Language of document : ECLI:EU:T:2001:175

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

3 juillet 2001(1)

«Fonctionnaires - Agent temporaire - Régime disciplinaire - Suspension - Sanction - Résiliation du contrat sans préavis - Délai fixé par l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut - Inobservation - Conséquences - Recours en annulation et en indemnité - Non-lieu à statuer»

Dans les affaires jointes T-24/98 et T-241/99,

E, agent temporaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à T.I. (Italie), représenté par Mes J.-N. Louis, G.-F. Parmentier et V. Peere, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Valsesia et J. Currall, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, dans l'affaire T-24/98, une demande, d'une part, d'annulation de la décision de la Commission du 12 novembre 1997 de maintenir le requérant en situation administrative de suspension de ses fonctions et, d'autre part, de condamnation de la Communauté à la réparation du dommage prétendument subi par le requérant du fait de cette décision et, dans l'affaire T-241/99, une demande, d'une part, d'annulation de la décision de la Commission du 22 décembre 1998 infligeant au requérant la sanction disciplinaire de la résiliation sans préavis de son contrat d'agent temporaire et, d'autre part, de condamnation de la Communauté à la réparation du dommage prétendument subi par le requérant du fait de cette décision et de la procédure disciplinaire,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, A. Potocki, et J. Pirrung, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 21 février 2001,

rend le présent

Arrêt

Cadre réglementaire

1.
    L'article 11, premier alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») prévoit:

«Le fonctionnaire doit s'acquitter de ses fonctions et régler sa conduite en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés, sans solliciter ni accepter d'instructions d'aucun gouvernement, autorité, organisation ou personne extérieure à son institution.»

2.
    L'article 12 du statut dispose:

«Le fonctionnaire doit s'abstenir de tout acte et, en particulier, de toute expression publique d'opinions qui puisse porter atteinte à la dignité de sa fonction.

Il ne peut conserver ou acquérir, directement ou indirectement, dans les entreprises soumises au contrôle de l'institution à laquelle il appartient, ou en relation avec celle-ci, des intérêts de nature et d'importance telles qu'ils seraient susceptibles de compromettre son indépendance dans l'exercice de ses fonctions.

Si le fonctionnaire se propose d'exercer une activité extérieure, rémunérée ou non, ou de remplir un mandat en dehors des Communautés, il doit en demander l'autorisation à l'autorité investie du pouvoir de nomination. Cette autorisation est refusée si l'activité ou le mandat sont de nature à nuire à l'indépendance du fonctionnaire ou à porter préjudice à l'activité des Communautés.»

3.
    L'article 14 du statut énonce:

«Tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, est amené à se prononcer sur une affaire au traitement ou à la solution de laquelle il a un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance, doit en informer l'autorité investie du pouvoir de nomination.»

4.
    L'article 88, premier à quatrième alinéa, du statut est rédigé comme suit:

«En cas de faute grave alléguée à l'encontre d'un fonctionnaire par l'autorité investie du pouvoir de nomination, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, celle-ci peut immédiatement suspendre l'auteur de cette faute.

La décision prononçant la suspension du fonctionnaire doit préciser si l'intéressé conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice de sa rémunération ou déterminer la quotité de la retenue qu'il subit et qui ne peut être supérieure à la moitié de son traitement de base.

La situation du fonctionnaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet. Lorsqu'aucune décision n'est intervenue au bout de quatre mois, l'intéressé reçoit à nouveau l'intégralité de sa rémunération.

Lorsque l'intéressé n'a subi aucune sanction ou n'a été l'objet que d'un avertissement par écrit, d'un blâme ou d'une suspension temporaire de l'avancement ou si, à l'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent, il n'a pu être statué sur son cas, il a droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération.»

5.
    Aux termes de l'article 11 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après le «RAA»), les dispositions des articles 11à 26 du statut concernant les droits et obligations des fonctionnaires sont applicables par analogie à l'égard des agents temporaires.

6.
    L'article 49, paragraphe 1, du RAA, prévoit:

«Après accomplissement de la procédure disciplinaire prévue à l'annexe IX du statut, applicable par analogie, l'engagement [d'un agent temporaire] peut être résilié sans préavis pour motif disciplinaire en cas de manquement grave aux obligations auxquelles l'agent temporaire est tenu, commis volontairement ou par négligence. La décision motivée est prise par l'autorité [habilitée à conclure les contrats d'engagement], l'intéressé ayant été mis préalablement en mesure de présenter sa défense.

Préalablement à la résiliation de l'engagement, l'agent peut faire l'objet d'une mesure de suspension, dans les conditions prévues à l'article 88 du statut, applicable par analogie.»

7.
    L'article 50 bis du RAA dispose:

«Indépendamment des dispositions prévues aux articles 49 et 50, tout manquement aux obligations auxquelles l'agent temporaire ou l'ancien agent temporaire est tenu, au titre du présent régime, commis volontairement ou par négligence, l'expose à une sanction disciplinaire dans les conditions prévues au titre VI du statut et, le cas échéant, à l'annexe IX du statut, dont les dispositions sont applicables par analogie.»

8.
    Selon l'article 7, premier et troisième alinéas, de l'annexe IX du statut:

«Au vu des pièces produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations écrites ou verbales de l'intéressé et des témoins, ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, le conseil de discipline émet, à la majorité, un avis motivé sur la sanction que lui paraissent devoir entraîner les faits reprochés et transmet cet avis à l'autorité investie du pouvoir de nomination et à l'intéressé dans le délai d'un mois à compter du jour où il a été saisi. Le délai est porté à trois mois lorsque le conseil a fait procéder à une enquête.

[...]

L'autorité investie du pouvoir de nomination prend sa décision dans le délai d'un mois au plus, l'intéressé ayant été entendu par elle.»

Faits à l'origine du litige

9.
    Le 1er septembre 1991, le requérant est entré au service de la Commission en qualité d'agent temporaire de grade A 5, en vertu d'un contrat conclu pour une période de trois ans, qui a ensuite été renouvelé jusqu'au 31 août 1999. Il a étéaffecté à l'unité «Technologies de l'information et des télécommunications appliquées à la santé - Programme AIM» de la direction «Programme RACE et programmes de développement des services avancés de télématique» de la direction générale «Télécommunications, marché de l'information et valorisation de la recherche» (DG XIII) de la Commission.

10.
    Lors d'une entrevue en octobre 1995, M. di Vita, assistant du directeur général de la DG XIII, a informé le requérant qu'une lettre anonyme indiquait que celui-ci avait promu certains intérêts industriels.

11.
    Au printemps de 1996, M. Richonnier, directeur à la DG XIII, a attiré l'attention de l'unité de coordination de la lutte antifraude (UCLAF) sur les activités de TSD Projects Srl (ci-après «TSD Projects»), société dont, selon la Commission, le requérant détenait le contrôle. Un premier rapport d'évaluation a été établi par l'UCLAF en 1996, suivi de deux rapports complémentaires, le premier de cette même année et, le second, de l'année suivante. Au dire du requérant, ces rapports ne lui ont jamais été communiqués.

12.
    Par note du 11 mars 1997, M. Smidt, directeur général de la direction générale «Personnel et administration» (DG IX) de la Commission, en sa qualité d'autorité habilitée à conclure les contrats d'engagement (ci-après l'«AHCC»), a indiqué au requérant qu'il avait été informé par la direction générale de celui-ci de certains faits tendant à démontrer l'existence d'une situation de conflits d'intérêts le concernant. Il signalait que, par conséquent, il avait décidé d'ouvrir une procédure disciplinaire contre lui.

13.
    Dans cette note, les griefs reprochés au requérant étaient formulés comme suit:

«1.    manquement à l'obligation énoncée à l'article 12 du statut (obligation de ne pas conserver ou acquérir des intérêts de nature à compromettre l'indépendance du fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions),

2.    manquement à l'obligation énoncée à l'article 14 du statut (obligation d'informer l'AIPN dans le cas où le fonctionnaire a un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance dans le traitement ou la solution d'une affaire dans laquelle il est amené à se prononcer dans l'exercice de ses fonctions)».

14.
    Par décision du 20 mars 1997, ayant pris effet le 1er avril 1997, l'AHCC a suspendu le requérant de ses fonctions, en application de l'article 88, premier alinéa, du statut et de l'article 49, paragraphe 1, du RAA (ci-après la «décision de suspension»). Il a été décidé qu'une retenue serait opérée sur sa rémunération, égale à la moitié du traitement de base.

