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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

31 mars 2022 (*)

« Référé – Fonction publique – Fonctionnaires – Procédure disciplinaire – Révocation – Demande de mesures provisoires – Urgence – Fumus boni juris – Balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑22/22 R,

AL, représenté par Me R. Rata, avocate,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et M. Alver, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant, d’une part, au sursis à l’exécution de la décision du Conseil du 27 septembre 2021 infligeant au requérant une sanction disciplinaire de révocation avec effet au 1er octobre 2021 et, d’autre part, à la réintégration du requérant en tant que fonctionnaire à son poste et dans sa position antérieure,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        Le requérant, AL, est devenu fonctionnaire du Conseil de l’Union européenne le 1er septembre 2008. Il a été affecté à la direction « Qualité de la législation » au sein du service juridique du Conseil.

2        Entre 2009 et 2019, le requérant a introduit plusieurs déclarations auprès de l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci‑après l’« AIPN ») en vue d’obtenir les allocations et avantages pécuniaires prévus par le statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci‑après le « statut ») pour un certain nombre de personnes qui ont été intégrées dans sa famille au cours de sa période de service.

3        Par lettre du 7 septembre 2016, l’AIPN a fait part à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) de ses inquiétudes concernant les demandes d’allocations familiales introduites par le requérant.

4        Le 8 novembre 2016, l’OLAF a ouvert une enquête relative à des soupçons de fraude de la part du requérant concernant la composition familiale ainsi que les conditions requises pour obtenir des allocations familiales.

5        Le 23 décembre 2020, le requérant a été informé de la clôture de l’enquête de l’OLAF. Dans son rapport, l’OLAF a notamment adressé au Conseil les recommandations de prendre toutes les mesures appropriées pour le recouvrement d’un montant de 93 166,52 euros indûment versé au requérant, d’une part, et d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre du requérant, d’autre part.

6        Le 27 septembre 2021, à la suite de la procédure disciplinaire, le requérant a été révoqué de ses fonctions avec effet au 1er octobre 2021 par décision du secrétaire général du Conseil (ci‑après la « décision attaquée »).

7        Le 22 octobre 2021, l’AIPN a décidé de faire partiellement droit à la réclamation introduite par le requérant contre certaines décisions de recouvrement financier et a ordonné à l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (PMO) de la Commission européenne de rétablir les allocations en cause.

8        Le 22 décembre 2021, le requérant a présenté une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision attaquée.

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 janvier 2022, le requérant a introduit un recours tendant notamment à l’annulation de la décision attaquée.

10      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée ;

–        réintégrer le requérant en tant que fonctionnaire du Conseil à son poste et dans sa position antérieure à titre de mesure provisoire jusqu’à la fin de la procédure devant le Tribunal visant à l’annulation de la décision attaquée ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

11      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 28 janvier 2022, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

12      Le 10 février 2022, le requérant a déposé ses observations en réponse aux observations du Conseil.

13      Le 25 février 2022, le Conseil a déposé ses observations en réponse aux observations du requérant du 10 février 2022.

 En droit

 Considérations générales

14      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

15      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

16      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

17      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

18      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

19      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la condition relative à l’urgence

20      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union (ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27).

21      Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

22      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si le requérant parvient à démontrer l’urgence.

