, en droit français, par une peine complémentaire d’inéligibilité qui entraînerait ipso facto la déchéance de ses mandats électifs. Or, il soutient que l’existence de cette peine accessoire n’aurait pas été portée à la connaissance du Parlement par le gouvernement français, en méconnaissance des dispositions de l’article 3, paragraphe 4, deuxième alinéa, et de l’article 9, paragraphe 5, du règlement intérieur. Le requérant soutient également qu’aucun organe du Parlement n’en aurait « demandé compte » au gouvernement français alors qu’il s’agissait d’un élément essentiel qui aurait dû être porté à la connaissance de la commission des affaires juridiques, laquelle aurait pu en tenir compte dans son rapport, même si la condamnation du requérant à une telle peine complémentaire serait improbable.

89      Le requérant en déduit que l’omission de cette formalité substantielle vicie le rapport de la commission des affaires juridiques ainsi que la décision attaquée, dès lors, notamment, que les membres du Parlement auraient pu protéger son immunité s’ils avaient été informés des conséquences possibles des poursuites à son égard.

90      Le Parlement conteste les allégations du requérant.

91      Le requérant doit être regardé comme faisant valoir la violation de l’article 3, paragraphe 6, second alinéa, du règlement intérieur, selon lequel :

« Lorsque les autorités compétentes des États membres entament une procédure susceptible d’aboutir à la déchéance du mandat d’un député, le Président leur demande à être régulièrement informé de l’état de la procédure, et en saisit la commission, sur proposition de laquelle le Parlement peut se prononcer. »

92      Le requérant se prévaut également, en substance, de l’article 9, paragraphe 4, du règlement intérieur, dans sa version applicable à l’espèce, qui prévoit :

« La commission peut demander à l’autorité intéressée de lui fournir toutes informations et précisions qu’elle estime nécessaires pour déterminer s’il convient de lever ou de défendre l’immunité. »

93      En tant que le requérant soutient que les autorités françaises ont manqué à l’obligation, qui résulterait pour elles de l’article 3, paragraphe 6, second alinéa, du règlement intérieur, d’informer le Parlement de l’existence d’une procédure susceptible d’aboutir à la déchéance du mandat du requérant, il convient de constater que cet article ne prévoit aucune obligation en ce sens à la charge des États membres. En effet, il définit la procédure à suivre par le président du Parlement et non par les États membres. Au demeurant, il est exclu qu’une quelconque obligation à la charge des États membres puisse être établie sur le fondement du règlement intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 137).

94      En tout état de cause, il y a lieu de relever que l’article 3, paragraphe 6, second alinéa, du règlement intérieur concerne la vérification des pouvoirs des députés et vise uniquement à permettre au Parlement d’être tenu informé des suites réservées par les autorités nationales à une procédure susceptible d’aboutir à la déchéance d’un député et au remplacement éventuel de celui-ci. Il s’agit ainsi d’une disposition qui a pour objet d’assurer le bon fonctionnement interne du Parlement (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, points 140 et 141).

95      Partant, ainsi que le fait valoir le Parlement, les dispositions de l’article 3, paragraphe 6, second alinéa, du règlement intérieur sont dépourvues de lien avec la procédure de levée de l’immunité d’un député, y compris avec la possibilité, prévue à l’article 9, paragraphe 4, du règlement intérieur, que la commission compétente demande à l’autorité nationale intéressée de lui fournir toutes informations nécessaires pour déterminer s’il convient ou non de lever l’immunité.

96      Il s’ensuit que le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision attaquée a été prise à l’issue d’une procédure contraire aux dispositions de l’article 3, paragraphe 6, second alinéa, et de l’article 9, paragraphe 4, du règlement intérieur. Il y a lieu, en conséquence, d’écarter le septième moyen.

 Sur le huitième moyen, tiré de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense

97      Le requérant soutient que la décision attaquée a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense dès lors qu’il n’a pas eu la possibilité de se défendre lors du vote du Parlement, réuni en séance plénière. Il fait valoir que son audition devant la commission des affaires juridiques ne saurait suppléer le fait qu’il n’a pas été entendu en séance plénière alors que cette commission a siégé à huis clos, que son audition n’a duré que dix minutes alors qu’il faisait l’objet de deux demandes de levée d’immunité, qu’elle a été programmée après 18 heures et qu’il ne connaissait pas le sens du rapport préparé par le rapporteur. Il ajoute que, dans le cadre de toute procédure juridique, les mêmes personnes doivent participer à la fois à l’audition de l’intéressé et à l’adoption de la décision concernant ce dernier, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

