Language of document : ECLI:EU:T:2001:170

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

27 juin 2001 (1)

«Décision 1999/307/CE - Intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil - Recours en annulation»

Dans les affaires jointes T-164/99, T-37/00 et T-38/00,

Alain Leroy, ancien employé de l'Union économique de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg (Benelux) affecté au secrétariat de Schengen, demeurant à Grimbergen (Belgique),

Yannick Chevalier-Delanoue, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Bruxelles (Belgique),

Virginia Joaquim Matos, demeurant à Montijo (Portugal),

représentés par Mes G. Vandersanden et L. Levi, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

soutenus, par

Union syndicale-Bruxelles, ayant son siège à Bruxelles, représentée par Me S. Parmesan, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante dans l'affaire T-164/99,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et F. Anton, en qualité d'agents, assistés de M. A. Bentley, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet, dans l'affaire T-164/99, une demande d'annulation de la décision 1999/307/CE du Conseil, du 1er mai 1999, fixant les modalités de l'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil (JO L 119, p. 49), et, dans les affaires T-37/00 et T-38/00, d'une part, des demandes d'annulation de la décision 1999/307, de plusieurs décisions du Conseil portant nomination d'autres personnes à des postes au sein de cette institution et des décisions implicites du Conseil de ne pas nommer les requérants à l'un de ces postes et, d'autre part, des demandes de dommages et intérêts,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, A. Potocki et J. Pirrung, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 7 mars 2001,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le 14 juin 1985 et le 19 juin 1990, certains États membres de l'Union européenne ont signé à Schengen des accords relatifs à la suppression graduelle des contrôlesaux frontières communes. Ces accords, ainsi que les accords connexes et les règles adoptées sur la base desdits accords, visent à renforcer l'intégration européenne et, en particulier, à permettre à l'Union européenne de devenir plus rapidement un espace de liberté, de sécurité et de justice.

2.
    Le traité modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes (JO 1997, C 340, p. 1), signé à Amsterdam le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le 1er mai 1999, comporte un protocole intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne (JO 1997, C 340, p. 93, ci-après le «protocole»). L'acquis de Schengen est constitué par les accords et les règles susmentionnés, énumérés à l'annexe du protocole.

3.
    Les articles 2, paragraphe 1, premier alinéa, et 7 du protocole disposent:

«Article 2

1. À compter de la date d'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, l'acquis de Schengen, y compris les décisions du comité exécutif institué par les accords de Schengen qui ont été adoptées avant cette date, s'appliquent immédiatement aux treize États membres visés à l'article 1er, sans préjudice du paragraphe 2 du présent article. À compter de cette date, le Conseil se substitue audit comité exécutif.

[...]

Article 7

Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, adopte les modalités d'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil.»

4.
    C'est en application de cette dernière disposition que le Conseil a arrêté, le 1er mai 1999, la décision 1999/307/CE fixant les modalités de l'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil (JO L 119, p. 49).

5.
    Selon les considérants 3 et 4 de la décision 1999/307, «cette intégration a pour but d'assurer que, lors de l'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne, l'application et le développement des dispositions relatives à cet acquis continuent à se dérouler dans des conditions qui en assurent le bon fonctionnement», «les modalités de cette intégration [devant] permettre, d'une part, de limiter les recrutements aux nécessités de service qui résulteront pour le secrétariat général du Conseil des nouvelles tâches qu'il devra assurer et, d'autre part, de vérifier les qualités de compétence, de rendement et d'intégrité des personnes recrutées». Aux termes du considérant 6 de la même décision, le secrétaire général du Conseil doit ainsi être mis en mesure «de répondre d'une façon efficace aux besoins qui découleront de l'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne».

6.
    Les articles 1er à 3 de la décision 1999/307 disposent:

«Article premier

1. La présente décision a pour objet de fixer les modalités de l'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil.

2. Aux fins de la présente décision, le secrétariat de Schengen est défini comme constitué par les personnes qui remplissent les conditions prévues à l'article 3, [... sous] e).

Article 2

Par dérogation au statut [des fonctionnaires des Communautés européennes], et sous réserve de la vérification du respect des conditions fixées à l'article 3 de la présente décision, l'[autorité investie du pouvoir de nomination], au sens de l'article 2 du statut, peut nommer au secrétariat général du Conseil les personnes visées à l'article 1er de la présente décision en qualité de fonctionnaires stagiaires des Communautés européennes au sens du statut et les affecter à l'un des emplois figurant à cet effet au tableau des effectifs du secrétariat général du Conseil pour l'exercice 1999, à la catégorie, dans le cadre, au grade et à l'échelon déterminés conformément au tableau d'équivalence qui figure en annexe.

Article 3

L'[autorité investie du pouvoir de nomination] peut procéder aux nominations prévues à l'article 2 après avoir vérifié que les personnes en cause:

a)    sont ressortissantes d'un des États membres;

b)    se trouvent en position régulière au regard des lois de recrutement qui leur sont applicables en matière militaire;

c)    offrent les garanties de moralité requises pour l'exercice de leurs fonctions;

d)    remplissent les conditions d'aptitude physique requises pour l'exercice de ces fonctions;

e)    fournissent les pièces justificatives prouvant:

    i)    qu'elles étaient employées au secrétariat de Schengen à la date du 2 octobre 1997 soit en tant que membre du collège des secrétaires généraux du Benelux en situation de mise à disposition du secrétariat de Schengen, soit en tant qu'agent lié par un contrat de travail à l'Union économique Benelux, soit en tant qu'agent statutaire dusecrétariat du Benelux en situation de mise à disposition du secrétariat de Schengen et y exerçaient une activité effective;

    ii)    qu'elles étaient encore employées au secrétariat de Schengen à la date du 1er mai 1999

        et

    iii)    qu'elles exerçaient effectivement au secrétariat de Schengen, aux dates visées aux points i) et ii), des fonctions liées à l'application et au développement de l'acquis de Schengen, d'assistance à la présidence et aux délégations, de gestion des affaires financières et budgétaires, de traduction et/ou d'interprétation, de documentation ou de secrétariat, à l'exclusion des tâches de support technique ou administratif;

f)    fournissent tout document ou pièce justificative, diplôme, titre ou certificat, établissant qu'elles disposent du niveau de qualification ou d'expérience requis pour exercer les fonctions correspondant à la catégorie ou au cadre dans lequel elles doivent être intégrées.»

