Language of document :

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 5 septembre 2024 (1)

Affaires C367/22 P, C369/22 P, C370/22 P, C375/22 P, C378/22 P, C379/22 P, C380/22 P, C381/22 P, C382/22 P, C385/22 P, C386/22 P, C401/22 P et C403/22 P

Air Canada (C367/22 P), Air France (C369/22 P), Air France-KLM (C370/22 P), LATAM Airlines Group et Lan Cargo (C375/22 P), British Airways (C378/22 P), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo (C379/22 P), Deutsche Lufthansa e.a. (C380/22 P), Japan Airlines (C381/22 P), Cathay Pacific Airways (C382/22 P), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij (C385/22 P), Martinair Holland (C386/22 P), Cargolux Airlines (C401/22 P) et SAS Cargo Group e.a. (C403/22 P)

contre

Commission européenne


« Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché européen du fret aérien – Article 101, paragraphe 1, TFUE et article 53 de l’accord EEE – Coordination d’éléments du prix des services de fret aérien – Surtaxe carburant, surtaxe sécurité et refus de payer des commissions sur les surtaxes – Infraction unique et continue – Compétence de la Commission – Critère “des effets qualifiés” – Annulation partielle de la décision litigieuse – Preuve de la participation à l’infraction – Principe d’égalité de traitement – Prescription du pouvoir de sanction de la Commission – Amendes – Compétence de pleine juridiction »






Table des matières


I. Introduction

II. Les antécédents du litige

A. L’entente litigieuse

B. La procédure devant la Commission et la décision litigieuse

C. La procédure devant le Tribunal et les arrêts attaqués

III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

IV. Analyse

A. Sur les moyens relatifs au défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE concernant les services de fret entrants

1. Sur la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction concernant les services de fret entrants au regard du seul critère des « effets qualifiés »

2. Sur l’application du critère des « effets qualifiés »

a) Sur l’examen des effets qualifiés de la coordination relative aux services de fret entrants considérée isolément

1) Sur le critère de la restriction de la concurrence par objet comme critère non pertinent

2) Sur la démonstration de l’existence d’effets qualifiés

i) Sur le niveau de preuve pertinent

ii) Sur l’existence d’effets qualifiés en l’espèce

– Sur le caractère immédiat des effets

– Sur le caractère substantiel des effets

– Sur le caractère prévisible des effets

b) Sur le recours à la notion d’« infraction unique et continue » dans son ensemble

1) Sur la pertinence de l’examen des effets qualifiés de la coordination relative aux services de fret entrants au regard de l’infraction unique et continue dans son ensemble

2) Sur la démonstration des effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble

3) Sur le recours à la notion d’« entente au niveau mondial »

3. Sur certains vices de nature procédurale des arrêts attaqués

a) Sur la substitution de motifs

b) Sur la violation des droits de la défense

c) Sur le renversement de la charge de la preuve

B. Sur les moyens relatifs au bien-fondé de la décision litigieuse

1. Sur la participation à l’infraction unique et continue

a) Sur la responsabilité d’Air Canada pour des liaisons non pertinentes

b) Sur la violation du principe d’égalité de traitement en ce qui concerne Cargolux

c) Sur la responsabilité de Cargolux pour la surtaxe sécurité

d) Sur les erreurs dans l’appréciation des preuves en ce qui concerne Cathay Pacific Airways

2. Sur l’annulation (seulement) partielle de la décision litigieuse en ce qui concerne LATAM Airlines Group et Lan Cargo

3. Sur la prescription du pouvoir de sanction de la Commission en ce qui concerne Air Canada et Singapore Airlines

C. Sur l’exercice de la compétence de pleine juridiction par le Tribunal en ce qui concerne SAS Cargo Group

1. Sur le droit d’être entendu et le principe du contradictoire

2. Sur l’obligation de motivation

3. Sur le principe ne ultra petita

4. Sur la présomption d’innocence et le principe d’égalité de traitement

V. Conclusion


I.      Introduction

1.        Les présentes conclusions portent sur une série de treize pourvois introduits par des compagnies aériennes (ci-après les « requérantes ») (2) contre des arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 30 mars 2022 (ci-après les « arrêts attaqués ») (3) tendant à l’annulation de la décision de la Commission européenne du 17 mars 2017 (ci-après la « décision litigieuse ») (4) relative à une entente sous la forme d’une infraction unique et continue dans le marché des services de fret aérien (ci-après l’« entente litigieuse »).

2.        L’entente litigieuse, mise en œuvre, dans son ensemble, au cours de la période comprise entre le 7 décembre 1999 et le 14 février 2006, a été sanctionnée par la Commission sur le fondement de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (ci-après l’« accord CE-Suisse sur le transport aérien ») et concerne les services de fret fournis sur les liaisons suivantes : entre les aéroports au sein de l’EEE (ci-après les « liaisons intra-EEE »), entre des aéroports au sein de l’Union européenne et des aéroports situés en dehors de l’EEE (ci-après les « liaisons Union-pays tiers »), entre des aéroports situés dans des pays qui sont parties contractantes à l’accord EEE et qui ne sont pas membres de l’Union et des aéroports situés dans des pays tiers (ci-après les « liaisons EEE sauf Union-pays tiers » et, conjointement avec les liaisons Union-pays tiers, les « liaisons EEE-pays tiers ») ainsi qu’entre des aéroports au sein de l’Union et des aéroports suisses (ci-après les « liaisons Union-Suisse »).

3.        Ciblées sur différents moyens des pourvois, les présentes conclusions ont principalement trait à la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE concernant les services de fret sur les liaisons au départ de pays tiers et à destination de l’EEE (ci-après les « liaisons entrantes » et les « services de fret entrants ») et, plus particulièrement, à l’application du critère dit « des effets qualifiés » sur le territoire de l’EEE à des accords mis en œuvre à l’extérieur de l’EEE. Les principales problématiques soulevées par ces pourvois concernent :

–        la question de savoir si le critère « des effets qualifiés » est suffisant afin d’étayer la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE au regard des services de fret entrants, ainsi que le niveau de preuve requis à cet égard et l’application de ce critère en l’espèce, notamment à la lumière de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (5) ;

–        le point de savoir si la notion d’« infraction unique et continue » suppose, implicitement, que chaque élément constitutif de cette infraction, examiné individuellement, puisse constituer une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, et si cette notion est pertinente pour apprécier la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à ces dispositions au regard des services de fret entrants, notamment à la lumière de l’arrêt du 16 juin 2022, Sony Corporation et Sony Electronics/Commission (6).

II.    Les antécédents du litige

4.        Pour ce qui est pertinent aux fins des présentes conclusions, les faits et le cadre juridique des affaires faisant l’objet des pourvois, tels qu’exposés dans la décision litigieuse et dans les arrêts attaqués, peuvent être résumés de la manière suivante.

A.      L’entente litigieuse

5.        Dans le secteur du fret, le transport de cargaisons par voie aérienne est assuré par des compagnies aériennes (ci-après les « transporteurs ») et, en règle générale, se déroule sur un marché à différents niveaux : en amont, les transporteurs fournissent leurs services de fret aux transitaires, en contrepartie d’un prix qui se compose, d’une part, de tarifs calculés au kilogramme et, d’autre part, de surtaxes visant à couvrir certains coûts ; en aval, les transitaires organisent l’acheminement de ces cargaisons au nom des expéditeurs. Pour être en mesure de desservir toutes les destinations majeures de fret dans le monde à des fréquences suffisantes, les transporteurs ont développé un système d’accords, y compris dans le cadre d’alliances commerciales plus vastes entre transporteurs.

6.        L’entente litigieuse concerne les trois éléments suivants : l’introduction et la gestion d’une surtaxe visant à faire face à l’augmentation du coût du carburant (ci-après la « surtaxe carburant ») (7) et d’une surtaxe visant à faire face au coût de certaines mesures de sécurité adoptées à la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001 (ci-après la « surtaxe sécurité ») (8), ainsi que le refus de paiement de commissions sur les surtaxes (ci-après le « refus de paiement de commissions ») (9).

B.      La procédure devant la Commission et la décision litigieuse

7.        À l’issue d’une enquête ouverte au cours de l’année 2005 (10), et à la suite d’une communication des griefs adoptée le 19 décembre 2007 (ci-après la « communication des griefs ») (11), la Commission a adopté, le 9 novembre 2010, une première décision (ci-après la « décision de 2010 ») (12) par laquelle elle constatait l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien portant, notamment, sur la surtaxe carburant, la surtaxe sécurité et le refus de paiement de commissions (13).

8.        Le Tribunal ayant annulé la décision de 2010, en tout ou en partie, par arrêts du 16 décembre 2015 (14), pour vices de motivation, la Commission a repris la procédure et a adopté la décision litigieuse, le 17 mars 2017, à l’égard de 19 transporteurs (ci-après les « transporteurs incriminés »), parmi lesquels figuraient les requérantes (15). Par cette décision, la Commission a constaté l’existence d’une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, par laquelle ces transporteurs avaient coordonné leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret dans le monde entier au moyen de la surtaxe carburant, de la surtaxe sécurité et du refus de paiement de commissions.

9.        En premier lieu, la Commission a décrit et analysé les principes de base et la structure de l’entente litigieuse, en indiquant que l’enquête avait révélé une entente d’ampleur mondiale fondée sur un réseau de contacts bilatéraux et multilatéraux entretenus sur une longue période entre des concurrents, ayant pour objectif commun de coordonner leur comportement au regard de divers éléments du prix des services de fret, à savoir la surtaxe carburant, la surtaxe sécurité et le refus de paiement de commissions (16).

10.      En deuxième lieu, la Commission a procédé à l’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien aux faits de l’espèce (17).

11.      À titre liminaire, elle a examiné les limites de sa compétence territoriale et temporelle pour constater et sanctionner une infraction aux règles de concurrence dans le cas d’espèce et a retenu qu’elle n’appliquerait pas l’article 101 TFUE aux accords et pratiques antérieurs au 1er mai 2004 concernant les liaisons Union-pays tiers (18), l’article 53 de l’accord EEE aux accords et pratiques antérieurs au 19 mai 2005 concernant les liaisons EEE-pays tiers (19) et l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien aux accords et pratiques antérieurs au 1er juin 2002 concernant les liaisons Union-Suisse (20).

12.      En outre, en réponse aux arguments contestant l’application extraterritoriale de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE aux services de fret entrants (21), la Commission a considéré, après avoir rappelé que ces dispositions étaient applicables aux accords qui sont mis en œuvre au sein de l’Union ou de l’EEE (selon le critère dit « de la mise en œuvre ») ou qui ont des effets immédiats, substantiels et prévisibles au sein de l’Union ou de l’EEE (selon le critère dit « des effets qualifiés ») (22), que, en l’espèce, ces deux critères étaient remplis.

13.      D’une part, le critère de la mise en œuvre était rempli du fait que l’entente litigieuse était appliquée dans l’EEE : les services en question étaient fournis en partie sur le territoire de l’EEE et de nombreux contacts par lesquels les destinataires avaient coordonné les surtaxes et le non‑paiement de commissions avaient eu lieu au sein de l’EEE ou avaient impliqué des participants se trouvant dans l’EEE (23).

14.      D’autre part, le critère des effets qualifiés était rempli pour trois motifs. Les deux premiers motifs, figurant au considérant 1045 de la décision litigieuse, portaient sur les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément, tandis que le troisième motif, figurant au considérant 1046 de la décision litigieuse, concernait les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble. Plus particulièrement :

–        le premier motif tenait à ce que les coûts accrus du transport aérien vers l’EEE et donc les prix plus élevés des marchandises importées étaient, par nature, susceptibles d’avoir des effets sur les consommateurs au sein de l’EEE ;

–        le deuxième motif concernait les effets de la coordination relative aux services de fret entrants également sur la fourniture de services de fret par d’autres transporteurs au sein de l’EEE, entre les plateformes de correspondance (« hubs ») dans l’EEE utilisées par les transporteurs de pays tiers et les aéroports de destination de ces envois dans l’EEE qui n’étaient pas desservis par le transporteur du pays tiers ;

–        le troisième motif était lié à ce que l’entente avait été mise en œuvre mondialement et que les arrangements de cette entente concernant les liaisons entrantes faisaient partie intégrante de l’infraction unique et continue (24).

15.      À titre principal, tout d’abord, la Commission a constaté que les transporteurs incriminés (25) avaient coordonné leur comportement ou influencé la tarification, ce qui revenait en définitive à une fixation de prix en rapport avec la surtaxe carburant, la surtaxe sécurité et le refus de paiement de commissions (26). Elle a retenu que le comportement en cause constituait une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE (27), ainsi qu’une restriction de la concurrence par objet, au moins au sein de l’Union, dans l’EEE et en Suisse (28).

16.      Ensuite, la Commission a retenu que l’infraction unique et continue était susceptible d’affecter de manière sensible les échanges entre les États membres, entre les parties contractantes à l’accord EEE et entre les parties contractantes à l’accord CE-Suisse sur le transport aérien (29) et elle a exclu que l’entente litigieuse puisse bénéficier d’une dérogation au sens de l’article 107, paragraphe 3, TFUE (30).

17.      Enfin, la Commission a fixé la durée totale de l’infraction, en établissant que l’entente litigieuse avait débuté le 7 décembre 1999 et s’était poursuivie jusqu’au 14 février 2006 (31), ainsi que la durée de cette infraction à l’égard de chaque requérante (32).

18.      En troisième et dernier lieu, la Commission a imposé des mesures correctives et des amendes (33).

C.      La procédure devant le Tribunal et les arrêts attaqués

19.      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 29, 30 et 31 mai 2017, les requérantes ont introduit des recours tendant, pour l’essentiel, à l’annulation, en tout ou en partie, de la décision litigieuse en ce qui les concerne, ainsi qu’à la suppression ou la réduction du montant de l’amende infligée.

20.      À l’appui de leurs recours, les requérantes invoquaient, notamment, des moyens relatifs à la compétence de la Commission (34), à des violations procédurales ainsi qu’au bien-fondé de la décision litigieuse. Le Tribunal a ultérieurement soulevé d’office le moyen tiré d’un défaut de compétence de la Commission au regard de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien pour constater et sanctionner une violation de l’article 53 de l’accord EEE sur les liaisons EEE sauf Union-Suisse.

21.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a rejeté les recours de Martinair, KLM, Cargolux, Air France-KLM, Air France, Lufthansa et Singapore Airlines Cargo (35). En revanche, il a partiellement annulé la décision litigieuse et réduit l’amende au regard de la participation à l’infraction de certains transporteurs sur les liaisons suivantes :

–        s’agissant de Japan Airlines et de Cathay Pacific Airways, sur les liaisons intra-EEE et les liaisons Union-Suisse (36) ;

–        s’agissant d’Air Canada, sur les liaisons intra-EEE, les liaisons Union-pays tiers et les liaisons EEE sauf Union-pays tiers, quant à la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions (37) ;

–        s’agissant de British Airways, d’une part, sur les liaisons intra-EEE et les liaisons Union-pays tiers quant à la composante de l’infraction unique et continue tenant au refus de paiement de commissions et, d’autre part, sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers (38) ;

–        s’agissant de LATAM Airlines Group et Lan Cargo, d’une part, sur les liaisons intra-EEE et EEE sauf Union-pays tiers et, d’autre part, sur les liaisons Union-pays tiers, quant à la surtaxe sécurité et au refus de paiement de commissions, ainsi qu’à la surtaxe carburant avant le 22 juillet 2005 (39) ;

–        s’agissant de SAS Cargo Group, d’une part, sur les liaisons intra-EEE, Union-pays tiers et EEE sauf Union-pays tiers, quant au refus de paiement de commissions, et, d’autre part, sur les liaisons Union-pays tiers et EEE sauf Union-pays tiers en provenance de la Thaïlande entre le 20 juillet 2005 et le 14 février 2006, en ce qui concerne la surtaxe carburant (40).

III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

22.      Par actes déposés au greffe de la Cour entre le 7 et le 17 juin 2023, les requérantes ont formé des pourvois contre les arrêts attaqués. Elles demandent, pour l’essentiel, à la Cour :

–        d’annuler les arrêts attaqués ;

–        d’annuler, par conséquent, la décision litigieuse en ce qu’elle les concerne ou, à titre subsidiaire, de réduire le montant de l’amende ;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal ; et

–        de condamner la Commission aux dépens des deux instances.

23.      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter les pourvois et de condamner les requérantes aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, si les pourvois sont accueillis, de renvoyer les affaires devant le Tribunal et de réserver les dépens.

24.      Les parties ont également répondu aux questions posées par la Cour lors des audiences de plaidoiries qui se sont déroulées du 10 au 22 avril 2024.

IV.    Analyse

25.      Les pourvois formés par les requérantes s’articulent en une série de moyens qui, en grande partie, se recoupent. Les présentes conclusions visent les moyens suivants :

–        les moyens relatifs à la compétence de la Commission (section A), à savoir la compétence de celle-ci pour constater une infraction concernant les services de fret entrants à l’égard du seul critère des « effets qualifiés » (1), l’application de ce critère des « effets qualifiés » (2), ainsi que certains vices de nature formelle des arrêts attaqués (3) ;

–        certains moyens relatifs à l’examen par le Tribunal du bien-fondé de la décision litigieuse (section B), à savoir la participation à l’« infraction unique et continue » (1), l’annulation (seulement) partielle de cette décision (2), la prescription du pouvoir de sanction de la Commission (3) ;

–        les moyens relatifs à l’exercice de la compétence de pleine juridiction du Tribunal (section C).

A.      Sur les moyens relatifs au défaut de compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE concernant les services de fret entrants

26.      Dans la décision litigieuse, la Commission a affirmé sa compétence pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE à l’égard de la coordination relative aux services de fret entrants (ci-après la « compétence extraterritoriale de la Commission » (41)), au motif que le critère de la mise en œuvre et celui des effets qualifiés étaient tous deux remplis (42).

27.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a jugé que la compétence extraterritoriale de la Commission pouvait être établie au regard soit du critère de la mise en œuvre, soit de celui des effets qualifiés (43) et que ces critères étaient alternatifs (44). Il a conclu, en l’occurrence, que le critère des effets qualifiés était rempli et qu’il n’y avait dès lors pas lieu d’examiner l’application du critère de la mise en œuvre (45).

28.      Les requérantes contestent cette analyse en faisant valoir, en substance, deux séries d’arguments, la première tirée de ce que la compétence de la Commission ne pouvait pas se fonder sur l’application du seul critère des effets qualifiés (1) et la deuxième tirée d’erreurs dans l’application de ce critère (2). Elles soulèvent également des moyens ou des griefs relatifs à certains vices de nature procédurale des arrêts attaqués, qu’il conviendra d’examiner en dernier lieu (3).

1.      Sur la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction concernant les services de fret entrants au regard du seul critère des « effets qualifiés »

29.      Plusieurs requérantes (46) reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ce qu’il a apprécié la compétence extraterritoriale de la Commission uniquement au regard du critère des effets qualifiés, qui constituerait une condition nécessaire mais non suffisante pour établir cette compétence, sans effectuer une analyse des effets anticoncurrentiels à l’intérieur du marché intérieur selon le critère de la mise en œuvre (47). Selon ces requérantes, d’une part, le critère des effets qualifiés ne serait qu’un critère de droit international public pour déterminer le droit national (en l’espèce, celui de l’Union) applicable aux fins de réguler un comportement adopté dans un pays tiers et non pas un critère permettant de vérifier la compétence extraterritoriale de la Commission selon le droit de l’Union (48). D’autre part, le critère de la mise en œuvre, qui n’a pas été examiné par le Tribunal, serait le critère de droit de l’Union indispensable pour établir la compétence extraterritoriale de la Commission (49), ce qui exigerait la définition du marché pertinent, l’analyse du contexte économique et juridique et l’examen du scénario contrefactuel.

30.      Il convient donc d’examiner si c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que le critère des effets qualifiés pouvait, à lui seul, servir de fondement à la compétence de la Commission dans les circonstances de l’espèce.

31.      Je relève que le critère des effets qualifiés, même en l’absence d’une formulation établie et partagée (50), est généralement admis en droit international public (51) en tant que principe juridictionnel permettant d’appliquer le droit national de la concurrence en présence d’effets économiques, sur le territoire national, de pratiques ayant eu lieu à l’extérieur de ce territoire par des entreprises également établies en dehors dudit territoire (c’est-à-dire l’application « extraterritoriale » de ce droit) (52), ce qui ne semble pas être remis en cause par les parties (53).

32.      En revanche, l’origine et la nature du critère de la mise en œuvre sont davantage controversées. Selon les requérantes, ce critère ressortirait principalement de l’arrêt Pâte de bois et serait non pas un critère de droit international public, mais une notion de droit de l’Union, développée par la Cour afin d’établir l’application de l’article 101 TFUE. Toutefois, il ne me semble pas que, dans l’arrêt Pâte de bois, la Cour ait voulu introduire un critère additionnel pour établir cette compétence (54) ni, en tout état de cause, un critère exclusif, cumulatif ou de rang supérieur par rapport à celui des effets qualifiés pour établir la compétence de la Commission, ainsi que cela a été implicitement reconnu par la Cour dans l’arrêt Intel (55).

33.      Cela étant précisé, il me semble que les requérantes confondent, d’une part, la question de la compétence extraterritoriale de la Commission en vertu du droit international public et, d’autre part, l’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE au cas d’espèce, c’est-à-dire la question du caractère anticoncurrentiel de l’entente litigieuse à l’intérieur du marché intérieur (56).

34.      En effet, la Commission est compétente pour appliquer les règles de concurrence de l’Union et de l’EEE dans la mesure où, respectivement, le traité FUE et l’accord EEE s’appliquent. Si l’application « extraterritoriale » de ces règles est soumise aux conditions imposées par le droit international public et donc, notamment, au critère des effets qualifiés, la compétence de la Commission pour constater et sanctionner, au sens du droit de l’Union, une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE n’est soumise qu’au critère (substantiel) de la restriction de la concurrence (par objet ou par effet) à l’intérieur du marché intérieur.

35.      Les requérantes cherchent à contourner cet aspect en affirmant que la référence, à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, à la restriction de la concurrence « à l’intérieur du marché intérieur » introduirait, en substance, un critère de compétence qui impliquerait, pour la Commission, l’exigence de démontrer que le comportement incriminé a des effets concrets sur le marché intérieur, avant qu’elle puisse apprécier, en application de ces dispositions, l’existence d’une restriction de la concurrence par objet ou par effet. Cette interprétation me semble contraire au libellé et à l’objectif desdites dispositions, dans la mesure où elle introduit une distinction artificielle entre, d’une part, les effets du comportement incriminé à l’intérieur du marché intérieur (critère prétendument relatif à la compétence de la Commission à poursuivre un tel comportement) et, d’autre part, l’existence d’une restriction de la concurrence par objet ou par effet (critère substantiel relatif à l’application de la disposition en question). Or, la référence, dans ces mêmes dispositions, aux effets dans le marché intérieur ne constitue pas, selon moi, un critère régissant spécifiquement la compétence de la Commission (57), mais est plutôt un des éléments du critère substantiel pour l’application des dispositions en question.

36.      À mon avis, ce n’est qu’au regard du droit international public (et donc à la lumière du critère des effets qualifiés) que la Commission était tenue de justifier sa compétence extraterritoriale. Après avoir établi que cette condition était remplie, la Commission pouvait ensuite constater et sanctionner toute violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, pourvu que le comportement incriminé remplisse les conditions substantielles prévues par ces dispositions, y incluse celle de la restriction de la concurrence, par objet ou par effet, à l’intérieur du marché intérieur.

37.      En conclusion, il me semble que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a jugé que la compétence extraterritoriale de la Commission s’appréciait au regard du seul critère des effets qualifiés. Il convient donc à présent de vérifier si le Tribunal a commis des erreurs de droit lorsqu’il a jugé que la Commission avait correctement appliqué ce critère.

2.      Sur l’application du critère des « effets qualifiés »

38.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a considéré que, dans la décision litigieuse, la Commission s’était appuyée sur trois motifs pour retenir que le critère des effets qualifiés était satisfait, les deux premiers motifs concernant les effets de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément (considérant 1045 de la décision litigieuse) et le troisième motif portant sur les effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble (considérant 1046 de cette décision) (58). Dans ces arrêts, le Tribunal a retenu les premier et troisième motifs, estimant qu’il n’y avait pas lieu d’examiner le deuxième (59).

39.      Les requérantes contestent l’appréciation du Tribunal concernant, d’une part, la démonstration des effets qualifiés de la coordination relative aux services de fret entrants considérée isolément (le premier motif retenu par la Commission) (a) et, d’autre part, le recours à la notion d’« infraction unique et continue » prise dans son ensemble (le troisième motif retenu par la Commission) (b) (60).

a)      Sur l’examen des effets qualifiés de la coordination relative aux services de fret entrants considérée isolément

40.      En ce qui concerne le premier motif retenu par la Commission au considérant 1045 de la décision litigieuse, plusieurs requérantes (61) reprochent au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit, en premier lieu, en entérinant la constatation de la Commission selon laquelle la coordination relative aux services de fret entrants pouvait être qualifiée de restriction de concurrence par objet, de sorte qu’elle n’était pas tenue de procéder à une appréciation des effets anticoncurrentiels (1) et, en second lieu, en considérant que la Commission avait démontré que ce comportement produisait des effet qualifiés, c’est-à-dire des effets immédiats, substantiels et prévisibles, dans l’EEE (2).

1)      Sur le critère de la restriction de la concurrence par objet comme critère non pertinent

41.      Selon les requérantes, l’existence d’une restriction de la concurrence par objet, telle que relevée par la Commission et entérinée par le Tribunal, ne serait pas un critère pertinent pour l’examen du critère des effets qualifiés aux fins d’apprécier la compétence extraterritoriale de la Commission. La vérification de cette compétence poursuivrait un but différent de l’appréciation de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet et exigerait ainsi un niveau de preuve plus élevé que cette dernière. Partant, la Commission n’aurait pu se soustraire à une analyse des effets concrets de la coordination relative aux services de fret entrants au seul motif que le comportement incriminé constituait une restriction de concurrence par objet (62) et elle aurait dû apprécier s’il existait un lien de causalité entre ce comportement et l’effet anticoncurrentiel allégué au sein de l’EEE (63).

