Language of document : ECLI:EU:T:2014:249

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

13 mai 2014(*)

« Pêche – Mesures de conservation des ressources halieutiques – Restructuration du secteur – Demandes d’accroissement des objectifs du programme d’orientation pluriannuel en vue d’améliorer la sécurité à bord – Demande de l’Irlande concernant différents navires – Décision prise à la suite de l’annulation par le Tribunal de la décision initiale concernant la même procédure – Nouvelle décision de rejet – Incompétence de la Commission »

Dans les affaires jointes T‑458/10 à T‑467/10 et T‑471/10,

Peter McBride, demeurant à Downings (Irlande), représenté initialement par MM. A. Collins, SC, N. Travers, barrister, et D. Barry, solicitor, puis par MM. Travers, Barry et Mme E. Barrington, barrister,

partie requérante dans l’affaire T‑458/10,

Hugh McBride, demeurant à Downings, représenté initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T‑459/10,

Mullglen Ltd, établie à Largy (Irlande), représentée initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T‑460/10,

Cathal Boyle, demeurant à Fiafannon (Irlande), représenté initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T‑461/10,

Thomas Flaherty, demeurant à Kilronan (Irlande), représenté initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T-462/10,

Ocean Tawlers Ltd, établie à Killybegs (Irlande), représentée initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T‑463/10,

Patrick Fitzpatrick, demeurant à Killeany (Irlande), représenté initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T‑464/10,

Eamon McHugh, demeurant à Killybegs, représenté initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T-465/10,

Eugene Hannigan, demeurant à Killybegs, représenté initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T‑466/10,

Larry Murphy, demeurant à Castletownbere (Irlande), représenté initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T‑467/10,

Brendan Gill, demeurant à Lifford (Irlande), représenté initialement par MM. Collins, Travers et Barry, puis par MM. Travers, Barry et Mme Barrington,

partie requérante dans l’affaire T-471/10,

contre

Commission européenne, représentée, dans les affaires T-458/10 à T‑467/10, initialement par Mme K. Banks, M. A. Bouquet et Mme A. Szmytkowska, puis par M. Bouquet et Mme Szmytkowska, en qualité d’agents, assistés de M. B. Doherty, barrister, et, dans l’affaire T‑471/10, par M. Bouquet et Mme Szmytkowska, assistés de M. Doherty,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation des décisions C (2010) 4758, C (2010) 4748, C (2010) 4757, C (2010) 4751, C (2010) 4764, C (2010) 4750, C (2010) 4761, C (2010) 4767, C (2010) 4754, C (2010) 4753 et C (2010) 4752 de la Commission, du 13 juillet 2010, rejetant la demande introduite par l’Irlande visant à accroître les objectifs du programme d’orientation pluriannuel IV pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2001 afin de tenir compte des améliorations en matière de sécurité relatives aux navires Peader Elaine II, Heather Jane II, Pacelli, Marie Dawn, Westward Isle, Golden Rose, Shauna Ann, Antartic, Niamh Eoghan, Menhaden et Brendelen, appartenant respectivement à M. Peter McBride, à M. Hugh McBride, à Mullglen, à M. Boyle, à M. Flaherty, à Ocean Trawlers, à M. Fitzpatrick, à M. McHugh, à M. Hannigan, à M. Murphy et à M. Gill, adoptées à la suite de l’annulation de la décision 2003/245/CE de la Commission, du 4 avril 2003, relative aux demandes reçues par la Commission d’accroître les objectifs du POP IV en vue d’améliorer la sécurité, la navigation en mer, l’hygiène, la qualité des produits et les conditions de travail pour les navires d’une longueur hors tout supérieure à 12 mètres (JO L 90, p. 48) par les arrêts de la Cour du 17 avril 2008, Flaherty e.a./Commission (C‑373/06 P, C‑379/06 P et C‑382/06 P, Rec. p. I‑2649) et du Tribunal du 13 juin 2006, Boyle e.a./Commission (T‑218/03 à T‑240/03, Rec. p. II‑1699),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 janvier 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Entre le 1er novembre et le 14 décembre 2001, les requérants, M. Peter McBride, M. Hugh McBride, Mullglen Ltd, M. Cathal Boyle, M. Thomas Flaherty, Ocean Tawlers Ltd, M. Patrick Fitzpatrick, M. Eamon McHugh, M. Eugene Hannigan, M. Larry Murphy et M. Brendan Gill, ont présenté au Department of Communications, Marine & Natural Resources (Département des communications, des ressources marines et naturelles irlandais) des demandes d’augmentation de capacité pour des navires de pêche leur appartenant, en raison d’améliorations en matière de sécurité en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413/CE du Conseil, du 26 juin 1997, relative aux objectifs et modalités visant à restructurer, pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2001, le secteur de la pêche communautaire en vue d’atteindre un équilibre durable entre les ressources et leur exploitation (JO L 175, p. 27).