7.
    L'article 5 de la décision 1999/307 prévoit que celle-ci «entre en vigueur le jour de son adoption» et qu'elle est «applicable à partir du 1er mai 1999».

8.
    Son article 6 dispose que «le secrétaire général du Conseil est destinataire de la présente décision».

Faits à l'origine des litiges

Affaire T-164/99

9.
    M. Leroy a travaillé comme traducteur au secrétariat de Schengen du 12 février au 9 juin 1996 sur la base d'un contrat à durée déterminée. Ensuite, du 10 juin 1996 au 30 mars 1998, il a été employé comme traducteur audit secrétariat, à plusieurs reprises, en qualité de travailleur indépendant (free-lance). Enfin, du 1er avril 1998 au 30 avril 1999, il a travaillé au même secrétariat comme traducteur et responsable de la terminologie sur la base d'un contrat d'engagement à durée indéterminée conclu avec l'Union économique Benelux.

10.
    Ce contrat contient, en son article 6, la disposition suivante:

«Le présent recrutement ne peut être considéré comme un droit à un engagement - mais il ne l'exclut pas non plus - dans l'Union européenne, dans le cadre de l'intégration du secrétariat général.»

11.
    S'inquiétant du risque qu'il courait de ne pas être intégré au secrétariat général du Conseil, le requérant a adressé à cette institution plusieurs lettres, datées du début de l'année 1999, pour exposer, dans la perspective de l'application de l'article 7 du protocole, sa situation personnelle. À cette occasion, il a attiré l'attention sur le fait que, s'il n'était pas agent contractuel du secrétariat de Schengen à la date du 2 octobre 1997, il avait effectué pour le compte de ce dernier, pendant toute la période de référence envisagée aux fins de l'intégration en cause, des travaux de traduction en qualité de travailleur indépendant.

12.
    En réponse à ces courriers, le requérant a été informé que la date du 2 octobre 1997 était d'une importance essentielle pour la détermination des personnes susceptibles d'être admises à postuler pour un emploi au secrétariat général de cette institution.

13.
    Par la suite, il a été mis fin au contrat d'engagement du requérant avec effet au 30 avril 1999, et ce dernier n'a pas été retenu parmi les personnes qui ont bénéficié de l'intégration au sein du secrétariat général du Conseil.

Affaire T-37/00

14.
    M. Chevalier-Delanoue est traducteur à la division française du service linguistique de la direction de la traduction et de la production des documents de la DG A du Conseil (ci-après le «service linguistique») depuis 1993.

15.
    Depuis le 1er janvier 1998, il était susceptible d'être promu au grade LA 5. À ce titre, il figurait sur la liste des fonctionnaires disposant de l'ancienneté requise au 1er octobre 1998. Le requérant n'a cependant pas été inscrit sur la liste des fonctionnaires proposés pour une promotion au titre de l'exercice 1998.

16.
    À la suite de l'entrée en vigueur de la décision 1999/307, Mme R., ancien agent du secrétariat de Schengen, a été nommée, en exécution de cette décision, à un poste de grade LA 5 à la division française du service linguistique.

17.
    Le requérant est d'avis que, en prenant cette décision de recrutement, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a nécessairement pris la décision implicite de ne pas le promouvoir, à cette date, à ce poste de grade LA 5 qui avait été libéré d'un point de vue budgétaire.

18.
    Le 28 juillet 1999, il a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»). Cette réclamation a été rejetée par décision du 22 novembre 1999, notifiée au requérant le 26 novembre 1999.

19.
    En décembre 1999, le requérant a été promu au grade LA 5 avec effet rétroactif au 1er août 1999.

Affaire T-38/00

20.
    Mme Joaquim Matos est lauréate d'un concours organisé en 1996 par le Conseil et visant à la constitution d'une réserve de recrutement de traducteurs d'expression portugaise. À la date du dépôt de sa requête, elle n'avait pas encore reçu d'offre de recrutement de la part du Conseil. La liste de réserve était toujours valide et la requérante s'y trouvait en troisième position.

21.
    À la suite de l'entrée en vigueur de la décision 1999/307, quatre anciens agents du secrétariat de Schengen ont été nommés à des postes de grade LA 7 à la division portugaise du service linguistique.

22.
    La requérante est d'avis que, en prenant cette décision de recrutement avec effet au 1er mai 1999, l'AIPN a nécessairement pris la décision implicite de ne pas la nommer à l'un de ces postes, qui avaient été libérés d'un point de vue budgétaire.

23.
    Le 28 juillet 1999, elle a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut. Cette réclamation a été rejetée par décision du 22 novembre 1999, notifiée à la requérante le 26 novembre 1999.

Procédure

24.
    Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 9 juillet 1999 (affaire T-164/99) et le 24 février 2000 (affaires T-37/00 et T-38/00), les requérants ont introduit les présents recours.

25.
    Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal les 22 septembre 1999 et 26 avril 2000, le Conseil a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114 du règlement de procédure du Tribunal dans chacune des affaires susvisées.

26.
    Les 22 novembre 1999, 30 mai et 13 juin 2000, les requérants ont présenté leurs observations sur ces exceptions.

27.
    Par ordonnance du 22 novembre 1999, le président de la deuxième chambre du Tribunal a admis l'Union syndicale-Bruxelles à intervenir au soutien des conclusions du requérant dans l'affaire T-164/99.

28.
    Le 25 janvier 2000, la partie intervenante a présenté ses observations sur l'exception d'irrecevabilité soulevée dans l'affaire T-164/99.

29.
    Par ordonnances des 9 mars et 26 juin 2000, le Tribunal (deuxième chambre) a joint au fond les exceptions d'irrecevabilité soulevées par le Conseil.

30.
    Par ordonnance du 4 août 2000, le président de la deuxième chambre du Tribunal a joint les affaires T-164/99, T-37/00 et T-38/00 aux fins de la suite de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.

