Language of document : ECLI:EU:T:2014:62

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

6 février 2014 (*)

« Concurrence – Ententes – Marchés européens des stabilisants thermiques étain et des stabilisants thermiques ESBO/esters – Décision constatant deux infractions à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE – Amendes – Durée de l’infraction – Prescription – Intérêt légitime à constater une infraction – Demande de réformation – Montant des amendes – Durée des infractions – Pouvoirs de pleine juridiction »

Dans les affaires jointes T‑23/10 et T‑24/10,

Arkema France, établie à Colombes (France), représentée initialement par M. J. Joshua, barrister, et Me E. Aliende Rodríguez, avocat, puis par Mes J.-P. Gunther et C. Breuvart, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑23/10,

CECA SA, établie à La Garenne-Colombes (France), représentée initialement par M. J. Joshua, barrister, et Me E. Aliende Rodríguez, avocat, puis par Mes J.-P. Gunther et C. Breuvart, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑24/10,

contre

Commission européenne, représentée par Mme K. Mojzesowicz, MM. F. Ronkes Agerbeek et J. Bourke, en qualité d’agents, assistés de M. J. Holmes, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet des demandes d’annulation de la décision C (2009) 8682 final de la Commission, du 11 novembre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38589 – Stabilisants thermiques), ou, à titre subsidiaire, des demandes de réduction du montant des amendes infligées aux requérantes,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka (rapporteur) et M. D. Gratsias, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 mai 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents au litige

1        Les présentes affaires ont trait à la décision C (2009) 8682 final de la Commission, du 11 novembre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38589 – stabilisants thermiques) (ci-après la « décision attaquée », résumé au JO 2010, C 307, p. 9).

2        Par la décision attaquée, la Commission des Communautés européennes a considéré qu’un certain nombre d’entreprises avaient enfreint l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en participant à deux ensembles d’accords et de pratiques concertées anticoncurrentiels couvrant le territoire de l’EEE et concernant, d’une part, le secteur des stabilisants étain et, d’autre part, le secteur de l’huile de soja époxydée et des esters (ci-après le « secteur ESBO/esters »).

3        La décision attaquée retient l’existence de deux infractions portant sur deux catégories de stabilisants thermiques, lesquels constituent des produits ajoutés aux produits à base de polychlorure de vinyle (PVC) afin d’améliorer leur résistance thermique (voir considérant 3 de la décision attaquée).

4        Selon l’article 1er de la décision attaquée, chacune de ces infractions a consisté à fixer les prix, à répartir les marchés par le biais de quotas de vente, à répartir les clients et à échanger des informations commerciales sensibles, en particulier sur les clients, la production et les ventes.

5        La décision attaquée énonce que les entreprises concernées ont participé à ces infractions au cours de diverses périodes comprises entre le 24 février 1987 et le 21 mars 2000, pour les stabilisants étain, et entre le 11 septembre 1991 et le 26 septembre 2000, pour le secteur ESBO/esters.

6        La requérante dans l’affaire T‑24/10, CECA SA, produit et vend des spécialités chimiques, dont les produits concernés par la décision attaquée.

7        CECA a participé directement aux infractions en cause (voir considérants 25, 590 et 591 de la décision attaquée).

8        La requérante dans l’affaire T‑23/10, Arkema France (qui a succédé à Atochem, à Elf Atochem, à Atofina et à Arkema) (ci-après « Arkema »),produit et vend des produits vinyliques, des produits de chimie industrielle et des produits de performance.

9        À compter du 23 janvier 1988, Arkema a été la société mère directe à 99,9 % de CECA (voir considérants 25 et 26 de la décision attaquée).

10      La décision attaquée tient Arkema pour responsable des infractions en cause en tant que société mère de CECA (voir considérant 592 de la décision attaquée).

11      Il ressort également de la décision attaquée qu’Arkema a été la filiale d’Elf Aquitaine du 1er janvier 1986 au 18 mai 2006 (voir considérants 27 et 590 à 605 de la décision attaquée).

12      L’enquête qui a abouti à l’adoption de la décision attaquée a été engagée à la suite de l’introduction par Chemtura d’une demande d’immunité, le 26 novembre 2002, en application de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3) (voir considérants 79 et 80 de la décision attaquée).

13      Les 12 et 13 février 2003, la Commission a effectué des inspections dans les locaux de CECA, de Baerlocher (Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni), de Reagens (Italie), d’Akcros (Royaume-Uni) et de Rohm & Haas (France), en application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204).

14      Au cours de l’inspection menée chez Akcros, les représentants de cette dernière ont indiqué aux fonctionnaires de la Commission que certains documents étaient couverts par la protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients (voir considérant 81 de la décision attaquée). La revendication de cette protection a ensuite fait l’objet de procédures judiciaires intentées le 11 avril 2003 et le 4 juillet 2003 devant le Tribunal, qui ont donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03 et T‑253/03, Rec. p. II‑3523), rejetant les recours (voir considérants 84 à 90 de la décision attaquée) (ci-après la « procédure judiciaire Akzo »).

15      Le 8 octobre 2007 et à plusieurs reprises en 2008, la Commission a envoyé aux entreprises impliquées des demandes de renseignements au titre de l’article 18 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1) (voir considérants 91 et 92 de la décision attaquée).

16      Le 17 mars 2009, la Commission a adopté une communication des griefs qui a été notifiée à plusieurs sociétés, dont les requérantes, le 18 mars 2009 (voir considérant 95 de la décision attaquée).