2        À l’appui de ces demandes individuelles, le Department of Communications, Marine & Natural Resources a demandé à la Commission des Communautés européennes, par lettre du 14 décembre 2001, une augmentation de capacité de 1 304 tonnes brutes du segment polyvalent et de 5 335 tonnes brutes du segment pélagique de la flotte irlandaise en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 (ci-après la « demande initiale »).

3        Le 4 avril 2003, la Commission a adopté la décision 2003/245/CE relative aux demandes reçues par la Commission d’accroître les objectifs du POP IV en vue d’améliorer la sécurité, la navigation en mer, l’hygiène, la qualité des produits et les conditions de travail pour les navires d’une longueur hors tout supérieure à 12 mètres (JO L 90, p. 48). Les navires des requérants figuraient tous dans l’annexe II de ladite décision qui, selon son article 2, second alinéa, énumérait les demandes rejetées par la Commission.

4        La décision 2003/245 était fondée sur l’article 4 de la décision 97/413 ainsi que sur l’article 6 du règlement (CE) n° 2792/1999 du Conseil, du 17 décembre 1999, définissant les modalités et conditions des actions structurelles de la Communauté dans le secteur de la pêche (JO L 337, p. 10).

5        L’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 prévoyait que, « [d]ans les programmes d’orientation pluriannuels destinés aux États membres, les augmentations de capacité résultant exclusivement des améliorations en matière de sécurité justifi[ai]ent, cas par cas, une augmentation de même niveau des objectifs des segments de flotte lorsqu’elles n’entraîn[ai]ent pas une augmentation de l’effort de pêche des navires concernés ». Il était précisé à l’article 9, paragraphe 1, de cette même décision, que la Commission était chargée d’assurer la mise en œuvre des objectifs et modalités visés par ladite décision. S’agissant des procédures d’application de la décision 97/413, l’article 10 de cette décision renvoyait à l’article 18 du règlement (CEE) n° 3760/92 du Conseil, du 20 décembre 1992, instituant un régime communautaire de la pêche et de l’aquaculture (JO L 389, p. 1), lequel prévoyait la consultation d’un comité de gestion du secteur de la pêche et de l’aquaculture.

6        L’article 6, paragraphe 2, du règlement n° 2792/1999 prévoyait que les « États membres p[ouvai]ent présenter une demande portant sur une augmentation clairement définie et quantifiée des objectifs de capacité en vue de mesures destinées à améliorer la sécurité […], sous réserve que ces mesures n’entraînent pas d’accroissement du taux d’exploitation des ressources concernées ». Il était ajouté que la Commission examinait cette demande et l’approuvait selon la procédure fixée à l’article 23, paragraphe 2, de ce même règlement. Cet article renvoyait aux articles 4 et 7 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO L 184, p. 23), qui disposaient que cette dernière était assistée par un comité consultatif dont le mode de fonctionnement était défini.

7        La décision 2003/245 a fait l’objet de recours en annulation qui ont donné lieu à l’arrêt du 13 juin 2006, Boyle e.a./Commission (T‑218/03 à T‑240/03, Rec. p. II‑1699, ci-après l’ « arrêt Boyle e.a. »), par lequel le Tribunal a annulé celle-ci pour autant qu’elle s’appliquait aux navires de M. P. McBride, de M.  H. McBride, de Mullglen , de M. Boyle, de M. Fitzpatrick, de M. McHugh, de M. Hannigan et de M. Gill. Il a considéré que la Commission avait adopté des critères non prévus par la réglementation applicable et outrepassé ses compétences (point 134 de l’arrêt). Par lettre du 14 juin 2006, les propriétaires des navires concernés ont demandé à la Commission d’adopter une nouvelle décision conforme aux critères énoncés dans cet arrêt.

