Language of document : ECLI:EU:T:2021:419

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

7 juillet 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑269/20,

Viktor Pavlovych Pshonka, demeurant à Kiev (Ukraine), représenté par Me M. Mleziva, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. R. Pekař et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2020/373 du Conseil, du 5 mars 2020, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 10), et du règlement d’exécution (UE) 2020/370 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 1), dans la mesure où ces actes maintiennent le nom du requérant sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Spielmann, président, Mme O. Spineanu‑Matei et M. R. Mastroianni (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Viktor Pavlovych Pshonka, a occupé les fonctions de procureur général d’Ukraine.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures restrictives en cause et définit les modalités de celles-ci en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et par le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 ») sont inscrits sur la liste figurant à l’annexe de ladite décision et à l’annexe I dudit règlement (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste avec les informations d’identification « Ancien procureur général de l’Ukraine » et avec la motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑381/14, tendant à l’annulation des actes de mars 2014, en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a modifié, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des personnes visées par le gel des fonds, le texte de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 étant remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)       pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)       pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié de façon similaire le règlement no 208/2014.

14      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives en cause, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, remplacé l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « Ancien procureur général de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

16      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre des actes de mars 2015.

17      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

18      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

19      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre des actes de mars 2016.

20      Par ordonnance du 10 juin 2016, Pshonka/Conseil (T‑381/14, EU:T:2016:361), prise sur le fondement de l’article 132 de son règlement de procédure, le Tribunal a fait droit au recours mentionné au point 10 ci-dessus, en le déclarant manifestement fondé et en annulant donc les actes de mars 2014, en ce qu’ils visaient le requérant.

21      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

22      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

23      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre des actes de mars 2017.

24      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63, p. 5) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

25      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mai 2018, le requérant a introduit un recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑285/18, tendant à l’annulation des actes de mars 2018, en ce qu’ils le visaient.

27      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2019 »).

28      Par les actes de mars 2019, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2020 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 15 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

29      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mai 2019, le requérant a introduit un recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑291/19, tendant à l’annulation des actes de mars 2019, en ce qu’ils le visaient.

30      Par arrêt du 11 juillet 2019, Pshonka/Conseil (T‑285/18, non publié, EU:T:2019:512), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018 en ce qu’ils visaient le requérant.

31      Entre les mois de novembre 2019 et de janvier 2020, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis au requérant plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG »), incluant des décisions du juge d’instruction du tribunal de district de Petchersk à Kiev (ci-après le « tribunal de Petchersk »), concernant la procédure pénale dont il faisait l’objet et sur laquelle le Conseil se fondait pour envisager ladite prorogation.

32      Le 5 mars 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/373, modifiant la décision 2014/119 (JO 2020, L 71, p. 10), et le règlement d’exécution (UE) 2020/370, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2020, L 71, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

33      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2021 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 15 ci-dessus. Par ailleurs, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014 ont été subdivisées en deux sections, dont la seconde a été intitulée « Droits de la défense et droit à une protection juridictionnelle effective ». Dans cette section figure, s’agissant du requérant, la mention suivante :

« La procédure pénale relative au détournement de fonds ou d’avoirs publics est toujours en cours. Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Pshonka et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoignent notamment le fait qu’une notification écrite de suspicion a été délivrée le 22 décembre 2014, le fait que la décision du 16 juin 2017 de suspendre la procédure pénale était susceptible de recours et les décisions du juge d’instruction du 12 mars 2018, du 13 août 2018 et du 5 septembre 2019 autorisant le placement en détention de M. Pshonka dans le but de le faire comparaître devant le tribunal pour qu’il participe à une audience sur la demande d’application d’une mesure préventive de détention. »

34      Par courrier du 6 mars 2020, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives en cause à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans ses correspondances du 16 décembre 2019 ainsi que des 17 et 30 janvier 2020 et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il lui a indiqué le délai pour présenter des observations avant l’adoption d’une décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

35      Par courrier du 11 mars 2020, le requérant a présenté une demande d’accès à tous les documents et informations le concernant sur lesquels le Conseil s’était appuyé afin d’adopter les actes attaqués.

