Language of document : ECLI:EU:T:2024:99

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

21 février 2024 (*)

« Agriculture – Appellation d’origine protégée – Procédure d’opposition – Enregistrement de la dénomination « Χαλλούμι » (Halloumi)/« Hellim » (AOP) – Article 52, paragraphe 3, sous b), du règlement (UE) no 1151/2012 – Obligation de motivation – Durée de la procédure administrative – Étendue du contrôle exercé par la Commission sur la demande d’enregistrement – Principe de bonne administration »

Dans l’affaire T‑361/21,

Papouis Dairies Ltd, établie à Nicosie (Chypre), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentées par Me N. Korogiannakis, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. M. Konstantinidis, B. Hofstötter et B. Rechena, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République de Chypre, représentée par Mmes E. Zachariadou, I. Neophytou, E. Symeonidou et M. Marinou, en qualité d’agents, assistées de Me T. Georgopoulos, avocat,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de Mme O. Porchia, présidente, MM. L. Madise (rapporteur) et P. Nihoul, juges,

greffier : M. A. Marghelis, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 6 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Papouis Dairies Ltd et les autres personnes morales dont les noms figurent en annexe, demandent l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2021/591 de la Commission, du 12 avril 2021, enregistrant une dénomination dans le registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées [« Χαλλούμι » (Halloumi)/« Hellim » (AOP)] (JO 2021, L 125, p. 42, ci-après le « règlement attaqué »).

I.      Antécédents du litige

2        Le halloumi est un fromage chypriote ayant une odeur et une saveur caractéristiques. Il est fabriqué avec du lait de brebis ou de chèvre, ou un mélange des deux, avec ou sans lait de vache. Il possède la propriété de ne pas fondre à haute température.

3        Le 5 avril 2012, plusieurs sociétés et organisations chypriotes opérant dans le secteur de la production de fromage ont introduit, auprès des autorités chypriotes, une demande d’enregistrement de la dénomination « Χαλλούμι » (Halloumi)/« Hellim » (ci-après la « dénomination en litige ») en tant qu’appellation d’origine protégée (AOP). Cette demande était fondée sur la norme de fabrication chypriote CYS 94 de 1985 (ci‑après la « norme de 1985 »), qui prévoit, notamment, que le halloumi peut être produit à partir de lait de brebis ou de chèvre, ou d’un mélange des deux, avec ou sans lait de vache. Cette demande visait à ce que cette norme fût interprétée comme obligeant les producteurs de halloumi à utiliser plus de 50 % de lait de brebis ou de chèvre. En d’autres termes, lorsque du lait de vache est ajouté à du lait de brebis ou de chèvre ou au mélange des deux, il ne serait pas permis d’utiliser une quantité de lait de vache supérieure à la quantité du lait de chèvre ou de brebis ou du mélange des deux.

4        La demande d’enregistrement a été publiée le 30 novembre 2012 dans l’Episimi Efimerida tis Kypriakis Dimokratias.

5        Le 14 novembre 2013, une réunion s’est tenue entre les autorités chypriotes et les entités ayant soulevé une objection, sans qu’un accord ait pu être trouvé.

6        Le 9 juillet 2014, le ministre de l’Agriculture, des Ressources naturelles et de l’Environnement de la République de Chypre a rejeté les objections soulevées et a publié, le même jour, la demande d’enregistrement dans l’Episimi Efimerida tis Kypriakis Dimokratias.

7        Le 17 juillet 2014, les autorités chypriotes ont, en application de l’article 49, paragraphe 4, du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (JO 2012, L 343, p. 1), déposé auprès de la Commission européenne la demande portant la référence CY/PDO/0005/01243 et visant à obtenir l’enregistrement de la dénomination en litige en tant qu’AOP, étant précisé que la composition du lait exigée par le cahier des charges faisait référence à une prédominance du lait de brebis ou de chèvre ou d’un mélange des deux.

8        La demande d’enregistrement a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 28 juillet 2015 (JO 2015, C 246, p. 9).

9        À la suite de la publication de la demande d’enregistrement, la Commission a reçu, entre le 21 octobre 2015 et le 3 novembre 2015, dix-sept actes d’opposition, qu’elle a transmis à la République de Chypre, à l’exception de celui présenté par la République de Finlande, déposé hors délai, et de ceux présentés par des personnes physiques ou morales résidant ou établies à Chypre. Ces actes d’opposition ont, en application de l’article 51, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, été suivis, pour neuf d’entre eux, par des déclarations d’opposition motivées, reçues par la Commission entre le 15 décembre 2015 et le 24 décembre 2015.

10      Après avoir examiné la recevabilité de ces déclarations d’opposition motivées, la Commission a invité toutes les parties intéressées, conformément à l’article 51, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012, à engager des consultations appropriées en vue de parvenir à un accord. Les consultations ont été menées entre la République de Chypre et les neuf parties ayant déposé une déclaration d’opposition motivée recevable. Aucun accord n’a toutefois été trouvé à l’issue de ces consultations.

11      Les informations relatives à ces consultations ont ensuite été transmises à la Commission, qui a entrepris l’examen des oppositions à partir du mois de septembre 2016.

12      La Commission a, le 12 avril 2021, adopté le règlement attaqué.

II.    Faits postérieurs à l’adoption du règlement attaqué

13      Le Dioikitiko Dikastirio (tribunal administratif, Chypre) a, par un jugement rendu le 14 juin 2021 (ci-après le « jugement du 14 juin 2021 »), annulé certains actes adoptés par les autorités chypriotes dans le cadre de la procédure nationale préalable au dépôt de la demande d’enregistrement auprès de la Commission.

14      Postérieurement à l’enregistrement de la dénomination en litige, le cahier des charges de cette dénomination a fait l’objet d’une modification standard, au titre de l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012 (ci-après la « première modification standard du cahier des charges »), qui a fait l’objet d’une publication au Journal officiel de l’Union européenne le 24 octobre 2022 (JO 2022, C 407, p. 11).

15      Le cahier des charges de la dénomination en litige a fait l’objet d’une nouvelle modification standard, au titre de l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012 (ci-après la « deuxième modification standard du cahier des charges »), qui a fait l’objet d’une publication au Journal officiel de l’Union européenne le 13 février 2023 (JO 2023, C 53, p. 5).

16      Le cahier des charges de la dénomination en litige a fait l’objet d’une nouvelle modification standard, au titre de l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012 (ci-après la « troisième modification standard du cahier des charges »), qui a fait l’objet d’une publication au Journal officiel de l’Union européenne le 10 mai 2023 (JO 2023, C 165, p. 14).

III. Conclusions des parties

17      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué, « y compris et tel que modifié » par les première, deuxième et troisième modifications standard du cahier des charges ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les demandes d’adaptation de la requête comme irrecevables ;

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

19      La République de Chypre conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

IV.    En droit

A.      Sur les mémoires en adaptation

20      Les requérantes ont, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, successivement introduit trois mémoires en adaptation à la suite de la publication des première, deuxième et troisième modifications standard du cahier des charges.

21      La Commission fait valoir que les demandes d’adaptation présentées par les requérantes ne sont pas recevables.

22      Aux termes de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.

23      En tant qu’exception au principe d’immutabilité de l’instance, l’article 86 du règlement de procédure doit être interprété strictement (arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission, C‑114/17 P, EU:C:2018:753, point 54).

24      En outre, il convient de relever que l’adaptation de la requête par un acte déposé au greffe du Tribunal en cours d’instance est un acte de procédure qui équivaut à l’introduction d’un recours en annulation par voie de requête. La jurisprudence constante fixant les conditions de forme et de fond d’un tel recours s’applique donc par analogie [voir arrêt du 16 juin 2021, Lucaccioni/Commission, T‑316/19, EU:T:2021:367, point 70 (non publié) et jurisprudence citée].

25      Aux fins de l’examen de l’admissibilité des mémoires en adaptation, il convient de rappeler les dispositions applicables aux modifications du cahier des charges d’une dénomination enregistrée.

26      L’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, dans sa rédaction applicable à la date d’adoption des première, deuxième et troisième modifications standard du cahier des charges, dispose ce qui suit :

« Les modifications d’un cahier des charges sont classées en deux catégories selon leur importance : les modifications à l’échelle de l’Union, qui nécessitent une procédure d’opposition au niveau de l’Union, et les modifications standard, qui doivent être traitées au niveau des États membres ou des pays tiers.

[…]

Les modifications à l’échelle de l’Union sont approuvées par la Commission […]

Les modifications standard sont approuvées et rendues publiques par l’État membre sur le territoire duquel se trouve l’aire géographique du produit concerné et sont communiquées à la Commission […] »

27      L’article 6 ter du règlement délégué (UE) no 664/2014 de la Commission, du 18 décembre 2013, complétant le règlement no 1151/2012 en ce qui concerne l’établissement des symboles de l’Union pour les appellations d’origine protégées, les indications géographiques protégées et les spécialités traditionnelles garanties et en ce qui concerne certaines règles relatives à la provenance, certaines règles procédurales et certaines règles transitoires supplémentaires (JO 2014, L 179, p. 17), dans sa rédaction applicable à la date d’adoption des première, deuxième et troisième modifications standard du cahier des charges, dispose ce qui suit :

« […]

2. Lorsque l’État membre estime que les conditions figurant dans le règlement […] no 1151/2012 et dans les dispositions adoptées en vertu dudit règlement sont remplies, il peut approuver la modification standard. La décision d’approbation inclut le cahier des charges consolidé et modifié et, le cas échéant, le document unique consolidé et modifié ou inclut la référence électronique à la version publiée du cahier des charges consolidé et, le cas échéant, du document unique.

[…] L’État membre communique à la Commission les modifications standard approuvées, au plus tard un mois après la date à laquelle la décision nationale d’approbation a été rendue publique. L’État membre communique à la Commission, sans retard injustifié, tout jugement national définitif et non susceptible de recours annulant une décision approuvant une modification standard.

[…]

5. Si la modification standard entraîne une modification du document unique, la Commission publie la description de la modification standard et le document unique modifié au Journal officiel de l’Union européenne, série C, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu la communication de cette modification standard.

[…]

L’autorité nationale visée aux paragraphes 2 et 3 […] qui a communiqué une modification standard à la Commission reste responsable de son contenu. »

28      Il résulte de ces dispositions que, comme le relève la Commission, les autorités nationales sont compétentes pour approuver les modifications standard du cahier des charges d’une dénomination enregistrée, après avoir vérifié que ces modifications sont conformes aux dispositions applicables.

29      Or, il ressort de l’article 263 TFUE que le juge de l’Union n’est pas compétent pour statuer sur la légalité d’un acte adopté par une autorité nationale (voir ordonnance du 28 février 2017, NF/Conseil européen, T‑192/16, EU:T:2017:128, point 44 et jurisprudence citée).

30      Il en résulte que le juge de l’Union n’est pas compétent pour statuer sur la légalité d’un acte par lequel les autorités nationales ont approuvé une modification standard du cahier des charges d’une dénomination enregistrée.

31      Cette conclusion ne saurait être invalidée par le fait que, lorsque, comme en l’espèce, les modifications standard entraînent une modification du document unique, elles donnent lieu à une publication au Journal officiel de l’Union européenne.