8        L’arrêt Boyle e.a. a fait l’objet d’un pourvoi qui a donné lieu à l’arrêt du 17 avril 2008, Flaherty e.a./Commission (C‑373/06 P, C‑379/06 P et C‑382/06 P, Rec. p. I‑2649, ci-après l’ « arrêt Flaherty e.a. »), par lequel la Cour a annulé, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans l’arrêt Boyle e.a., la décision 2003/245 en tant qu’elle s’appliquait aux navires de M. Flaherty, d’Ocean Tawlers et de M. Murphy (points 45 à 47 de l’arrêt). Par courrier électronique du 25 avril 2008, les propriétaires des navires concernés ont demandé à la Commission quelles démarches elle avait entreprises pour mettre en œuvre l’arrêt Boyle e.a.

9        Les demandes des requérants ont été suivies de plusieurs échanges de correspondance entre l’Irlande et la Commission. Cette dernière a notamment demandé à l’Irlande des renseignements complémentaires sur les caractéristiques techniques des navires en cause.

10      La Commission a ensuite adopté, le 13 juillet 2010, les décisions C (2010) 4758, C (2010) 4748, C (2010) 4757, C (2010) 4751, C (2010) 4764, C (2010) 4750, C (2010) 4761, C (2010) 4767, C (2010) 4754, C (2010) 4753 et C (2010) 4752 (ci-après les « décisions attaquées ») par lesquelles elle a rejeté une nouvelle fois la demande initiale en ce qui concernait les navires des requérants. Elle a conclu que :

–        s’agissant des navires de M. P. McBride, de M. H.McBride, de M. Fitzpatrick et de M. Hannigan, le remplacement de plusieurs navires de plus petite taille par un nouveau n’avait pas abouti à une augmentation de la capacité totale du segment polyvalent de la flotte irlandaise, de sorte que l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 ne s’appliquait pas ;

–        s’agissant des navires de Mullglen, de M. Boyle, de M. Flaherty, d’Ocean Tawlers, de M. McHugh et de M. Murphy, l’augmentation du tonnage des nouveaux navires ne découlait pas exclusivement d’améliorations en matière de sécurité et avait abouti à une augmentation de l’effort de pêche ;

–        s’agissant du navire de M. Gill, l’augmentation du tonnage découlant de l’allongement du navire ne résultait pas exclusivement d’améliorations en matière de sécurité et avait abouti à une augmentation de l’effort de pêche.

11      Elle a également indiqué qu’il n’existait plus de base juridique spécifique pour les décisions attaquées dans la mesure où l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 avait été supprimé par l’article 1er, point 3, de la décision 2002/70/CE du Conseil, du 28 janvier 2002, modifiant la décision 97/413 (JO L 31, p. 77), et qu’il n’avait pas été remplacé par une disposition équivalente. En conséquence, elle a précisé qu’elle se voyait contrainte d’adopter une décision ad hoc appliquant les règles de fond en vigueur au moment de la demande initiale.

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 27 et 28 septembre 2010, les requérants ont introduit les présents recours.

13      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale. 

14      Par ordonnance du 8 novembre 2013, le président de la septième chambre du Tribunal, les parties entendues, a décidé de joindre les affaires T‑458/10 à T‑467/10 et T‑471/10 aux fins de la procédure orale et de l’arrêt. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 9 janvier 2014.

15      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        condamner la Commission aux dépens.

16      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

17      À l’appui des recours, les requérants invoquent six moyens, tirés de l’absence de base juridique, d’une violation des formes substantielles, d’une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413, d’une erreur manifeste dans l’application de cette disposition, d’une violation du principe de bonne administration et d’une violation du principe d’égalité de traitement.

18      Le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord le premier moyen qui soulève la question de la compétence de la Commission pour examiner la demande initiale et adopter les décisions attaquées.