36      Par courrier du 15 avril 2020, le Conseil a répondu à cette demande d’accès en annexant certains documents à sa réponse.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

37      Par arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil (T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448), le Tribunal a annulé les actes de mars 2019 en ce qu’ils visaient le requérant.

 Procédure et conclusions des parties

38      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mai 2020, le requérant a introduit le présent recours.

39      Le 30 juillet 2020, le Conseil a déposé le mémoire en défense.

40      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2020.

41      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 13 novembre 2020. À cette même date, la phase écrite de la procédure a été close.

42      En vertu de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, en l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en l’absence d’une telle demande, de statuer sans phase orale de la procédure.

43      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

44      Le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2020/373 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2020/370 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

45      Bien que la requête ne soit pas explicitement structurée par moyens, il y a lieu de considérer que, ainsi que le fait remarquer le Conseil dans le mémoire en défense, sans être contredit par le requérant, ce dernier invoque à l’appui du recours, en substance, cinq moyens, tirés, le premier, d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, le deuxième, d’une erreur d’appréciation en ce que, avant d’adopter les actes attaqués, le Conseil n’aurait pas demandé aux autorités ukrainiennes des informations supplémentaires, le troisième, d’une erreur d’appréciation en ce que le Conseil n’aurait pas tenu compte de l’absence de progrès dans le cadre de la procédure pénale concernant le requérant, le quatrième, d’une violation du droit à un procès équitable, du droit de propriété et du droit au respect de la vie familiale et privée et, le cinquième, de l’absence de motifs juridiques pour l’adoption desdits actes.

46      Tout d’abord, il convient d’examiner ensemble les premier et troisième moyens, en ce que par ceux-ci, le requérant reproche, notamment, au Conseil de ne pas avoir vérifié, au moment de l’adoption des actes attaqués, le respect, par les autorités ukrainiennes, de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, y compris le droit à être jugé dans un délai raisonnable, ce dont il résulterait, en substance, une erreur d’appréciation commise lors de l’adoption desdits actes.

47      Le requérant estime que le Conseil n’a pas tenu compte de la violation de ses droits dans le cadre de la procédure pénale sur laquelle il a fondé les mesures restrictives en cause. Il soutient en particulier que le Conseil a décidé à tort de proroger ces mesures sur le fondement des informations contenues dans les lettres du BPG au regard de l’enquête menée contre lui dans le cadre de la procédure pénale no 4201500000000815 (ci-après la « procédure 815 »), pour détournement de fonds publics destinés à la construction de bureaux du parquet général.

48      En premier lieu, le requérant fait valoir que les décisions du juge d’instruction du tribunal de Petchersk faisant droit aux demandes réitérées du BPG de le placer en détention, dans le but de le faire comparaître devant le tribunal pour qu’il participe à une audience portant sur la demande d’application d’une mesure préventive de détention, ont été adoptées sans la participation de ses avocats, mais en présence du procureur, et à l’issue d’une audience à huis clos, ce qui aurait porté gravement atteinte, notamment, au principe d’égalité des armes, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »). En outre, il affirme ne pas avoir reçu de copies desdites décisions et eu la possibilité de les contester.