32      En effet, il résulte des dispositions de l’article 6 ter du règlement délégué no 664/2014 citées au point 27 ci-dessus que, lorsqu’une modification standard lui est communiquée, la Commission se trouve dans l’obligation d’en assurer la publicité dans les conditions prévues par ces dispositions. Ce faisant, la Commission ne procède pas au contrôle du contenu des modifications standard et n’exerce aucun pouvoir de décision en procédant à la publication de ces modifications standard. L’article 6 ter, paragraphe 5, du règlement délégué no 664/2014 dispose à cet égard que les autorités nationales demeurent responsables du contenu des modifications standard. En outre, c’est aux autorités nationales, chargées de vérifier que les modifications du cahier des charges qui leur sont soumises sont conformes aux dispositions applicables, qu’il incombe, notamment, de s’assurer que ces modifications constituent des modifications standard au sens de l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012. Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que, en publiant les modifications standard du cahier des charges de la dénomination en litige, la Commission a adopté une décision, susceptible d’être contestée devant le juge de l’Union, par laquelle elle aurait elle-même, au regard de leur contenu, qualifié ces modifications de modifications standard. Ainsi, la Commission ne peut être regardée comme étant l’auteure, ni même la co-auteure, des première, deuxième et troisième modifications standard du cahier des charges.

33      Il résulte de ce qui précède que le Tribunal n’est pas compétent pour statuer sur la légalité des première, deuxième et troisième modifications standard du cahier des charges. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été dit au point 24 ci-dessus que les mémoires en adaptation, qui sont des actes de procédure équivalant à l’introduction de recours en annulation par voie de requête, sont également soumis aux règles de compétence et de recevabilité applicables à ces recours. Par suite, les conclusions en adaptation présentées par les requérantes, qui visent à ce que le Tribunal se prononce sur la légalité d’actes qui ne relèvent pas de sa compétence, ne peuvent, pour ce motif, être admises.

34      Par conséquent, les conclusions en annulation doivent être exclusivement examinées au regard du règlement attaqué et des moyens dirigés contre celui-ci, sans tenir compte du contenu des première, deuxième et troisième modifications standard du cahier des charges et des moyens spécifiquement dirigés contre ces modifications, qu’il n’y a, dès lors, pas lieu d’examiner.

B.      Sur le fond

35      À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent cinq moyens, tirés, en substance, le premier, d’un défaut d’examen adéquat, par la Commission, de la demande d’enregistrement, le deuxième, de l’existence d’irrégularités entachant la procédure d’adoption du règlement attaqué, le troisième, de la durée excessive de la procédure d’enregistrement, le quatrième, de l’insuffisance de motivation du règlement attaqué et, le cinquième, de l’illégalité du règlement attaqué eu égard aux conséquences qu’il convenait de tirer de la procédure judiciaire nationale ayant donné lieu au jugement du 14 juin 2021. Il convient d’examiner, d’abord, le quatrième moyen soulevé par les requérantes, ensuite, les deuxième et troisième moyens et, enfin, les premier et cinquième moyens.

1.      Sur le moyen tiré de linsuffisance de motivation du règlement attaqué

36      Les requérantes soutiennent que la motivation du règlement attaqué ne satisfait pas aux exigences prévues à l’article 296 TFUE, ce qui porte atteinte à leur droit à un recours effectif et fait obstacle à l’exercice par le juge de l’Union d’un contrôle juridictionnel adéquat.

37      La Commission, soutenue par la République de Chypre, fait valoir que ce moyen n’est pas fondé.

38      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences prévues à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [voir arrêt du 28 mai 2020, Agrochem-Maks/Commission, T‑574/18, EU:T:2020:226, point 59 (non publié) et jurisprudence citée].

39      En outre, lorsqu’il s’agit d’un acte de portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre (arrêt du 3 juillet 1985, Abrias e.a./Commission, 3/83, EU:C:1985:283, point 30).

40      En l’espèce, le règlement attaqué fait référence aux différentes étapes de la procédure intervenues à la suite de la publication de la demande d’enregistrement au Journal officiel de l’Union européenne et rappelle les principaux arguments avancés par les auteurs des déclarations d’opposition motivées. Le règlement attaqué expose en détail les motifs pour lesquels la Commission considère que ces arguments ne sont pas fondés et que la dénomination en litige répond aux exigences d’une AOP, conformément à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012.

41      Le règlement attaqué évoque, ensuite, la situation particulière de l’île de Chypre et les dispositions qui ont été prévues afin que l’ensemble du territoire de l’île puisse être inclus dans l’aire géographique concernée par l’AOP. Ce règlement rappelle, en outre, les conséquences du principe de territorialité régissant les droits de propriété intellectuelle pour ce qui concerne le champ d’application territorial de la protection conférée par l’AOP, souligne la nécessité de prendre en considération les autres dispositions pertinentes du droit de l’Union européenne pour la mise sur le marché du produit concerné par la demande d’enregistrement ainsi que l’absence de motif justifiant l’octroi d’une période transitoire à certains producteurs de pays tiers.

42      Le règlement attaqué comporte également des données relatives à la production de halloumi à Chypre, évoque la question des marques commerciales qui présentent un lien avec ce produit, se prononce sur l’opposition présentée par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, expose les motifs pour lesquels la Commission considère que la dénomination en litige n’est pas devenue générique, évoque la période transitoire accordée par les autorités chypriotes aux opérateurs remplissant les conditions prévues à l’article 15, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012 et précise les conditions dans lesquelles il entrera en vigueur.

43      Le règlement attaqué conclut que la dénomination doit être enregistrée et rappelle que les mesures qu’il prévoit sont conformes à l’avis du comité de la politique de qualité des produits agricoles.

44      Ainsi, le règlement attaqué fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement au terme duquel la Commission a considéré que l’enregistrement de la dénomination en litige en tant qu’AOP était justifié. Cette motivation permet aux personnes intéressées de connaître les motifs sur lesquels s’est fondée la Commission et au Tribunal d’exercer son contrôle à leur égard. Au regard des circonstances de l’espèce, le règlement attaqué apparaît donc suffisamment motivé, et ce d’autant plus qu’il relève de la catégorie des actes de portée générale, pour lesquels la motivation peut se limiter à un exposé de la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et des objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre.

45      Il résulte de ce qui précède que le règlement attaqué satisfait aux exigences prévues à l’article 296 TFUE.

46      Les arguments invoqués par les requérantes, portant sur certains points spécifiques de la motivation du règlement attaqué, ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion.

47      Si les requérantes soutiennent plus particulièrement que le règlement attaqué n’évoque pas de façon suffisamment précise les conditions dans lesquelles se sont déroulées les consultations avec les personnes ayant manifesté leur opposition à la demande d’enregistrement, notamment FFF Fine Foods Pty Ltd, il convient de relever que le règlement attaqué est suffisamment motivé sur ce point.

48      En effet, le règlement attaqué précise, au considérant 4, l’identité des autorités et organismes ayant déposé une déclaration d’opposition motivée jugée recevable par la Commission, parmi lesquels figure FFF Fine Foods. Il est, ensuite, précisé que les parties intéressées ont été invitées à engager les consultations appropriées et que des consultations ont été menées entre la République de Chypre et les neuf parties ayant déposé une déclaration d’opposition recevable. Il est indiqué qu’aucun accord n’a pu être trouvé avec les parties à l’origine des déclarations d’opposition motivées. Il est indiqué, enfin, au considérant 23 du règlement attaqué, que la Commission a examiné les arguments exposés dans les déclarations d’opposition motivées en tenant compte des résultats des consultations qui ont eu lieu avec les personnes ayant déposé une déclaration d’opposition motivée.

49      Ainsi, le règlement attaqué relate avec une précision suffisante le déroulement et les résultats de la procédure d’opposition engagée sur le fondement de l’article 51 du règlement no 1151/2012. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il n’était pas nécessaire que le règlement attaqué précise les conditions dans lesquelles a été menée chacune des consultations engagées avec les parties opposées à la demande d’enregistrement. En effet, une motivation aussi détaillée sur ce point particulier n’était pas requise afin de permettre la compréhension des objectifs poursuivis par le règlement attaqué ou des motifs ayant conduit à son adoption.

50      Les requérantes ajoutent que la motivation du règlement attaqué est insuffisante en ce qu’elle ne précise pas qu’une part importante des produits légalement commercialisés avant l’enregistrement de la dénomination en litige ne satisfait pas aux prescriptions du cahier des charges. Toutefois, à la supposer établie, une telle circonstance étant, en tout état de cause, étrangère aux motifs pour lesquels la Commission a considéré que la demande d’enregistrement était justifiée et qu’il convenait d’enregistrer la dénomination en litige, la précision correspondante n’avait pas à figurer dans la motivation du règlement attaqué.

51      Les requérantes ajoutent que le règlement attaqué ne comporte aucune justification de la longueur exceptionnelle de la procédure au terme de laquelle il a été adopté. Toutefois, l’obligation de motivation qui résulte de l’article 296 TFUE n’impose pas à la Commission d’exposer en détail les différentes étapes du processus d’adoption de ses décisions et les difficultés qu’elle a pu, le cas échéant, rencontrer. De telles informations n’apparaissent, en outre, pas nécessaires à la bonne compréhension du raisonnement ayant conduit à l’adoption de l’acte en cause.

52      Enfin, les requérantes font grief à la Commission de se prévaloir, dans le mémoire en défense, d’un « raisonnement complémentaire » produit par la République de Chypre. Elles soutiennent que tout « raisonnement complémentaire » distinct du dossier de demande publié à l’Episimi Efimerida tis Kypriakis Dimokratias, puis au Journal officiel de l’Union européenne aurait dû faire partie de la motivation du règlement attaqué. Elles ajoutent qu’un tel document, s’il était présenté pour la première fois dans le cadre de la présente instance, au stade de la duplique, constituerait une preuve irrecevable, en application de l’article 85 du règlement de procédure.

53      Toutefois, un tel grief est inopérant à l’appui du moyen tiré de l’insuffisance de motivation du règlement attaqué. En effet, même à supposer que, comme l’allèguent les requérantes, la Commission ait invoqué, en défense, des éléments complémentaires, en vue de justifier du bien-fondé du règlement attaqué, cette circonstance est, par elle-même, sans incidence sur le respect de l’obligation de motivation, qui doit être apprécié en fonction des éléments d’information existant à la date d’introduction du recours formé contre l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2011, Evropaïki Dynamiki/BEI, T‑461/08, EU:T:2011:494, point 109 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, il résulte de ce qui a été dit au point 45 ci-dessus que la motivation du règlement attaqué, telle qu’elle ressort dudit règlement, satisfait aux exigences prévues à l’article 296 TFUE.

54      Par ailleurs, il est constant que la Commission n’a produit aucune preuve complémentaire au stade de la duplique. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission aurait produit un élément de preuve irrecevable en application de l’article 85 du règlement de procédure.

55      En outre, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission aurait invoqué des éléments nouveaux en cours d’instance. Il ressort en effet des écritures de la Commission que le « raisonnement complémentaire » auquel elle fait référence fait partie des éléments transmis à cette dernière dans le cadre de la communication des résultats des consultations organisées dans le cadre de la procédure d’opposition à l’échelle de l’Union, auxquels il est fait référence au considérant 23 du règlement attaqué.

56      Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’insuffisance de motivation du règlement attaqué doit être rejeté.

2.      Sur le moyen tiré des irrégularités entachant la procédure dadoption du règlement attaqué

57      Les requérantes soutiennent, en substance, par leur deuxième moyen, que le règlement attaqué a été adopté au terme d’une procédure irrégulière. Ce moyen se subdivise en deux branches, par lesquelles les requérantes critiquent les conditions dans lesquelles ont été organisées, d’une part, la procédure nationale d’opposition et, d’autre part, la procédure d’opposition menée à l’échelle de l’Union.

a)      Sur la procédure nationale dopposition

58      Les requérantes soutiennent que la procédure nationale d’opposition organisée en application de l’article 49, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012 a été irrégulière, dès lors que les personnes intéressées n’ont pas bénéficié d’un délai raisonnable pour présenter leur opposition, que les consultations qui devaient avoir lieu avec les personnes intéressées n’ont pas été régulièrement organisées et que les objections qu’elles ont soulevées n’ont pas été correctement examinées.

