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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

8 juin 2022 (*)

« Référé – Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Fonds structurels et d’investissement européens – Règlement (UE) no 1303/2013 – Documents émanant d’un État membre – Demande de sursis à exécution – Fumus boni juris – Urgence – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑104/22 R,

Hongrie, représentée par MM. M. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme C. Ehrbar, MM. A. Spina et A. Tokár, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, la requérante, la Hongrie, sollicite le sursis à l’exécution de la décision de la Commission européenne du 14 décembre 2021, adoptée conformément au règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), ayant pour objet la demande confirmative GestDem 2021/2808 visant à garantir l’accès du public à des documents émanant de ses autorités.

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

2        Le 30 avril 2021, une demande d’accès a été adressée à la Commission visant la correspondance échangée entre la Commission et les autorités hongroises concernant un appel à propositions financé dans le cadre de la gestion partagée, conformément aux articles 74 et 125 du règlement (UE) no 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320).

3        Consulté par la Commission conformément à l’article 4, paragraphes 4 et 5, du règlement no 1049/2001 afin de déterminer si une exception empêcherait la divulgation des documents émanant des autorités hongroises, le gouvernement hongrois a indiqué que les documents en cause avaient trait à une question sur laquelle aucune décision n’avait encore été prise. Selon lui, la divulgation des documents concernés pourrait porter gravement atteinte aux principes d’égalité de traitement, de non‑discrimination et de transparence, en ce que cette divulgation pourrait avoir pour résultat que des bénéficiaires potentiels accèdent à des informations susceptibles de leur conférer un avantage concurrentiel déloyal.

4        Le 16 juin 2021, la Commission a refusé d’accorder l’accès aux documents émanant des autorités hongroises sur la base de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001.

5        Le 13 octobre 2021, à la suite d’une demande confirmative d’accès conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, la Commission a de nouveau consulté le gouvernement hongrois.

6        Le 28 octobre 2021, le gouvernement hongrois a informé la Commission de son opposition à l’accès aux documents en cause, en invoquant l’exception protégeant la prise de décision prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001. Il a justifié son opposition par le fait que le contenu de l’appel à propositions n’était pas encore finalisé et que la demande portait sur la correspondance relative à un appel à propositions en gestion partagée. Or, l’autorité de gestion de l’État membre concerné n’a pas encore pris de décision à cet égard. En outre, la divulgation de la correspondance pourrait porter gravement atteinte aux principes d’égalité de traitement, de non‑discrimination et de transparence, en ce que cette divulgation pourrait avoir pour résultat que des bénéficiaires potentiels accèdent à des informations susceptibles de leur conférer un avantage concurrentiel déloyal.

7        Le 14 décembre 2021, la Commission a décidé d’accorder au tiers demandeur un accès partiel aux documents en cause, et ce malgré l’opposition manifestée par le gouvernement hongrois (ci‑après la « décision attaquée »).

8        Le gouvernement hongrois ayant manifesté son intention d’introduire un recours en annulation de la décision attaquée et d’assortir ce recours d’une demande de sursis à exécution, la Commission a indiqué, le 1er février 2022, qu’elle ne divulguerait pas les documents en cause tant que le Tribunal n’aurait pas statué sur la demande en référé.

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 février 2022, la Hongrie a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée.

10      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la Hongrie a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution de la décision attaquée.

11      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 15 mars 2022, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        prendre acte de ce qu’elle ne s’oppose pas à la demande de mesures provisoires et qu’elle s’en remet à sa sagesse quant à la question de déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, les conditions pour l’octroi du sursis à exécution sollicité sont réunies ;

–        réserver la décision sur les dépens de la présente procédure de référé pour la décision quant aux dépens de l’affaire principale.

  En droit

  Généralités

12      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

13      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

14      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

15      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

16      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

17      S’agissant en l’occurrence du contentieux relatif à la protection provisoire d’informations prétendument confidentielles, il y a lieu de souligner, d’ores et déjà, que la Commission ne s’oppose pas à la demande de mesures provisoires.

