Language of document : ECLI:EU:F:2014:164

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE
(deuxième chambre)

19 juin 2014

Affaire F‑157/12

BN

contre

Parlement européen

« Fonction publique – Fonctionnaires – Recours en annulation – Fonctionnaire de grade AD 14 occupant provisoirement un poste de conseiller auprès d’un directeur – Allégation de harcèlement moral à l’encontre du directeur général – Congé de maladie de longue durée – Décision de nomination à un poste de conseiller dans une autre direction générale – Devoir de sollicitude – Principe de bonne administration – Intérêt du service – Règle de la correspondance entre le grade et l’emploi – Recours en indemnité – Préjudice découlant d’un comportement non décisionnel »

Objet :      Recours, introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis, par lequel BN demande, d’une part, l’annulation de la décision du Parlement européen du 20 mars 2012 mettant fin à ses fonctions de conseiller auprès du directeur de la direction des ressources de la direction générale (DG) du personnel et la réaffectant, avec effet au 15 mars 2012, à un poste de conseiller auprès du service « Système de management environnemental et d’audit » de l’unité de coordination générale de la direction des ressources de la DG des infrastructures et de la logistique (ci-après le « service EMAS ») ainsi que de la décision du 21 septembre 2012 rejetant la réclamation introduite contre la décision du 20 mars 2012 et, d’autre part, la réparation du préjudice subi du fait d’agissements de harcèlement et de mauvaise administration de la part de sa hiérarchie, chiffré ex æquo et bono à la somme de 400 000 euros.

Décision :      Le recours est rejeté. Le Parlement européen supporte ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par BN.

Sommaire

1.      Fonctionnaires – Mutation – Réaffectation – Critère de distinction – Conditions communes

(Statut des fonctionnaires, art. 4, 7, § 1, et 29)

2.      Fonctionnaires – Organisation des services – Affectation du personnel – Réaffectation – Respect de la règle de correspondance entre grade et emploi – Portée

(Statut des fonctionnaires, art. 7, § 1)

3.      Fonctionnaires – Harcèlement moral – Charge de la preuve – Obligation de l’intéressé d’apporter un commencement de preuve

(Statut des fonctionnaires, art. 12 bis, § 2)

4.      Recours des fonctionnaires – Moyens – Détournement de pouvoir – Notion – Décision conforme à l’intérêt du service – Absence de détournement de pouvoir

5.      Fonctionnaires – Organisation des services – Affectation du personnel – Mesure de réaffectation dans l’intérêt du service – Droit de l’intéressé d’être entendu – Absence

[Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 2, a) ; statut des fonctionnaires, art. 7, § 1]

6.      Fonctionnaires – Devoir de sollicitude incombant à l’administration – Portée – Obligation renforcée en cas d’affectation de la santé du fonctionnaire – Limites

(Statut des fonctionnaires, art. 24)

7.      Fonctionnaires – Protection de la sécurité et de la santé – Obligations des institutions – Portée – Directive 89/391 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail – Effet – Limites

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 31, § 1 ; statut des fonctionnaires, art. 1er sexies, § 2 ; directive du Conseil 89/391)

1.      Même si une décision se présente, dans la mesure où elle se fonde notamment sur l’article 7, paragraphe 1, du statut, comme une décision portant mutation d’un fonctionnaire, elle doit s’analyser comme une mesure de réaffectation, si l’intéressé n’a pas été transféré sur un emploi vacant en application des articles 4 et 29 du statut.

Toutefois, les décisions de réaffectation sont soumises, au même titre que les mutations, en ce qui concerne la sauvegarde des droits et des intérêts légitimes du fonctionnaire intéressé, aux règles de l’article 7, paragraphe 1, du statut, en ce sens notamment que la réaffectation des fonctionnaires ne peut se faire que dans l’intérêt du service et dans le respect de l’équivalence des emplois.