42.      Ainsi que je l’ai relevé aux points 33 et 34 des présentes conclusions, il convient de distinguer entre, d’une part, la compétence extraterritoriale de la Commission au regard du droit international public et, d’autre part, la question du caractère anticoncurrentiel de l’entente litigieuse à l’intérieur du marché intérieur. Le critère des effets qualifiés, sur lequel se fonde le droit international public aux fins de l’application extraterritoriale des règles de concurrence, ne coïncide pas avec l’analyse de la restriction de la concurrence par objet ou par effet en vue de l’application desdites dispositions (64). Il s’agit tout simplement de deux éléments d’analyse différents (65).

43.      En l’espèce, la Commission a examiné l’existence d’effets qualifiés au regard du droit international public aux considérants 1045 et 1046 de la décision litigieuse, qui font partie de la section 5.3.8 de celle-ci consacrée à sa compétence extraterritoriale (66). Dans ces considérants, la Commission ne s’est pas appuyée sur l’existence d’une restriction de la concurrence par objet. Si, dans d’autres considérants de cette décision, la Commission a estimé qu’elle n’avait pas à procéder à une appréciation des effets anticoncurrentiels concrets du comportement des transporteurs incriminés, dès lors qu’elle s’était fondée sur l’objet anticoncurrentiel de ce comportement, cela était dans un contexte et un but différents. Par exemple, au considérant 917 de ladite décision, la Commission a considéré que la démonstration d’effets anticoncurrentiels réels n’était pas requise afin de constater une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE. Elle n’a pas utilisé cet argument pour étayer, à titre liminaire, l’application extraterritoriale de ces dispositions au regard du droit international public. D’ailleurs, cette considération figure à la section 5.3.3 de la décision litigieuse, consacrée à l’analyse (sur le fond) de la restriction de la concurrence (67).

44.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a interprété le critère des effets qualifiés en précisant, pour l’essentiel, que ce critère « n’exige pas d’établir que le comportement litigieux a produit des effets qui se sont effectivement matérialisés dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE », mais que, « [a]u contraire, selon la jurisprudence, il suffit de tenir compte de l’effet probable de ce comportement sur la concurrence » (68).

45.      À la lumière de ces précisions, je ne partage pas l’argument des requérantes selon lequel le Tribunal aurait considéré que la Commission, après avoir qualifié le comportement en question de restriction de concurrence par objet, n’était plus tenue de démontrer que ce comportement avait des effets qualifiés.

46.      Certes, le Tribunal a précisé, dans un passage pouvant prêter à confusion, que, « [e]n présence d’un comportement dont la Commission a, comme en l’espèce, considéré qu’il révélait un degré de nocivité à l’égard de la concurrence dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE tel qu’il pouvait être qualifié de restriction de concurrence “par objet” au sens de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE, l’application du critère des effets qualifiés ne saurait pas non plus exiger la démonstration des effets concrets que suppose la qualification d’un comportement de restriction de concurrence “par effet” au sens de ces dispositions » (69).

47.      Toutefois, à mon sens, dans ce passage, le Tribunal avait probablement l’intention de faire remarquer qu’il serait paradoxal d’exiger une analyse de la restriction de concurrence par effet au regard d’un comportement qui peut être qualifié de restriction de concurrence par objet (70). En tout état de cause, ledit passage n’emporte aucune conséquence sur la substance du raisonnement du Tribunal, étant donné que, dans les points suivants des arrêts attaqués, celui-ci a analysé, à juste titre, l’application du critère des effets qualifiés par la Commission à la lumière de ses éléments-clés, à savoir du caractère prévisible, substantiel et immédiat des effets, et non de l’éventuelle existence d’une restriction par objet (71).

48.      Par ailleurs, l’argument des requérantes selon lequel, lorsqu’une pratique est mise en œuvre à l’extérieur de l’EEE, elle ne peut pas avoir pour objet de restreindre la concurrence à l’intérieur de l’EEE (72) n’est pas pertinent, puisqu’il porte sur le bien-fondé de l’appréciation factuelle du Tribunal quant à l’existence d’une distorsion de la concurrence (73). En tout état de cause, il me semble que les requérantes ne sont pas parvenues à démontrer le bien-fondé de cet argument, étant donné que, ainsi que l’a établi la Commission et que l’a confirmé le Tribunal, l’entente avait été mise en œuvre mondialement et avait pour objet commun de restreindre la concurrence partout dans le monde, y compris dans l’EEE.

49.      En conclusion, j’estime que ni la Commission ni le Tribunal n’ont appliqué le critère de la restriction de la concurrence par objet comme critère pertinent en ce qui concerne l’appréciation de la compétence extraterritoriale de la Commission et que les arguments des requérantes à cet égard sont inopérants.

2)      Sur la démonstration de l’existence d’effets qualifiés

50.      Selon les requérantes, le Tribunal aurait conclu à tort que, dans la décision litigieuse, la Commission, à qui incombe la charge de la preuve, avait démontré que le comportement incriminé avait des effets qualifiés, c’est-à-dire des effets immédiats, substantiels et prévisibles dans l’EEE. Plus particulièrement, d’une part, le Tribunal se serait contenté de constater que les effets évoqués par la Commission étaient simplement « susceptibles » de se produire, en utilisant, en substance, un niveau de preuve inadéquat (i) et, d’autre part, l’analyse des effets qualifiés de la part du Tribunal serait, en tout état de cause, erronée, puisque les effets du comportement incriminé sur la concurrence dans l’EEE ne seraient pas immédiats, substantiels et prévisibles (ii).

i)      Sur le niveau de preuve pertinent

51.      Par le premier motif retenu au considérant 1045 de la décision litigieuse, la Commission a conclu que les pratiques anticoncurrentielles dans les pays tiers concernant les services de fret entrants étaient susceptibles d’avoir des effets immédiats, substantiels et prévisibles dans l’Union ou dans l’EEE, au motif, en substance, que les coûts accrus du transport aérien vers l’EEE, et donc les prix plus élevés des marchandises importées, étaient « susceptibles » d’avoir des effets sur les consommateurs au sein de l’EEE « de par leur nature ».

52.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a développé cet argument en s’appuyant sur les considérants 14, 17 et 70 de la décision litigieuse et sur les réponses des parties aux mesures d’organisation de la procédure. Il a constaté que les transporteurs vendaient leurs services de fret exclusivement ou presque à des transitaires et que ces derniers achetaient ces services notamment en qualité d’intermédiaires, pour les consolider dans un lot de services dont l’objet était d’organiser le transport intégré de marchandises vers le territoire de l’EEE au nom d’expéditeurs, qui pouvaient notamment être les acheteurs ou les propriétaires des marchandises transportées et étaient vraisemblablement établis dans l’EEE. Selon le Tribunal, « pour peu que » les transitaires répercutent sur le prix de leurs lots de services l’éventuel surcoût résultant de l’entente litigieuse, c’était notamment sur la concurrence que se livrent les transitaires pour capter la clientèle de ces expéditeurs que l’infraction unique et continue sur les liaisons entrantes était susceptible d’avoir une incidence et, par suite, c’était dans le marché intérieur ou au sein de l’EEE que l’effet en cause était susceptible de se matérialiser. Par conséquent, les effets produits par le comportement litigieux consisteraient dans le surcoût que les expéditeurs étaient susceptibles d’avoir supporté et dans le renchérissement des marchandises importées dans l’EEE qui pouvait en avoir résulté (74). Le Tribunal a conclu, notamment, que ces effets relevaient « du cours normal des choses et de la rationalité économique » ou du « fonctionnement normal du marché » (75).

53.      Les requérantes critiquent, pour l’essentiel, l’attitude « permissive » du Tribunal quant au niveau de preuve utilisé par la Commission, qui aurait permis à celle-ci d’établir sa compétence sur la base d’effets purement hypothétiques, ce qui lui permettrait de poursuivre n’importe quelle violation de la concurrence partout dans le monde. Elles font valoir que la Commission n’a pas identifié de restrictions de la concurrence dans le marché intérieur, alors qu’elle aurait dû démontrer que les effets étaient non simplement « susceptibles » de se produire mais « probables », ou, en tout cas, « plus probables qu’improbables ».

54.      À cet égard, j’estime que la Commission pouvait se fonder sur le fait que le comportement incriminé, mis en œuvre en dehors de l’EEE, était « susceptible » de produire des effets qualifiés dans l’EEE. Partant, pour démontrer l’existence d’effets qualifiés (et donc sa compétence extraterritoriale), la Commission n’était pas tenue d’établir l’existence d’effets concrets, tels que, par exemple, ceux qui sont nécessaires à la démonstration d’une restriction de concurrence par effet au sens de l’article 101 TFUE. Ainsi que la Cour l’a relevé dans l’arrêt Intel, le critère des effets qualifiés poursuit l’objectif d’appréhender des comportements qui n’ont pas été adoptés sur le territoire de l’Union, mais dont les effets anticoncurrentiels sont « susceptibles » de se faire sentir sur le marché de l’Union (76).

55.      Cette constatation n’est pas remise en cause par la référence effectuée par le Tribunal, dans les arrêts attaqués, au point 51 de l’arrêt Intel, qui se réfère aux « effets probables » du comportement incriminé sur la concurrence (77). Les requérantes en tirent la conclusion qu’il ne suffit pas que ces effets soient « susceptibles » de se produire (contrairement au niveau de preuve requis pour établir une restriction de la concurrence par objet), mais que le seuil de probabilité ou de vraisemblance n’est atteint que lorsqu’il a été démontré qu’il est « plus probable qu’improbable » que la pratique aura un effet anticoncurrentiel. Toutefois, dans l’économie de l’arrêt Intel, l’analyse du caractère prévisible des effets, à l’instar de celle de leur caractère immédiat et substantiel, s’inscrit dans l’analyse globale du critère des effets qualifiés, pour laquelle la Cour a précisé, notamment au point 45 de cet arrêt, qu’il s’agissait d’effets « susceptibles » de se produire sur le marché intérieur. C’est en ce sens qu’il faut interpréter, à mon avis, la référence, dans les arrêts attaqués, au point 51 dudit arrêt.

56.      D’ailleurs, si, s’agissant de la preuve d’un comportement anticoncurrentiel, la Commission peut se limiter à constater que la pratique incriminée a un objet anticoncurrentiel, sans qu’elle soit tenue de démontrer l’existence d’effets concrets sur le marché, il me semble d’autant plus raisonnable que, pour établir, à titre préalable, sa compétence, elle ne soit pas tenue de démontrer que le comportement incriminé, mis en œuvre en dehors du marché intérieur, produit des effets concrets dans ce dernier. Autrement, il serait paradoxal, par exemple, que même une restriction de la concurrence par objet soit traitée, en substance, comme une restriction de la concurrence par effet lorsqu’elle intervient dans un contexte extraterritorial.

57.      En conclusion, j’estime que, contrairement à ce que soutiennent les parties, il incombait à la Commission d’indiquer que les pratiques en question étaient « susceptibles » d’avoir des effets qualifiés sur la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, sans qu’elle soit tenue de fournir la preuve que ces effets s’étaient produits ou que leur réalisation était « plus probable qu’improbable ». Il convient dès lors d’examiner, à la lumière du niveau de preuve défini ci-dessus, si le Tribunal a commis des erreurs de droit lorsqu’il a reconnu que, en l’espèce, la Commission avait démontré l’existence d’effets qualifiés.

ii)    Sur l’existence d’effets qualifiés en l’espèce

58.      Ainsi que le relèvent les requérantes, la Commission s’est fondée, au considérant 1045 de la décision litigieuse, avec une motivation très concise, sur une chaîne d’événements relativement longue, dont elle a présumé la réalisation. Il est certes vrai que la Commission n’a pas développé de manière exhaustive son raisonnement, qui apparaît relativement succinct. Toutefois, il convient d’examiner si ce raisonnement est néanmoins suffisant pour établir sa compétence à la lumière du niveau de preuve défini aux points 54 à 57 des présentes conclusions.

59.      En substance, il me semble que, par une formulation assez simpliste, la Commission a appliqué une présomption s’articulant comme suit : tout d’abord, la coordination des transporteurs sur les surtaxes et sur le refus de paiement des commissions se répercutait sur les prix des services de fret aérien vendus aux transitaires, ensuite, cette augmentation comportait, à son tour, l’augmentation des prix appliqués par ces derniers aux expéditeurs, ce qui, enfin, avait un effet sur les prix facturés par ces derniers aux consommateurs établis dans l’EEE.

60.      La question est donc de savoir si, ainsi que l’a constaté le Tribunal dans les arrêts attaqués, les effets envisagés par la Commission relevaient « du cours normal des choses et de la rationalité économique » (78). En d’autres termes, peut-on conclure, sur la base d’un raisonnement fondé, en substance, sur une présomption, que la coordination des transporteurs concernant les surtaxes et le refus de payer des commissions, en ce qui concerne les services de fret entrants, était susceptible d’avoir comme effet immédiat, substantiel et prévisible l’augmentation des prix des services de transport pour les consommateurs établis dans l’EEE ?

61.      À cet égard, tout en gardant à l’esprit la prudence nécessaire lors du recours à des présomptions comme éléments de preuve en droit de la concurrence (79), mais compte tenu également de ce que l’établissement de la compétence extraterritoriale de la Commission, en l’espèce, n’était qu’une étape préliminaire à l’examen du bien-fondé de sa décision, je suis d’avis que le Tribunal, une fois établi qu’un tel enchaînement d’événements était, selon le cours normal des choses, « susceptible » de se produire, au moins prima facie, pouvait conclure que la Commission avait, pour le moins, satisfait à la charge initiale de la preuve qui repose sur elle (80) et qu’il incombait ainsi aux requérantes d’apporter la preuve contraire.

62.      Il convient donc d’examiner si le Tribunal a commis des erreurs de droit lorsqu’il a considéré que les arguments et les éléments de preuve apportés par les requérantes visant à contester l’existence d’effets qualifiés n’étaient pas susceptibles de remettre en cause la conclusion de la Commission en ce qui concerne, respectivement, le caractère immédiat, substantiel et prévisible de ces effets (81).

–       Sur le caractère immédiat des effets

63.      D’après les requérantes, les effets du comportement des transporteurs sur la concurrence dans l’EEE n’étaient pas directs ou immédiats, puisqu’ils dépendaient des actions indépendantes d’autres acteurs de la chaîne de valeur, à savoir les transitaires et les expéditeurs, ce qui exclurait tout lien de causalité entre le comportement des transporteurs et ses effets présumés. La Commission, dans son analyse entérinée par le Tribunal, aurait défini comme « qualifiés » des effets seulement indirects, à savoir l’éventuelle répercussion des surcoûts dérivant de l’entente litigieuse sur les prix appliqués par les transitaires aux expéditeurs et par ces derniers à leurs propres clients, sans effectuer aucun examen des marchés pertinents, en particulier en aval, et sans même procéder à une définition du marché, qui était fondamentale pour déterminer si les parties à l’entente étaient des concurrents (82).

64.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a validé le raisonnement très succinct suivi par la Commission dans la décision litigieuse en considérant, en substance, que l’exigence d’un lien de « causalité immédiate » entre le comportement en cause et l’effet examiné ne saurait se confondre avec une « causalité unique », qui exigerait de constater de manière systématique et absolue la rupture du lien de causalité lorsqu’un tiers a contribué à la survenance des effets en cause (83). En l’occurrence, l’intervention des transitaires, dont il était prévisible que, en toute autonomie, ils répercuteraient sur les expéditeurs le surcoût qu’ils avaient supporté, avait, certes, pu contribuer à la survenance de l’effet en cause mais n’était pas, à elle seule, de nature à rompre la chaîne de causalité qui découlait de l’entente litigieuse « selon le fonctionnement normal du marché » (84).

65.      À cet égard, il me semble que les requérantes se limitent à contester le caractère spéculatif ou superficiel de ces constatations.

66.      Certes, l’analyse de la Commission, entérinée par le Tribunal, est très simpliste et, par exemple, ne satisferait probablement pas un niveau de preuve tel que celui requis par la démonstration de la restriction de la concurrence par effet ou, encore moins, celui requis dans le cadre d’une action en dommages et intérêts. Toutefois, à la lumière du niveau de preuve défini aux points 51 à 57 des présentes conclusions, il ne me semble pas que les requérantes parviennent à démontrer que l’enchaînement d’événements présumé par la Commission n’est pas, à tout le moins, « susceptible » de se produire (85), ni que les constatations effectuées par le Tribunal à cet égard sont entachées d’une dénaturation des faits.

–       Sur le caractère substantiel des effets

67.      Selon les requérantes, la Commission n’avait pas démontré que les effets du comportement des transporteurs sur la concurrence dans l’EEE étaient substantiels, n’ayant procédé à aucune analyse de la question de savoir si les services de fret représentaient une part significative des coûts des expéditeurs établis dans l’EEE (86).

68.      À cet égard, il est vrai que, dans la décision litigieuse, la Commission n’a pas quantifié l’impact de l’augmentation présumée des prix des services de fret aérien entrants sur les prix finalement payés par les expéditeurs établis dans l’EEE ou sur les prix payés par leurs clients établis dans l’EEE.

69.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a néanmoins entériné la conclusion de la Commission en s’appuyant, en substance, sur des éléments de contexte, qui ne sont pas mentionnés au considérant 1045 de la décision litigieuse, mais qui ressortent de l’analyse globale de celle-ci. En premier lieu, il s’est référé à la durée importante de l’infraction, mentionnée au considérant 1146 de cette décision ; en deuxième lieu, il a évoqué la portée de cette infraction qui, ainsi qu’il ressort du considérant 889 de ladite décision, concernait des mesures d’application générale, telles que la surtaxe carburant et la surtaxe sécurité, qui n’étaient pas spécifiques à une liaison et avaient pour but d’être appliquées à toutes les liaisons au niveau mondial, y inclus les liaisons à destination de l’EEE ; en troisième lieu, il s’est appuyé sur la nature de ladite infraction, soulignant que, ainsi qu’il ressort des considérants 1030 et 1208 de la même décision, celle-ci avait pour objet de restreindre la concurrence et concernait une restriction particulièrement grave, à savoir la fixation de divers éléments du prix (87). Le Tribunal a également évoqué, à titre surabondant, d’une part, la circonstance que les surtaxes qui faisaient l’objet de l’entente litigieuse représentaient, pendant la période infractionnelle, une proportion importante du prix total des services de fret, ainsi que précisé par la Commission au considérant 1031 de la décision litigieuse (88), et, d’autre part, l’importance des entreprises ayant participé au comportement incriminé, dont la part de marché cumulée sur le marché mondial, selon le considérant 1209 de cette décision, s’élevait à 34 % en 2005, y compris sur les liaisons globales (sortantes et entrantes) EEE-pays tiers (89).

70.      À cet égard, les requérantes se limitent à relever l’absence de calcul précis dans l’analyse effectuée par la Commission et entérinée par le Tribunal. Toutefois, compte tenu du niveau de preuve défini aux points 51 à 57 des présentes conclusions, j’estime que la Commission n’était pas tenue, dans l’appréciation de sa propre compétence, d’effectuer un tel calcul (90). La question du calcul des répercussions économiques concrètes aux différents niveaux de la chaîne se pose éventuellement dans le contexte d’une analyse de la restriction de la concurrence par effet, de la détermination de l’amende ou d’actions en dommages et intérêts.

–       Sur le caractère prévisible des effets

71.      D’après les requérantes, les effets estimés par la Commission et reconnus par le Tribunal ne seraient pas prévisibles ou probables, puisque l’hypothèse selon laquelle la hausse des prix des services de fret entrants serait répercutée par les transitaires sur les expéditeurs établis dans le marché intérieur serait improbable (91). La Commission n’aurait pas vérifié l’effet des pratiques incriminées (limitées aux surtaxes) sur le prix de vente des services de fret, sur les coûts totaux du transport facturé aux expéditeurs par les transitaires et sur le prix appliqué par les expéditeurs aux consommateurs. Les effets présumés du comportement incriminé resteraient hypothétiques ou d’importance mineure et l’existence d’un lien causal, mentionnée par le Tribunal, ne serait pas pertinente ni motivée (92).

72.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a rappelé que les effets dont les parties à l’entente litigieuse doivent raisonnablement savoir, dans les limites des choses généralement connues, qu’ils surviendront satisfont à l’exigence de prévisibilité (93) et il s’est appuyé encore une fois sur des éléments de contexte qui ne sont pas mentionnés au considérant 1045 de la décision litigieuse, mais dans d’autres parties de celle-ci, pour conclure que cette exigence était en l’occurrence satisfaite. Après avoir rappelé, en se référant aux considérants 846, 909, 1199 et 1208 de cette décision, que, selon l’expérience, un comportement collusoire de fixation horizontale des prix entraîne notamment des hausses de prix (94), le Tribunal a analysé le caractère prévisible des effets du comportement incriminé, d’une part, sur les prix appliqués par les transporteurs et, d’autre part, sur les prix appliqués par les transitaires. En ce qui concerne, d’une part, les prix appliqués par les transporteurs, le Tribunal a considéré qu’il était prévisible que la fixation horizontale de la surtaxe carburant et de la surtaxe sécurité entraîne l’augmentation du niveau de celles-ci, renforcée par le refus de paiement de commissions, et que cela augmente le prix des services de fret (95). En ce qui concerne, d’autre part, les répercussions du prix des services de fret entrants sur les prix appliqués par les transitaires, il a conclu que le prix des services de fret constituait un intrant pour les transitaires, un coût variable dont l’accroissement a, en principe, pour effet d’augmenter le coût marginal au regard duquel les transitaires définissent leurs propres prix (96), et qu’il était raisonnablement prévisible pour les transporteurs que les transitaires répercutent un tel surcoût sur les expéditeurs (97). Ces éléments suffisaient, selon le Tribunal, pour conclure que l’effet du comportement incriminé relevait du « cours normal des choses » et de la « rationalité économique » (98).

73.      À cet égard, il convient de rappeler que, au point 51 de l’arrêt Intel, la Cour a précisé que, pour que la condition tenant à l’exigence de la prévisibilité des effets soit remplie, il suffisait de tenir compte des effets probables d’un comportement sur la concurrence. En outre, ainsi que l’a relevé l’avocate générale Kokott dans ses conclusions dans l’affaire Kone e.a. (99), sont prévisibles (ou résultent d’une cause adéquate) tous les dommages dont les parties à l’entente doivent raisonnablement savoir, dans les limites de ce qui est généralement connu, qu’ils surviendront, par opposition aux dommages qui procèdent d’un déroulement parfaitement inhabituel de circonstances et, de ce fait, d’un enchaînement atypique de causes. À cet égard, ainsi que l’a jugé la Cour, des pratiques conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels sont particulièrement susceptibles d’affecter la concurrence (100).

74.      Il me semble que ces principes sont applicables en l’espèce, étant donné, notamment, qu’il était extrêmement probable que les augmentations des surtaxes provoquées par l’entente contribuent à l’augmentation des prix des services de fret fournis par les transitaires et que le prix des services de fret, constituant un intrant pour les transitaires, ait pour effet d’augmenter le coût marginal au regard duquel les transitaires définissent leurs propres prix et, en aval, d’augmenter les coûts des expéditeurs et donc les prix appliqués par ceux-ci. D’ailleurs, le fait qu’une partie de l’entente litigieuse visait à coordonner le refus de paiement de commissions de la part des transitaires est indicatif de la propension de ceux-ci à systématiquement répercuter les surtaxes (101).

75.      En conclusion, il ne me semble pas que les requérantes soient parvenues à renverser la présomption résumée au point 59 des présentes conclusions et à démontrer que le comportement incriminé n’était pas susceptible de produire des effets immédiats, substantiels et prévisibles dans le marché intérieur ni que les constatations de la Commission à cet égard soient entachées d’une dénaturation des faits.

b)      Sur le recours à la notion d’« infraction unique et continue » dans son ensemble

76.      En ce qui concerne le troisième motif sur lequel la Commission s’est fondée au considérant 1046 de la décision litigieuse pour démontrer que le critère des effets qualifiés était satisfait également au regard des effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit lorsqu’il a validé les conclusions de la Commission portant, tout d’abord, sur la pertinence de l’examen des effets qualifiés de la coordination relative aux services de fret entrants au regard de l’infraction unique et continue dans son ensemble (1), ensuite, sur la démonstration des effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble (2), et, enfin, sur le recours à la notion atypique d’« entente au niveau mondial » (3).

1)      Sur la pertinence de l’examen des effets qualifiés de la coordination relative aux services de fret entrants au regard de l’infraction unique et continue dans son ensemble

77.      Plusieurs requérantes (102) font valoir que, dans les arrêts attaqués, le Tribunal a jugé que la Commission pouvait fonder, au considérant 1046 de la décision litigieuse, sa compétence extraterritoriale en tenant compte des effets qualifiés de l’infraction unique et continue dans son ensemble et non de chaque comportement pris individuellement, alors que, pour pouvoir établir cette compétence, chaque élément d’une infraction unique et continue devrait être susceptible, pris isolément, de produire de tels effets et de poursuivre la finalité unique de restreindre la concurrence au sein de l’EEE (et donc de pouvoir constituer une violation des dispositions en question) (103). Par ailleurs, un comportement adopté sur des marchés à l’extérieur de l’EEE ne pourrait pas avoir pour objet de restreindre la concurrence à l’intérieur de l’EEE. En outre, le recours, dans le même considérant 1046 de la décision litigieuse, à la notion d’« entente au niveau mondial » pour décrire l’infraction unique et continue n’affecterait pas davantage la qualification juridique du comportement au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE.