49      En outre, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir tenu compte des éléments qu’il lui avait apportés démontrant l’existence d’autres violations de ses droits lors de l’enquête menée contre lui dans le cadre de la procédure 815. Premièrement, il soutient ne pas avoir reçu l’avis de suspicion, conformément aux dispositions du code de procédure pénale ukrainien (ci-après le « code de procédure pénale »), ce qui impliquerait l’illégalité de toutes les décisions prises par l’enquêteur, le procureur et le tribunal le concernant. Deuxièmement, il fait valoir que la durée maximale de l’instruction préliminaire à son égard a été largement dépassée et que, de ce fait, tout acte d’investigation effectué au-delà du délai fixé pour mener l’instruction préliminaire dans le cadre de cette procédure est nul et les preuves qui en découlent irrecevables. Troisièmement, il argue que le BPG a suspendu illégalement l’enquête préliminaire dans le cadre de ladite procédure, en continuant d’enquêter sur les mêmes faits dans le cadre d’une autre procédure pénale à laquelle ses avocats n’ont toutefois pas pu participer. Quatrièmement, il fait observer que, comme cela a été constaté par le juge d’instruction du tribunal de Petchersk, le BPG a utilisé des méthodes d’enquête illégales visant à obtenir des preuves de son implication dans le détournement de fonds publics. Il prétend, en particulier, que le BPG a fait pression sur une personne soupçonnée afin qu’elle donne un faux témoignage justifiant son implication dans les faits qui lui sont reprochés.

50      Enfin, le requérant fait valoir que les lettres du BPG et les copies des documents joints à celles‑ci montrent uniquement que, en plus de cinq ans d’instruction, celui-ci n’a obtenu aucune preuve d’agissements illégaux de sa part et qu’il n’a commis aucune infraction. Il estime être ainsi toujours visé par des poursuites illégales motivées par des raisons politiques uniquement afin que le Conseil proroge à son égard l’application des mesures restrictives.

51      En second lieu, le requérant fait valoir qu’il n’y a eu aucune « progression » de la procédure 815 sur laquelle le Conseil s’est fondé et qu’aucune nouvelle information concernant l’enquête menée contre lui n’a été présentée. En particulier, aucun acte d’instruction n’aurait été effectué durant les cinq dernières années dans le cadre de ladite procédure, l’instruction préliminaire ayant été illégalement suspendue dès le 30 avril 2015. À cet égard, le requérant souligne que la législation ukrainienne n’interdit pas qu’une enquête soit menée sans la participation de la personne concernée et qu’une procédure pénale peut aussi être interrompue en son absence. Ainsi, le fait que la procédure 815 n’a pas été close ne fait que démontrer, selon lui, la volonté des autorités ukrainiennes de trouver au moins une raison de proroger encore la validité des mesures restrictives en cause à son égard.

52      Selon le requérant, dans la mesure où l’enquête menée contre lui dans le cadre de la procédure 815 n’a connu aucune évolution et où aucune nouvelle information essentielle concernant ladite enquête n’a été communiquée par le BPG au Conseil, il n’existait pas de motifs pour proroger l’application des mesures restrictives en cause et adopter les actes attaqués et son droit à être jugé dans un délai raisonnable a été violé.

53      S’agissant des allégations du requérant concernant la violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre de la procédure pénale le concernant, le Conseil soutient, tout d’abord, avoir posé des questions spécifiques au BPG auxquelles ce dernier a répondu par courriers du 1er novembre 2019 ainsi que des 9 et 24 janvier 2020, puis avoir pris en compte les informations obtenues lors de l’adoption des actes attaqués.

54      À cet égard, le Conseil fait observer, d’une part, que le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure pénale doit être apprécié en tenant compte du stade où se trouve ladite procédure et, d’autre part, que certains éléments du droit à une protection juridictionnelle effective exigent que l’intéressé exerce lui-même ce droit, et s’il ne le fait pas, cela ne signifierait pas qu’il en a été privé.