15.
    Par note du 1er avril 1997, M. Smidt a informé le requérant que trois griefs supplémentaires lui étaient également reprochés:

«3.    exercice d'activités extérieures sans l'autorisation préalable de l'AIPN (article 12, troisième alinéa, du statut),

4.    vol constituant en l'utilisation abusive et sans autorisation de la ligne téléphonique de service à des fins privées,

5.    divulgation à l'extérieur de l'institution et sans autorisation de faits et/ou d'informations venues à votre connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de vos fonctions (article 17, premier alinéa, du statut)».

16.
    Par avis du 14 mai 1997, adressé à son bureau à la Commission, le requérant a été convoqué à un concours interne auquel il avait fait acte de candidature et qui était destiné à la titularisation d'agents temporaires de la carrière A 5/A 4. Au dire du requérant, dès lors qu'il était suspendu de ses fonctions et qu'il ne pouvait plus accéder à son bureau, il n'a pas pu prendre connaissance de cet avis en temps utile.

17.
    Le 9 juin 1997, le conseil de discipline a été saisi par un rapport de l'AHCC, en application de l'article 1er de l'annexe IX du statut.

18.
    Par lettre du 11 juin 1997, le conseil du requérant a demandé à la DG IX si celui-ci pouvait s'absenter de son lieu d'affectation durant sa suspension.

19.
    Par lettre du 19 juin 1997, M. Smidt a répondu qu'il faisait droit à cette demande, à condition toutefois que le requérant ne participe pas à des conférences ou à d'autres événements similaires et qu'il n'exerce aucune activité extérieure, rémunérée ou non, sans autorisation expresse préalable de l'AHCC.

    

20.
    Le 28 juillet 1997, le conseil de discipline a rendu son avis. À l'unanimité, ses membres ont considéré que M. E avait manqué à ses obligations prévues aux articles 12, deuxième alinéa, 14 et 12, troisième alinéa, du statut et ont recommandé à l'AIPN de lui infliger la sanction prévue à l'article 86, paragraphe 2, sous b), du statut, à savoir le blâme. Cet avis a été communiqué au requérant et à M. Smidt le 31 juillet 1997.

21.
    Le 27 octobre 1997, le conseil du requérant a écrit une lettre à M. Smidt dans laquelle il indiquait, notamment:

«[...] mon client fait toujours l'objet d'une mesure de suspension.

Compte tenu de l'avis rendu à l'unanimité par le conseil de discipline, je vous saurais gré de bien vouloir lever cette décision pour permettre à mon client de reprendre, sans plus tarder, ses activités [...]»

22.
    Par lettre du 12 novembre 1997, M. Smidt a répondu:

«[...] en attendant la décision définitive de l'AIPN, j'estime qu'il y a lieu de maintenir la décision de suspension.»

    

23.
    Après avoir été reportée à deux reprises, l'audition du requérant au titre de l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut a eu lieu le 10 décembre 1997.

24.
    Le 23 janvier 1998, le requérant a introduit une réclamation contre la décision contenue dans la lettre du 12 novembre 1997 et a demandé le paiement d'un écu symbolique en indemnisation des dommages moral et professionnel subis.

25.
    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 janvier 1998, il a introduit devant le président du Tribunal une demande de sursis à l'exécution de la décision du 12 novembre 1997.

26.
    Par décision du 19 février 1998, M. Smidt a infligé au requérant la sanction visée à l'article 49, paragraphe 1, du RAA, à savoir la résiliation de son contrat sans préavis (ci-après la «première décision de résiliation» ou la «décision du 19 février 1998»).

27.
    Par ordonnance du 2 mars 1998, E/Commission (T-24/98 R, non publiée au Recueil), le président du Tribunal a constaté que, à la suite de l'adoption de cette décision, la demande en référé était devenue sans objet, de sorte qu'il n'y avait plus lieu de statuer à son égard. Par ailleurs, il a réservé les dépens.

28.
    Le 8 mai 1998, le requérant a introduit une réclamation contre la décision du 19 février 1998. En particulier, il a soutenu que celle-ci était inexistante, M. Smidt n'ayant pas compétence pour l'adopter en raison de la décision de la Commission du 21 janvier 1998 relative à l'exercice des pouvoirs dévolus par le statut à l'AIPN et par le RAA à l'AHCC.

29.
    Par lettre du 2 septembre 1998, M. Smidt a informé le requérant qu'il avait décidé de faire droit à sa réclamation et qu'il retirait, dès lors, la décision du 19 février 1998.

30.
    Après avoir procédé, le 20 novembre 1998, à une nouvelle audition du requérant, l'AHCC, composée, cette fois, des directeurs généraux de la DG IX, de la DG XIII et de la direction générale des budgets de la Commission, a adopté, le 22 décembre 1998, une nouvelle décision résiliant le contrat de M. E sans préavis, en application de l'article 49, paragraphe 1, du RAA (ci-après la «décision litigieuse»).

31.
    Les considérants et le dispositif de cette décision se lisent comme suit:

«[1] Considérant que, entre le 1er janvier 1990 et le 29 décembre 1994, M. E détenait 65 % et son frère, M. C.P., 15 %, des actions d'une société italienne dénommée Stigma S.r.l (ci-après 'Stigma‘) dont l'objet social était l'étude, la production, le commerce, l'assistance technique et la réalisation de systèmes et appareils électroniques,

[2] Considérant que, d'après la nature et l'importance des intérêts de M. E dans cette société, elle était contrôlée par lui du 1er janvier 1990 jusqu'au 29 décembre 1994 et en tout cas pendant les années 1992 et 1993,

[3] Considérant qu'entre le 1er septembre 1991, date de son engagement à la Commission et le 20 septembre 1992, M. E était membre (et pendant un certain temps, président) du conseil d'administration de Stigma, les autres membres du conseil d'administration étant les autres actionnaires de la société [M. T. M., M. C. P. (précité) et M. R. C. P.],

[4] Considérant que vers la fin de l'année 1991, M. E a été désigné pour agir au sein de son unité comme 'Project Officer‘ responsable de tout aspect technique et administratif relatif à un projet dénommé 'Integrated Rehabilitation Project‘ (ci-après le contrat 'Irep‘) et que le contrat y relatif a été conclu le 14 février 1992 entre la Commission et un nombre de parties contractantes dont en principe une par pays de l'Union européenne,

[5] Considérant que M. E est resté 'Project Officer' d'Irep jusqu'en juillet 1993,

[6] Considérant que le contrat Irep prévoyait l'accomplissement de travaux dans les domaines de la technologie de l'information, des télécommunications et de leurs applications pendant deux ans pour 3,478 Mecu dont le financement de la Commission était de 1.6 Mecu,

[7] Considérant qu'en application des dispositions du contrat Irep une société italienne, TSD Telesystemes Datamont, le premier contractant, de 26, via Taramelli, Milano, a été désignée comme le coordinateur du contrat,

[8] Considérant que les rôles et les qualifications des contractants etc. ont été précisés au contrat Irep et qu'ainsi TSD Telesystemes Datamont a été décrite comme une société italienne 'owned by Datamont ... belonging to the Ferruzzi group. Datamont has a consolidated experience in system integration ...‘. En outre, il a été indiqué que 'Datamont will have two associated partners ... and a subcontractor - R&S Informatica‘,

[9] Considérant que, toujours dans le cadre des rôles et qualifications précités des sociétés mentionnées au contrat Irep, une description détaillée de R&S Informatica (le sous-traitant de TSD Telesystemes Datamont) a été donnée, comportant des précisions sur son expérience en gestion de projets, ses activités dans le cadre deprojets de recherche et développement de la Commission et son rôle dans le contrat Irep ('to provide the services of the Project Management Office ...‘),

[10] Considérant que, le 1er mars 1992, R&S Informatica a bénéficié d'un accord avec TSD Telesystemes Datamont, le coordinateur du contrat, selon lequel elle devait recevoir pour ses services de consultant, sans autre spécification du niveau des prestations en cause, un paiement de 600 000 Lit par jour de prestations de service,

[11] Considérant que le responsable de TSD Telesystemes Datamont, le coordinateur du projet, était un certain M. A. B., que ce dernier a été désigné comme 'Project Manager‘, qu'il a signé le contrat Irep pour TSD Telesystemes Datamont et que, par la suite, en tant que Project Manager, il était le correspondant de la Commission et ainsi de M. E jusqu'au juillet 1993 aux fins de la gestion du contrat Irep,