18      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord la condition relative au fumus boni juris.

 Sur le fumus boni juris

19      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].

20      Afin de déterminer si la condition relative au fumus boni juris est remplie en l’espèce, il y a lieu de procéder à un examen prima facie du bien‑fondé des griefs invoqués par la partie requérante à l’appui du recours dans l’affaire principale et donc de vérifier si au moins l’un d’entre eux présente un caractère suffisamment sérieux pour justifier qu’il ne soit pas écarté dans le cadre de la procédure de référé (voir ordonnance du 4 mai 2020, Csordas e.a./Commission, T‑146/20 R, non publiée, EU:T:2020:172, point 26 et jurisprudence citée).

21      En l’espèce, aux fins de démontrer que la décision attaquée est, à première vue, entachée d’illégalité, la Hongrie invoque deux moyens.

22      Par son premier moyen, la Hongrie allègue que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 trouve à s’appliquer en l’espèce car, même s’il appartient à l’autorité nationale d’adopter la décision relative à l’appel à propositions, la Commission est appelée, en vertu de l’article 30, paragraphe 2, du règlement no 1303/2013, à prendre une décision sur la modification des programmes opérationnels, ainsi que sur leur approbation.

23      D’abord, la Hongrie soutient que, quand bien même il appartient à l’autorité nationale d’adopter la décision sur l’appel à propositions, on ne saurait faire abstraction du fait que cette décision est prise dans le cadre d’une gestion partagée. En effet, l’autorité de gestion nationale procéderait à la publication d’appels à propositions concrets sur la base d’un programme opérationnel que la Commission est appelée à approuver au préalable. Dans un domaine affectant les ressources financières de l’Union, la décision est certes prise par l’autorité nationale, mais dans les cadres définis par l’institution et sous son contrôle ultérieur.

24      Ensuite, la Hongrie allègue que la compétence de la Commission d’approuver un programme opérationnel implique qu’elle devait soulever d’office une exception supplémentaire. En effet, cette dernière aurait dû refuser l’accès aux documents au titre de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 dans la mesure où leur divulgation porterait atteinte à la protection « des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit », dès lors que la Commission est chargée du suivi des programmes, en procédant, le cas échéant, à des corrections financières..

25      Par son second moyen, la Hongrie soutient que, si le Tribunal devait juger que, en réalité, ce n’est pas la Commission mais l’autorité de gestion de l’État membre qui est habilitée à prendre une décision, par la publication d’un appel à propositions, le processus décisionnel de l’autorité de gestion devrait alors également bénéficier de la protection conférée par l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001. Compte tenu de la spécificité de la présente affaire et de la gestion partagée entre la Commission et l’autorité de gestion de l’État membre, il conviendrait, conformément à la pratique et à la jurisprudence, de ne pas limiter le champ d’application de cette disposition aux seules institutions de l’Union.

26      En outre, la Hongrie considère que les motifs de la décision de la Commission ne lui permettent pas d’apprécier si celle-ci a examiné d’autres motifs de refus possibles, tels que celui visant « la politique financière, monétaire ou économique de la Communauté ou d’un État membre » en tant qu’intérêt public, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), ou encore celui relatif aux « objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement. Dans le cadre d’une coopération loyale, la Commission aurait dû, d’une part, exposer les raisons qui l’ont amené à changer sa pratique antérieure et, d’autre part, donner à l’État membre une nouvelle possibilité de faire valoir d’autres intérêts. Si, en effet, la Commission a estimé que l’exception invoquée de façon motivée par l’État membre n’était pas appropriée, elle aurait dû soit examiner elle‑même les exceptions susceptibles de s’appliquer, comme si l’État membre n’avait pas justifié sa demande, soit demander explicitement à l’État membre de le faire.