17      Les requérantes ont présenté une réponse conjointe à la communication des griefs le 22 mai 2009.

18      Le 11 novembre 2009, la Commission a adopté la décision attaquée.

19      L’article 1er de la décision attaquée tient les requérantes et Elf Aquitaine pour responsables pour la participation de CECA à l’infraction portant sur les stabilisants étain du 16 mars 1994 au 31 mars 1996 (ci-après la « période mars 1994-mars 1996 ») et du 9 septembre 1997 au 21 mars 2000 et pour sa participation à l’infraction portant sur le secteur ESBO/esters du 11 septembre 1991 au 26 septembre 2000.

20      En ce qui concerne son pouvoir d’infliger des amendes pour les infractions susmentionnées, la Commission a notamment rejeté les arguments avancés par les entreprises concernées, selon lesquelles la suspension résultant de la procédure judiciaire Akzo, en vertu de l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003, s’appliquait seulement aux parties à ladite procédure, à savoir Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd. La Commission a en effet considéré que ladite suspension avait un effet erga omnes, de sorte que la prescription avait été suspendue à l’égard de toutes les entreprises concernées par l’enquête, y compris les requérantes (voir considérants 672 à 682 de la décision attaquée).

21      L’article 2 de la décision attaquée énonce ce qui suit :

« Pour l’/(les) infraction(s) sur le marché des stabilisants étain […] les amendes suivantes sont infligées :

[…]

11)      Elf Aquitaine [et les requérantes] sont conjointement et solidairement responsables pour le montant de 3 864 000 euros ;

12)      [Arkema] est responsable pour le montant de 3 477 600 euros ;

[…]

Pour l’/(les) infractions sur le marché de l’ESBO/des esters […] les amendes suivantes sont infligées :

[…]

28)      Elf Aquitaine [et les requérantes] sont conjointement et solidairement responsables pour le montant de 7 154 000 euros ;

29)      [Arkema] est responsable pour le montant de 6 438 600 euros ;

[…] »

22      La Commission n’a en revanche pas infligé d’amendes aux requérantes pour l’infraction qu’elle a constatée sur le marché des stabilisants étain pour la période mars 1994-mars 1996 (voir considérant 437 de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

23      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 27 janvier 2010 (affaires T‑23/10, Arkema France/Commission, et T‑24/10, CECA/Commission), les requérantes ont introduit les présents recours.

24      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 24 mai 2011, les requérantes ont demandé l’autorisation d’employer comme langue de procédure une autre langue que celle choisie dans les requêtes, en motivant cette demande, notamment, par le changement de leurs représentants dans les présentes affaires. Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 7 juin 2011, la Commission s’est opposée à cette demande. Par décision du président de la troisième chambre du Tribunal du 14 juin 2011, la demande des requérantes a été rejetée.

25      Par lettres déposées au greffe du Tribunal le 12 juillet 2011, la Commission a fait savoir que, à la lumière de l’arrêt de la Cour du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec. p. I‑2239), elle retirait ses arguments selon lesquels la suspension de la prescription, en application de l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003, par la procédure judiciaire Akzo avait un effet erga omnes, y compris à l’égard des requérantes. Elle a également déclaré qu’elle maintenait l’ensemble des autres arguments avancés par rapport au moyen des requérantes tiré de la prescription. Le Tribunal en a pris acte.

26      Les requérantes n’ont pas déposé d’observations sur les lettres visées au point précédent dans le délai imparti.

27      Par ordonnance du 12 mars 2012, il a été décidé, les parties entendues, de joindre les affaires T‑23/10 et T‑24/10 aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

28      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a posé par écrit des questions aux parties. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

29      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 22 mai 2012.

30      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les articles 1er et 2 de la décision attaquée dans la mesure où ils les concernent ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 1er, paragraphe 1, sous i) et j), de la décision attaquée en tant qu’il constate que les requérantes ont participé à l’infraction dans le secteur des stabilisants étain au cours de la période allant du 16 mars 1994 au 31 mars 1996 ;

–        à titre tout autant subsidiaire, réduire, dans l’exercice des pouvoirs de pleine juridiction du Tribunal, les amendes qui leur ont été infligées ;

–        condamner la Commission aux dépens.

31      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours dans leur intégralité ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

32      À l’appui des recours, les requérantes invoquent trois moyens, dont deux moyens au soutien de leurs conclusions en annulation de la décision attaquée, à savoir, d’une part, une violation de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003 et, d’autre part, une violation de l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement n° 1/2003, et un moyen au soutien de leurs conclusions subsidiaires en réformation de la décision attaquée quant au montant des amendes qui leur ont été infligées.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003

33      Au soutien des recours en ce qu’ils tendent à l’annulation de la décision attaquée, les requérantes font valoir que la Commission n’a pas établi que les infractions avaient perduré jusqu’au 11 novembre 1999.

34      La décision attaquée ayant été adoptée le 11 novembre 2009, les pouvoirs de la Commission d’infliger des amendes auraient été prescrits à cette date, en application de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003.

35      Selon les requérantes, la Commission n’a pas valablement établi que les infractions avaient perduré au-delà de la « fin du mois de février 1999 », pour les stabilisants étain, et au-delà du 29 septembre 1999, pour le secteur ESBO/esters.

36      Les requérantes contestent, à cet effet, la recevabilité ou la force probante des éléments de preuve retenus par la Commission dans la décision attaquée.

37      Considérant que la prescription était acquise le 11 novembre 2009, les requérantes prétendent que la Commission n’avait pas non plus d’intérêt légitime à constater des infractions. La Commission rejette cette argumentation des requérantes en affirmant qu’elle a établi, à suffisance de droit, que les infractions avaient perduré au-delà du 11 novembre 1999, de sorte que son pouvoir d’infliger des amendes n’était pas prescrit et qu’elle n’avait donc pas à démontrer un intérêt légitime à constater les infractions.