[12] Considérant qu'au cours de l'année 1992, le groupe Ferruzzi a décidé de cesser ses activités dans le domaine du développement du software et, de ce fait, a mis TSD Telesystemes Datamont en liquidation,

[13] Considérant que, le 18 décembre 1992, acte a été pris par M. T. M. (actionnaire et membre du conseil d'administration de Stigma), de ce qu'une société formée le 3 novembre 1992 devait changer de nom pour être dénommée TSD Projects s.r.l ('TSD Projects‘) et cela, agissant en tant qu'administrateur unique,

[14] Considérant que, le 19 décembre 1992, M. T. M. a acté que les deux actionnaires (fondateurs de la société), KPMG Fides Fiduciaria et FIDESCO, ont cédé leurs actions en TSD Projects de sorte à constituer comme actionnaires Stigma pour 51 % et M. R. C. P. (également actionnaire et membre du conseil d'administration de Stigma) pour 49 % des actions,

[15] Considérant que, ainsi que le conseil de discipline l'a relevé, l'objet social de TSD Projects était le même que celui de Stigma, et que, par ailleurs, l'adresse de TSD Projects était la même que TSD Telesystemes Datamont,

[16] Considérant que Stigma est resté actionnaire majoritaire (à 51 % des actions) de TSD Projects jusqu'au 31 décembre 1994,

[17] Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E, du fait de son contrôle de Stigma, avait également, depuis le 19 décembre 1992, le contrôle de TSD Projects, et que cette situation est restée inchangée jusqu'en décembre 1994,

[18] Considérant que M. A. B., le Project Manager du contrat Irep, a été désigné comme directeur général de TSD Projects pendant la première année de ses opérations,

[19] Considérant que le 29 décembre 1992, soit dix jours après le transfert de ses actions à Stigma et à M. C. P. et deux mois après sa formation par KPMG Fides Fiduciaria et FIDESCO comme une société clé en mains, TSD Projects a offert ses services à TSD Telesystemes Datamont en liquidation, en matière du personnel spécialisé en vue de la réalisation du contrat Irep,

[20] Considérant que, le 4 janvier 1993, TSD Telesystemes Datamont en liquidation (de 26, via Taramelli, Milano) a confirmé son accord à TSD Projects (de 26, via Taramelli, Milano) pour un contrat de sous-traitance tel que proposé aux tarifs journaliers de 1 700 000 Lit (Executive Manager), 1 100 000 Lit (Senior Analyst), 900 000 Lit (Application Programmer) et 700 000 Lit (Junior Programmer), soit des tarifs bien plus élevés à tous les niveaux que le tarif journalier prévu au contrat Irep pour les consultants de R&S Informatica, sous-traitant italien agréé au même contrat,

[21] Considérant que la série d'événements précités dans les deux semaines autour de Noël 1992, soit la création de la société devenue TSD Projects reprenant ainsi le nom et l'adresse de TSD Telesystemes Datamont (coordinateur du contrat Irep), le partage des actions de TSD Projects entre Stigma [contrôlée à 65 % par M. E (ainsi que par son frère, M. C. P. (15 %), M. M. et M. C. P.)] et M. C. P., l'offre de TSD Projects à TSD Telesystemes Datamont en liquidation de services dans le cadre du contrat Irep, l'octroi à TSD Projects d'un contrat de sous-traitance à des tarifs préférentiels et l'engagement par TSD Projects du Project Manager du contrat Irep en tant que son directeur général, constitue un dessein orchestré par la seule personne qui disposait de connaissances sur le contrat Irep et sur le sort de TSD Telesystemes Datamont, en l'occurrence, M. E, qui était également la personne qui en a pu tirer le principal profit,

[22] Considérant que M. E a fait état de ce qu'en 1996 et selon un audit de KPMG, il a vendu 50 % des actions de Stigma pour 170 000 000 Lit,

[23] Considérant que, dans ces conditions, M. E ne s'est pas acquitté de ses fonctions en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés et de ce fait a manqué à son devoir de loyauté envers la Commission,

[24] Considérant que, dans ces conditions, M. E a également violé l'obligation qui lui incombe de ne pas conserver ou acquérir des intérêts de nature à compromettre son indépendance dans l'exercice de ses fonctions contrairement à l'article 12, § 2 du statut,

[25] Considérant que M. E fait valoir que, le 16 juin 1993, il a donné certaines informations sur ses intérêts à son chef d'unité, M. Rossing,

[26] Considérant que M. E n'a pas précisé la nature des informations qu'il aurait données à M. Rossing,

[27] Considérant que M. Rossing lui-même déclare que, dans une note privée et donc non officielle, M. E lui aurait indiqué que 'DATAMONT, being the prime contractor, had left certain responsibilities with a company called TSD. TSD was related to Mr. E's former company (my underlining). He stated that he was a shareholder of his former company (when reading, I assumed Stigma) but stressed that he had severed all other relations to it ... I was totally unaware of any relationship between Mr. E and TSD.‘

[28] Considérant que les indications qui auraient été données par M. E à son chef d'unité doivent être considérées comme ambiguës, ne permettant pas de voir clair sur la nature et l'importance de ses intérêts dans les différentes sociétés en cause et servant au contraire à brouiller la réalité de ces intérêts,

[29] Considérant que de telles indications dans une note privée ne sauraient être considérées comme équivalentes à une information conforme à l'obligation qui incombait à M. E d'informer l'AHCC, lorsqu'il était amené à se prononcer sur une affaire au traitement ou à la solution de laquelle il avait un intérêt personnel qui était de nature à compromettre son indépendance, de sorte à agir à décharge de ses propres responsabilités,

[30] Considérant qu'il a violé l'obligation précitée, telle que prévue à l'article 14 du statut,

[31] Considérant que M. E, en assumant le suivi et le contrôle du contrat Irep qui avait une valeur initiale de 3.478 Mecu, a assuré des tâches importantes de responsabilité et de confiance pour la Commission,

[32] Considérant que la Commission est en droit d'attendre d'un agent ayant de telles responsabilités, sa loyauté exclusive,

[33] Considérant que M. E a utilisé sa situation pour créer et obtenir des intérêts personnels et commerciaux pour lui-même et pour son frère,

[34] Considérant que M. E a manqué totalement à son devoir de loyauté en la matière de sorte à abuser de la confiance qui doit régner entre l'agent et son institution,

[35] Considérant que, pour ces raisons et en tenant compte de l'ensemble des circonstances, il est nécessaire et justifié d'infliger à M. E une sanction bien plus sévère que celle recommandée par le conseil de discipline,

[36] Considérant que, le 29 décembre 1994, les actions de Stigma en TSD Projects ont été cédées de sorte à ce que le frère de M. E, M. C. P. a repris 48 % de la valeur des actions de TSD Projects,

[37] Considérant que vers le mois de mars 1995, suite à un appel de propositions au secteur 'santé' dans le cadre du 4e programme R et D 'Applications télématiques‘, TSD Projects a présenté des offres à la Commission, relatives notamment aux propositions de projets dénommés Hector, Mermaid et Trata, en vue d'une décision de la Commission pour choisir certains des projets proposés et leurs partenaires ainsi que pour approuver le niveau de leur financement,

[38] Considérant qu'un système d'évaluation des propositions de projets et des offres a été mis en place et que M. E, à sa demande, a été désigné, le 7 février 1995, pour suivre un panel d'experts externes responsable de telles évaluations dans le cadre du secteur santé/télémédecine, ce panel devant, entre autres, évaluer les projets Hector, Mermaid et Trata,

[39] Considérant que les projets Hector et Mermaid ont été retenus par le panel et que le projet Trata a été placé sur une réserve,

[40] Considérant qu'en avril 1995, M. E, sans en informer sa hiérarchie, a pris l'initiative de téléphoner et d'écrire au cabinet responsable de la politique de la pêche, et donc en dehors du domaine de sa propre direction générale, recommandant les projets Trata et Mermaid,

[41] Considérant que, par note du 16 juin 1995, son directeur l'a informé que 'in no way you were allowed to send proposals to Mrs. Bonino's cabinet members, especially when it is clear that it will end up in lobbying on your Directorate‘,

[42] Considérant que, puisqu'une des suites possibles de la lettre de M. E au cabinet de Mme Bonino serait une pression exercée par le cabinet en vue d'une décision favorable, y compris celle relative au niveau de financement de la Commission, le but recherché par M. E, à la lumière de ce qui était inconnu à l'époque dans sa direction, soit son intérêt en TSD Projects à travers son frère C. P., était justement d'encourager une telle pression en vue de faire bénéficier TSD Projects,

