Language of document : ECLI:EU:C:2016:175

Édition provisoire

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

17 mars 2016 (*)

«Renvoi préjudiciel – Directive 2004/38/CE – Décision mettant fin à une autorisation de séjour – Principe du respect des droits de la défense – Droit d’être entendu – Autonomie procédurale des États membres – Recevabilité de moyens de cassation – Moyen d’ordre public»

Dans l’affaire C‑161/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 19 mars 2015, parvenue à la Cour le 9 avril 2015, dans la procédure

Abdelhafid Bensada Benallal

contre

État belge,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. A. Arabadjiev, C. G. Fernlund, S. Rodin et E. Regan, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 novembre 2015,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Bensada Benallal, par Mes R.-M. Sukennik et R. Fonteyn, avocats,

–        pour le gouvernement belge, par M. S. Vanrie ainsi que par Mmes L. Van den Broeck et C. Pochet, en qualité d’agents, assistés de Mes S. Cornelis, P. Lejeune et D. Matray, avocats,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues, D. Colas et F.-X. Bréchot, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. R. Troosters et Mme C. Tufvesson, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 janvier 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe général du droit de l’Union du respect des droits de la défense.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Bensada Benallal à l’État belge au sujet d’un recours en annulation d’une décision mettant fin à l’autorisation accordée à M. Bensada Benallal de séjourner sur le territoire belge et lui ordonnant de quitter ce dernier.

 Le cadre juridique

3        L’article 27 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158 p. 77, et rectificatif JO 2005, L 197, p. 34), prévoit:

«1.      Sous réserve des dispositions du présent chapitre, les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ces raisons ne peuvent être invoquées à des fins économiques.

2.      Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné. L’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures.

Le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues.

3.      Aux fins d’établir si la personne concernée représente un danger pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’État membre d’accueil peut, lors de la délivrance de l’attestation d’enregistrement ou, s’il n’existe pas de système d’enregistrement, au plus tard dans les trois mois suivant l’entrée de la personne concernée sur son territoire ou à compter de la date à laquelle cette personne a signalé sa présence sur son territoire conformément à l’article 5, paragraphe 5, ou encore lors de la délivrance de la carte de séjour et s’il le juge indispensable, demander à l’État membre d’origine et, éventuellement, à d’autres États membres des renseignements sur les antécédents judiciaires de la personne concernée. Cette consultation ne peut avoir un caractère systématique. L’État membre consulté fait parvenir sa réponse dans un délai de deux mois.

4.      L’État membre qui a délivré le passeport ou la carte d’identité permet au titulaire du document qui a été éloigné d’un autre État membre pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique de rentrer sur son territoire sans aucune formalité, même si ledit document est périmé ou si la nationalité du titulaire est contestée.»

4        L’article 28 de cette directive dispose:

«1.      Avant de prendre une décision d’éloignement du territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, l’État membre d’accueil tient compte notamment de la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine.

2.      L’État membre d’accueil ne peut pas prendre une décision d’éloignement du territoire à l’encontre d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille, quelle que soit leur nationalité, qui ont acquis un droit de séjour permanent sur son territoire sauf pour des motifs graves d’ordre public ou de sécurité publique.

3.      Une décision d’éloignement ne peut être prise à l’encontre des citoyens de l’Union, quelle que soit leur nationalité, à moins que la décision ne se fonde sur des raisons impérieuses de sécurité publique définies par les États membres, si ceux-ci:

a)      ont séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes, ou

b)      sont mineurs, sauf si l’éloignement est nécessaire dans l’intérêt de l’enfant, comme prévu dans la convention des Nations unies sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989.»

5        Aux termes de l’article 30 de ladite directive:

«1.      Toute décision prise en application de l’article 27, paragraphe 1, est notifiée par écrit à l’intéressé dans des conditions lui permettant d’en saisir le contenu et les effets.

2.      Les motifs précis et complets d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique qui sont à la base d’une décision le concernant sont portés à la connaissance de l’intéressé, à moins que des motifs relevant de la sûreté de l’État ne s’y opposent.

3.      La notification comporte l’indication de la juridiction ou de l’autorité administrative devant laquelle l’intéressé peut introduire un recours ainsi que du délai de recours et, le cas échéant, l’indication du délai imparti pour quitter le territoire de l’État membre. Sauf en cas d’urgence dûment justifié, ce délai ne peut être inférieur à un mois à compter de la date de notification.»