78.      Dans les arrêts attaqués, le Tribunal a relevé que, sur la base de la jurisprudence de la Cour, rien n’empêche d’apprécier si la Commission dispose de la compétence nécessaire pour appliquer, dans chaque cas, le droit de la concurrence de l’Union (ou de l’EEE) au comportement des entreprises en cause, pris dans son ensemble, compte tenu de l’infraction unique et continue (104). En l’occurrence, il a relevé que, aux considérants 869 et 1046 de la décision litigieuse, la Commission avait qualifié, pour l’essentiel, le comportement litigieux d’« infraction unique et continue », y compris en tant qu’il concernait les services de fret entrants, et avait examiné les effets de cette infraction prise dans son ensemble, en tant qu’entente mise en œuvre mondialement (105). Ayant confirmé ces constatations par l’analyse du moyen relatif au bien-fondé de l’imputation aux requérantes de la responsabilité de l’infraction unique et continue, le Tribunal a conclu qu’il était prévisible que, prise dans son ensemble, l’infraction unique et continue produise des effets immédiats et substantiels dans le marché intérieur, compte tenu de ce que, ainsi que l’a relevé la Commission, respectivement aux considérants 903, 1209 et 1146 de cette décision, le comportement incriminé avait pour objet de restreindre la concurrence, notamment au sein de l’Union et de l’EEE, et réunissait des transporteurs ayant des parts de marchés importantes et dont une partie significative portait sur des liaisons intra-EEE pendant une période de plus de six années.

79.      À cet égard, il convient d’examiner si, ainsi que le font valoir les requérantes, la notion d’« infraction unique et continue » suppose implicitement que chaque élément constitutif de l’infraction, examiné séparément, constitue une infraction et poursuive la finalité d’entraver la concurrence à l’intérieur de l’EEE ou si, ainsi que l’a jugé le Tribunal, cette notion permet de prendre en considération l’objectif anticoncurrentiel de l’infraction unique et continue considérée dans son ensemble.

80.      Dans l’arrêt Sony, la Cour a conclu – après avoir rappelé les caractéristiques de la notion d’« infraction unique et continue » (106) et précisé qu’une entreprise ayant participé à une telle infraction peut être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de cette infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction, sans que soit nécessaire sa participation directe à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant cette infraction (107) – que, si la notion d’« infraction unique et continue » suppose un ensemble de comportements susceptibles de constituer également, en eux-mêmes, une violation de l’article 101 TFUE (il en va de même pour l’article 53 de l’accord EEE), il ne saurait en être déduit que chacun de ces comportements doive, en lui-même et pris isolément, nécessairement être qualifié d’infraction distincte à ces dispositions (108).

81.      Même si ces principes ont été développés dans le cadre d’un argument tiré de la violation des droits de la défense (109), je ne vois aucune raison justifiant de ne pas les appliquer dans le cadre de l’appréciation de la compétence extraterritoriale de la Commission (110).

82.      En conclusion, il me semble que le Tribunal n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a jugé que la Commission pouvait, à bon droit, fonder sa compétence extraterritoriale au regard des effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble. Il convient ainsi de vérifier si c’est également à juste titre qu’il a jugé que la Commission avait démontré l’existence des effets de cette infraction unique et continue dans le marché intérieur.

2)      Sur la démonstration des effets de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble

83.      Air Canada et SAS Cargo Group (111) soutiennent que l’application du critère des effets qualifiés à l’égard de l’infraction unique et continue de la part de la Commission, entérinée par le Tribunal, serait erronée, car le considérant 1046 de la décision litigieuse ne comporterait aucune analyse de ces effets.

84.      Par ce considérant, la Commission a relevé, en substance, que l’entente avait été mise en œuvre mondialement et que les arrangements de l’entente concernant les liaisons entrantes faisaient partie intégrante de l’infraction unique et continue (112).

85.      À cet égard, il est vrai que ledit considérant ne contient aucune analyse spécifique des effets de l’infraction unique et continue, prise dans son ensemble, sur le marché intérieur, au regard du comportement relatif aux services de fret entrants. Néanmoins, afin de valider la conclusion de la Commission, le Tribunal s’est référé, à nouveau, à d’autres considérants de cette décision, dont il ressort que la Commission a considéré que les comportements en question, tout d’abord, constituaient une restriction de la concurrence par objet (considérant 903 de ladite décision), ensuite, concernaient des transporteurs aux parts de marchés importantes (considérant 1209 de la même décision) et, enfin, portaient, pour une part significative, sur des liaisons intra-EEE et avaient été mis en œuvre pendant une période de plus de six ans (considérant 1146 de la décision litigieuse) (113).

86.      Encore une fois, il convient de relever que l’analyse de la Commission figurant au considérant 1046 de la décision litigieuse ne satisferait pas, par exemple, au niveau de preuve requis pour démontrer l’existence d’une restriction de la concurrence par effet. Toutefois, à la lumière du niveau de preuve défini aux points 51 à 57 des présentes conclusions et compte tenu de ce qui ressort de l’ensemble de la décision litigieuse, j’estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a considéré que la Commission avait apporté la preuve, à tout le moins initiale, des effets qualifiés de l’infraction unique et continue dans son ensemble.

87.      Pour leur part, les requérantes se limitent à contester l’absence d’une analyse des effets concrets du comportement incriminé, sans démontrer que les constatations de la Commission sont entachées d’une dénaturation des faits. En outre, en ce qui concerne l’argument selon lequel, pour pouvoir appliquer l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE, le comportement incriminé doit avoir pour objectif spécifique d’entraver la concurrence dans l’EEE, il suffit de relever que l’entente avait pour but de parvenir à une application uniforme des surtaxes au niveau mondial, afin d’éviter leur contournement par le recours à d’autres liaisons (entrantes), ce qui révèle l’intention de restreindre la concurrence également dans l’EEE (114). Par ailleurs, contrairement à ce que prétendent les requérantes, cette interprétation ne comporte pas à elle seule, à mon avis, le risque de permettre à la Commission d’utiliser la notion d’« infraction unique et continue » pour étendre sa compétence à un comportement adopté n’importe où dans le monde, sans lien avec l’EEE, et d’agir ainsi en tant qu’« arbitre de la concurrence » au niveau mondial. En effet, la Commission est néanmoins tenue de démontrer que ce comportement, poursuivant un objectif commun, est susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels au sein de l’EEE, à la fois au regard du critère (relatif à la compétence) des effets qualifiés et au regard du critère (matériel) de la restriction de la concurrence, par objet ou par effet, à l’intérieur du marché intérieur (115).

88.      Partant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit, à mon avis, lorsqu’il a jugé que la coordination relative aux services de fret entrants n’était pas seulement susceptible de produire des effets qualifiés en tant que telle, mais également dans le contexte de l’infraction unique et continue et de l’objet anticoncurrentiel de cette infraction.

3)      Sur le recours à la notion d’« entente au niveau mondial »

89.      LATAM Airlines Group et Lan Cargo reprochent au Tribunal de ne pas avoir abordé le moyen selon lequel la Commission n’était pas compétente pour constater l’existence d’une « entente au niveau mondial » (116). Le Tribunal aurait considéré que ce moyen partait de la prémisse erronée selon laquelle la Commission aurait constaté, dans le dispositif de la décision litigieuse, une infraction aux règles de concurrence relative aux liaisons entre des aéroports situés à l’extérieur de l’EEE, alors que les requérantes auraient fait valoir que la Commission n’était pas compétente pour effectuer la constatation relative au caractère mondial de l’entente, constatation qui, qu’il s’agisse d’une constatation factuelle ou d’une constatation juridique « sui generis », produirait des effets préjudiciables, étant notamment contraignante pour les juridictions nationales appelées à connaître d’actions civiles en dommages et intérêts concernant cette entente.

90.      À cet égard, je relève que la Commission a précisé, à l’article 1er de la décision litigieuse, que les requérantes avaient commis l’infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, « en coordonnant leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret aérien dans le monde entier ». Dans les motifs de cette décision, la Commission a qualifié ce comportement d’« entente au niveau mondial » (117).

91.      Ainsi que l’a constaté le Tribunal aux points 151 et 358 de l’arrêt LATAM Airlines Group et Lan Cargo, la référence, à l’article 1er de ladite décision, à l’existence d’une coordination « dans le monde entier » (et il en va de même pour les références à l’« entente au niveau mondial » dans les motifs de la même décision) n’est qu’un constat de fait, duquel la Commission a tiré la conclusion de l’existence d’une infraction unique et continue aux dispositions précitées (118). Partant, il ne me semble pas que la Commission ait excédé les limites de sa compétence. Elle s’est limitée à définir le contexte (mondial) de l’entente et en a tiré les conséquences en procédant à des constatations qui relèvent sans aucun doute de sa compétence.

92.      À cet égard, le fait que le Tribunal a considéré, au point 362 de l’arrêt LATAM Airlines Group et Lan Cargo, que l’argumentation des requérantes partait de la prémisse erronée selon laquelle la Commission aurait constaté une infraction aux règles de concurrence qui engloberait les liaisons entre des aéroports situés à l’extérieur de l’EEE n’est que l’indication de ce que, selon le Tribunal, seul le constat juridique d’une infraction des règles de concurrence au niveau mondial – ce qui n’était en l’occurrence pas le cas (s’agissant du simple constat factuel d’une coordination du comportement des requérantes au niveau mondial) – pouvait affecter la compétence de la Commission (119).

93.      Par ailleurs, la possibilité pour la Commission d’opérer des constatations factuelles ne saurait davantage être exclue sur le fondement de l’éventuel effet contraignant ou persuasif de ces constatations sur les décisions des autorités et des juridictions nationales, y compris au titre de l’article 16 du règlement no 1/2003 (120), compte tenu de ce que lesdites constatations n’entraînent pas une application des règles de la concurrence au-delà des compétences de la Commission (121). Il appartiendra à ces autorités ou juridictions d’apprécier la valeur probante qu’elles doivent accorder aux constatations factuelles de la Commission.

94.      En tout état de cause, la question n’est pas de savoir si la Commission pouvait utiliser l’expression « entente au niveau mondial » mais plutôt de vérifier si l’utilisation de ces termes comporte une erreur de droit ou d’appréciation ou encore est la conséquence d’une dénaturation des faits, ce qui n’est pas démontré en l’espèce.

3.      Sur certains vices de nature procédurale des arrêts attaqués

95.      Selon certaines requérantes, en examinant l’appréciation par la Commission de sa compétence extraterritoriale, le Tribunal aurait, tout d’abord, substitué son appréciation à celle, insuffisante, de cette dernière, opérant ainsi une substitution de motifs (a), ensuite, apprécié la légalité de la décision litigieuse sur la base d’éléments postérieurs à celle-ci en violation des droits de la défense des requérantes (b) et, enfin, renversé la charge de la preuve incombant à la Commission en la faisant peser sur les requérantes (c).

a)      Sur la substitution de motifs

96.      Plusieurs requérantes (122) font valoir que le Tribunal aurait substitué sa motivation à celle de la Commission en ce qui concerne l’application du critère des effets qualifiés. Alors que la Commission aurait consacré uniquement le considérant 1045 de la décision litigieuse à l’analyse des effets qualifiés de la coordination relative aux services de fret entrants, se limitant à mentionner en des termes généraux les « effets immédiats, substantiels et prévisibles » de la coordination relative aux services de fret entrants, le Tribunal aurait consacré de très nombreux points des arrêts attaqués à l’application de ce critère, en tenant compte, notamment, de la pertinence et du caractère prévisible, substantiel et immédiat des effets. En outre, il aurait également interprété le considérant 1046 de la décision litigieuse en ce sens que celui-ci se fonderait également sur le critère des effets qualifiés (123). Le Tribunal aurait, en outre, comblé des lacunes de la décision litigieuse en s’appuyant sur des faits nouveaux, notamment en ce qui concerne l’effet sur la concurrence entre les transitaires ainsi que sur les expéditeurs et sur les marchandises, et en se fondant également sur des éléments de preuve tirés de considérants extérieurs à la section de la décision litigieuse relative aux effets qualifiés ou qui ne figuraient pas dans celle-ci. Le Tribunal aurait ainsi substitué son appréciation à celle de la Commission.

97.      À cet égard, il est vrai que, ainsi que je l’ai relevé aux points 58 et 85 des présentes conclusions, l’examen par la Commission de sa propre compétence extraterritoriale figurant aux considérants 1045 et 1046 de la décision litigieuse est particulièrement succinct, tandis que le Tribunal a consacré plusieurs points à l’analyse de ce critère dans les arrêts attaqués, déployant un effort considérable pour expliquer et détailler, face aux arguments des parties, le bien-fondé du raisonnement relativement simpliste de la Commission. Toutefois, avant de pouvoir conclure à une substitution de motifs, il convient de vérifier, tout d’abord, dans quelle mesure la Commission était tenue de motiver sa propre compétence extraterritoriale dans la décision litigieuse, ensuite, si la motivation de cette décision concernant la compétence extraterritoriale peut être considérée comme étant adéquate et, enfin, si la longueur des arrêts attaqués sur ce point peut être justifiée par la nécessité pour le Tribunal de répondre aux arguments des requérantes.

98.      Tout d’abord, il me semble vraisemblable que, ainsi que l’a souligné la Commission dans le cadre des présentes affaires, la section 5.3.8 de la décision litigieuse, concernant l’applicabilité de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE aux liaisons entrantes (et donc la compétence extraterritoriale de la Commission), a été introduite en réponse aux arguments des parties contestant la compétence de cette institution en ce qui concerne ces liaisons. En effet, aucune section de cette décision ne porte sur la compétence de la Commission au regard des liaisons intra-EEE et des liaisons sortantes, qui n’a pas fait l’objet de contestation. D’ailleurs, je ne considère pas que la Commission, lorsqu’elle adopte une décision, soit en principe tenue de motiver systématiquement sa propre compétence, indépendamment des arguments soulevés par les parties au cours de la procédure administrative.

99.      Ensuite, d’une part, je relève que, dans les arrêts attaqués, le Tribunal a entériné la conclusion de la Commission énoncée au considérant 1045 de la décision litigieuse consistant, ainsi que je l’ai indiqué au point 59 des présentes conclusions, en une présomption, s’appuyant également sur des éléments de contexte qui, certes, ne sont pas mentionnés à ce considérant, mais qui ressortent néanmoins de l’analyse effectuée par la Commission dans d’autres passages de cette décision. D’autre part, il me semble que, par le considérant 1046 de ladite décision, la Commission a simplement lié sa compétence extraterritoriale à sa compétence générale pour constater et sanctionner l’infraction unique et continue en question. À cet égard, ainsi que je l’ai relevé aux points 83 à 87 des présentes conclusions, le Tribunal a simplement validé cette analyse en s’appuyant sur des considérants ultérieurs de la même décision.

100. À mon sens, dans la mesure où la décision litigieuse, considérée dans son ensemble, contient des éléments qui démontrent que le comportement relatif aux services de fret entrants était susceptible d’avoir des effets qualifiés sur le marché intérieur, conformément au niveau de preuve défini aux points 51 à 57 des présentes conclusions, cette constatation permet en soi de conclure que les motifs de cette décision suffisent à soutenir la conclusion de la Commission. En effet, il ressort des points 58 à 75 des présentes conclusions que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a considéré que l’examen de l’existence d’effets qualifiés par la Commission suffisait à étayer sa conclusion sur cet aspect.

101. Enfin, dans ces circonstances, le déséquilibre entre l’explication très sommaire de la Commission figurant dans la décision litigieuse et les longs développements consacrés à ce même élément par le Tribunal dans les arrêts attaqués pourrait bien s’expliquer par la nécessité, pour le Tribunal, de répondre aux arguments avancés par les requérantes (124).

b)      Sur la violation des droits de la défense

102. Air Canada, Cargolux et SAS Cargo Group reprochent au Tribunal d’avoir apprécié la légalité de la décision litigieuse sur la base d’éléments postérieurs à la communication des griefs (125) ou à cette décision (126). Le Tribunal aurait fondé la compétence de la Commission sur le critère des effets qualifiés, qui n’aurait pas figuré dans la communication des griefs ni dans la décision litigieuse, et aurait ainsi violé leurs droits de la défense (127).

103. À cet égard, le règlement no 1/2003 prévoit que la Commission adresse à une entreprise à laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence une communication des griefs qui contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que ladite entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative engagée à son égard (128).

104. S’il est loisible à la Commission de préciser dans sa décision finale une qualification juridique des faits qu’elle a retenue, à titre provisoire, dans la communication des griefs, en tenant compte des éléments résultant de la procédure administrative, soit pour abandonner des griefs qui se seraient révélés mal fondés, soit pour aménager et compléter tant en fait qu’en droit son argumentation à l’appui des griefs qu’elle retient, cela implique qu’elle doit énoncer dans la communication des griefs toute qualification juridique des faits qu’elle envisage de retenir dans sa décision finale (129).

105. Il en résulte que les droits de la défense de l’entreprise concernée ne sont violés en raison d’une discordance entre la communication des griefs et la décision finale qu’à la condition qu’un grief retenu dans cette dernière n’ait pas été exposé dans la communication des griefs ou n’y ait pas été exposé d’une manière suffisante pour permettre aux destinataires de cette communication de faire valoir utilement leurs arguments dans le cadre de la procédure engagée à leur égard (130).

106. À cet égard, j’estime que, dans la mesure où la communication des griefs précisait que l’infraction unique et continue contestée par la Commission couvrait des liaisons avec des pays tiers, les requérantes ont pu faire valoir utilement leurs arguments à ce sujet.

107. Quant à la décision litigieuse, Air Canada et Cargolux font valoir que le raisonnement et l’interprétation approfondis et détaillés du Tribunal portant sur l’application du critère des effets qualifiés ne faisaient pas partie de cette décision (131). Toutefois, ainsi qu’il ressort de l’analyse qui précède, il convient de relever que la décision litigieuse se réfère explicitement, notamment à son considérant 1045, aux effets immédiats, substantiels et prévisibles du comportement incriminé dans le marché intérieur, ce qui a donné l’occasion à ces requérantes d’avancer devant le Tribunal des moyens ou griefs bien détaillés (132).

c)      Sur le renversement de la charge de la preuve

108. Certaines requérantes (133) reprochent au Tribunal d’avoir rejeté le moyen tiré de l’absence d’effets qualifiés de l’infraction, au motif qu’elles n’avaient pas réfuté l’existence de ces effets, que la Commission n’avait toutefois pas établis (134). Ainsi, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve qui incombait à la Commission en la faisant peser sur les requérantes (135).

109. À cet égard, je relève que, selon une jurisprudence constante de la Cour, si la charge légale de la preuve incombe à la Commission lorsqu’elle allègue une violation des règles de la concurrence, les éléments factuels qu’elle invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la charge de la preuve a été satisfaite (136).

110. À mon avis, l’argument en question est subordonné à celui concernant la démonstration de l’existence d’effets qualifiés en ce sens que, si c’est à juste titre que le Tribunal a constaté dans les arrêts attaqués que le raisonnement de la Commission dans la décision litigieuse relatif aux effets qualifiés du comportement incriminé sur le marché intérieur était correct (137), il est raisonnable de conclure que la Commission avait satisfait à sa charge (initiale) de la preuve et qu’il incombait aux parties d’apporter des éléments propres à remettre en question les appréciations de la Commission, en démontrant que la décision litigieuse était entachée d’erreurs de droit sur ce point.

111. Partant, je considère que, en rejetant les arguments des parties à cet égard, le Tribunal n’a pas opéré un renversement de la charge de la preuve, mais a simplement constaté leur incapacité à apporter la preuve contraire.

112. En conclusion, j’estime que le Tribunal n’a pas commis d’erreurs en droit lorsqu’il a établi la compétence de la Commission pour constater et sanctionner une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE concernant les services de fret entrants.

B.      Sur les moyens relatifs au bien-fondé de la décision litigieuse

113. Certaines requérantes soulèvent des moyens concernant, respectivement : la participation à l’infraction unique et continue (1), l’annulation seulement partielle de la décision litigieuse à l’égard de LATAM Airlines Group et Lan Cargo (2) et la prescription du pouvoir de sanction de la Commission en ce qui concerne Air Canada et Singapore Airlines (3).

1.      Sur la participation à l’infraction unique et continue

114. Par les moyens analysés ci-après, certaines requérantes contestent, sous des angles différents, leur participation à l’infraction unique et continue sanctionnée par la Commission. Il s’agit de la responsabilité d’Air Canada pour des liaisons qu’elle n’avait jamais exploitées ou qu’elle n’aurait pas pu légalement exploiter, à savoir les liaisons intra-EEE et Union-Suisse (ci-après les « liaisons non pertinentes ») (a), la violation du principe d’égalité de traitement en ce qui concerne Cargolux (b), la responsabilité pour la surtaxe sécurité en ce qui concerne également Cargolux (c), ainsi que des erreurs dans l’appréciation des preuves en ce qui concerne Cathay Pacific Airways (d).

a)      Sur la responsabilité d’Air Canada pour des liaisons non pertinentes

115. Par son deuxième moyen, Air Canada fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit lorsqu’il a constaté sa responsabilité pour les liaisons non pertinentes.

116. Dans la décision litigieuse, la Commission a rejeté les arguments de certaines parties concernant la pertinence des contacts relatifs aux liaisons non pertinentes en se fondant, en substance, sur la notion d’« infraction unique et continue ». Plus particulièrement, la Commission a conclu, premièrement, que « tous les contacts portaient sur des surtaxes [...], avaient eu lieu en parallèle [...] et concernaient en grande partie les mêmes transporteurs » (considérant 888), deuxièmement, que « les surtaxes [étaient] des mesures d’application générale qui [n’étaient] pas spécifiques à une liaison » (considérant 889) et, troisièmement, que « les contacts concernant des liaisons que les transporteurs n’avaient jamais exploitées ou qu’ils n’auraient pas pu légalement exploiter [étaient] pertinents pour établir l’existence de l’infraction unique et continue, étant donné qu’aucune barrière insurmontable n’empêchait les parties de fournir des services de fret aérien sur ces liaisons » (considérant 890) (138).

117. Dans l’arrêt Air Canada, le Tribunal a rejeté l’argument de la requérante tiré de ce qu’elle aurait démontré qu’elle avait fait face à des « barrières insurmontables » qui l’auraient empêchée de fournir des services de fret aérien sur les liaisons non pertinentes (139).

118. La requérante, estimant que le Tribunal aurait rejeté, en se fondant sur une prémisse erronée, cet argument au motif que la qualité de concurrent potentiel n’était pas une condition pour imputer à la requérante la responsabilité en ce qui concerne ces liaisons, soulève quatre griefs.

119. Premièrement, aux points 376 à 379 de l’arrêt Air Canada, le Tribunal, focalisant sa réponse uniquement sur la question relative à la qualité de concurrent potentiel, aurait opéré une substitution de motifs. À cet égard, je relève que, dans les points en question, le Tribunal a simplement relevé que la qualité de concurrent potentiel, mise en exergue par la Commission au considérant 890 de la décision litigieuse, n’était pas un élément décisif au regard des autres éléments examinés dans cette décision, et notamment de l’objectif anticoncurrentiel commun, ainsi que de la participation de la requérante à la concertation relative aux liaisons non pertinentes et de la connaissance que celle-ci avait des activités relatives à ces liaisons auxquelles elle n’avait pas directement participé. Ainsi, il ne me semble pas que le Tribunal ait substitué son appréciation à celle de la Commission.

120. Deuxièmement, le Tribunal aurait violé ses droits de la défense car il se serait fondé, aux points 364 à 377 de l’arrêt Air Canada, sur une jurisprudence et une argumentation qui ne figuraient pas dans la décision litigieuse. À cet égard, je relève que, dans ces passages, le Tribunal s’est limité à évoquer les principes applicables en matière de restriction de la concurrence par objet dans le contexte d’une infraction unique et continue sans violer les droits de la défense de la requérante (140).

121. Troisièmement, le Tribunal aurait violé l’obligation de motivation, en n’expliquant pas la pertinence de la jurisprudence citée pour parvenir à la conclusion tirée au point 377 de l’arrêt Air Canada. À cet égard, il suffit de relever que, dans le passage de cet arrêt, le Tribunal s’est limité à résumer, sur la base de la même jurisprudence citée aux points 364 à 376 dudit arrêt, les conditions dans lesquelles la Commission pouvait tenir la requérante pour responsable d’une infraction unique et continue en ce qui concerne les liaisons non pertinentes. Or, ce résumé ne constitue pas la motivation de son appréciation relative à la responsabilité de la requérante, celle-ci étant effectuée par la suite, à savoir aux points 378 à 385 du même arrêt.

122. Quatrièmement, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant que ladite jurisprudence permettait d’étayer la conclusion selon laquelle l’existence d’un rapport de concurrence, à tout le moins potentielle, entre les transporteurs, qui est implicitement évoquée au considérant 890 de la décision litigieuse, n’était pas une condition pour imputer à la requérante la responsabilité pour l’infraction unique et continue en cause. Or, il me semble que, par ce grief, la requérante conteste, sans remettre en question les deux premiers motifs par lesquels la Commission a tenu compte des contacts relatifs aux liaisons non pertinentes (considérants 888 et 889 de la décision litigieuse), l’appréciation du Tribunal concernant le troisième motif (considérant 890 de cette décision), en faisant valoir que, contrairement à ce qu’avait considéré la Commission, il existait des « barrières insurmontables » l’empêchant de fournir des services sur ces liaisons (et donc d’être qualifiée de « concurrent potentiel »). À cet égard, les positions des parties divergent sur la question de savoir si les trois motifs sur lesquels la Commission s’est fondée, aux considérants 888 à 890 de la décision litigieuse, sont cumulatifs, comme le soutient Air Canada, ou s’ils sont, à l’inverse, alternatifs, comme l’affirme la Commission dans ses écritures.

123. À mon avis, la Commission s’est limitée, aux considérants 888 à 890 de la décision litigieuse, à énumérer les différents éléments sur le fondement desquels elle a fait découler, en l’espèce, la responsabilité des parties ayant invoqué l’argument litigieux. D’ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, ainsi que l’a résumé le Tribunal au point 377 de l’arrêt Air Canada, l’imputation de la responsabilité à une entreprise dans le cadre d’une infraction unique et continue dépend principalement de deux éléments, à savoir, d’une part, le fait que celle-ci entendait contribuer par son comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et, d’autre part, qu’elle avait eu connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque (141). À cet égard, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 379 de l’arrêt Air Canada, la qualité de concurrent (potentiel) n’est pas un élément décisif aux fins de l’imputation de la responsabilité.