[43] Considérant qu'en agissant de la sorte, M. E, à nouveau, ne s'est pas acquitté de ses fonctions en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés et de ce fait a manqué à son devoir de loyauté envers la Commission,

[44] Considérant que, pour ces raisons encore et en tenant compte de l'ensemble des circonstances, il est nécessaire et justifié d'infliger à M. E une sanction bien plus sévère que celle recommandée par le conseil de discipline,

[45] Considérant que le 4 juin 1995, et toujours dans le cadre des procédures d'appels d'offres dans le secteur 'santé' précité, M. E s'est porté volontaire pour effectuer la négociation de projets retenus par le panel d'évaluation et est devenu négociateur principal pour le projet Hector et 'shadow‘ négociateur pour Mermaid,

[46] Considérant que M. E est devenu, après l'approbation du projet, Project Officer pour Hector,

[47] Considérant qu'au cours des activités précitées à la Commission en 1995, M. E n'a pas informé sa hiérarchie (dont son nouveau chef d'unité M. Healy et son directeur M. Richonnier) du fait que son frère détenait en 1995 48 % des actions en TSD Projects et y travaillait, ce qui est confirmé par l'absence de référence à ces faits dans la note de son directeur du 16 juin 1995 susmentionnée,

[48] Considérant qu'en agissant de la sorte, M. E, à nouveau ne s'est pas acquitté de ses fonctions en ayant uniquement en vue les intérêts des Communautés et de ce fait a manqué à son devoir de loyauté envers la Commission,

[49] Considérant que, pour ces raisons encore et en tenant compte de l'ensemble des circonstances, il est nécessaire et justifié d'infliger à M. E une sanction bien plus sévère que celle recommandée par le conseil de discipline,

[50] Considérant que M. E a fait, aux dépens de la Commission, des appels téléphoniques à des fins privées, en utilisant l'appareil téléphonique mis à sa disposition par la Commission pour des raisons de service, de façon répétée entre juillet 1994 et novembre 1995 pour une somme de 16 860 Bef,

[51] Considérant que ce comportement doit être considéré comme malhonnête du fait que M. E cherchait à faire payer par la Commission de manière itérative des frais importants relevant de sa vie privée en utilisant indûment la ligne téléphonique de la Commission et sans utiliser son code personnel privé prévu à cet effet, cela en manquement à son devoir de loyauté et à l'obligation de ne pas porter atteinte à la dignité de ses fonctions,

[52] Considérant que les circonstances reprises ci-avant aggravent celles qui ont fait l'objet de l'avis motivé du conseil de discipline et justifient l'aggravation de manière très sérieuse de la sanction qu'il recommande,

[53] Considérant notamment que ces mêmes circonstances sont de nature à rompre entièrement la confiance placée en M. E par la Commission en tant que agent temporaire de grade A 5.

[54] Considérant qu'il résulte de l'article 49 du RAA que l'engagement de l'agent temporaire peut être résilié en cas de manquement grave aux obligations auxquelles celui-ci est tenu, commis volontairement ou par négligence,

Décident:

Article premier:

La mesure visée à l'article 49, paragraphe 1, du RAA à savoir la résiliation du contrat sans préavis est infligée à M. E.

Article deux:

La présente décision prend effet le premier du mois suivant celui au cours duquel la présente décision est prise.»

32.
    Le 24 mars 1999, le requérant a introduit une réclamation contre la décision litigieuse.

33.
    La Commission a rejeté cette réclamation par décision du 23 juillet 1999.

Procédure

34.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 janvier 1998, le requérant a introduit le recours dans l'affaire T-24/98.

35.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 octobre 1999, le requérant a introduit le recours dans l'affaire T-241/99.

36.
    Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 15 janvier 2001, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale.

37.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à des questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

38.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 21 février 2001. A cette occasion, elles ont déclaré n'avoir aucune objection à ce que les deux affaires soient jointes aux fins de l'arrêt.

39.
    Le Tribunal a décidé de joindre les deux affaires aux fins de l'arrêt.

Conclusions des parties

40.
    Dans l'affaire T-24/98, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-     annuler la décision du 12 novembre 1997 de le maintenir en situation administrative de suspension de ses fonctions et de lui interdire d'assister, en tant que président, intervenant ou simple participant, à des conférences, colloques, séminaires et autres événements et actions de formation similaires;

-    condamner la partie défenderesse à lui payer un écu symbolique en indemnisation des dommages moral et professionnel subis à la suite des fautes successives commises;

-    condamner la Commission aux dépens.

41.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

42.
    Dans sa duplique, la Commission demande au Tribunal de constater qu'il n'y a plus lieu de statuer sur le recours.

    

43.
    Dans l'affaire T-241/99, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision litigieuse;

-    condamner la Commission à produire les documents suivants:

    -    la lettre anonyme de septembre 1995;

    -    les rapports de l'UCLAF;

    -    les procès-verbaux d'auditions, notamment de MM. Cairoli, Healy et Lacombe, et les rapports des réunions entre la DG IX et le conseil de discipline;

    -    les procès-verbaux, minutes ou notes internes relatives aux réunions entre l'UCLAF et la DG IX ainsi que la DG XIII;

    -    les procès-verbaux, minutes ou notes internes relatives aux réunions entre M. Barnett (et tout autre fonctionnaire) et la hiérarchie;

-    condamner la Commission à lui verser la somme de 250 000 euros à titre de réparation de son préjudice matériel et moral;

-    condamner la Commission aux dépens.

44.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

En droit

45.
    Le Tribunal estime opportun de statuer d'abord sur l'affaire T-241/99.

Sur les conclusions en annulation dans l'affaire T-241/99

46.
    À l'appui de son recours, le requérant invoque cinq moyens. Le premier est tiré d'une violation de l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut, le deuxième d'une violation des droits de la défense, le troisième d'une violation de l'article 2 de l'annexe IX du statut, le quatrième d'une erreur manifeste d'appréciation et, le cinquième, d'une violation de l'obligation de motivation et du principe de proportionnalité.

Sur le premier moyen, tiré d'une violation de l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut

Arguments des parties

47.
    Le requérant rappelle les dispositions de l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut et ajoute que, selon la jurisprudence, les autorités disciplinaires ont l'obligation de mener avec diligence la procédure disciplinaire et d'agir de sorte que chaque acte de poursuite intervienne dans un délai raisonnable par rapport à l'acte précédent. La non-observation de ce délai pourrait, selon l'arrêt du Tribunal du 26 janvier 1995, D/Commission (T-549/93, RecFP p. I-A-13 et II-43), entraîner l'annulation de la décision entreprise.

48.
    En l'espèce, le délai écoulé entre tous les actes de procédure qui sont intervenus après que le conseil de discipline a émis son avis le 28 juillet 1997 n'aurait pas un caractère raisonnable. Le requérant souligne notamment que, depuis cette date, il a fallu 17 mois à l'AHCC pour arrêter la décision litigieuse, sans qu'elle ait fourni aucune explication justifiant ce dépassement du délai imparti.

49.
    La Commission estime que seuls les éventuels retards dans la procédure ayant conduit à la décision litigieuse peuvent être pris en considération, c'est-à-dire, en l'espèce, la période entre le 2 septembre 1998, date où la première décision de résiliation a été retirée, et le 22 décembre 1998, date de l'adoption de la décision litigieuse. À cet égard, elle fait référence à l'arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit «PVC II» (T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931). En effet, le requérant ne pourrait à la fois obtenir le bénéfice de sa réclamation, à travers le retrait de la décision du 19 février 1998, et continuer à critiquer la procédure afférente à cette décision, comme si elle existait toujours.

50.
    Elle fait observer, par ailleurs, que le délai prévu à l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut n'est pas un délai contraignant, mais un délai de bonne administration, et que le requérant n'indique aucune circonstance particulière qui justifierait l'annulation de la décision litigieuse pour violation de cette disposition.

Appréciation du Tribunal

51.
    Selon l'article 7 de l'annexe IX du statut, dès que le conseil de discipline lui a communiqué son avis, «[l]'autorité investie du pouvoir de nomination prend sa décision dans le délai d'un mois au plus, l'intéressé ayant été entendu par elle».