6        L’article 31 de la même directive est libellé comme suit:

«1.      Les personnes concernées ont accès aux voies de recours juridictionnelles et, le cas échéant, administratives dans l’État membre d’accueil pour attaquer une décision prise [contre eux] pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

2.      Lorsque le recours formé contre une décision d’éloignement est accompagné d’une demande en référé visant à obtenir le sursis à l’exécution de cette décision, l’éloignement effectif du territoire ne peut pas avoir lieu tant qu’une ordonnance de référé n’a pas été prise, sauf:

–        lorsque la décision d’éloignement se fonde sur une décision judiciaire antérieure, ou

–        lorsque les personnes concernées ont eu auparavant accès à un recours juridictionnel, ou

–        lorsque la décision d’éloignement se fonde sur des motifs impérieux de sécurité publique prévus à l’article 28, paragraphe 3.

3.      Les procédures de recours permettent un examen de la légalité de la décision ainsi que des faits et circonstances justifiant la mesure envisagée. Elles font également en sorte que la décision ne soit pas disproportionnée, notamment par rapport aux exigences posées par l’article 28.

4.      Les États membres peuvent refuser la présence de l’intéressé sur leur territoire au cours de la procédure de recours, mais ils ne peuvent pas lui interdire de présenter ses moyens de défense en personne, sauf si sa comparution risque de provoquer des troubles graves à l’ordre et à la sécurité publics ou lorsque le recours porte sur un refus d’entrer sur le territoire.»

7        Selon l’article 35 de la directive 2004/38:

«Les États membres peuvent adopter les mesures nécessaires pour refuser, annuler ou retirer tout droit conféré par la présente directive en cas d’abus de droit ou de fraude, tels que les mariages de complaisance. Toute mesure de cette nature est proportionnée et soumise aux garanties procédurales prévues aux articles 30 et 31.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

8        M. Bensada Benallal, de nationalité espagnole, est arrivé en Belgique le 24 mai 2012. À la suite d’une demande introduite le 31 mai 2012, il a été autorisé, par une décision en date du 24 septembre 2012, à séjourner dans cet État membre en qualité de travailleur salarié.

9        Le 26 septembre 2013, l’État belge, par l’intermédiaire de l’Office des étrangers, a mis fin à l’autorisation de séjour de M. Bensada Benallal et lui a ordonné de quitter le territoire belge. Dans cette décision, il est notamment indiqué ce qui suit:

«Il appert que l’intéressé a eu recours à des informations trompeuses qui ont été déterminantes pour la reconnaissance de son droit de séjour par l’administration communale de Berchem-Sainte-Agathe [(Belgique)]. En effet, [il] a [été] conclu au non-assujettissement de l’ensemble des personnes déclarées par la société [...] au régime général de la sécurité sociale des travailleurs salariés: ‘De nombreux éléments précis et concordants établissent à suffisance de droit l’absence d’activité avec occupation de travailleurs salariés de [ladite] société [...] et, par conséquent, l’absence de contrat de travail entre les personnes déclarées [...] et celle-ci’.»

10      Le 2 janvier 2014, M. Bensada Benallal a introduit un recours en annulation auprès du Conseil du contentieux des étrangers contre ladite décision.

11      M. Bensada Benallal a avancé, au soutien de son recours, un moyen unique pris, notamment, de la violation d’une disposition législative relative à la motivation formelle des actes administratifs, de la violation du principe de bonne administration, du principe de sécurité juridique, du principe de proportionnalité, des principes de prudence et de minutie, du principe de gestion consciencieuse, du principe selon lequel l’administration est tenue de statuer en tenant compte de tous les éléments de la cause ainsi que de la violation de l’article 35 de la directive 2004/38.

12      Dans son argumentation visant à expliciter le moyen formulé, M. Bensada Benallal a fait valoir, entre autres, que la décision de l’Office des étrangers était entachée d’un défaut de motivation. Il a soutenu, à cet égard, que le rapport sur la base duquel il a fondé sa décision n’a ni été joint à cette dernière ni transmis à M. Bensada Benallal antérieurement à la notification de cette décision et non plus reproduit en substance dans celle-ci, si bien qu’il n’a pas été en mesure de comprendre les motifs de la décision prise contre lui.