23      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice, le requérant soutient notamment que le sursis à l’exécution de la décision attaquée et sa réintégration en tant que fonctionnaire du Conseil à son poste et dans sa position antérieure, à titre de mesure provisoire, sont nécessaires pour préserver la santé, voire la vie de son fils adoptif handicapé. Son fils adoptif, qui étudie actuellement à la Katholieke Universiteit Leuven (Université catholique de Louvain, Belgique), est un utilisateur permanent de fauteuil roulant et souffre d’un handicap grave et de pathologies associées mettant sa vie en danger. En prenant la décision attaquée, l’AIPN n’aurait nullement tenu compte du bien‑être de son fils adoptif et notamment de son intérêt médical. En raison de sa révocation, le requérant a perdu les avantages financiers qu’il a perçus pour son fils, à savoir une allocation pour enfant, une double allocation en raison de son handicap, une assurance maladie complémentaire pour le remboursement intégral des frais médicaux et le remboursement des soins à domicile. Pour ses études universitaires, son fils a perçu une allocation d’études et le remboursement de 90 % de son logement étudiant adapté au handicap. À la suite de la révocation du requérant, son fils bénéficie actuellement d’une couverture spéciale du régime d’assurance maladie commun aux institutions des Communautés européennes (RCAM) pour la période allant du 1er octobre 2021 au 31 mars 2022. Cette couverture n’est pas renouvelable. À compter du 31 mars 2022, son fils perdra ce soutien financier et sera privé du soutien médical et éducatif dont il a bénéficié au cours des douze dernières années, ce qui est vital pour un jeune handicapé dans son état.

24      Le Conseil considère que le requérant n’a pas démontré que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce.

25      Le Conseil allègue notamment que le prétendu préjudice grave et irréparable se produira non pour le requérant personnellement, mais pour son fils. Conformément à la jurisprudence, cet élément ne pourrait donc potentiellement être pris en considération que dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence. En outre, le Conseil ajoute que le requérant reste silencieux sur sa situation personnelle et financière actuelle et sur celle de son fils, notamment en ce qui concerne son statut professionnel, la question de la sécurité sociale et de l’assurance maladie pour son fils au titre du régime d’assurance belge ou d’un autre régime d’assurance, ainsi qu’un éventuel soutien financier pour lui par d’autres sources. De ce fait, le requérant ne fournirait pas une image fidèle et globale de sa situation financière et de celle de son fils, ainsi que l’exige la jurisprudence.

26      À cet égard, en premier lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel le sursis à l’exécution de la décision attaquée est nécessaire pour préserver la santé, voire la vie, de son fils adoptif handicapé, il résulte de la jurisprudence que le préjudice grave et irréparable allégué, que le sursis à l’exécution de la décision attaquée a pour objet d’éviter, ne peut être pris en compte par le juge des référés, dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence, que dans la mesure où il est susceptible d’être occasionné aux intérêts de la partie qui sollicite la mesure provisoire. Il s’ensuit que les dommages que l’exécution de la décision attaquée est susceptible de causer à une partie autre que celle sollicitant la mesure provisoire ne peuvent être pris en considération, le cas échéant, par le juge des référés que dans le cadre de la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 22 juillet 2021, Aloe Vera of Europe/Commission, T‑189/21 R, non publiée, EU:T:2021:487, point 55).

27      Dans ces conditions, les dommages pour la santé et la vie du fils adoptif handicapé du requérant ainsi que ceux liés à la perte des avantages financiers que ce dernier a perçus pour son fils, dont se prévaut le requérant, ne peuvent être pris en compte par le juge des référés que dans la mesure où ils sont susceptibles d’être causés au requérant.

28      Or, il ne saurait être contesté que la santé d’un fils est au cœur des soucis et des préoccupations d’un père, qu’il soit adoptif ou non. Le préjudice grave et irréparable allégué par le requérant pour la santé et la vie de son fils est donc susceptible d’affecter directement le requérant en tant que père adoptif.

29      En effet, en tant que parent unique qui a assumé et continue d’assumer la charge des traitements et de l’éducation de son fils adoptif qui est affecté d’une infirmité motrice cérébrale/tétra parésie spastique congénitale et de pathologies associées, le requérant subirait nécessairement, à titre personnel, un préjudice grave et irréparable si, en raison de l’absence de l’important soutien médical actuel, la santé de son fils adoptif ne pourrait plus être assurée jusqu’à un éventuel arrêt favorable dans l’action principale.

30      Dans la mesure où ce soutien médical dépend des allocations et des avantages financiers auxquels le requérant et son fils avaient droit en vertu de la qualité de fonctionnaire du requérant, leur perte causerait à ce dernier un préjudice direct. En tant que parent unique financièrement responsable du soutien médical et de l’éducation de son fils adoptif handicapé, le requérant subira, à titre personnel, un préjudice grave et irréparable si, à compter du 31 mars 2022, son fils est privé de ce soutien médical et éducatif, l’exposant ainsi aux risques allégués pour sa santé.