31.
    Par lettre du 11 septembre 2000, la partie intervenante a renoncé à déposer un mémoire en intervention.

32.
    Dans les affaires T-37/00 et T-38/00, le Conseil a renoncé au dépôt d'une duplique.

33.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

34.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience du 7 mars 2001.

Conclusions des parties

35.
    Dans l'affaire T-164/99, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision 1999/307;

-    condamner le Conseil aux dépens.

36.
    La partie intervenante se rallie aux conclusions du requérant.

37.
    Dans l'affaire T-37/00, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision 1999/307;

-    annuler la décision de nommer Mme R. à un poste de grade LA 5 à la division française du service linguistique;

-    annuler la décision implicite consécutive de ne pas le nommer à un tel poste;

-    condamner le Conseil à tirer toutes les conséquences juridiques aux fins de rétablir ses droits;

-    subsidiairement, condamner le Conseil à la réparation du préjudice subi, tant moral que matériel, évalué, à titre provisionnel, à un euro, à majorer des intérêts de retard à compter du 1er mai 1999;

-    condamner le Conseil aux dépens.

38.
    Dans l'affaire T-38/00, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision 1999/307;

-    annuler les décisions de nommer M. D. S. S., Mme R. C. d. S., Mme R. G. et Mme G. L. à quatre postes de grade LA 7 à la division portugaise du service linguistique;

-    annuler les décisions implicites consécutives de ne pas la nommer à l'un de ces postes;

-    condamner le Conseil à tirer toutes les conséquences juridiques aux fins de rétablir ses droits;

-    subsidiairement, condamner le Conseil à la réparation du préjudice subi, tant moral que matériel, évalué, à titre provisionnel, à un euro, à majorer des intérêts de retard à compter du 1er mai 1999;

-    condamner le Conseil aux dépens.

39.
    Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter les recours comme irrecevables ou non fondés;

-    condamner les requérants aux dépens.

Sur la recevabilité

40.
    Les présents recours ont été introduits, dans l'affaire T-164/99, sur le fondement de l'article 230 CE et, dans les affaires T-37/00 et T-38/00, sur celui des articles 90 et 91 du statut. Les requérants demandent en tout premier lieu l'annulation de la décision 1999/307. En outre, dans les affaires T-37/00 et T-38/00, il est soutenu que les décisions portant nomination d'anciens agents du secrétariat de Schengen à des postes du service linguistique et celles, implicites, de ne pas nommer les requérants à l'un de ces postes sont des mesures d'exécution de la décision 1999/307. Tous les requérants font valoir que la question de la recevabilité de leurs recours est étroitement liée à celle de l'examen de ces recours au fond. Ils exposent que la décision 1999/307 les affecte individuellement en ce que, en application de celle-ci, ils n'ont pu bénéficier de la procédure d'intégration litigieuse (affaire T-164/99) ou d'une procédure régulière de pourvoi des postes en cause (affaires T-37/00 et T-38/00). Selon les requérants, cette situation résulte de ce que la décision 1999/307 a été prise en violation des dispositions impératives du statut relatives au recrutement des fonctionnaires et de l'article 7 du protocole. Ils soutiennent également que le Conseil a instauré dans cette décision un critère arbitraire. Enfin, ils affirment que, si leurs recours devaient aboutir, le Conseil serait dans l'obligation de prendre de nouvelles mesures aux fins d'éliminer les conséquences de l'illégalité ainsi constatée.

41.
    Le Conseil, en revanche, conteste la recevabilité des recours au motif que la décision 1999/307, dont le champ d'application ne couvre pas la situation des requérants, ne concerne pas individuellement ces derniers, au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE (affaire T-164/99), et ne constitue pas un acte leur faisant grief, au sens des articles 90 et 91 du statut (affaires T-37/00 et T-38/00).

42.
    En l'espèce, il s'avère que la question de la recevabilité des recours est étroitement liée à leur examen au fond, de telle sorte qu'il y a lieu de procéder, tout d'abord, à cet examen.

Sur le fond

43.
    À l'appui de leurs conclusions en annulation, les requérants soulèvent plusieurs moyens dont certains se recoupent. Ainsi, tous les requérants allèguent que la décision 1999/307 est illégale, à titre principal, aux motifs, d'une part, qu'elle aurait été prise en violation de l'article 7 du protocole, de certaines dispositions du statut, de la hiérarchie des normes et du principe de non-discrimination et, d'autre part, qu'elle serait entachée d'une erreur de droit.

44.
    À titre subsidiaire, les requérants dans les affaires T-37/00 et T-38/00 dénoncent une violation de l'article 24, paragraphe 1, second alinéa, du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes (ci-après le «traité de fusion») - devenu l'article 283 CE -, de l'article 10 du statut et des formalités substantielles. Dans ces affaires, il est soutenu, en outre, que les décisions portant nomination de cinq anciens agents du secrétariat de Schengen à des postes du service linguistique et les décisions de ne pas nommer les requérants aux postes en cause sont illégales pour violation des principes de protection de la confiance légitime, de sollicitude ainsi que de bonne gestion et de saine administration.

45.
    Dans l'affaire T-164/99, la partie intervenante invoque deux moyens supplémentaires, tirés, respectivement, d'une violation de l'article 24, paragraphe 1, second alinéa, du traité de fusion et d'une absence de base juridique de la décision 1999/307.

46.
    Il paraît opportun de regrouper ces moyens et d'examiner, en premier lieu et conjointement, ceux tirés d'une violation de l'article 7 du protocole, de l'article 24 du traité de fusion, des articles 7, 10, 27 et 29 du statut, du principe de la hiérarchie des normes et des formes substantielles.

Sur les moyens tirés d'une violation de l'article 7 du protocole, de l'article 24 du traité de fusion, des articles 7, 10, 27 et 29 du statut, du principe de la hiérarchie des normes et des formes substantielles

Arguments des parties

47.
    Selon les requérants, le Conseil ne peut pas tirer argument de l'article 7 du protocole pour justifier la décision 1999/307. En effet, si cette disposition l'oblige à intégrer le secrétariat de Schengen au sein de son propre secrétariat général, le Conseil, en arrêtant les «modalités d'intégration», aurait dû choisir les moyens les plus appropriés. En outre, le libellé de ladite disposition ne ferait pas expressément référence au recrutement du personnel du secrétariat de Schengen, mais viserait l'intégration des fonctions dudit secrétariat en tant qu'organe.