59      Les requérantes soutiennent que la Commission était tenue, en application de l’article 50 du règlement no 1151/2012, de vérifier le respect des formalités substantielles imposées à l’État membre en vertu de ce règlement et de contrôler la régularité de la procédure nationale d’opposition.

60      La Commission, soutenue par la République de Chypre, fait valoir que cette branche de l’argumentation des requérantes ne peut être accueillie.

61      L’article 10 du règlement no 1151/2012, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose ce qui suit :

« 1. Une déclaration d’opposition motivée telle que visée à l’article 51, paragraphe 2, est recevable uniquement si elle parvient à la Commission dans les délais énoncés au présent paragraphe et si :

a)      […]

b)      […]

c)      elle démontre que l’enregistrement de la dénomination proposée porterait préjudice à l’existence d’une dénomination totalement ou partiellement identique ou d’une marque, ou à l’existence de produits qui se trouvent légalement sur le marché depuis au moins cinq ans précédant la date de la publication prévue à l’article 50, paragraphe 2, point a) […] »

62      Aux termes de l’article 49 du règlement no 1151/2012, il est prévu ce qui suit :

« 1. Les demandes d’enregistrement de dénominations au titre des systèmes de qualité visés à l’article 48 ne peuvent être présentées que par des groupements travaillant avec les produits dont la dénomination doit être enregistrée […]

2. Lorsque la demande au titre du système énoncé au titre II concerne une aire géographique dans un État membre […], la demande est adressée aux autorités de cet État membre.

L’État membre examine la demande par les moyens appropriés afin de vérifier qu’elle est justifiée et qu’elle remplit les conditions du système correspondant.

3. Dans le cadre de l’examen visé au paragraphe 2, deuxième alinéa, du présent article, l’État membre entame une procédure nationale d’opposition garantissant une publicité suffisante de la demande et octroyant une période raisonnable pendant laquelle toute personne physique ou morale ayant un intérêt légitime et établie ou résidant sur son territoire peut déclarer son opposition à la demande.

L’État membre examine la recevabilité des oppositions reçues au titre du système énoncé au titre II à la lumière des critères visés à l’article 10, paragraphe 1 […]

4. Si, après avoir évalué les déclarations d’opposition reçues, l’État membre considère que les exigences du présent règlement sont respectées, il peut rendre une décision favorable et déposer un dossier de demande auprès de la Commission. Dans ce cas, il informe la Commission des oppositions recevables déposées par une personne physique ou morale ayant légalement commercialisé les produits en question en utilisant les dénominations concernées de façon continue pendant au moins cinq ans précédant la date de publication visée au paragraphe 3.

L’État membre veille à ce que sa décision favorable soit portée à la connaissance du public et à ce que toute personne physique ou morale ayant un intérêt légitime dispose de voies de recours.

[…]

5. Lorsque la demande au titre du système énoncé au titre II concerne une aire géographique dans un pays tiers […], la demande est déposée auprès de la Commission, soit directement, soit par l’intermédiaire des autorités du pays tiers concerné […] »

63      L’article 50, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose ce qui suit :

« La Commission examine par des moyens appropriés toute demande qu’elle reçoit conformément à l’article 49, afin de vérifier qu’elle est justifiée et qu’elle remplit les conditions du système correspondant […] »

64      Il convient de rappeler que le règlement no 1151/2012 instaure un partage des compétences entre l’État membre concerné et la Commission, en ce sens que la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ne peut être prise par la Commission que si cet État membre lui a soumis une demande à cette fin et qu’une telle demande ne peut être faite que si cet État membre a vérifié qu’elle était justifiée. En outre, compte tenu du pouvoir décisionnel qui revient aux autorités nationales dans le cadre de ce système de partage des compétences, il appartient aux seules juridictions nationales de statuer sur la légalité des actes pris par ces autorités, tels que ceux portant sur des demandes d’enregistrement d’une dénomination, qui constituent une étape nécessaire de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union. Il en résulte qu’il appartient aux juridictions nationales de connaître des irrégularités dont un acte national serait éventuellement entaché, en saisissant, le cas échéant, la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel, dans les mêmes conditions de contrôle que celles réservées à tout acte définitif qui, pris par la même autorité nationale, est susceptible de faire grief à des tiers (voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2020, GAEC Jeanningros, C‑785/18, EU:C:2020:46, points 23 à 26 et jurisprudence citée).

65      Il résulte de ce qui précède que le juge de l’Union n’est pas compétent pour statuer sur la légalité des actes des autorités nationales, notamment ceux adoptés dans le cadre de la procédure nationale d’opposition. Les requérantes ne sauraient, en conséquence, contester devant le Tribunal le délai imparti par les autorités chypriotes aux personnes intéressées pour déclarer leur opposition à la demande d’enregistrement ou encore les modalités selon lesquelles les oppositions ont été examinées par les autorités chypriotes.

66      Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article 49 du règlement no 1151/2012 citées au point 62 ci-dessus que la procédure nationale d’opposition est organisée à l’initiative et sous le contrôle de l’État membre concerné, qui doit, en outre, veiller à ce que les personnes ayant un intérêt légitime disposent de voies de recours. Il ne ressort ni de l’article 50 du règlement no 1151/2012, invoqué par les requérantes, ni d’aucune autre disposition de ce règlement que la Commission, qui n’intervient qu’à un stade ultérieur de la procédure, une fois que la demande d’enregistrement lui a été transmise, serait chargée de contrôler la régularité de la procédure nationale d’opposition. L’exercice, par la Commission, d’un tel pouvoir de contrôle serait, en outre, contraire au système de répartition des compétences instauré par le règlement no 1151/2012, en vertu duquel les autorités de l’État membre concerné disposent d’un pouvoir de décision autonome lors de la phase nationale de la procédure d’enregistrement. Par suite, l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’aurait pas correctement contrôlé la régularité de la procédure nationale d’opposition ne peut être accueilli.

67      En outre, étant donné qu’il résulte de ce qui précède que la Commission n’était pas tenue de vérifier la régularité de la procédure nationale d’opposition, le fait que le règlement attaqué énonce, par un motif surabondant, qu’une procédure d’opposition « vaste et exhaustive » a été organisée au niveau national est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité du règlement attaqué.

b)      Sur la procédure dopposition organisée à léchelle de lUnion

68      Les requérantes contestent la régularité de la procédure d’opposition organisée à l’échelle de l’Union, à laquelle a pris part, parmi elles, FFF Fine Foods, société établie dans un pays tiers.

69      La Commission, soutenue par la République de Chypre, fait valoir que cette branche de l’argumentation des requérantes ne peut être accueillie.

70      L’article 51 du règlement no 1151/2012, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose ce qui suit :

« 1. Dans un délai de trois mois à compter de la publication au Journal officiel de l’Union européenne, les autorités d’un État membre ou d’un pays tiers ou une personne physique ou morale ayant un intérêt légitime et étant établie dans un pays tiers peuvent déposer un acte d’opposition auprès de la Commission.

Toute personne physique ou morale ayant un intérêt légitime, établie ou résidant dans un État membre autre que celui dont émane la demande, peut déposer un acte d’opposition auprès de l’État membre dans lequel elle est établie dans des délais permettant de déposer une opposition conformément au premier alinéa.

[…]

La Commission transmet sans délai l’acte d’opposition à l’autorité ou l’organisme qui avait déposé la demande.

2. Si un acte d’opposition est déposé auprès de la Commission et est suivi dans les deux mois d’une déclaration d’opposition motivée, la Commission examine la recevabilité de ladite déclaration.

3. Dans un délai de deux mois suivant la réception d’une déclaration d’opposition motivée recevable, la Commission invite l’autorité ou la personne à l’origine de l’opposition et l’autorité ou l’organisme qui a déposé une demande à engager des consultations appropriées pendant une période de temps raisonnable ne dépassant pas trois mois.

L’autorité ou la personne à l’origine de l’opposition et l’autorité ou l’organisme qui a déposé la demande engagent dans les meilleurs délais les consultations appropriées. Chacune des parties communique à l’autre les informations pertinentes afin d’évaluer si la demande d’enregistrement répond aux conditions du présent règlement. Si aucun accord n’est trouvé, ces informations sont également transmises à la Commission.

[…] »

71      L’article 52, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012 dispose ce qui suit :

« Si la Commission reçoit une déclaration d’opposition motivée recevable, elle procède, à la suite des consultations appropriées visées à l’article 51, paragraphe 3, et compte tenu du résultat de ces consultations :

a)      […]

b)      si aucun accord n’a pu être trouvé, à l’adoption d’actes d’exécution décidant de l’enregistrement. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 57, paragraphe 2 […] »

72      En premier lieu, les requérantes soutiennent que les consultations avec FFF Fine Foods n’ont pas régulièrement été mises en œuvre, dès lors qu’elles ont eu lieu avec les autorités chypriotes, et non avec les producteurs ayant présenté la demande d’enregistrement.

73      Cet argument doit être écarté.

74      En effet, il résulte de l’article 49, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012, cité au point 62 ci-dessus, que, lorsqu’elle concerne une aire géographique située dans un État membre, la demande d’enregistrement présentée par le groupement de producteurs concerné est adressée aux autorités de cet État membre. Il ressort de l’article 49, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012 que ce sont les autorités de l’État membre concerné qui déposent la demande d’enregistrement auprès de la Commission. En revanche, il résulte de l’article 49, paragraphe 5, du règlement no 1151/2012 que, lorsque la demande concerne une aire géographique située dans un pays tiers, la demande peut être déposée directement auprès de la Commission par le groupement de producteurs concerné.

75      Il en résulte que, lorsqu’il est fait référence, à l’article 51, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012, « à l’autorité ou à l’organisme » ayant déposé la demande, le terme « organisme » vise le cas d’un groupement établi dans un pays tiers qui aurait directement déposé la demande d’enregistrement auprès de la Commission. Dès lors que, en l’espèce, ce sont les autorités chypriotes qui ont, en application de l’article 49, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012, déposé le dossier de demande auprès de la Commission, c’est, en vertu de l’article 51, paragraphe 3, dudit règlement, entre ces autorités et la personne à l’origine de l’opposition que devaient avoir lieu les consultations.

76      Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les consultations prévues à l’article 51, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012 auraient dû, en l’espèce, être menées avec le groupement de producteurs à l’origine de la demande d’enregistrement et non avec les autorités chypriotes.

77      En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que les arguments avancés par FFF Fine Foods dans le cadre de son opposition n’ont pas été correctement examinés.

78      Cet argument n’est pas fondé.

79      Il résulte de l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012 que la Commission, avant d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP, doit tenir compte du résultat des consultations visées à l’article 51, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012, ce qu’elle a fait dans le cas d’espèce, ainsi qu’il résulte notamment des considérants 7, 8 et 23 du règlement attaqué. En revanche, ni cette disposition ni aucune autre disposition du règlement no 1151/2012 n’impose à la Commission de contrôler que tous les arguments avancés par les personnes ayant déposé une déclaration d’opposition motivée ont été examinés dans le cadre des consultations visées à l’article 51, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012. De même, aucune disposition de ce règlement n’impose à la Commission de se prononcer expressément sur chacun des arguments avancés par les personnes ayant déposé une déclaration d’opposition motivée.