52.
    Selon une jurisprudence constante, le délai imposé par cette disposition n'est pas un délai péremptoire, mais énonce néanmoins une règle de bonne administration dont le but est d'éviter, dans l'intérêt tant de l'administration que des fonctionnaires, un retard injustifié dans l'adoption de la décision qui met fin à la procédure disciplinaire. Il en découle que les autorités disciplinaires ont l'obligation de mener avec diligence la procédure disciplinaire et d'agir de sorte que chaque acte de poursuite intervienne dans un délai raisonnable par rapport à l'acte précédent. La non-observation de ce délai, qui ne peut être appréciée qu'en fonction des circonstances particulières de l'affaire, peut entraîner l'annulation de la décision (arrêt D/Commission, précité, point 25, et la jurisprudence citée).

53.
    En l'espèce, la séquence des actes de procédure à compter de l'avis du conseil de discipline et des délais écoulés entre chacun d'eux a été la suivante:

acte de procédure             date d'adoption    délai écoulé

avis du conseil de discipline:         28 juillet 1997

communication de l'avis        31 juillet 1997

audition (article 7, troisième alinéa,

de l'annexe IX):             10 décembre 1997    4 mois et 10 jours

première décision de résiliation:     19 février 1998    2 mois et 9 jours

réclamation introduite:               8 mai 1998

décision de retrait:               2 septembre 1998    3 mois et 24 jours

nouvelle audition:                20 novembre 1998    2 mois et 18 jours

décision litigieuse:            22 décembre 1998    1 mois et 2 jours

délai total :        +/- 17 mois

    

54.
    Il y a lieu de constater avant tout que le délai écoulé entre la date à laquelle le conseil de discipline a communiqué son avis et la date d'adoption de la décision litigieuse, soit 17 mois environ (ci-après le «délai total»), est considérablement plus long que le délai d'un mois indiqué dans l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut. Pour partie, le délai total est, certes, dû au fait que le requérant a introduit une réclamation contre la première décision de résiliation. À la suite de cette réclamation, cette décision a été retirée, de sorte qu'une nouvelle décision a dû être adoptée, précédée par une nouvelle audition.

55.
    Cependant, l'argument de la Commission selon lequel seule est à prendre en considération la période entre le 2 septembre 1998 et le 22 décembre 1998 ne peut pour autant être suivi. En effet, l'erreur qui a conduit au retrait de la première décision de résiliation a été commise lors de la procédure aboutissant finalement à l'adoption, le 22 décembre 1998, de la décision litigieuse par l'autorité compétente à cet effet. Le retrait de la première décision de résiliation à la suite de la réclamation du requérant ne fait que confirmer que le délai écoulé entre cette décision et la décision litigieuse résulte entièrement d'un manque de diligence de la part de la Commission.

56.
    Dans ces circonstances, ni le délai total ni les délais entre les actes de procédure successifs ne peuvent être justifiés par les circonstances particulières du cas d'espèce. À cet égard, aucun argument valable n'a été avancé par la partie défenderesse. Toutefois, le dépassement du délai d'un mois n'est pas, dans le cas d'espèce, de nature à devoir entraîner l'annulation de la décision litigieuse, dès lors qu'il n'apparaît pas qu'il a affecté la capacité du requérant de se défendre. Laquestion de savoir si ce dépassement doit conduire à une réparation de dommages sera traitée ci-après dans le cadre de l'appréciation des conclusions en indemnité.

57.
    Par conséquent, le premier moyen doit être rejeté.

    Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation des droits de la défense

Arguments des parties

58.
    Le requérant estime que ses droits de la défense ont été violés à trois titres. En premier lieu, il fait observer que M. Smidt, l'un des membres de l'AHCC ayant adopté la décision litigieuse, avait antérieurement adopté la décision disciplinaire du 19 février 1998. Dans ces conditions, il estime que M. Smidt devait avoir des préjugés à son sujet et que celui-ci ne présentait pas les garanties d'objectivité et d'impartialité requises en l'espèce.

59.
    En deuxième lieu, il fait valoir que la décision litigieuse a été arrêtée sans que l'AHCC ait pris connaissance des commentaires qu'il avait formulés sur le projet de compte rendu de l'audition du 20 novembre 1998, alors que, dans une lettre du 11 décembre 1998, l'administration lui avait explicitement reconnu le droit de formuler de tels commentaires.

60.
    En troisième lieu, il fait remarquer que, selon l'arrêt de la Cour du 19 avril 1988, Misset/Conseil (319/85, Rec. p. 1861, point 7), le droit d'être entendu dans le cadre de la procédure disciplinaire suppose que l'intéressé soit préalablement informé des reproches retenus contre lui et qu'il ait disposé d'un délai raisonnable pour préparer sa défense. Or, en l'espèce, il n'aurait pas été préalablement informé des reproches retenus contre lui au titre des articles 11, premier alinéa, et 12, premier alinéa, du statut. Par conséquent, il n'aurait pas pu se défendre contre ces reproches.

61.
    La Commission conteste les arguments du requérant.

Appréciation du Tribunal

62.
    Quant au premier grief du requérant, il convient de souligner, tout d'abord, que M. Smidt, en qualité de directeur général de la DG IX, était, conformément à la décision de la Commission du 21 janvier 1998, précitée, invoquée par le requérant dans sa réclamation contre la première décision de résiliation, membre de plein droit de l'AHCC collégiale compétente aux fins d'adopter la décision finale dans la procédure disciplinaire en cause. Or, le seul fait que M. Smidt ait adopté la décision du 19 février 1998, qui n'était pas conforme aux règles de compétence applicables, ne fournit aucune indication pertinente d'un manque d'objectivité desa part et n'empêchait pas qu'il fasse partie de l'AHCC (tripartite) qui a ensuite adopté la décision litigieuse, conformément auxdites règles de compétence.

63.
    Concernant le deuxième grief soulevé par le requérant, il convient de constater que ce dernier a été effectivement invité, par l'intermédiaire de son conseil, par la lettre de l'administration du 11 décembre 1998, à formuler son commentaire sur le projet de compte rendu de l'audition du 20 novembre 1998. Il découle de la correspondance qui a suivi cette lettre qu'une note d'observations sur le compte rendu, reprenant les commentaires communiqués par le conseil du requérant par courrier du 16 décembre 1998, a été établie. Certes, l'AHCC n'a pas attendu les commentaires éventuels du requérant lui-même, évoqués par le conseil de celui-ci dans le courrier susvisé, pour adopter, le 22 décembre 1998, la décision litigieuse.

64.
    Toutefois, le requérant n'a pas donné la moindre indication sur la nature des autres observations qu'il aurait voulu exprimer. Il n'a pas non plus précisé en quoi ses droits de la défense auraient été atteints concrètement, faute d'avoir indiqué comment ses commentaires auraient pu influencer le contenu de la décision litigieuse. Dans ces conditions, le deuxième grief du requérant n'est pas fondé et doit être rejeté.

65.
    Le troisième grief du requérant doit également être écarté. En effet, comme il résulte clairement de la réponse de la Commission aux questions écrites du Tribunal, le requérant a reçu, conformément à l'article 1er de l'annexe IX du statut, une copie du rapport soumis par l'AHCC au conseil de discipline, qui était jointe à une lettre de l'institution du 17 juin 1997. Or, dans ce rapport, les deux reproches en question étaient déjà indiqués. En outre, les faits sur lesquels ils étaient fondés étaient les mêmes que ceux qui servaient de base aux autres reproches. Il en résulte que le requérant a effectivement été préalablement informé de ces deux reproches et qu'il a utilement pu se défendre en ce qui les concerne, d'abord devant le conseil de discipline, ensuite lors de son audition par l'AHCC. Ce grief manque donc en fait.

66.
    Au vu de ce qui précède, le deuxième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

67.
    Ensuite, il y a lieu d'examiner successivement les quatrième et cinquième moyens.

Sur le quatrième moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation

Arguments des parties

68.
    Le requérant estime que la Commission a commis différentes erreurs manifestes d'appréciation. Selon lui, l'AHCC ne pouvait pas conclure qu'il avait commis une violation des articles 12, deuxième et troisième alinéas, et 17, premier alinéa, du statut, ni qu'il avait commis un vol en utilisant les services téléphoniques de l'institution à des fins privées.

69.
    La Commission conteste les arguments du requérant.

Appréciation du Tribunal

70.
    Au vu de son libellé, la décision litigieuse repose sur l'imputation au requérant de trois manquements, en relation avec les obligations énoncées aux articles 11, premier alinéa, du statut (voir vingt-troisième, trente-quatrième, quarante-troisième, quarante-huitième et cinquante et unième considérants), 12, deuxième alinéa, du statut (voir vingt-quatrième considérant) et 14 du statut (voir vingt-neuvième et trentième considérants).