55      Ensuite, le Conseil prend position sur les différentes violations invoquées par le requérant.

56      Premièrement, s’agissant des violations inhérentes aux décisions du juge d’instruction du tribunal de Petchersk, le Conseil fait observer, à titre liminaire, que l’implication de celui-ci doit être considérée comme un instrument qui garantit le respect du droit des personnes soupçonnées à une protection juridictionnelle effective. Même si ledit juge d’instruction agit sur proposition du procureur, il lui appartient de vérifier les éléments de preuve transmis par ce dernier en vue de décider d’autoriser ou non l’arrestation de la personne concernée. Ensuite, le Conseil relève que, conformément au code de procédure pénale, les décisions mentionnées ci-dessus sont de nature procédurale et n’affectent directement ni les droits ni le statut juridique de la personne contre laquelle elles sont dirigées. En effet, celle-ci, une fois interpellée, bénéficierait de toutes les garanties dudit code assurant le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Par ailleurs, rien n’indiquerait que ce dernier droit inclut nécessairement, à ce stade de la procédure, le droit de former un recours contre une décision judiciaire, un tel droit pouvant même nuire à l’efficacité de l’enquête, puisqu’il supposerait l’obligation d’informer le suspect qu’une décision autorisant sa détention a été prise. Enfin, le Conseil estime que la jurisprudence de la Cour EDH invoquée par le requérant n’est pas transposable au cas d’espèce. Ainsi, selon lui, il n’est pas tenu de vérifier le respect des droits de la défense dans une situation où le titulaire desdits droits décide de ne pas les exercer.

57      Deuxièmement, s’agissant de l’allégation du requérant relative à l’absence de réception de l’avis de suspicion, le Conseil rétorque que, selon les informations dont il dispose, dans le cadre de la procédure 815, cet avis a été signifié au requérant le 23 décembre 2014, ainsi que le confirmerait, en dernier lieu, la décision du juge d’instruction du 5 septembre 2019. Par ailleurs, il fait observer qu’il ne dispose pas des compétences, ni des moyens pour se prononcer sur la conformité des actes de procédure avec le droit ukrainien et que, si le requérant estimait que ledit avis ne lui avait pas été notifié correctement, celui-ci aurait pu solliciter une telle notification des autorités ukrainiennes.

58      Troisièmement, s’agissant de l’allégation du requérant tirée de la durée excessive des enquêtes pénales, le Conseil fait observer, tout d’abord, qu’il n’est pas tenu d’apprécier la conformité des procédures pénales avec les règles applicables en droit ukrainien. Puis, il ajoute que, selon les informations qu’il a reçues, l’enquête menée contre le requérant dans le cadre de la procédure 815 a été suspendue conformément aux dispositions du code de procédure pénale et que, de ce fait, le délai maximal de l’instruction préliminaire prévue par lesdites dispositions ne court pas. Par ailleurs, il met en avant le fait que le requérant a eu la possibilité d’introduire un recours contre l’inaction consistant à ne pas clore ladite enquête dans le délai prévu par la loi ou, à tout le moins, de faire appel contre la décision de suspension et que celui-ci ne l’a pas fait.

59      Quatrièmement, s’agissant de l’allégation du requérant tirée du caractère illégal de la suspension de l’enquête menée contre lui dans le cadre de la procédure 815, étant donné que le BPG continuait d’enquêter sur les mêmes faits dans le cadre d’une autre procédure pénale dans laquelle ses représentants n’avaient pas été reconnus comme étant des avocats de la défense, le Conseil soutient que, d’après les informations qu’il a obtenues du BPG, la coexistence de ces deux procédures n’apparaît pas comme étant illégale.

60      Cinquièmement, s’agissant de l’allégation du requérant tirée de l’utilisation, par le BPG, de méthodes d’enquête illégales, le Conseil rétorque que la procédure invoquée par le requérant concerne un tiers et non le requérant lui-même et que, en tout état de cause, les éléments de preuves produits par celui-ci ne sont pas de nature à étayer une telle allégation.