27      La Commission répond que l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 ne vise que les documents ayant trait à une question sur laquelle une institution n’a pas encore pris de décision. Cette disposition ne saurait donc s’étendre au processus décisionnel des autorités hongroises portant sur les projets d’appels à propositions relevant de leur responsabilité exclusive. En effet, la correspondance réclamée concernerait l’appel à propositions financées dans le cadre de la « gestion partagée » conformément aux articles 74 et 125 du règlement no 1303/2013. Eu égard notamment à son article 34, paragraphe 3, sous d), le règlement no 1303/2013 ne prévoirait pas la prise d’une décision par la Commission dans le cadre de la préparation et de l’approbation des appels à propositions par les entités nationales compétentes, raison pour laquelle l’institution ne devrait pas prendre une décision au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

28      En outre, la Commission allègue que les autorités hongroises n’ont fondé leur opposition que sur des considérations d’ordre général. Elle auraient omis notamment d’expliquer de façon concrète comment la divulgation de documents émanant des autorités nationales porterait atteinte, de façon prévisible et non simplement hypothétique, à l’intérêt protégé par l’exception qu’elles invoquent. En effet, la circonstance que le processus décisionnel soit toujours en cours et que les documents réclamés soient de nature préparatoires, ne suffirait pas à démontrer l’existence d’un risque raisonnablement prévisible et non purement hypothétique d’atteinte grave audit processus.

29      Par conséquent, selon la Commission, l’opposition de la Hongrie n’est manifestement pas conforme à l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001 ne saurait être interprété en ce sens qu’il investit l’État membre d’un droit de veto général et inconditionnel à l’effet de s’opposer discrétionnairement à la divulgation de documents qui émanent de lui et sont détenus par une institution.

30      Par ailleurs, la Commission considère que les arguments, avancés par la Hongrie pour la première fois au stade juridictionnel, selon lesquels elle entend reprendre le processus décisionnel conformément à l’article 30, paragraphe 2, du règlement no 1303/2013 et que la Commission aurait dû appliquer d’office l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 ou la protection de l’intérêt public au titre de l’article 4, paragraphe 1, point a), dudit règlement, sont irrecevables ou, en tout état de cause, manifestement non fondés.

31      En effet, même si les documents en cause étaient pertinents du point de vue du futur processus décisionnel ou pour le futur processus décisionnel lié à d’éventuelles modifications des programmes opérationnels au titre de l’article 30, paragraphe 2, du règlement no 1303/2013 et qu’ils devaient être considérés comme des documents contenant des avis destinés à l’utilisation interne au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, la Hongrie ne démontre pas que la divulgation des documents en cause porterait atteinte au processus décisionnel de l’institution.

32      Enfin, la Commission ajoute que, même si la procédure concernant les demandes de modification de programmes introduites par un État membre, prévue à l’article 30 du règlement no 1303/2013, constituait une enquête au sens des objectifs visés au troisième tiret de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, la Hongrie n’a pas démontré que les documents en cause sont pertinents aux fins de cette enquête, ni en quoi leur divulgation porterait atteinte au bon déroulement de ladite enquête.

33      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001 prévoit qu’un État membre peut demander à une institution de ne pas divulguer un document émanant de lui sans son accord préalable. Il convient cependant de noter que cet article n’accorde pas à l’État membre concerné un droit de veto général et inconditionnel lui permettant de s’opposer, de manière purement discrétionnaire et sans avoir à motiver sa décision, à la divulgation de tout document détenu par une institution du seul fait que ledit document émane de cet État membre (voir arrêt du 21 juin 2012, IFAW Internationaler Tierschutz‑Fonds/Commission, C‑135/11 P, EU:C:2012:376, point 57 et jurisprudence citée).

34      L’accord préalable de l’État membre concerné auquel se réfère l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001 s’apparente ainsi non pas à un droit de veto discrétionnaire, mais à une forme d’avis conforme quant à l’inexistence de motifs d’exception tirés des paragraphes 1 à 3 du même article. Le processus décisionnel ainsi institué par ledit article 4, paragraphe 5, exige donc que l’institution et l’État membre concernés s’en tiennent aux exceptions matérielles prévues auxdits paragraphes 1 à 3 (voir arrêt du 21 juin 2012, IFAW Internationaler Tierschutz‑Fonds/Commission, C‑135/11 P, EU:C:2012:376, point 58 et jurisprudence citée).