 Rappel de la jurisprudence pertinente

38      À cet égard, il y a lieu de rappeler, en ce qui concerne l’administration de la preuve d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, que la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58 ; du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 86, et du 6 janvier 2004, BAI et Commission/Bayer, C‑2/01 P et C‑3/01 P, Rec. p. I‑23, point 62).

39      Aussi est-il nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. I‑2501, point 179, et la jurisprudence citée).

40      Certes, si la Commission constate une infraction aux règles de la concurrence en se fondant sur la supposition que les faits établis ne peuvent pas être expliqués autrement qu’en fonction de l’existence d’un comportement anticoncurrentiel, le juge de l’Union européenne sera amené à annuler la décision en question lorsque les entreprises concernées avancent une argumentation qui donne un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permet ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission pour conclure à l’existence d’une infraction. En effet, dans un tel cas, il ne saurait être considéré que la Commission a apporté la preuve de l’existence d’une infraction au droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 16, et du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, Rec. p. I‑1307, points 126 et 127).

41      Toutefois, il ressort également de la jurisprudence que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction, car il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (arrêts du Tribunal JFE Engineering e.a./Commission, précité, point 180, et du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié au Recueil, points 56 et 271).

42      Il convient également de considérer que l’interdiction de participer à des pratiques et à des accords anticoncurrentiels ainsi que les sanctions que les contrevenants peuvent encourir étant notoires, il est usuel que les activités que ces pratiques et ces accords comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement, le plus souvent dans un pays tiers, et que la documentation s’y rapportant soit réduite au minimum (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 55).

43      Par ailleurs, même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, telles que les comptes rendus d’une réunion, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité, point 56).

44      Ainsi, dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité, point 57).

45      En outre, il ressort de la jurisprudence que, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement l’intégralité de la durée d’une infraction, la Commission doit se fonder, au moins, sur des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, Rec. p. II‑441, point 79, et du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, Rec. p. II‑6681, point 132).

46      La Cour a également jugé que, dès lors que la Commission a pu établir qu’une entreprise avait participé à des réunions entre entreprises à caractère manifestement anticoncurrentiel, le Tribunal avait pu estimer à juste titre qu’il incombait à cette dernière de fournir une autre explication du contenu de ces réunions. Ce faisant, le Tribunal n’avait pas opéré un renversement indu de la charge de la preuve, ni violé la présomption d’innocence (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, point 181).

47      De même, lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve qui sont, en principe, suffisants pour démontrer l’existence de l’infraction, il ne suffit pas à l’entreprise concernée d’évoquer la possibilité qu’une circonstance s’est produite qui pourrait affecter la valeur probante de ces éléments de preuve pour que la Commission supporte la charge de prouver que cette circonstance n’a pas pu affecter la valeur probante de ceux-ci. Au contraire, sauf dans les cas où une telle preuve ne pourrait pas être fournie par l’entreprise concernée en raison du comportement de la Commission elle-même, il appartient à l’entreprise concernée d’établir à suffisance de droit, d’une part, l’existence de la circonstance qu’elle invoque et, d’autre part, que cette circonstance met en cause la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels se fonde la Commission (arrêt du Tribunal du 15 décembre 2010, E.ON Energie/Commission, T‑141/08, Rec. p. II‑5761, point 56).

48      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de vérifier si la Commission a établi à suffisance de droit, dans la décision attaquée, que les infractions avaient perduré au moins jusqu’au 11 novembre 1999.

 Sur la durée des infractions

49      En l’espèce, il convient, d’emblée, de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les infractions avaient duré, sous la forme de réunions des entreprises impliquées, organisées notamment en Suisse par Fides Trust AG puis par AC-Treuhand AG (ci-après les « réunions AC-Treuhand »), jusqu’au 21 mars 2000, pour ce qui est de l’infraction portant sur les stabilisants étain, et jusqu’au 26 septembre 2000, pour ce qui est de l’infraction portant sur le secteur ESBO/esters (voir considérant 100 de la décision attaquée).

50      La Commission a également considéré que, « pour un nombre considérable de réunions, […] il exist[ait] des preuves directes et contemporaines que les participants […] tenaient régulièrement des discussions à objet anticoncurrentiel » (considérant 137 de la décision attaquée).

51      Il convient également de souligner que les requérantes reconnaissent expressément dans leurs écrits que les réunions AC-Treuhand ont eu, pour le moins jusqu’à « fin février 1999 » pour les stabilisants étain et jusqu’au 29 septembre 1999 pour le secteur ESBO/esters, un objet anticoncurrentiel.

52      Elles reconnaissent également avoir participé à ces réunions et ne contestent pas que toutes les réunions AC-Treuhand ont été animées par M. S., un collaborateur d’AC-Treuhand.

53      Ainsi, même si elles en contestent la durée, les requérantes admettent leur participation à des infractions à l’article 81 CE dans les secteurs des stabilisants étain et ESBO/esters.

54      Les requérantes ne contestent pas non plus l’existence de réunions AC-Treuhand après « fin février 1999 », pour les stabilisants étain, et après le 29 septembre 1999, pour le secteur ESBO/esters, de même que postérieurement au 11 novembre 1999, ni que toutes ces réunions AC-Treuhand ont été animées par M. S.

55      Elles ne contestent pas non plus avoir participé à des réunions AC-Treuhand postérieurement au 11 novembre 1999.

56      Cependant, les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas établi, à suffisance de droit, l’existence des comportements infractionnels reprochés avec des éléments suffisamment probants pour ce qui est des réunions AC-Treuhand qui ont eu lieu postérieurement au 11 novembre 1999.

57      Par conséquent, pour apprécier le bien-fondé du présent moyen, il suffit de vérifier si, en l’espèce, la Commission a établi, à suffisance de droit, que les réunions AC-Treuhand qui ont eu lieu après le 11 novembre 1999, auxquelles les requérantes ont participé, avaient, tout comme celles qui les ont précédées, un objet anticoncurrentiel (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, point 155 ; Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 96, et Aalborg Portland e.a/Commission, précité, point 81).