31      L’argument du Conseil selon lequel le requérant reste totalement silencieux sur sa situation personnelle et financière actuelle et sur celle de son fils, notamment en ce qui concerne son statut professionnel, la sécurité sociale et l’assurance maladie pour son fils au titre du régime d’assurance belge ou d’un autre régime d’assurance, ainsi qu’un éventuel soutien financier pour lui par d’autres sources, ne saurait remettre en cause cette constatation.

32      Certes, il appartient à la partie qui sollicite la protection provisoire auprès du juge des référés de fournir les éléments de preuve essentiels permettant à ce dernier d’établir une image fidèle et globale de la situation financière de cette partie. Ces indications doivent être, d’une part, concrètes et précises ainsi que, d’autre part, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées [voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 20 avril 2012, Fapricela/Commission, C‑507/11 P(R), non publiée, EU:C:2012:231, point 35 et jurisprudence citée].

33      Toutefois, comme il ressort du dossier, aux pages 216 et 217 de l’annexe A.32 de la demande en référé, le requérant a informé le Conseil, par courriel du 15 janvier 2022, qu’il n’exerçait actuellement aucune activité rémunérée. Par courriel du 18 janvier 2022, le Conseil lui a confirmé que le remboursement de sa dette avait été reporté de deux mois précisément au motif que le requérant n’exerçait aucune activité rémunérée.

34      À cet égard, il y a lieu de préciser qu’un préjudice financier objectivement considérable ou même non négligeable peut être considéré comme « grave », sans qu’il soit nécessaire de le rapporter systématiquement aux revenus de la personne qui craint de le subir (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 25 juillet 2014, Deza/ECHA, T‑189/14 R, non publiée, EU:T:2014:686, point 83, et jurisprudence citée).

35      En outre, dans une déclaration émanant du docteur DE, produite à la page 171 de l’annexe A.21 de la demande en référé, ce docteur confirme qu’il est de la plus haute importance que le fils adoptif du requérant continue de bénéficier de mesures urgentes pour lui permettre de conserver effectivement le même soutien renforcé lié à son handicap et que toute interruption ou réduction de ce soutien pourrait présenter un risque vital ou produire une détérioration grave et irréversible de son état médical et mental.

36      Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée porte manifestement un préjudice de nature grave et irréparable au requérant.

37      Il convient donc de conclure que la condition relative à l’urgence est remplie, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres préjudices invoqués par le requérant.

 Sur la condition relative au fumus boni juris

38      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].

39      Afin de déterminer si la condition relative au fumus boni juris est remplie en l’espèce, il y a lieu de procéder à un examen prima facie du bien-fondé des griefs invoqués par la partie requérante à l’appui du recours dans l’affaire principale et donc de vérifier si au moins l’un d’entre eux présente un caractère suffisamment sérieux pour justifier qu’il ne soit pas écarté dans le cadre de la procédure de référé (voir ordonnance du 4 mai 2020, Csordas e.a./Commission, T‑146/20 R, non publiée, EU:T:2020:172, point 26 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, aux fins de démontrer que la décision attaquée est, à première vue, entachée d’illégalité, le requérant invoque deux moyens dans sa demande en référé et treize moyens à l’appui du recours au principal.

41      Il convient d’examiner le premier moyen de la demande en référé, par lequel le requérant invoque la nécessité d’un sursis à l’exécution de la décision attaquée pour préserver la santé, voire la vie, de son fils handicapé.

