Language of document : ECLI:EU:T:2001:172

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

27 juin 2001 (1)

«Fonctionnaires - Condamnation d'un fonctionnaire aux dépens dans une instance antérieure - Retenue sur rémunération opérée par l'institution créancière par voie de compensation»

Dans l'affaire T-214/00,

X, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Dalheim (Luxembourg), représenté par Me J. Choucroun, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Berardis-Kayser et M. D. Martin, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en annulation de la décision de la Commission d'effectuer une retenue sur la rémunération mensuelle du requérant à concurrence de 120 000 LUF,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, A. Potocki et J. Pirrung, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 28 mars 2001,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique du litige

1.
    L'article 236 CE dispose:

«La Cour de justice est compétente pour statuer sur tout litige entre la Communauté et ses agents, dans les limites et conditions déterminées au statut ou résultant du régime applicable à ces derniers.»

2.
    Aux termes de l'article 244 CE, «les arrêts de la Cour de justice ont force exécutoire dans les conditions fixées à l'article 256».

3.
    L'article 256 CE précise:

«Les décisions du Conseil ou de la Commission qui comportent, à la charge des personnes autres que les États, une obligation pécuniaire forment titre exécutoire.

L'exécution forcée est régie par les règles de la procédure civile en vigueur dans l'État sur le territoire duquel elle a lieu. La formule exécutoire est apposée, sans autre contrôle que celui de la vérification de l'authenticité du titre, par l'autoriténationale que le gouvernement de chacun des États membres désignera à cet effet et dont il donnera connaissance à la Commission et à la Cour de justice.

Après l'accomplissement des ces formalités à la demande de l'intéressé, celui-ci peut poursuivre l'exécution forcée en saisissant directement l'organe compétent, suivant la législation nationale.

L'exécution forcée ne peut être suspendue qu'en vertu d'une décision de la Cour de justice. Toutefois, le contrôle de la régularité des mesures d'exécution relève de la compétence des juridictions nationales.»

4.
    Le statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») dispose, en son article 62:

«Dans les conditions fixées à l'annexe VII et sauf dispositions expresses contraires, le fonctionnaire a droit à la rémunération afférente à son grade et à son échelon du seul fait de sa nomination.

Il ne peut renoncer à ce droit.

Cette rémunération comprend un traitement de base, des allocations familiales et des indemnités.»

    

Antécédents du litige

5.
    Par ordonnance du 4 décembre 1997, X/Commission (C-60/97 P, non publiée au Recueil, ci-après l'«ordonnance X/Commission»), la Cour a rejeté le pourvoi formé par le requérant contre l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, X/Commission (T-130/95, RecFP p. I-A-603 et II-1609), et condamné l'intéressé aux dépens de l'instance.

6.
    Le 26 janvier 1998, la Commission a émis à l'encontre du requérant un titre de recette d'un montant de 120 000 francs belges (BEF), aux fins du remboursement des honoraires et frais de Me Dal Ferro, qui avait assisté l'agent de la Commission dans l'affaire ayant donné lieu à l'ordonnance X/Commission.

7.
    Par courrier du 25 février 1998, le requérant a invité la Commission à envoyer une copie d'une facture détaillant les honoraires et frais de Me Dal Ferro à son propre conseil, afin de rechercher un accord à l'amiable avec la Commission sur la somme réclamée.

8.
    Par note du 10 novembre 1999, le comptable de la Commission a invité la direction générale de l'administration à procéder au recouvrement de 120 000 BEF, par voie de prélèvement sur deux rémunérations mensuelles du requérant.

9.
    Deux retenues, de 60 000 LUF, monnaie du pays où le requérant exerce ses fonctions, ont été déduites des rémunérations mensuelles de M. X afférentes, l'une au mois de décembre 1999 et l'autre au mois de janvier 2000.

10.
    Contre cette décision de retenue (ci-après la «Décision»), le requérant a formé une réclamation datée du 21 décembre 1999, qui a été rejetée par décision du 25 mai 2000.

11.
    Par requête déposée le 16 août 2000, le requérant a introduit contre la Décision le présent recours en annulation.

12.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

13.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique du 28 mars 2001.