124. Partant, s’il est vrai que l’argument tiré de l’absence de « barrières insurmontables » à la fourniture de services de fret aérien sur les liaisons non pertinentes faisait partie des éléments sur la base desquels la Commission a retenu la responsabilité de la requérante pour le comportement adopté sur ces liaisons, cet élément n’était pas décisif à cet égard. Il me semble donc que le Tribunal n’a pas commis d’erreurs de droit lorsqu’il a entériné, aux points 380 à 385 de l’arrêt Air Canada, la conclusion de la Commission reconnaissant la responsabilité de la requérante au motif que, d’une part, elle avait participé à la concertation relative aux liaisons non pertinentes et que, d’autre part, elle avait connaissance des activités anticoncurrentielles relatives à ces liaisons auxquelles elle n’avait pas directement participé.

b)      Sur la violation du principe d’égalité de traitement en ce qui concerne Cargolux

125. Par la deuxième branche de son quatrième moyen, Cargolux  fait valoir que le Tribunal a violé le principe d’égalité de traitement (142) en ce que, d’une part, il a exclu l’implication de British Airways dans le volet de l’infraction relatif au refus de paiement de commissions et réduit l’amende à l’égard de ce dernier et non celle de Cargolux, en dépit de l’existence d’éléments de preuve similaires et, d’autre part, il a réduit l’amende infligée à SAS Cargo Group compte tenu de la participation limitée de celle-ci dans le volet de l’infraction relatif au refus de paiement de commissions de cette dernière et non celle de Cargolux, malgré la durée similaire du comportement litigieux.

126. S’agissant de la prétendue violation du principe d’égalité de traitement de Cargolux par rapport à British Airways, tout d’abord, il suffit de constater que, selon une jurisprudence constante de la Cour, une décision constatant l’existence d’une entente constitue un faisceau de décisions adressées à ses destinataires individuels, la validité d’une de ces décisions n’affectant pas celle des autres (143). Par ailleurs, il est également de jurisprudence constante que le principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect de la légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (144). Ensuite, ainsi que le fait valoir la Commission, ce n’est pas le nombre d’éléments de preuve pris en considération pour démontrer la participation qui importe, mais le point de savoir si le faisceau d’indices que cette institution invoque, apprécié globalement, est suffisamment précis et concordant pour fonder la ferme conviction que l’entreprise a participé à l’infraction unique et continue (145). Enfin, les éléments de preuve en l’espèce concernent la participation des différents transporteurs à l’infraction unique et continue. Ces éléments doivent donc être examinés par la Commission au regard de la situation spécifique de chaque transporteur et ne sauraient avoir une interprétation univoque indépendamment de leur contexte (146). Il convient donc de rejeter cet argument.

127. S’agissant de la prétendue violation du principe d’égalité de traitement de Cargolux par rapport à SAS Cargo Group, il suffit de relever que, si le Tribunal est notamment tenu, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, au respect de l’obligation de motivation ainsi que du principe d’égalité de traitement (147), en l’espèce, il a exposé à suffisance de droit les éléments qu’il a retenus pour déterminer l’amende à infliger à Cargolux (148). Dès lors qu’il n’a été saisi, dans l’affaire en question, au regard de la décision litigieuse qu’en ce qu’elle concerne Cargolux, il ne saurait être considéré comme étant tenu de prendre en compte la situation d’autres entreprises faisant l’objet de cette décision, d’autant plus que, ainsi qu’il ressort de l’arrêt Cargolux Airlines, la requérante n’a pas fait valoir devant le Tribunal d’argument fondé sur l’inégalité de traitement.

c)      Sur la responsabilité de Cargolux pour la surtaxe sécurité

128. Par la troisième branche de son quatrième moyen, Cargolux fait valoir que le Tribunal aurait jugé à tort que la Commission était fondée à considérer qu’elle avait continué à participer à la composante de l’infraction unique et continue relative à la surtaxe sécurité pendant les périodes au cours desquelles il était incontesté que rien ne prouvait l’existence de contacts impliquant celle-ci (ci-après les « périodes de lacune »).

129. Dans l’arrêt Cargolux Airlines, le Tribunal a, en effet, reconnu que la décision litigieuse faisait ressortir un « vide » dans les pièces censées attester de la participation en question (point 467) (149). Cela étant, le Tribunal a conclu, en se reposant sur les circonstances de l’espèce (points 473 à 476), que la Commission était fondée à relever que la participation de la requérante à la composante de l’infraction unique et continue tenant à la surtaxe sécurité avait continué au cours de ces périodes (point 477). La pertinence de toutes ces circonstances est contestée par la requérante à l’appui d’arguments qui, toutefois, n’emportent pas ma conviction.

130. À titre liminaire, je constate que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il convient de rappeler que le fait que la preuve de l’existence d’un accord ou, tout au moins, de sa mise en œuvre par une entreprise n’a pas été rapportée pour certaines périodes déterminées ne fait pas obstacle à ce que l’infraction soit regardée comme constituée durant une période globale plus étendue que celles-ci, dès lors qu’une telle constatation repose sur des indices objectifs et concordants. Dans le cadre d’une infraction s’étendant sur plusieurs années, le fait que les manifestations de l’entente interviennent à des périodes différentes, pouvant être séparées par des laps de temps plus ou moins longs, demeure sans incidence sur l’existence de cette entente, pour autant que les différentes actions qui font partie de cette infraction poursuivent une seule finalité et s’inscrivent dans le cadre d’une infraction à caractère unique et continu (150).

131. S’agissant des arguments invoqués par la requérante, premièrement, celle-ci réfute la constatation du Tribunal, opérée au point 473 de l’arrêt Cargolux Airlines, selon laquelle la surtaxe carburant (pour laquelle la participation de la requérante s’était maintenue pendant toute la période pertinente) et la surtaxe sécurité s’inscrivaient dans une seule et même infraction poursuivant un objectif unique, en reprenant les arguments soulevés dans le cadre de la deuxième branche du troisième moyen du pourvoi, qui ne sont pas examinés dans le cadre des présentes conclusions ciblées (151).

132. Deuxièmement, la requérante conteste la conclusion du Tribunal, énoncée au point 474 de l’arrêt Cargolux Airlines, selon laquelle la mise en œuvre de la surtaxe sécurité exigeait des contacts significativement moins fréquents que la mise en œuvre de la surtaxe carburant, n’étant pas fondée sur un indice dont l’évolution nécessitait des ajustements réguliers. Ce faisant, elle critique des appréciations factuelles du Tribunal, sans démontrer aucune dénaturation des faits ou des éléments de preuve.

133. Troisièmement, la requérante fait valoir que le Tribunal aurait, au point 475 de l’arrêt Cargolux Airlines, renversé la charge de la preuve lorsqu’il a jugé qu’elle n’avait pas contesté que les effets de la coordination relative à la surtaxe sécurité avaient perduré pendant les périodes de lacune, ni allégué avoir ignoré que les autres transporteurs incriminés continuaient de se coordonner au sujet de la surtaxe sécurité pendant cette période. Il me semble toutefois que, par ces observations, le Tribunal a simplement voulu faire remarquer que, une fois que la Commission a établi, conformément à la charge de la preuve qui lui appartient, que la surtaxe sécurité avait produit ses effets jusqu’à la fin de la période pertinente et que, pendant cette période, des contacts entre les transporteurs avaient eu lieu, il incombait à la requérante d’apporter éventuellement la preuve contraire.

134. Quatrièmement, la requérante conteste l’argument, figurant au point 476 de l’arrêt Cargolux Airlines, selon lequel elle n’avait pas établi ni même allégué qu’elle s’était distanciée publiquement de la coordination relative à la surtaxe sécurité durant les périodes de lacune ou démontré qu’elle avait repris un comportement de concurrence loyale et indépendant sur le marché en cause pendant ces périodes. Toutefois, elle ne fournit pas d’éléments dont il ressortirait que cette constatation est entachée d’une dénaturation des faits. Par ailleurs, cet argument me semble inopérant, étant donné que cette absence de distanciation publique n’est pas le seul élément sur lequel le Tribunal a fondé sa conclusion (152).

135. Je propose donc d’écarter la branche du moyen en question.

d)      Sur les erreurs dans l’appréciation des preuves en ce qui concerne Cathay Pacific Airways

136. Par ses quatrième et cinquième moyens, Cathay Pacific Airways fait valoir, notamment, que le Tribunal a commis une erreur de droit en acceptant des éléments de preuve relatifs au comportement adopté avant la période infractionnelle ou échappant à la compétence géographique de la Commission, pour étayer sa conclusion selon laquelle la requérante avait participé à l’infraction unique et continue (153). En substance, l’argument principal de la requérante est tiré de ce que le Tribunal a entériné les éléments de preuve retenus par la Commission sans expliquer s’il a jugé ces éléments de preuve en tant qu’éléments de « corroboration » d’autres éléments de preuve (directs) ou s’il les a traité comme des preuves directes de la participation de la requérante à l’infraction unique et continue (154).

137. À cet égard, dans l’arrêt Cathay Pacific Airways, le Tribunal s’est penché, en examinant le premier grief de la troisième branche du troisième moyen, tiré d’erreurs dans l’imputation à la requérante de l’infraction unique et continue, sur la prise en compte, notamment, de contacts antérieurs à la période infractionnelle et en dehors de la compétence géographique de la Commission (155).

138. S’agissant, en premier lieu, des contacts antérieurs à la période infractionnelle, d’une part, le Tribunal a relevé que plusieurs des contacts contestés par la requérante portaient sur des liaisons qui relevaient de sa compétence (points 315 à 321). D’autre part, il a considéré que les contacts contestés restants, bien qu’intervenus dans des pays tiers ou impliquant des employés locaux des transporteurs incriminés dans ces pays, pouvaient être néanmoins pertinents (point 322) (156) et que, en substance, l’appréciation de ces contacts n’était pas décisive aux fins de la solution adoptée (point 323). Ce n’est que dans ce contexte que le Tribunal a vérifié, en substance, la pertinence de ces contacts par rapport à l’infraction unique et continue en question (points 325 à 327) (157) et a conclu que la requérante était restée « en défaut de soutenir que ces contacts ne corroboraient pas l’interprétation d’autres éléments de preuve » et qu’il n’était pas allégué qu’« ils échappaient à la compétence de la Commission ». Il a précisé que la quarantaine de contacts contestés par la requérante comptaient parmi les près de 90 contacts litigieux que la Commission avait examinés dans la décision litigieuse (point 328).

139. S’agissant, en second lieu, des contacts existant en dehors de la compétence géographique de la Commission, le Tribunal a précisé, de manière similaire, d’une part, que, dans la mesure où ces contacts visaient les liaisons au départ de la Suisse sans distinction, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir considéré qu’ils concernaient également les liaisons Union-Suisse (point 332) et, d’autre part, que lesdits contacts tendaient également à corroborer les près de 90 contacts retenus par la Commission pour établir la participation de la requérante à l’infraction unique et continue (points 333 et 334).

140. À cet égard, il convient de rappeler que le principe qui prévaut en droit de l’Union en ce qui concerne la force probante des éléments de preuve est celui de la libre administration des preuves et que le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (158). Si c’est à la Commission qu’il incombe de réunir des éléments de preuve suffisamment précis et concordants pour fonder la conviction que l’infraction a été commise, chacune des preuves apportées ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par la Commission, apprécié globalement, réponde à cette exigence (159).

141. En l’occurrence, j’estime que le Tribunal n’était pas tenu de spécifier la nature de preuve directe ou d’élément corroborant de chaque élément de preuve examiné dans l’arrêt Cathay Pacific Airways, dans la mesure où les éléments de preuve examinés suffisaient à fonder la conviction que l’infraction a été commise, selon le principe de la libre administration des preuves évoqué au point précédent des présentes conclusions.

142. En effet, dans l’arrêt Cathay Pacific Airways, le Tribunal a, d’une part, évoqué la pertinence de certains des éléments de preuve contestés par la requérante (points 315 à 321), ce qui n’est pas remis en cause par cette dernière dans le cadre des arguments examinés et a, d’autre part, expliqué que les autres éléments de preuve contestés par la requérante pouvaient être pertinents (points 322 et 332), tout en précisant que, en tout état de cause, ces contacts pouvaient être utiles afin de « corroborer » les autres éléments de preuve, compte tenu de ce que lesdits contacts n’étaient qu’une partie des près de 90 contacts sur lesquels la Commission s’était appuyée dans la décision litigieuse (points 328 et 333).

143. La qualification de contacts visant à « corroborer » les autres éléments de preuve a donc été effectuée par le Tribunal à titre subsidiaire et à l’égard d’une partie des contacts litigieux, ce qui n’est pas remis en cause par les arguments invoqués par la requérante.

144. Partant, dans les circonstances de l’espèce, j’estime que le Tribunal n’était pas tenu de qualifier la valeur probante de chacun de ces éléments aux fins d’entériner l’appréciation de la Commission quant à la pertinence de ces contacts et qu’il convient de rejeter les arguments de la requérante.

2.      Sur l’annulation (seulement) partielle de la décision litigieuse en ce qui concerne LATAM Airlines Group et Lan Cargo

145. Par leur premier moyen, LATAM Airlines Group et Lan Cargo font valoir que c’est à tort que le Tribunal, après avoir exclu la responsabilité des requérantes pour les composantes de l’infraction unique et continue tenant à la surtaxe sécurité et au refus de paiement de commissions, a procédé à l’annulation seulement partielle de la décision litigieuse car, selon elles, ces composantes ne seraient pas séparables de l’autre composante de l’infraction unique et continue, à savoir la surtaxe carburant. Plus particulièrement, le Tribunal n’aurait pas motivé le caractère séparable de ces composantes, et aurait renversé, en la faisant peser sur les requérantes, la charge de la preuve quant à leur absence de responsabilité pour la surtaxe carburant. En tout état de cause, il aurait commis une erreur quant au caractère séparable des composantes.

146. À cet égard, la Cour a déjà jugé, en substance, que, dans le cadre d’une infraction unique et continue, la Commission n’est en droit d’imputer à une entreprise la responsabilité que des seuls comportements auxquels elle a directement participé et des comportements envisagés ou mis en œuvre par les autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs que ceux qu’elle poursuivait et dont il est prouvé qu’elle avait connaissance ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque. La Cour a précisé, toutefois, que cela ne saurait conduire à exonérer cette entreprise de sa responsabilité pour les comportements dont il est constant qu’elle y a pris part ou dont elle peut effectivement être tenue pour responsable (160). Il n’est cependant envisageable de diviser de la sorte une décision de la Commission qualifiant une entente globale d’infraction unique et continue que si, d’une part, ladite entreprise a été mise en mesure, au cours de la procédure administrative, de comprendre qu’il lui était également reproché chacun des comportements la composant, et donc de se défendre sur ce point, et si, d’autre part, ladite décision est suffisamment claire à cet égard (161).

147. Or, ainsi que le relève la Commission dans ses observations écrites, ces deux dernières conditions ne sont pas contestées en l’espèce, la communication des griefs et la décision litigieuse exposant clairement que les requérantes avaient participé à chacune des composantes de l’infraction unique et continue.

148. Cela étant, les requérantes font valoir que, en l’occurrence, la surtaxe sécurité et le refus de paiement de commissions n’étaient pas séparables de la surtaxe carburant, s’agissant de « composantes équivalentes » de l’infraction unique et continue entre lesquelles la Commission n’aurait établi, dans la décision litigieuse, aucune hiérarchie (162). Celle-ci aurait d’ailleurs elle-même reconnu que les deux composantes en question n’étaient pas séparables lorsqu’elle a conclu, au considérant 863 de cette décision, qu’« il serait artificiel de vouloir subdiviser un tel comportement continu, caractérisé par une seule finalité, en y voyant plusieurs infractions distinctes, alors qu’il s’agissait d’une infraction unique se manifestant progressivement sous la forme tant d’accords que de pratiques concertées » (163).

149. Je relève que, comme le souligne la Commission dans ses observations écrites, la nécessité de démontrer que les éléments dont l’annulation partielle est demandée sont « séparables » du reste de l’acte n’implique pas que ces éléments doivent être nécessairement qualifiés d’« accessoires » (164). La question est donc de savoir si le comportement relatif à la surtaxe carburant, pour lequel la responsabilité des requérantes a été retenue par le Tribunal, est « séparable » du comportement relatif à la surtaxe sécurité, pour lequel la responsabilité des requérantes a été exclue par celui-ci.

150. En outre, il ne me semble pas que l’expression employée par la Commission au considérant 863 de la décision litigieuse, selon laquelle « il serait artificiel de vouloir subdiviser un tel comportement continu [...] en le traitant comme s’il était constitué d’infractions distinctes », soit décisive quant à la qualification de l’infraction en question. En effet, par cette expression, la Commission a voulu préciser les contours de la notion d’« infraction unique et continue » telle qu’appliquée aux différentes pratiques adoptées par les parties et poursuivant le même objectif anticoncurrentiel, qu’il s’agisse ou non des infractions distinctes, ainsi qu’elle le précise clairement au considérant 862 de cette décision (165). D’ailleurs, comme l’a rappelé la Commission au cours de la procédure devant la Cour, tout constat d’une infraction unique et continue repose sur la prémisse qu’il serait artificiel d’en dissocier les différentes composantes.

151. Néanmoins, s’il est vrai que, dans la communication des griefs et dans la décision litigieuse, la Commission a démontré que les requérantes avaient participé à la composante de l’infraction unique et continue relative à la surtaxe carburant (166) (ce qui n’est pas contesté dans le cadre du moyen examiné), il est également vrai que, dans cette décision, la Commission n’a pas précisé que la coordination relative à la surtaxe carburant, pour laquelle la responsabilité des requérantes a été retenue, ne constituait pas seulement une composante de l’infraction unique et continue, mais également une infraction distincte.

152. Dans l’arrêt LATAM Airlines Group et Lan Cargo, le Tribunal a annulé la décision litigieuse en ce qu’elle imputait aux requérantes les composantes de l’infraction unique et continue tenant à la surtaxe sécurité et au refus de paiement de commissions, mais il a jugé qu’il n’y avait pas lieu d’annuler l’intégralité de la décision litigieuse, car les requérantes n’avaient pas démontré que la Commission avait commis une erreur de droit en constatant qu’elles avaient participé à ladite infraction (167). Or, le Tribunal ne donne aucune explication quant à la question de savoir si le comportement relatif à la surtaxe carburant constituait une infraction séparée du comportement relatif à la surtaxe sécurité et du refus de paiement de commissions.

153. Toutefois, si l’on se concentre sur la substance de l’appréciation opérée par la Commission, il ressort de l’ensemble de la décision litigieuse que les pratiques concernant chacune des composantes de l’infraction unique et continue ont été considérées, par cette institution, comme étant des infractions à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE. Par exemple, au considérant 846 de cette décision, la Commission a expliqué que les destinataires de celle-ci avaient entretenu des contacts bilatéraux et multilatéraux dans le cadre desquels ils avaient coordonné leur comportement ou influencé la tarification, ce qui revenait en définitive à une fixation de prix en rapport avec la surtaxe carburant, la surtaxe sécurité et le refus de paiement de commissions. Il ressort ainsi clairement de ce passage que le comportement incriminé, qualifié de « fixation de prix », et donc implicitement d’infraction aux dispositions citées, était constitué des trois éléments de l’infraction unique et continue. Je doute qu’aucune des parties concernées n’ait eu conscience que son comportement à l’égard de chacune des composantes de l’infraction ou, à tout le moins, la coordination relative aux deux surtaxes (168) constituaient, en soi, une « fixation de prix » et donc une infraction aux dispositions mentionnées ci-dessus (169).

154. Il me semble donc que le Tribunal n’était pas tenu de motiver explicitement sa position sur la question de savoir si la surtaxe carburant était une « infraction » tout court, dès lors que les requérantes avaient été mises en mesure, au cours de la procédure administrative, de comprendre qu’il leur était également reproché chacun des comportements séparés composant l’infraction unique et continue et, par conséquent, de se défendre sur ce point, et que la décision litigieuse était suffisamment claire à cet égard (170).

155. S’agissant, enfin, de l’argument des requérantes tiré du renversement de la charge de la preuve, il suffit de relever que, au point 632 de l’arrêt LATAM Airlines Group et Lan Cargo, contesté par les requérantes, le Tribunal, lorsqu’il relève que les requérantes « n’[avaient] pas démontré que la Commission avait commis une erreur de droit en constatant qu’elles avaient participé à ladite infraction », renvoie au point 581 de cet arrêt qui conclut sa précédente analyse concernant la participation des requérantes à la composante de l’infraction unique et continue tenant à la surtaxe carburant à partir du 22 juillet 2005, ainsi que relevé au point 580 dudit arrêt. Partant, c’est après avoir jugé que la Commission avait apporté la preuve de cette participation que le Tribunal a ajouté que les requérantes n’avaient pas fourni la preuve contraire. Ce faisant, il n’a pas opéré un renversement de la charge de la preuve mais a simplement constaté que, face aux éléments de preuve apportés par la Commission, les requérantes n’avaient pas fourni la preuve contraire.

3.      Sur la prescription du pouvoir de sanction de la Commission en ce qui concerne Air Canada et Singapore Airlines

156. Par leurs troisième et quatrième moyens respectifs, Air Canada et Singapore Airlines font valoir que le Tribunal aurait dû constater d’office que le pouvoir de sanction à l’égard de leurs comportements concernant les liaisons intra-EEE et Union-Suisse était prescrit à compter du 14 février 2016 (171), ainsi qu’il l’a fait, à la demande des parties à la procédure, à l’égard de Japan Airlines, Cathay Pacific Airways et LATAM Airlines Group (172). En effet, le moyen tiré de la prescription du pouvoir de sanction de la Commission au titre de l’article 25 du règlement no 1/2003 serait un moyen d’ordre public en vertu de plusieurs principes fondamentaux (173).

157. À titre liminaire, je rappelle que, ainsi que l’ont relevé certains avocats généraux (174), un moyen est d’ordre public lorsque, d’une part, la règle violée vise à servir un objectif fondamental ou une valeur fondamentale de l’ordre juridique de l’Union et joue un rôle significatif dans la réalisation de cet objectif ou de cette valeur et que, d’autre part, cette règle a été fixée dans l’intérêt des tiers ou de la collectivité en général, et non pas simplement dans l’intérêt des personnes directement concernées.

158. Si, à ce jour, le juge de l’Union ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si le Tribunal est compétent pour soulever d’office un moyen tiré de la prescription d’une décision d’infliger une amende pour la violation du droit de la concurrence, je propose de répondre à cette question par la négative. En effet, le délai de prescription en cause peut servir, certes, dans une certaine mesure, des objectifs fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union. Cependant, il est déterminé non pas dans l’intérêt des tiers ou de la collectivité, mais seulement des personnes concernées.

159. En effet, premièrement, il me semble que ce délai ne constitue pas un délai de procédure mais plutôt un délai qui entraîne l’extinction de l’action en justice.

160. À cet égard, je relève que, bien qu’il s’agisse de domaines différents, la Cour a notamment jugé que la prescription constituait une fin de non-recevoir qui, à la différence des délais de procédure, n’est pas d’ordre public, mais éteint l’action en responsabilité uniquement sur demande de la partie défenderesse (175) et, dans le cadre d’un recours en matière de fonction publique, que le moyen tiré d’une méconnaissance d’un délai de prescription n’était pas d’ordre public (176). La raison d’être de ces décisions est, à mon avis, applicable en l’espèce. En effet, l’objet de la règle en question est de protéger non pas l’intérêt public mais les intérêts des justiciables.

161. Partant, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le délai de prescription en cause n’est pas comparable au délai de recours au titre de l’article 263 TFUE, dont la nature d’ordre public n’est pas contestée. En effet, dans ce dernier cas de figure, il existe un intérêt public, tiré notamment du principe de sécurité juridique, à ce que les recours en annulation de décisions ne soient pas introduits après le délai applicable, ce qui porterait gravement atteinte à la sécurité juridique dont jouissent les tiers quant à la légalité d’un acte d’une institution de l’Union après l’expiration de ce délai (177).

162. Deuxièmement, il ne me semble pas que le dépassement du délai en question puisse avoir pour effet l’incompétence de l’institution concernée.

163. En effet, si la Cour a relevé que certains délais de forclusion constituaient des moyens d’ordre public, dans la mesure où ils touchaient à la compétence ratione temporis de l’institution qui avait adopté les actes litigieux (178), une telle conséquence se rattache non pas tout simplement à l’écoulement du délai pour l’adoption de l’acte, mais plutôt à l’absence ou à la suppression de la base juridique habilitant l’auteur de l’acte à agir (179). Partant, l’écoulement du délai de prescription en cause n’a pas, en lui-même, pour effet l’incompétence de la Commission pour l’adoption de sanctions.

164. Troisièmement, la nature d’ordre public du moyen tiré de l’écoulement du délai de prescription ne saurait être justifiée par le caractère essentiellement pénal des amendes en matière de concurrence dans le cadre de l’application de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») (180).

165. En effet, si, nonobstant les dispositions de l’article 23, paragraphe 5, du règlement no 1/2003, dont il ressort que les décisions infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n’ont pas un caractère pénal, la Cour a reconnu, à tout le moins implicitement, la nature de facto pénale des sanctions pour violation du droit de la concurrence de l’Union aux fins de l’application du volet pénal de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (181), j’estime que le droit de la concurrence ne fait pas partie du « noyau dur » du droit pénal, de sorte que les garanties prévues en droit pénal au sens strict ne trouvent pas à s’appliquer dans toute leur rigueur (182). Il s’ensuit que la nature de facto pénale des amendes n’implique pas, à elle seule, un intérêt public à la prescription du pouvoir de sanction au titre de l’article 25 du règlement no 1/2003.

166. Quatrièmement, il en va de même en ce qui concerne les références, dans la jurisprudence de la Cour, au caractère d’ordre public du droit de la concurrence (183) et, plus particulièrement, de l’ordre public économique (184). En effet, le fait que le droit de la concurrence œuvre, en substance, au profit de l’ordre public (économique) n’implique pas que toutes ces dispositions relèvent de cet ordre public (185).