 Sur la poursuite, au-delà du 11 novembre 1999, de l’infraction portant sur les stabilisants étain

58      Concernant le secteur des stabilisants étain, la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que des comportements infractionnels avaient duré jusqu’au 21 mars 2000, c’est-à-dire, pour le moins, au-delà du 11 novembre 1999, sur la base de différents éléments de preuve énoncés aux considérants 299 à 304, pour l’année 1999, et 316 à 323, pour l’année 2000.

59      Premièrement et pour ce qui est de l’année 1999, neuf réunions AC-Treuhand ont eu lieu à Zurich (Suisse) et à Lugano (Suisse), à savoir deux en février, deux en avril, deux en juillet, une en septembre ainsi que deux autres les 29 et 30 novembre 1999, ces réunions ayant rassemblé Akcros, Baerlocher, CECA, Reagens et Chemtura (voir considérant 299 de la décision attaquée), ce que ne contestent pas les requérantes.

60      Deuxièmement, et pour ce qui est de l’année 2000, deux réunions AC-Treuhand ont eu lieu à Zurich, à savoir les 20 et 21 mars, ces réunions ayant rassemblé Akcros, Baerlocher, CECA, Reagens et Chemtura (voir considérant 316 de la décision attaquée), ce que ne contestent pas les requérantes.

61      Troisièmement, au considérant 317 de la décision attaquée, la Commission a fait valoir un mémorandum daté du 16 février 2000 et rédigé par un collaborateur d’Akcros à l’attention d’un de ses supérieurs (ci-après le « mémorandum Akcros »), dont il convient de reproduire intégralement les termes, que ne contestent pas les requérantes, ci-dessous :

« J’ai parlé aux directeurs marketing qui connaissent très bien les marchés UE des stabilisants […] Aujourd’hui nous et la plupart de nos concurrents UE participons à des groupes industriels (un pour l’ESBO et un pour les stabilisants étains) dont l’objectif principal consiste à consolider les informations du marché sous la forme de ventes mensuelles de tonnes. Chaque entreprise membre envoie ces informations à AC-Treuhand, Suisse, qui renvoie les résultats à toutes les entreprises participantes sous la forme de totaux […] Aucune information concurrentielle n’apparaît. Ceci me paraît tout ce qu’il y a de plus régulier et utile. Toutefois, de deux à quatre fois par an, les entreprises membres se rencontrent en Suisse afin de débattre des points d’intérêt commun tels que les perspectives et les tendances du marché, les activités des entreprises non membres et ainsi de suite. Alors que la réunion présidée par AC-Treuhand ne semble pas en soi abusive, l’on m’a rapporté qu’une fois ensemble, les concurrents discutaient des niveaux des prix et des clients. C’est pour cette raison que je recommanderais de faire savoir à AC-Treuhand que nous ne participerons plus à ces réunions, mais enverrons nos informations sur nos ventes afin de bénéficier de ce service. Il y a deux ans, la situation de ces groupes était tout à fait différente. Puis les feuilles rouges sont apparues : ils contenaient le procès-verbal des réunions et détaillaient les décisions de groupes, portant sur les hausses de tarifs et la répartition des marchés. L’on y parlait également de clients spécifiques. Ces procès-verbaux n’étaient pas distribués mais conservés dans des dossiers AC-Treuhand, en ‘sécurité’, puisque la Suisse n’était pas membre de l’UE. En 1996 ou 1997, ce genre de réunion n’a plus eu lieu, vraisemblablement à cause des pressions accrues pour ne pas exercer de telles activités, en raison d’une application plus rigoureuse des lois. Plus d’un membre du groupe étain a exercé une pression sur notre représentant pour revenir à la situation où la fixation des prix et la répartition du marché étaient régulièrement convenues lors de ces réunions AC-Treuhand. Barloecher exerce la plus forte pression sur nous ainsi que sur d’autres membres qui ne sont pas en faveur d’un tel accord. Ils parlent plus particulièrement de ‘geler’ les parts de marchés, mais si un membre augmente sa part en prenant un client, il devrait céder un autre client pour retrouver l’équilibre. Cela serait confirmé par des vérifications mensuelles des quotas. Nous n’accepterons plus de participer à de telles activités abusives, et ceci est une raison supplémentaire pour laquelle nous devrions nous retirer de ces réunions […] En résumé, il y a eu apparemment des réunions/discussions abusives auxquelles a bien participé Akros. Bien que nous ayons encore probablement des discussions occasionnelles qui pourraient être considérées comme étant inadéquates, nous ne participons plus à ces réunions officielles qui sont clairement inappropriées. Je recommanderais de : 1) notifier à AC-Treuhand que nous n’assisterons plus aux réunions en Suisse pour les groupes étain et [ESBO/esters], même si nous continuons à envoyer nos données de vente comme auparavant ; 2) organiser une formation de sensibilisation […] pour nos directeurs marketing (et autres) afin qu’ils connaissent clairement les limites à ne pas franchir dans le cadre des contacts avec les concurrents. Veuillez me faire savoir si vous adhérez à ces suggestions. »

62      Quatrièmement et pour corroborer son interprétation du mémorandum Akcros, la Commission a fait valoir, au considérant 318 de la décision attaquée, qu’Akzo avait reconnu que le mémorandum Akcros avait été précédé de notes manuscrites de l’auteur dudit mémorandum (ci-après les « notes manuscrites Akcros ») dont il ressort, ce que ne contestent pas les requérantes, d’une part, que des discussions « non écrites » avaient lieu sur le « niveau des prix », « devant être augmenté[s] » ou « soutenu[s] », ainsi que sur « certains clients » et, d’autre part, que les réunions avaient lieu en « Suisse, non membre de l’UE », car ne pouvant « pas faire l’objet de visites surprises ».

