Language of document : ECLI:EU:T:1999:157

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

19 juillet 1999 (1)

«Droit d'accès du public aux documents du Conseil - Décision 93/731/CE - Exceptions au principe d'accès aux documents - Protection de l'intérêt public en matière de relations internationales - Accès partiel»

Dans l'affaire T-14/98,

Heidi Hautala, membre du Parlement européen, demeurant à Helsinki, représentée par Mes Onno W. Brouwer et Thomas Janssens, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Marc Loesch, 11, rue Goethe,

partie requérante,

soutenue par

République de Finlande, représentée par M. Holger Rotkirch, chef du service des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, et Mme Tuula Pynnä, conseiller juridique au même ministère, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de Finlande, 2, rue Heinrich Heine,

et

Royaume de Suède, représenté par Mmes Lotty Nordling, directeur général des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, Karin Kussak, Kristina Svahn Starrsjö, et M. Anders Kruse, conseillers juridiques au même ministère, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de Suède, 2, rue Heinrich Heine,

parties intervenantes,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par Mme Jill Aussant, MM. Giorgio Maganza et Martin Bauer, respectivement directeur au service juridique et conseillers juridiques, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

soutenu par

République française, représentée par Mme Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Denys Wibaux, secrétaire des affaires étrangères, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du Conseil du 4 novembre 1997 refusant à la requérante l'accès à un document,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, J. Pirrung et M. Vilaras, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 4 mars 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    L'acte final du traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, contient une déclaration (n° 17) relative au droit d'accès à l'information (ci-après «déclaration n° 17») qui énonce ce qui suit:

«La conférence estime que la transparence du processus décisionnel renforce le caractère démocratique des institutions ainsi que la confiance du public envers l'administration. En conséquence, la conférence recommande que la Commission soumette au Conseil, au plus tard en 1993, un rapport sur des mesures visant à accroître l'accès du public à l'information dont disposent les institutions.»

2.
    Lors de la clôture du Conseil européen de Birmingham le 16 octobre 1992, les chefs d'État et de gouvernement ont fait une déclaration intitulée «Une Communauté proche de ses citoyens» (Bull. CE 10-1992, p. 9), dans laquelle ils ont souligné la nécessité de rendre la Communauté plus ouverte. Cet engagement a été réaffirmé lors du Conseil européen d'Édimbourg le 12 décembre 1992 (Bull. CE 12-1992, p. 7).

3.
    Le 5 mai 1993, la Commission a adressé au Conseil, au Parlement et au Comité économique et social la communication 93/C 156/05 relative à l'accès du public aux documents des institutions (JO C 156, p. 5). Celle-ci contenait les résultats d'une enquête comparative sur l'accès du public aux documents dans les États membres ainsi que dans certains pays tiers et concluait qu'il semblait indiqué de développer un accès plus important aux documents au niveau communautaire.

4.
    Le 2 juin 1993, la Commission a adopté la communication 93/C 166/04 sur la transparence dans la Communauté (JO C 166, p. 4), dans laquelle sont exposés les principes de base régissant l'accès aux documents.

5.
    Lors du Conseil européen de Copenhague le 22 juin 1993, le Conseil et la Commission ont été invités «à poursuivre leurs travaux sur la base du principe selon lequel les citoyens doivent avoir l'accès le plus complet possible à l'information» (Bull. CE 6-1993, p. 16, point I.22).

6.
    Dans le cadre de ces étapes préliminaires vers la mise en oeuvre du principe de transparence, le Conseil et la Commission ont approuvé, le 6 décembre 1993, un code de conduite concernant l'accès du public aux documents du Conseil et de la Commission (JO L 340, p. 41, ci-après «code de conduite»), visant à fixer les principes régissant l'accès aux documents qu'ils détiennent.

7.
    Le code de conduite énonce le principe général suivant:

«Le public aura le plus large accès possible aux documents détenus par la Commission et le Conseil.»

8.
    Il définit le terme «document» comme étant «tout écrit, quel que soit son support, contenant des données existantes, détenu par le Conseil ou la Commission».