(voir points 44 à 46)

Référence à :

Tribunal de la fonction publique : arrêt de Albuquerque/Commission, F‑55/06, EU:F:2007:15, point 55, et la jurisprudence citée

2.      Lors de réaffectation, en cas de modification des fonctions attribuées à un fonctionnaire, la règle de correspondance entre le grade et l’emploi, énoncée en particulier par l’article 7 du statut, implique une comparaison entre le grade et les fonctions actuels du fonctionnaire et non pas une comparaison entre ses fonctions actuelles et ses fonctions antérieures. Dès lors, la règle de correspondance entre le grade et l’emploi ne s’oppose pas à ce qu’une décision entraîne l’attribution de nouvelles fonctions qui, si elles diffèrent de celles précédemment exercées et sont perçues par l’intéressé comme comportant une réduction de ses attributions, sont néanmoins conformes à l’emploi correspondant à son grade. Ainsi, une diminution effective des attributions d’un fonctionnaire n’enfreint la règle de correspondance entre le grade et l’emploi que si ses nouvelles attributions sont, dans leur ensemble, nettement en deçà de celles correspondant à ses grade et emploi, compte tenu de leur nature, de leur importance et de leur ampleur. Enfin, le statut n’accorde aux fonctionnaires aucun droit à un emploi déterminé, mais laisse au contraire à l’autorité investie du pouvoir de nomination la compétence d’affecter les fonctionnaires, dans l’intérêt du service, aux différents emplois correspondant à leur grade. Par ailleurs, s’il est vrai que l’administration a tout intérêt à affecter les fonctionnaires en fonction de leurs aptitudes spécifiques et de leurs préférences personnelles, il ne saurait être reconnu pour autant aux fonctionnaires le droit d’exercer ou de conserver des fonctions spécifiques ou de refuser toute autre fonction de leur emploi type. Ainsi, la réaffectation d’un fonctionnaire d’un poste de chef d’unité à un poste de conseiller, tout en conservant le même grade AD 14, respecte la correspondance entre le grade et l’emploi, dans la mesure où, tel que cela ressort du tableau descriptif des emplois types figurant à l’annexe I, point A, du statut, le grade AD 14 correspond à un administrateur exerçant, par exemple, la fonction de directeur, de chef d’unité ou de conseiller.

(voir points 55 à 58)

Référence à :

Tribunal de la fonction publique : arrêt Bermejo Garde/CESE, F‑41/10, EU:F:2012:135, points 162 à 164, et la jurisprudence citée, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T‑530/12 P

3.      Pour que l’article 12 bis, paragraphe 2, du statut, relatif à la protection du fonctionnaire qui s’estime victime de harcèlement, trouve à s’appliquer à l’appui de conclusions en annulation d’une décision de l’administration, il faut que l’intéressé apporte ne serait-ce qu’un commencement de preuve que la décision attaquée constitue, en tout ou en partie, une mesure de rétorsion à son égard.

À cet égard, la circonstance qu’un fonctionnaire ait demandé à être nommé à un poste de chef d’unité et que l’autorité investie du pouvoir de nomination n’ait pas donné suite à cette demande, le fonctionnaire ayant été réaffecté d’un poste de conseiller à un autre poste de conseiller, ne suffit pas, à elle seule, à qualifier la décision attaquée de mesure de rétorsion à l’égard de l’intéressé.

(voir points 67 et 70)

4.      La notion de détournement de pouvoir, dont le détournement de procédure constitue une manifestation, a une portée bien précise qui se réfère à l’usage de ses pouvoirs par une autorité administrative dans un but autre que celui en vue duquel ils ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées.

Dans le cas d’une mesure de réaffectation, lorsque celle-ci n’a pas été jugée comme étant contraire à l’intérêt du service, il ne saurait être question de détournement de pouvoir.

(voir points 76 et 77)

Référence à :

Tribunal de la fonction publique : arrêt BY/AESA, F‑81/11, EU:F:2013:82, points 69 et 70, et la jurisprudence citée

5.      Les droits de la défense recouvrent assurément, tout en étant plus étendus, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard, droit d’être entendu tel qu’il est énoncé à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le droit pour tout fonctionnaire d’être entendu s’applique particulièrement avant l’adoption d’un acte susceptible d’entraîner des conséquences sensibles sur l’évolution de sa carrière.