63      Cinquièmement, la Commission a fait observer que, dans le prolongement du mémorandum Akcros, le représentant de cette société a fait savoir, dans le cadre d’une réunion AC-Treuhand du 21 mars 2000 à Zurich, qu’elle ne participerait plus aux réunions AC-Treuhand « tout en continuant à échanger des données sur les ventes » (voir considérant 319 de la décision attaquée), ce que ne contestent pas les requérantes.

64      Sixièmement, la Commission a souligné qu’Akcros avait confirmé, par courrier du 5 juin 2000 adressé à M. S., alors collaborateur d’AC-Treuhand, qu’elle ne participerait plus aux réunions AC-Treuhand (voir considérant 321 de la décision attaquée), ce que ne contestent pas les requérantes.

65      Septièmement, la Commission a fait valoir des déclarations effectuées par Chemtura dans le cadre de sa coopération avec la Commission durant la procédure administrative, faisant état de la continuation de l’entente sur les stabilisants étain « jusqu’en 2000 » [voir considérant 420, sous a), de la décision attaquée].

66      Eu égard à l’ensemble de ces éléments, pris ensemble, le Tribunal estime que la Commission a établi la preuve de l’infraction qu’elle a constatée dans la décision attaquée concernant les stabilisants étain, en rapportant des éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs de l’infraction portant sur les stabilisants étain dans la présente affaire, en ce sens que la Commission a fait état, dans la décision attaquée, de preuves suffisantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction portant sur les stabilisants étain a été commise par les requérantes.

67      En effet, considérés ensemble, les différents éléments de preuve rapportés aux points 59 à 65 ci-dessus, pour ce qui est des stabilisants étain, excluent que les réunions AC-Treuhand qui se sont tenues à la fin du mois de novembre 1999 et en mars 2000, pour ce qui est des stabilisants étain, n’aient pas eu un objet anticoncurrentiel.

68      Lesdits éléments démontrent clairement l’objet anticoncurrentiel de ces réunions AC-Treuhand, notamment pour ce qui est du mémorandum Akcros, critiquant la nature anticoncurrentielle des réunions AC-Treuhand, de la décision de cette entreprise de ne plus y participer, du fait qu’elle s’en soit distanciée publiquement, et ce à deux reprises durant l’année 2000, de même du fait qu’elle ait envisagé une formation de sensibilisation de ses directeurs marketing aux règles de la concurrence, des déclarations de Chemtura témoignant de la continuation de l’entente « jusqu’en 2000 » ainsi que de l’absence de toute preuve, de la part des requérantes, quant au changement de nature des réunions AC-Treuhand.

69      Il en ressort que les réunions AC-Treuhand de la fin du mois de novembre 1999 et de mars 2000 n’ont pas pu avoir un objet différent de celui des précédentes réunions alors que les mêmes entreprises et les mêmes personnes se rencontraient dans le même contexte autour de M. S.

70      Par conséquent, il y a lieu de juger que la Commission a fait état, dans la décision attaquée, d’un faisceau d’indices qui, appréciés globalement, fondent la ferme conviction que les comportements infractionnels portant sur les stabilisants étain ont été adoptés dans le cadre des réunions AC-Treuhand, au-delà du 11 novembre 1999.

71      Cette appréciation ne saurait être remise en cause par les arguments des requérantes, lesquelles affirment que, contrairement à d’autres destinataires de la décision attaquée, elles ne prétendent pas que l’infraction a pris fin « dès 1996-1997 », mais que, pour la période postérieure à la fin du mois de février 1999, il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve solides et fiables des activités de l’entente pour étayer la conviction que cette dernière avait encore cours au 11 novembre 1999. Pour les stabilisants étain, les requérantes font valoir que la Commission ne saurait présumer que toutes les réunions AC-Treuhand, dont la dernière a eu lieu le 21 mars 2000, auraient eu un objet illicite en ce qu’il n’existe aucune preuve de l’objet anticoncurrentiel des réunions qui soit probante au-delà du 27 avril 1999 et qui soit recevable au-delà du 23 février 1999.

72      Premièrement, les requérantes ne sauraient valablement soutenir que la décision attaquée ne contient aucune note contemporaine des faits concernant les réunions AC-Treuhand postérieure à la réunion du 27 avril 1999, dès lors que la Commission a fait état d’un ensemble d’indices, dont, notamment, le mémorandum Akcros et les notes manuscrites Akcros, qui, appréciés globalement, permettent d’établir l’objet anticoncurrentiel des réunions AC-Treuhand postérieures à cette date.

73      Deuxièmement, elles ne sauraient non plus reprocher à la Commission de ne pas avoir évoqué, dans la décision attaquée, des réunions autres que les réunions AC-Treuhand, dès lors que, précisément, les réunions AC-Treuhand ont constitué le cadre formel de l’entente en cause.

74      Troisièmement, les requérantes contestent la recevabilité de certains éléments de preuve également évoqués dans la décision attaquée, en ce que ces éléments n’ont pas été mentionnés dans la communication des griefs pour ce qui est de l’infraction portant sur les stabilisants étain. Il s’agit, notamment, d’un rapport mensuel de Chemtura pour le mois d’août 1999, d’un rapport mensuel de Chemtura pour le mois d’octobre 1999, d’un courriel de Chemtura du 23 novembre 1999 et d’un rapport mensuel de Chemtura pour le mois de novembre 1999.