Conclusions des parties

14.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la Décision;

-    pour autant que de besoin, annuler la décision du 25 mai 2000 portant rejet de sa réclamation;

-    condamner la partie défenderesse à lui payer l'intérêt légal à compter du 21 décembre 1999;

-    condamner la partie défenderesse aux dépens.

15.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

16.
    La Commission fait observer que, à défaut d'acte faisant grief, le recours est irrecevable. La Décision serait manifestement étrangère aux droits et obligationsstatutaires du requérant, en ce qu'elle ressortit exclusivement au droit aux dépens reconnu à la Commission par l'ordonnance X/Commission.

17.
    S'il entendait contester le montant des dépens, le requérant aurait pu demander au juge communautaire de procéder à leur taxation (ordonnance du Tribunal du 4 août 1998, Eppe/Commission, T-77/98 RecFP p. I-A-455 et II-1347).

18.
    Le requérant objecte que la Décision constitue un acte lui faisant grief, dans la mesure où elle ressortit à ses droits et obligations statutaires et non pas à la créance reconnue à la Commission par l'ordonnance X/Commission.

Appréciation du Tribunal

19.
    En adoptant la Décision, la Commission a effectué, ainsi qu'elle l'affirme elle-même, une compensation de sa dette de salaire à l'égard du requérant avec la créance relative aux dépens dont elle a réclamé le paiement à l'intéressé sur le fondement de l'ordonnance X/Commission.

20.
    En procédant ainsi, la Commission n'a pas fait usage d'une voie d'exécution forcée pour prélever dans le patrimoine de son débiteur une somme qui lui était due. Elle s'est, au contraire, bornée à se prévaloir de l'extinction automatique de deux dettes réciproques, à concurrence de la moins élevée, découlant du mécanisme même de la compensation.

21.
    Il s'en déduit que la Décision ne peut s'analyser en une mesure d'exécution forcée de l'ordonnance X/Commission, qui aurait été justiciable des dispositions combinées des articles 44 CA et 92 CA, 244 CE et 256 CE et 159 EA et 164 EA, et, par voie de conséquence, de la compétence de l'instance responsable de l'exécution en vertu de la législation nationale (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 11 janvier 1977, Nold, 4/73, Rec. p. 1, point 3, et ordonnance du Tribunal du 7 avril 2000, Hautem/BEI, T-11/00 R, RecFP p. I-A-71 et II-301, point 10).

22.
    Par ailleurs, en procédant à la retenue de traitement litigieuse, la Commission a nécessairement affecté les droits que le requérant tire de l'article 62 du statut.

23.
    Partant, la Décision fait grief au requérant, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut.

24.
    Il y a donc lieu de considérer le recours comme recevable.

Sur le fond

Sur le premier moyen, pris du défaut de base légale de la Décision

Arguments des parties

25.
    Le requérant soutient que la Commission a commis un abus de pouvoir en adoptant la Décision, alors qu'il n'est possible de procéder à une retenue sur salaire qu'en application d'une loi ou d'une décision de justice.

26.
    La Commission considère qu'elle était habilitée en l'occurrence à procéder à la compensation légale litigieuse. Ce mécanisme constitue un principe général de droit communautaire procédant lui-même d'une institution juridique commune aux droits des États membres. La compensation pourrait ainsi intervenir, fût-ce en l'absence d'une disposition expresse, et existerait d'ailleurs sous des formes spécifiques dans différents domaines du droit communautaire.

27.
    En raison de la condamnation du requérant par l'ordonnance X/Commission à supporter les dépens qu'elle a exposés dans cette instance, la Commission aurait détenu une dette certaine, liquide et exigible à l'encontre de l'intéressé.

Appréciation du Tribunal

28.
    La possibilité pour une institution d'utiliser, dans les relations statutaires, le mode de paiement que constitue la compensation est susceptible d'engendrer de graves restrictions à la libre disposition de leur rémunération par les fonctionnaires des institutions.

29.
    Aussi, en l'absence, dans le corps du statut, de toute disposition expresse, au sens de l'article 62, premier alinéa, lui en donnant le pouvoir, une institution ne peut-elle, sans l'accord de l'intéressé, utiliser la compensation pour retenir une partie du traitement d'un fonctionnaire, dont le droit à rémunération est consacré par l'article 62 du statut.