42      En premier lieu, le requérant fait notamment valoir, par le premier grief du premier moyen, que, en annulant, le 22 octobre 2021, sa propre décision de recouvrement des allocations perçues pour ses fils au titre de la période allant du 1er août 2010 au 29 janvier 2013, l’AIPN aurait admis, trois semaines après sa révocation, qu’il ne s’était rendu coupable d’aucune irrégularité relative à ces allocations. Cette décision a porté le solde de l’ordre de recouvrement en décembre 2021 à 77 610,87 euros au lieu des 166 835,74 euros initialement calculés. Selon le requérant, la réduction de plus de la moitié des sommes prétendument à récupérer devrait logiquement avoir une incidence directe sur la sanction disciplinaire qui a été prononcée précédemment à son égard, le 27 septembre 2021. En effet, l’AIPN aurait pu prendre une décision disciplinaire moins sévère le 27 septembre 2021 si elle avait eu en sa possession les nouveaux faits établis en sa faveur par l’AIPN plus tard dans sa décision du 22 octobre 2021.

43      En deuxième lieu, le requérant relève, par le deuxième grief du premier moyen, que les autorités belges ou les autorités roumaines n’ont pas engagé d’actions ou de poursuites pénales concernant les fautes qui lui ont été reprochées. En particulier, il confirme que, en Belgique, le dossier relatif à des soupçons de mariage simulé à son égard a été classé sans suite le 24 novembre 2016 en raison de l’insuffisance des charges. S’agissant des informations fournies par le requérant aux autorités roumaines pour obtenir l’adoption ou le placement en famille d’accueil, le requérant allègue que les autorités roumaines compétentes sont les seules à décider si ces informations étaient exactes, complètes ou suffisantes et que ces autorités n’ont jamais ouvert de procédure à son égard. De ce fait, les institutions de l’Union sont tenues par le statut de se limiter à la vérification de l’existence des pièces justificatives requises pour l’octroi des allocations familiales.

44      Par conséquent, le requérant conclut que, en l’absence de toute faute en ce qui concerne la décision des autorités roumaines de placer ses fils en famille d’accueil et les allocations subséquentes accordées pour la période allant du 1er août 2010 au 29 janvier 2013, la révocation serait manifestement une sanction disproportionnée par rapport aux comportements reprochés.

45      En troisième lieu, par le troisième grief du premier moyen, le requérant précise que, en prenant la décision attaquée, l’AIPN n’a pas tenu compte du bien‑être de son fils adoptif et notamment de son intérêt médical. Selon le requérant, le bien‑être et l’intérêt médical des membres de sa famille devraient être examinés au regard de l’article 10, seconde phrase, sous d), de l’annexe IX du statut, comme l’avait fait le conseil de discipline. Le requérant ajoute que le conseil de discipline avait dûment tenu compte de la situation particulière de son fils adoptif et proposé, à titre de sanction, le classement du requérant dans un groupe de fonctions inférieur, avec rétrogradation. Cependant, par la décision attaquée, l’AIPN a pris à l’encontre du requérant la sanction ultime, la révocation, qui se révèle être une mesure totalement disproportionnée par rapport aux comportements reprochés et, surtout, préjudiciable à la santé fragile de son fils adoptif handicapé.

46      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

47      En premier lieu, le Conseil rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’AIPN dispose du pouvoir de procéder à une appréciation de la responsabilité du fonctionnaire différente de celle portée par le conseil de discipline, ainsi que de choisir, par la suite, la sanction disciplinaire qu’elle estime adéquate pour sanctionner la faute retenue.

48      En deuxième lieu, le Conseil relève que l’article 10, seconde phrase, de l’annexe IX du statut précise, de manière non exhaustive, à ses points a) à i), un certain nombre d’éléments dont il est « notamment » tenu compte pour déterminer la gravité de la faute et décider de la sanction disciplinaire à infliger. Parmi ces éléments, à prendre en compte dans la décision relative à la sanction disciplinaire, ne figure pas le bien‑être et l’intérêt médical des membres de la famille du fonctionnaire concerné. En tout état de cause, l’AIPN aborde cette question aux points 40 à 42 de la décision attaquée.