35      En outre, bien que l’institution soit elle‑même tenue de motiver la décision de refus qu’elle oppose à l’auteur de la demande d’accès, il ne lui appartient pas de procéder à une appréciation exhaustive de la décision d’opposition de l’État membre concerné, en effectuant un contrôle qui irait au‑delà de la vérification de la simple existence d’une motivation faisant référence aux exceptions visées à l’article 4, paragraphes 1 à 3, du règlement no 1049/2001 (arrêt du 21 juin 2012, IFAW Internationaler Tierschutz‑Fonds/Commission, C‑135/11 P, EU:C:2012:376, point 63).

36      Ainsi, il incombe à l’institution de vérifier si, compte tenu des circonstances de l’espèce et des règles de droit applicables, les motifs avancés par l’État membre au soutien de son opposition étaient de nature à justifier à première vue un tel refus et, partant, si ces motifs permettaient à ladite institution d’assumer la responsabilité que lui confère l’article 8 du règlement no 1049/2001. Il s’agit d’éviter l’adoption par l’institution d’une décision qu’elle n’estimait pas défendable alors qu’elle en est l’auteur et donc le responsable de sa légalité (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2017, France/Commission, T‑344/15, EU:T:2017:250, points 46 et 47 et jurisprudence citée).

37      Il importe de souligner que cet examen doit être accompli dans le cadre du dialogue loyal qui caractérise le processus décisionnel institué par l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001, l’institution étant tenue de permettre à l’État membre de mieux exposer ses motifs ou de réévaluer ces derniers pour qu’ils puissent être considérés, prima facie, défendables (arrêt du 14 février 2012, Allemagne/Commission, T‑59/09, EU:T:2012:75, point 55).

38      C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient, en premier lieu, d’examiner l’argumentation de la Hongrie, selon laquelle l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 trouve à s’appliquer dans un cas de gestion partagée, comme celui de l’espèce dans lequel, d’une part, l’autorité nationale est censée adopter la décision relative à l’appel à propositions et, d’autre part, la Commission doit approuver les programmes opérationnels et leurs modifications.

39      Tel ne serait pas le cas selon la Commission, qui considère que les décisions sur les projets d’appels à propositions relèvent de la responsabilité exclusive des autorités hongroises et n’impliquent pas l’adoption d’une décision par la Commission.

40      Cette argumentation n’est cependant pas, à première vue, de nature à écarter un différend juridique important.

41      En effet, selon l’article 73 du règlement no 1303/2013, « [c]onformément au principe de gestion partagée, les États membres et la Commission sont responsables de la gestion et du contrôle des programmes en fonction des responsabilités qui leur incombent en vertu du présent règlement et des règles spécifiques des Fonds ».

42      En outre, le considérant 10 du règlement no 1303/2013 précise que « [a]u titre de l’article 317 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et dans le cadre de la gestion partagée, il convient de fixer les conditions permettant à la Commission d’assumer ses responsabilités d’exécution du budget de l’Union et de préciser les responsabilités des États membres en matière de coopération. Ces conditions devraient permettre à la Commission de s’assurer que les [Fonds structurels et d’investissement européens] sont utilisés par les États membres de manière légale et régulière et conformément au principe de bonne gestion financière ».

43      Il en découle que, dans le cadre de la gestion partagée en cause dans le cas d’espèce, les États membres et la Commission ont une responsabilité partagée pour la gestion et le contrôle des programmes et qu’il incombe notamment à la Commission de veiller à une utilisation légale et régulière des Fonds structurels et d’investissement européens par les États membres.

44      Par conséquent, il ne saurait être exclu, à première vue, que les documents en cause dans la présente affaire puissent être considérés comme relevant du processus d’adoption d’une décision de l’Union.

45      Il convient dans ce contexte de rappeler la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001, selon laquelle aussi bien la place du paragraphe 5 dans l’article 4 de ce règlement dans lequel il s’insère que le contenu dudit article permettent de considérer que l’article 4, paragraphe 5, de celui‑ci « est une disposition consacrée au processus d’adoption de la décision communautaire » (arrêt du 18 décembre 2007, Suède/Commission, C‑64/05 P, EU:C:2007:802, point 81).