9.
    Les circonstances qui peuvent être invoquées par une institution pour justifier le rejet d'une demande d'accès à des documents sont énumérées, dans le code de conduite, dans les termes suivants:

«Les institutions refusent l'accès à tout document dont la divulgation pourrait porter atteinte à:

-    la protection de l'intérêt public (sécurité publique, relations internationales, stabilité monétaire, procédures juridictionnelles, activités d'inspection et d'enquête),

-    [...]

Elles peuvent aussi le refuser pour assurer la protection de l'intérêt de l'institution relatif au secret de ses délibérations.»

10.
    Par ailleurs, le code de conduite dispose ce qui suit:

«La Commission et le Conseil prendront, chacun pour ce qui le concerne, les mesures nécessaires à la mise en oeuvre des présents principes avant le 1er janvier 1994.»

11.
    Pour assurer la mise en oeuvre de cet engagement, le Conseil a adopté, le 20 décembre 1993, la décision 93/731/CE relative à l'accès du public aux documents du Conseil (JO L 340, p. 43, ci-après «décision 93/731»).

12.
    L'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731 dispose ce qui suit:

«L'accès à un document du Conseil ne peut être accordé lorsque sa divulgation pourrait porter atteinte à:

-    la protection de l'intérêt public (sécurité publique, relations internationales, stabilité monétaire, procédures juridictionnelles, activités d'inspection et d'enquête),

[...]»

Faits à l'origine du litige

13.
    La requérante est membre du Parlement européen.

14.
    Le 14 novembre 1996, elle a posé une question écrite au Conseil (question écrite P-3219/96, JO 1997, C 186, p. 48) visant à obtenir des clarifications quant aux huit critères d'exportation d'armes définis par les Conseils européens de Luxembourg, en juin 1991, et de Lisbonne, en juin 1992. Elle a, en particulier, soulevé les questions suivantes:

«Le Conseil compte-t-il prendre les mesures qui s'imposent pour mettre fin à la violation des droits de l'homme entretenue par les exportations d'armes des États membres de l'Union? Pour quelles raisons les instructions présentées au comité politique par le groupe de travail du Conseil ‘Exportations d'armes conventionnelles’ afin de préciser les critères restent-elles secrètes?»

15.
    Le Conseil a répondu le 10 mars 1997 en indiquant, notamment, ce qui suit:

«L'un des huit critères concerne le respect des droits de l'homme de la part du pays de destination finale, question qui préoccupe l'ensemble des États membres. Ceux-ci procèdent à des échanges de vues sur cette question, ainsi que sur d'autres aspects relatifs à la politique en matière d'exportation d'armes, dans le cadre du Groupe ‘Exportations d'armes conventionnelles’ de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC), qui a été chargé d'accorder une attention particulière à la mise en oeuvre des huit critères afin de parvenir à une interprétation commune.

Lors de sa réunion des 14 et 15 novembre 1996, le Comité politique [du Conseil] a approuvé un rapport du Groupe ‘Exportations d'armes conventionnelles’ afin d'améliorer encore la mise en oeuvre cohérente des critères communs. Le Comité politique a également décidé que le groupe devrait continuer de suivre cette question de près.

Les décisions proprement dites relatives à l'octroi de licences d'exportation constituent cependant une question qui continue de relever des autorités nationales. Dès lors, le Conseil n'est pas en mesure de commenter les différentes autorisations d'exportation ou les politiques nationales en matière d'information du public dans ce domaine.»

16.
    Par lettre du 17 juin 1997, adressée au secrétaire général du Conseil, la requérante a demandé que le rapport mentionné dans la réponse du Conseil lui soit communiqué (ci-après «rapport litigieux»).

17.
    Le rapport litigieux a été approuvé par le comité politique mais ne l'a jamais été par le Conseil. Il a été établi dans le cadre du système spécial de correspondance européenne COREU - système adopté dans le cadre de la PESC en application des dispositions du titre V du traité sur l'Union européenne par les États membres et la Commission en 1995 - qui ne fait pas l'objet d'une diffusion par les canaux habituels de distribution des documents du Conseil. Dans la pratique du Conseil, le réseau COREU est réservé aux questions relevant du titre V susvisé. La diffusion de documents transmis via le réseau COREU est limitée à un nombre restreint de destinataires autorisés dans les États membres, à la Commission et au secrétariat général du Conseil.