48.
    Pour les requérants, il est évident que l'article 7 du protocole ne pouvait autoriser le Conseil à arrêter des modalités d'intégration violant les dispositions du statut relatives au recrutement et des principes généraux de droit. Ainsi, l'article 7 du protocole n'introduirait une dérogation au droit commun, à savoir à l'article 24, paragraphe 1, du traité de fusion, que sous l'angle de la procédure: le Conseil pourrait agir sans proposition de la Commission et sans consultation des autres institutions, ce qui serait le reflet de l'urgence et du caractère exceptionnel de la situation.

49.
    Les requérants en déduisent que, si les institutions sont chargées d'accomplir des tâches nouvelles, elles ne peuvent recruter du personnel supplémentaire que dans le cadre statutaire ou dans celui du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après le «RAA»). Tout en admettant que le personnel du secrétariat de Schengen était, en principe, le mieux à même d'assurer des missions identiques ou équivalentes aux siennes au sein du secrétariat général du Conseil, les requérants soutiennent que, en vertu de l'article 7 du protocole, le Conseil devait seulement attacher un intérêt particulier à ce personnel.

50.
    Quant aux fonctions confiées par le Conseil aux cinq anciens agents du secrétariat de Schengen dont la nomination est contestée dans les affaires T-37/00 et T-38/00, les requérants en cause ajoutent qu'il ne s'agit pas de fonctions spécifiques, liées à l'acquis de Schengen et pour lesquelles une expérience spécifique était requise. Les fonctions de ces personnes seraient de même nature que celles exercées par tous les traducteurs des divisions française et portugaise du service linguistique. Par conséquent, et contrairement à ce qui est indiqué aux considérants 4 et 6 de la décision 1999/307, cette dernière ne procéderait pas à une intégration des fonctions assumées par le personnel du secrétariat de Schengen.

51.
    Sous l'aspect de la hiérarchie des normes, les requérants relèvent que le protocole ne modifie pas les traités communautaires mais en assure l'application. S'agissant de comparer la valeur juridique de la décision 1999/307 avec celle du règlement arrêtant le statut des fonctionnaires, pris en application de l'article 24 du traité de fusion, les requérants soulignent que ladite décision a une nature interne, puisqu'elle a pour destinataire le secrétaire général du Conseil. Une telle décision ne devrait donc, en aucune façon, être contraire aux dispositions de nature réglementaire, établies par le statut en matière de recrutement externe. À la différence d'une telle décision, le statut aurait été adopté sous la forme d'unrèglement, c'est-à-dire d'un acte obligatoire, à portée générale et créant des droits pour les fonctionnaires.

52.
    Les requérants précisent que la règle fondamentale et exclusive concernant l'accès à la fonction publique communautaire est - sauf les exceptions prévues à l'article 29, paragraphe 2, du statut, lesquelles ne sauraient être valablement invoquées en l'espèce - le recrutement par concours. Dès lors, même si le Conseil était autorisé à agir dans l'urgence et selon une procédure exceptionnelle, il aurait dû effectuer, d'abord, un relevé des postes indispensables pour assurer la continuité des activités liées à l'acquis de Schengen en son sein et, ensuite, procéder au recrutement des personnes faisant partie du secrétariat de Schengen par concours. Il aurait donc été parfaitement loisible au Conseil de satisfaire à la fois à l'exigence d'intégration au titre de l'article 7 du protocole et à la procédure statutaire de recrutement.

53.
    En outre, seul un concours répondrait aux finalités de l'article 27 du statut, qui constitue la clé de voûte en matière de recrutement au sein des institutions communautaires, aux termes duquel le recrutement doit viser à assurer à l'institution le concours de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d'intégrité, recrutés sur une base géographique aussi large que possible. Or, en l'absence d'un régime dérogatoire valablement instauré par la décision 1999/307, tant l'article 27 que l'article 29 du statut auraient été méconnus par le Conseil.

54.
    Dans l'affaire T-164/99, la partie intervenante fait valoir que l'article 2 du protocole établit un régime spécifique d'adoption à l'unanimité des mesures nécessaires à l'application de l'acquis de Schengen aux seuls treize États membres visés à l'article 1er. En revanche, les modalités d'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil seraient, en vertu de l'article 7 du protocole, expressément exclues de ce régime spécifique. Cette disposition prévoirait, en effet, que les modalités d'intégration sont adoptées à la majorité qualifiée de tous les États membres. Le Conseil ne pourrait, dès lors, pas soutenir que cette dernière disposition l'autorise à déroger au prescrit de l'article 24, paragraphe 1, second alinéa, du traité de fusion.

55.
    Enfin, dans les affaires T-37/00 et T-38/00, les requérants soutiennent que l'absence d'organisation d'un concours préalablement à la nomination des cinq anciens agents du secrétariat de Schengen susmentionnés n'a pas permis au Conseil de garantir le recrutement de fonctionnaires possédant les qualités visées à l'article 27 du statut. Or, l'intérêt du service, consacré à l'article 7 du statut, exigerait que ne soient nommées que des personnes qui présentent ces qualités. Dès lors, le recrutement des cinq anciens agents en question méconnaîtrait l'intérêt du service.

56.
    À titre subsidiaire, ils considèrent qu'il est légitime de se demander si la décision 1999/307, dont la valeur juridique est inférieure à celle du statut, n'entraîne pas des modifications de celui-ci. Or, toute modification du statut serait soumise à la procédure de l'article 24 du traité de fusion, laquelle n'aurait pas été respectée enl'occurrence. En outre, en vertu de l'article 10 du statut, la consultation du comité du statut aurait été requise. Cette disposition n'aurait pas non plus été respectée. De façon plus générale, le Conseil aurait, ainsi, méconnu des formes substantielles.