19      À cet égard, les requérants font valoir que la Commission aurait dû adopter celles-ci sur le fondement de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413. Afin de se conformer à l’article 266 TFUE et aux arrêts Boyle e.a. et Flaherty e.a., elle aurait dû prendre ses décisions en vertu du droit applicable à la date de la demande initiale, à savoir le 14 décembre 2001, ce qui impliquait dans tous les cas une consultation du comité de gestion du secteur de la pêche et de l’aquaculture institué par l’article 17 du règlement n° 3760/92.

20      La Commission rétorque qu’elle devait, pour se conformer à l’article 266 TFUE et aux arrêts Boyle e.a. et Flaherty e.a., adopter une nouvelle décision relative à la demande initiale. Toutefois, elle aurait été dans l’impossibilité d’appliquer à nouveau l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 dès lors qu’il avait été supprimé. Par conséquent, la Commission aurait été contrainte d’adopter une décision ad hoc, dépourvue de base juridique, mais appliquant les règles matérielles prévues audit article 4, paragraphe 2.

21      À titre liminaire, il convient de constater que la question de la base juridique de la décision 2003/245 n’a pas été débattue dans le cadre des affaires Boyle e.a. et Flaherty e.a., ce que les parties ont confirmé lors de l’audience. En effet, il ressort du point 134 de l’arrêt Boyle e.a. que le Tribunal a annulé la décision 2003/245 en raison du fait que la Commission avait appliqué des critères non prévus par la réglementation applicable et qu’elle avait ainsi outrepassé ses compétences.

22      Dès lors, ces deux arrêts ainsi que les références qui peuvent y être faites ne sont pas pertinents aux fins de l’appréciation du présent moyen.

23      Selon l’article 5 TUE, la délimitation des compétences de l’Union européenne est régie par le principe d’attribution. Les catégories et domaines de compétences de l’Union sont précisés au titre I de la première partie du TFUE. L’article 2, paragraphe 6, TFUE prévoit ainsi que l’étendue et les modalités d’exercice des compétences de l’Union sont déterminées par les dispositions des traités relatives à chaque domaine.

24      S’agissant des compétences attribuées à l’Union, l’article 13, paragraphe 2, TUE précise, en outre, que chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci.

25      Selon la jurisprudence, au sein de l’ordre juridique de l’Union, les institutions ne disposent que de compétences d’attribution. Pour cette raison, les actes de l’Union mentionnent dans leur préambule la base juridique qui habilite l’institution concernée à agir dans le domaine en cause. Le choix de la base juridique appropriée revêt, en effet, une importance de nature constitutionnelle (arrêt de la Cour du 1er octobre 2009, Commission/Conseil, C‑370/07, Rec. p. I‑8917, point 47 ; arrêts du Tribunal du 25 octobre 2007, SP e.a./Commission, T‑27/03, T‑46/03, T‑58/03, T‑79/03, T‑80/03, T‑97/03 et T‑98/03, Rec. p. II‑4331, point 71, et du 1er juillet 2009, ThyssenKrupp Stainless/Commission, T‑24/07, Rec. p. II‑2309, point 64).

26      Par ailleurs, l’impératif de sécurité juridique requiert que tout acte visant à créer des effets juridiques emprunte sa force obligatoire à une disposition du droit de l’Union qui doit expressément être indiquée comme base légale et qui prescrit la forme juridique dont l’acte doit être revêtu (arrêts de la Cour du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, Rec. p. 1493, point 9, et du 1er octobre 2009, Commission/Conseil, précité, point 39).

27      Il ressort également de la jurisprudence que la disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant l’institution de l’Union à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci (arrêt de la Cour du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec. p. I‑2239, point 75, et arrêt SP e.a./Commission, précité, point 118).

28      En outre, il convient d’observer que, selon la jurisprudence, la question de savoir si l’auteur de l’acte attaqué est compétent est d’ordre public et doit, dès lors, être soulevée par le juge de l’Union alors même qu’aucune des parties ne le lui a demandé de le faire (arrêt de la Cour du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission, C‑210/98 P, Rec. p. I‑5843, point 56).

29       En l’espèce, il y a lieu de relever que, pour statuer sur la demande initiale, la Commission a fondé la décision 2003/245 sur la décision 97/413 ainsi que sur le règlement n° 2792/1999 (voir points 5 et 6 ci-dessus).