18.
    Par lettre du 25 juillet 1997, le secrétariat général du Conseil a refusé l'accès au rapport litigieux, en vertu de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731, en relevant qu'il contenait «des informations extrêmement sensibles dont la divulgation porterait atteinte à l'intérêt public, dans le domaine de la sécurité publique».

19.
    Par lettre du 1er septembre 1997, la requérante a formulé une demande confirmative, conformément à l'article 7, paragraphe 1, de la décision 93/731.

20.
    La demande confirmative a été traitée par le groupe «information» du Comité des représentants permanents lors de sa réunion du 24 octobre 1997 et par les membres du Conseil lors de sa session du 3 novembre 1997 à l'issue de laquelle la majorité simple requise a estimé qu'il fallait répondre par la négative. Quatre délégations étaient favorables à sa divulgation.

21.
    Par lettre du 4 novembre 1997 (ci-après «décision attaquée»), le Conseil a rejeté la demande confirmative dans les termes suivants:

«Je fais suite à votre lettre du 1er septembre 1997, dans laquelle vous formulez, en application de l'article 7, paragraphe 1, de la décision 93/731/CE, une demande confirmative tendant à obtenir l'accès au rapport [litigieux ...]

Votre demande a été reconsidérée par le Conseil sur la base d'un examen de ce document.

Le Conseil en a conclu que la divulgation du rapport [litigieux ...] pourrait porter atteinte aux relations de l'Union européenne avec des pays tiers.

Il convient donc de refuser l'accès à ce document en vertu de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731/CE, afin de protéger l'intérêt public dans le domaine des relations internationales.»

22.
    Le rapport litigieux a conduit le Conseil à adopter, le 8 juin 1998, un code de conduite pour les exportations d'armes. Ce dernier a fait l'objet d'une publication.

Procédure et conclusions des parties

23.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 janvier 1998, la requérante a introduit le présent recours.

24.
    Par télécopie reçue au greffe le 7 mai 1998, la requérante a fait savoir qu'elle renonçait à déposer un mémoire en réplique.

25.
    Par acte déposé au greffe le 5 juin 1998, la République française a demandé à intervenir à l'appui des conclusions du Conseil.

26.
    Par actes déposés au greffe le 15 juin 1998, la république de Finlande et le royaume de Suède ont demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la requérante.

27.
    Par ordonnance du 6 juillet 1998, le président de la première chambre du Tribunal a admis les demandes d'intervention.

28.
    La République française, le royaume de Suède et la république de Finlande ont déposé au greffe du Tribunal leurs mémoires en intervention, respectivement, les 19 août, 15 et 16 septembre 1998.

29.
    Par mémoires déposés au greffe le 18 novembre 1998, les parties principales ont soumis leurs observations sur les mémoires en intervention.

30.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

31.
    L'audience s'est déroulée le 4 mars 1999. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal.

32.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    condamner le Conseil aux dépens, y compris ceux d'éventuelles parties intervenantes.

33.
    Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

34.
    La république de Finlande et le royaume de Suède, parties intervenantes, concluent à ce qu'il plaise au Tribunal annuler la décision attaquée.

35.
    La République française, partie intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur la compétence du Tribunal

Arguments des parties

36.
    Le Conseil fait valoir que dans la présente affaire se posent les mêmes questions quant à la compétence du Tribunal que dans celle ayant donné lieu à l'arrêt du Tribunal du 17 juin 1998, Svenska Journalistförbundet/Conseil (T-174/95, Rec. p. II-2289, ci-après «arrêt Journalistförbundet»). En effet, le rapport litigieux traite exclusivement de questions relevant du titre V du traité sur l'Union européenne, dont les dispositions sont expressément soustraites à la compétence de la Cour de justice par l'article L dudit traité (devenu, après modification, article 46 UE). A l'audience, toutefois, le Conseil a souligné qu'il ne soulève pas cette fin de non-recevoir et qu'il s'en remet au Tribunal pour examiner la question de sa compétence en l'espèce.

37.
    Le gouvernement français indique que le recours ne relève pas de la compétence du Tribunal. En vertu de l'article L du traité sur l'Union européenne, il considère que, si le Conseil a décidé d'appliquer la décision 93/731 aux documents relevant du titre V, ses décisions concernant l'accès à de tels documents demeurent rattachées au titre V et, en tant que telles, ne sont pas susceptibles de recours sur la base de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE).