167. S’agissant, enfin, du principe d’égalité de traitement, il convient de formuler une double observation : d’une part, selon une jurisprudence constante de la Cour, pour l’essentiel, une décision constatant l’existence d’une entente constitue un faisceau de décisions adressées à ses destinataires individuels, la validité d’une de ces décision n’affectant pas celle des autres (186) ; d’autre part, s’il est de jurisprudence constante que les entreprises qui ont formé un recours ne sont pas dans la même situation procédurale que les entreprises ne l’ayant pas formé (187), le même principe devrait s’appliquer, à mon sens, à l’égard des entreprises qui n’ont pas soulevé un moyen relatif à la prescription.

168. Par ailleurs, j’observe que l’examen d’un délai de prescription comporte normalement une appréciation de nature factuelle qui, en l’absence de proposition d’éléments de preuve en fait de la part de la partie concernée, se heurte au principe dispositif et ne se prête pas à être entamé d’office par le juge de l’Union (188). Par ailleurs, je me demande si la possibilité d’annuler d’office une décision constatant une infraction au-delà du délai pour former un recours ne risque de rendre plus aléatoires les actions indemnitaires des particuliers (private enforcement) (189).

169. En conclusion, j’estime que le délai de prescription ne devrait pas être interprété comme étant un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par le juge de l’Union. Il convient donc de rejeter les moyens en question.

C.      Sur l’exercice de la compétence de pleine juridiction par le Tribunal en ce qui concerne SAS Cargo Group

170. Dans l’arrêt SAS Cargo Group, le Tribunal, ayant accueilli le second chef de conclusions des requérantes tendant à la réduction du montant de l’amende, a partiellement annulé la décision litigieuse en ce qui concerne les sociétés de SAS Cargo Group et a exercé sa compétence de pleine juridiction (190) pour réduire l’amende infligée à celles-ci. Toutefois, pour calculer le montant de base de l’amende, il a tenu compte du chiffre d’affaires réalisé sur les liaisons à l’intérieur d’un même État membre (ci-après les « ventes internes » (191)) dans la valeur des ventes de ces sociétés, ayant relevé que ce chiffre d’affaires avait été exclu par la Commission « par inadvertance » (192). Le Tribunal a procédé de la sorte au motif que le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes relevait du champ d’application de l’infraction unique et continue (193) et « également en vue d’assurer une égalité de traitement entre les transporteurs incriminés ayant introduit un recours à l’encontre de la décision litigieuse » (194), et ce nonobstant le fait que la Commission, interrogée par le Tribunal quant à la compatibilité d’une telle exclusion avec le principe d’égalité de traitement et avec le paragraphe 13 de ses lignes directrices pour le calcul des amendes (195), avait estimé qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte de ce chiffre d’affaires dans le calcul de l’amende (196). Par conséquent, le Tribunal a procédé à une réduction de l’amende inférieure à celle qui aurait été infligée en l’absence de cette correction.

171. Par leur cinquième moyen, les requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group font valoir que, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a violé le droit d’être entendu et le principe du contradictoire (1), l’obligation de motivation (2), le principe ne ultra petita (3), ainsi que la présomption d’innocence et le principe d’égalité de traitement (4).

1.      Sur le droit d’être entendu et le principe du contradictoire

172. S’agissant, en premier lieu, du droit d’être entendu et du principe du contradictoire, les requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group font valoir qu’elles n’ont pas été mises en position de contester la conclusion du Tribunal selon laquelle l’amende était discriminatoire, aucune partie à la procédure n’ayant soulevé ce point.

173. À titre liminaire, il convient de rappeler que le droit d’être entendu ainsi que le principe du contradictoire font partie des droits de la défense et s’appliquent à toute procédure susceptible d’aboutir à une décision d’une institution de l’Union affectant de manière sensible les intérêts d’une personne (197).

174. En règle générale, le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (198), tandis que le principe du contradictoire implique, d’une part, le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance des preuves et des observations présentées devant le juge et de les discuter, et, d’autre part, l’interdiction de fonder une décision judiciaire sur des faits et documents dont les parties, ou l’une d’entre elles, n’ont pu prendre connaissance et sur lesquels elles n’ont pas été en mesure de prendre position (199).

175. Or, ainsi que le relève le Tribunal au point 937 de l’arrêt SAS Cargo Group, et comme le rappellent les mêmes requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group dans leurs observations écrites, celui-ci les a invitées à se prononcer sur les réponses de la Commission aux questions qu’il a posées, y inclus une question concernant les chiffres d’affaires sur lesquels celle-ci avait fondé ses calculs en ce qui concerne les amendes infligées, au moyen de laquelle le Tribunal a explicitement demandé pour quelle raison la Commission avait été amenée à exclure le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes.

176. Dans ces circonstances, il me semble que le Tribunal n’a pas violé le droit des requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group d’être entendues ni le principe du contradictoire, dès lors que celles-ci, ayant soulevé un moyen relatif à la révision de l’amende qui leur avait été infligée, ont été entendues au sujet de la prise en compte du chiffre d’affaires relatif aux ventes internes dans la valeur des ventes et ont pu faire valoir utilement leur point de vue à cet égard.

177. S’agissant de l’argument des requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group selon lequel la question qui leur a été posée manquait de contenu au point que le droit d’être entendu ne pouvait pas être considéré comme ayant été satisfait, il convient de relever que la question posée à la Commission, à propos de laquelle lesdites requérantes avaient été appelées à se prononcer, se référait explicitement au fait que les chiffres d’affaires excluaient ce qu’on appelait le « cabotage en Scandinavie ». Il était donc prévisible que le Tribunal, indépendamment de la position adoptée par la Commission, puisse reconsidérer cet élément dans son analyse (200). D’ailleurs, s’il incombe au Tribunal de respecter les droits de la défense des parties, il ne saurait pour autant être tenu de leur demander de prendre position sur le raisonnement qu’il envisage d’adopter pour trancher le litige qui lui est soumis (201).

2.      Sur l’obligation de motivation

178. D’après les requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group, le Tribunal a violé son obligation de motivation en n’ayant pas répondu à leurs observations selon lesquelles elles ne se trouvaient pas dans une situation semblable à celle des autres transporteurs et qu’aucun comportement illicite sur les liaisons internes ne justifiait l’inclusion du chiffre d’affaires relatif aux ventes internes dans la valeur des ventes.

179. Or, aux points 935, 936 et 939 de l’arrêt SAS Cargo Group, le Tribunal a jugé, premièrement, que l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse visait des comportements intervenant tant sur les liaisons entre États membres ou parties contractantes à l’accord EEE que sur les liaisons desservies à l’intérieur d’un même État membre ou d’une même partie contractante, deuxièmement, que, dans ces conditions, les ventes internes relevaient du champ d’application de l’infraction unique et continue, et, troisièmement, que c’était « par inadvertance » que le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes n’avait pas été intégré dans la valeur des ventes. Le Tribunal a conclu, au point 940 de cet arrêt, que, « en vue également d’assurer une égalité de traitement entre les transporteurs incriminés ayant introduit un recours à l’encontre de la décision attaquée », il importait d’intégrer le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes dans la valeur des ventes.

180. À cet égard, il me semble que le Tribunal a fait apparaître de façon claire le raisonnement qu’il a suivi, ce qui a d’ailleurs permis aux requérantes dans cette affaire de développer leurs arguments à l’encontre des conclusions du Tribunal (202). Certes, le raisonnement du Tribunal ne semble pas être cohérent lorsque, au point 932 de l’arrêt SAS Cargo Group, il infère de la réponse de la Commission à ses questions qu’il était possible que le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes n’ait pas été déduit de la valeur des ventes appliquée aux autres transporteurs incriminés et, au point 939 de cet arrêt, il conclut que ce chiffre n’a pas été intégré dans la valeur des ventes. Toutefois, cette constatation semble relever plutôt du bien-fondé de la motivation du Tribunal (203) et sera examinée ultérieurement (204).

3.      Sur le principe ne ultra petita

181. Selon les requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group, le Tribunal a violé le principe ne ultra petita en procédant à une correction du montant de base de l’amende défavorable aux requérantes, au-delà (voire à l’encontre) des conclusions de la Commission, opérant ainsi un contrôle d’office qui ne relèverait pas de sa compétence.

182. À titre liminaire, il convient de rappeler, ainsi que je l’ai fait dans mes conclusions dans l’affaire Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission (205), que, dès lors qu’il exerce sa compétence de pleine juridiction en vertu des pouvoirs conférés par l’article 31 du règlement no 1/2003, le juge de l’Union est habilité, au-delà du contrôle de la légalité de la sanction, à substituer sa propre appréciation, pour la détermination du montant de cette sanction, à celle de la Commission, auteur de l’acte dans lequel ce montant a été initialement fixé. En conséquence, le juge de l’Union peut réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, afin de supprimer, de réduire ou de majorer l’amende infligée, cette compétence étant exercée en tenant compte de toutes les circonstances de fait (contrôle de novo) (206). Il en résulte que, si la portée de cette compétence de pleine juridiction est strictement limitée, à la différence du contrôle de la légalité, à la détermination du montant de l’amende (207), le juge de l’Union n’est habilité à l’exercer que lorsque la question du montant de l’amende est soumise à son appréciation (208), l’exercice de cette compétence emportant le transfert définitif à ce dernier du pouvoir d’infliger des sanctions (209).

183. Il convient, toutefois, également de rappeler que, selon la Cour, l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office, la procédure devant les juridictions de l’Union étant contradictoire. Partant, à l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de la décision attaquée et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (210). Il s’ensuit que les pouvoirs de pleine juridiction du Tribunal n’échappent pas au principe dispositif, dont le principe ne ultra petita constitue un corollaire (211).

184. Mises à part ces indications, l’étendue, par le juge de l’Union de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction quant au montant d’une amende infligée par la Commission au sens des articles 101 et 102 TFUE fait l’objet d’un débat (212), en particulier en ce qui concerne la possibilité de majorer l’amende en l’absence d’une demande en ce sens (« reformatio in pejus ») (213) ou de soulever certaines questions d’office (214), débat qui, à ce jour, n’a pas encore été tranché par la Cour (215).

185. Dans l’arrêt SAS Cargo Group, le Tribunal a examiné les conclusions des requérantes tenant à la modification (plus précisément à la réduction) du montant de l’amende (points 911 à 917) et les a partiellement accueillies, en réduisant ce montant (points 961 et 962) tout en tenant compte, dans un sens défavorable auxdites requérantes et à l’encontre des positions des deux parties, d’un élément de fait qui n’avait pas été contesté, à savoir le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes.

186. Ce faisant, le Tribunal, saisi au titre de sa compétence de pleine juridiction, s’est prononcé dans le cadre d’un moyen soulevé par les requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group visant la réduction de l’amende et a réexaminé toutes les composantes relatives au calcul de l’amende en faisant usage de son pouvoir d’appréciation (216) et en tenant compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes (217).

187. Or, si le Tribunal, saisi en vertu de sa compétence de pleine juridiction dans le cadre d’un moyen relatif à la réduction de l’amende, n’est pas allé, de prime abord, au-delà des conclusions (petitum) des requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group (218), je me demande s’il n’a pas dépassé les limites de sa compétence de pleine juridiction en modifiant un des éléments constitutifs de la valeur de base des ventes à l’encontre de la position des deux parties. En effet, si, lorsqu’il se prononce dans le cadre d’un moyen soulevé par les parties, le Tribunal peut réexaminer toutes les composantes relatives au calcul de l’amende en faisant usage de son pouvoir d’appréciation, il ne saurait remettre en question des conclusions factuelles qui n’ont pas été contestées par les parties. Si tel était le cas, contrairement à la jurisprudence citée au point 183 des présentes conclusions, le principe dispositif n’aurait aucune raison d’être dans le cadre de la compétence de pleine juridiction du Tribunal (219).

188. Par ailleurs, je me demande également si un élément tel que le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes, qui relève de la portée géographique de l’entente litigieuse et concerne non seulement le calcul du montant de l’amende mais également le constat de l’infraction, peut être remis en cause d’office par le Tribunal, en dehors de son appréciation de la légalité de la décision litigieuse. Il me semble que, bien que cette question demeure, elle aussi, très controversée, à ce jour, la Cour limite les pouvoirs de pleine juridiction du Tribunal à la détermination du montant de l’amende infligée par la Commission, à l’exclusion des éléments de fait qui influent sur l’établissement de l’infraction (220).

189. En l’espèce, il me semble que les contours de la portée géographique de l’infraction, en ce qui concerne les vols intra-étatiques, n’ont pas été clairement définis par la Commission. En effet, ce n’est qu’au paragraphe 5.3.7 de la décision litigieuse relatif à l’« effet sur les échanges entre les États membres, entre les parties contractantes de l’accord EEE et entre les parties contractantes de l’accord suisse » que la Commission a traité de la portée géographique de l’infraction. À cet égard, dans cette décision, la Commission a expliqué que « les arrangements d’entente couvraient la totalité du territoire de l’EEE, ainsi que la Suisse » et, en substance, avaient pour objet de restreindre la concurrence entre les transporteurs « sur des liaisons au sein de l’EEE, sur des liaisons entre les parties contractantes à l’accord Union-Suisse, ainsi que sur des liaisons entre parties contractantes à l’accord EEE et pays tiers » (considérant 1030). Or, contrairement aux constatations opérées par le Tribunal aux points 935 et 936 de l’arrêt SAS Cargo Group, il ne ressort pas de ces passages que le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes « relève à l’évidence du champ d’application de l’infraction unique et continue ».

4.      Sur la présomption d’innocence et le principe d’égalité de traitement

190. Selon les requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group, le Tribunal aurait violé la présomption d’innocence (221) et le principe d’égalité de traitement (222) au motif qu’il aurait inclus le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes dans la valeur des ventes afin de les traiter de manière égalitaire par rapport aux autres transporteurs, alors qu’il estimait simplement « possible » (et non démontré à suffisance de droit) que ces autres transporteurs n’avaient pas exclu ces chiffres.

191. Aux points 935 à 937 de l’arrêt SAS Cargo Group, le Tribunal a considéré, en substance, que les ventes internes relevaient du champ d’application de l’infraction unique et continue et auraient donc dû être intégrées dans la valeur des ventes, ce qui, selon le Tribunal, était également l’intention de la Commission.

192. Or, tout en tenant compte des limites du contrôle de l’action du Tribunal par la Cour sous pourvoi (223), il convient de relever que cette conclusion ne s’appuie sur aucun élément de preuve fiable. En effet, ainsi que le relèvent les requérantes, au point 932 de l’arrêt SAS Cargo Group, le Tribunal a constaté qu’il était possible, ainsi qu’il ressortait de la réponse fournie par la Commission à ses questions, que le chiffre d’affaires relatif aux ventes internes n’ait pas été déduit de la valeur des ventes appliquée aux autres transporteurs incriminés (224). Cela étant, le Tribunal a conclu, en substance, au point 939 de cet arrêt, que ce chiffre d’affaires n’avait pas été intégré dans la valeur des ventes et a procédé, au point 940 dudit arrêt, à l’intégration dudit chiffre d’affaires. En d’autres termes, la prémisse selon laquelle il était possible que ces ventes aient été exclues de la valeur des ventes par les autres requérantes a conduit le Tribunal à conclure que ces ventes étaient effectivement intégrées dans cette valeur, ce qui lui imposait d’inclure lesdites ventes dans la valeur des ventes des requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group. Ce faisant, le Tribunal a commis, à mon avis, un détournement des éléments de preuve (225).

193. À la lumière de tout ce qui précède, je propose d’accueillir le cinquième moyen des requérantes dans l’affaire SAS Cargo et, par conséquent, de renvoyer l’affaire au Tribunal, pour qu’il statue au fond sur le second chef de demande, tendant à la réduction du montant de l’amende.

V.      Conclusion

194. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour :

–        de rejeter les recours dans les affaires Air Canada/Commission (C‑367/22 P), Air France/Commission (C‑369/22 P), Air France-KLM/Commission (C‑370/22 P), LATAM Airlines Group et Lan Cargo/Commission (C‑375/22 P), British Airways/Commission (C‑378/22 P), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo /Commission (C‑379/22 P), Deutsche Lufthansa e.a. /Commission (C‑380/22 P), Japan Airlines/Commission (C‑381/22 P), Cathay Pacific Airways/Commission (C‑382/22 P), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (C‑385/22 P), Martinair Holland/Commission (C‑386/22 P), et Cargolux Airlines/Commission (C‑401/22 P) ;

–        d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 mars 2022, SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑324/17, EU:T:2022:175), en ce qui concerne le second chef de demande, tendant à la réduction du montant de l’amende ;

–        de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue au fond sur le second chef de demande ;

–        de rejeter le pourvoi pour le surplus.


1      Langue originale : le français.


2      En l’occurrence, il s’agit des compagnies aériennes suivantes : Air Canada, Air France-KLM, Société Air France (ci-après « Air France »), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV (ci-après « KLM »), British Airways plc, Cargolux Airlines International SA (ci-après « Cargolux »), Cathay Pacific Airways Ltd, Deutsche Lufthansa AG (ci-après « Lufthansa »), Japan Airlines International Co. Ltd (ci-après « Japan Airlines »), LATAM Airlines Group SA et Lan Cargo SA, Martinair Holland NV (ci-après « Martinair »), SAS Cargo Group e.a. (ci‑après « SAS Cargo Group »), Singapore Airlines Ltd et Singapore Airlines Cargo Pte Ltd (ci-après « Singapore Airlines»).


3      Arrêts du 30 mars 2022, Martinair Holland/Commission (T‑323/17, ci-après l’« arrêt Martinair », EU:T:2022:174), SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑324/17, ci-après l’« arrêt SAS Cargo Group », EU:T:2022:175), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T‑325/17, ci-après l’« arrêt KLM », EU:T:2022:176), Air Canada/Commission (T‑326/17, ci-après l’« arrêt Air Canada », EU:T:2022:177), Cargolux Airlines/Commission (T‑334/17, ci-après l’« arrêt Cargolux Airlines », EU:T:2022:178»), Air France-KLM/Commission (T‑337/17, ci-après l’« arrêt Air France-KLM », EU:T:2022:179), Air France/Commission (T‑338/17, ci-après l’« arrêt Air France », EU:T:2022:180), Japan Airlines/Commission (T‑340/17, ci-après l’« arrêt Japan Airlines », EU:T:2022:181), British Airways/Commission (T‑341/17, ci-après l’« arrêt British Airways », EU:T:2022:182), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T‑342/17, ci-après l’« arrêt Deutsche Lufthansa », EU:T:2022:183), Cathay Pacific Airways/Commission (T‑343/17, ci-après l’« arrêt Cathay Pacific Airways », EU:T:2022:184), LATAM Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T‑344/17, ci-après l’« arrêt LATAM Airlines Group et Lan Cargo », EU:T:2022:185), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo/Commission (T‑350/17, ci-après l’« arrêt Singapore Airlines », EU:T:2022:186).


4      Décision C(2017) 1742 final relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire AT.39258 – Fret aérien).


5      C‑413/14 P, ci-après l’« arrêt Intel », EU:C:2017:632.


6      C‑697/19 P, ci-après l’« arrêt Sony », EU:C:2022:478.


7      Cette surtaxe, introduite au cours de l’année 1996, a été supprimée plusieurs fois puis réintroduite et a fait l’objet depuis lors de plusieurs modifications (voir considérants 114 à 117 de la décision litigieuse).


8      Cette surtaxe était justifiée par l’augmentation des coûts due à la hausse des primes d’assurance, l’augmentation des coûts de sécurité et les inefficacités opérationnelles telles que le changement d’itinéraire de certains vols (voir considérants 577 à 580 de la décision litigieuse).


9      Ces commissions étaient liées aux coûts supportés par les transitaires afin de collecter les surtaxes des expéditeurs pour le compte des transporteurs (voir considérants 675 à 677 de la décision litigieuse).


10      Au cours de cette enquête, qui faisait suite à une demande d’immunité introduite par Lufthansa et certaines de ses filiales au titre de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la clémence de 2002 »), la Commission a effectué des inspections inopinées dans les locaux de plusieurs transporteurs – conformément à l’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) –, a reçu des demandes de certains d’entre eux au titre de la communication sur la clémence de 2002 et a envoyé plusieurs demandes de renseignements.


11      La communication des griefs concernait au total 27 transporteurs, parmi lesquels figuraient les requérantes.


12      Décision C(2010) 7694 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord [CE-Suisse sur le transport aérien] (affaire COMP/39258 – Fret aérien). Cette décision concernait 21 transporteurs, dont les requérantes.


13      Par cette décision, la Commission a, tout d’abord, relevé que les transporteurs incriminés avaient coordonné leur comportement en matière de tarification pour la fourniture de services de fret, a, ensuite, infligé des sanctions à ces transporteurs et leur a, enfin, imposé de mettre immédiatement un terme aux infractions commises et de s’abstenir de tout acte ou comportement visés par ladite décision ou ayant un objet ou un effet identique ou similaire.


14      En ce qui concerne les requérantes, voir arrêts Air Canada/Commission (T‑9/11, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T‑28/11, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T‑36/11, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T‑38/11, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T‑39/11, EU:T:2015:991), LATAM Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T‑40/11, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T‑43/11, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T‑46/11, EU:T:2015:987), British Airways/Commission (T‑48/11, EU:T:2015:988, confirmé sur pourvoi par l’arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C‑122/16 P, EU:C:2017:861), SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑56/11, EU:T:2015:990), Air France-KLM/Commission (T‑62/11, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T‑63/11, EU:T:2015:993), et Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984).


15      La Commission s’est fondée sur la même communication des griefs du 19 décembre 2007. Le 20 mai 2016, elle a adressé une lettre aux transporteurs sanctionnés par la décision de 2010 qui avaient introduit un recours contre celle-ci devant le Tribunal, les informant qu’elle entendait adopter une nouvelle décision et les invitant à présenter leurs observations à cet égard.


16      Voir sections 4.1 et 4.3 à 4.6 de la décision litigieuse. Selon le considérant 119 de cette décision, pour la mise en œuvre de la surtaxe carburant au niveau local, un système par lequel les compagnies aériennes dominantes sur certaines liaisons ou dans certains pays annonçaient en premier le changement et étaient ensuite suivies par les autres a souvent été appliqué. En outre, des associations locales de transporteurs organisaient des forums multilatéraux de discussion qui pouvaient être utilisés à cet égard.


17      Voir section 5 de la décision litigieuse.


18      Voir considérants 822 à 824 de la décision litigieuse. En effet, avant cette date [marquée par l’entrée en vigueur du règlement no 1/2003], le règlement (CEE) no 3975/87 du Conseil, du 14 décembre 1987, déterminant les modalités d’application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens (JO 1987, L 374, p. 1), conférait à la Commission la compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux transports aériens internationaux entre des aéroports au sein de l’Union, à l’exclusion des transports aériens internationaux entre les aéroports d’un État membre et ceux d’un pays tiers, qui restaient assujettis aux articles 104 et 105 TFUE.


19      Voir considérants 825 à 828 de la décision litigieuse. En effet, avant cette date [marquée par l’entrée en vigueur du règlement (CE) no 411/2004 du Conseil, du 26 février 2004, abrogeant le règlement (CEE) no 3975/87 et modifiant le règlement (CEE) no 3976/87 ainsi que le règlement (CE) no 1/2003, en ce qui concerne les transports aériens entre la Communauté et les pays tiers (JO 2004, L 68, p. 1)], le protocole 21 de l’accord EEE concernant la mise en œuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises (JO 1994, L 1, p. 181) étendait le régime prévu par le règlement no 3975/87 (voir note en bas de page 18 des présentes conclusions) à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues par l’accord EEE, excluant ainsi que la Commission puisse appliquer les articles 53 et 54 de l’accord EEE aux transports aériens internationaux entre les aéroports des États parties à l’EEE qui ne sont pas membres de l’Union et ceux des pays tiers.


20      Voir considérants 829 à 832 de la décision litigieuse. En effet, avant cette date [marquée par l’entrée en vigueur de la décision no 1/2007 du comité mixte Communauté/Suisse des transports aériens institué par l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien du 5 décembre 2007 remplaçant l’annexe de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (JO 2008, L 34, p. 19)], le règlement no 3975/87 trouvait application (voir note en bas de page 18 des présentes conclusions). La Commission a précisé que la décision litigieuse n’avait pas la prétention de révéler une quelconque infraction à l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien concernant les services de fret entre la Suisse et des pays tiers.


21      Voir considérants 1036 à 1040 de la décision litigieuse.


22      Voir considérant 1042 de la décision litigieuse.


23      Voir considérant 1043 de la décision litigieuse.


24      Voir considérant 1046 de la décision litigieuse. La Commission a précisé que les arrangements de l’entente étaient, dans de nombreux cas, organisés au niveau central et que le personnel local ne faisait que les appliquer, l’application uniforme des surtaxes à une échelle mondiale étant un élément clé de l’entente.


25      Au sein de la section 6 (plus précisément, considérants 1070 à 1145) de la décision litigieuse, la Commission a identifié les transporteurs incriminés, en tant qu’« entreprises », comme étant les destinataires de la décision litigieuse.


26      Voir considérants 846 à 861 de la décision litigieuse. La Commission a identifié un système général de coordination du comportement de tarification pour des services de fret qui constituait une infraction complexe se composant de diverses actions pouvant être qualifiées soit d’accord soit de pratique concertée dans le cadre desquels les concurrents avaient sciemment substitué la coopération pratique entre eux aux risques de la concurrence.