49      En troisième lieu, le Conseil relève également que la question de savoir si un manquement aux obligations auxquelles un fonctionnaire est tenu au titre du statut a entraîné la répétition des sommes indûment perçues et, dans l’affirmative, le montant de ces sommes, sont dépourvus de pertinence pour déterminer si le fonctionnaire est exposé à une sanction disciplinaire au titre de l’article 86, paragraphe 1, du statut. En outre, les critères de répétition de l’indu au titre de l’article 85 du statut sont différents de ceux qui permettent de déterminer la gravité de la faute et de décider de la sanction disciplinaire au titre de l’article 10 de l’annexe IX du statut. Selon le Conseil, le dossier ne contient pas la moindre indication selon laquelle la somme indument perçue donnant lieu à répétition aurait été prise en compte par l’AIPN lors de la décision sur la sanction disciplinaire. L’objet de la procédure disciplinaire n’était ni le montant des sommes indûment versées ni la validité des décisions d’une autorité publique roumaine ou des autorités judiciaires roumaines, prises sur la base d’informations que le requérant leur avait fournies, mais le comportement du requérant, en tant que fonctionnaire de l’Union, à l’égard de l’AIPN ainsi que des autorités publiques ou judiciaires roumaines, en ce qui concerne l’exactitude des informations qu’il a fournies à ces autorités au sujet de sa situation personnelle.

50      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, une décision infligeant une sanction de révocation implique nécessairement des considérations délicates de la part de l’institution, compte tenu des conséquences particulièrement sérieuses qui en découlent. L’institution dispose à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation et le Tribunal ne saurait substituer son appréciation à celle de l’AIPN. Le contrôle juridictionnel se limite à une vérification de l’exactitude matérielle des faits retenus, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de l’absence de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Nanopoulos, T‑308/10 P, EU:T:2012:370, point 150 et jurisprudence citée). En outre, la légalité de toute sanction disciplinaire présuppose que la réalité des faits reprochés à l’intéressé soit établie (voir arrêt du 17 mai 2000, Tzikis/Commission, T‑203/98, EU:T:2000:130, point 51 et jurisprudence citée).

51      Par ailleurs, une erreur peut seulement être qualifiée de manifeste lorsqu’elle peut être détectée de façon évidente, à l’aune des critères auxquels le législateur a entendu subordonner l’exercice par l’administration de son pouvoir d’appréciation. Établir que l’administration a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des faits de nature à justifier l’annulation de la décision prise en conséquence suppose donc que les éléments de preuve, qu’il incombe à la partie requérante d’apporter, soient suffisants pour priver de plausibilité les appréciations retenues par l’administration. En d’autres termes, le moyen tiré de l’erreur manifeste doit être rejeté si, en dépit des éléments avancés par la partie requérante, l’appréciation mise en cause peut toujours être admise comme justifiée et cohérente [voir arrêt du 2 avril 2019, Fleig/SEAE, T‑492/17, EU:T:2019:211, point 55 (non publié) et jurisprudence citée].

52      Conformément à cette jurisprudence, il appartient donc au requérant d’apporter des éléments de preuve privant de plausibilité les appréciations retenues par l’administration. Partant, il convient de vérifier si les arguments avancés par le requérant sont susceptibles de démontrer, à première vue, une erreur manifeste d’appréciation de la part de l’AIPN.

53      En outre, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante. Or, au vu du large pouvoir d’appréciation dont disposent les institutions pour organiser leurs services et affecter le personnel qui se trouve à leur disposition, le Tribunal doit se limiter à vérifier si la mesure arrêtée n’a pas un caractère manifestement inapproprié par rapport à l’objectif poursuivi (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Pethke/EUIPO, T‑169/17, non publié, EU:T:2019:135, point 122, et jurisprudence citée).

54      En l’espèce, en premier lieu, le requérant soutient que, en annulant, le 22 octobre 2021, sa propre décision de recouvrement des allocations perçues pour ses fils au titre de la période allant du 1er août 2010 au 29 janvier 2013, l’AIPN aurait admis, trois semaines après sa révocation, qu’il ne s’était rendu coupable d’aucune irrégularité relative à ces allocations et que ce fait devrait avoir une incidence directe sur la sanction disciplinaire qui a été prononcée précédemment à son égard. Or, bien que le dossier ne contienne pas des indications selon lesquelles la somme indûment perçue donnant lieu à répétition aurait été prise en compte par l’AIPN lors de la décision sur la sanction disciplinaire, il est un fait que toutes les fautes reprochées au requérant sont directement liées au caractère indu des allocations familiales que le requérant a demandées.