38.
    La requérante soutient que le Tribunal est compétent pour statuer sur le recours dirigé contre une décision concernant l'accès à un document adopté sur la base du titre V du traité sur l'Union européenne.

39.
    Les gouvernements finlandais et suédois soutiennent l'argumentation de la requérante.

Appréciation du Tribunal

40.
    A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l'article 113 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d'office, examiner les fins de non-recevoir d'ordre public.

41.
    Le fait que le rapport litigieux ressortit au titre V du traité sur l'Union européenne est sans incidence sur la compétence du Tribunal. Dans son arrêt Journalistförbundet (points 81 et 82), le Tribunal a déjà jugé que la décision 93/731 s'applique à tous les documents du Conseil, indépendamment de leur contenu. Il a dit aussi que, conformément à l'article J 11, paragraphe 1, du traité sur l'Union européenne (les articles J à J.11 du traité sur l'Union européenne ont été remplacés par les articles 11 UE à 28 UE), les actes pris en application de l'article 151, paragraphe 3, du traité CE (devenu, après modification, article 207, paragraphe 3, CE), qui constitue la base juridique de la décision 93/731, sont applicables aux dispositions relatives aux domaines visés au titre V dudit traité.

42.
    Ainsi, conformément à la solution adoptée dans l'arrêt Journalistförbundet (point 85), en l'absence de dispositions contraires, les documents relevant du titre V du traité sur l'Union européenne sont couverts par la décision 93/731. La circonstance que le Tribunal n'est pas, en vertu de l'article L du traité sur l'Union européenne, compétent pour apprécier la légalité des actes relevant du titre V dudit traité, ne fait donc pas obstacle à sa compétence pour se prononcer en matière d'accès du public auxdits actes.

Sur le fond

43.
    La requérante invoque trois moyens à l'appui de son recours. Le premier moyen est tiré d'une violation de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731. Le deuxième est tiré d'une violation de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE). Le troisième est tiré d'une violation du principe fondamental de droit communautaire selon lequel les citoyens de l'Union européenne doivent se voir accorder l'accès le plus large et le plus complet possible aux documents des institutions communautaires, ainsi que du principe de protection de la confiance légitime.

44.
    Le gouvernement suédois est intervenu au soutien des deux premiers moyens. Le gouvernement finlandais n'est intervenu qu'au soutien du deuxième moyen. Le gouvernement français est, pour sa part, intervenu au soutien du Conseil pour contester les deux premiers moyens de la requérante.

Sur le premier moyen, tiré d'une violation de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731

Arguments des parties

45.
    La requérante fait valoir, en premier lieu, que le Conseil a fait une interprétation et une application trop larges, et en cela illégales, de l'exception tirée de la protection de l'intérêt public en matière de relations internationales.

46.
    Se référant à l'arrêt du Tribunal du 5 mars 1997, WWF UK/Commission (T-105/95, Rec. p. II-313), la requérante soutient qu'il convient d'assurer le plus large accès possible aux documents. L'exception tirée de la protection des relations internationales devrait être interprétée et appliquée restrictivement [arrêts du Tribunal du 6 février 1998, Interporc/Commission, T-124/96, Rec. p. II-231, du 19 mars 1998, Van der Wal/Commission, T-83/96, Rec. p. II-545, actuellement objet d'un pourvoi devant la Cour (affaire C-189/98 P), et Journalistförbundet].

47.
    Le Conseil n'aurait nullement apprécié de façon concrète, ou du moins adéquate, l'incidence que l'accès au rapport litigieux pourrait avoir sur l'intérêt public en général et sur les relations internationales en particulier. De l'avis de la requérante, le traitement par le Conseil de la demande confirmative démontrerait également que la décision attaquée a été prise en l'absence de véritables débats et analyses.

48.
    En second lieu, la requérante conteste que la divulgation du rapport litigieux puisse porter atteinte à l'intérêt public en matière de relations internationales. Ce rapport ne concernerait en effet que la mise en oeuvre et l'interprétation des critères publiquement connus régissant les exportations d'armes.