57.
    Le Conseil rétorque que l'article 7 du protocole a précisément pour but de lui conférer le pouvoir d'adopter un régime autonome de recrutement, distinct des dispositions statutaires. En outre, ledit article serait une disposition de droit primaire qui est placée au même niveau dans la hiérarchie des normes que l'article 24 du traité de fusion et qui est supérieure au statut. Dans la mesure où les requérants dénoncent une violation du statut, le Conseil estime donc que ce reproche n'est pas fondé, puisque, dans la décision 1999/307, il a instauré un régime d'exception qui relevait d'une disposition de droit primaire. Enfin, il n'y aurait pas de «règle fondamentale» qui soit supérieure au statut et qui prescrive que la seule voie d'accès à la fonction publique est celle d'un concours.

Appréciation du Tribunal

58.
    Il y a lieu de constater, tout d'abord, que le protocole est annexé au traité instituant la Communauté européenne et, ainsi qu'il ressort de l'acte final du traité d'Amsterdam (JO 1997, C 340, p. 115), a été arrêté par les quinze États membres. En vertu de l'article 311 CE, le protocole fait donc partie intégrante du traité CE. Par conséquent, il présente la même valeur juridique que celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 23 février 2001, De Nicola/BEI, T-7/98, T-208/98 et T-109/99, non encore publié au Recueil, point 90) et contient des dispositions de droit primaire.

59.
    Il y a lieu de rappeler, ensuite, que l'article 2, paragraphe 1, premier alinéa, du protocole prévoit l'intégration de l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne à compter de la date d'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam et, à cette même date, la substitution du Conseil au comité exécutif institué par les accords de Schengen. Ainsi, l'intégration des textes pertinents et la désignation de l'organe chargé des fonctions visant à gérer l'acquis de Schengen ont déjà été réalisées par la disposition susmentionnée.

60.
    Dans ces circonstances, rien ne s'oppose à ce que l'article 7 du protocole, aux termes duquel le Conseil «adopte les modalités d'intégration du secrétariat de Schengen» à son propre secrétariat général, ait été interprété par le Conseil comme l'habilitant et - compte tenu de ce qu'il disposait déjà, en vertu de l'article 21 de son règlement intérieur en vigueur à l'époque en cause (JO 1993, L 304, p. 1), du droit d'organiser lui-même son secrétariat général sur le plan des fonctions et des effectifs - même comme l'obligeant à intégrer le personnel de l'ancien secrétariat de Schengen.

61.
    S'agissant des modalités de cette intégration, le protocole, relevant du droit primaire, n'imposait pas au Conseil de suivre une procédure déterminée.Contrairement à la thèse défendue par les requérants, aucune autre disposition du droit primaire ne lui imposait une telle obligation. En particulier, l'article 24, paragraphe 1, second alinéa, du traité de fusion, invoqué par les requérants, loin d'établir lui-même un régime de recrutement d'application générale, se limite à donner pouvoir au Conseil d'arrêter le statut et le RAA, sans fixer de règles directrices ou de principes à cet effet.

62.
    Par conséquent, le Conseil était autorisé, en vertu de l'article 7 du protocole, à instaurer un régime de recrutement indépendant des dispositions du statut et du RAA pour les besoins de l'intégration des anciens agents du secrétariat de Schengen, afin d'assurer la continuité de l'application de l'acquis de Schengen au sein de son propre secrétariat général. Par ailleurs, selon une jurisprudence bien établie (arrêt de la Cour du 6 décembre 1989, Mulfinger e.a./Commission, C-249/87, Rec. p. 4127, point 10, et la jurisprudence citée), le statut et le RAA ne constituent pas une réglementation exhaustive de nature à interdire l'engagement de personnes en dehors du cadre réglementaire ainsi défini.

63.
    Dès lors, s'il était loisible au Conseil de choisir une des possibilités de recrutement offertes par le statut ou le RAA au lieu d'arrêter la décision 1999/307, ni les principes statutaires allégués par les requérants - notamment celui selon lequel l'accès à la fonction publique communautaire serait réservé aux seuls lauréats de concours généraux - ni les articles 7, 27 et 29 du statut ne sauraient affecter la légalité de cette décision. En effet, lesdits principes et articles sont placés au même rang dans la hiérarchie des normes que la décision attaquée, à savoir celui du droit dérivé.

64.
    En outre, l'article 7 du protocole conférant au Conseil des pouvoirs distincts de ceux prévus par l'article 24, paragraphe 1, second alinéa, du traité de fusion pour les besoins de l'intégration en cause et l'article 2 de la décision 1999/307 ayant expressément énoncé que les dispositions de celle-ci sont adoptées «par dérogation au statut», ce dernier ne saurait, en aucune façon, avoir été modifié par ladite décision. Il s'ensuit que les dispositions régissant une telle modification, notamment l'article 10 du statut, n'ont pas été violées.

65.
    Ces conclusions ne sont pas infirmées par la circonstance que le statut et le RAA sont des actes réglementaires, tandis que l'acte attaqué en l'espèce est qualifié de décision. À cet égard, il convient de relever qu'il s'agit non pas d'une décision de nature purement interne ou individuelle, mais d'un acte sui generis qui, tout en étant adressé à un seul destinataire, à savoir le secrétaire général du Conseil, n'en détermine pas moins, en termes objectifs et généraux, la catégorie des personnes susceptibles d'être intégrées au secrétariat général du Conseil et, a contrario, celle des personnes qui sont définitivement exclues de cette possibilité d'intégration. En outre, en prévoyant que les modalités d'intégration effectivement adoptées dérogent au statut, dont le régime de recrutement a incontestablement un caractère normatif, la décision 1999/307 instaure un système distinct de celui du statut,également de nature normative, que l'AIPN du Conseil est chargée de mettre en oeuvre.