80      Enfin, les requérantes allèguent que la Commission, dans le cadre de l’examen des arguments avancés par les opposants à la demande d’enregistrement, a procédé à une inversion de la charge de la preuve. Il ressortirait du considérant 37 du règlement attaqué que la Commission aurait exigé de ces derniers qu’ils apportent la preuve du caractère injustifié de la demande d’enregistrement, alors qu’il appartiendrait au contraire aux auteurs de celle-ci de démontrer qu’elle remplit les conditions prévues par le règlement no 1151/2012.

81      Cet argument n’est pas fondé.

82      Il convient de relever que, au considérant 37 du règlement attaqué, la Commission expose qu’elle a examiné la demande d’enregistrement et n’y a relevé aucune erreur manifeste. Elle ajoute que les personnes ayant manifesté leur opposition à la demande d’enregistrement n’ont pas produit d’éléments suffisamment motivés démontrant que cette demande était intrinsèquement injustifiée. Elle indique également qu’elle a jugé les éléments avancés par la République de Chypre suffisamment convaincants pour justifier l’enregistrement de la dénomination en litige. Il en ressort que la Commission, après avoir considéré, au terme de l’examen de la demande d’enregistrement, que cette demande répondait aux exigences du règlement no 1151/2012 et était exempte d’erreurs manifestes, a vérifié si les éléments avancés par les personnes ayant manifesté leur opposition à cette demande étaient de nature à remettre en cause cette conclusion. Elle n’a, ce faisant, pas procédé à une inversion de la charge de la preuve.

83      Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen soulevé par les requérantes doit être rejeté en ses deux branches.

3.      Sur le moyen tiré de la durée excessive de la procédure denregistrement

84      Les requérantes soutiennent que la Commission a adopté le règlement attaqué à l’issue d’une procédure excessivement longue et a, ce faisant, méconnu le principe de bonne administration.

85      La Commission, soutenue par la République de Chypre, fait valoir que ce moyen n’est pas fondé.

86      Le principe du délai raisonnable, repris, en tant que composante du principe de bonne administration, par l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’impose dans toute procédure administrative de l’Union (arrêt du 1er juillet 2008, Compagnie maritime belge/Commission, T‑276/04, EU:T:2008:237, point 39).

87      La violation du principe du délai raisonnable ne justifie pas, en règle générale, l’annulation de la décision prise à l’issue d’une procédure administrative. En effet, ce n’est que lorsque l’écoulement excessif du temps est susceptible d’avoir une incidence sur le contenu même de la décision adoptée à l’issue de la procédure administrative que le non-respect du principe du délai raisonnable affecte la validité de ladite procédure (voir arrêt du 10 octobre 2019, ZM e.a./Conseil, T‑632/18, non publié, EU:T:2019:732, point 54 et jurisprudence citée).

88      En l’espèce, les requérantes exposent que les données communiquées lors du dépôt de la demande d’enregistrement étaient devenues obsolètes à la date à laquelle la Commission a statué. Selon elles, la production de halloumi aurait augmenté de 20 000 tonnes entre la date à laquelle la demande a été déposée et l’adoption du règlement attaqué. Cette allégation ne peut, toutefois, suffire à établir que le contenu du règlement attaqué aurait été différent si la Commission l’avait adopté au terme d’une procédure moins longue. De façon générale, les requérantes n’avancent aucun indice qui permettrait de supposer que, si elle avait statué dans des délais plus brefs, la Commission n’aurait pas procédé à l’enregistrement de la dénomination en litige et aurait, au contraire, adopté une décision rejetant la demande d’enregistrement.

89      Il résulte de ce qui précède que la durée de la procédure d’enregistrement n’a pas eu d’incidence sur le contenu même du règlement attaqué. Par suite, sans qu’il soit besoin de déterminer si, compte tenu des circonstances de l’espèce, le délai au terme duquel la Commission a statué était ou non déraisonnable, la méconnaissance éventuelle du principe du délai raisonnable n’est pas, en tout état de cause, de nature à affecter le résultat de la procédure administrative au terme de laquelle le règlement attaqué a été adopté et n’est donc pas de nature à justifier l’annulation de ce règlement.

90      Les arguments complémentaires avancés par les requérantes ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion.

91      Si les requérantes soutiennent que la longueur de la procédure a été de nature à créer une incertitude pour les personnes qui produisent ou commercialisent les produits concernés par la demande d’enregistrement et à porter atteinte à leurs droits, elles n’avancent, en tout état de cause, aucun élément précis en vue de l’établir. À cet égard, aucun élément ne permet de considérer que, du fait de la longueur de la procédure d’enregistrement au niveau de l’Union, les conditions dans lesquelles les requérantes pouvaient fabriquer et commercialiser leurs produits auraient été affectées. Par ailleurs, les producteurs concernés ont bénéficié, à compter de la date de transmission de la demande d’enregistrement à la Commission et pendant toute la durée de la procédure, de la période transitoire de dix ans accordée par les autorités chypriotes sur le fondement de l’article 15, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012.

92      L’atteinte portée aux droits des requérantes du fait de la longueur de la procédure n’est pas davantage démontrée dans le cas de Neomax Sales. Les requérantes soutiennent à cet égard que cette société ne remplissait pas la condition d’ancienneté prévue à l’article 49, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012 et qu’elle n’a, en conséquence, pas eu le droit de former une opposition. Toutefois, indépendamment de la durée de la procédure d’enregistrement, cette société, établie dans un État membre autre que la République de Chypre, n’aurait, en tout état de cause, pu participer directement ni à la procédure nationale d’opposition ni à la procédure d’opposition menée à l’échelle de l’Union. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles cette société aurait pu, en vertu de l’article 51, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, déposer un acte d’opposition auprès de l’État membre dans lequel elle était établie n’auraient pas été différentes si la Commission avait statué dans un délai plus bref.

93      Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la durée excessive de la procédure doit être rejeté.

4.      Sur le moyen tiré de ce que la Commission na pas procédé à un examen adéquat de la demande denregistrement

94      Les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas procédé à un examen adéquat de la demande d’enregistrement et n’a donc pas exercé de manière appropriée les pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 50 du règlement no 1151/2012.

95      La Commission et la République de Chypre concluent au rejet de ce moyen.

96      L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, dans sa rédaction applicable au litige, définit une « appellation d’origine » comme une dénomination qui identifie un produit « comme étant originaire d’un lieu déterminé, d’une région ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays », « dont la qualité ou les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains » et « dont toutes les étapes de production ont lieu dans l’aire géographique délimitée ».

97      L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 prévoit qu’une AOP doit respecter un cahier des charges qui comporte notamment les éléments établissant le lien entre la qualité ou les caractéristiques du produit et le milieu géographique visé à l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement.

98      Le considérant 58 du règlement no 1151/2012 énonce ce qui suit :

« Afin de veiller à ce que les dénominations enregistrées des appellations d’origine et indications géographiques et des spécialités traditionnelles garanties satisfassent aux conditions établies par le présent règlement, il convient que l’examen des demandes soit effectué par les autorités nationales de l’État membre concerné, dans le respect de dispositions communes minimales incluant une procédure nationale d’opposition. Il convient que la Commission procède ensuite à un examen approfondi des demandes afin de s’assurer qu’elles ne comportent pas d’erreurs manifestes et qu’elles ont tenu compte du droit de l’Union et des intérêts des parties prenantes en dehors de l’État membre de demande. »

99      Il y a lieu de rappeler que la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ne peut être prise par la Commission que si l’État membre concerné lui a soumis une demande à cette fin et qu’une telle demande ne peut être faite que si l’État membre a vérifié si elle était justifiée. Ce système de partage des compétences s’explique notamment par le fait que l’enregistrement présuppose la vérification qu’un certain nombre de conditions, dont celle relative au lien entre le produit et l’aire géographique en cause, sont réunies, ce qui exige des connaissances approfondies d’éléments particuliers à l’État membre concerné que les autorités nationales sont les mieux placées pour vérifier (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 53, du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 66, et du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 34). En conséquence, l’appréciation des conditions susmentionnées doit être faite par lesdites autorités avant que la demande d’enregistrement ne soit communiquée à la Commission (voir, par analogie, arrêts du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 93, et du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 34).

100    Il s’ensuit que la demande d’enregistrement, comportant notamment un cahier des charges, constitue une étape nécessaire de la procédure d’adoption d’un acte de l’Union enregistrant une dénomination en tant qu’AOP, la Commission ne disposant que d’une marge d’appréciation limitée, voire inexistante, à l’égard de cet acte national (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 57, et du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 35).

101    Il ressort toutefois également de l’économie du règlement no 1151/2012, et notamment de son considérant 58 et de son article 50, ainsi que de la jurisprudence que la Commission est tenue de vérifier, avant d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP, d’une part, si le cahier des charges qui accompagne la demande qui lui est adressée contient les éléments exigés par le règlement no 1151/2012, et notamment par l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement, et si ces éléments n’apparaissent pas entachés d’erreurs manifestes et, d’autre part, sur la base des éléments contenus dans le cahier des charges, si la dénomination remplit les exigences de l’article 5, paragraphe 1, du même règlement (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, point 54, du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, point 67, et du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 36).

102    Il découle du règlement no 1151/2012 que les juridictions nationales sont tenues de vérifier si les autorités nationales ont respecté les conditions d’enregistrement figurant dans ce règlement, alors que le juge de l’Union doit contrôler si la Commission a respecté les dispositions de ce texte et, plus particulièrement, si elle s’est correctement acquittée de sa mission de vérification du respect des conditions qui y sont prévues (voir, par analogie, arrêts du 6 décembre 2001, Carl Kühne e.a., C‑269/99, EU:C:2001:659, points 57 à 59, du 2 juillet 2009, Bavaria et Bavaria Italia, C‑343/07, EU:C:2009:415, points 70 et 71, et du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 37).

103    C’est à l’aune de ces principes qu’il convient d’examiner le moyen tiré de ce que la Commission n’a pas procédé à un examen adéquat de la demande d’enregistrement, lequel se subdivise en trois branches. En premier lieu, la Commission aurait fait sienne l’interprétation de la norme de 1985 retenue dans la demande d’enregistrement, alors qu’elle serait contraire à l’interprétation littérale de ladite norme. En deuxième lieu, la Commission aurait omis de relever les erreurs manifestes entachant la demande d’enregistrement en ce qui concerne la description du lien entre la qualité ou les caractéristiques du produit et son milieu géographique d’origine. En troisième lieu, la Commission aurait, dans le cadre de l’examen de la demande d’enregistrement, procédé à une analyse défaillante du marché de la production du halloumi et de la situation des entreprises qui commercialisent ce produit.

a)      Sur la prétendue contrariété de la demande denregistrement avec la norme de 1985

104    Les requérantes soutiennent que la demande d’enregistrement s’écarte, sur plusieurs points, de la norme de 1985. Selon les requérantes, en ne relevant pas la non-conformité de la demande d’enregistrement avec cette norme, la Commission, pourtant tenue de procéder à un contrôle approfondi de la demande et d’en vérifier les éléments essentiels, n’a pas examiné ladite demande conformément à l’article 50 du règlement no 1151/2012 et a commis une erreur manifeste d’appréciation.

105    Toutefois, cette branche de l’argumentation des requérantes est inopérante.

106    En effet, il résulte de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012 que, pour pouvoir être enregistrée comme AOP, une dénomination doit porter sur un produit identifié comme étant originaire d’un lieu déterminé, dont la qualité ou les caractéristiques sont essentiellement ou exclusivement dues à son milieu géographique d’origine et dont toutes les étapes de production ont lieu dans l’aire géographique délimitée. Lorsqu’elle procède à l’examen de la demande d’enregistrement, il appartient notamment à la Commission de vérifier, sur la base des éléments figurant dans cette demande, que le lien entre la qualité ou les caractéristiques du produit et son milieu géographique d’origine est suffisamment établi.