49.
    En troisième lieu, la requérante fait valoir que le Conseil a violé les dispositions de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731 en refusant l'accès aux passages du rapport litigieux qui ne sont pas couverts par l'exception tirée de la protection de l'intérêt public.

50.
    Le gouvernement suédois soutient qu'il incomberait au Conseil, dans chaque cas particulier, d'examiner si un document contient des informations qui, si elles étaient divulguées, seraient susceptibles de porter atteinte à la protection de l'intérêt public. Ce ne serait que si l'examen en question révèle que tel est le cas que le Conseil est tenu de refuser l'accès aux informations, conformément à l'article 4, paragraphe 1 (arrêt Journalistförbundet, point 112).

51.
    Or, en l'espèce, ni le groupe «information» ni le Conseil n'auraient examiné la demande confirmative conformément à ces principes.

52.
    Ensuite, il fait valoir qu'une interprétation du régime d'exception, énoncé par ledit article 4, paragraphe 1, en ce sens qu'il suffit qu'une partie du document sollicité puisse porter atteinte aux relations internationales pour que les autres parties du document, dont le public aurait sinon pu prendre connaissance, ne puissent être divulguées dépasse ce qui est nécessaire pour protéger l'intérêt public [voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 juin 1998, Mecklenburg (C-321/96, Rec. p. I-3809, point 25), relatif à l'interprétation de certaines exceptions à la directive 90/313/CEE du Conseil, du 7 juin 1990, concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement (JO L 158, p. 56)]. L'article 3, paragraphe 2, dernier alinéa, de cette dernière directive prévoirait d'ailleurs que l'information détenue par les autorités publiques fait l'objet d'une communication partielle lorsqu'il est possible d'en retirer les passages confidentiels.

53.
    A cet égard, le gouvernement suédois affirme que le Conseil a déjà accordé un accès partiel à un document (voir le rapport du secrétaire général sur la mise en oeuvre de la décision 93/731 durant les années 1994 et 1995, document 8330/96, p. 12).

54.
    Enfin, quant à l'argument du Conseil selon lequel les termes «accès aux documents», utilisés par la décision 93/731, l'empêcheraient d'octroyer un accès partiel à un document sollicité, le gouvernement suédois rétorque que ce n'est pas la règle de base contenue dans l'article 1er de ladite décision qui doit être interprétée strictement, mais l'exception figurant à l'article 4, paragraphe 1.

55.
    Le Conseil soutient que, en vertu de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731, il a l'obligation de refuser l'accès aux documents dont la divulgation pourrait porter atteinte, notamment, à la protection de l'intérêt public, manifestement en cause lorsque la sécurité publique, les relations internationales, la stabilité monétaire, les procédures juridictionnelles et les activités d'inspection et d'enquête sont en jeu.

56.
         Il expose que, contrairement à l'allégation de la requérante, il a procédé à une évaluation concrète et adéquate des implications de sa demande et que celle-ci a été traitée avec une attention particulière.

57.
    Il souligne que l'évaluation de l'atteinte susceptible d'être portée à l'intérêt public par la divulgation d'un de ses documents relève de son appréciation souveraine à laquelle le Tribunal ne saurait substituer sa propre appréciation.

58.
    Il expose ensuite qu'il a décidé après un débat approfondi de ne pas accorder de communication partielle de ses documents. Selon lui, la décision 93/731 prévoit simplement que le public a accès aux «documents» du Conseil. Le Conseil doit donc examiner les demandes d'accès en fonction de ses documents dans leur état d'origine, sans être tenu de les adapter afin de permettre leur divulgation. En outre, la suppression de certains passages aurait pour conséquence qu'un demandeur ne recevrait pas un document authentique, mais des informations parcellaires, ce qui irait à l'encontre de l'objectif de transparence poursuivi par la décision 93/731.

    

59.
    A l'audience, le Conseil a confirmé avoir adopté cette position bien que la décision 93/731 n'interdise pas explicitement une communication partielle. L'exemple invoqué par le gouvernement suédois (voir point 53 ci-dessus) ne constituerait d'ailleurs qu'un cas isolé. L'approche adoptée par le secrétariat général dans ce cas n'aurait jamais été suivie au niveau du Conseil.