66.
    Il convient d'ajouter que le fait que le Conseil ait affecté certains des anciens agents du secrétariat de Schengen intégrés à son secrétariat général non pas à des fonctions liées à l'acquis de Schengen, mais à des tâches générales, ne saurait non plus remettre en question la légalité de la décision 1999/307. D'une part, en effet, de telles mesures individuelles, qui relèvent de l'organisation interne du service, sont postérieures à l'adoption de cette décision. D'autre part, après son intégration au secrétariat général du Conseil, le secrétariat de Schengen a cessé d'être un organe distinct. Dans cette optique, rien ne s'oppose à ce que l'une ou l'autre des personnes intégrées au personnel du Conseil se voie confier des missions générales, aussi longtemps que la réalisation de l'objectif consistant à répondre efficacement aux besoins découlant de l'intégration de l'acquis de Schengen (considérant 6 de la décision 1999/307) n'est pas compromise. Or, aucun élément du dossier ne permet d'établir l'existence d'un tel risque.

67.
    Pour les raisons qui viennent d'être exposées, l'argumentation développée par la partie intervenante dans l'affaire T-164/99 (voir ci-dessus point 54) doit également être rejetée. En effet, il suffit de rappeler que le protocole a la même valeur juridique que le traité de fusion, de sorte que son article 7 permettait au Conseil d'instaurer un régime autonome de recrutement indépendamment du statut et du RAA ainsi qu'en dehors du champ d'application de l'article 24, paragraphe 1, second alinéa, dudit traité.

68.
    Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés d'une violation de l'article 7 du protocole, de l'article 24 du traité de fusion, des articles 7, 10, 27 et 29 du statut, du principe de la hiérarchie des normes et des formes substantielles doivent être écartés.

Sur le moyen tiré d'une erreur de droit

Arguments des parties

69.
    Sous couvert de ce moyen, les requérants dénoncent l'absence de justification objective du choix du 2 octobre 1997 comme date devant servir à déterminer les personnes travaillant au secrétariat de Schengen susceptibles d'être intégrées au secrétariat général du Conseil. Cette date serait purement arbitraire et totalement étrangère au critère qui aurait dû être retenu, à savoir l'examen des qualifications et de la compétence du personnel intéressé. En effet, cette date, qui est celle de la signature du traité d'Amsterdam, ne produirait d'effet juridique ni à l'égard du Conseil, ni à l'égard des «autorités de Schengen»; elle obligerait simplement les États membres à procéder aux ratifications nécessaires en vue de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam. La seule date pertinente aurait été celle de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, soit le 1er mai 1999. Selon les requérants, ilconvenait d'identifier, à cette dernière date, les personnes qui travaillaient au secrétariat de Schengen et qui pouvaient être intégrées - selon des modalités qui devaient nécessairement respecter le principe du concours - au secrétariat général du Conseil.

70.
    Dans l'affaire T-164/99, le requérant affirme que le caractère arbitraire de la date du 2 octobre 1997 est particulièrement évident à son égard, du fait qu'il a travaillé au secrétariat de Schengen depuis février 1996. Il y aurait été employé comme travailleur indépendant à la fin de l'année 1997 puis dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à partir du 1er avril 1998. Il pourrait, dès lors, se prévaloir d'une expérience supérieure à celle de certains agents du secrétariat de Schengen recrutés sur la base de la décision 1999/307.

71.
    Le même requérant invoque un second grief, tiré d'une violation de son contrat d'engagement. Se référant à l'article 6 de ce contrat (voir ci-dessus point 10), il affirme qu'il pouvait légitimement espérer bénéficier de l'intégration au secrétariat général du Conseil si les critères choisis avaient été autres que ceux, artificiels et illégaux, retenus dans la décision 1999/307 et si un concours avait été organisé. Ladite clause contractuelle n'aurait pas été rapportée ni modifiée par l'employeur du requérant, à savoir les «autorités de Schengen». Or, la décision 1999/307 émanant d'une entité tierce par rapport au contrat en cause, elle ne saurait en changer le contenu.

72.
    Dans sa réplique, le requérant précise ce second grief en faisant valoir que l'article 6 de son contrat d'engagement doit être interprété en ce sens que toute possibilité d'un engagement ultérieur par le Conseil ne pouvait pas être exclue. Or, par son abstention d'organiser un concours et en choisissant comme date de référence le 2 octobre 1997, le Conseil aurait empêché le requérant de participer à cette procédure d'intégration.

73.
    Selon le Conseil, le fait d'avoir été employé au secrétariat de Schengen à la date du 2 octobre 1997 est un critère objectif qui assure que les personnes susceptibles d'être intégrées disposent d'une expérience certaine. Pour autant que le requérant dans l'affaire T-164/99 lui reproche d'avoir violé son contrat d'engagement, le Conseil souligne qu'il était une partie tierce par rapport au contrat en question. Il n'y aurait donc pas d'acte du Conseil qui aurait pu fonder un quelconque espoir dans l'esprit de ce requérant quant à un engagement futur. À cet égard, la clause invoquée par le requérant ne serait pas de nature à justifier un tel espoir.

Appréciation du Tribunal

74.
    Il y a lieu de constater que la date du 2 octobre 1997 est celle de la signature du traité d'Amsterdam qui comporte le protocole. À cette date, il est donc devenu évident que, sous réserve de la ratification ultérieure dudit traité, le personnel du secrétariat de Schengen ferait l'objet d'une intégration au secrétariat général du Conseil, dont les modalités précises seraient adoptées par ce dernier.

75.
    Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché au Conseil d'avoir déterminé, dans le régime de recrutement autonome instauré par la décision 1999/307, la catégorie des personnes susceptibles de bénéficier d'une telle intégration en fixant au 2 octobre 1997 le début de la période durant laquelle ces personnes devaient avoir été employées au secrétariat de Schengen. En effet, le Conseil étant autorisé à déterminer les modalités de ladite intégration indépendamment du statut et du RAA en prenant en considération la situation des personnes employées au secrétariat de Schengen, il était fondé à prévenir une augmentation artificielle du nombre de ces personnes après que le principe de l'intégration était devenu notoire le 2 octobre 1997. Le choix de la date du 2 octobre 1997 ne saurait donc être qualifié d'arbitraire.