107    En revanche, comme l’a relevé la Commission à l’audience, les dispositions du règlement no 1151/2012 n’imposent pas, pour qu’une dénomination puisse être enregistrée comme AOP, que la méthode d’obtention du produit décrite dans le cahier des charges soit conforme à une norme de production nationale préexistante, telle que la norme de 1985 dans le cas d’espèce. En d’autres termes, pour autant que le cahier des charges permet de démontrer que le produit dont la dénomination est proposée à l’enregistrement comme AOP satisfait aux conditions requises par le règlement no 1151/2012, la demande d’enregistrement pourrait, sans pour autant méconnaître les exigences découlant dudit règlement, s’écarter d’une norme nationale antérieure portant sur le produit en question.

108    Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne peuvent utilement soutenir que la Commission aurait, en l’espèce, omis de relever la prétendue non-conformité de la demande d’enregistrement avec la norme de 1985.

109    En tout état de cause, l’argumentation des requérantes fondée sur la prétendue contrariété de la demande d’enregistrement avec la norme de 1985 doit être rejetée comme non fondée.

110    Les requérantes soutiennent, plus particulièrement, que la demande d’enregistrement se fonde sur une nouvelle interprétation de la norme de 1985, selon laquelle la proportion de lait de chèvre ou de brebis ou de leur mélange devrait être supérieure à la proportion de lait de vache. Selon les requérantes, cette interprétation de la norme de 1985 est contraire à l’interprétation littérale de cette norme, qui ne ferait pas obstacle à ce que le lait de vache soit, pour la production du halloumi, utilisé en quantité supérieure au lait de brebis ou de chèvre ou au mélange des deux.

111    Toutefois, il convient de relever que la norme de 1985 énonce que le halloumi est fabriqué avec du lait de brebis ou de chèvre, ou un mélange des deux, avec ou sans lait de vache. La demande d’enregistrement, et notamment le document unique mentionné à l’article 8, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1151/2012, reprend, dans la description des matières premières utilisées pour la fabrication du fromage, les termes de cette norme, tout en précisant que « le lait de brebis ou de chèvre ou leur mélange doit toujours avoir une proportion supérieure à celle du lait de vache ».

112    Si les requérantes relèvent que la norme de 1985 ne comporte aucune indication sur la proportion de lait de vache qui peut être ajoutée au lait de brebis ou de chèvre ou au mélange des deux pour la fabrication du halloumi, cette norme n’exclut pas pour autant que le lait de vache, s’il est utilisé, ne représente pas plus de 50 % du mélange employé pour la fabrication du fromage. Dès lors, si la demande d’enregistrement apporte, par rapport à la norme de 1985, une précision s’agissant de la composition du mélange utilisé pour la fabrication du fromage, elle n’est pas, pour autant, contraire à cette norme.

113    Au surplus, l’emploi des termes « avec ou sans lait de vache » dans le libellé de la norme de 1985 révèle que le lait de vache est considéré, par les auteurs de cette norme, comme un ingrédient purement facultatif et comme un complément éventuel au lait de brebis ou de chèvre. Le choix consistant à limiter à 50 % la proportion de lait de vache employée dans le mélange utilisé pour la fabrication du fromage, effectué dans la demande d’enregistrement, apparaît, dès lors, cohérent avec le libellé de la norme de 1985.

114    Les requérantes soutiennent, en outre, que la demande d’enregistrement entre en contradiction avec la norme de 1985 en ce qui concerne la description de l’odeur et du goût du fromage. Les requérantes relèvent, à ce titre, que la demande d’enregistrement indique que le halloumi frais possède une forte odeur de lait ou de petit-lait, l’arôme et le goût de la menthe ainsi qu’une odeur animale et un goût âcre et salé et que le halloumi affiné possède une forte odeur de lait ou de petit-lait, l’arôme et le goût de la menthe ainsi qu’une odeur animale et un goût âcre, légèrement amer et très salé, alors que la norme de 1985 indique que le halloumi frais et le halloumi affiné ont une odeur et un goût « agréables et caractéristiques ». Toutefois, comme le relève la Commission, si la description des caractéristiques olfactives et gustatives du produit figurant dans la demande d’enregistrement est plus précise et détaillée que celle figurant dans la norme de 1985, elle n’est pas pour autant contraire à celle‑ci.

115    Enfin, les requérantes soutiennent que la demande d’enregistrement est également contraire à la norme de 1985 en ce qui concerne les indications relatives au poids du produit. Toutefois, si la demande d’enregistrement précise que le poids du halloumi est compris entre 150 et 350 grammes, alors que la norme de 1985 ne comporte aucune indication quant au poids du fromage, la demande d’enregistrement est, sur ce point également, plus précise que la norme de 1985, sans pour autant comporter de prescription contraire à celle‑ci.

116    Il résulte de ce qui précède que l’argumentation des requérantes selon laquelle la demande d’enregistrement entrerait en contradiction avec la norme de 1985 doit être rejetée.

b)      Sur les erreurs manifestes entachant, selon les requérantes, la demande denregistrement

117    Les requérantes font valoir que, alors qu’il incombe à la Commission de mener sa propre analyse et d’examiner en détail les preuves scientifiques qui lui sont soumises, elle a, en l’espèce, omis de relever les erreurs flagrantes entachant la demande d’enregistrement en ce qui concerne la description du lien entre la qualité et les caractéristiques du produit et son origine géographique. Ce faisant, la Commission aurait manqué à son obligation de procéder à un examen de la demande dans les conditions prévues à l’article 50 du règlement no 1151/2012.

118    Selon la Commission, l’existence des erreurs invoquées par les requérantes ne serait susceptible d’affecter la légalité du règlement attaqué que si ces prétendues erreurs étaient de nature à établir l’absence de lien entre la qualité et les caractéristiques du produit en cause et son origine chypriote. Or, selon la Commission, en l’espèce, les requérantes n’allèguent pas et, a fortiori, n’établissent pas que, en raison de ces prétendues erreurs, le lien entre la qualité ou les caractéristiques du produit et son origine chypriote ne serait pas suffisamment établi par les éléments figurant dans la demande d’enregistrement. La Commission conclut que cette branche de l’argumentation des requérantes doit être rejetée comme inopérante.

119    Cet argument ne peut être retenu.

120    En effet, il ressort de la jurisprudence citée au point 101 ci-dessus que, lorsqu’elle examine une demande d’enregistrement, la Commission doit notamment vérifier, d’une part, que les éléments qui figurent dans ladite demande ne sont pas entachés d’erreurs manifestes et, d’autre part, que la dénomination répond aux exigences prévues à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, notamment celle relative au lien entre la qualité ou les caractéristiques du produit et son milieu géographique d’origine. Il en résulte que, même si la Commission considérait que la demande d’enregistrement établissait à suffisance de droit l’existence d’un tel lien, elle ne serait pas pour autant dispensée de vérifier, par ailleurs, que cette demande n’était pas entachée d’erreurs manifestes. Par suite, l’argumentation des requérantes selon laquelle la demande d’enregistrement serait entachée d’erreurs manifestes ne peut être rejetée comme inopérante.

121    Il convient, dès lors, d’examiner le bien-fondé de cette argumentation.

122    Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 99 et 100 ci‑dessus, les vérifications préalables à l’enregistrement d’une dénomination, auxquelles l’État membre concerné doit procéder avant de transmettre la demande à la Commission, nécessitent des connaissances approfondies d’éléments particuliers à cet État membre. Il en résulte que la Commission dispose d’une marge d’appréciation limitée, ce qui justifie que le contrôle auquel elle procède, s’agissant, en particulier, des éléments factuels figurant dans la demande d’enregistrement, soit limité à celui de l’erreur manifeste. Il appartient au juge de l’Union d’examiner si la Commission s’est correctement acquittée de sa mission de vérification et, en tenant compte de la marge d’appréciation limitée dont elle dispose, de contrôler qu’elle n’a pas omis de relever, dans la demande d’enregistrement, l’existence d’éventuelles erreurs manifestes.

123    Par ailleurs, comme le relève la Commission au considérant 36 du règlement attaqué, le règlement no 1151/2012 n’impose pas une description technique et scientifique détaillée de chacune des caractéristiques du produit faisant l’objet de la demande d’enregistrement.

124    C’est à l’aune de ces principes qu’il convient d’examiner si, en l’espèce, la Commission, dans le cadre de l’examen de la demande d’enregistrement, a omis de relever l’existence d’erreurs présentant un caractère manifeste.

125    Premièrement, les requérantes soutiennent que la demande d’enregistrement comporte une affirmation erronée en ce qu’elle indique qu’un bacille, dénommé Lactobacillus cypricasei, qui n’aurait été isolé que dans le halloumi chypriote, prouve le lien de la microflore de l’île de Chypre avec le produit.

126    Il ressort du dossier que cette affirmation de la demande d’enregistrement, reprise dans le règlement attaqué, était étayée par la référence à une étude scientifique (Lawson et al., 2001) à laquelle la Commission se réfère au considérant 26 de ce règlement.

127    En vue de démontrer que cette affirmation est erronée, les requérantes se fondent sur une « note technique » et des études scientifiques, annexées à la requête, dont il ressortirait que le lactobacille identifié dans le halloumi aurait également été détecté dans d’autres produits qui ne sont pas originaires de l’île de Chypre, de sorte que la présence de ce bacille dans le halloumi ne serait pas de nature à prouver l’existence d’un lien entre ledit produit et la microflore de cette île.

128    Toutefois, compte tenu du fait que l’affirmation litigieuse était étayée par une source scientifique et que la démonstration du lien entre les caractéristiques du produit concerné et son milieu géographique d’origine ne reposait pas exclusivement sur cette affirmation, l’erreur alléguée ne peut, en tout état de cause, être regardée comme étant manifeste. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que, en ne relevant pas l’erreur alléguée, la Commission n’aurait pas procédé à un examen adéquat de la demande d’enregistrement.

129    Deuxièmement, les requérantes soutiennent que la demande d’enregistrement comporte des erreurs s’agissant de la description du régime alimentaire des animaux dont le lait est utilisé pour la production de halloumi et de l’incidence de ce régime alimentaire sur les caractéristiques de ce fromage.

130    Les requérantes soutiennent plus particulièrement que certaines variétés de plantes qui sont mentionnées dans la demande d’enregistrement comme faisant partie du régime alimentaire des animaux de pâturage, à savoir Phlomis cypria var. occidentalis, Phlomis brevibracteata et Quercus alnifolia, sont protégées au titre, notamment, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), ce qui ferait obstacle à ce qu’elles puissent légalement être utilisées pour l’alimentation des animaux.

131    Toutefois, il convient de relever que le fait que les plantes mentionnées par les requérantes fassent l’objet d’une protection particulière au titre, notamment, de la directive 92/43 ne peut suffire à établir que la demande d’enregistrement serait erronée en ce qu’elle indique que ces plantes font partie du régime alimentaire des animaux de pâturage à Chypre. Au demeurant, ainsi que le relève la Commission en défense, l’inscription des plantes mentionnées par les requérantes parmi les espèces protégées au titre de la directive 92/43 entraîne pour les États l’obligation de prendre des mesures de conservation nécessaires à la préservation de ces plantes, mais ne fait pas obstacle de façon absolue à la consommation de ces plantes par les animaux de pâturage. En outre, les requérantes n’apportent aucun élément en vue d’étayer l’allégation selon laquelle la présence des plantes susmentionnées sur l’île de Chypre serait si limitée qu’il serait scientifiquement impossible que les caractéristiques du lait soient influencées par l’ingestion desdites plantes par les animaux de pâturage.