L’autorité investie du pouvoir de nomination n’a pas l’obligation de communiquer à l’intéressé, préalablement à son adoption, les éléments retenus pour fonder une décision de réaffectation afin qu’il puisse faire connaître utilement son point de vue à ce sujet, lorsqu’elle n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences sensibles sur l’évolution de la carrière de l’intéressé, lorsqu’elle respecte l’équivalence des emplois, lorsqu’elle donne suite aux souhaits de l’intéressé de ne plus exercer de fonctions en rapport avec son domaine de spécialisation ou dans l’environnement immédiat de la direction générale dans laquelle l’intéressé a travaillé et lorsqu’elle n’entraîne pour l’intéressé aucun changement de lieu d’affectation.

(voir points 84 et 85)

Référence à :

Tribunal de première instance : arrêt Clotuche/Commission, T‑339/03, EU:T:2007:36, point 147

Tribunal de la fonction publique : arrêt Z/Cour de justice, F‑88/09 et F‑48/10, EU:F:2012:171, point 146, et la jurisprudence citée

6.      Les obligations découlant pour l’administration du devoir de sollicitude sont substantiellement renforcées lorsqu’est en cause la situation d’un fonctionnaire dont il est avéré que la santé, physique ou mentale, est affectée. En pareille hypothèse, l’administration doit examiner les demandes de celui-ci dans un esprit d’ouverture particulier. Par ailleurs, il incombe de façon générale au service médical d’une institution, particulièrement lorsque son attention est attirée, soit par le fonctionnaire concerné lui-même, soit par l’administration, sur les conséquences prétendument néfastes que pourrait avoir une décision administrative pour la santé de la personne à laquelle elle est adressée, de vérifier la réalité et l’étendue des risques invoqués et d’informer l’autorité investie du pouvoir de nomination du résultat de son examen.

Cependant, il ne saurait être fait grief à l’autorité investie du pouvoir de nomination d’avoir violé son devoir de sollicitude ou le principe de bonne administration en adoptant une décision de réaffectation, dans la mesure où, par cette décision, elle a donné suite aux souhaits que l’intéressé avait manifestés, à savoir ne plus travailler dans son domaine de spécialisation et ne plus être affectée à une direction générale déterminée. Même s’il est vrai que l’intéressé aurait aussi souhaité être nommée à un poste de chef d’unité, et non à un poste de conseiller, il n’en demeure pas moins que, eu égard au large pouvoir d’appréciation dont dispose toute institution en matière d’organisation de ses services, dès lors qu’une mesure de réaffectation est conforme à l’intérêt du service et qu’elle respecte la règle de la correspondance entre le grade et l’emploi, il n’appartient pas au juge de l’Union de déterminer si d’autres mesures auraient été plus opportunes.

(voir points 92, 93 et 96 à 98)

Référence à :

Tribunal de la fonction publique : arrêt Esders/Commission, F‑62/10, EU:F:2011:141, points 80 et 82, et la jurisprudence citée

7.      Les institutions de l’Union sont tenues de respecter le droit des travailleurs à des conditions de travail qui respectent notamment leur santé, droit consacré à l’article 31, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Selon les explications afférentes à l’article 31 de la charte, lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la charte, doivent être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci, l’article 31, paragraphe 1, de la charte se fonde sur la directive 89/391 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

Pour sa part, le libellé de l’article 1er sexies, paragraphe 2, du statut, en tant qu’il se réfère aux prescriptions minimales applicables en vertu des mesures arrêtées en application des traités dans les domaines de santé et de sécurité et relatives aux conditions de travail, envisage des règles telles que celles que comporte la directive 89/391, dès lors que celle-ci a elle-même pour objet, ainsi qu’il ressort de son article 1er, paragraphe 1, de mettre en œuvre des mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

Toutefois, pour étendue qu’elle soit, l’obligation des institutions de l’Union, lorsqu’elles agissent en tant qu’employeur, d’assurer la sécurité et la santé de leur personnel ne peut aller jusqu’à faire peser sur l’institution concernée une obligation absolue de résultat.

(voir points 104 à 106, 109 et 110)

Référence à :

Cour : arrêt Réexamen Commission/Strack, C‑579/12 RX-II, EU:C:2013:570, points 39 et 43

Tribunal de la fonction publique : arrêt Missir Mamachi di Lusignano/Commission, F‑50/09, EU:F:2011:55, point 130, faisant l’objet d’un pourvoi pendant devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T‑401/11 P