61      Enfin, le Conseil soutient qu’il ne lui appartient pas d’interpréter le droit ukrainien en examinant si la durée de l’enquête pénale préliminaire menée à l’encontre du requérant enfreint les dispositions du code de procédure pénale. En premier lieu, il ressortirait des informations communiquées par le BPG que, si aucun acte d’instruction ou de procédure n’a été effectué en 2019 dans le cadre de la procédure 815, il n’en reste pas moins que des actes ont été effectués pour rechercher le requérant et une décision autorisant la détention de celui-ci en vue de sa comparution devant un tribunal a notamment été rendue le 5 septembre 2019. En second lieu, toujours selon les informations communiquées par le BPG, la longue suspension de ladite enquête serait justifiée par l’impossibilité d’effectuer toute une série d’actes d’instruction et de procédure nécessaires sans la participation du requérant. À cet égard, s’agissant de l’allégation de ce dernier selon laquelle le code pénal ukrainien n’interdit pas la conduite d’enquête sans sa participation, le Conseil rétorque que, d’après les informations en sa possession, il n’était pas possible dans les circonstances de l’espèce d’obtenir d’un juge d’instruction l’autorisation de mener une enquête préliminaire par défaut. Dans un tel cas de figure, il ne pourrait conclure à la violation du principe du délai raisonnable de la part des autorités du pays tiers qu’en se fondant sur des éléments de preuve plus solides que le seul temps écoulé.

62      Il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels qu’ils sont consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 54 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 64 et jurisprudence citée).

63      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ladite décision, sont étayés (voir arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 55 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 65 et jurisprudence citée).

64      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par les actes de mars 2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers, reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 56 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 66 et jurisprudence citée).

65      Aussi, si, en vertu d’un critère d’inscription tel que celui rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 57 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 67 et jurisprudence citée).

66      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel des fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de ce fait, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même si les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 58 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 68 et jurisprudence citée).

67      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), implique un contrôle, par la Cour EDH, des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 66 ci-dessus (voir arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 59 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 69 et jurisprudence citée).

68      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié si la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 60 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 70 et jurisprudence citée).

69      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives, telles que celles en cause, sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part de la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 61 ; voir, également, arrêt du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 71 et jurisprudence citée).

70      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté ces obligations qui lui incombaient dans le cadre de l’adoption des actes attaqués en ce que ceux-ci concernent le requérant.

71      À cet égard, il y a lieu de relever que le Conseil a mentionné dans les actes attaqués les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener une procédure pénale à l’encontre du requérant pour détournement de fonds ou d’avoirs publics avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective (voir point 33 ci-dessus). Il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que tel avait été le cas.

72      En effet, l’examen du bien-fondé de la motivation, qui relève de la légalité au fond des actes attaqués et consiste, en l’occurrence, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à démontrer la vérification du respect de ces droits par les autorités ukrainiennes, doit être distingué de la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle et ne constitue que le corollaire de l’obligation du Conseil de s’assurer, au préalable, du respect desdits droits (voir arrêt du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 74 et jurisprudence citée).

73      Or, les mesures restrictives précédemment adoptées ont été prorogées et maintenues à l’égard du requérant par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel qu’il a été modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel qu’il a été modifié par le règlement 2015/138 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Ce critère vise les personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

74      Il convient de constater que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui‑ci faisait l’objet d’une procédure pénale engagée par les autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives de détournement de fonds ou d’avoirs publics, qui était établie par les lettres du BPG ainsi que par certaines décisions de justice dont le requérant avait reçu copie (voir point 31 ci-dessus).

75      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil (T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

76      Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté à celles-ci une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

77      Dans la première partie de la nouvelle section en cause figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale. En particulier, tout d’abord, les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale sont rappelés. Ensuite, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 de ce code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction d’un tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquête, telles que la saisie de biens et les mesures de détention, ne sont possibles que moyennant une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

78      La seconde partie de la nouvelle section en cause concerne le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de chacune des personnes inscrites sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoigneraient, notamment, d’une part, le fait qu’une notification écrite de suspicion avait été délivrée le 22 décembre 2014 ainsi que le fait que la décision du 16 juin 2017 de suspendre ladite procédure pénale était susceptible de recours et, d’autre part, les décisions du juge d’instruction des 12 mars et 13 août 2018 et du 5 septembre 2019 (voir point 33 ci‑dessus).

