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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 3 septembre 2020(1)

Affaire C308/19

Consiliul Concurenţei

contre

Whiteland Import Export SRL

[demande de décision préjudicielle présentée par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Ententes – Décision d’une autorité nationale de concurrence constatant l’existence d’une entente – Délai de prescription pour l’infliction de sanctions – Catégories d’actes interruptifs – Principe d’effectivité de la mise en œuvre du droit des ententes »






1.        Une réglementation nationale interprétée en ce sens que le dernier acte interrompant la prescription du droit pour une autorité nationale de concurrence d’imposer des sanctions est l’acte formel d’ouverture de l’enquête relative à la pratique anticoncurrentielle, sans que les actes postérieurs accomplis aux fins de cette enquête relèvent des actes interruptifs de la prescription, peut-elle voir son application écartée par la juridiction nationale comme étant contraire aux principes de coopération loyale et d’effectivité de la mise en œuvre du droit des ententes ?

2.        Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’analyser la jurisprudence de la Cour relative à plusieurs principes du droit de l’Union devant être conciliés entre eux : le principe de coopération loyale entre les États membres et l’Union européenne, le principe d’effectivité de la mise en œuvre du droit des ententes, le principe de l’autonomie procédurale des États membres et, s’agissant de règles législatives de nature répressive au sens large, également le principe de non-rétroactivité des dispositions de droit matériel.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

3.        L’article 4, paragraphe 3, TUE dispose :

« En vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union.

Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union. »

4.        L’article 101 TFUE dispose :

« 1.      Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :

a)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b)      limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c)      répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d)      appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e)      subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.

2.      Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.

3.      Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables :

–        à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises,

–        à toute décision ou catégorie de décisions d’associations d’entreprises et

–        à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées

qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :

a)      imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b)      donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence. »

5.        L’article 25 du règlement no 1/2003 (2), intitulé « Prescription en matière d’imposition de sanctions », prévoit :

« 1.      Le pouvoir conféré à la Commission en vertu des articles 23 et 24 est soumis aux délais de prescription suivants :

a)      trois ans en ce qui concerne les infractions aux dispositions relatives aux demandes de renseignements ou à l’exécution d’inspections ;

b)      cinq ans en ce qui concerne les autres infractions.

2.      La prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise. Toutefois, pour les infractions continues ou répétées, la prescription ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin.

3.      La prescription en matière d’imposition d’amendes ou d’astreintes est interrompue par tout acte de la Commission ou d’une autorité de concurrence d’un État membre visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. L’interruption de la prescription prend effet le jour où l’acte est notifié à au moins une entreprise ou association d’entreprises ayant participé à l’infraction. Constituent notamment des actes interrompant la prescription :

a)      les demandes de renseignements écrites de la Commission ou de l’autorité de concurrence d’un État membre ;

b)      les mandats écrits d’inspection délivrés à ses agents par la Commission ou par l’autorité de concurrence d’un État membre ;

c)      l’engagement d’une procédure par la Commission ou par une autorité de concurrence d’un État membre ;

d)      la communication des griefs retenus par la Commission ou par une autorité de concurrence d’un État membre.

4.      L’interruption de la prescription vaut à l’égard de toutes les entreprises et associations d’entreprises ayant participé à l’infraction.

5.      La prescription court à nouveau à partir de chaque interruption. Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou astreinte. Ce délai est prorogé de la période pendant laquelle la prescription est suspendue conformément au paragraphe 6.

6.      La prescription en matière d’imposition d’amendes ou d’astreintes est suspendue aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant la Cour de justice. »

B.      Le droit roumain

6.        L’article 5, paragraphe 1, et les articles 61 et 62 de la Legea concurenței no 21/1996 (loi no 21/1996 sur la concurrence), dans la version applicable à la procédure au principal, en vigueur à la date de la décision no 13 du Consiliul Concurenței (Conseil de la concurrence, Roumanie) du 14 avril 2015, prévoient :

« Article 5 – (1) Sont interdites toutes ententes entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché roumain ou sur une partie de celui-ci, et notamment celles qui consistent à :

a)      fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction ;

[...]

Article 61 – (1) Le droit du Conseil de la concurrence d’imposer des sanctions administratives pour violation des dispositions de la présente loi est soumis aux délais de prescription suivants :

a)      trois ans en ce qui concerne l’une des infractions prévues aux articles 51 et 52 ;

b)      cinq ans en ce qui concerne les autres infractions prévues par la présente loi.

(2)      Le délai de prescription du droit de recours du Conseil de la concurrence court à compter du jour où l’infraction a pris fin. Pour les infractions continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où le dernier acte ou le dernier comportement anticoncurrentiel en cause a pris fin.