75      Or, quand bien même la Commission n’a pas évoqué ces éléments pour ce qui était de l’infraction portant sur les stabilisants étain, il n’en demeure pas moins que l’argumentation des requérantes doit être rejetée en ce qu’elle est inopérante, dès lors que le Tribunal considère que la Commission a établi, à suffisance de droit, que l’infraction perdurait au 11 novembre 1999 sur la base d’éléments de preuve, rapportés aux points 59 à 65 du présent arrêt, dont la recevabilité n’est pas contestée par les requérantes.

76      Quatrièmement, les requérantes ne sauraient convaincre en soutenant, aux fins d’écarter la force probante de la déclaration de Chemtura mentionnée au point 65 du présent arrêt, qu’« une grande partie » de ladite déclaration « se rapporte à l’Amérique du Nord », dès lors que ladite déclaration concerne, au moins en partie, l’EEE, ainsi que cela ressort des termes mêmes de l’argumentation de la requérante.

77      Cinquièmement, les requérantes ne sauraient non plus convaincre en contestant la force probante du mémorandum Akcros, mentionné au point 61 du présent arrêt, et des notes manuscrites Akcros, mentionnées au point 62 du présent arrêt, compte tenu des contradictions y contenues.

78      En effet, force est de constater que, dans leurs écrits, les requérantes soutiennent que l’interprétation de la Commission est erronée, sans procéder à une lecture intégrale du mémorandum Akcros, reproduit au point 61 du présent arrêt.

79      Or, il ressort clairement de certains passages du mémorandum Akcros, daté du 16 février 2000, que son auteur a recommandé de ne plus participer aux réunions AC-Treuhand, et ce à deux reprises dans ce document, et de se contenter d’envoyer « [les] informations sur [les] ventes ». Il a également fait état, en utilisant le temps présent, ce qu’il convient de souligner, de « geler les parts de marchés » et de « discussions occasionnelles qui pourraient être considérées comme inadéquates » et qui « sont clairement inappropriées ».

80      En tout état de cause, une lecture d’ensemble du mémorandum Akcros permet d’établir, à suffisance de droit, l’existence des comportements infractionnels reprochés aux requérantes dans la décision attaquée, en ce qu’il en ressort, pour ce qui concerne au demeurant tant le marché des stabilisants étain que celui du secteur ESBO/esters, la preuve de ce qu’une entreprise participant aux réunions AC-Treuhand en a constaté l’objet anticoncurrentiel et de ce que cette même entreprise a jugé opportun de ne plus participer auxdites réunions en mars 2000 et de se distancier ouvertement et à deux reprises de leur objet, et ce au cours du premier trimestre de l’année 2000, c’est-à-dire durant une période contemporaine des réunions AC-Treuhand, dont l’existence n’est pas contestée par les requérantes.

81      Sixièmement, les requérantes font valoir que les réunions AC-Treuhand n’avaient pas d’objet illicite, mais pour seul objet un système anonyme de collecte et d’échange de données statistiques, les réunions AC-Treuhand ayant été des réunions neutres permettant d’échanger des informations avec AC-Treuhand, laquelle les consolidait, afin que chaque entreprise pût avoir une vision des ventes par pays.

82      Cet argument ne saurait prospérer, eu égard à la jurisprudence rappelée aux points 40 et 41 du présent arrêt, dès lors que les requérantes se contentent de contester l’objet anticoncurrentiel des réunions AC-Treuhand en cause, tout en admettant y avoir participé, et n’avancent aucun élément susceptible de remettre en cause la force probante des considérations de la Commission.

83      Septièmement, les requérantes contestent la force probante de la distanciation à l’égard de l’entente mentionnée aux points 63 et 64 du présent arrêt.

84      Selon les requérantes, ne saurait être présumée la participation continue d’une entreprise jusqu’à ce qu’il en soit rapporté la preuve contraire par un acte positif de retrait.

85      Cette argumentation ne saurait prospérer, en ce que, d’une part, elle vise non l’imputation des comportements infractionnels aux requérantes, mais à une autre entreprise, et, d’autre part, en tout état de cause, la Commission ne s’est prévalue d’aucune présomption, mais s’est fondée sur des éléments de preuve précis et concrets, mentionnés aux points 59 à 65 du présent arrêt, pour considérer que l’infraction en question s’était poursuivie au-delà du 11 novembre 1999.

86      Pour l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de juger que la Commission a établi, à suffisance de droit, la poursuite, au-delà du 11 novembre 1999, de l’infraction portant sur les stabilisants étain de la part des requérantes.

 Sur la poursuite, au-delà du 11 novembre 1999, de l’infraction portant sur le secteur ESBO/esters

87      Concernant le secteur ESBO/esters, la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que les comportements infractionnels avaient perduré en 1999 et jusqu’au 26 septembre 2000, c’est-à-dire au-delà du 11 novembre 1999, sur la base de différents éléments de preuve énoncés aux considérants 305 à 315, pour l’année 1999, et 316 à 323, pour l’année 2000.

88      Premièrement et pour ce qui est de l’année 1999, huit réunions AC-Treuhand ont eu lieu, à savoir deux en janvier, deux en mai, deux en septembre ainsi qu’une le 14 décembre et une autre le lendemain, ces réunions ayant rassemblé Akcros, CECA, Chemson, Faci et Chemtura (voir considérant 305 de la décision attaquée), ce que ne contestent pas les requérantes.

89      Deuxièmement, la Commission a souligné que le rapport mensuel de Chemtura pour le mois d’août, daté du 16 septembre 1999, indiquait que des entreprises étaient parvenues à « une augmentation de prix d’environ 10 % pour [le secteur ESBO/esters] effective en octobre » (voir considérant 308 de la décision attaquée).