98      Le requérant reconnaît que, certes, l’article 9, paragraphe 8, troisième alinéa, du règlement intérieur exclut la possibilité qu’il puisse intervenir dans le débat. Il excipe toutefois de l’illégalité de cette disposition, ainsi que, dans la réplique, de l’illégalité de l’article 150 dudit règlement, selon lequel les points inscrits à l’ordre du jour en vue d’un vote sans amendement ne font pas l’objet d’un débat. Il fait valoir la contradiction entre ces dispositions et les principes généraux du droit de l’Union, en particulier, le respect des droits de la défense, dont le droit d’être entendu, la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, notamment son article 6, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment ses articles 47 et 48, la résolution du Parlement du 9 juin 2016 pour une administration de l’Union ouverte, efficace et indépendante [2016/2610(RSP)], le « simple bon sens » et la plupart des usages parlementaires. Il ajoute que les dispositions de l’article 9, paragraphe 8, troisième alinéa, du règlement intérieur ne sauraient être justifiées pour des raisons de confidentialité dès lors que l’ensemble des membres du Parlement ont accès au rapport de la commission des affaires juridiques.

99      Le Parlement conteste ces allégations.

100    S’agissant, en premier lieu, des exceptions d’illégalité invoquées, il y a lieu de préciser que, selon l’article 9 du règlement intérieur, dans sa rédaction applicable à l’espèce :

« 1. Toute demande adressée au Président par une autorité compétente d’un État membre en vue de lever l’immunité d’un député, ou par un député ou un ancien député en vue de défendre des privilèges et immunités, est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

Le député ou ancien député peut être représenté par un autre député. La demande ne peut être adressée par un autre député sans l’accord du député concerné. […]

3. La commission présente une proposition de décision motivée qui recommande l’adoption ou le rejet de la demande de levée de l’immunité ou de défense des privilèges et immunités. […]

5. Le député concerné reçoit la possibilité d’être entendu, il peut présenter tout document ou élément de preuve écrit qu’il juge pertinent et il peut être représenté par un autre député.

Le député n’assiste pas aux débats sur la demande de levée ou de défense de son immunité, si ce n’est lors de l’audition elle-même. […]

8. Le rapport de la commission est inscrit d’office en tête de l’ordre du jour de la première séance suivant son dépôt. Aucun amendement à la ou aux propositions de décision n’est recevable.

Le débat ne porte que sur les raisons qui militent pour et contre chacune des propositions de levée, de maintien ou de défense d’un privilège ou de l’immunité.

Sans préjudice des dispositions de l’article 164, le député dont les privilèges ou immunités font l’objet d’un examen ne peut intervenir dans le débat.

La ou les propositions de décision contenues dans le rapport sont mises aux voix à l’heure des votes qui suit le débat […] »

101    Aux termes de l’article 150, paragraphe 2, du règlement intérieur :
« Les points inscrits au projet définitif d’ordre du jour en vue d’un vote sans amendement ne font pas non plus l’objet d’un débat, sauf si le Parlement en décide autrement, lors de l’adoption de l’ordre du jour au début de la période de session, sur proposition de la Conférence des présidents ou à la demande d’un groupe politique ou de quarante députés au moins. »

102    Il y a également lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense, et notamment du droit d’être entendu, dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental du droit de l’Union et doit être assuré, même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure en cause. Ce principe a d’ailleurs été consacré par l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 175 et jurisprudence citée).

103    En vertu de ce principe, l’intéressé doit avoir eu la possibilité, préalablement à l’adoption de la décision le concernant, de faire valoir utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances sur la base desquels cette décision a été adoptée (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 176 et jurisprudence citée).

104    Il s’ensuit que, conformément à ces principes, une décision ne saurait être adoptée sur le fondement d’éléments de fait et de circonstances sur lesquels l’intéressé n’aurait pas été en mesure de faire utilement valoir son point de vue avant l’adoption de cette décision (arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 177).

105    Le droit d’être entendu n’implique toutefois pas nécessairement la tenue d’un débat public dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci (arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 178).

106    Le respect des droits de la défense et du contradictoire n’implique par conséquent pas que l’adoption, par le Parlement, d’une décision concernant la levée de l’immunité d’un député soit nécessairement précédée d’un débat en séance plénière (arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 179).

107    En outre, en application des dispositions du règlement intérieur reproduites au point 100 ci-dessus, après la transmission de la demande de levée de l’immunité d’un député à la commission compétente, le député ou son représentant est, sur demande, entendu par cette commission. Il peut présenter autant de documents et d’éléments d’appréciation écrits qu’il juge pertinents. Un rapport est ensuite préparé par le membre de la commission désigné comme rapporteur, rapport auquel est annexée la proposition de décision. Celle-ci est ensuite soumise au vote des membres de la commission.