71.
    Il y a lieu de constater, à cet égard, que le requérant ne conteste pas les faits suivants:

-    après son entrée au service de la Commission, il a continué à détenir la majorité du capital de Stigma jusqu'au 30 décembre 1994 et 50 % du capital de celle-ci jusqu'en novembre 1996;

-    Stigma a été actionnaire majoritaire de TSD Projects, créée le 3 novembre 1992, jusqu'au 31 décembre 1994;

-    TSD Projects a repris en 1993 les activités de TSD Datamont, y compris des activités relevant du contrat Irep;

-    le requérant était «Project Officer» pour le projet Irep à partir de son entrée au service de la Commission, en septembre 1991, jusqu'en juillet 1993;

-    TSD Projects a continué à bénéficier d'un contrat auprès de la Commission par la suite;

-    le frère du requérant détenait 48 % du capital de TSD Projects à partir de janvier 1995 et avait en outre occupé un poste à responsabilité dans cette société depuis février 1994.

72.
    Or, ces faits, relatés dans le rapport de l'AHCC au conseil de discipline, sont repris du septième au vingt et unième considérant de la décision litigieuse, lesquels sont suivis, aux vingt-troisième et vingt-quatrième considérants de cette même décision, des constatations de manquement aux obligations énoncées aux articles 11, premier alinéa, et 12, deuxième alinéa, du statut.

73.
    Les faits susmentionnés et la constatation des manquements susvisés ne sont pas remis en cause par les circonstances, invoquées par le requérant, selon lesquelles, d'une part, il aurait démissionné, en raison de son entrée au service de la Commission, de son poste de président du conseil d'administration de Stigma, d'autre part, Stigma aurait déjà vendu toutes les actions de TSD Projects au moment de l'ouverture de la procédure disciplinaire et, enfin, il ne serait pas intervenu dans les décisions de conclure de nouveaux contrats entre la Commission et TSD Projects. Cette conclusion s'impose, notamment, dans la mesure où il a, dès son entrée en service, sinon créé ou obtenu, du moins conservé, directement ou indirectement, des intérêts tels que ceux visés à l'article 12, deuxième alinéa, du statut.

74.
    En ce qui concerne, ensuite, le manquement à l'article 14 du statut, le requérant prétend que, dans ses notes du 12 mars 1992 et du 16 juin 1993, il a, conformément à cet article, informé l'AHCC de ses intérêts personnels, qui pourraient être susceptibles de compromettre son indépendance en tant qu'agent temporaire. Ces notes ont été produites par le requérant en réponse à une demande écrite du Tribunal.

75.
    À cet égard, il convient d'abord de constater que les notes en question n'ont pas été adressées à l'AHCC, mais à M. Rossing, à l'époque chef d'unité du requérant. En outre, il convient de relever que la note du 12 mars 1992 ne contient aucune information à propos d'intérêts personnels, et que la note du 16 juin 1993 est formulée en des termes à ce point vagues qu'un lecteur non averti ne pouvait pas en déduire que le requérant était susceptible d'être dans une situation de conflit d'intérêts. En tout état de cause, lorsque la note du 16 juin 1993 a été écrite, le requérant travaillait déjà depuis 21 mois pour la Commission, de sorte que, à tout le moins pendant cette période, il se trouvait en situation irrégulière. Enfin, il ressort de la note du 16 juin 1993 que le requérant était conscient de l'existence d'un potentiel conflit d'intérêts. Or, au lieu d'en informer préalablement l'AHCC et/ou de rompre entièrement ses liens avec les sociétés en question, il s'est en revanche borné à demander, et ce seulement en juin 1993, à être déchargé de sa fonction de «project officer» du projet Irep.

76.
    Quant à l'argument du requérant selon lequel il n'a pas utilisé sa situation pour se procurer des avantages personnels, il convient d'indiquer que les obligations prévues aux articles 11, 12 et 14 du statut s'imposent de manière générale et objective (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 19 mars 1998, Tzoanos/Commission, T-74/96, RecFP p. I-A-129 et II-343, point 66, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 18 novembre 1999, C-191/98 P, Rec. p. I-8223). La constatation d'un manquement à ces obligations n'est pas subordonnée à la condition que le fonctionnaire ou l'agent temporaire concerné ait profité de ce manquement ou que ce dernier ait causé un préjudice à l'institution.

77.
    Il s'ensuit que l'AHCC n'a pas commis d'erreur de droit en considérant que le requérant avait violé les obligations inscrites aux articles 11, premier alinéa, 12, deuxième alinéa, et 14 du statut.

78.
    Compte tenu de ce qui précède, il n'y a plus lieu d'examiner dans quelle mesure l'AHCC avait commis une erreur d'appréciation en fondant également la décision litigieuse sur les contacts entretenus par le requérant avec le cabinet du membre de la Commission Mme Bonino et sur l'utilisation à des fins privées du téléphone mis à sa disposition par l'institution.

79.
    Par conséquent, le quatrième moyen doit être rejeté.

Sur le cinquième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation et du principe de proportionnalité

Arguments des parties

80.
    En substance, le requérant estime que l'AHCC n'a pas suffisamment expliqué, dans la décision litigieuse, pourquoi elle lui a imposé une sanction beaucoup plus sévère que celle proposée par le conseil de discipline. Par ailleurs, il estime que la sanction infligée par l'AHCC est disproportionnée par rapport aux violations prétendument commises.

81.
    Selon la Commission, la décision litigieuse est suffisamment motivée et la sanction est appropriée, vu la gravité des violations constatées.

Appréciation du Tribunal

- Sur le défaut de motivation

82.
    Selon une jurisprudence constante, si la sanction infligée par l'autorité disciplinaire est plus sévère que celle proposée dans l'avis du conseil de discipline, la motivation de la décision imposant la sanction doit préciser les raisons pour lesquelles cette autorité s'est écartée de l'avis du Conseil (arrêt de la Cour du 29 janvier 1985, F./Commission, 228/83, Rec. p. 275, point 35).

83.
    En l'espèce, l'AHCC, dans la décision litigieuse, après avoir très précisément expliqué en quoi le requérant avait commis des infractions graves aux différentes dispositions du statut en cause, a, à plusieurs reprises, indiqué que, pour les raisons qui venaient d'être exposées et compte tenu de l'ensemble des circonstances, le requérant méritait une sanction plus sévère que celle proposée par le conseil de discipline (voir, notamment, les trente-cinquième, quarante-quatrième et quarante-neuvième considérants). L'AHCC a donc parfaitement indiqué dans la décision litigieuse les motifs pour lesquels elle s'était écartée de l'avis du conseil de discipline.

84.
    Par conséquent, le grief tiré du défaut de motivation doit être rejeté.

- Sur la violation du principe de proportionnalité

85.
    Il y a lieu d'observer d'abord que le régime disciplinaire mis en place par le statut n'établit pas un rapport fixe entre le manquement commis et les sanctions qui sont indiquées (arrêt du Tribunal du 18 décembre 1997, Daffix/Commission, T-12/94, RecFP p. I-A-453 et II-1197, point 89, et la jurisprudence citée).

86.
    Ensuite, il convient d'indiquer que, dès que la réalité des faits retenus à la charge d'un fonctionnaire en tant que violation de ses obligations statutaires est établie, le choix de la sanction adéquate appartient à l'autorité disciplinaire. Celle-ci doit fonder son choix de la sanction sur une évaluation globale de tous les faits concrets et des circonstances aggravantes ou atténuantes propres à l'espèce. Le Tribunal ne saurait, dans ce type de circonstances, substituer son appréciation à celle de l'autorité disciplinaire. Néanmoins, il incombe au Tribunal de contrôler si la sanction n'est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits retenus dans la décision (arrêt du Tribunal du 17 février 1998, E/CES, T-183/96, RecFP p. I-A-67 et II-159, point 58).

87.
    En l'espèce, il y a lieu de considérer que, à la lumière des circonstances en cause ainsi que de la nature et de la durée des trois principaux manquements commis par le requérant, l'AHCC a pu qualifier ces infractions de manquements graves aux obligations statutaires sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation. Dans ces conditions, la sanction imposée par l'AHCC au requérant, à savoir la résiliation du contrat sans préavis, ne paraît pas manifestement disproportionnée par rapport aux manquements constatés. La circonstance que le conseil de discipline avait proposé une sanction moins sévère n'est pas de nature à mettre en cause cette analyse.