79      Dans la lettre du 6 mars 2020 adressée au requérant (voir point 34 ci-dessus), le Conseil a indiqué que les lettres émanant du BPG établissaient que le requérant continuait à faire l’objet d’une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. Ensuite, il a indiqué que le BPG lui avait fourni des informations concernant, d’une part, les décisions procédurales prises dans le cadre de la procédure 815 et, d’autre part, l’attribution de l’enquête dans le cadre de cette procédure, depuis le 20 novembre 2019, au bureau national anticorruption. Enfin, s’agissant du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, il a précisé qu’il ressortait notamment de la décision du juge d’instruction du 5 septembre 2019 que lesdits droits avaient été respectés dans le cadre de ladite procédure. Par cette décision, il aurait été considéré qu’une notification de suspicion avait été délivrée le 22 décembre 2014, que l’accusation avait prouvé des soupçons raisonnables, qu’il y avait des raisons de croire que le requérant se cachait des autorités chargées de l’enquête préliminaire et qu’il existait le risque qu’il fasse obstruction à la procédure. S’agissant de l’objection du requérant selon laquelle il a été privé du droit de participer à l’audience et de faire appel, le Conseil rétorque que ladite décision a été prise conformément au code de procédure pénale.

80      À cet égard, il doit être observé, d’emblée, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure toutes les décisions en cause témoignent du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure 815. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 65 et 66 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider le maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquête pénale portant sur des infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics prétendument commises par le requérant avait été adoptée dans le respect desdits droits de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 73, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 83 et jurisprudence citée).

81      Dans cette perspective, les décisions de justice mentionnées au point 78 ci-dessus ne sauraient être identifiées comme étant des décisions d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives. Cela étant, il est possible d’admettre que, d’un point de vue substantiel, dès lors que ces décisions ont été rendues par une juridiction, à tout le moins celle du 5 septembre 2019, qui est pertinente sous l’angle temporel, elles ont réellement été prises en compte par le Conseil comme étant la base factuelle justifiant le maintien des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens, arrêt du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 84 et jurisprudence citée).

82      Il y a donc lieu de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que la décision du juge d’instruction du 5 septembre 2019, faisant suite à la décision du même juge d’instruction du 14 février 2019 qui avait cessé de produire ses effets juridiques le 14 août 2019, ainsi que celles des 12 mars et 13 août 2018, toutes visant à renouveler l’autorisation à placer en détention le requérant dans le but de le faire comparaître devant le tribunal pour qu’il participe à une audience sur la demande d’application d’une mesure préventive de détention, témoignaient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

83      S’agissant, en premier lieu, des décisions des 12 mars et 13 août 2018, dont l’une n’est que la prolongation de l’autre, il convient de relever que celles-ci ont été prises et ont cessé de produire leurs effets juridiques bien avant l’adoption des actes attaqués. Il s’ensuit qu’elles ne sauraient suffire à établir que la décision de l’administration judiciaire sur laquelle le Conseil a entendu se fonder pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2020 au mois de mars 2021, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 93). Au demeurant, le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer à l’égard des mêmes décisions, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil (T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, points 73 à 77 et 86), qui n’a pas été contesté par le Conseil. Dans ce dernier arrêt, il a été jugé que ces décisions n’étaient pas susceptibles de démontrer que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés dans le cadre de la procédure en cause.

84      S’agissant, en deuxième lieu, de la décision du juge d’instruction du 5 septembre 2019, il convient de relever, d’une part, qu’elle a été prise à l’issue d’une audience à huis clos, sans la participation d’un représentant de la défense, mais en présence du procureur, et, d’autre part, qu’elle ne pouvait pas faire l’objet d’un appel de la part du requérant.

85      Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil a vérifié dans quelle mesure la décision du juge d’instruction du 5 septembre 2019 pouvait, in abstracto, se concilier avec le respect des dispositions du code de procédure pénale mentionnées dans la première partie de la section des actes attaqués relative aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective de l’annexe de la décision 2014/119 et de l’annexe I du règlement no 208/2014 telles que modifiées par les actes attaqués (voir point 77 ci-dessus) (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 juin 2020, Klymenko/Conseil, T‑295/19, EU:T:2020:287, point 82).