27      En effet, d’une part, ce comportement poursuivait un objectif anticoncurrentiel unique consistant à entraver la concurrence dans le secteur du fret au sein de l’EEE, visait un service unique (à savoir la fourniture de services de fret et leur tarification), concernait les mêmes entreprises, revêtait une nature unique et portait sur trois composantes, à savoir la surtaxe carburant, la surtaxe sécurité et le refus de paiement de commissions, qui avaient fréquemment été discutées conjointement au cours des mêmes contacts avec les concurrents (voir considérants 869 à 880 de la décision litigieuse). Si certaines requérantes (à savoir Air Canada, SAS Cargo Group et LAN Cargo) n’étaient pas impliquées dans chacune des trois composantes de l’infraction unique, la Commission a toutefois considéré que, compte tenu de leur implication dans les autres éléments de l’infraction, elles auraient raisonnablement pu prévoir des échanges entre les parties au sujet des autres éléments et étaient disposées à en assumer le risque, mais également qu’il existait des preuves que ces requérantes étaient au courant des discussions au sujet de ces autres éléments (voir considérants 881 à 883 de la décision litigieuse). D’autre part, l’infraction en cause revêtait un caractère continu (voir considérant 884 de la décision litigieuse).


28      Voir considérants 903 à 921 de la décision litigieuse. Dans ce contexte, la Commission a estimé que, au regard de la portée mondiale de l’entente litigieuse, les contacts intervenus dans des pays tiers et les contacts concernant des liaisons que les transporteurs n’avaient jamais desservies ou qu’ils n’auraient pas pu légalement desservir étaient néanmoins pertinents pour établir l’existence de l’infraction unique et continue (voir considérants 885 à 890 de la décision litigieuse). La Commission a également examiné les réglementations de certains pays tiers, rejetant les arguments de plusieurs transporteurs incriminés selon lesquels celles-ci leur imposaient de se concerter sur les surtaxes, au motif que ces transporteurs n’avaient pas fourni la preuve qu’ils avaient agi sous la contrainte desdits pays tiers (voir considérants 972 à 1023 de la décision litigieuse).


29      Voir considérants 1024 à 1035 de la décision litigieuse.


30      Voir considérants 1047 à 1052 de la décision litigieuse.


31      Plus particulièrement, la Commission a établi et précisé que cette entente avait enfreint : l’article 101 TFUE au cours de la période comprise entre le 7 décembre 1999 et le 14 février 2006, en ce qui concerne le transport aérien entre des aéroports au sein de l’Union, et du 1er mai 2004 au 14 février 2006, en ce qui concerne le transport aérien sur les liaisons Union-pays tiers ; l’article 53 de l’accord EEE, du 7 décembre 1999 au 14 février 2006, en ce qui concerne le transport aérien sur les liaisons intra-EEE, et du 19 mai 2005 au 14 février 2006, en ce qui concerne le transport aérien sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers ; l’article 8 de l’accord CE-Suisse sur le transport aérien, du 1er juin 2002 au 14 février 2006, en ce qui concerne le transport aérien sur les liaisons Union-Suisse (voir considérant 1146 de la décision litigieuse).


32      Voir considérants 1147 à 1169 de la décision litigieuse.


33      Voir section 8 de la décision litigieuse. Conformément aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2), la Commission a calculé le montant de base de l’amende compte tenu de la valeur des ventes, de la gravité et de la durée de l’infraction et en appliquant le montant additionnel (section 8.3 de la décision litigieuse), a apporté les ajustements sur la base des circonstances aggravantes et atténuantes (section 8.4 de cette décision) ainsi que de la limite de 10 % du chiffre d’affaires (section 8.5 de ladite décision), a tenu compte des demandes de clémence (section 8.6 de la même décision) et de la capacité de paiement des transporteurs incriminés (section 8.7 de la décision litigieuse), pour enfin établir le montant des amendes à infliger à ces derniers (voir section 8.8 de cette décision).


34      Ces moyens portaient sur la possibilité de constater et de sanctionner une infraction concernant les services de fret entrants, ainsi que les services sur les liaisons Union-pays tiers avant le 1er mai 2004 et sur les liaisons EEE sauf Union-pays tiers avant le 19 mai 2005.


35      Arrêts Martinair, KLM, Cargolux, Air France-KLM, Air France, Deutsche Lufthansa, et Singapore Airlines.


36      Respectivement, article 1er, paragraphe 1, sous h), et paragraphe 4, sous h), de la décision litigieuse (arrêt Japan Airlines) et article 1er, paragraphe 1, sous g), et paragraphe 4, sous g), de cette décision (arrêt Cathay Pacific Airways).


37      Article 1er, paragraphe 1, sous a), paragraphe 2, sous a), paragraphe 3, sous a), et paragraphe 4, sous a), de ladite décision (arrêt Air Canada).


38      Respectivement, d’une part, article 1er, paragraphe 1, sous e), paragraphe 2, sous e), et paragraphe 3, sous e), de la même décision et, d’autre part, article 1er, paragraphe 4, sous e), de celle-ci (arrêt British Airways).


39      Respectivement, article 1er, paragraphe 1, sous i) et j), paragraphe 3, sous i) et j), et paragraphe 4, sous i) et j), de la décision litigieuse ; article 1er, paragraphe 2, sous i) et j), de cette décision, et article 3, sous i), de ladite décision (arrêt Latam Airlines Group et Lan Cargo).


40      Respectivement, article 1er, paragraphe 1, sous o), p) et q), paragraphe 2, sous o) et p), paragraphe 3, sous o) et p), et paragraphe 4, sous o), p) et q), de la décision litigieuse ; article 1er, paragraphe 2, sous o) et p), de cette décision ; article 1er, paragraphe 3, sous o) et p), de ladite décision, et article 3, sous n) à r), de la même décision (arrêt SAS Cargo Group).


41      Je tiens à préciser que l’expression « compétence extraterritoriale » employée dans les présentes conclusions se réfère, de façon générale, à l’application du droit de la concurrence de l’Union et de l’EEE par la Commission à l’égard des pratiques engagées, en dehors de l’EEE, par des entreprises également établies en dehors de l’EEE, indépendamment de toute discussion quant à la portée exacte d’une telle définition [voir, notamment, conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire InnoLux/Commission (C‑231/14 P, EU:C:2015:292, point 37)].


42      Voir point 12 des présentes conclusions.


43      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 212.


44      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 213.


45      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 279.


46      Il s’agit plus précisément des compagnies aériennes suivantes : Air Canada (première branche du premier moyen), Japan Airlines (premier moyen), Air France (deuxième branche du premier moyen), Air France-KLM (deuxième branche du deuxième moyen), Singapore Airlines (deuxième branche du premier moyen), Deutsche Lufthansa (première branche du moyen unique) et Cargolux (première branche du premier moyen).


47      Une requérante (à savoir Singapore Airlines, par la première branche de son premier moyen) aborde cet argument également sous l’angle de la dénaturation du moyen de recours relatif à l’incompétence de la Commission, en ce que le Tribunal aurait répondu à ce moyen comme s’il était fondé sur la contestation de la compétence de la Commission au titre, différent, du droit international public, ce qui était une condition nécessaire, mais non suffisante, pour établir la compétence de la Commission en l’espèce.


48      Par ailleurs, puisque la notion d’« effets qualifiés » en droit international public serait fondamentalement distincte de celle de « restriction de la concurrence » figurant à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE, le fait de déterminer le champ d’application territorial d’une disposition d’un traité de l’Union sur la base du droit international public serait contraire au principe fondamental de l’autonomie du droit de l’Union au regard tant du droit des États membres que du droit international.


49      En ce qui concerne l’article 101 TFUE, cela ressortirait de l’arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, ci-après l’« arrêt Pâte de bois », EU:C:1988:447, points 11 à 18).


50      Il semblerait que la formulation la plus courante de ce critère en droit de la concurrence, élaborée aux États-Unis, se réfère à des « effets directs, substantiels et prévisibles » sur le commerce des États-Unis, comme précisé dans le « Foreign Trade Antitrust Improvements Act of 1982 (FTAIA) [Pub. L. No. 97-290, 96 Stat. 1246 (codified at 15 U.S.C. § 6a)]. Selon cette réglementation, en substance, le Sherman Act ne devait plus s’appliquer à une conduite impliquant des échanges commerciaux avec des pays étrangers, autre que les importations, sauf si cette conduite a un « effet direct, substantiel et raisonnablement prévisible » (« direct, substantial, and reasonably foreseeable effect ») sur le commerce intérieur ou d’importation ou sur les activités d’exportation d’une personne nationale. Voir, notamment, en doctrine, Claudel, E., « Territorialité vs extraterritorialité : les affres du champ d’application dans l’espace du droit européen de la concurrence », L’extraterritorialité en droit de l’Union européenne, 2021, p. 142 ; Wagner-von Papp, F., « Competition Law, Extraterritoriality & Bilateral Agreements », Research handbook on International Competition Law, 2012, p. 23 à 39.


51      Par ailleurs, je ne partage pas la considération du Tribunal selon laquelle le critère des effets qualifiés (à l’instar du critère de la mise en œuvre) non seulement fonderait la compétence de la Commission « au regard du droit international public » ou permettrait de justifier l’application des règles de concurrence de l’Union et de l’EEE « au regard du droit international public » (voir, notamment, arrêt Air Canada, points 212 et 226), mais serait également « ancré dans le libellé de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE » (arrêt Air Canada, point 233) et relèverait donc, en tant que critère de droit de l’Union, au regard de l’application de ces dispositions. À mon sens, ce critère constitue un critère spécifique de droit international public qui est distinct des critères relatifs à l’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE et, ainsi que je le préciserai ci-après, ne coïncide pas avec celui de la restriction de la concurrence (par objet ou par effet) dans le marché intérieur (voir point 42 des présentes conclusions).


52      Voir, notamment, conclusions de l’avocat général Mayras dans l’affaire Imperial Chemical Industries/Commission (48/69, EU:C:1972:32, p. 699 à 700), de l’avocat général Darmon dans les affaires jointes Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, ci-après « conclusions dans l’affaire Pâte de bois » , EU:C:1988:258, points 19 à 46) et de l’avocat général Wahl dans l’affaire Intel Corporation/Commission (C‑413/14 P, ci-après « conclusions dans l’affaire Intel », EU:C:2016:788, point 297). Ainsi que l’explique l’avocat général Darmon dans ses conclusions dans l’affaire Pâte de bois (points 19 à 21), la théorie des effets en tant que fondement de la compétence étatique en droit international dérive du principe de territorialité et, plus précisément, du principe de territorialité objective (distinct de celui de territorialité subjective), qui permet à un État « de connaître des actes dont le début d’exécution se situe à l’étranger, mais dont l’accomplissement, tout au moins partiel, a eu lieu sur son propre territoire ». Voir, également, OECD Revised recommendation of the Council Concerning Cooperation between Member countries on Anticompetitive Practices affecting International Trade (Recommandation révisée du Conseil de l’OCDE concernant la coopération entre les pays membres sur les pratiques anticoncurrentielles affectant le commerce international), 1995 (consultable uniquement en langue anglaise à l’adresse suivante : http://www.oecd.org/daf/competition/21570317.pdf). Voir, en doctrine, Martyniszyn, M., « Extraterritoriality in competition law: changing frictions », Parrish, A., et Ryngaert, C., éd., Research Handbook on Extraterritoriality in International Law, Northampton, 2023, p. 35 à 48.


53      La doctrine remarque une évolution de la jurisprudence de la Cour à cet égard (voir, notamment, Puetz, A., « “Extraterritoriality” in European Law: Airfreight and Beyond », Air and Space Law, vol. 46, nº 6, 2021, p. 770 à 774 ; Munari, M., « Sui limiti internazionali all’applicazione extraterritoriale del diritto europeo della concorrenza », Rivista di Diritto Internazionale, fasc. 1, 2016, p. 42 à 50). Nonobstant le fait que le critère des effets qualifiés semblait être pris en compte par une jurisprudence très ancienne (arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin Import, 22/71, EU:C:1971:113, point 11), entérinée par les propositions de certains avocats généraux (voir conclusions de l’avocat général Mayras dans l’affaire Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:32, p. 699 à 700, et de l’avocat général Darmon dans l’affaire Pâte de bois, points 19 à 46), la Cour a examiné la question de l’application extraterritoriale des règles de concurrence de l’Union d’abord sous l’angle de la doctrine de l’entité économique unique (voir arrêt du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, points 130 à 141), puis sous celui du critère de la mise en œuvre (voir arrêt Pâte de bois, points 12 à 17) et finalement sous l’angle du critère des effets (voir arrêt Intel, points 40 à 47). Sur les ambiguïtés de la théorie des effets et sa relation « notoirement peu claire » avec la théorie de la mise en œuvre, voir, notamment, Wagner-von Papp, F., « Competition Law, Extraterritoriality & Bilateral Agreements », Research handbook on International Competition Law, 2012, p. 42 à 46. Voir, également, Prete, L., « On implementation and effects: the recent case-law on the territorial (or extraterritorial?) application of EU competition rules », Journal of European competition law & practice, vol. 9, no 8, 2018, p. 493. Ce dernier auteur estime que le critère de la mise en œuvre constituerait, selon l’avocat général Wahl dans ses conclusions dans l’affaire Intel, une sous-espèce du critère des effets tandis que, selon la Cour dans l’arrêt Intel, ce critère serait un critère alternatif à celui-ci.


54      Confrontée à la proposition explicite de l’avocat général Darmon dans ses conclusions dans ces affaires de retenir le critère des effets qualifiés (dans sa formulation, le « critère de l’effet direct, substantiel et prévisible ») en tant que critère de la compétence de l’Union (à l’époque, la Communauté économique européenne) (points 57 et 58 de ces conclusions), la Cour s’est simplement référée, après avoir distingué la formation de l’entente et sa mise en œuvre (arrêt Pâte de bois, point 16), à la circonstance que l’entente avait été « mise en œuvre » à l’intérieur du marché intérieur (à l’époque, le marché commun) (arrêt Pâte de bois, point 17). En l’occurrence, la « mise en œuvre » évoquée par la Cour fait référence au fait que les entreprises incriminées, toutes établies dans des pays tiers, effectuaient des ventes directement à des acheteurs établis dans l’Union (arrêt Pâte de bois, point 12). En outre, la Cour s’est référée explicitement à la compétence de l’Union au regard du principe de territorialité, tel que reconnu en droit international public (arrêt Pâte de bois, point 18). Partant, il semblerait que la Cour ait, à tout le moins implicitement, considéré la mise en œuvre de l’entente litigieuse dans l’Union comme une démonstration incontestable de ses effets sur le marché intérieur, sans vouloir introduire un critère ultérieur (alternatif ou cumulatif). En tout état de cause, dans l’arrêt Intel, la Cour a précisé que le critère des effets qualifiés poursuivait le même objectif que celui de la mise en œuvre, à savoir appréhender des comportements qui n’ont pas été adoptés sur le territoire de l’Union, mais dont les effets anticoncurrentiels sont susceptibles de se faire sentir sur le marché de l’Union (point 45 de cet arrêt).


55      Point 62. Voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Intel, point 290.


56      Par l’expression « marché intérieur », je me réfère à la fois au marché intérieur de l’Union et à celui de l’EEE.


57      Contrairement, par exemple, au critère de l’affectation du commerce entre États membres, qui distingue le champ d’application (par la Commission ou par des autorités des États membres) du droit de l’Union de celui du droit des États membres (voir, notamment, arrêt du 28 avril 1998, Javico, C‑306/96, EU:C:1998:173, point 15, ainsi que conclusions de l’avocat général Mayras dans l’affaire Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:32, p. 697).


58      Voir point 14 des présentes conclusions.


59      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 279. La Commission, au cours des audiences, a particulièrement insisté sur le fait que l’appréciation du critère des effets qualifiés en relation avec l’infraction unique et continue prise dans son ensemble (troisième motif) suffisait à démontrer l’application de ce critère et que l’appréciation relative aux effets qualifiés de la coordination relative aux services de fret entrants considérée isolément (premier motif) constituait une appréciation qu’elle avait effectuée à titre surabondant, en réponse aux arguments exposés par les parties.


60      Je relève, par ailleurs, qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer entre, d’une part, les effets de la coordination relative aux services de fret entrants, qui sont analysés ici, et, d’autre part, ceux de l’infraction unique et continue dans son ensemble, qui seront examinés aux points 77 à 93 des présentes conclusions. Je me demande, à cet égard, si les éléments retenus par la Commission aux considérants 1045 et 1046 de la décision litigieuse n’auraient pas mérité une analyse commune. Cela étant précisé, il convient d’analyser séparément ces éléments afin d’apprécier le raisonnement du Tribunal.


61      Plus précisément, Air Canada (deuxième branche du premier moyen), Air France (deuxième branche du premier moyen), Air France-KLM (deuxième branche du deuxième moyen), Singapore Airlines (troisième, quatrième et sixième branches du premier moyen), British Airways (deuxième branche du premier moyen), Deutsche Lufthansa (quatrième branche du moyen unique), LATAM Airlines Group et Lan Cargo (deuxième branche du troisième moyen), Japan Airlines (deuxième branche du deuxième moyen), Cathay Pacific (première et troisième branches du premier moyen), KLM et Martinair (première et deuxième branches du premier moyen), Cargolux (deuxième branche du premier moyen), et SAS Cargo Group (première et quatrième branche du troisième moyen).


62      Les requérantes se réfèrent notamment aux considérants 917, 1190 et 1277 de la décision litigieuse, dans lesquels la Commission a précisé, en substance, qu’elle n’était pas tenue de procéder à une appréciation des effets anticoncurrentiels du comportement litigieux au vu de l’objet anticoncurrentiel de ce dernier.


63      Selon les requérantes, le critère des effets qualifiés ne pouvait pas être rempli en évoquant des effets simplement possibles, spéculatifs ou hypothétiques, autrement la Commission serait compétente pour connaître de toute infraction par objet aux règles de concurrence partout dans le monde.


64      Si, à ma connaissance, la Cour ne s’est pas clairement prononcée sur cette question, l’avocat général Darmon l’avait soulevée, dans ses conclusions dans l’affaire Pâte de bois, en observant qu’il n’était pas certain que la notion d’« effet » prévue à l’article 101 TFUE (à l’époque, article 85 TCEE) soit, à proprement parler, le fondement de la compétence extraterritoriale de la Commission. Il a toutefois précisé que si cette notion, comme celle d’« objet », permet d’établir une infraction au droit substantiel de la concurrence dans l’hypothèse où la compétence de l’Union est, elle-même, incontestable, elle peut également être appelée à remplir une autre fonction, en tant que critère de compétence, et que son contenu n’est alors pas nécessairement identique à celui de l’effet en droit substantiel (voir point 10 de ces conclusions).


65      Cela étant précisé, il ne saurait être exclu que la démonstration du fait qu’une pratique mise en œuvre dans un pays tiers a un objet anticoncurrentiel au regard du marché intérieur puisse suffire à considérer que le critère des effets qualifiés est également rempli. En effet, bien que les deux critères en question poursuivent des buts différents, les éléments sur lesquels la Commission s’appuie pour démontrer qu’une pratique a un objet anticoncurrentiel pourraient également suffire pour établir que celle-ci est susceptible de produire des effets qualifiés à l’intérieur du marché intérieur. En tout état de cause, bien qu’il s’agisse de deux critères différents, j’estime que le niveau de preuve pour établir l’application extraterritoriale du droit de la concurrence de l’Union au sens du droit international public ne saurait être plus élevé que celui nécessaire pour démontrer l’existence d’une restriction de la concurrence (par objet ou par effet) au sens de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (voir points 51 à 57 des présentes conclusions).


66      Cette section, intitulée « [l]’applicabilité de l’article 101 du TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE aux liaisons entrantes », visait, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 1036 de la décision litigieuse, à répondre à l’argument de certaines parties qui, en s’appuyant notamment sur les arrêts Pâte de bois et du 25 mars 1999, Gencor/Commission (T‑102/96, EU:T:1999:65), faisaient valoir que ces dispositions ne s’appliquaient pas aux liaisons entrantes.


67      La Commission a également mentionné qu’elle n’était pas tenue de procéder à une appréciation des effets anticoncurrentiels du comportement litigieux au regard de l’objet anticoncurrentiel de ce dernier aux considérants 1190 et 1277 de la décision litigieuse qui concernent, respectivement, la détermination du montant de base des amendes et l’application de circonstances atténuantes dans le cadre des amendes.


68      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 230, qui fait référence à l’arrêt Intel, point 51.


69      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 232. Ce raisonnement est ultérieurement développé, notamment, aux points 233 à 237 de l’arrêt Air Canada, dans lesquels le Tribunal réitère, pour l’essentiel, la constatation selon laquelle une restriction de la concurrence par objet ne requiert pas une appréciation des effets anticoncurrentiels.


70      Cette interprétation se rapproche, à mon avis, de l’observation faite par l’avocat général Darmon dans ses conclusions dans l’affaire Pâte de bois, citée à la note en bas de page 64 des présentes conclusions.


71      Voir, notamment, arrêt Air Canada, points 238 à 279.


72      Selon les requérantes, il ressortirait de l’arrêt du 28 avril 1998, Javico (C‑306/96, EU:C:1998:173) que, si un accord anticoncurrentiel est destiné à s’appliquer dans un territoire situé hors de l’EEE, il ne saurait être considéré comme ayant pour objet de restreindre de manière sensible la concurrence à l’intérieur du marché commun et que, même si un comportement peut être considéré comme une restriction par objet lorsque celui-ci a lieu dans l’EEE, le même comportement ne tombe pas sous le coup de l’article 101 TFUE s’il se produit en dehors de l’EEE.


73      D’ailleurs, les requérantes ne sont pas parvenues à réfuter le fait que les contacts anticoncurrentiels, y compris ceux entretenus au niveau local avec les représentants locaux des requérantes, portaient sur l’ensemble des liaisons au niveau mondial et ne se limitaient pas seulement au marché local, afin de garantir que les transitaires ne puissent pas contourner l’entente en envoyant du fret sur des liaisons indirectes.


74      Voir, notamment, arrêt Air Canada, points 238 à 244.


75      Voir, notamment, arrêt Air Canada, points 260 et 276. Ces constatations concernent, respectivement, le caractère prévisible et immédiat des effets mais sont, à mon avis, indicatives de l’approche suivie par le Tribunal en matière de niveau de preuve.


76      Voir arrêt Intel, point 45.


77      Voir arrêt Air Canada, point 230.


78      Voir point 52 des présentes conclusions.


79      Voir, notamment, en doctrine, Fernández, C., « Presumptions and Burden of Proof in EU Competition Law: The Intel Judgment », Journal of European Competition Law & Pratice, vol. 10, nº 7, 2019, et Kalintiri, A., « Analytical shortcuts in EU competition enforcement: proxies, premises and presumptions », Journal of Competition Law & Economics, vol. 16, nº 3, 2020.


80      Par exemple, la Cour a jugé qu’il était acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, pouvaient être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il pouvait être considéré comme inutile, aux fins de l’application de l’article 101 TFUE, de démontrer qu’ils avaient des effets concrets sur le marché. En effet, l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs [voir, par analogie, arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51 et jurisprudence citée)].


81      À cet égard, il convient de préciser, à titre liminaire, que plusieurs des arguments soulevés par les requérantes dans leurs pourvois portent sur des questions de fait qui échappent, en principe, au contrôle de la Cour. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que l’appréciation des faits opérée par le Tribunal ne constitue pas une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, ce qu’il incombe au requérant d’indiquer et qui doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves [voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission (C‑466/19 P, EU:C:2021:76, points 42 et 43, ainsi que jurisprudence citée)].


82      Par ailleurs, le Tribunal se serait appuyé sur les effets sur les liaisons entrantes dans le pays tiers où les transporteurs étaient établis et non au sein du marché intérieur, alors que tout effet produit par ce comportement au sein du marché intérieur se situerait au moins deux stades en aval du comportement observé dans ce pays tiers.


83      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 274. Je remarque, par ailleurs, que, dans les arrêts attaqués, le Tribunal a relevé que l’exigence d’immédiateté des effets du comportement litigieux vise le lien de causalité entre ce comportement et l’effet examiné (le Tribunal s’est référé aux conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Kone e.a., C‑557/12, EU:C:2014:45, points 33 et 34, concernant l’appréciation du lien de causalité dans le cadre de la responsabilité civile des parties à une entente), tandis que, dans l’arrêt du 25 mars 1999, Gencor/Commission (T‑102/96, EU:T:1999:65, points 93 à 95), il avait apprécié le critère de l’effet immédiat d’un point de vue chronologique, au regard du délai dans lequel l’effet serait ressenti et non de la cause de cet effet.


84      Voir, notamment, arrêt Air Canada, points 275 et 276.


85      Voir note en bas de page 80 des présentes conclusions.


86      En outre, le Tribunal n’aurait pas pris en compte les preuves dont il ressortirait que les expéditeurs étaient pour la plupart établis en dehors de l’EEE et que les requérantes n’avaient vendu à des expéditeurs établis dans l’EEE qu’un faible pourcentage sur les liaisons entrantes (dans un cas, 0,04 % des ventes). Par ailleurs, au considérant 1241 de la décision litigieuse, la Commission a néanmoins réduit de 50 % le montant de base de l’amende, reconnaissant ainsi qu’une partie du préjudice pouvait avoir été causée à l’extérieur de l’EEE.


87      Voir, notamment, arrêt Air Canada, points 265 à 267.


88      Voir, notamment, arrêt Air Canada, points 268 à 270. Le Tribunal s’appuie, à cet égard, sur une lettre de la Hong Kong Association of Freight Forwarding & Logistics (Association de Hong Kong du transit et de la logistique) au président du comité exécutif du sous-comité cargo (SCC) du Board of Airline Representatives (Association des représentants des compagnies aériennes, BAR) à Hong Kong. Au cours des audiences, les représentants de la Commission ont souligné que les coûts liés aux surtaxes s’inscrivaient dans une fourchette qui représentait approximativement entre 10 % et 14,5 % du prix de vente.


89      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 271, dans lequel le Tribunal mentionne que les requérantes réalisaient un chiffre d’affaires important sur les liaisons entrantes.


90      D’ailleurs, la Cour a souligné qu’il n’était pas nécessaire, dans le cadre de l’application de l’article 101 TFUE, de démontrer les effets concrets sur le marché de certains comportements collusoires, tels que des cartels, conduisant à la fixation horizontale des prix (voir jurisprudence citée à la note en bas de page 80 des présentes conclusions).