13      Ce recours a été rejeté par une décision du Conseil du contentieux des étrangers en date du 30 avril 2014. Dans son arrêt, ce dernier a notamment relevé ce qui suit:

«En toute hypothèse, le Conseil [du contentieux des étrangers] constate qu’il s’est écoulé près d’un an entre la production par [M. Bensada Benallal] de son contrat de travail avec la société [...] et le rapport [...] ayant conduit à la prise de la décision attaquée, période durant laquelle [M. Bensada Benallal] n’a pas fait parvenir ou communiqué aucune information à [l’Office des étrangers] relative aux problèmes invoqués en terme de recours et qu’[il] aurait rencontrés dans le cadre de son contrat de travail avec ladite société.

Or, si [M. Bensada Benallal] estimait pouvoir invoquer les éléments de nature à faire obstacle au retrait de son titre de séjour, il lui incombait de les porter à la connaissance de [l’Office des étrangers], et non à [ce dernier] à inviter [M. Bensada Benallal] à faire valoir ses observations à cet égard. Le Conseil rappelle en effet que c’est au requérant qu’il incombe d’apporter la preuve qu’il remplit les conditions inhérentes au droit qu’il revendique et au maintien de ce droit. Dans la mesure où [M. Bensada Benallal] a fait une demande d’attestation d’enregistrement en Belgique en tant que travailleur salarié, [il] pouvait/devait légitimement s’attendre à ce que l’inexécution de son contrat de travail (fut-ce indépendamment [de sa personne]) entraîne des conséquences sur son séjour et avoir conscience qu’il était nécessaire de communiquer spontanément ces informations à [l’Office des étrangers], quod non au vu du dossier administratif.

Quant à la circonstance que [M. Bensada Benallal] ‘n’a reçu aucun recommandé comme cela est affirmé dans l’enquête et qu’[il] n’a ainsi pas eu la possibilité d’être [entendu]’, elle ne saurait énerver ce constat dès lors que le reproche adressé par [M. Bensada Benallal] vise son audition par l’inspecteur social [...] (laquelle audition au demeurant ne repose pas que sur des déclarations mais également sur des constats objectifs dont aucun n’est contesté par [M. Bensada Benallal]) et ne vise pas directement la décision attaquée.»

14      M. Bensada Benallal a formé un recours en cassation administrative contre cet arrêt du Conseil du contentieux des étrangers devant la juridiction de renvoi, le Conseil d’État. Ce recours comporte notamment un moyen par lequel M. Bensada Benallal soutient que l’autorité administrative, à savoir l’Office des étrangers, aurait dû l’entendre avant l’adoption de sa décision du 26 septembre 2013. Il considère également que le Conseil du contentieux des étrangers aurait dû considérer que la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent s’il avait été en mesure de mieux faire valoir ses moyens de défense. À l’appui de ce moyen, M. Bensada Benallal allègue non seulement la violation, d’une part, des principes généraux de droit belge du respect des droits de la défense et du contradictoire ainsi que, d’autre part, du droit d’être entendu («audi alteram partem»), mais également des articles 41 et 51 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).

15      L’État belge excipe de l’irrecevabilité dudit moyen, dès lors qu’il est soulevé pour la première fois devant la juridiction de renvoi, au stade de la cassation et qu’il n’est pas tiré de la violation d’une disposition d’ordre public. En outre, le requérant ne préciserait pas en quoi l’article 51 de la Charte aurait été violé ni ne présenterait le moindre élément permettant d’apprécier si la procédure administrative aurait pu aboutir à un autre résultat s’il avait été entendu préalablement à la décision administrative en cause.

16      Sur le fond, l’État belge soutient que le droit d’être entendu visé à l’article 41 de la Charte n’impose pas d’engager avec l’intéressé un débat sur les circonstances dont il se prévaut. Il serait en effet suffisant que ce dernier ait eu l’occasion de faire connaître son point de vue, comme ce fut le cas en l’espèce, ainsi qu’il ressortirait de l’arrêt rendu par le Conseil du contentieux des étrangers.

17      L’auditeur en charge de l’affaire auprès de la juridiction de renvoi a, dans son avis du 16 octobre 2014, constaté que le moyen unique soulevé devant le Conseil du contentieux des étrangers n’était pris de la violation ni des articles 41 et 51 de la Charte, ni des principes généraux du droit du respect des droits de la défense et du contradictoire, ni du droit d’être entendu («audi alteram partem»). Compte tenu des exigences du droit procédural belge à cet égard, l’avis de l’auditeur conclut que M. Bensada Benallal n’est pas recevable à invoquer, pour la première fois devant la juridiction de renvoi statuant en cassation, la violation de ces dispositions et principes généraux du droit, dès lors que ceux-ci ne relèvent pas de l’ordre public.