60.
    Selon le Conseil, il ne saurait être exclu, contrairement à l'avis du gouvernement suédois, que certaines catégories de documents impliquent nécessairement, par leur nature même, que leur divulgation puisse porter atteinte à l'intérêt public (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 3 mars 1998, Norup Carlsen e.a./Conseil, T-610/97 R, Rec. p. II-485, points 46 et 47). Tel serait notamment le cas des documents établis dans le cadre du système COREU. En effet, ces documents seraient, par nature, des instruments de travail internes dont la divulgation pourrait compromettre le bon fonctionnement de la PESC. Toutefois, le Conseil a souligné que la décision attaquée n'a pas seulement été prise parce que le rapport a transité par le système COREU mais qu'elle procède d'un examen du contenu de celui-ci.

61.
    A cet égard, la référence faite par le gouvernement suédois à l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Journalistförbundet (point 112) ne serait pas pertinente en l'espèce. En effet, dans ladite affaire, le Conseil aurait refusé l'accès à seize documents différents, sans préciser pour chacun d'eux s'il fondait sa décision sur l'exception impérative tirée de la protection de l'intérêt public (sécurité publique, etc.) ou sur l'exception facultative tirée de la confidentialité de ses délibérations.

62.
    Le gouvernement français fait valoir que le Conseil a fait une application correcte de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731, tel qu'interprété par le Tribunal dans son arrêt du 19 octobre 1995, Carvel et Guardian Newspapers/Conseil (T-194/94, Rec. p. II-2765).

63.
    En ce qui concerne la communication partielle du document sollicité, il ajoute que la méthode, pratiquée dans certains États membres, qui consiste à supprimer certains passages jugés confidentiels quand l'accès à un document est accordé, ne saurait être mise en oeuvre de manière satisfaisante en matière d'accès aux documents des institutions communautaires. Une telle méthode ne serait d'ailleurs pas conforme aux dispositions de la décision 93/731.

64.
    Enfin, le gouvernement français soutient que la procédure suivie aux fins de l'adoption de la décision attaquée est régulière.

Appréciation du Tribunal

65.
    Il convient d'examiner successivement les trois arguments invoqués par la requérante à l'appui de son premier moyen. Ainsi, il y a lieu de déterminer, en premier lieu, si la demande confirmative a fait l'objet d'un examen adéquat de la part du Conseil, en second lieu, si l'accès au rapport litigieux pouvait être refusé en se référant à l'intérêt public en matière de relations internationales et, en troisième lieu, si le Conseil était tenu d'envisager s'il pouvait accorder un accès partiel autorisant la divulgation des passages du document qui ne sont pas couverts par l'exception tirée de la protection de l'intérêt public.

66.
    Quant au premier argument, il n'est pas contesté que le Conseil a procédé à un certain examen de la demande. Toutefois, la requérante et le gouvernement suédois soutiennent que cet examen est insuffisant au regard de ce qu'exigent le traitement d'une demande confirmative et l'application de l'article 4 de la décision 93/731.

67.
    L'examen d'une demande confirmative a pour but de permettre au Conseil de déterminer si la divulgation du document demandé tombe sous le coup de l'une des exceptions visées à l'article 4 de la décision 93/731 et, partant, si le principe général selon lequel le public a accès aux documents du Conseil doit être écarté. Il résulte donc de l'économie de la décision 93/731 que la décision de rejeter une demande confirmative doit intervenir sur la base d'un examen véritable des circonstances propres au cas d'espèce.

68.
         A cet égard, il convient de rappeler, comme il a été indiqué au point 20 ci-dessus, que la demande confirmative a été examinée par le groupe «information» lors de sa réunion du 24 octobre 1997 et par les membres du Conseil lors de la session du 3 novembre 1997 à l'issue de laquelle la majorité simple requise a estimé et voté qu'il fallait répondre par la négative. Ensuite, par la décision attaquée, le Conseil a rejeté la demande confirmative de la requérante en invoquant l'exception tirée de la protection de l'intérêt public en matière de relations internationales.