88.
    Quant à l'allégation du requérant selon laquelle l'AHCC lui aurait imposé une sanction plus lourde que celle qu'elle a imposée à certains de ses collègues se trouvant dans des circonstances semblables, le Tribunal considère que celle-ci ne vise pas la proportionnalité de la sanction imposée au requérant et est, dès lors, inopérante au soutien de ce grief. Pour autant que le requérant a ainsi voulu invoquer une inégalité de traitement, il convient de relever que celui-ci n'a pas avancé d'éléments démontrant que la Commission a arbitrairement imposé une sanction en l'espèce. En particulier, la référence qu'il a faite dans la requête à des cas relatifs à certains collègues ou à certains fonctionnaires travaillant au Centre commun de recherche à Ispra (Italie) est trop imprécise pour que le Tribunal puisse vérifier l'identité des situations respectives et en déduire une quelconque violation du principe d'égalité.

89.
    Il s'ensuit que le grief tiré d'une violation du principe de proportionnalité doit également être rejeté.

Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de l'article 2 de l'annexe IX du statut

Arguments des parties

90.
    Le requérant fait valoir, en substance, qu'il n'a eu accès ni à la lettre anonyme que la Commission avait reçue en 1995, ni à l'ensemble des rapports établis par l'UCLAF, ni aux minutes, notes de dossier et procès-verbaux des réunions de sa hiérarchie avec l'UCLAF, d'une part, et le haut fonctionnaire de la DG IX chargé de l'enquête administrative, d'autre part, ni, encore, aux procès-verbaux d'audition de trois de ses collègues qui ont été entendus, le 12 mars 1997, dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée contre lui, à savoir MM. Cairoli, Healy et Lacombe.

91.
    La Commission, se référant à l'arrêt du 18 novembre 1999, Tzoanos/Commission, précité (point 34), fait valoir que le requérant a reçu toutes les pièces qui ont servi à fonder les griefs avancés dans le rapport transmis au conseil de discipline et qu'elle a satisfait à ses obligations en matière d'accès au dossier. S'agissant des rapports de l'UCLAF, ils n'auraient pas été pris en compte. Enfin, il n'aurait pas été établi de procès-verbaux des entretiens que le fonctionnaire de la DG IX chargé de l'enquête a eus avec les trois collègues en question du requérant.

Appréciation du Tribunal

92.
    Il convient de rappeler, d'abord, que, aux termes de l'arrêt du 18 novembre 1999, Tzoanos/Commission, précité (point 34), selon le principe général du respect des droits de la défense, le fonctionnaire doit avoir la possibilité de prendre position sur tout document que l'institution entend utiliser contre lui. Dans la mesure où une telle possibilité n'a pas été accordée à un fonctionnaire, les documents non divulgués ne doivent pas être pris en considération en tant que moyens de preuve. Toutefois, cette exclusion de certains documents utilisés par la Commission n'aurait d'importance que dans la mesure où le grief formulé par celle-ci ne pourrait être prouvé que par référence à ces documents.

93.
    Conformément à cette jurisprudence, il incombe au Tribunal d'examiner si le défaut de divulgation des documents signalés par le requérant a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure disciplinaire et le contenu de la décision litigieuse (arrêt du 18 novembre 1999, Tzoanos/Commission, précité, point 35). Or, d'une part, le requérant n'a pas contesté les faits relatés ci-dessus au point 72 et, d'autre part, il a été considéré que l'AHCC pouvait conclure, sans commettred'erreur d'appréciation, que ces faits ainsi établis constituaient des violations des articles 11, premier alinéa, 12, deuxième alinéa, et 14 du statut suffisamment graves pour justifier la sanction imposée au requérant. Dès lors, le défaut de divulgation au requérant des documents en cause n'était pas susceptible d'affecter le déroulement de la procédure disciplinaire et/ou le contenu de la décision litigieuse.

94.
    Dans ces circonstances, le troisième moyen doit être rejeté.

Sur les conclusions visant à la production de certains documents

95.
    Pour les mêmes motifs que ceux indiqués ci-dessus au point 93, il n'y a pas lieu de faire droit à ces conclusions. En tout état de cause, le contenu de ces documents n'était pas susceptible d'influencer le déroulement de la procédure disciplinaire ou le contenu de la décision litigieuse.

96.
    Il s'ensuit que les conclusions visant à la production de certains documents doivent être rejetées.

Sur les conclusions en indemnité dans le cadre de l'affaire T-241/99

Arguments des parties

97.
    Le requérant demande la réparation du préjudice qu'il prétend avoir subi et résultant, notamment:

-    des retards injustifiés de la procédure disciplinaire;

-    de ce que l'AHCC n'aurait pas dûment pris connaissance du dossier disciplinaire et, en particulier, des «actes de défense» qu'il a déposés;

-    de l'adoption de la décision du 19 février 1998;

-    du fait qu'il n'a pas pu prendre connaissance de la communication du 14 mai 1997, l'invitant à participer aux épreuves de sélection d'un concours interne;

-    de l'interdiction de participer à des conférences et à d'autres événements similaires.

    

98.
    Le requérant évalue le préjudice subi à la suite de ces manquements de la Commission à son égard à 250 000 euros, ex aequo et bono, dommages matériel et moral confondus.

99.
    Le requérant affirme encore que le seul but poursuivi par l'AHCC était de l'évincer de ses fonctions parce qu'il avait soulevé des objections quant aux irrégularités commises par ses supérieurs.

100.
    La Commission ne voit dans les arguments du requérant aucune base pour une indemnisation indépendante de l'annulation de la décision litigieuse.

Appréciation du Tribunal

101.
    Il convient d'examiner les différents éléments qui, selon le requérant, engageraient la responsabilité de la Communauté.

102.
    En ce qui concerne, en premier lieu, les retards constatés au cours de la procédure disciplinaire, le Tribunal a considéré ci-dessus au point 56 que ni le délai total ni les délais entre les actes de procédure successifs ne pouvaient être justifiés par des circonstances propres au cas d'espèce. Bien que, comme il a également été jugé ci-dessus, le dépassement du délai d'un mois prévu à l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut ne soit pas, en l'occurrence, de nature à entraîner l'annulation de la décision litigieuse, le dépassement effectif de ce délai doit néanmoins donner lieu à une indemnisation adéquate du préjudice moral subi par le requérant en conséquence. La disposition précitée vise, en effet, clairement à limiter la période d'incertitude relative à la situation administrative de la personne faisant l'objet de la procédure disciplinaire, et ce dans l'intérêt tant de cette dernière que de l'institution concernée. Or, dans le cas d'espèce, l'issue de la procédure disciplinaire est restée en suspens pendant une période de 17 mois. L'incertitude prolongée dans laquelle s'est trouvé le requérant justifie, dès lors, d'évaluer ex aequo et bono le dommage moral à 1 000 euros.

103.
    En ce qui concerne, en deuxième lieu, l'allégation selon laquelle l'AHCC n'aurait pas dûment pris connaissance du dossier disciplinaire et des éléments communiqués en défense par le requérant, il convient de rappeler que l'AHCC a imposé la sanction litigieuse sur la base de faits non contestés par celui-ci, et qui constituaient des infractions aux articles 11, premier alinéa, 12, deuxième alinéa, et 14 du statut.

104.
    Dans ces circonstances, une éventuelle omission de l'AHCC de prendre davantage connaissance des documents en cause n'était pas susceptible d'influencer le déroulement de la procédure disciplinaire ou le contenu de la décision litigieuse. De même, une telle omission éventuelle ne saurait engager la responsabilité de la Communauté.

105.
    En ce qui concerne, en troisième lieu, l'adoption de la décision du 19 février 1998, il doit être rappelé que la Commission a retiré cette décision à la suite de la réclamation du requérant. Ensuite, dans les circonstances particulières du présent litige, cette décision n'est pas susceptible, en elle-même, d'engager la responsabilité de la Communauté. Enfin, le retard dans le déroulement de la procédure disciplinaire en cause résultant de l'adoption de cette décision irrégulière a déjà été pris en considération dans l'évaluation du préjudice moral ci-dessus.

106.
    En ce qui concerne, en quatrième lieu, le fait que le requérant n'a pas pu prendre connaissance de la communication du 14 mai 1997, par laquelle il a été invité à participer aux épreuves de sélection d'un concours interne, il y a lieu de souligner que le préjudice allégué à ce titre est la perte d'une chance de devenir fonctionnaire. Il s'agit donc d'un préjudice de nature tout à fait hypothétique qui, en tant que tel, n'est pas susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté. (voir, à titre d'exemple, arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Stott/Commission, T-99/95, Rec. p. II-2227, points 72 et 73). De plus, le requérant lui-même aurait pu prendre des mesures afin que ce type de courrier soit envoyé directement à son adresse personnelle. Il aurait également pu prévenir le secrétariat de son unité pour que ce courrier lui soit réexpédié, ce qu'il a omis de faire en l'espèce.