46      En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, force est de constater que l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001 ne comporte, tout comme les paragraphes 1 à 4 de ce même article, aucune référence aux dispositions du droit national de l’État membre (arrêt du 18 décembre 2007, Suède/Commission, C‑64/05 P, EU:C:2007:802, point 69).

47      En outre, il convient de signaler que, comme il ressort clairement du dixième considérant du règlement no 1049/2001 et de l’article 2, paragraphe 3, de celui-ci, tous les documents détenus par les institutions relèvent du champ d’application de ce règlement, y compris ceux qui émanent des États membres, en sorte que l’accès à de tels documents est en principe régi par les dispositions de ce dernier, notamment celles qui prévoient des exceptions matérielles au droit d’accès (arrêt du 18 décembre 2007, Suède/Commission, C‑64/05 P, EU:C:2007:802, point 67).

48      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours au principal, il y a lieu de conclure que ce moyen, invoqué par la Hongrie, apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Il mérite donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

49      En second lieu, il convient d’examiner l’argument invoqué au soutien du second moyen selon lequel la Commission, dans le cadre d’un dialogue loyal, aurait dû exposer la raison pour laquelle elle avait changé sa pratique antérieure et, compte tenu de cela, donner à la Hongrie l’opportunité de faire valoir d’autres motifs de refus possibles, tels que « la politique financière, monétaire ou économique de la Communauté ou d’un État membre » en tant qu’intérêt public, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), ou les « objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit », au sens de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001.

50      À cet égard, il convient de constater que la décision attaquée, qui est une décision confirmative, s’écarte de la décision de refus que la Commission avait prise initialement. Compte tenu du contexte particulier de l’affaire, il ne saurait donc être exclu que la Commission aurait dû donner à la Hongrie l’occasion de mieux exposer ses motifs ou d’invoquer d’autres motifs de refus possibles, avant d’adopter la décision attaquée. En effet, il résulte de la jurisprudence que l’institution envisageant de rendre publics des documents et l’État membre dont émanent ces documents sont tenus, conformément à l’obligation de coopération loyale énoncée à l’article 4, paragraphe 3, TUE, d’agir et de coopérer de sorte que les dispositions du règlement no 1049/2001 puissent recevoir une application effective (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2007, Suède/Commission, C‑64/05 P, EU:C:2007:802, point 85).

51      En outre, la Commission aurait pu, de sa propre initiative, examiner si la demande d’accès en cause relevait de l’une des exceptions prévues aux paragraphes 1 et 2 de l’article 4 du règlement no 1049/2001. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 1049/2001, si l’institution concernée considère qu’il est clair qu’un refus d’accès à un document émanant d’un État membre doit être opposé sur le fondement des exceptions prévues aux paragraphes 1 ou 2 du même article, elle refuse l’accès au demandeur sans même devoir consulter l’État membre dont émane le document, et ce, que cet État membre ait ou non antérieurement formulé une demande sur le fondement de l’article 4, paragraphe 5, dudit règlement. En pareil cas, il est donc patent que la décision sur la demande d’accès est prise par l’institution en ayant égard aux seules exceptions découlant directement des prescriptions du droit de l’Union (arrêt du 18 décembre 2007, Suède/Commission, C‑64/05 P, EU:C:2007:802, point 68).

52      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours au principal, il y a lieu de conclure que cet argument apparaît également, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux et mérite donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

53      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris.

 Sur la condition relative à l’urgence

54      Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature (voir ordonnance du 19 septembre 2012, Grèce/Commission, T‑52/12 R, EU:T:2012:447, point 36 et jurisprudence citée).