Article 62 – (1) Toute mesure prise par le Conseil de la concurrence aux fins d’un examen préliminaire ou aux fins de l’ouverture d’une enquête en lien avec une quelconque violation de la loi interrompt les délais de prescription prévus à l’article 61. L’interruption du délai de prescription prend effet le jour où la mesure prise par le Conseil de la concurrence est communiquée à au moins un opérateur économique ou une association d’opérateurs économiques ayant participé à l’infraction.

(2)      Les mesures pouvant être prises par le Conseil de la concurrence qui interrompent le délai de prescription sont principalement les suivantes :

a)      les demandes de renseignements écrites ;

b)      la décision du président du Conseil de la concurrence d’ouvrir une enquête ;

c)      l’engagement de procédures légales.

(3)      L’interruption du délai de prescription vaut à l’égard de tous les opérateurs économiques ou associations d’opérateurs économiques ayant participé à l’infraction.

(4)      En cas d’interruption du délai de prescription, un nouveau délai de prescription, d’une durée similaire, court à compter du jour où le Conseil de la concurrence a pris l’une des mesures visées au paragraphe 2. La prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription applicable à l’infraction en cause expire sans que le Conseil de la concurrence ait imposé l’une des sanctions prévues par la présente loi. »

7.        Les dispositions des articles 61 et 62 de la loi no 21/1996 sur la concurrence reproduites au point précédent, modifiées le 30 juin 2015 par l’ordonnance d’urgence du gouvernement (OUG) no 31/2015 qui modifie et complète la loi no 21/1996 sur la concurrence et complète l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 83/2014 relative à la rémunération du personnel payé sur des fonds publics en 2015 ainsi qu’à d’autres mesures en matière de dépenses publiques, sont devenues, à la suite de la nouvelle publication de la loi, les articles 63 et 64 et sont désormais formulées comme suit :

« Article 63 (ex-article 61) – (1) Le droit du Conseil de la concurrence d’imposer des sanctions administratives pour violation des dispositions de la présente loi est soumis aux délais de prescription suivants :

a)      trois ans en ce qui concerne l’une des infractions prévues aux articles 53 et 54 ;

b)      cinq ans en ce qui concerne les autres infractions prévues par la présente loi.

(2)      Le délai de prescription du droit du Conseil de la concurrence d’imposer des sanctions court à compter du jour où l’infraction a pris fin. Pour les infractions continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où le dernier acte ou le dernier comportement anticoncurrentiel en cause a pris fin.

Article 64 (ex-article 62) – (1) Toute mesure prise par le Conseil de la concurrence aux fins d’un examen préliminaire ou aux fins de la poursuite d’une infraction à la loi interrompt les délais de prescription prévus à l’article 63. L’interruption du délai de prescription prend effet le jour où la mesure prise par le Conseil de la concurrence est communiquée à au moins un opérateur économique ou une association d’opérateurs économiques ayant participé à l’infraction.

(2)      Les mesures pouvant être prises par le Conseil de la concurrence qui interrompent le délai de prescription sont principalement les suivantes :

a)      les demandes de renseignements écrites ;

b)      la décision du président du Conseil de la concurrence d’ouvrir une enquête ;

c)      l’exécution d’inspections ;

d)      la communication du rapport d’enquête.

(3)      L’interruption du délai de prescription vaut à l’égard de tous les opérateurs économiques ou associations d’opérateurs économiques ayant participé à l’infraction.

(4)      En cas d’interruption du délai de prescription, un nouveau délai de prescription, d’une durée similaire, court à compter du jour où le Conseil de la concurrence a pris l’une des mesures visées au paragraphe 2. La prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription applicable à l’infraction en cause expire sans que le Conseil de la concurrence ait imposé l’une des sanctions prévues par la présente loi.

(5)      La prescription en matière d’imposition de sanctions est suspendue aussi longtemps que la décision du Conseil de la concurrence fait l’objet d’une procédure pendante devant une juridiction. »

II.    Les faits de la procédure au principal et la question préjudicielle

8.        Le 7 septembre 2009, le Conseil de la concurrence a ouvert d’office plusieurs enquêtes portant sur la commission d’éventuelles violations du droit de la concurrence, à l’encontre de diverses entreprises vendant des produits alimentaires au détail, au nombre desquelles la société Metro Cash & Carry România SRL (ci-après « Metro »), et à l’encontre de leurs fournisseurs, au nombre desquels la partie requérante au principal, la société Whiteland Import Export SRL (ci-après « Whiteland »).

9.        Le 12 août 2014, le Conseil de la concurrence a notifié le rapport d’enquête à Whiteland, puis, le 23 octobre 2014, il a été procédé aux auditions devant le Conseil de la concurrence en formation plénière.

10.      Les délibérations du Conseil de la concurrence ont eu lieu le 9 décembre 2014, date à laquelle le procès-verbal de la décision constatant la violation du droit de la concurrence par Metro et treize de ses fournisseurs, dont Whiteland, a été établi.