107.
    En ce qui concerne, enfin, l'interdiction de participer à des conférences et à d'autres événements similaires, il découle des considérations exposées ci-dessous au point 128 que cette interdiction n'était pas, dans le cas d'espèce, disproportionnée. De plus, cette interdiction était liée à la suspension du requérant. Par conséquent, elle ne saurait engager la responsabilité de la Communauté au titre de la décision litigieuse.

108.
    Quant à l'allégation du requérant selon laquelle la procédure disciplinaire suivie en l'espèce et la sanction finalement prononcée s'expliqueraient par une volonté de la Commission de le punir en raison du fait qu'il aurait mis en lumière des irrégularités commises par ses supérieurs, celle-ci s'apparente à un moyen pris d'un détournement de pouvoir que le requérant aurait pu et dû soulever dans le cadre des conclusions en annulation. En tout état de cause, il ressort d'une jurisprudence constante qu'un acte communautaire n'est entaché d'un détournement de pouvoir que s'il apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou, à tout le moins, déterminant, d'atteindre des fins autres que celles excipées ou afin d'éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l'espèce (voir, à titre d'exemple, arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 134). Or, en l'espèce, le requérant n'a pas démontré l'existence de tels indices.

109.
    Au vu de ce qui précède, il sera fait droit aux conclusions en indemnité dans la limite de 1 000 euros.

Sur la recevabilité des conclusions en annulation relatives à l'affaire T-24/98

Arguments des parties

110.
    En substance, la Commission, sans formellement soulever une exception d'irrecevabilité au sens de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure,estime que les conclusions en annulation sont irrecevables, au motif que la décision du 12 novembre 1997, maintenant le requérant en situation administrative de suspension de ses fonctions, aurait un caractère confirmatif par rapport à la décision de suspension. En tout état de cause, la Commission estime que, à la suite de l'adoption de la décision litigieuse, le requérant n'a plus d'intérêt à poursuivre l'annulation de la décision du 12 novembre 1997. Par ailleurs, la Commission souligne qu'il ne subsiste aucun préjudice financier pouvant justifier le maintien du recours, car le requérant reconnaît qu'il a été réintégré dans l'ensemble de ses droits à l'occasion du retrait de la première décision de résiliation.

111.
    Le requérant conteste que la décision du 12 novembre 1997 soit un acte confirmatif.

Appréciation du Tribunal

112.
    Aux termes de l'article 88, troisième alinéa, du statut, la situation d'un fonctionnaire suspendu doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet. Dans ces conditions, le requérant pouvait légitimement s'attendre à ce que sa suspension ait un caractère temporaire, et que, à brève échéance, une décision finale soit prise dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée contre lui.

113.
    Cette analyse s'impose d'autant plus que, lorsque le requérant a demandé à l'AHCC de lever la suspension, le conseil de discipline avait déjà rendu son avis. En effet, aux termes de l'article 7, troisième alinéa, de l'annexe IX du statut, dès que le conseil de discipline a émis son avis, l'autorité disciplinaire prend sa décision dans le délai d'un mois au plus.

114.
    Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché au requérant d'avoir attaqué la décision de le maintenir en situation administrative de suspension (et non la décision de suspension elle-même), reportant ainsi son action en justice jusqu'au moment où il s'est avéré, d'une part, que le délai susvisé de quatre mois n'avait pas été respecté et, d'autre part, que le conseil de discipline avait déjà rendu son avis. Étant donné, par ailleurs, que le requérant a régulièrement suivi la procédure précontentieuse, les conclusions en annulation doivent être considérées comme recevables au moment de l'introduction du recours.

115.
    Cependant, la question se pose de savoir si le requérant a conservé un intérêt à poursuivre la présente affaire, à la lumière de l'adoption de la décision du 22 décembre 1998, portant résiliation de son contrat avec effet au 1er janvier 1999.

116.
    Or, dans le cadre de l'affaire T-241/99, il a été jugé ci-dessus que les conclusions en annulation relatives à cette dernière décision doivent être rejetées.

117.
    À partir du 1er janvier 1999, le requérant n'était donc plus en situation de suspension de ses fonctions, dès lors qu'il n'était plus agent temporaire de la Commission.

118.
    Il s'ensuit qu'une éventuelle annulation de la décision le maintenant en situation de suspension n'avait, à partir de cette date, plus aucun intérêt pour lui.

119.
    Dans ces circonstances, les conclusions en annulation dans l'affaire T-24/98 sont devenues sans objet. Par conséquent, il n'y a plus lieu de statuer à leur égard.

Sur les conclusions en indemnité dans l'affaire T-24/98

Arguments des parties

120.
    En substance, le requérant demande l'indemnisation du dommage moral et professionnel qu'il prétend avoir subi à cause de sa suspension. Ce dommage résulterait, en premier lieu, de ce qu'il lui était interdit d'assister à des conférences et à d'autres événements similaires et, en second lieu, de ce que certains de ses collègues auraient annoncé que son absence était justifiée par sa suspension et une procédure disciplinaire en cours. L'indemnisation qu'il demande à ce titre s'élève à un euro symbolique.

121.
    La Commission estime que les deux éléments indiqués par le requérant et qui seraient constitutifs d'un préjudice moral et professionnel n'ont pas une existence distincte de celle de la suspension elle-même. Ce seraient de simples conséquences du déroulement de la procédure disciplinaire, ou, tout au plus, des mesures accessoires à celle-ci. Selon la Commission, celles-ci disparaissent avec l'expiration de la suspension. Il serait artificiel de leur prêter des effets persistants susceptibles de justifier le maintien du recours. Par conséquent, elle estime que les conclusions en indemnité sont également irrecevables.

Appréciation du Tribunal

122.
    La thèse de la Commission selon laquelle les conclusions en indemnité ne sont pas non plus recevables ne peut être accueillie. Le fait que la suspension n'a plus d'effets, en raison de la résiliation du contrat d'agent temporaire du requérant, n'empêche pas que celui-ci puisse avoir subi un préjudice à cause de sa suspension.

123.
    Toutefois, en ce qui concerne les préjudices allégués par le requérant, l'illégalité du comportement de la Commission fait défaut. En effet, le requérant ne peut prétendre à la réparation, par la Commission, du préjudice qu'il aurait subi du fait que certains de ses collègues auraient annoncé que son absence était justifiée par sa suspension et par une procédure disciplinaire en cours. Non seulement ces informations, à supposer qu'elles aient été fournies, étaient conformes à la réalité, mais, en plus, aucun argument n'a été avancé pour permettre de conclure à la responsabilité de la Commission.

124.
    Quant à l'interdiction imposée au requérant d'assister à des conférences et à d'autres événements similaires, il convient de considérer que, dans le cas d'espèce, où la participation à de tels événements dans un milieu scientifique relativement restreint faisait partie intégrante des fonctions du requérant, cette interdiction ne peut être qualifiée de disproportionnée.

125.
    Il s'ensuit que les conclusions en indemnité doivent être rejetées.

Sur les dépens

126.
    L'article 87 du règlement de procédure dispose, en son paragraphe 2, que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens, et, en son paragraphe 3, que le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.

127.
    Dans l'affaire T-241/99, il y a lieu de condamner la Commission, en application des articles 87, paragraphe 3, et 88 du règlement de procédure, à supporter ses propres dépens ainsi qu'un quart des dépens du requérant. Dans l'affaire T-24/98, conformément aux articles 87, paragraphe 2, et 88 du règlement de procédure, chaque partie supportera ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    Les affaires T-24/98 et T-241/99 sont jointes aux fins de l'arrêt.

2)    Dans l'affaire T-24/98:

    -    il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions en annulation;

    -    le recours est rejeté pour le surplus;

    -    chacune des parties supportera ses propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

3)    Dans l'affaire T-241/99:

    -    la Commission est condamnée à verser au requérant la somme de 1 000 euros à titre de réparation du dommage moral de celui-ci;

    -    le recours est rejeté pour le surplus;

    -    la Commission supportera, outre ses propres dépens, un quart des dépens du requérant.

Meij                    Potocki                 Pirrung

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 juillet 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1: langue de procédure: le français.