90      Troisièmement, la Commission a fait état, au considérant 315 de la décision attaquée, d’un procès-verbal d’une réunion du 15 décembre 1999, rédigé par AC-Treuhand et mentionnant l’impossibilité d’une « coopération plus rapprochée […] dans l’immédiat » avec une autre entreprise ne participant pas encore aux réunions AC-Treuhand.

91      Quatrièmement et pour ce qui est de l’année 2000, cinq réunions AC-Treuhand ont eu lieu, à savoir deux en mars, une en juin et deux en septembre, ces réunions ayant rassemblé Akcros, CECA, Chemson, Faci et Chemtura (voir considérant 316 de la décision attaquée), ce que ne contestent pas les requérantes.

92      Cinquièmement, la Commission a fait valoir le mémorandum Akcros, dont le contenu a été reproduit au point 61 du présent arrêt.

93      Sixièmement, la Commission a également fait valoir les notes manuscrites Akcros, dont il a été fait état au point 62 du présent arrêt.

94      Septièmement, la Commission a fait valoir que, dans le prolongement du mémorandum Akcros, le représentant de cette société a fait savoir, dans le cadre d’une réunion AC-Treuhand du 22 mars 2000 à Zurich, qu’elle ne participerait plus aux réunions AC-Treuhand (voir considérant 319 de la décision attaquée).

95      Huitièmement, la Commission a également précisé qu’Akcros a confirmé, par courrier du 5 juin 2000, son intention de ne plus participer aux réunions AC-Treuhand (voir considérant 320 de la décision attaquée), ce que ne contestent pas les requérantes.

96      Neuvièmement, la Commission a fait état du procès-verbal d’une réunion du 26 septembre 2000 organisée par AC Treuhand en Italie, qu’elle a obtenu de la part de Chemson durant la procédure administrative et mentionnant la possibilité de ce que la « coopération » ne se poursuive « pas comme par le passé » (voir considérant 323 de la décision attaquée), ce que ne contestent pas les requérantes.

97      Dixièmement, la Commission a également fait valoir des déclarations effectuées par Chemtura dans le cadre de sa coopération avec la Commission durant la procédure administrative faisant état de la continuation de l’entente sur le secteur ESBO/esters « jusqu’en 2001 » [voir considérant 420, sous b), de la décision attaquée].

98      Eu égard à l’ensemble de ces éléments, pris ensemble, le Tribunal estime que la Commission a établi la preuve de l’infraction portant sur le secteur ESBO/esters qu’elle a constatée dans la décision attaquée en rapportant des éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs de l’infractions en cause dans la présente affaire, en ce sens que la Commission a fait état, dans la décision attaquée, de preuves suffisantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction portant sur le secteur ESBO/esters a été commise par les requérantes.

99      En effet, considérés ensemble, les différents éléments rapportés aux points 88 à 97 du présent arrêt, pour ce qui est du secteur ESBO/esters, excluent que les réunions AC-Treuhand qui se sont tenues pour le moins en décembre 1999, pour ce secteur, n’aient pas eu un objet anticoncurrentiel.

100    Lesdits éléments démontrent clairement l’objet anticoncurrentiel de ces réunions AC-Treuhand, notamment pour ce qui est du procès-verbal d’AC-Treuhand daté du 15 décembre 1999 visé au point 90 du présent arrêt, du mémorandum Akcros, critiquant la nature anticoncurrentielle des réunions AC-Treuhand, de la décision de cette entreprise de ne plus y participer, du fait qu’elle s’en soit distanciée publiquement, et ce à deux reprises durant l’année 2000, de ce qu’elle ait envisagé une formation de sensibilisation de ses cadres aux règles de la concurrence, des déclarations de Chemtura témoignant de la continuation de l’entente « jusqu’en 2001 » ainsi que de l’absence de toute preuve, de la part des requérantes, quant au changement de nature des réunions AC-Treuhand.

101    Il en ressort que les réunions AC-Treuhand de décembre 1999 et de mars 2000 n’ont pas pu avoir un objet différent de celui des précédentes réunions alors que les mêmes entreprises et les mêmes personnes se rencontraient dans le même contexte autour de M. S., ce que ne contestent pas les requérantes.

102    Par conséquent, il y a lieu de juger que la Commission a fait état, dans la décision attaquée, d’un faisceau d’indices qui, appréciés globalement, fondent la ferme conviction que des comportements infractionnels portant sur le secteur ESBO/esters ont été adoptés, par les requérantes, dans le cadre des réunions AC-Treuhand, au-delà du 11 novembre 1999 pour le moins.

103    Cette appréciation ne saurait être remise en cause par les arguments des requérantes, lesquelles soutiennent, en substance, que la Commission n’a pas établi l’existence de l’infraction au-delà du 29 septembre 1999 et que la Commission ne saurait présumer la poursuite de l’objet anticoncurrentiel des réunions.

104    En effet, il est plus qu’improbable qu’une entente se termine le jour de la dernière réunion de ses participants, car, notamment lorsque son objet est celui des infractions en cause dans la présente affaire, ladite entente est à même de continuer à produire ses effets postérieurement à la date de cette réunion.

105    Or, l’augmentation des prix, discutée lors de la réunion du 29 septembre 1999 et admise par les requérantes, a été plus que susceptible de produire ses effets au-delà du 11 novembre 1999.

106    Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de juger que la Commission a établi à suffisance de droit dans la décision attaquée que les comportements infractionnels des requérantes dans le secteur ESBO/esters avaient perduré au-delà du 11 novembre 1999, de sorte que ses pouvoirs d’infliger des sanctions n’étaient pas prescrits au 11 novembre 2009.

107    En tout dernier lieu, il convient de juger que l’argumentation des requérantes concernant l’absence d’un intérêt légitime à constater une infraction est ainsi privée de sa prémisse et qu’elle doit, par suite, être rejetée.