11.      Par la décision no 13 du 14 avril 2015, le Conseil de la concurrence a constaté que Metro et ses fournisseurs, dont Whiteland, avaient violé l’article 5, paragraphe 1, de la loi no 21/1996 sur la concurrence ainsi que l’article 101, paragraphe 1, TFUE en concluant des accords anticoncurrentiels visant à fausser et à entraver la concurrence qui fixaient le prix de vente et de revente des produits des fournisseurs, et a à cette occasion condamné Whiteland à une amende.

12.      Plus précisément, pour ce qui est des rapports entre Metro et Whiteland, le Conseil de la concurrence a constaté l’existence d’un ensemble d’accords verticaux destinés à restreindre la concurrence sur le marché de la vente au détail des produits alimentaires. Ces accords limitent la liberté de l’acquéreur (le détaillant), d’une part, et du fournisseur, d’autre part, de déterminer leur politique des prix. La limitation des prix de vente et de revente a ainsi eu lieu entre 2006 et 2009 au moyen de divers documents contractuels signés entre Whiteland en qualité de fournisseur et Metro en qualité de détaillant, ainsi qu’à travers des contrats et offres promotionnels.

13.      Conformément à l’article 53, paragraphe 1, sous a), de la loi no 21/1996 sur la concurrence, Whiteland a été condamnée pour violation de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la loi no 21/1996 sur la concurrence, ainsi que de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, à une amende de 2 324,484 lei (RON) (environ 477 euros), représentant 0,55 % de son chiffre d’affaires de l’année 2013.

14.      Par demande inscrite au registre de la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie, ci-‑après la « cour d’appel), Whiteland a demandé que la décision no 13 du 14 avril 2015 soit partiellement annulée, dans la partie la concernant, et à être dispensée de la sanction, faisant valoir que le pouvoir du Conseil de la concurrence d’imposer quelque sanction administrative que ce soit pour violation des règles du droit de la concurrence était prescrit puisque le délai de prescription quinquennal prévu à l’article 61, paragraphe 1, sous b), de la loi no 21/1996 sur la concurrence avait déjà expiré.

15.      Par arrêt no 92 du 19 janvier 2016, la huitième section du contentieux administratif et fiscal de la cour d’appel a fait droit au recours formé par Whiteland et a dès lors annulé la décision no 13 du 14 avril 2015 en ce qui concerne cette dernière, au motif de l’intervention de la prescription du droit du Conseil de la concurrence d’imposer la sanction administrative à la requérante.

16.      En effet, la cour d’appel a estimé que, en vertu des règles régissant la prescription du droit du Conseil de la concurrence d’imposer des sanctions administratives, figurant aux articles 61 et 62 de la loi no 21/1996 sur la concurrence, le dernier acte du Conseil de la concurrence susceptible d’interrompre le cours du délai ou la prescription était la décision d’ouvrir l’enquête adoptée par ledit Conseil.

17.      La cour d’appel a considéré que, en l’espèce, le comportement anticonconcurrentiel présentait un caractère continu et que le dernier acte anticoncurrentiel reproché à Whiteland avait eu lieu le 15 juillet 2009, date constituant ainsi le point de départ du dernier délai de prescription de cinq ans prévu à l’article 61, paragraphe 1, sous b), de la loi no 21/1996 sur la concurrence. Le Conseil de la concurrence a par la suite adopté la décision d’ouvrir l’enquête le 7 septembre 2009 et cette décision a interrompu le délai de prescription de sorte que, à cette date, un nouveau délai de prescription de cinq ans a commencé à courir.

18.      Ayant retenu une interprétation stricte de la loi no 21/1996 sur la concurrence, la cour d’appel a jugé que la décision d’ouvrir l’enquête constituait le dernier acte du Conseil de la concurrence susceptible d’interrompre le délai de prescription et en a conclu que ce délai avait expiré le 7 septembre 2014, c’est-à-dire à une date antérieure à la fois aux délibérations du Conseil de la concurrence en la matière (qui datent du 9 décembre 2014) et à l’adoption de la décision no 13 du 14 avril 2015.

19.      Le Conseil de la concurrence a introduit contre l’arrêt de la cour d’appel no 92 du 19 janvier 2016 un recours qui forme l’objet de la procédure au principal pendante devant l’Înalta Curte di Casație și Justiție – Secția de contencios administrativ și fiscal (Haute Cour de cassation et de justice – section du contentieux administratif et fiscal, Roumanie, ci‑après la « Haute Cour »).

20.      Il affirme, en premier lieu, que l’interprétation correcte des dispositions en vigueur commande que le délai de prescription puisse être interrompu par tout acte procédural visant à la poursuite de l’infraction et réfute l’interprétation stricte, retenue par la cour d’appel, selon laquelle le seul acte susceptible d’interrompre le délai de prescription est la décision d’ouvrir une enquête.