69.
    Il ressort de ces éléments que la demande confirmative a bien fait l'objet d'un examen adéquat de la part du Conseil. En tout état de cause, les simples allégations avancées par la requérante et le gouvernement suédois ne suffisent pas, en tant que telles, pour démontrer que cet examen était en l'espèce insuffisant ou inadapté au regard des objectifs exposés ci-dessus.

70.
    Il en résulte que le premier argument avancé par la requérante et le gouvernement suédois doit être rejeté.

71.
    Quant au deuxième argument de la requérante visant à contester que l'accès au rapport litigieux porterait atteinte à l'intérêt public en matière de relations internationales, il convient de rappeler que le pouvoir d'appréciation du Conseil relève des responsabilités politiques que lui confèrent les dispositions du titre V du traité sur l'Union européenne. C'est, en effet, sur la base de ces attributions que le Conseil doit déterminer les conséquences éventuelles d'une divulgation du rapport litigieux sur les relations internationales de l'Union européenne.

72.
    Dans ces circonstances, le contrôle exercé par le Tribunal doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation de la décision attaquée, de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation des faits et de détournement de pouvoir.

73.
    Comme il ressort du point 17 ci-dessus, le rapport litigieux a été établi dans le cadre du système COREU et, dans la pratique du Conseil, le réseau COREU est réservé aux questions relevant du titre V du traité sur l'Union européenne. De plus, il ressort de la réponse du Conseil du 10 mars 1997 (voir point 15 ci-dessus) que le rapport litigieux contient notamment des échanges de vues entre les États membres sur la question du respect des droits de l'homme de la part du pays de destination finale. Enfin, comme le Conseil l'a fait observer dans son mémoire en défense (point 44), le rapport litigieux a été rédigé en vue d'un usage interne et non en vue d'être publié et contient, dès lors, des formulations et expressions qui risqueraient de créer des tensions avec certains pays tiers.

74.
    Dans ces circonstances, rien ne justifie de censurer l'appréciation du Conseil. Il s'ensuit que le deuxième argument de la requérante doit être rejeté.

75.
    En ce qui concerne le troisième argument, soutenu par le gouvernement suédois, selon lequel le Conseil, par son refus d'accorder l'accès aux passages du rapport litigieux qui ne sont pas couverts par l'exception tirée de la protection de l'intérêt public, aurait violé l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731, il convient de noter que le Conseil estime que le principe d'accès aux documents ne s'applique qu'aux documents en tant que tels et non aux éléments d'information qui s'y trouvent.

76.
    Il incombe ainsi au Tribunal de vérifier si le Conseil était tenu d'examiner si un accès partiel pouvait être accordé. Cette question étant une question de droit, le contrôle exercé par le Tribunal n'est pas limité.

77.
    A cet égard, il convient de rappeler que la décision 93/731 est une mesure d'ordre interne prise par le Conseil sur le fondement de l'article 151, paragraphe 3, du traité CE. En l'absence de législation communautaire spécifique, le Conseil détermine les conditions dans lesquelles sont traitées les demandes d'accès à ses documents (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 30 avril 1996, Pays-Bas/Conseil, C-58/94, Rec. p. I-2169, points 37 et 38). Dès lors, si le Conseil le voulait, il pourrait décider d'accorder l'accès partiel à ses documents au titre d'une nouvelle politique.

78.
    Or, la décision 93/731 n'impose pas expressément au Conseil d'examiner si un accès partiel aux documents peut être accordé. Elle n'interdit pas non plus, comme le Conseil l'a reconnu à l'audience, explicitement une telle possibilité.

79.
    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rappeler, aux fins de l'interprétation de l'article 4 de la décision 93/731, la base sur laquelle le Conseil a adopté cette décision.

80.
    Il convient de constater que la déclaration n° 17 recommandait que la Commission soumette au Conseil, au plus tard en 1993, un rapport sur des mesures visant à accroître l'accès du public à l'information dont disposent les institutions. Cet engagement a été réaffirmé lors du Conseil européen de Copenhague le 22 juin 1993, qui a invité le Conseil et la Commission «à poursuivre leurs travaux sur la base du principe selon lequel les citoyens doivent avoir l'accès le plus complet possible à l'information».

81.
    Dans le préambule du code de conduite, le Conseil et la Commission visent expressément la déclaration n° 17 et les conclusions du Conseil européen de Copenhague comme base de leur initiative. Le code de conduite énonce le principe général selon lequel le public aura le plus large accès possible aux documents.