18      Dans son mémoire déposé à la suite de cet avis, M. Bensada Benallal fait valoir que le moyen tiré d’une violation de droits fondamentaux revêt un caractère d’ordre public, dans la mesure où il ressort de l’article 41 de la Charte et de la jurisprudence de la Cour que le droit d’être entendu constitue la transposition du principe général du droit de l’Union du respect des droits de la défense, dont la méconnaissance peut être soulevée d’office.

19      La juridiction de renvoi constate que le moyen avancé par M. Bensada Benallal, en ce qu’il est pris de la violation du droit d’être entendu visé à l’article 41 de la Charte, n’avait pas été invoqué par ce dernier devant le Conseil du contentieux des étrangers. Or, conformément au droit belge, la recevabilité d’un tel moyen ne saurait être admise pour la première fois devant le juge de cassation que si ce moyen est d’ordre public.

20      Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le principe général du droit de l’Union européenne consacrant le respect des droits de la défense, dont le droit pour une personne à être entendue par une autorité nationale, avant l’adoption par cette autorité de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable les intérêts de la personne concernée, telle une décision mettant fin à son autorisation de séjour, revêt-il dans l’ordre juridique de l’Union européenne une importance équivalente à celle qu’ont les normes d’ordre public de droit belge en droit interne et le principe d’équivalence requiert-il que le moyen, pris de la violation du principe général du droit de l’Union européenne du respect des droits de la défense, puisse être soulevé pour la première fois devant le Conseil d’État, statuant en cassation, comme cela est permis en droit interne pour les moyens d’ordre public?»

 Sur la question préjudicielle

21      Par sa question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, lorsque, conformément au droit national applicable, un moyen tiré de la violation du droit interne soulevé pour la première fois devant le juge national statuant en cassation n’est recevable que si ce moyen est d’ordre public, un moyen tiré de la violation du droit d’être entendu, tel qu’il est garanti par le droit de l’Union, soulevé pour la première fois devant ce même juge, doit être déclaré recevable.

22      Afin de répondre à cette question, il y a lieu de constater d’abord que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la situation factuelle qui est à l’origine du litige au principal relève du champ d’application du droit de l’Union, notamment celui de la directive 2004/38. En effet, cette dernière porte, entre autres, sur les conditions d’exercice du droit des citoyens de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ainsi que sur les limitations auxdits droits pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Cette directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou qui séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité.

23      Si ladite directive prévoit un certain nombre de règles à respecter par les États membres en vue d’une éventuelle limitation du droit de séjour d’un citoyen de l’Union, à savoir notamment celles énoncées à ses articles 30 et 31, elle ne comporte en revanche pas de dispositions concernant les modalités régissant les procédures administratives et juridictionnelles relatives à une décision qui met fin au titre de séjour d’un citoyen de l’Union.

24      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de les établir, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a., C‑74/14, EU:C:2016:42, point 32 et jurisprudence citée).

25      Il s’ensuit que deux conditions cumulatives, à savoir le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, doivent être réunies pour qu’un État membre puisse faire valoir le principe de l’autonomie procédurale dans des situations qui sont régies par le droit de l’Union.

26      En l’occurrence et ainsi que l’observe la juridiction de renvoi, le moyen de cassation invoqué par M. Bensada Benallal, tiré d’une violation du droit d’être entendu par l’autorité nationale ayant adopté la décision lui faisant grief, tel qu’il est garanti par le droit de l’Union, se heurte, quant à sa recevabilité, aux règles de droit procédural national relatives aux moyens susceptibles d’être soulevés pour la première fois en cassation.

27      Ainsi qu’il ressort du point 24 du présent arrêt, le droit de l’Union, en principe, ne s’oppose pas à ce que les États membres, conformément au principe de l’autonomie procédurale, limitent ou soumettent à des conditions les moyens susceptibles d’être invoqués dans les procédures de cassation, sous réserve du respect des principes d’effectivité et d’équivalence.