55      La présente demande en référé émanant de la Hongrie, il convient de rappeler que les États membres sont responsables des intérêts considérés comme généraux sur le plan national. Par conséquent, ils peuvent en assurer la défense dans le cadre d’une procédure de référé et demander l’octroi de mesures provisoires en alléguant, notamment, que la mesure contestée risque de compromettre sérieusement l’accomplissement de leurs missions étatiques (voir, en ce sens, ordonnance du 19 septembre 2012, Grèce/Commission, T‑52/12 R, EU:T:2012:447, point 37 et jurisprudence citée).

56      Il convient donc d’examiner si la Hongrie est parvenue à établir qu’une exécution immédiate de la décision attaquée risquerait de lui causer un préjudice grave et irréparable du fait, notamment, qu’elle affecterait sérieusement l’accomplissement de ses missions étatiques.

57      Dans ce cadre, la Hongrie soutient que, une fois que les documents en cause auront été rendus disponibles, leur caractère de documents non publics ne pourrait être rétabli, quand bien même le recours principal du gouvernement hongrois serait finalement accueilli. L’annulation ultérieure de la décision attaquée par le Tribunal n’aurait pas pour effet de réparer le préjudice causé par cette divulgation et de remettre les choses en leur état initial.

58      À cet égard, il importe de relever que, en l’espèce, le préjudice invoqué résulte de la divulgation d’informations prétendument confidentielles et que ces informations concernent l’organisation d’un appel à propositions de nature compétitive auquel sont censées participer plusieurs parties intéressées. Le bon déroulement de cette procédure pourrait donc être compromis en cas de divulgation des informations.

59      Par conséquent, il convient de considérer, pour les besoins du présent examen de l’urgence, que les documents litigieux étant susceptibles de revêtir un caractère confidentiel, comme le soutient la Hongrie, leur divulgation violerait l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 et leur caractère de documents non publics ne pourrait être rétabli, quand bien même le recours principal serait en définitive accueilli.

60      Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce, le risque de la survenance, pour la Hongrie, d’un préjudice grave et irréparable étant établi à suffisance de droit.

 Sur la mise en balance des intérêts

61      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des intérêts consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir, en ce sens, ordonnances du 11 mai 1989, Radio Telefis Eireann e.a./Commission, 76/89 R, 77/89 R et 91/89 R, EU:C:1989:192, point 15, et du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, EU:C:2003:385, point 142).

62      S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de noter que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance du 1er septembre 2015, France/Commission, T‑344/15 R, EU:T:2015:583, point 47 et jurisprudence citée).

63      En l’espèce, le Tribunal sera appelé à statuer, dans le cadre du litige principal, sur le point de savoir si la décision attaquée, par laquelle la Commission a décidé de divulguer à un tiers des documents provenant de la Hongrie, doit être annulée. À cet égard, il est évident que, pour conserver l’effet utile d’un arrêt annulant la décision attaquée, la Hongrie doit être en mesure d’éviter que la Commission ne procède prématurément à une divulgation desdits documents. Or, un arrêt d’annulation serait rendu illusoire et privé d’effet utile si la présente demande en référé était rejetée, ce rejet ayant pour conséquence de permettre à la Commission la divulgation immédiate des documents litigieux et donc de facto de préjuger du sens de la future décision au fond, à savoir un rejet du recours en annulation.

64      Dans ce contexte, il convient de rappeler également que la Commission elle-même ne s’oppose pas au sursis de la décision attaquée.

65      Il s’ensuit que l’intérêt à un rejet de la demande en référé doit céder devant l’intérêt défendu par la Hongrie, d’autant plus que l’octroi du sursis à exécution sollicité ne reviendrait qu’à maintenir le statu quo pour une période limitée, alors que rien ne permet d’affirmer qu’une divulgation prématurée des documents litigieux répondrait à un besoin impérieux.

66      En conséquence, toutes les conditions étant réunies à cet effet, il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée.

67      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision de la Commission européenne du 14 décembre 2021, adoptée conformément au règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, ayant pour objet la demande confirmative GestDem 2021/2808 visant à garantir l’accès du public à des documents émanant des autorités hongroises, dans la mesure où cette décision accorde l’accès aux documents émanant de ces autorités.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 8 juin 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le hongrois.