82.
    De plus, la Cour a eu l'occasion de souligner, dans son arrêt Pays-Bas/Conseil, précité (point 35), l'importance du droit d'accès du public aux documents détenus par les autorités publiques. La Cour a ainsi rappelé que la déclaration n° 17 rattache ce droit «au caractère démocratique des institutions». Dans ses conclusions sous cet arrêt (Rec. p. 2171, point 19), l'avocat général a souligné, en ce qui concerne le droit subjectif à l'information, ce qui suit:

«La base d'un tel droit doit plutôt être recherchée dans le principe démocratique, qui est un des éléments fondateurs de la construction communautaire, tel qu'il est maintenant consacré par le préambule du traité de Maastricht et par l'article F [du traité sur l'Union européenne (devenu, après modification, article 6 UE)] des dispositions communes.»

83.
    Se référant à l'arrêt Pays-Bas/Conseil, précité, le Tribunal a récemment constaté dans l'arrêt Journalistförbundet (point 66) ce qui suit:

«La décision 93/731 a pour but de traduire le principe d'un accès aussi large que possible des citoyens à l'information, en vue de renforcer le caractère démocratique des institutions ainsi que la confiance du public dans l'administration.»

84.
    Il convient de rappeler ensuite que, lorsqu'un principe général est établi et que des exceptions à ce principe sont prévues, ces dernières doivent être interprétées et appliquées restrictivement, de manière à ne pas tenir en échec l'application du principe général (voir, en ce sens, arrêts WWF UK/Commission, précité, point 56, et Interporc/Commission, précité, point 49). En l'espèce, il s'agit d'interpréter les dispositions de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731, qui énumère les exceptions au principe général susvisé.

85.
    De plus, le principe de proportionnalité exige que «les dérogations ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché» (arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, C-222/84, Rec. p. 1651, point 38). En l'espèce, le but poursuivi par le Conseil en refusant l'accès au rapport litigieux est, selon la motivation contenue dans la décision attaquée, «de protéger l'intérêt public dans le domaine des relations internationales». Or, un tel but peut être atteint même dans l'hypothèse où le Conseil se limiterait à censurer, après examen, les passages du rapport litigieux qui peuvent porter atteinte aux relations internationales.

86.
    Dans ce contexte, le principe de proportionnalité permettrait au Conseil, dans des cas particuliers où le volume du document ou celui des passages à censurer entraînerait pour lui une tâche administrative inappropriée, de mettre en balance, d'une part, l'intérêt de l'accès du public à ces parties fragmentaires et, d'autre part, la charge de travail qui en découlerait. Le Conseil pourrait ainsi, dans ces cas particuliers, sauvegarder l'intérêt d'une bonne administration.

87.
    Compte tenu de ce qui précède, l'interprétation de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731, doit se faire à la lumière du principe du droit à l'information et du principe de proportionnalité. Il en résulte que le Conseil est tenu d'examiner s'il convient d'accorder un accès partiel aux données non couvertes par les exceptions.

88.
    Comme il ressort du point 75 ci-dessus, le Conseil n'a pas procédé à un tel examen, car il estime que le principe d'accès aux documents ne s'applique qu'aux documents en tant que tels et non aux éléments d'information qui s'y trouvent. Par conséquent, la décision attaquée se trouve entachée d'une erreur de droit et doit donc être annulée.

89.
    Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu pour le Tribunal de se prononcer sur les deux autres moyens invoqués par la requérante à l'appui de son recours.

Sur les dépens

90.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu, eu égard aux conclusions de la requérante, de le condamner aux dépens. Aux termes de l'article 87, paragraphe 4, dudit règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dans ces conditions, la république de Finlande, le royaume de Suède, et la République française supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision du Conseil du 4 novembre 1997 refusant à la requérante l'accès au rapport du groupe de travail «Exportations d'armes conventionnelles» est annulée.

2)    Le Conseil est condamné aux dépens.

3)    La république de Finlande, le royaume de Suède, et la République française supporteront leurs propres dépens.

Vesterdorf
Pirrung
Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 juillet 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'anglais.