86      En effet, dans sa lettre du 6 mars 2020, le Conseil ne prend pas position sur l’argumentation du requérant visant à critiquer le fait que la décision du juge d’instruction du 5 septembre 2019 avait été prise à huis clos, sans la participation de ses avocats, mais avec celle du procureur, et sans possibilité d’interjeter un appel, mais se limite à rappeler les dispositions spécifiques du code de procédure pénale régissant l’adoption de ce type de décisions.

87      S’agissant, en troisième lieu, d’une part, du fait qu’une notification écrite de suspicion a été délivrée au requérant le 22 décembre 2014, ce qui est d’ailleurs contesté par celui-ci, et, d’autre part, du fait que la décision du 16 juin 2017 de suspendre la procédure pénale en cause était susceptible de recours, également invoqués dans les actes attaqués comme témoignant du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, il convient de relever que, à l’instar des décisions des 12 mars et 13 août 2018, ces faits aussi ne sauraient suffire à établir que la décision de l’administration judiciaire sur laquelle le Conseil a entendu se fonder pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2020 au mois de mars 2021, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir point 83 ci-dessus).

88      En tout état de cause, il doit également être relevé que toutes les décisions de justice mentionnées au point 78 ci-dessus s’insèrent dans le cadre de la procédure pénale ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes au regard de celle-ci, dans la mesure où elles sont de nature procédurale. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, en ce que, conformément au critère d’inscription applicable, le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener ladite procédure pénale, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, ainsi qu’il incombe au Conseil de le vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 66 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 77 et jurisprudence citée, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 94 et jurisprudence citée).

89      Au demeurant, il convient de relever que le Conseil n’invoque aucune pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués dont il résulterait qu’il a examiné les décisions de justice invoquées et qu’il a pu en conclure que les droits procéduraux du requérant avaient été respectés dans leur substance.

90      La simple référence faite par le Conseil à des lettres et à des prises de position des autorités ukrainiennes dans lesquelles celles-ci ont expliqué en quoi les droits fondamentaux du requérant avaient été respectés et ont donné des assurances à cet égard ne saurait suffire pour considérer que la décision de maintenir son nom sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, au sens de la jurisprudence citée au point 66 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 44).

91      À cet égard, il doit également être observé que le Conseil était tenu d’effectuer une telle vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, la simple existence de dispositions du code de procédure pénale n’étant pas suffisante en soi pour démontrer le respect de ces droits par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klyuyev/Conseil, T‑305/18, non publié, EU:T:2019:506, point 72).

92      D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment, en particulier, la simple existence des décisions mentionnées au point 78 ci-dessus permettrait de considérer que le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant a été garanti. À cet égard, il y a lieu de relever que, comme celui-ci l’avait fait valoir dans les lettres envoyées au Conseil, la procédure 815, qui avait été initialement ouverte en 2014, concernait des faits prétendument commis, au plus tard, en novembre 2013 et, en l’état, était suspendue, se trouvait encore au stade de l’enquête préliminaire, de sorte qu’elle n’avait pas été soumise à un tribunal ukrainien sur le fond, un tel tribunal n’en ayant connu que pour des questions procédurales.

93      Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 81 et jurisprudence citée), prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

94      Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus à l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH.

95      À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant l’article 6 de la CEDH, d’une part, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort et que ledit principe soulignait l’importance de rendre la justice sans les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, point 126 et jurisprudence citée). D’autre part, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de périodes d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, points 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, points 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, points 58 à 62).

96      Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, de la même enquête préliminaire menée par le BPG, le Conseil est tenu de vérifier le respect des droits fondamentaux de cette personne, et donc de son droit à être jugée dans un délai raisonnable, par les autorités ukrainiennes avant qu’il ne décide s’il y a lieu de proroger ou non une nouvelle fois ces mesures (voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 84, et du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 101 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 114 et jurisprudence citée). Or, contrairement à ce que prétend le Conseil, des décisions telles que celles invoquées dans les actes attaqués, qui ne se fondent pas sur la réalisation d’activités d’enquête, ne sauraient témoigner d’une véritable progression de la procédure pénale en cause.