108    Or, la proposition de décision est un acte de la commission parlementaire compétente et non un acte adopté individuellement par les députés (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 197). Partant, la circonstance invoquée par le requérant que les députés assistant à l’audition du député concerné en commission ne sont pas obligatoirement les mêmes que ceux qui prennent part au vote au sein de cette commission n’est pas de nature à priver d’utilité cette audition.

109    À cet égard, s’agissant d’une demande de levée d’immunité qui, ainsi qu’il a été relevé au point 28 ci-dessus, revêt un caractère politique, aucun parallélisme ne saurait être établi avec les règles qui régissent les procédures disciplinaires ou judiciaires quant à la composition de l’instance délibérante chargée de se prononcer à l’égard desdites procédures, lesquelles exigent que seuls les membres ayant participé aux auditions prennent part aux délibérations (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 202).

110    Dans ces conditions, le requérant n’établit pas que la possibilité d’être entendu devant les seuls membres de la commission compétente priverait d’utilité une telle audition.

111    Il s’ensuit que le grief tiré de ce que l’article 9, paragraphe 8, troisième alinéa, et l’article 150, paragraphe 2, du règlement intérieur porteraient atteinte aux droits de la défense doit être écarté.

112    Par ailleurs, les griefs tirés de ce que les dispositions de l’article 9, paragraphe 8, troisième alinéa, et de l’article 150, paragraphe 2, du règlement intérieur seraient contraires aux articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux relatifs, respectivement, au droit à un recours effectif et à l’accès à un tribunal impartial, d’une part, et à la présomption d’innocence et au respect des droits de la défense garanti à tout accusé, d’autre part, doivent être écartés comme étant inopérants. En effet, ces dispositions garantissent le respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, et non administrative, comme en l’espèce.

113    Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lesquelles visent le droit à un procès équitable et s’appliquent ainsi aux procédures juridictionnelles.

114    Le grief tiré de la méconnaissance de la résolution du Parlement du 9 juin 2016 pour une administration de l’Union ouverte, efficace et indépendante [2016/2610(RSP)], est également inopérant dès lors que cette résolution ne comporte aucune disposition contraignante. Elle se limite ainsi à inviter la Commission européenne à examiner une proposition de règlement annexée à cette résolution et à lui demander de présenter une proposition législative à cet égard.

115    Enfin, le requérant n’établit pas que les dispositions en cause du règlement intérieur seraient contraires au bon sens et à la plupart des usages parlementaires en se bornant à se référer à l’article 80, paragraphe 7, du règlement de l’Assemblée nationale française, lequel, au demeurant, concerne la procédure menée devant la commission chargée de l’examen des demandes de suspension de la détention, des mesures privatives ou restrictives de liberté ou de la poursuite d’un député et non la procédure relative à l’examen des demandes de levée de l’immunité parlementaire.

116    Partant, il y a lieu d’écarter les exceptions d’illégalité dirigées contre l’article 9, paragraphe 8, troisième alinéa, et l’article 150, paragraphe 2, du règlement intérieur.

117    En second lieu, en tant que le requérant soutient que, eu égard aux circonstances de l’espèce, la décision attaquée a été prise à l’issue d’une procédure contraire aux droits de la défense, en particulier, au droit d’être entendu, il y a lieu de constater que le requérant ne conteste pas avoir été entendu devant la commission des affaires juridiques le 26 septembre 2016 avant que celle-ci n’adopte sa proposition de décision.

118    À cet égard, les arguments tirés de ce que le débat au sein de la commission compétente se serait déroulé à huis clos et que l’audition du requérant aurait eu lieu après 18 h 00, c’est-à-dire après la clôture des travaux de cette commission, selon les indications figurant sur l’ordre du jour, sont, en l’absence d’autres indications, dépourvus de toute incidence sur la possibilité pour le requérant de faire utilement valoir son point de vue.

119    De même, la circonstance que le requérant n’aurait disposé que de dix minutes pour présenter ses observations alors même qu’il faisait l’objet de deux demandes de levée de son immunité parlementaire, n’est pas, en elle-même, de nature à établir la méconnaissance de son droit à être entendu. Au demeurant, il ne soutient pas avoir sollicité en vain une extension de son temps de parole.

120    En tout état de cause, force est de constater que le requérant n’établit pas, ni même ne soutient, que la commission des affaires juridiques ou le Parlement aurait pris en compte des éléments de fait ou des circonstances sur lesquels il n’aurait pas été en mesure de faire valoir son point de vue avant l’adoption de la décision relative à la levée de son immunité.

121    En outre, s’agissant du grief tiré de ce que le débat devant la commission compétente aurait eu lieu avant que la teneur du projet de rapport ne soit connue du requérant, ce qui ne lui aurait pas permis de se défendre adéquatement, il y a lieu de relever que, en tout état de cause, le requérant reste en défaut d’établir qu’un projet de rapport existait déjà au moment de son audition, le 26 septembre 2016, et que celui-ci aurait préalablement été porté à la connaissance des membres de la commission compétente, mais non à la sienne (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 194).