91      Le Tribunal se fonderait sur une « chaîne de prévisibilité » constituée de trois étapes : tout d’abord, il était prévisible que la fixation des surtaxes entraînerait l’augmentation du niveau de celles-ci et des prix des services de fret, ensuite, il était prévisible que les transitaires répercuteraient le surcoût des services de fret sur les expéditeurs et, enfin, il était prévisible que les expéditeurs répercuteraient ces coûts sur le prix de leurs marchandises vendues au sein de l’EEE (voir, notamment, arrêt Japan Airlines, points 120 à 129).


92      Selon les requérantes, une évaluation de la probabilité de la survenance des répercussions du comportement litigieux exigerait une analyse factuelle et économique complexe. En outre, la Commission n’aurait pas établi qu’un effet anticoncurrentiel était « plus probable qu’improbable » (voir note en bas de page 76 des présentes conclusions), c’est-à-dire ayant plus de 50 % de chances de se produire, étant donné que la Commission a réduit de 50 % le montant de base de l’amende du fait qu’une partie du dommage causé par le comportement sur les liaisons EEE-États tiers avait probablement été causée en dehors de l’EEE (considérant 1241 de la décision litigieuse).


93      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 247. Le Tribunal s’est appuyé, à cet égard, sur les conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Kone e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:45, point 42).


94      Le Tribunal s’est référé, notamment, à l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 51).


95      Voir, notamment, arrêt Air Canada, points 250 à 252. Le Tribunal s’est appuyé, à cet égard, sur les considérants 874, 879 et 899 de la décision litigieuse, dans lesquels la Commission a expliqué que l’infraction unique et continue en question avait pour objectif de lever l’incertitude en matière de tarification dans le secteur du fret aérien, ainsi que sur le considérant 17 de cette décision, où la Commission avait précisé que les transporteurs ajoutent les surtaxes aux tarifs négociés avec les transitaires (ou, rarement, directement avec les expéditeurs). Dans le même temps, le Tribunal a écarté, en ce qu’il n’était pas démontré, l’argument tiré de ce que, en l’absence d’entente sur les tarifs (de la part des clients des transporteurs) et donc dans une situation de concurrence dans les services en aval, l’augmentation des prix appliqués par les transporteurs serait compensée par une baisse correspondante des tarifs et d’autres surtaxes selon un « effet de vases communicants » (voir, notamment, arrêt Air Canada, point 252). Certaines requérantes se réfèrent également à un rapport économique dont la Commission n’aurait pas tenu compte au motif que l’argument relatif à l’effet de vases communicants renvoyait à une restriction de la concurrence par effet alors que la Commission avait appliqué le critère de la restriction de la concurrence par objet (considérant 1190 de la décision litigieuse). Toutefois, la pertinence de ce rapport a été écartée par le Tribunal dans son appréciation factuelle (voir, notamment, arrêt Air France, points 142 et 143).


96      Voir, notamment, arrêt Air Canada, points 253 à 258. Le Tribunal s’est appuyé, à cet égard, sur les considérants 14 et 70 de la décision litigieuse, dans lesquels la Commission avait précisé, en substance, que les clients des services de fret aérien étaient principalement des transitaires.


97      Le Tribunal a précisé que le coût des marchandises dont les transitaires organisent généralement le transport au nom des expéditeurs intégrait le prix des services de transit et notamment celui des services de fret, en s’appuyant sur les considérants 70 et 1031 de la décision litigieuse, où la Commission avait conclu, en substance, que les prix du transport en question représentaient une partie du prix de vente final des marchandises transportées, qui avait un impact sur leur vente.


98      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 260.


99      C‑557/12, EU:C:2014:45, point 42.


100      Voir note en bas de page 80 des présentes conclusions.


101      Voir considérants 675 à 677 de la décision litigieuse, dans lesquels la Commission remarque que les transitaires étaient particulièrement inquiets du fait de ne pas pouvoir recevoir une commission pour la perception des surtaxes de la part des compagnies aériennes.


102      Plus précisément, Air Canada (deuxième branche du premier moyen), British Airways (troisième moyen), Air France (deuxième branche du premier moyen), Air France-KLM (deuxième branche du deuxième moyen), LATAM Airlines Group et Lan Cargo (première branche du troisième moyen), Singapore Airlines (cinquième branche du premier moyen), Deutsche Lufthansa (deuxième branche du moyen unique), Japan Airlines (première branche du deuxième moyen), Cathay Pacific (deuxième branche du premier moyen), Cargolux (troisième branche du premier moyen), KLM (quatrième branche du premier moyen), et SAS Cargo Group (cinquième branche du troisième moyen).


103      Ainsi que relevé par l’avocat général Wahl dans ses conclusions dans l’affaire Intel (point 319), la notion d’« infraction unique et continue » serait simplement une règle procédurale visant à alléger la charge de la preuve des autorités de la concurrence et un principe de preuve pour qualifier une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Dans le cas contraire, selon les requérantes, la Commission pourrait utiliser cette notion pour étendre sa compétence à un comportement adopté n’importe où dans le monde, sans lien avec l’EEE.


104      Le Tribunal s’est appuyé, à cet égard, sur les arrêts Intel, point 50, et du 12 juillet 2018, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission (T‑441/14, EU:T:2018:453, points 105 et 106).


105      Voir, notamment, arrêt Air Canada, points 284 à 286. Le Tribunal a précisé que l’application uniforme des surtaxes s’intégrait dans une stratégie d’ensemble visant à neutraliser le risque que les transitaires contournent les effets de l’entente litigieuse en optant pour des liaisons indirectes qui ne seraient pas assujetties à des surtaxes coordonnées pour acheminer des marchandises, étant donné que, ainsi qu’il ressortait du considérant 72 de la décision litigieuse, le facteur temps était moins important pour le transport de fret que pour celui de passagers, si bien que le fret pouvait être acheminé avec un nombre d’escales plus élevé et que les liaisons indirectes pouvaient, en conséquence, se substituer aux liaisons directes. Ce faisant, la Commission aurait évité le risque d’une fragmentation artificielle d’un comportement anticoncurrentiel global, susceptible d’affecter la structure du marché au sein de l’EEE, en une série de comportements distincts susceptibles d’échapper, en tout ou en partie, à la compétence de l’Union, ainsi qu’il ressortait du point 57 de l’arrêt Intel. Par ailleurs, le Tribunal a écarté l’argument selon lequel la Commission était tenue, en l’espèce, de définir le marché pertinent (voir, notamment, arrêt Air Canada, points 287 et 288).


106      Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’une violation de l’article 101 TFUE (il en va de même pour l’article 53 de l’accord EEE) peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de cette disposition. Ainsi, lorsque les différents comportements s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces comportements en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt Sony, point 62 et jurisprudence citée).


107      Voir, en ce sens, arrêt Sony, points 63 et 64 ainsi que jurisprudence citée.


108      Voir, en ce sens, arrêt Sony, point 67. En effet, ainsi que l’a également précisé la Cour, interdire à la Commission d’appliquer le critère des effets qualifiés au comportement collusoire pris dans son ensemble risquerait d’entraîner une fragmentation artificielle d’un comportement anticoncurrentiel global, susceptible d’affecter la structure du marché au sein de l’EEE, en une série de comportements distincts risquant d’échapper à la compétence de l’Union (arrêt Intel, point 57).


109      Voir arrêt Sony, points 66 à 72. À cet égard, la Cour a jugé que, lorsque la Commission a l’intention de reprocher aux destinataires d’une communication des griefs non seulement une infraction unique et continue, mais encore chacun des comportements constituant cette infraction pris séparément en tant qu’infractions distinctes, le respect des droits de la défense de ces destinataires exige que la Commission expose, dans cette communication, les éléments nécessaires pour permettre à ceux-ci de comprendre que la Commission les poursuit au titre tant de ladite infraction unique et continue que de chacune de ces infractions distinctes (point 73 de cet arrêt).


110      En effet, la théorie des effets qualifiés ne peut s’appliquer qu’au regard des infractions (en l’occurrence au droit de la concurrence) telles que prévues par le droit de l’Union.


111      Dans le cadre, respectivement, de la deuxième branche du premier moyen et de la cinquième branche du troisième moyen.


112      Voir point 14 des présentes conclusions.


113      Voir, notamment, arrêt Air Canada, point 290.


114      Comme il ressort de la décision litigieuse et ainsi que cela a ensuite été confirmé par le Tribunal dans les arrêts attaqués, les requérantes ont participé à une entente mondiale dont les caractéristiques étaient les mêmes dans le monde entier et n’étaient pas spécifiques à une liaison en particulier. Les requérantes ne sont pas parvenues à démontrer que le Tribunal aurait commis une erreur de droit ou aurait dénaturé les éléments de preuve produits par la Commission lorsqu’il a jugé, notamment, que les contacts entre les transporteurs, y inclus ceux entretenus au niveau local, étaient limités aux services de fret entrants et ne faisaient pas partie de la stratégie globale de l’entente litigieuse.


115      Ainsi que l’a précisé le Tribunal, le fait que, dans le contexte d’un marché mondial, d’autres parties du monde sont affectées par le comportement incriminé (en l’occurrence, une concentration) ne saurait empêcher l’Union d’exercer son contrôle sur ce comportement affectant substantiellement la concurrence à l’intérieur du marché intérieur [voir, par analogie, arrêt du 25 mars 1999 (Gencor/Commission, T‑102/96, EU:T:1999:65, point 98)]. En effet, la compétence extraterritoriale de la Commission se limite aux conséquences de ce comportement sur le marché intérieur, sans tenir compte des répercussions ultérieures de celui-ci dans d’autres territoires.


116      Il s’agit du troisième moyen du pourvoi, relatif au quatrième moyen du recours en première instance.


117      Voir, notamment, considérants 889 et 1046 de la décision litigieuse.


118      En revanche, l’affirmation de la Commission figurant au considérant 1210 de la décision litigieuse, selon laquelle la portée de l’infraction (et non de l’entente) était mondiale, est incorrecte. Il est néanmoins évident, compte tenu du contexte dans lequel cette décision a été adoptée, qu’il s’agit d’une erreur qui n’a aucune incidence sur les conclusions de la Commission concernant l’infraction unique et continue qui fait l’objet de ladite décision, ainsi que le Tribunal l’a relevé, notamment, au point 153 de l’arrêt LATAM Airlines Group et Lan Cargo.


119      Cette circonstance distingue les présentes affaires de celle qui a fait l’objet de l’arrêt Sony, dans lequel la Cour a constaté que le Tribunal, étant parti de la prémisse que chacun des comportements composant l’infraction unique et continue alléguée dans la communication des griefs devait être nécessairement qualifié d’infraction distincte, avait confondu la notion de « comportement » et celle d’« infraction » et que, partant, les requérantes ne pouvaient pas comprendre, en l’absence de toute indication claire dans la communication des griefs, que la Commission entendait les poursuivre non seulement au titre de l’infraction unique et continue alléguée dans cette communication, mais également au titre de plusieurs infractions distinctes constituées des différents contacts bilatéraux mentionnés dans cette dernière (voir points 77 et 78 de l’arrêt Sony).


120      L’article 16 de ce règlement établit notamment que, lorsque les juridictions nationales et les autorités de concurrence des États membres statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant des articles 101 ou 102 TFUE qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission.


121      À cet égard, je relève, d’ailleurs, que les conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Glawischnig-Piesczek (C‑18/18, EU:C:2019:458, point 100), citées par les requérantes, ne sont pas pertinentes en l’espèce. En effet, dans le point invoqué par celles-ci, l’avocat général souligne, en substance, que la juridiction d’un État membre, lorsqu’elle statue sur le retrait d’informations diffusées au moyen d’Internet au niveau mondial, doit adopter une attitude d’autolimitation, dans le respect de la courtoisie internationale, en limitant les effets extraterritoriaux de ses injonctions en matière d’atteinte à la vie privée et aux droits de la personnalité. Indépendamment du contexte qui est, par ailleurs, très différent, il est évident que, dans ce passage, l’avocat général se réfère à des décisions judiciaires (injonctions) et non à des constatations de fait.


122      Plus précisément, Air Canada (deuxième branche du premier moyen), Air France (deuxième branche du premier moyen), Air France-KLM (deuxième branche du deuxième moyen), British Airways (première branche du premier moyen), Singapore Airlines (septième branche du premier moyen), Deutsche Lufthansa (troisième branche du moyen unique), Japan Airlines (deuxième branche du deuxième moyen), Cathay Pacific (quatrième branche du premier moyen), KLM (troisième branche du premier moyen), Cargolux (cinquième branche du premier moyen), et SAS Cargo Group (deuxième branche du troisième moyen).


123      Voir point 14 des présentes conclusions.


124      Voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission (C‑431/07 P, EU:C:2009:223, point 68). En effet, dans leurs recours en première instance, les requérantes avaient soulevé des moyens très détaillés concernant le défaut de compétence extraterritoriale de la Commission et tirés, notamment, d’une erreur dans l’application des critères de la mise en œuvre et des effets qualifiés, à l’égard soit de la coordination relative aux services de fret entrants prise isolément (et à la pertinence ainsi qu’au caractère prévisible, substantiel et immédiat de ces effets) soit de l’infraction unique et continue prise dans son ensemble. Voir, à cet égard, la seconde branche du quatrième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt Air Canada, la deuxième branche du premier moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt Singapore Airlines, le quatrième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt Deutsche Lufthansa, les deuxième et troisième branches du sixième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt Cargolux Airlines, les deuxième et troisième branches du quatrième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt British Airways, les deuxième et troisième branches du troisième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt Air France, les deuxième et troisième branches du troisième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt Air France-KLM, les deuxième et troisième branches du troisième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt KLM, les deuxième et troisième branches du sixième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt Cathay Pacific Airways, la première branche du deuxième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt SAS Cargo Group, ainsi que le cinquième moyen du recours ayant fait l’objet de l’arrêt Japan Airlines.


125      Plus précisément, SAS Cargo Group (première branche du deuxième moyen).


126      Plus précisément, Air Canada (deuxième branche du premier moyen) et Cargolux (sixième branche du premier moyen).


127      Les requérantes soulèvent également un argument selon lequel le Tribunal, dans les arrêts attaqués, aurait ajouté un raisonnement nouveau, argument qui, à mon avis, se recoupe avec celui tiré d’une substitution de motifs examiné aux points 96 à 101 des présentes conclusions.


128      Voir arrêt Sony, points 69 et 70 ainsi que jurisprudence citée. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union du respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir au prononcé d’une sanction.


129      Voir, en ce sens, arrêt Sony, point 71 et jurisprudence citée.


130      Voir, en ce sens, arrêt Sony, point 72 et jurisprudence citée.


131      Cet argument se recoupe, à mon avis, en grande partie avec celui tiré de la substitution des motifs, examiné aux points 96 à 101 des présentes conclusions.


132      Respectivement, le quatrième moyen, tiré d’erreurs dans l’application du critère des effets qualifiés, et la seconde branche du deuxième moyen, tirée de ce que les comportements reprochés dans la décision sont nouveaux ou modifiés dans leur substance par rapport à la communication des griefs.


133      Plus précisément, Air Canada (deuxième branche du premier moyen), Air France (deuxième branche du premier moyen), Air France-KLM (deuxième branche du deuxième moyen), Japan Airlines (deuxième branche du deuxième moyen), Cargolux (quatrième branche du premier moyen) et SAS Cargo Group (troisième branche du troisième moyen).


134      Cela s’appliquerait particulièrement aux constatations du Tribunal concernant la prévisibilité des effets et leur caractère immédiat.


135      Cela serait également démontré par le fait que le Tribunal aurait utilisé des termes imprécis tels que « pour peu que », « susceptible de » et « qui peut en avoir résulté ».


136      Voir notamment, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 78 et 79). En effet, s’agissant en particulier des ententes, dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique anticoncurrentielle doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une infraction aux règles de la concurrence. Dans ces circonstances, il suffit que le faisceau d’indices invoqué par la Commission, apprécié globalement, réponde à cette exigence [voir notamment, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 35 à 37 et jurisprudence citée)].


137      Compte tenu du niveau de preuve défini aux points 51 à 57 des présentes conclusions et conformément à mon appréciation développée aux points 58 à 75 des présentes conclusions.


138      À ce dernier égard, la Commission a souligné, à titre d’exemple, que « chaque transporteur aurait pu surmonter n’importe quelle entrave juridique ou technique à la prestation [de ces services] grâce [notamment] à des accords passés avec d’autres transporteurs ». Ainsi, la Commission, renvoyant à d’autres considérants de la décision litigieuse, a donné l’exemple de l’« interlining », de la réservation de capacité et du partage de capacité et a précisé que « le fait que les transporteurs coordonnaient leur comportement en matière de tarification concernant la surtaxe carburant, la surtaxe sécurité et [le refus de payer des] commissions sur les surtaxes sur toutes les liaisons dans le monde [indiquait] clairement qu’il n’existait aucune entrave insurmontable à la prestation de services de fret aérien sur quelque liaison que ce soit ».


139      Le Tribunal a tout d’abord précisé que la Commission pouvait tenir la requérante pour responsable des comportements litigieux sur les liaisons non pertinentes, pourvu qu’il soit démontré qu’elle entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des transporteurs incriminés et qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par ceux-ci dans la poursuite des mêmes objectifs et auxquels elle n’a pas directement participé, ou qu’elle avait pu raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque (point 377). Il a ensuite exclu que la Commission ait imputé à la requérante la responsabilité pour l’infraction unique et continue sur le fondement de sa qualité de concurrent potentiel (points 378 et 379). Il a enfin conclu, en substance, que, en vertu des nombreux contacts entretenus avec des concurrents, la requérante avait soit participé à la concertation relative aux liaisons en question, soit eu connaissance des activités relatives à celle-ci (points 380 à 385).


140      Par ailleurs, la requérante n’explique nullement dans quelle mesure ces références jurisprudentielles auraient pu porter atteinte à ses droits de la défense.


141      Voir, notamment, arrêt du 13 juillet 2023, Nichicon Corporation/Commission (C‑757/21 P, EU:C:2023:575, point 124 et jurisprudence citée).


142      Il y a lieu de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié [voir, notamment, arrêt du 24 septembre 2020, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi/Commission (C‑601/18 P, EU:C:2020:751, point 101 ainsi que jurisprudence citée)].


143      Par exemple, dans l’arrêt du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a. (C‑310/97 P, EU:C:1999:407, points 62 et 63), la Cour a jugé que le principe de la sécurité juridique s’oppose à ce que, dans une hypothèse où plusieurs décisions individuelles similaires infligeant des amendes ont été adoptées dans le cadre d’une procédure commune et où certains destinataires seulement ont poursuivi et obtenu l’annulation en justice des décisions les concernant, l’institution dont elles émanent doive, à la demande d’autres destinataires, réexaminer, à la lumière des motifs de l’arrêt d’annulation, la légalité des décisions non attaquées et apprécier si, sur la base de cet examen, il y a lieu de procéder à un remboursement des amendes versées.


144      Voir arrêt du 16 juin 2016, Evonik Degussa et AlzChem/Commission (C‑155/14 P, EU:C:2016:446, point 58 ainsi que jurisprudence citée).


145      Voir, en ce sens, arrêt Sony, point 101. Dans le cas contraire, le Tribunal risquerait de traiter des situations différentes de manière similaire, ce qui constituerait une violation du principe de l’égalité de traitement [voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2010, Chalkor/Commission (T‑21/05, EU:T:2010:205, point 104)].


146      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante de la Cour, le Tribunal n’est pas tenu de justifier la solution retenue dans une affaire par rapport à celle retenue dans une autre affaire dont il a été saisi, quand bien même elle concernerait la même décision [voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission (C‑444/11 P, EU:C:2013:464, point 66 ainsi que jurisprudence citée)]. En outre, la requérante conteste l’appréciation des éléments de preuve opérée par le Tribunal, sans démontrer l’existence d’une dénaturation des faits par celui-ci.


147      Voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission (C‑440/19 P, EU:C:2021:214 point 138 et jurisprudence citée). La Cour précise que l’exercice d’une compétence de pleine juridiction ne saurait entraîner, lors de la détermination du montant des amendes qui leur sont infligées, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à une infraction aux règles de concurrence.


148      Arrêt Cargolux Airlines, points 631 à 647.


149      Il s’agit de la participation allant du 26 novembre 2002 (considérant 618 de la décision litigieuse) au 14 janvier 2004 (considérant 660 de cette décision), de même que du 28 septembre 2004 (considérant 640 de ladite décision) jusqu’à la fin de l’infraction unique et continue, à savoir le 14 février 2006.


150      Voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission (C‑440/19 P, EU:C:2021:214, point 112 et jurisprudence citée).


151      Il me semble toutefois que, à première vue, la requérante ne parvient pas à démontrer que les deux comportements ne s’inscrivaient pas dans une infraction unique et continue.


152      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans distanciation publique de son contenu ni dénonciation aux autorités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromet sa découverte. Cette complicité constitue un mode passif de participation à l’infraction qui est de nature à engager la responsabilité de l’entreprise concernée. Il découle de cette jurisprudence que la Commission peut considérer que l’infraction, ou la participation d’une entreprise à l’infraction, ne s’est pas interrompue, même si elle ne détient pas de preuves de l’infraction pour certaines périodes déterminées, lorsque les différentes actions qui font partie de cette infraction poursuivent une seule finalité et sont susceptibles de s’inscrire dans le cadre d’une infraction à caractère unique et continu et lorsque l’entreprise concernée n’a pas invoqué d’indices ou d’éléments de preuve établissant que, au contraire, l’infraction, ou sa participation à celle-ci, ne s’est pas poursuivie pendant ces périodes [voir arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission (C‑440/19 P, EU:C:2021:214, points 113 et 114 ainsi que jurisprudence citée)].


153      Cet argument est développé dans le cadre du cinquième moyen et, de manière incidente, dans le cadre du quatrième moyen, lequel expose, pour l’essentiel, des arguments concernant l’appréciation des preuves relatives à la participation de la requérante à l’infraction unique et continue, qui ne font pas l’objet des présentes conclusions ciblées.


154      Les arguments de la requérante analysés ci-après font donc abstraction du bien-fondé de l’appréciation des preuves pertinentes par la Commission et le Tribunal, et soulèvent, en substance, la question de savoir dans quelle mesure ces derniers auraient dû établir, par rapport à chaque élément de preuve, sa nature de preuve directe de l’infraction unique et continue ou d’élément « corroborant » l’interprétation d’autres éléments de preuve.


155      À savoir, les contacts en lien, respectivement, avec les liaisons Union-pays tiers antérieurs au 1er mai 2004 et avec les liaisons Suisse-pays tiers.


156      Selon le Tribunal, « rien n’empêchait les transporteurs incriminés de se coordonner ou d’échanger des informations dans de tels pays au sujet d’autres services de fret, notamment intra-EEE ».


157      Le Tribunal a effectué cet examen à l’aune de sa propre jurisprudence, citée au point 324 de l’arrêt Cathay Pacific Airways, selon laquelle la Commission peut s’appuyer sur des contacts antérieurs à la période infractionnelle (pour laquelle elle n’était pas compétente) afin de construire une image globale de la situation et ainsi corroborer l’interprétation de certains éléments de preuve [voir arrêts du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission (T‑54/03, EU:T:2008:255, points 427 et 428), du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission (T‑198/03, EU:T:2006:136, point 89), ainsi que du 22 mars 2012, Slovak Telekom/Commission (T‑458/09 et T‑171/10, EU:T:2012:145, points 45 à 52)].


158      Voir, notamment, arrêt du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission (C‑407/04 P, EU:C:2007:53, point 63).


159      Voir, notamment, arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission (C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 47). En effet, la Cour a jugé que, dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence et que de tels indices et coïncidences permettent, lorsqu’ils sont évalués globalement, de révéler non seulement l’existence de comportements ou d’accords anticoncurrentiels, mais également la durée d’un comportement anticoncurrentiel continu et la période d’application d’un accord conclu en violation des règles de concurrence [voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission (C‑440/19 P, EU:C:2021:214, points 110 et 111 ainsi que jurisprudence citée)]. Cela n’empêche évidemment pas que le Tribunal puisse, le cas échéant, adopter une approche plus ponctuelle, visant à expliciter la valeur probatoire de certains éléments de preuve (dans ce cas, des auteurs parlent d’« “atomistic” approach of the need of corroboration » : voir Castillo de la Torre, F., et Gippini Fournier, E., « Evidence, Proof and Judicial Review in EU Competition Law », Elgar Competition Law and Practice, Edward Elgar Publishing, Cheltenham, 2024, p. 308).


160      Voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 44). En effet, le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé n’est pas pertinent pour établir l’existence d’une infraction dans son chef, étant donné qu’il n’y a lieu de prendre en considération ces éléments que lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination de l’amende (point 45 et jurisprudence citée).


161      Voir arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 46). Voir, en doctrine, Cournot, M., « Participation in a Complex Infrigement: A Questionable Assessment by the Court of Justice », European Law Reporter, 2013, p. 225 à 231 ; Robin, C., « Réunion avec des concurrents : parfois une preuve de participation à une entente, parfois non », Revue Lamy de la Concurrence : droit, économie, régulation, 2013 nº 37, p. 26 ; Muguet-Poullennec, G., « Infraction complexe et “éléments séparables” », Revue Lamy de la Concurrence : droit, économie, régulation, 2013 nº 37, p. 76 et 77.


162      Elles partent du principe selon lequel seule une annulation partielle de composantes accessoires ne modifierait pas la substance d’une infraction unique et continue au sens de l’arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission (C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 86).


163      Les requérantes font remarquer que la même expression (il serait « artificiel de subdiviser [le] comportement continu » en question) a été utilisée dans la décision de la Commission faisant l’objet de l’arrêt du 4 juillet 2013, Commission/Aalberts Industries e.a. (C‑287/11 P, EU:C:2013:445, point 61), par lequel la Cour a jugé qu’il était impossible de procéder à l’annulation partielle.