97      Il suffit de constater que, depuis son ouverture, le 22 avril 2014, l’enquête menée contre le requérant dans le cadre de la procédure 815 a été suspendue sans avoir jamais été réactivée depuis le 16 juin 2017. Au demeurant, il y a lieu de constater que, ainsi que le souligne le requérant, dans ses communications au Conseil, le BPG s’est borné à rappeler les informations qu’il lui avait déjà fournies auparavant, ce qui atteste l’absence de toute progression de cette enquête.

98      Or, bien que le Conseil ait effectué des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes afin d’être éclairé sur les raisons ayant justifié la suspension en cause, il n’en reste pas moins qu’il s’est satisfait des explications fournies par le BPG selon lesquelles, d’une part, cette suspension était liée, notamment, à la recherche du requérant, compte tenu aussi de l’impossibilité d’effectuer des actes d’instruction et de procédure nécessaires sans la participation de celui-ci, et, d’autre part, il n’était pas possible, en l’état, de présenter une demande visant à obtenir l’autorisation de procéder à l’enquête préliminaire en l’absence du requérant, conformément aux dispositions pertinentes du code de procédure pénale.

99      D’ailleurs, le fait que la décision du 16 juin 2017 de suspendre la procédure pénale en cause était susceptible de recours de la part du requérant non seulement ne saurait démontrer, à elle seule, le respect du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci au cours de ladite procédure, mais ne saurait pas non plus démontrer que l’absence d’évolution de l’enquête et les lenteurs excessives de la procédure qui en sont découlées étaient imputables au requérant.

100    Le Conseil aurait dû à tout le moins indiquer les raisons pour lesquelles, en dépit des arguments du requérant repris au point 51 ci-dessus, il pouvait considérer que le droit de celui-ci à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne avait été respecté en ce qui concernait son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 85 et jurisprudence citée).

101    Il ne saurait donc être conclu, étant donné les pièces du dossier, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener la procédure pénale en cause avait été adoptée et mise en œuvre dans le respect des droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

102    À cet égard, il convient également de relever que la jurisprudence selon laquelle, en cas d’adoption d’une mesure de gel de fonds telle que celle adoptée à l’égard du requérant dans le cadre des actes attaqués, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures restrictives faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée, ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier si la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption desdites mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 87 et jurisprudence citée).

103    Enfin, doit être rejeté l’argument du Conseil selon lequel, en substance, il ne lui appartient pas de mettre en cause les décisions des juridictions ukrainiennes, qui bénéficieraient d’une sorte de présomption de légalité, en vertu également des accords de coopération et d’assistance dans le domaine de la justice existant entre l’Union et l’Ukraine.

104    En effet, s’il est vrai, ainsi que le prétend le Conseil, qu’il est en droit de se fonder sur des décisions de justice comme preuves de l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds publics à l’encontre du requérant, il n’en va pas de même en ce qui concerne les preuves du bon déroulement de cette procédure pénale, y compris pour ce qui est du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 66 ci-dessus, pour s’assurer que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, le Conseil doit vérifier non seulement s’il existe des procédures judiciaires en cours concernant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics, mais également si, dans le cadre de ces procédures, lesdits droits du requérant ont été respectés (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 153 et jurisprudence citée).

105    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre des procédures pénales sur lesquelles il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir le nom du requérant sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

106    Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments invoqués par ce dernier.

107    Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 44, deuxième tiret, ci-dessus), tendant, en substance, au maintien des effets de la décision 2020/373 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi visant le présent arrêt, en tant qu’il annulerait le règlement d’exécution 2020/370 dans la mesure où il concerne le requérant, et, au cas où un pourvoi serait introduit à cet égard, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2020/373 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2021. Par conséquent, l’annulation de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil, T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448, point 90 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

108    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2020/373 du Conseil, du 5 mars 2020, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2020/370 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Viktor Pavlovych Pshonka a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Spineanu-Matei

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le tchèque.