30.
    La Commission ne saurait, pour contester ce principe, invoquer les dispositions de l'article 46 de l'annexe VIII du statut, qui permet effectivement aux institutions de déduire du montant des prestations échues à un fonctionnaire ou à un ancien fonctionnaire titulaire d'une pension d'ancienneté ou d'invalidité toutes les sommes restant dues aux Communautés par l'intéressé.

31.
    En effet, ce texte est spécifique aux modalités de paiement des prestations prévues par le régime de pension des fonctionnaires et ne peut donc s'appliquer à la compensation critiquée en l'espèce.

32.
    L'existence de cette disposition particulière établit, d'une part, la nécessité d'une base légale expresse pour habiliter les institutions à recourir à la compensation dans leurs relations avec leurs fonctionnaires, qui ne relèvent pas de dispositions de droit civil national, et, d'autre part, la volonté du législateur communautaire d'en cantonner l'utilisation à un domaine particulier.

33.
    Aussi la Commission ne peut-elle utilement tirer argument ni de l'existence du mécanisme de la compensation dans les droits des États membres, d'ailleurs sousdes formes variées, ni de sa consécration dans certains domaines spécifiques du droit communautaire.

34.
    Il s'ensuit que la Décision est dépourvue de base légale.

35.
    À supposer même que la Commission ait été autorisée par les dispositions du statut à procéder à une compensation, elle n'aurait pu y recourir en l'espèce, sa créance ne présentant pas le caractère liquide communément exigé pour mettre en oeuvre ce mode de paiement.

36.
    En effet, contrairement à ce que soutient la Commission, l'ordonnance X/Commission ne lui a pas conféré sur le requérant une créance d'une telle nature. Cette décision se borne au contraire, au point 2 de son dispositif, à condamner le requérant aux dépens, sans en chiffrer le montant.

37.
    Si, ainsi que le prétend la Commission, le requérant a effectivement persisté à refuser de prendre connaissance de ses lettres de rappel, il incombait à l'institution défenderesse, en sa qualité de partie intéressée au sens de l'article 74 du règlement de procédure de la Cour, de saisir elle-même celle-ci d'une demande en taxation de ses dépens récupérables.

38.
    Dans un cas tel que celui de l'espèce, il appartient ainsi à l'institution de rechercher un accord avec le fonctionnaire sur le montant des dépens, puis, à défaut d'un tel accord, d'obtenir une ordonnance de taxation de la juridiction communautaire [voir, à titre d'exemple, ordonnance du Tribunal du 22 mars 2000, Sinochem/Conseil, T-97/95 (92) II, Rec. p. II-1715, point 5].

39.
    Ensuite, il revient à l'institution de s'assurer que l'intéressé accepte le paiement de sa dette par voie de compensation sur sa rémunération. C'est seulement en l'absence d'un tel consentement que l'institution sera contrainte de solliciter l'exécution forcée de l'ordonnance de taxation conformément à la procédure définie par les articles 92 CA, 256 CE, et 164 EA.

40.
    Il s'ensuit que la Décision doit être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens d'annulation articulés au soutien du recours.

41.
    Par conséquent, il y a lieu de condamner la Commission à rembourser au requérant la somme correspondant au montant des deux retenues de traitement de 60 000 LUF, majorée des intérêts moratoires au taux de 6,50 % l'an, à compter de la date de perception respective de ces retenues et jusqu'au remboursement effectif.

Sur les dépens

42.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens.

43.
    La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission d'effectuer une retenue sur la rémunération mensuelle du requérant à concurrence de 120 000 LUF est annulée.

2)    La Commission est condamnée à rembourser au requérant la somme correspondant au montant des deux retenues de traitement de 60 000 LUF, majorée des intérêts moratoires au taux de 6,50 % l'an, à compter de la date de perception respective de ces retenues et jusqu'au remboursement effectif.

3)    La Commission supportera l'ensemble des dépens.

Meij
Potocki
Pirrung

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 juin 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1: Langue de procédure: le français.