55      Par conséquent, il n’est pas à exclure que la réduction de plus de la moitié des sommes prétendument à récupérer affectait directement la cause qui a mené l’AIPN à initier une procédure disciplinaire à l’encontre du requérant et, partant, la sanction disciplinaire qui lui a été infligée.

56      En outre, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel aucune action ou poursuite pénale n’a été engagée par les autorités nationales compétentes concernant les fautes qui lui ont été reprochées, il convient de constater que, dans ce cadre, les autorités compétentes roumaines en matière de lutte contre la fraude et anticorruption ont confirmé à plusieurs reprises que le requérant n’était pas connu de leurs services, qu’il n’y avait pas d’affaire en cours liée à son nom et qu’il n’était ni suspect ni inculpé.

57      De plus, il convient de constater que, comme le Conseil l’a reconnu lui‑même, la décision de l’AIPN sur les allocations familiales des fils du requérant a été prise sur la base de deux décisions des autorités roumaines compétentes qui sont des décisions judiciaires fondées sur la législation d’un État membre concernant la protection des mineurs, au sens de l’article 2, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut, et qui, tant qu’elles ne sont pas abrogées ou annulées ex tunc par les autorités nationales compétentes, doivent être considérées comme valables et constituent donc le fondement permettant d’assimiler les deux fils du requérant à des enfants à charge en vertu de ladite disposition.

58      Par conséquent, il résulte à première vue de ces éléments, sans préjuger de la future décision du juge dans l’affaire principale, que la réduction des sommes à récupérer devrait avoir une incidence directe sur la sanction disciplinaire qui a été prononcée à l’encontre du requérant et que, pour déterminer la gravité de la faute et décider de la sanction disciplinaire à infliger au requérant, l’AIPN aurait dû tenir compte, dans le cadre de son analyse de la nature de la faute et des circonstances dans lesquelles elle a été commise, conformément à l’article 10, seconde phrase, sous a), de l’annexe IX du statut, du fait qu’aucune action ou poursuite pénale n’avait été engagée par les autorités roumaines concernant les fautes qui lui étaient reprochées.

59      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours au principal, il y a lieu de conclure que les premier et deuxième griefs du premier moyen, invoqués par le requérant, apparaissent, à première vue, non dépourvus de fondement sérieux. Ils méritent donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

60      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel l’AIPN n’a pas tenu compte, dans la décision attaquée, du bien‑être de son fils adoptif et notamment de son intérêt médical au regard de l’article 10, seconde phrase, sous d), de l’annexe IX du statut, il convient de constater que l’AIPN a souligné, au point 40 de la décision attaquée, que le conseil de discipline avait relevé l’insistance du requérant sur le fait que ses actes étaient motivés par le bien‑être de ses enfants et qu’il consacrait l’essentiel de ses ressources à ces derniers. Toutefois, il est certes vrai que le conseil de discipline a également considéré, à cet égard, que les moyens employés par le requérant pour atteindre ces objectifs avaient donné lieu au comportement fautif du requérant. Compte tenu de ces considérations, l’AIPN a observé que le bien‑être des enfants ne saurait en aucun cas excuser le comportement du requérant.

61      À cet égard, il convient de reconnaître que, si le bien‑être des enfants ne saurait, en aucun cas, excuser le comportement du requérant, il semble, à première vue, que l’AIPN aurait toutefois dû tenir compte de cette circonstance en tant que motif ayant amené le requérant à commettre la faute, au titre de l’article 10, seconde phrase, sous d), de l’annexe IX du statut, d’autant plus que, comme l’AIPN le reconnaît lui‑même, au point 42 de la décision attaquée, le requérant n’a pas eu d’intention malveillante ou de volonté de s’enrichir personnellement.