132    Les requérantes considèrent, en outre, que le règlement attaqué indique, à tort, que le thym et le Sarcopoterium spinosum sont des espèces endémiques de l’île de Chypre.

133    Ainsi que l’admet la Commission dans ses écritures, le règlement attaqué comporte, au considérant 27, une indication erronée, concernant le thym et le Sarcopoterium spinosum, en ce qu’il indique que ces plantes sont endémiques de l’île de Chypre. Il est toutefois constant que ces deux espèces végétales sont présentes à Chypre. La demande d’enregistrement précise, en se référant, notamment, à l’étude Papademas et al. (2002), que ces plantes font partie de celles consommées par les chèvres et les brebis dont le lait est utilisé pour la production de halloumi. Par suite, l’erreur en cause, qui porte uniquement sur le caractère endémique des plantes en question, ne suffit pas à remettre en cause la conclusion, également exposée au considérant 27 du règlement attaqué, selon laquelle on retrouve dans le halloumi les caractéristiques aromatiques des plantes ingérées pendant le pâturage, telles que le thym et le Sarcopoterium spinosum. Par suite, cette erreur ne peut suffire à établir que la Commission n’aurait pas procédé à un examen adéquat de la demande d’enregistrement.

134    Par ailleurs, les requérantes soutiennent que la demande d’enregistrement est insuffisamment étayée s’agissant de l’affirmation selon laquelle les caractéristiques aromatiques des plantes ingérées par les brebis et les chèvres se retrouveraient dans le produit final. De même, elles contestent l’affirmation, figurant dans la demande d’enregistrement, selon laquelle l’ingestion par les animaux de pâturage de plantes riches en huiles essentielles aurait une incidence sur le goût, l’odeur et l’arôme du halloumi. Enfin, elles soutiennent que la demande d’enregistrement ne comporte pas d’élément permettant d’établir que certains composés présents dans les plantes entrant dans l’alimentation des animaux de pâturage seraient également présents dans le fromage produit à partir du lait de ces animaux.

135    Toutefois, au considérant 26 du règlement attaqué, la Commission indique que la demande d’enregistrement comporte des références à plusieurs études scientifiques en vue de démontrer le lien entre l’alimentation des animaux de pâturage et la qualité du fromage fabriqué avec le lait de ces animaux. Dans le règlement attaqué, la Commission se réfère plus précisément à l’une de ces études, selon laquelle les composés volatils détectés dans le lait utilisé pour la fabrication du halloumi proviennent des plantes utilisées pour nourrir les animaux (Papademas et al., 2002). Si les requérantes se réfèrent à la « note technique » annexée à la requête, dont les auteurs discutent, sur certains points, l’interprétation des résultats de cette étude, ces critiques ne permettent pas de remettre en cause la conclusion, exposée dans la demande d’enregistrement, selon laquelle il existe un lien entre l’alimentation des animaux de pâturage et certaines caractéristiques du lait utilisé pour la fabrication du halloumi. En outre, une telle conclusion ressort également d’une autre étude mentionnée dans la demande d’enregistrement et dans le règlement attaqué (Papademas, 2000), selon laquelle la végétation locale dont se nourrissent les animaux influence la qualité du lait et donc les caractéristiques du halloumi. De plus, au soutien de la conclusion selon laquelle le régime alimentaire des animaux de pâturage influence les caractéristiques du lait, le règlement attaqué se réfère à une autre étude (Bugaud et al., 2001), dont les requérantes ne contestent pas la validité.

136    Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission aurait omis de relever l’existence d’erreurs manifestes concernant l’influence du régime alimentaire des animaux de pâturage sur les caractéristiques du lait des animaux de pâturage et sur celles du produit final.

137    Troisièmement, les requérantes soutiennent que la demande d’enregistrement n’est pas appuyée sur des preuves scientifiques suffisantes en ce qu’elle retient que l’utilisation prédominante du lait de brebis ou de chèvre dans la fabrication du halloumi contribue à la formation de l’arôme et de la saveur du produit fini.

138    Les requérantes contestent plus particulièrement l’affirmation, figurant dans la demande d’enregistrement, selon laquelle le lait de brebis et le lait de chèvre auraient une concentration en matière grasse environ deux fois supérieure à celle du lait de vache.

139    Toutefois, comme le relève la Commission, l’étude à laquelle la demande d’enregistrement se réfère sur ce point (Economides et al., 1987) fait apparaître que les teneurs en matière grasse du lait de brebis, du lait de chèvre et du lait de vache sont, respectivement, de 6,20 %, de 4,33 % et de 3,34 %. Il ressort également de cette étude que le mélange du lait de brebis et du lait de chèvre, utilisés en proportions égales, présente une teneur en matière grasse de 5,26 %. La Commission ajoute, sans être contredite sur ce point, que, dans la pratique, la quantité de lait de brebis utilisée dans ledit mélange est supérieure à la quantité de lait de chèvre.

140    Au regard de ces éléments, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l’affirmation selon laquelle la teneur en matière grasse du lait de brebis et du lait de chèvre serait environ deux fois supérieure à celle du lait de vache est manifestement erronée.

141    En outre, si les requérantes contestent la pertinence de la référence à l’étude Scott (1986), au motif que celle-ci ne porte pas spécifiquement sur le halloumi, elles ne contestent pas utilement, ce faisant, l’affirmation formulée dans la demande d’enregistrement, fondée sur cette étude, selon laquelle le lait de chèvre contient des concentrations importantes d’acide caproïque, d’acide caprylique et d’acide caprique qui donnent au fromage un goût piquant et poivré.

142    Les requérantes ajoutent que la demande ne tient pas suffisamment compte du fait que, indépendamment de l’espèce ou de la race d’animaux utilisée pour la production laitière, les caractéristiques du lait peuvent également être influencées par d’autres facteurs, tels que l’alimentation des animaux, la période de lactation ou encore le processus de production. Cette affirmation n’est toutefois pas de nature à remettre en cause la conclusion formulée dans la demande d’enregistrement selon laquelle l’utilisation du lait de chèvre et du lait de brebis, compte tenu de leurs caractéristiques spécifiques, a une influence sur le goût du fromage.

143    Enfin, selon les requérantes, la demande ne comporte aucun élément établissant que le profil d’acide gras du lait de la chèvre de Damas et de la brebis de Chios de type chypriote différerait de celui de la chèvre de Damas et de la brebis de Chios d’origine, de sorte qu’il puisse être relié à l’île de Chypre. Toutefois, il convient de relever que ni la demande d’enregistrement ni le règlement attaqué ne comportent d’affirmation en ce sens. En effet, la demande d’enregistrement expose seulement, tout comme le règlement attaqué, que la brebis de Chios et la chèvre de Damas de type chypriote présentent des caractéristiques morphologiques et productives qui les distinguent de la population d’origine.

144    Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission aurait omis de relever l’existence d’erreurs manifestes concernant l’influence de l’utilisation du lait de chèvre et du lait de brebis sur les caractéristiques organoleptiques du halloumi.

145    Quatrièmement, les requérantes soutiennent que la demande comporte des citations inexactes et des références erronées à certains ouvrages et études scientifiques.

146    Toutefois, si les requérantes se réfèrent, aux points 92 à 95 de la requête, à des affirmations formulées dans la demande d’enregistrement qui, selon elles, ne figurent pas expressément dans l’étude Economides et al. (1987), les affirmations en question sont fondées sur une interprétation des résultats de cette étude, portant sur la teneur en matière grasse et le transfert de la matière grasse du lait de bovins, de caprins et d’ovins, de sorte qu’elles ne peuvent être regardées comme résultant d’une référence manifestement erronée à cette étude.

147    Par ailleurs, les requérantes soutiennent que la demande d’enregistrement comporte des références inexactes à l’ouvrage de J. Harbutt, World Cheese Book (Dorling Kindersley Publishers Ltd, Londres, 2009). Selon elles, la demande d’enregistrement indique à tort que l’ouvrage mentionne le goût « âcre et piquant » du halloumi. De même, la demande d’enregistrement comporterait une traduction erronée de l’ouvrage en faisant référence à la texture « malléable, élastique et croustillante » du halloumi. Toutefois, il ressort de l’extrait de l’ouvrage produit par les requérantes que l’auteur y décrit le goût du halloumi comme « salé et piquant » et la texture du halloumi comme « souple, élastique et caoutchouteuse ». Les différences relevées par les requérantes s’agissant des termes employés peuvent résulter, ainsi que le relève la Commission, du fait que l’ouvrage, rédigé en anglais, est cité dans la demande d’enregistrement dans sa traduction grecque. Compte tenu de l’équivalence des termes employés, les références à l’ouvrage en cause figurant dans la demande d’enregistrement ne peuvent être regardées comme manifestement erronées. Enfin, si les requérantes soutiennent que l’ouvrage en cause ne comporte aucune citation portant sur la réaction du groupe carbonyle du lactose avec les acides aminés, les développements de la demande d’enregistrement ne sont pas étayés, sur ce point, par une référence à cet ouvrage.

148    Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission aurait omis de relever l’existence, dans la demande d’enregistrement, de citations et de références manifestement inexactes et n’aurait pas, ce faisant, procédé à un examen adéquat de la demande d’enregistrement.

149    Cinquièmement, les requérantes soutiennent que les modifications du cahier des charges de la dénomination en litige envisagées par le ministre de l’Agriculture, du Développement rural et de l’Environnement de la République de Chypre, dans une déclaration relayée dans un article de presse paru au mois d’avril 2022, ne peuvent être regardées comme étant d’importance mineure. Elles ajoutent que les changements qui ont finalement été apportés au cahier des charges dans le cadre des première, deuxième et troisième modifications standard reposent sur des motifs qui diffèrent de ceux exposés dans le règlement attaqué, s’agissant du lien entre les caractéristiques du produit et son milieu géographique d’origine. Ainsi, l’approbation de ces modifications, peu de temps après l’adoption du règlement attaqué, confirmerait l’existence d’erreurs manifestes que la Commission aurait omis de relever.

150    Toutefois, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (voir arrêts du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22 et jurisprudence citée, et du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 112 et jurisprudence citée).

151    En l’espèce, en invoquant les modifications du cahier des charges envisagées, puis adoptées après l’enregistrement de la dénomination en litige, les requérantes se prévalent de faits postérieurs au règlement attaqué et donc sans incidence sur sa légalité. Au demeurant, le fait que des modifications ont été apportées au cahier des charges de la dénomination en litige postérieurement à l’enregistrement de cette dénomination ne peut, par lui-même, suffire à démontrer que les conditions nécessaires pour que la dénomination en litige soit enregistrée n’étaient pas remplies à la date à laquelle la Commission a adopté le règlement attaqué.

152    Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission aurait, dans le cadre de l’examen de la demande d’enregistrement, omis de relever l’existence d’erreurs manifestes et aurait, ce faisant, méconnu l’article 50 du règlement no 1151/2012.

c)      Sur lanalyse prétendument défaillante du marché et de la situation des entreprises commercialisant le produit visé par la dénomination en litige

153    Les requérantes font grief à la Commission d’avoir enregistré la dénomination en litige sans avoir tenu compte du fait que, selon elles, les produits qui étaient jusqu’alors légalement fabriqués et commercialisés sur le marché ne satisfaisaient pas, dans leur grande majorité, aux prescriptions du cahier des charges de ladite dénomination. Selon les requérantes, la Commission a, ce faisant, méconnu les articles 10 et 50 du règlement no 1151/2012.