164      Par ailleurs, dans l’arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission (C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 86), évoqué par les requérantes, la Cour s’est limitée à conclure que, dans les circonstances de l’espèce, le fait que les éléments dont le Tribunal avait constaté qu’ils n’avaient pas permis de prouver la responsabilité de la partie en question n’étaient que des composantes « accessoires » constituait une raison suffisante pour conclure qu’ils étaient « séparables ». Cette conclusion n’implique cependant pas qu’il soit toujours nécessaire, pour que des éléments soient « séparables », qu’ils soient « accessoires ».


165      Par ailleurs, s’agissant de l’arrêt du 4 juillet 2013, Commission/Aalberts Industries e.a. (C‑287/11 P, EU:C:2013:445, points 64 et 65), invoqué par les requérantes, il ressort clairement du point 65 de cet arrêt que la déclaration selon laquelle la Commission aurait elle-même constaté qu’il serait artificiel de subdiviser le comportement continu en question pour exclure la possibilité d’une annulation partielle a été formulée à titre subsidiaire, la Cour s’étant principalement fondée sur le fait que, dans la décision qui a fait l’objet dudit arrêt, la Commission n’avait pas indiqué que l’autre composante de l’infraction unique et continue constituait une infraction.


166      Voir, notamment, considérant 775 de la décision litigieuse.


167      Arrêt LATAM Airlines Group et Lan Cargo, points 631 et 632, qui renvoient au point 581 de cet arrêt, dans lequel le Tribunal avait conclu que, bien que la Commission ait commis une erreur en retenant que les requérantes pouvaient être tenues pour responsables de la composante de l’infraction unique et continue tenant à la surtaxe carburant du 25 février 2003 au 21 juillet 2005, ces dernières n’avaient pas démontré qu’elle avait commis une erreur en constatant qu’elles avaient participé à ladite infraction après cette dernière date.


168      Cette conclusion pourrait, le cas échéant, être moins évidente en ce qui concerne le refus de paiement de commissions, s’agissant d’un comportement accessoire par rapport aux surtaxes.


169      En revanche, je ne crois pas que le considérant 871 de la décision litigieuse, invoqué à cet effet par la Commission dans ses observations écrites, soit pertinent. En effet, dans ce considérant, la Commission s’est bornée à indiquer, notamment, que certaines des activités (réunions, contacts, échanges) constituant les éléments de preuve de l’infraction unique et continue « pourraient être considérées comme étant des infractions en soi », sans fournir aucune précision à cet égard.


170      Voir arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 46).


171      Le point de départ du délai de prescription serait la date de cessation de l’infraction unique et continue, à savoir le 14 février 2006, conformément à l’article 25, paragraphe 2, du règlement no 1/2003. À titre subsidiaire, ce délai aurait expiré le 9 novembre 2015, s’il était considéré que le délai de prescription a été interrompu jusqu’à la décision de 2010.


172      Voir arrêts Japan Airlines(points 193 à 226), British Airways (points 220 à 223 et 226), Cathay Pacific Airways(points 244 à 247) et LATAM Airlines Group et Lan Cargo (points 133 à 139).


173      Plus précisément, il s’agit des principes de sécurité juridique, de bonne administration de la justice, d’économie de la procédure, de l’intérêt public dans l’application du droit de la concurrence et du principe d’égalité de traitement.


174      Voir notamment, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Salzgitter/Commission (C‑210/98 P, EU:C:2000:172, points 141 et 142) et de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire British Airways/Commission (C‑122/16 P, EU:C:2017:406, point 103).


175      Voir arrêt du 8 novembre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission (C‑469/11 P, EU:C:2012:705, points 49 à 53 et jurisprudence citée). Au point 52 de cet arrêt, la Cour a précisé que, à la différence des délais de procédure, le délai de prescription en cause, en entraînant l’extinction de l’action en justice, se rapporte au droit matériel puisqu’il affecte l’exercice d’un droit subjectif dont la personne concernée ne peut plus se prévaloir effectivement en justice. Au point 53 dudit arrêt, elle a ajouté que le délai de prescription, prévu à l’article 46, paragraphe 1, du statut de la Cour, a notamment pour fonction, d’une part, d’assurer la protection des droits de la personne lésée, celle-ci devant disposer de suffisamment de temps pour rassembler des informations appropriées en vue d’un recours éventuel et, d’autre part, d’éviter que la personne lésée puisse retarder indéfiniment l’exercice de son droit à dommages et intérêts. Ce délai protège, en définitive, la personne lésée et la personne responsable du dommage. Le même principe a été appliqué par la Cour s’agissant du délai de prescription prévu à l’article 10, paragraphe 3, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1) [voir arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494, points 45 à 47)].


176      Voir arrêt du 14 juin 2016, Marchiani/Parlement (C‑566/14 P, EU:C:2016:437, point 94). En l’occurrence, il s’agissait d’une créance liée à l’indemnité d’assistance parlementaire reçue à tort par le requérant.


177      En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, ce délai de recours est d’ordre public, ayant été institué en vue d’assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques et d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice. Il appartient au juge de l’Union de vérifier, d’office, s’il a été respecté [voir, notamment, arrêt du 23 janvier 1997, Coen (C‑246/95, EU:C:1997:33, point 21)].


178      Voir arrêt du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission (C‑210/98 P, EU:C:2000:397, points 55 et 56), concernant la compatibilité, dans le cadre du traité CECA, d’une aide notifiée après l’expiration du délai de notification fixé dans le cinquième code des aides à la sidérurgie [décision no 3855/91/CECA de la Commission, du 27 novembre 1991, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie (JO 1991, L 362, p. 57)], ainsi que certains arrêts concernant le délai de forclusion fixé pour l’adoption de décisions dans le cadre du Fonds de cohésion [arrêt du 4 septembre 2014, Espagne/Commission (C‑192/13 P, EU:C:2014:2156, point 103) et du Fonds européen de développement régional (FEDER), arrêt du 24 juin 2015, Espagne/Commission (C‑263/13 P, EU:C:2015:415, point 57)].


179      Le Tribunal est parvenu à une conclusion analogue dans l’arrêt du 13 mai 2014, McBride e.a./Commission (T‑458/10 à T‑467/10 et T‑471/10, EU:T:2014:249, points 25 à 36), confirmé sur pourvoi par l’arrêt du 14 juin 2016, Commission/McBride e.a. (C‑361/14 P, EU:C:2016:434). Voir, en doctrine, Clausen, F., Les moyens d’ordre public devant la Cour de justice de l’Union européenne, Collection droit de l’Union européenne, Bruylant, Namur, 2018, p. 185 à 187, 223 et 247.


180      En ce qui concerne l’appréciation de la nature pénale des poursuites et des sanctions administratives, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, trois critères sont pertinents. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (voir notamment, en ce sens, arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 35).


181      En application des critères énoncés par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH) dans son arrêt du 8 juin 1976, Engel e.a/Pays-Bas, CE:ECHR:1976:0608JUD000510071 (voir, également, Cour EDH, 27 septembre 2011, A. Menarini Diagnostis c. Italie, CE:ECHR:2011:0927JUD004350908, §§ 39 à 44). Certains avocats généraux (notamment l’avocat général Bot dans ses conclusions dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, EU:C:2010:635, point 49, et l’avocat général Pitruzzella dans ses conclusions dans l’affaire Whiteland Import Export, C‑308/19, EU:C:2020:639, point 91) ont relevé explicitement que les amendes visées à l’article 23 du règlement no 1/2003 « sont, par leur nature et leur importance, assimilables à une sanction pénale » et que la procédure qui en résulte « relève donc de la “matière pénale” au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH ». En ce qui concerne la Cour, voir arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission (C‑501/11 P, EU:C:2013:522 point 33).


182      Voir, par analogie, s’agissant des droits de la défense, arrêt du 20 décembre 2023, Crédit agricole et Crédit agricole Corporate and Investment Bank/Commission (T‑113/17EU:T:2023:847, points 46 et 47). En effet, selon les termes utilisés par la Cour EDH, puisque la procédure tendant à infliger une amende ne fait pas partie du « noyau dur » du droit pénal, les garanties offertes par le volet pénal de l’article 6 de la CEDH ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur (voir Cour EDH, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, CE:ECHR:2006:1123JUD007305301, § 43).


183      La Cour a jugé, en substance, que les articles 101 et 102 TFUE constituent des dispositions d’ordre public qui doivent être appliquées d’office par les juridictions nationales [voir, notamment, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss (C‑126/97, EU:C:1999:269, point 39), ainsi que du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 31)].


184      Les requérantes se fondent, à cet égard, sur des décisions des juridictions nationales.


185      Certains auteurs font référence, à cet égard, à l’« ordre public de direction et non de protection », dont l’objectif serait d’œuvrer pour une meilleure organisation de la société et de l’économie, dans l’intérêt général (voir, en ce sens, Petit, N., Droit européen de la concurrence, Paris, 2013, p. 39).


186      Voir point 126 des présentes conclusions.


187      Voir, notamment, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission (C‑122/16 P, EU:C:2017:861, point 98).


188      Voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 1999, Shell/Commission (C‑234/92 P, EU:C:1999:361, point 68), dans lequel la Cour a jugé, en substance, que le Tribunal ne saurait être tenu d’ordonner la réouverture de la procédure orale en raison d’une prétendue obligation de soulever d’office des moyens d’ordre public qu’en fonction des éléments de fait versés au dossier (voir, en doctrine, Corthaut, T., EU Ordre Public, Alphen aan den Rijn, 2012, p. 226).


189      La Cour a relevé à plusieurs reprises que l’existence de moyens de réparation des dommages civils peut également remplir une fonction d’intérêt public, dans la mesure où ces moyens sont susceptibles de constituer une dissuasion contre la violation des règles de concurrence [voir, notamment, arrêt du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465, points 26 et 27)]. Or, il me semble que la possibilité de remettre en question indéfiniment une décision constatant une infraction, qui, conformément à l’article 16 du règlement no 1/2003, est contraignante pour les juridictions nationales, laisse les parties lésées dans une situation d’incertitude quant à la possibilité de poursuivre la violation des règles de concurrence par des actions de suivi.


190      Pour rappel, le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions au titre de l’article 263 TFUE, lequel peut être complété, en application de l’article 261 TFUE et de l’article 31 du règlement no 1/2003, et sur demande de la partie requérante, par l’exercice par le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les sanctions infligées dans ce domaine par la Commission [voir arrêts du 25 juillet 2018, Orange Polska/Commission (C‑123/16 P, EU:C:2018:590, point 104 et jurisprudence citée), ainsi que du 12 janvier 2023, Lietuvos geležinkeliai/Commission (C‑42/21 P, EU:C:2023:12, points 151 et 152 ainsi que jurisprudence citée)].


191      Il s’agit des chiffres d’affaires relatifs aux ventes qu’elles avaient réalisées sur les liaisons desservies exclusivement à l’intérieur du Danemark, de la Suède et de la Norvège, qui avaient été exclus au cours de la procédure administrative à la suite d’une demande des requérantes (voir arrêt SAS Cargo Group, points 926 à 931).


192      Voir arrêt SAS Cargo Group, point 939.


193      Au point 936 de l’arrêt SAS Cargo Group, le Tribunal a précisé que le chiffre d’affaires en question « relevait à l’évidence du champ d’application de l’infraction unique et continue » et qu’« il ne serait pas fait une juste appréciation de l’importance économique de celle-ci et du rôle joué par chaque transporteur incriminé à cet égard s’il ne devait pas être tenu compte de ce chiffre d’affaires aux fins du calcul du montant de l’amende ».


194      Arrêt SAS Cargo Group, point 940.


195      Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).


196      Arrêt SAS Cargo Group, points 932 et 933.


197      Plus particulièrement, le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui a été souligné à maintes reprises par la jurisprudence de la Cour. Dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, d’une part, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement déterminé à la lumière des articles 101 et 102 TFUE ainsi que de l’article 23 du règlement nº 1/2003 et, d’autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par la partie requérante, tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende [voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission (C‑3/06 P, EU:C:2007:88, points 68 et 69 ainsi que jurisprudence citée)].


198      Voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2012, M. (C‑277/11, EU:C:2012:744, point 85 et jurisprudence citée).


199      Voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a. (C‑89/08 P, EU:C:2009:742, points 50 à 52 ainsi que jurisprudence citée).


200      Sur la notion de « prévisibilité », voir arrêt du 26 septembre 2013, Alliance One International/Commission (C‑679/11 P, EU:C:2013:606, point 111).


201      Voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission (C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 49). Par ailleurs, ainsi que l’a relevé le Tribunal, la Commission n’est pas obligée, dès lors qu’elle a indiqué les éléments de fait et de droit sur lesquels elle fondera son calcul du montant des amendes, de préciser la manière dont elle se servira de chacun de ces éléments pour la détermination du montant de l’amende. Donner des indications concernant le montant des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n’ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission [voir arrêt du 7 novembre 2019, Campine et Campine Recycling/Commission (T‑240/17, EU:T:2019:778, point 356 ainsi que jurisprudence citée)]. Le même principe devrait, à mon avis, s’appliquer lorsque le Tribunal substitue sa propre appréciation à celle de la Commission pour la détermination du montant de l’amende dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction.


202      En effet, il convient de rappeler que l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne lui impose de faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement qu’il a suivi, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel. Cette obligation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre de l’examen d’un pourvoi [voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2023, United Parcel Service/Commission (C‑297/22 P, EU:C:2023:1027, point 47 et jurisprudence citée)]. Plus particulièrement, dans le cadre de son obligation de motivation, il incombe au Tribunal d’exposer de manière détaillée les facteurs dont il tient compte en fixant le montant de l’amende [voir arrêt du 14 septembre 2016, Trafilerie Meridionali/Commission (C‑519/15 P, EU:C:2016:682, point 52)].


203      En effet, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’obligation de motivation par le Tribunal, qui constitue une formalité substantielle, doit être distinguée du bien-fondé de la motivation qui relève, quant à lui, de la légalité au fond de l’acte litigieux [voir, notamment, arrêt du 12 janvier 2023, Jouvin/Commission (C‑719/21 P, EU:C:2023:15, point 29 et jurisprudence citée)].


204      Voir points 190 à 192 des présentes conclusions.


205      C‑70/23 P, EU:C:2024:105, points 41 et 42.


206      Voir, également, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Orange Polska/Commission (C‑123/16 P, EU:C:2018:590, point 106 et jurisprudence citée).


207      Voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission (C‑603/13 P, EU:C:2016:38, points 75 à 77 et jurisprudence citée).


208      En d’autres termes, cette compétence s’exerce « sur demande des requérants » [voir, notamment, en ce sens, ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission (C‑523/15 P, EU:C:2016:541, point 30 ainsi que jurisprudence citée)]. En pratique, la Cour n’est pas très exigeante à cet égard, ayant jugé, par exemple, qu’une demande en réformation de l’amende peut être implicitement contenue dans une demande d’annulation [voir arrêt du 18 décembre 2014, Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin (C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 83)].


209      Voir, également, ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission (C‑523/15 P, EU:C:2016:541, point 34). À cet égard, la Cour a précisé que, contrairement à ce qui ressort de l’article 23 du règlement no 1/2003, qui confère à la Commission le pouvoir d’infliger des amendes pour violation des règles de concurrence, l’article 31 de ce règlement investit le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction qui fait partie intégrante de son pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a infligé une telle amende. Par conséquent, ce dernier article n’a pas pour objet d’habiliter le Tribunal à imposer une nouvelle amende juridiquement distincte de celle fixée par la Commission, mais il complète le contrôle juridictionnel en permettant au Tribunal de modifier le montant de celle initialement infligée [voir arrêt du 4 juillet 2024, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission (C‑70/23 P, EU:C:2024:580, point 41)].


210      Voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission (C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 64). Voir, également, par analogie, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission (C‑99/17 P, EU:C:2018:773, points 108 et 109). Dans ce dernier arrêt, la Cour a précisé que, faute d’avoir utilement contesté, devant le Tribunal, certaines considérations émises dans la décision litigieuse, la requérante ne saurait alléguer que le Tribunal a méconnu l’étendue de sa compétence de pleine juridiction. En outre, la Cour a déjà jugé que même le caractère disproportionné d’une amende infligée par une décision de la Commission, dès lors qu’il n’est pas susceptible de constituer un moyen d’ordre public, ne fait pas l’objet d’un contrôle d’office par le Tribunal [voir arrêt du 14 mars 2013, Viega/Commission (C‑276/11 P, EU:C:2013:163, point 57 et jurisprudence citée)].


211      En effet, le principe ultra petita interdit au juge, appelé à statuer sur un recours en annulation, d’aller au‑delà des conclusions des parties. Cette interdiction constitue l’expression du principe dispositif suivant lequel ce sont les parties qui définissent l’objet du litige, le juge devant se prononcer sur tout ce qui lui est demandé, et seulement sur ce qui lui est demandé [voir notamment, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Commission/Alrosa (C‑441/07 P, EU:C:2009:555, point 146 et jurisprudence citée), ainsi que de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire British Airways/Commission (C‑122/16 P, EU:C:2017:406, points 83 et 84)].


212      Voir, à titre d’exemple, Bernardeau, L., et Christienne, J.-P., Les amendes en droit de la concurrence : pratique décisionnelle et contrôle juridictionnel du droit de l’Union, Bruxelles, 2013, p. 795 à 883 ; Forrester, I. S., « A Challenge for Europe’s Judges : The Review of Fines in Competition Cases », European Law Review, vol. 36, no 2, 2011, p. 185 à 207 ; Wahl, N., « Enjeu et limites actuelles de la jurisprudence relative à la compétence de pleine juridiction conférée au juge de l’Union en matière de concurrence », dans Tizzano, A. (dir.), La Cour de justice de l’Union européenne sous la présidence de Vassilios Skouris (2003-2015). Liber amicorum Vassilios Skouris, Bruxelles, 2015, p. 727 à 740 ; Expert, H., et Poullet, C., « La compétence de pleine juridiction conférée au juge de l’Union en matière de concurrence : complément ou accessoire du contrôle de légalité ? », dans Giacobbo Peyronnel, V. et Verdure, Ch. (dir.), Contentieux du droit de la concurrence de l’Union européenne, Bruxelles, 2017, p. 545 à 592.


213      Voir, notamment, Cournot, M., « L’interdiction de statuer ultra petita s’applique-t‑elle au juge de l’amende ? », Revue des Affaires Européennes, 2015, nº 1, p. 123 et 124 ; Lenaerts, K., Gutman, K. et Nowak, J. T., EU Procedural Law, Oxford, 2023, p. 635 à 638. Certains auteurs préconisent une large faculté de statuer ultra petita, en observant qu’il ne saurait être attendu du requérant qu’il demande la majoration de sa propre amende (voir, en ce sens, Christienne, J.-P., « Le contrôle juridictionnel des amendes après l’arrêt Telefónica : la pleine juridiction entre effervescence et évanescence », Concurrences, 2014, p. 31, ainsi que Gaulard, G., La pleine juridiction du juge de l’Union européenne en droit de la concurrence, Bruxelles, 2020, p. 273), bien qu’il ne soit pas rare, en pratique, que la Commission, notamment par voie de conclusions reconventionnelles, demande l’augmentation du montant de l’amende (voir, notamment, Barbier de La Serre, É., et Lagathu, E., « The Law on Fines Imposed in EU Competition Proceedings : On the Road to Consistency », Journal of European competition law & practice, 2014, p. 400). D’autres auteurs observent que le juge de l’Union est plutôt réticent à augmenter l’amende (voir Castillo de la Torre, F., et Gippini Fournier, E., « Evidence, Proof and Judicial Review in EU Competition Law », op. cit., p. 465 à 470).


214      Voir, notamment, Clausen, F., Les moyens d’ordre public devant la Cour de justice de l’Union européenne, op. cit., p. 407 à 413.


215      Si la Commission soutient, dans ses observations écrites, que la compétence de pleine juridiction « peut primer le principe “ne ultra petita” », je relève que, à ce jour, la Cour n’a pas entériné une telle approche qui pourtant avait été proposée par certains avocats généraux. Voir, par exemple, conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Groupe Danone/Commission (C‑3/06 P, EU:C:2006:720, point 49) et de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Commission/Tomkins (C‑286/11 P, EU:C:2012:499, point 37) en ce qui concerne le rôle marginal de la règle non ultra petita en tant que limite à l’exercice de la compétence de pleine juridiction par le juge de l’Union, ainsi que conclusions de l’avocate générale Kokott dans les affaires jointes Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce (C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2014:2439, point 273) sur l’absence d’interdiction de reformatio in pejus en ce qui concerne la possibilité d’augmenter l’amende.


216      En effet, il est de jurisprudence constante que le contrôle de pleine juridiction exercé par le Tribunal implique, notamment, un contrôle tant de droit que de fait ainsi que le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision attaquée et de modifier le montant des amendes [voir, notamment, arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission (C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 67), ainsi que KME Germany e.a./Commission (C‑389/10 P, EU:C:2011:816, point 133). Une fois le Tribunal appelé à exercer un contrôle de pleine juridiction, ce contrôle s’étend à toutes les circonstances factuelles pertinentes (voir jurisprudence citée au point 183 des présentes conclusions). Par exemple, une annulation partielle du constat d’infraction peut conduire le Tribunal à réévaluer le montant de l’amende « au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce » [voir arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 82)]. Ainsi que l’a rappelé à plusieurs reprises le Tribunal, le montant de l’amende ne peut être maintenu lorsqu’il est issu de la prise en considération d’un élément de fait matériellement inexact [voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2019, Quanta Storage/Commission (T‑772/15, EU:T:2019:519, point 276 et jurisprudence citée)].


217      En effet, selon la Cour, une annulation partielle du constat d’infraction peut conduire le Tribunal à réévaluer le montant de l’amende « au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce » [voir arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 82)]. Voir, également, en doctrine, Clausen, F., Les moyens d’ordre public devant la Cour de justice de l’Union européenne, op. cit., p. 395.


218      En effet, le petitum de ces requérantes concernait la révision de l’amende dans le cadre de la compétence de la pleine juridiction, ce que le Tribunal a fait en accueillant partiellement leur demande.


219      En effet, la Cour a précisé, notamment, que la seule introduction d’un recours contentieux n’emporte pas transfert définitif, au juge de l’Union, du pouvoir d’infliger des sanctions [voir arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 693)] et que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office, le Tribunal n’étant pas tenu de procéder d’office à une nouvelle instruction complète du dossier [voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission (C‑386/10 P, EU:C:2011:815, points 64 à 66)].


220      En effet, la Cour a jugé que la compétence de pleine juridiction dont dispose le Tribunal sur le fondement de l’article 31 du règlement no 1/2003 concerne la seule appréciation par celui-ci de l’amende infligée par la Commission, à l’exclusion de toute modification des éléments constitutifs de l’infraction légalement constatée par la Commission dans la décision dont le Tribunal est saisi [voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission (C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 77)]. Voir, en doctrine, Bernardeau, L., et Christienne, J.-P., Les amendes en droit de la concurrence : pratique décisionnelle et contrôle juridictionnel du droit de l’Union, op. cit., p. 868 ; Expert, H., et Poullet, C., « La compétence de pleine juridiction conférée au juge de l’Union en matière de concurrence : complément ou accessoire du contrôle de légalité ? », op. cit., p. 563 et 564 et, en sens critique, Gaulard, G., La pleine juridiction du juge de l’Union européenne en droit de la concurrence, op. cit., p. 222 à 228.


221      Je relève que les requérantes dans l’affaire SAS Cargo Group ne fournissent pas d’explication quant à la violation alléguée de la présomption d’innocence. Pour rappel, selon la jurisprudence de la Cour, ce principe se trouve méconnu lorsqu’une décision judiciaire ou une déclaration officielle concernant un prévenu contient une déclaration claire, faite en l’absence de condamnation définitive, selon laquelle la personne concernée a commis l’infraction en question. Dans ce contexte, il convient de souligner l’importance du choix des termes employés par les autorités judiciaires ainsi que des circonstances particulières dans lesquelles ceux-ci ont été formulés et de la nature et du contexte de la procédure en question [voir arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission (C‑440/19 P, EU:C:2021:214, point 62 et jurisprudence citée)].


222      Selon une jurisprudence constante, s’il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l’Union, le Tribunal est tenu par certaines obligations, parmi lesquelles figurent l’obligation de motivation, qui s’impose à lui en vertu de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que le principe d’égalité de traitement [voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, Lietuvos geležinkeliai/Commission (C‑42/21 P, EU:C:2023:12, points 153 et 154 ainsi que jurisprudence citée)]. En outre, la violation du principe d’égalité de traitement en raison d’un traitement différencié présuppose que les situations visées sont comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte en cause [voir arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission (C‑444/11 P, EU:C:2013:464, point 187 ainsi que jurisprudence citée)].


223      En effet, la tâche de la Cour se limite, dans le cadre d’un pourvoi, à examiner si, à l’occasion de l’exercice de son pouvoir de contrôle juridictionnel, le Tribunal a commis une erreur de droit. Aux termes de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi doit être limité aux questions de droit et fondé sur des moyens tirés de l’incompétence du Tribunal, d’irrégularités de procédure devant le Tribunal portant atteinte aux intérêts de la partie requérante ainsi que de la violation du droit de l’Union par ce dernier. Le pourvoi ne peut donc s’appuyer que sur des moyens portant sur la violation de règles de droit, à l’exclusion de toute appréciation des faits. Le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Il s’ensuit que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour [voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 47 à 49)].


224      Lors de l’audience, la Commission a déclaré qu’elle n’était pas en mesure de confirmer si ce chiffre avait été inclus ou non dans la valeur des ventes par les autres requérantes.


225      Par ailleurs, le raisonnement du Tribunal est d’autant moins clair dans la mesure où il a procédé ainsi « en vue également d’assurer une égalité de traitement entre les transporteurs incriminés ayant introduit un recours à l’encontre de la décision [litigieuse] » (point 940 de l’arrêt SAS Cargo Group), l’adverbe « également » indiquant que le Tribunal s’est fondé sur le principe d’égalité de traitement à titre surabondant, ce qui soulève des doutes quant au fondement de son raisonnement.