76.
    En ce qui concerne la situation du requérant dans l'affaire T-164/99, il convient de rappeler que, à la date du 2 octobre 1997, ce requérant travaillait comme traducteur indépendant. Il ne remplissait donc pas les conditions de l'article 3, sous e), i) et ii), de la décision 1999/307. Or, il ne saurait être reproché au Conseil d'avoir exigé, dans cette disposition, l'existence d'une relation stable entre les employés susceptibles d'être intégrés et le secrétariat de Schengen pendant la période du 2 octobre 1997 au 1er mai 1999. Au contraire, le Conseil était autorisé à présumer, en généralisant, que seules ces personnes, notamment les agents liés par un contrat de travail à l'Union économique Benelux, disposaient de l'expérience continue nécessaire pour conserver la «mémoire» du secrétariat de Schengen et à ne pas prendre en considération la situation des travailleurs indépendants. Par ailleurs, en présentant une attestation de travail aux termes de laquelle il a été employé comme «free-lance à plusieurs reprises [...] du 10 juin 1996 au 30 mars 1998», le requérant n'a pas démontré qu'il se trouvait vis-à-vis du secrétariat de Schengen, à partir du 2 octobre 1997, dans une situation de stabilité qui devait nécessairement être assimilée aux relations d'emploi visées à l'article 3, sous e), i) et ii), de la décision attaquée.

77.
    Dans la mesure où ce requérant invoque encore le contrat d'engagement qui le liait à l'Union économique Benelux, il suffit de relever que ce contrat se limite à ne pas exclure l'éventualité de son intégration au secrétariat général du Conseil sans pour autant imposer une quelconque obligation au Conseil. Un tel contrat ne saurait avoir fondé une confiance légitime du requérant à se voir effectivement intégré. Par ailleurs, dans sa réplique, le requérant a réduit le grief tiré d'une violation de son contrat d'engagement à la thèse selon laquelle sa chance d'être recruté par le Conseil aurait été exclue par le choix, comme date de référence, du 2 octobre 1997 et par l'abstention du Conseil d'organiser un concours. Or, il a été jugé ci-dessus que, par le choix de cette date et par son abstention d'organiser un concours aux fins de l'intégration litigieuse, le Conseil n'a pas commis d'illégalité susceptible de mettre en cause la validité de la décision 1999/307.

78.
    Par conséquent, ce moyen ne saurait non plus être accueilli.

Sur le moyen tiré d'une absence de base juridique de la décision 1999/307

79.
    Dans l'affaire T-164/99, la partie intervenante rappelle, dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, que le traité d'Amsterdam et le protocole, dont l'article 7 prévoit l'adoption des modalités d'intégration du secrétariat de Schengen, sont entrés en vigueur le 1er mai 1999. La décision 1999/307 aurait été adoptée dans le cadre de la procédure écrite. Or, tous les États membres auraient fait parvenir, par écrit, leur décision au secrétariat général du Conseil le 30 avril 1999 avant minuit. La décision 1999/307 aurait, ainsi, été adoptée le 30 avril 1999, et non pas le 1er mai suivant. Par conséquent, cette décision aurait été adoptée sur la base de dispositions qui n'étaient pas encore entrées en vigueur. À titre subsidiaire, la partie intervenante relève que la base légale d'une décision doit exister au moment de l'ouverture de la procédure écrite, ce qui n'aurait pas été le cas en l'espèce.

80.
    À cet égard, le Tribunal relève qu'il est constant que le secrétariat général du Conseil avait invité les membres de celui-ci à faire connaître leur accord, opposition ou abstention sur la proposition de décision dans le cadre de la procédure écrite, au titre de l'article 8 du règlement intérieur, précité, en précisant que les réponses devaient être déposées avant le 1er mai 1999 à 12 heures. Dans ce contexte, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un texte du droit communautaire dérivé doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité avec les dispositions du traité et les principes généraux du droit communautaire (arrêt de la Cour du 27 janvier 1994, Herbrink, C-98/91, Rec. p. I-223, point 9, et la jurisprudence citée). Il est justifié de transposer cette jurisprudence aux documents constitutifs de la procédure d'élaboration d'un acte du droit communautaire dérivé lorsqu'il s'agit de savoir si cette procédure a respecté le droit primaire sur le fondement duquel l'acte a été adopté.

81.
    En l'espèce, s'agissant de déterminer la date d'adoption exacte de la décision 1999/307, rien ne permet de présumer que le Conseil a entendu adopter cet acte alors que la base juridique de celui-ci n'existait pas encore. La procédure écrite choisie en l'espèce comporte, au contraire, un élément clair et précis, à savoir la date limite pour le dépôt des réponses fixée au 1er mai 1999 à 12 heures, qui permet de rattacher, en conformité avec la jurisprudence susmentionnée, l'adoption de cette décision à une date postérieure à l'entrée en vigueur du protocole. La date d'adoption de la décision 1999/307 doit donc être considérée comme étant celle de la clôture de la procédure écrite, c'est-à-dire le 1er mai 1999, à 12 heures.

82.
    Enfin, aucune disposition du droit communautaire primaire n'interdisait au Conseil d'ouvrir la procédure écrite en vue de l'adoption de la décision 1999/307 avant l'entrée en vigueur du protocole. Tout au contraire, le protocole nécessitant l'adoption de mesures d'exécution, le principe de bonne administration exigeait que les travaux préparatoires à l'adoption desdites mesures, y compris la procédure d'adoption proprement dite, soient entamés dès avant l'entrée en vigueur du protocole, afin que ces dernières soient applicables à une date aussi rapprochée que possible de cette entrée en vigueur.

83.
    Il s'ensuit que le moyen doit, en toute hypothèse, être rejeté comme non fondé.

Sur les moyens tirés d'une violation du principe de non-discrimination ainsi que des principes de protection de la confiance légitime, de sollicitude, de bonne gestion et de saine administration

Arguments des parties

84.
    Selon les requérants, l'absence d'organisation d'un concours n'a pas permis d'apprécier effectivement si les personnes intégrées en application de la décision 1999/307, et notamment les cinq anciens agents du secrétariat de Schengen susmentionnés, avaient les qualifications et la compétence requises pour occuper des postes au sein du Conseil. Dans ce contexte, ils rappellent que ces anciens agents n'exercent pas de fonctions liées à l'acquis de Schengen, pour lesquelles une expérience spécifique serait requise. Ils auraient donc bénéficié d'un traitement plus favorable et discriminatoire par rapport à celui qui a été réservé aux requérants, en violation des règles du statut, du fait qu'aucun concours en vue de l'intégration litigieuse n'a été organisé et que les requérants n'ont pu bénéficier de la procédure d'intégration litigieuse ou d'une procédure régulière de pourvoi des postes en cause.