28      Comme l’a souligné M. l’avocat général aux points 41 et 42 de ses conclusions, dans l’affaire au principal, se pose la question liée au respect non pas du principe d’effectivité, mais exclusivement du principe d’équivalence.

29      Il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe d’équivalence suppose que la règle nationale en cause s’applique indifféremment aux recours fondés sur les droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables (arrêt du 27 juin 2013, Agrokonsulting-04, C‑93/12, EU:C:2013:432, point 39). Le respect de ce principe implique ainsi un traitement égal des recours fondés sur la violation du droit national et de ceux, similaires, fondés sur une violation du droit de l’Union (arrêt du 6 octobre 2015, Târșia, C‑69/14, EU:C:2015:662, point 34).

30      Appliquée à une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal, la condition liée au respect de ce principe d’équivalence requiert donc que, lorsque les dispositions du droit interne relatives aux modalités procédurales en matière de recours en cassation confèrent à une juridiction statuant en cette qualité l’obligation d’accueillir ou de soulever d’office un moyen fondé sur la violation du droit national, cette même obligation doit prévaloir de la même manière pour ce qui est d’un moyen de la même nature, pris de la violation du droit de l’Union.

31      Par conséquent, dès lors qu’une juridiction nationale statuant en cassation considère que le moyen tiré du non-respect du droit d’être entendu comme étant un moyen d’ordre public interne pouvant être soulevé pour la première fois devant elle dans le cadre d’un contentieux régi par le droit interne, le principe d’équivalence exige que, dans le cadre d’un même contentieux, un moyen similaire tiré d’une violation du droit de l’Union puisse également être soulevé pour la première fois devant cette même juridiction, au stade de la cassation.

32      En l’occurrence, il ne ressort pas clairement de la décision de renvoi que le droit d’être entendu, tel que garanti par le droit belge, constitue, en soi, un principe général du droit belge ressortissant, à ce titre, de l’ordre public interne de cet État membre. Toutefois, la juridiction de renvoi précise à cet égard que les règles d’ordre public sont celles qui revêtent une importance fondamentale dans l’ordre juridique belge, telles les règles relatives à la compétence des autorités administratives, à la compétence des juridictions, au respect des droits de la défense ou concernant d’autres droits fondamentaux.

33      À cet égard, pour permettre à la juridiction de renvoi de déterminer si le moyen tiré de la violation du droit d’être entendu en droit de l’Union est de même nature qu’un moyen tiré de la violation d’un tel droit dans l’ordre juridique belge, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l’a jugé dans son arrêt du 9 juin 2005, Espagne/Commission (C‑287/02, EU:C:2005:368, point 37 et jurisprudence citée), le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief constitue un principe fondamental de droit de l’Union qui doit être assuré même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure. Ce principe exige que les destinataires de décisions, qui affectent de manière sensible leurs intérêts, soient mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue.

34      Il appartient à la juridiction nationale compétente d’examiner si la condition liée au principe d’équivalence est vérifiée dans l’affaire dont elle est saisie. En ce qui concerne plus particulièrement l’affaire au principal, il lui incombe de déterminer si le droit d’être entendu, tel qu’il est garanti par le droit interne, remplit les conditions exigées par le droit national pour être qualifié de moyen d’ordre public.

35      Partant, il y a lieu de répondre à la question posée que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, lorsque, conformément au droit national applicable, un moyen tiré de la violation du droit interne soulevé pour la première fois devant le juge national statuant en cassation n’est recevable que si ce moyen est d’ordre public, un moyen tiré de la violation du droit d’être entendu, tel qu’il est garanti par le droit de l’Union, soulevé pour la première fois devant ce même juge, doit être déclaré recevable si ce droit, tel qu’il est garanti par le droit interne, remplit les conditions exigées par ledit droit pour être qualifié de moyen d’ordre public, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur les dépens

36      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que, lorsque, conformément au droit national applicable, un moyen tiré de la violation du droit interne soulevé pour la première fois devant le juge national statuant en cassation n’est recevable que si ce moyen est d’ordre public, un moyen tiré de la violation du droit d’être entendu, tel qu’il est garanti par le droit de l’Union, soulevé pour la première fois devant ce même juge, doit être déclaré recevable si ce droit, tel qu’il est garanti par le droit interne, remplit les conditions exigées par ledit droit pour être qualifié de moyen d’ordre public, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Signatures


* Langue de procédure: le français.