30      Or, il est constant que la décision 97/413, dont la période d’application a été prolongée par la décision 2002/70 jusqu’au 31 décembre 2002, n’était plus en vigueur au moment de l’adoption des décisions attaquées, à savoir le 13 juillet 2010. La validité de la décision 97/413 n’a pas fait l’objet d’une nouvelle prorogation.

31      Pareillement, l’article 6 du règlement n° 2792/1999 a été supprimé par l’article 1er, point 6, du règlement (CE) n° 2369/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, modifiant le règlement n° 2792/1999 (JO L 358, p. 49), à partir du 1er janvier 2003.

32      La décision 97/413 et l’article 6 du règlement n° 2792/1999 n’étant plus en vigueur au moment de l’adoption des décisions attaquées, la procédure de consultation du comité de gestion du secteur de la pêche prévue pour leur mise en œuvre ne pouvait s’appliquer.

33      À cet égard, il convient de constater qu’aucune disposition, même transitoire, n’a habilité la Commission à examiner la demande initiale de l’Irlande et qu’aucune disposition alternative en vigueur n’était susceptible d’habiliter la Commission à cette fin à la date d’adoption des décisions attaquées.

34      Interrogée sur la possibilité que le point 3.3 de l’annexe de la décision 98/125/CE de la Commission, du 16 décembre 1997, portant approbation du programme d’orientation pluriannuel de la flotte de pêche en Irlande pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2001 (JO L 39, p. 41), ait pu constituer une base juridique alternative adéquate, la Commission a fait valoir, à juste titre, qu’elle ne saurait fonder une décision sur un acte par lequel elle s’est attribué elle-même une compétence. En effet, le principe d’attribution de compétences, tel que précisé aux points 24 à 26 ci-dessus s’oppose à ce qu’une institution, en l’occurrence la Commission, puisse s’attribuer elle-même ses compétences. Or, selon les articles 36 CE et 37 CE et les articles 42 TFUE et 43 TFUE, qui les ont remplacés, il appartient au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne de mettre en œuvre les objectifs de la politique commune de la pêche, sur proposition de la Commission. Ces dispositions ne prévoient aucunement que la Commission puisse décider elle-même de ses compétences dans le domaine de cette politique.

35      Dans ces circonstances, il y a lieu de constater qu’aucune disposition de droit primaire ou de droit dérivé en vigueur à partir du 1er janvier 2003 n’habilitait la Commission à statuer sur la demande initiale ou sur les demandes introduites par les requérants, le 14 juin 2006 et le 25 avril 2008, à la suite des arrêts Boyle e.a. et Flaherty e.a. La Commission a d’ailleurs reconnu, tant dans ses écritures qu’à l’audience, qu’elle ne disposait pas de base juridique pour adopter, le 13 juillet 2010, les décisions attaquées.

36      Il s’ensuit qu’il n’existait aucune base juridique et, partant, aucune compétence habilitant la Commission à adopter les décisions attaquées.

37      Si les requérants ont correctement fait valoir que la Commission n’était pas compétente pour adopter les décisions attaquées, leur raisonnement ne saurait être validé en ce qui concerne la prétendue existence d’une autre base juridique adéquate. Les arguments des requérants doivent ainsi être rejetés pour les raisons suivantes.

38      En premier lieu, les requérants allèguent que la jurisprudence ArcelorMittal Luxembourg et SP e.a. citée au point 28 ci-dessus ne s’appliquait pas en l’espèce, étant donné que ces affaires avaient trait à la compétence de la Commission d’infliger des amendes ainsi qu’à la succession des règles dans le temps dans le contexte de l’expiration du traité CECA et que des bases juridiques alternatives existaient. Cet argument doit être rejeté dès lors que cette jurisprudence constitue un principe de portée générale, déjà énoncé dans des situations différentes du contexte précité (arrêt de la Cour du 4 avril 2000, Commission/Conseil, C‑269/97, Rec. p. I‑2257, point 45 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, Rec. p. II‑3253, points 78 à 114).

39      En deuxième lieu, les requérants estiment que la Commission aurait dû adopter les décisions attaquées sur la base des dispositions applicables au moment de la réception de la demande initiale de l’Irlande.