154    Cette argumentation ne saurait prospérer.

155    Ainsi que cela a été dit au point 101 ci-dessus, il appartient notamment à la Commission, lorsqu’elle procède à l’examen d’une demande d’enregistrement, de vérifier, sur la base des éléments figurant dans le cahier des charges, que la dénomination remplit les exigences prévues à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, c’est-à-dire qu’elle identifie un produit comme étant originaire d’un lieu déterminé, dont la qualité ou les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à son milieu géographique d’origine et dont toutes les étapes de production ont lieu dans l’aire géographique délimitée. En outre, il appartient à la Commission de vérifier si l’enregistrement doit être refusé pour l’un des motifs exposés à l’article 6 du règlement no 1151/2012. À ce titre, une dénomination ne peut pas être enregistrée, notamment, si elle présente un caractère générique ou si, compte tenu de la réputation d’une marque, de sa renommée et de la durée de son usage, cet enregistrement est de nature à induire le consommateur en erreur quant à la véritable identité du produit.

156    En revanche, il ne ressort pas des dispositions du règlement no 1151/2012 que l’enregistrement d’une dénomination devrait être refusé au motif que les produits commercialisés sous cette dénomination seraient, dans une proportion plus ou moins importante, élaborés selon une méthode qui n’est pas conforme à celle prévue dans le cahier des charges. En d’autres termes, la circonstance selon laquelle, à la date à laquelle la Commission statue sur la demande d’enregistrement, seule une part limitée des produits visés par la dénomination proposée à l’enregistrement serait fabriquée conformément au cahier des charges ne peut, en tant que telle, justifier un refus d’enregistrer ladite dénomination.

157    En outre, il convient de souligner que le choix de retenir, dans le cahier des charges, une méthode d’élaboration du produit, plutôt qu’une autre, relève d’un choix effectué au niveau de l’État membre à l’origine de la demande. Ainsi, il n’appartient pas à la Commission d’intervenir en ce qui concerne la définition des modalités de fabrication du produit visé par la demande d’enregistrement, telles qu’elles figurent dans le cahier des charges (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 51).

158    Il résulte de ce qui précède que, en l’espèce, il n’appartenait pas à la Commission de procéder à un contrôle de la méthode de fabrication du produit retenue dans le cahier des charges de la dénomination en litige. Il ne lui appartenait pas davantage de vérifier quelle serait la part des produits présents sur le marché qui serait conforme audit cahier des charges. Ainsi, à le supposer avéré, le fait que, à la date d’adoption du règlement attaqué, en raison des choix effectués dans la demande d’enregistrement, seule une part limitée de ces produits soit conforme au cahier des charges de la dénomination en litige ne pouvait conduire la Commission à refuser l’enregistrement de cette dénomination. De même, le fait que les producteurs de fromage pourraient ne pas bénéficier de l’AOP pour une part significative des produits qu’ils commercialisaient légalement avant l’adoption du règlement attaqué, notamment ceux élaborés à partir d’un mélange comportant en majorité du lait de vache, est, à le supposer établi, sans incidence, en tant que tel, sur la légalité de ce règlement.

159    Par ailleurs, au soutien de leur argument selon lequel la Commission n’a pas tenu compte de la situation des produits qui se trouvaient légalement sur le marché avant l’enregistrement de la dénomination en litige, les requérantes ne peuvent utilement invoquer l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1151/2012, cité au point 61 ci-dessus. En effet, il ressort de cette disposition qu’une déclaration d’opposition motivée est recevable si elle démontre que l’enregistrement de la dénomination proposée porterait préjudice, notamment, à l’existence de produits qui se trouvent légalement sur le marché depuis au moins cinq ans avant la date de la publication prévue à l’article 50, paragraphe 2, du règlement no 1151/2012. Un tel motif d’opposition, qui peut permettre de justifier de la recevabilité de la déclaration d’opposition motivée, ne constitue pas, en revanche, en tant que tel, un motif de refus d’enregistrement d’une dénomination. À cet égard, il résulte de l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 1151/2012, cité au point 71 ci-dessus, que le dépôt d’une déclaration d’opposition motivée recevable n’empêche pas que l’enregistrement de la dénomination puisse être accordé.

160    Au regard de ce qui précède, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission n’a pas procédé à un examen adéquat de la demande d’enregistrement au motif qu’elle n’aurait pas correctement tenu compte de la réalité du marché et de la situation des entreprises qui commercialisent le produit en cause.

161    Les autres arguments invoqués par les requérantes ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion.

162    Premièrement, si les requérantes se prévalent des droits dont elles sont titulaires en tant que détenteurs ou utilisateurs de marques commerciales et invoquent plus particulièrement, à cet égard, la marque collective de l’Union européenne HALLOUMI, l’existence de ces marques ne faisait pas obstacle à l’enregistrement de la dénomination en litige. À cet égard, il convient de relever que les requérantes n’allèguent ni, a fortiori, ne démontrent que ces marques jouissaient d’une réputation et d’une renommée telles que l’enregistrement de la dénomination en litige aurait dû être refusé sur le fondement de l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1151/2012.

163    Deuxièmement, si les requérantes soutiennent, dans la réplique, que la Commission n’a pas précisé, dans le règlement attaqué, si les produits légalement commercialisés avant l’enregistrement de l’AOP pourraient continuer à l’être, après cet enregistrement, au titre de la norme de 1985, aucune disposition du règlement no 1151/2012 ne faisait en tout état de cause obligation à la Commission de se prononcer sur ce point dans le cadre de l’examen de la demande d’enregistrement. Au surplus, il convient de relever, à cet égard, que la Commission rappelle, dans le règlement attaqué, que les autorités chypriotes ont accordé aux producteurs une période transitoire de dix ans durant laquelle ils étaient autorisés à utiliser, sous certaines conditions, une quantité de lait de chèvre ou de brebis plus faible que celle prévue dans le cahier des charges.

164    Troisièmement, les requérantes soutiennent que la Commission se serait fondée, au considérant 48 du règlement attaqué, sur des données obsolètes en ce qui concerne la production de halloumi à Chypre. Toutefois, cette circonstance résulte du fait que la Commission a statué au regard des informations qui lui avaient été transmises par les autorités chypriotes en 2016. En outre, comme le relève la Commission,  l’ancienneté des données mentionnées au considérant 48 du règlement attaqué n’est pas de nature à remettre en cause la conclusion, exposée dans ce considérant, et dont la validité n’est pas contestée par les requérantes, selon laquelle Chypre est de loin le premier producteur et exportateur mondial de halloumi.

165    Quatrièmement, les requérantes critiquent le fait que le règlement attaqué ne citerait pas l’ensemble de la jurisprudence relative aux marques commerciales concernant le halloumi. Toutefois, si le règlement attaqué se réfère à plusieurs arrêts du Tribunal, rendus dans des affaires de propriété intellectuelle, en vue de démontrer l’identité chypriote du produit, aucune disposition n’imposait à la Commission de procéder à un recensement exhaustif de cette jurisprudence.

166    Cinquièmement, les requérantes exposent que le règlement attaqué comporte, en son considérant 49, des indications erronées en ce qui concerne le règlement portant sur la marque collective de l’Union européenne HALLOUMI. Elles soutiennent que le règlement attaqué indique, à tort, que cette marque aurait été enregistrée au profit du fromage fabriqué à Chypre « dans le respect du cahier des charges » de la dénomination en litige. S’il ressort effectivement du dossier que le règlement portant sur ladite marque n’est pas libellé en des termes identiques à ceux qui figurent dans le cahier des charges, l’erreur alléguée est toutefois sans incidence sur le raisonnement suivi par la Commission au considérant 49 du règlement attaqué, au terme duquel elle considère qu’aucun élément ne permet de conduire au refus de l’enregistrement de la dénomination en litige en raison de la renommée ou de la notoriété d’une marque antérieure. Ainsi que cela a été dit au point 162 ci-dessus, les requérantes ne contestent pas cette conclusion.

167    Sixièmement, les requérantes font valoir qu’il n’est pas démontré que, en dehors de Chypre, le halloumi est connu comme un fromage d’origine chypriote et que la Commission n’a pas dûment pris en considération, sur ce point, l’opinion du consommateur de l’Union.

168    Cet argument ne peut prospérer.

169    Il convient de relever qu’il ne ressort pas des dispositions du règlement no 1151/2012 que la demande d’enregistrement devrait obligatoirement comporter une analyse de l’opinion du consommateur de l’Union quant à l’origine à laquelle est associé le produit visé par la dénomination proposée à l’enregistrement. Dès lors, il ne s’agit pas d’un élément que la Commission serait tenue de prendre en considération lorsqu’elle procède à la vérification du contenu de la demande d’enregistrement.

170    En outre, en vue de déterminer si la dénomination en litige était, ou non, devenue générique, la Commission a notamment analysé, aux considérants 57 et 58 du règlement attaqué, la réputation du halloumi et a considéré, au regard des éléments fournis par les autorités chypriotes, que les consommateurs de l’Union ne percevaient pas le halloumi comme un type de fromage, sans lien avec une origine géographique particulière. Les requérantes, en vue de contester l’affirmation selon laquelle le halloumi est connu comme un fromage originaire de Chypre, se prévalent d’une seule étude portant sur un État membre particulier, sans pour autant contester la pertinence des éléments mentionnés aux considérants 57 et 58 du règlement attaqué, ni remettre en cause la conclusion, exposée au considérant 55 de ce règlement, selon laquelle la dénomination en litige n’est pas devenue générique.

171    Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission, dans le cadre de l’examen de la demande d’enregistrement, a procédé à une analyse défaillante du marché de la production du halloumi et de la situation des entreprises qui commercialisent ce produit.

172    Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la Commission n’aurait pas procédé à un examen adéquat de la demande d’enregistrement doit être rejeté.

5.      Sur le moyen tiré de ce que le règlement attaqué est illégal eu égard aux conséquences quil convenait de tirer de la procédure ayant donné lieu au jugement du 14 juin 2021

173    Par leur cinquième moyen, les requérantes soutiennent que, au regard des conséquences qu’il convenait de tirer de la procédure judiciaire nationale ayant donné lieu au jugement du 14 juin 2021, le règlement attaqué a été adopté en méconnaissance de l’article 49 du règlement no 1151/2012 et du principe de bonne administration.

a)      Sur la recevabilité du moyen

174    Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige, les moyens et les arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Selon une jurisprudence constante, cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui (voir arrêt du 25 janvier 2018, BSCA/Commission, T‑818/14, EU:T:2018:33, point 95 et jurisprudence citée).

175    En l’espèce, il convient d’observer que les requérantes exposent, de façon suffisamment claire et compréhensible dans leurs écritures, les éléments sur lesquels repose leur cinquième moyen, y compris en ce qu’il est tiré d’une méconnaissance de l’article 49 du règlement no 1151/2012, dont elles citent les paragraphes 2 à 4. Par suite, à supposer que la Commission, dans le mémoire en défense et dans la duplique, ait entendu contester la recevabilité de ce moyen, il y a lieu, en tout état de cause, de conclure que ce moyen est recevable.

b)      Sur le bien-fondé du moyen

176    Le cinquième moyen soulevé par les requérantes comporte deux branches, tirées, respectivement, de ce que la Commission était tenue d’attendre l’issue de la procédure pendante devant le juge national avant d’adopter le règlement attaqué et de ce que l’annulation d’actes adoptés par les autorités chypriotes préalablement au dépôt de la demande d’enregistrement auprès de la Commission entraîne l’illégalité du règlement attaqué.