108    Partant, il y a lieu de rejeter le moyen tiré d’une violation de l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003 que les requérantes ont fait valoir aux fins de l’annulation de la décision attaquée.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003

109    Dans le cadre de leur moyen invoqué aux seules fins de l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, sous i) et j), de la décision attaquée, les requérantes soutiennent que la Commission a enfreint l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement n° 1/2003, en ce qu’elle a constaté leur participation à l’infraction portant sur les stabilisants étain pour la période mars 1994-mars 1996.

110    Pour conclure au rejet de ce moyen, la Commission soutient qu’elle a, au considérant 437 de la décision attaquée, motivé, à suffisance de droit, l’existence d’un intérêt légitime pour constater une infraction durant ladite période.

111    À cet égard et à titre liminaire, d’une part, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement n° 1/2003, « [l]orsque la Commission y a un intérêt légitime, elle peut également constater qu’une infraction a été commise dans le passé ».

112    D’autre part, il faut relever qu’il ressort du considérant 437 de la décision attaquée que la Commission n’a pas, en l’espèce, infligé d’amende aux requérantes pour l’infraction portant sur les stabilisants étain pour la période mars 1994-mars 1996, et ce conformément au pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, de sorte qu’il n’y a pas lieu, dans le cadre de l’appréciation du présent moyen des requérantes, de trancher la question de savoir si les pouvoirs de la Commission d’infliger des amendes étaient prescrits pour la période mars 1994-mars 1996.

113    Ces considérations liminaires exposées, il faut, aux fins d’apprécier le bien-fondé du moyen que les requérantes tirent dans les présentes affaires d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement n° 1/2003, en ce que la Commission a constaté, dans la décision attaquée, leur participation à l’infraction portant sur les stabilisants étain durant la période mars 1994-mars 1996, observer que, dans la décision attaquée, pour justifier l’existence d’un intérêt légitime à constater une infraction sur le marché des stabilisants étain, la Commission a, au considérant 437, considéré qu’« Arkema France (CECA) a[vait] participé à l’entente sur les stabilisants étain pendant la période [mars 1994-mars 1996], car Arkema France (CECA) a[vait] ensuite rejoint la même entente », et que, en « outre, cette conclusion [était] compatible avec l’objectif de décourager les infractions répétées par Arkema France (CECA) et l’intérêt de permettre à chaque partie lésée de porter des affaires devant les juridictions civiles nationales ».

114    Force est donc de considérer que la Commission a, dans la décision attaquée, établi, à suffisance de droit, son intérêt légitime à adopter à l’égard des requérantes une décision constatant l’infraction portant sur les stabilisants étain durant la période mars 1994-mars 1996.

115    En effet, la Commission pouvait faire valoir à cette fin le seul fait que les requérantes ont participé à l’entente sur les stabilisants étain pendant la période mars 1994-mars 1996, au motif qu’elles ont ensuite rejoint la même entente.

116    Une telle considération de la Commission justifie, à elle seule, un intérêt légitime à constater une infraction.

117    Par conséquent, il faut observer que la Commission n’avait pas, dans la décision attaquée, à étayer son argument concernant un intérêt légitime consistant à décourager des « infractions répétées par Arkema France (CECA) ».

118    Pour le même motif, la Commission n’était pas non plus tenue, dans la décision attaquée, de fournir des indications, propres aux circonstances de l’espèce, sur des actions juridictionnelles engagées ou même envisageables de la part de tiers lésés par les comportements infractionnels en cause portant sur les stabilisants étain durant la période mars 1994-mars 1996, mais pouvait se limiter, dans les circonstances de la présente affaire, à une affirmation d’ordre général à cet égard.

119    Ainsi, la Commission pouvait, à bon droit, considérer que les comportements infractionnels en cause portant sur les stabilisants étain durant la période mars 1994-mars 1996 rendaient nécessaire leur constatation dans la décision attaquée.

120    Partant, il y a lieu de rejeter le moyen tiré d’une violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003.

 Sur le moyen invoqué au soutien des conclusions subsidiaires en réformation de la décision attaquée quant au montant des amendes infligées

121    Dans le cadre de leurs conclusions subsidiaires en réformation de la décision attaquée, les requérantes demandent au Tribunal de réduire, dans l’exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction, le montant des amendes qui leur ont été infligées.

122    En l’espèce et ainsi qu’elles l’ont confirmé lors de l’audience dans leur réponse à une question du Tribunal à cet effet, les requérantes ne concluent à la réformation de la décision attaquée quant au montant des amendes qui leur ont été infligées que dans la seule hypothèse dans laquelle le Tribunal considérerait que les infractions ont, certes, perduré « après septembre 1999 », mais qu’elles ont cessé avant le 21 mars 2000, pour les stabilisants étain, et avant le 26 septembre 2000, pour le secteur ESBO/esters.

123    Or, l’analyse par le Tribunal, lors de son examen de la demande d’annulation de la décision attaquée, des preuves invoquées par la Commission n’a pas révélé d’éléments permettant de conclure que la participation des requérantes aux infractions avait cessé à des dates antérieures à celles retenues dans la décision attaquée. Force est de constater, par ailleurs, que les requérantes n’ont pas précisé les dates auxquelles, selon elles, les infractions auraient cessé.

124    En tout état de cause, le Tribunal estime, dans l’exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction, que le montant des amendes infligées aux requérantes est approprié, eu égard, notamment, à la gravité des comportements infractionnels constatés dans la décision attaquée.

125    Partant, il y a lieu de rejeter la demande des requérantes de réformation de la décision attaquée quant au montant des amendes qui leur ont été infligées ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

126    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

127    Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      Arkema France et CECA SA sont condamnées aux dépens.

Czúcz

Labucka

Gratsias

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 février 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.