40      À cet égard, tout d’abord, il convient de préciser que le moment auquel l’Irlande a formellement introduit sa demande visant à accroître les objectifs du programme d’orientation pluriannuel IV (ci-après le « POP IV ») afin de tenir compte des améliorations en matière de sécurité sur les navires des requérants n’est pas de nature à remettre en cause le défaut de compétence de la Commission dès lors que la décision 2003/245 et les décisions attaquées devaient en tout état de cause être fondées sur une base juridique en vigueur au moment de leur adoption (voir la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus).

41      Ensuite, l’argument des requérants selon lequel la situation juridique dans laquelle se trouvait la Commission lors de l’adoption des décisions attaquées en 2010 était identique à celle qui prévalait lors de l’adoption de la décision 2003/245 en 2003 ne saurait davantage prospérer. En effet, la circonstance que la Commission ait agi de manière irrégulière lors de l’adoption de la décision 2003/245 en 2003 n’est pas susceptible de justifier qu’elle se fût écartée des principes généraux du droit de l’Union en adoptant les décisions attaquées sans y être habilitée en 2010.

42      Enfin, il y a lieu de relever que l’Irlande a présenté sa demande initiale en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 dont il ressortait du libellé que les augmentations de capacité envisagées s’inscrivaient dans le cadre des programmes d’orientation pluriannuels. Or, cette demande a été introduite le 14 décembre 2001, c’est-à-dire quelques jours avant l’expiration du POP IV qui portait sur la période allant du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2001. Ainsi que le soutiennent les requérants, ladite demande concernait la période couverte par le POP IV. Eu égard au nombre de navires concernés par la demande initiale de l’Irlande et au devoir de diligence pesant sur la Commission, il ne saurait être reproché à cette dernière de ne pas avoir adopté de décision avant l’expiration du POP IV au 31 décembre 2001.

43      À cet égard, il y a lieu de constater que le législateur de l’Union n’a prévu aucun régime transitoire qui aurait permis à la Commission d’examiner et de statuer sur les demandes d’augmentation de capacité lui étant parvenues avant l’expiration ou la suppression des dispositions lui conférant cette compétence. S’il est vrai que l’absence d’un tel régime transitoire peut s’avérer insatisfaisante pour le justiciable, ce constat ne saurait aboutir à écarter le principe d’attribution de compétence, qui est expressément prévu par le traité. Au cas contraire, le Tribunal excéderait les compétences qui lui sont attribuées par ce dernier (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré, C‑263/02 P, Rec. p. I‑3425, point 36).

44      En troisième lieu, il convient de préciser que, si l’article 266 TFUE crée certes une obligation d’agir à la charge de l’institution concernée, elle ne constitue pas une source de compétence pour celle-ci. Toute autre interprétation serait contraire au principe d’attribution des compétences énoncé à l’article 13, paragraphe 2, TFUE (voir points 24 à 26 ci-dessus). Si l’obligation d’agir se distingue de la compétence de l’institution, ces deux notions ne s’opposent pas. En l’espèce, la Commission était tenue, en vertu de l’article 266 TFUE, de prendre les mesures que comportait l’exécution des arrêts Boyle e.a. et Flaherty e.a., mais ne disposait toutefois pas de compétence pour ce faire. Dans une telle situation, il appartient à la Commission de rejeter la demande des requérants pour défaut de compétence.

45      Une telle solution ne porte cependant pas préjudice à la faculté des requérants d’introduire un recours en indemnité à l’encontre de l’Union en raison de l’absence d’un régime transitoire qui aurait permis à la Commission de statuer sur la demande des autorités irlandaises (voir point 44 ci-dessus).

46      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de constater que la Commission n’était pas compétente pour adopter les décisions attaquées.

47      Par conséquent, le premier moyen doit, en ce qu’il soulève la question du défaut de compétence de la Commission, être accueilli et les décisions attaquées annulées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérants.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les décisions C (2010) 4758, C (2010) 4748, C (2010) 4757, C (2010) 4751, C (2010) 4764, C (2010) 4750, C (2010) 4761, C (2010) 4767, C (2010) 4754, C (2010) 4753 et C (2010) 4752 de la Commission, du 13 juillet 2010, rejetant la demande introduite par l’Irlande visant à accroître les objectifs du programme d’orientation pluriannuel IV afin de tenir compte des améliorations en matière de sécurité relatives aux navires des requérants sont annulées.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 mai 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.