177    Il convient d’examiner successivement ces deux branches.

1)      Sur la prétendue obligation de la Commission d’attendre l’issue de la procédure pendante devant le juge national avant d’adopter le règlement attaqué

178    Les requérantes soutiennent que la Commission, informée de l’introduction de recours devant le Dioikitiko Dikastirio (tribunal administratif), ne pouvait mener à son terme la procédure d’enregistrement tant que la procédure judiciaire nationale était pendante, dans la mesure où il existait un risque que l’acte adopté par la Commission soit fondé sur un acte national invalide. Selon les requérantes, l’obligation pour la Commission d’attendre l’issue des procédures juridictionnelles introduites devant les juridictions nationales avant de statuer sur la demande d’enregistrement résulte tant de l’article 49 du règlement no 1151/2012 que du principe de bonne administration.

179    La Commission fait valoir qu’elle n’était pas juridiquement tenue d’attendre l’issue de la procédure pendante devant le juge national avant de procéder à l’enregistrement de la dénomination en litige.

180    En premier lieu, il convient de rappeler que l’article 49 du règlement no 1151/2012, cité au point 62 ci-dessus, régit la procédure applicable devant les autorités nationales lorsqu’une demande d’enregistrement d’une dénomination est déposée. Si ces dispositions prévoient, notamment, que les personnes ayant un intérêt légitime doivent pouvoir disposer de voies de recours lorsque l’État membre adopte, après examen de la demande d’enregistrement, une décision favorable, elles ne prévoient, en revanche, dans leur rédaction applicable au litige, aucune obligation pour la Commission de sursoir à statuer dans l’attente d’un jugement définitif du juge national lorsque des recours sont formés contre les actes adoptés par les autorités nationales dans le cadre de la procédure régie par cet article. Par ailleurs, une telle obligation ne résulte d’aucune autre disposition du règlement no 1151/2012.

181    En second lieu, il convient de rappeler que, parmi les garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives, figure notamment le principe de bonne administration, auquel se rattache l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du 29 mars 2012, Commission/Estonie, C‑505/09 P, EU:C:2012:179, point 95 et jurisprudence citée).

182    En l’espèce, il ne ressort pas du dossier que la Commission n’a pas pris en considération l’ensemble des éléments pertinents au moment où elle a statué sur la demande d’enregistrement. En effet, à la date d’adoption du règlement attaqué, la procédure devant le Dioikitiko Dikastirio (tribunal administratif) était encore pendante. Il ne ressort pas du dossier que la Commission disposait d’informations lui permettant de savoir dans quel délai le jugement mettant fin à l’instance serait susceptible d’être rendu. Il ne ressort pas davantage du dossier qu’il existait des éléments susceptibles de conduire la Commission à douter de la validité de la demande d’enregistrement. Par suite, et alors que le principe de bonne administration fait également obligation à la Commission de traiter dans un délai raisonnable les affaires dont elle est saisie, il ne saurait être reproché à cette dernière d’avoir adopté le règlement attaqué sans attendre l’issue de la procédure judiciaire nationale.

183    Par ailleurs, si, au soutien de leur argumentation, les requérantes invoquent l’arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission (T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208), cet arrêt ne permet pas de remettre en cause la conclusion exposée au point 182 ci-dessus.

184    En effet, il convient de relever que les circonstances de la présente affaire diffèrent de celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission (T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208). Dans cette affaire, la juridiction nationale statuant en première instance avait partiellement annulé le cahier des charges de la dénomination proposée à l’enregistrement en tant qu’indication géographique protégée (IGP), alors que la Commission n’avait pas encore statué sur la demande d’enregistrement. Informée de l’existence de cet arrêt, la Commission a demandé aux autorités de l’État membre concerné si elles entendaient poursuivre la procédure d’enregistrement. Les autorités nationales ont confirmé à la Commission qu’elles souhaitaient la poursuite de la procédure d’enregistrement et l’ont, en outre, informée qu’elles avaient introduit un recours contre l’arrêt rendu en première instance. La Commission a ensuite procédé à l’enregistrement de la dénomination litigieuse.

185    Au regard de ces circonstances, le Tribunal a jugé que la Commission, en estimant qu’il ne lui appartenait pas d’évaluer de manière autonome les conséquences de l’annulation partielle du cahier des charges sur la demande d’enregistrement pendante devant elle et en enregistrant la dénomination, nonobstant cette annulation, avait méconnu, notamment, le principe de bonne administration (arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 75). Le Tribunal a, en outre, jugé, en réponse à l’argument de la Commission selon lequel le règlement no 1151/2012 prévoyait la possibilité de modifier le cahier des charges ou d’annuler l’enregistrement d’une IGP, que cette faculté ne pouvait justifier l’enregistrement de l’IGP, alors que, au moment de l’adoption du règlement correspondant, le cahier des charges de cette IGP avait été partiellement annulé. Selon le Tribunal, il aurait été contraire au principe de bonne administration d’enregistrer une IGP pour ensuite l’annuler ou engager la procédure de modification du cahier des charges en tenant compte de circonstances qui étaient déjà connues de la Commission au moment de l’adoption du règlement procédant à l’enregistrement de l’IGP (arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, point 82). Ainsi, la violation du principe de bonne administration a été constatée par le Tribunal au regard de la circonstance, propre à cette affaire, selon laquelle la Commission a enregistré la dénomination alors qu’elle ne pouvait ignorer, à la date à laquelle elle a adopté le règlement correspondant, que le cahier des charges avait été partiellement annulé par la juridiction nationale compétente.

186    En revanche, il ne saurait être retenu que le principe de bonne administration implique, pour la Commission, de façon générale et absolue, l’obligation de suspendre la procédure d’enregistrement d’une dénomination à partir du moment où elle est informée de l’introduction d’un recours devant une juridiction nationale contre un acte adopté dans le cadre de la phase nationale de cette procédure d’enregistrement.

187    Il résulte de ce qui précède que la première branche du cinquième moyen soulevé par les requérantes doit être rejetée.

2)      Sur les conséquences de l’annulation prononcée par le juge national sur la légalité du règlement attaqué

188    Les requérantes exposent que, par l’effet du jugement du 14 juin 2021, la décision par laquelle le ministre de l’Agriculture, des Ressources naturelles et de l’Environnement de la République de Chypre, d’une part, a rejeté les objections soulevées contre la demande d’enregistrement et, d’autre part, s’est prononcé en faveur de la transmission de la demande d’enregistrement à la Commission a été annulée.

189    Selon les requérantes, le règlement attaqué est, ainsi, fondé sur des actes internes qui, par l’effet de cette annulation, ont disparu de l’ordonnancement juridique. Le règlement attaqué ne pourrait subsister à l’annulation prononcée par le juge national et devrait lui-même, par suite, être annulé.

190    La Commission, soutenue par la République de Chypre, fait valoir que l’annulation prononcée par le Dioikitiko Dikastirio (tribunal administratif) ne peut entraîner l’annulation du règlement attaqué.

191    Il convient de rappeler que, ainsi que cela a été dit au point 64 ci-dessus, compte tenu du pouvoir décisionnel qui revient aux autorités nationales dans le système de partage des compétences instauré par le règlement no 1151/2012, il appartient aux seules juridictions nationales de statuer sur la légalité des actes pris par ces autorités, tels que ceux portant sur des demandes d’enregistrement d’une dénomination (voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2020, GAEC Jeanningros, C‑785/18, EU:C:2020:46, point 25 et jurisprudence citée).

192    Lorsqu’un acte adopté par les autorités de l’État membre concerné dans le cadre de la phase nationale de la procédure d’enregistrement est annulé postérieurement à l’enregistrement de la dénomination en cause, il appartient à la Commission de réexaminer l’affaire (voir, par analogie, arrêt du 29 janvier 2020, GAEC Jeanningros, C‑785/18, EU:C:2020:46, point 39 et jurisprudence citée)

193    La Commission, sans être liée par l’appréciation des autorités nationales, doit déterminer de façon autonome les conséquences qu’il convient de tirer de l’annulation prononcée par le juge national (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2018, CRM/Commission, T‑43/15, non publié, EU:T:2018:208, points 75 et 84). Dans ce cadre, la Commission peut être amenée à tenir compte de la nature et de la gravité de l’illégalité commise et des mesures que l’État membre a éventuellement adoptées en vue de remédier à cette illégalité.

194    Au terme de ce réexamen, le cas échéant, la Commission peut, de sa propre initiative, mettre en œuvre la procédure d’annulation de l’AOP prévue à l’article 54 du règlement no 1151/2012 (voir, en ce sens, ordonnance du 7 décembre 2015, POA/Commission, T‑584/15 R, non publiée, EU:T:2015:946, point 36).

195    En revanche, compte tenu du système de partage des compétences instauré par le règlement no 1151/2012 et des pouvoirs dont dispose la Commission lorsqu’elle procède au réexamen de l’affaire, l’annulation ultérieure d’un acte adopté par les autorités de l’État membre concerné dans le cadre de la phase nationale de la procédure d’enregistrement ne saurait entraîner de plein droit la nullité de l’acte d’enregistrement adopté par la Commission et conduire automatiquement à son annulation.

196    Il en résulte que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir, en l’espèce, que l’annulation prononcée par le Dioikitiko Dikastirio (tribunal administratif) doit entraîner de plein droit l’annulation du règlement attaqué.

197    Par ailleurs, il ne ressort pas de l’article 49 du règlement no 1151/2012, qui précise les conditions dans lesquelles les demandes d’enregistrement sont déposées et examinées à l’échelle nationale, que l’annulation, par le juge national, d’un acte adopté en application de cet article entraînerait automatiquement l’illégalité du règlement par lequel la Commission enregistre la dénomination en cause.

198    De même, dès lors que, ainsi que cela a été dit au point 181 ci-dessus, le principe de bonne administration implique l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce à la date à laquelle elle statue, le règlement attaqué ne saurait être regardé comme ayant été adopté en méconnaissance de ce principe en raison de l’annulation prononcée par le Dioikitiko Dikastirio (tribunal administratif) postérieurement à son édiction.

199    Par suite, le cinquième moyen soulevé par les requérantes doit également être rejeté en sa deuxième branche.

200    Il résulte de tout de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

V.      Sur les dépens

201    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

202    Selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Il s’ensuit que la République de Chypre supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Papouis Dairies Ltd et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République de Chypre supportera ses propres dépens.

Porchia

Madise

Nihoul

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 février 2024.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Faits postérieurs à l’adoption du règlement attaqué

III. Conclusions des parties

IV. En droit

A. Sur les mémoires en adaptation

B. Sur le fond

1. Sur le moyen tiré de l’insuffisance de motivation du règlement attaqué

2. Sur le moyen tiré des irrégularités entachant la procédure d’adoption du règlement attaqué

a) Sur la procédure nationale d’opposition

b) Sur la procédure d’opposition organisée à l’échelle de l’Union

3. Sur le moyen tiré de la durée excessive de la procédure d’enregistrement

4. Sur le moyen tiré de ce que la Commission n’a pas procédé à un examen adéquat de la demande d’enregistrement

a) Sur la prétendue contrariété de la demande d’enregistrement avec la norme de 1985

b) Sur les erreurs manifestes entachant, selon les requérantes, la demande d’enregistrement

c) Sur l’analyse prétendument défaillante du marché et de la situation des entreprises commercialisant le produit visé par la dénomination en litige

5. Sur le moyen tiré de ce que le règlement attaqué est illégal eu égard aux conséquences qu’il convenait de tirer de la procédure ayant donné lieu au jugement du 14 juin 2021

a) Sur la recevabilité du moyen

b) Sur le bien-fondé du moyen

1) Sur la prétendue obligation de la Commission d’attendre l’issue de la procédure pendante devant le juge national avant d’adopter le règlement attaqué

2) Sur les conséquences de l’annulation prononcée par le juge national sur la légalité du règlement attaqué

V. Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.