85.
    Dans les affaires T-37/00 et T-38/00, il est soutenu que les nominations des cinq anciens agents susmentionnés et les décisions de ne pas nommer les requérants aux postes en cause doivent être considérées comme illégales pour des motifs additionnels relevant du seul droit de la fonction publique communautaire.

86.
    D'une part, en effet, les requérants auraient eu une confiance légitime dans le respect par le Conseil des règles statutaires. En particulier, ils auraient été légitimement en droit d'espérer poursuivre une carrière au sein du Conseil et être nommés dans le respect de la liste de réserve pertinente, sans qu'il soit porté atteinte, de façon irrégulière, à leurs droits. En décidant de recruter les cinq anciens agents susmentionnés, le Conseil aurait donc méconnu le principe de protection de la confiance légitime. D'autre part, le Conseil serait tenu à un devoir de sollicitude à l'égard de l'ensemble de son personnel. Cela signifierait qu'il doit prendre en considération l'intérêt du service et ne peut méconnaître l'intérêt individuel ni de ses fonctionnaires ni des lauréats de concours postulant pour un emploi dans la fonction publique. Or, en décidant de nommer les cinq anciens agents susmentionnés, le Conseil n'aurait nullement pris en considération la situation personnelle des requérants.

87.
    Enfin, le principe de bonne gestion et de saine administration aurait également été méconnu par le Conseil en ce que ce principe exigerait, pour des décisions de nomination, une transparence et une information, voire une consultation préalable des responsables de l'équipe de travail dans laquelle serait appelé à travailler le fonctionnaire nouvellement nommé. Or, tel n'aurait pas été le cas en l'espèce. Defaçon plus générale, selon les requérants, une gestion saine des services imposait la nomination du fonctionnaire présentant les meilleures qualités au sens de l'article 27 du statut. À défaut, les services ne seraient pas constitués de la meilleure façon.

88.
    Selon le Conseil, aucun des principes invoqués n'a été violé en l'espèce.

Appréciation du Tribunal

89.
    Aucun des autres moyens invoqués aux fins de contester la légalité de la décision 1999/307 n'ayant été retenu, les requérants ne sauraient valablement prétendre que l'intégration, opérée par dérogation au statut, des personnes couvertes par cette décision a violé les principes et les règles statutaires invoqués ci-dessus. Rien ne s'oppose, dès lors, à ce que le Conseil mette sur un pied d'égalité les personnes ainsi intégrées à titre exceptionnel et ses agents qui ont été recrutés, ou qui le seront, sur la base du statut.

90.
    Il s'ensuit que le Conseil n'était pas obligé de tenir compte de la situation individuelle des requérants dans les affaires T-37/00 et T-38/00 avant d'intégrer les cinq anciens agents du secrétariat de Schengen susmentionnés. Les requérants ne pouvaient pas non plus avoir une confiance légitime dans le fait que le Conseil s'abstiendrait de mettre en oeuvre l'intégration litigieuse, afin de favoriser le déroulement de leur propre carrière.

91.
    Quant à la circonstance, dénoncée par les requérants, que certains des anciens agents en cause exercent non pas des fonctions spécifiques liées à l'acquis de Schengen, mais des fonctions générales, il a déjà été jugé (voir ci-dessus point 66) que le Conseil n'était pas empêché, après l'intégration de ces agents, de confier à l'un ou à l'autre des tâches de nature générale.

92.
    En ce qui concerne, enfin, la prétendue violation du principe de non-discrimination, il suffit de rappeler que ce principe s'oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et que des situations différentes soient traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, NMB France e.a./Commission, T-162/94, Rec. p. II-427, point 116, et la jurisprudence citée). En l'espèce, les anciens agents du secrétariat de Schengen ayant été intégrés sur la base d'un régime de recrutement autonome, les requérants ne sauraient valablement solliciter l'application, à ces agents, des règles du statut relatives au recrutement et à la qualification des fonctionnaires.

93.
    Par conséquent, les moyens tirés d'une violation des principes de non-discrimination, de protection de la confiance légitime, de sollicitude, de bonne gestion et de saine administration doivent également être écartés.

94.
    Aucun des moyens soulevés à l'appui des conclusions en annulation n'ayant été retenu, ces conclusions doivent être rejetées dans leur intégralité.

95.
    Il en va de même, en tout état de cause, des conclusions en indemnité formulées dans les affaires T-37/00 et T-38/00, qui, n'ayant été étayées d'aucun moyen ou argument spécifique, ont simplement été ajoutées aux conclusions en annulation.

96.
    Il résulte de ce qui précède que les recours doivent être rejetés dans leur ensemble, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur leur recevabilité.

Sur les dépens

97.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

98.
    Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Cette règle s'applique également aux litiges intentés par des personnes qui revendiquent la qualité d'agent communautaire (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 mai 1994, Stagakis/Parlement, RecFP p. I-A-137 et II-451, point 24).

99.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu'une partie intervenante autre que les États membres, les États parties à l'accord sur l'Espace économique européen, les institutions et l'Autorité de surveillance de l'Association européenne de libre-échange, supportera ses propres dépens.

100.
    Dans ces conditions, il y a lieu de décider que, dans l'affaire T-164/99, relevant de l'article 230 CE, la partie requérante supportera l'ensemble des dépens à l'exception de ceux exposés par la partie intervenante, qui seront supportés par cette dernière. Dans les affaires T-37/00 et T-38/00, relevant de l'article 236 CE, chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    Les recours sont rejetés.

2)    Dans l'affaire T-164/99, la partie requérante supportera ses propres dépens et ceux exposés par le Conseil. La partie intervenante supportera ses propres dépens.

3)    Dans les affaires T-37/00 et T-38/00, chaque partie supportera ses propres dépens.

Meij
Potocki
Pirrung

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juin 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1: Langue de procédure: le français.