62      Par ailleurs, cette circonstance a été prise en compte par le conseil de discipline qui a proposé, à l’unanimité, le classement du requérant dans un groupe de fonctions inférieur, avec rétrogradation.

63      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours au principal, il y a lieu de conclure que ce grief apparaît également, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux et mérite donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

64      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris, dans la mesure où les premier, deuxième et troisième griefs du premier moyen apparaissent, à première vue, non dépourvus de fondement sérieux.

 Sur la mise en balance des intérêts

65      Selon la jurisprudence, les risques liés à chacune des solutions possibles doivent être mis en balance dans le cadre de la procédure de référé. Concrètement, cela implique notamment d’examiner si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte attaqué prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de celui‑ci. Lors de cet examen, il convient de déterminer si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui serait provoquée par son exécution immédiate et, inversement, dans quelle mesure le sursis serait de nature à faire obstacle aux objectifs poursuivis par l’acte attaqué au cas où le recours principal serait rejeté [voir ordonnance du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 127 et jurisprudence citée].

66      En l’espèce, s’agissant de l’intérêt du requérant, celui‑ci soutient que, afin d’éviter des conséquences graves et irréparables qui, dans le cas de son fils adoptif handicapé, pourraient même entraîner son décès, les mesures provisoires demandées sont nécessaires jusqu’à la fin de la procédure devant le Tribunal. Selon le requérant, si la décision attaquée est immédiatement exécutée, son fils adoptif cessera de percevoir les allocations qui lui permettent de recevoir les soins médicaux indispensables à sa survie.

67      En ce qui concerne l’intérêt du Conseil, celui‑ci avance que, par son comportement fautif, le requérant a gravement et irrémédiablement porté atteinte à l’un des fondements essentiels de la relation entre un fonctionnaire et son institution, à savoir la confiance dans la loyauté et l’intégrité du fonctionnaire. La réintégration du requérant dans son poste précédent, même à titre de mesure provisoire, poserait donc de sérieuses difficultés. Le requérant, en tant que fonctionnaire en activité, continuerait de représenter une menace réelle et significative pour les intérêts de l’institution et de l’Union, dès lors qu’il n’est pas garanti qu’il ne répétera pas ce même comportement.

68      À cet égard, il convient de relever que le devoir de loyauté a certes une incidence sur la préservation d’un lien de confiance personnel entre une institution et ses fonctionnaires qui conditionne le maintien d’une relation d’emploi. Ce devoir impose non seulement que les fonctionnaires s’abstiennent de conduites attentatoires à la dignité de la fonction et au respect dû à l’institution et à ses autorités, mais également qu’ils fassent preuve d’un comportement au‑dessus de tout soupçon, afin que les liens de confiance existant entre cette institution et eux‑mêmes soient toujours préservés (arrêt du 19 mai 1999, Connolly/Commission, T‑34/96 et T‑163/96, EU:T:1999:102, point 128). Il ne s’ensuit cependant pas pour autant que toute violation du devoir de loyauté entraînerait systématiquement la perte de cette confiance, et donc le licenciement comme résultat inéluctable (arrêt du 9 juin 2021, DI/BCE, T‑514/19, sous pourvoi, EU:T:2021:332, point 211).

69      En revanche, dans l’hypothèse où les mesures provisoires demandées par le requérant ne seraient pas ordonnées, le fils adoptif du requérant cessera de percevoir les allocations qui lui permettent de recevoir les soins médicaux indispensables à sa survie.

70      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que la balance des intérêts penche en faveur du requérant.

71      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être accueillie.

72      Le sursis à l’exécution de la décision attaquée emportant réintégration immédiate du requérant, il n’y a pas lieu de statuer de façon autonome sur les conclusions visant spécifiquement à obtenir cette réintégration.

73      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision du Conseil de l’Union européenne du 27 septembre 2021 infligeant au requérant une sanction disciplinaire de révocation avec effet au 1er octobre 2021.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 31 mars 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.