122    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le huitième moyen doit être écarté comme non fondé.

 Sur le dixième moyen, tiré du détournement de pouvoir

123    Dans la réplique, le requérant fait valoir que la décision attaquée est entachée d’un détournement de pouvoir dès lors qu’elle a été prise dans le but exclusif ou, à tout le moins, déterminant, de lui nuire, et renvoie, sur ce point, à ses développements concernant l’existence d’un fumus persecutionis. Il fait également valoir que, en sollicitant la levée de son immunité, le gouvernement français visait à nuire au parti auquel il appartient dans le contexte des élections présidentielles françaises de 2017 et à l’empêcher de se présenter à de prochaines élections.

124    À cet égard, il convient de rappeler qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 22 décembre 2005, Gorostiaga Atxalandabaso/Parlement, T‑146/04, EU:T:2005:584, point 145 et jurisprudence citée).

125    Il s’ensuit que, aux fins d’établir que le Parlement a entaché la décision attaquée d’un détournement de pouvoir, le requérant ne saurait utilement faire valoir que les poursuites nationales révèlent une volonté du gouvernement de lui nuire ou de nuire au parti politique auquel il appartient.

126    Par ailleurs, aux fins d’établir l’existence d’un détournement de pouvoir, le requérant ne saurait tirer argument du fait qu’il n’a pas pu s’exprimer devant l’assemblée plénière du Parlement, une telle impossibilité étant prévue par l’article 9, paragraphe 8, troisième alinéa, du règlement intérieur, dont l’illégalité n’a pas été démontrée par le requérant.

127    En outre, ni la circonstance que la commission des affaires juridiques a désigné en tant que rapporteur un député membre du parti communiste, ni l’erreur de fait contenue dans le rapport établi par ce dernier, qui indiquerait à tort que la plainte du bureau national de vigilance contre l’antisémitisme a été déposée contre le requérant nommément désigné, ne sont de nature, à elles seules, à révéler une volonté de persécuter le requérant ou le parti auquel il appartient.

128    Partant, il y a lieu d’écarter le dixième moyen, sans qu’il soit besoin de statuer sur sa recevabilité, et, par voie de conséquence, les conclusions en annulation dans leur ensemble.

 Sur les conclusions indemnitaires

129    Le requérant sollicite la condamnation du Parlement à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il aurait subi. Il fait valoir que les poursuites pénales en France et la levée de son immunité visent à son inéligibilité, à la perte de ses mandats électifs et à ce qu’il lui soit interdit de se présenter à de prochaines élections.

130    À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T‑346/11 et T‑347/11, EU:T:2013:23, point 210 et jurisprudence citée).

131    Dès lors que l’une des conditions mentionnées au point 130 ci-dessus n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de ladite responsabilité (arrêts du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, EU:C:1994:329, point 81, et du 10 décembre 2009, Antwerpse Bouwwerken/Commission, T‑195/08, EU:T:2009:491, point 91).

132    En l’espèce, la demande indemnitaire doit être regardée comme étant fondée sur l’illégalité de la décision attaquée. Or, l’ensemble des moyens présentés par le requérant en vue d’établir l’illégalité de cette décision ont été rejetés.

133    Il s’ensuit que les conclusions indemnitaires doivent être rejetées comme non fondées.

 Sur la demande visant à condamner le Parlement à verser au requérant la somme de 5 000 euros au titre des dépens récupérables

134    Le requérant demande que le Parlement soit condamné à lui verser, au titre du remboursement des dépens récupérables, la somme de 5 000 euros.

135    À cet égard, d’une part, il doit être relevé que la taxation des dépens fait l’objet d’une procédure régie par les dispositions de l’article 170 du règlement de procédure, distincte de la décision sur la répartition des dépens, visée à l’article 133 de ce règlement. D’autre part, il ne saurait être procédé à la taxation des dépens qu’à la suite de l’arrêt ou de l’ordonnance mettant fin à l’instance (voir ordonnance du 6 mars 2017, Le Pen/Parlement, T‑140/16, non publiée, EU:T:2017:151, point 39 et jurisprudence citée).

136    Il s’ensuit que la demande visant à condamner le Parlement à verser au requérant la somme de 5 000 euros au titre des dépens récupérables est prématurée et, partant, irrecevable.

137    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

138    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé, conformément aux conclusions du Parlement.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Jean-François Jalkh supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement européen, y compris les dépens afférents à la procédure de référé.

Tomljenović

Bieliūnas

Marcoulli

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 octobre 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

I. Pelikánová


* Langue de procédure : le français