21.      En second lieu, le Conseil de la concurrence fait valoir que l’interprétation en vertu de laquelle la décision d’ouvrir une enquête serait le dernier acte interrompant le délai de prescription aboutirait à appliquer de façon non uniforme les dispositions nationales et les dispositions européennes pertinentes en la matière.

22.      En effet, si le Conseil de la concurrence n’avait pas ouvert, en l’espèce, une enquête également à propos de la violation éventuelle de l’article 101 TFUE, et si c’était la Commission européenne elle-même qui avait enquêté à ce sujet, les actes interruptifs de la prescription auraient été définis en application de l’article 25 du règlement no 1/2003, qui prévoit que les actes interruptifs de la prescription sont tous ceux qui visent à la poursuite de l’infraction.

23.      Dans la procédure pendante devant la Haute Cour, le Conseil de la concurrence a demandé que la Cour de justice de l’Union européenne soit saisie à titre préjudiciel afin qu’il soit précisé si les dispositions du droit de l’Union (c’est-à-dire l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE lus conjointement avec l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1/2003) s’opposent à ce que des dispositions de droit interne soient interprétées en ce sens que l’acte formel d’ouverture de la procédure d’enquête à propos d’une pratique anticoncurrentielle représente le dernier acte susceptible d’interrompre la prescription et que, par voie de conséquence, les actes postérieurs accomplis par l’autorité de concurrence aux fins de l’enquête ne relèvent pas de la notion d’« acte interruptif du délai de prescription », même si ces disposititions sont de nature à empêcher l’autorité de concurrence d’appliquer de façon effective l’article 101 TFUE.

24.      La juridiction de renvoi se demande si une telle interprétation stricte de la loi no 21/1996 sur la concurrence, retenue en l’espèce par la cour d’appel, n’aboutit pas à appliquer de façon non uniforme les dispositions pertinentes du droit de la concurrence.

25.      Elle relève que, selon une jurisprudence nationale actuelle, l’article 25 du règlement no 1/2003 concerne uniquement le pouvoir de la Commission d’imposer des sanctions en cas de constatation de violations de règles de concurrence provenant du droit de l’Union, mais ne s’applique pas au Conseil de la concurrence. La Haute Cour relève toutefois qu’il existe un autre courant jurisprudentiel en vertu duquel il doit exister une correspondance entre l’article 25 du règlement no 1/2003 et les règles de droit national relatives à la prescription, avec la nécessité de parvenir à une cohérence entre les règles du droit de l’Union et celles du droit national, en particulier lorsque ces dernières ont pour objectif de transposer le contenu du droit de l’Union en matière de concurrence.

26.      Dans ces circonstances, la Haute Cour a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils imposent aux autorités judiciaires des États membres de donner aux règles nationales régissant la prescription du droit du Conseil de la concurrence d’infliger des sanctions administratives une interprétation conforme à la réglementation figurant à l’article 25, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1/2003 et qu’ils s’opposent à ce que les règles de droit national soient interprétées en ce sens que l’on entend par acte interrompant la prescription uniquement l’acte formel d’ouverture de la procédure d’enquête sur une pratique anticoncurrentielle, sans que les actions ultérieures menées aux fins de la poursuite de cette pratique entrent dans la même catégorie des actes interrompant la prescription ? »

III. Analyse juridique

A.      Observations liminaires

1.      La demande préjudicielle et les questions de droit posées

27.      Pour la clarté de l’exposé, il est utile, même dans le cadre de l’analyse juridique, de rappeler certains faits pour bien comprendre les questions juridiques qui sous-tendent la demande de décision préjudicielle de la juridiction de renvoi.

28.      Après avoir exposé que « [t]oute mesure prise par le Conseil de la concurrence aux fins d’un examen préliminaire ou aux fins de l’ouverture d’une enquête (3) en lien avec une quelconque violation de la loi interrompt les délais de prescription », la disposition nationale en vigueur à l’époque du litige au principal (l’article 62 de la loi roumaine sur la concurrence) affirme que les actes pouvant interrompre le délai de prescription incluent « principalement : a) les demandes de renseignements écrites ; b) la décision du président du Conseil de la concurrence d’ouvrir une enquête ; c) l’engagement des procédures légales (4).

29.      L’interprétation de cette disposition par la cour d’appel (contestée par la suite devant la juridiction de renvoi) a été que, dans le cas d’espèce, le dernier acte susceptible d’interrompre la prescription avait été la décision du président du Conseil de la concurrence d’ouvrir l’enquête et que, pour cette raison, à la date de la décision définitive, la prescription était intervenue, avec pour conséquence la nullité de la sanction prononcée par le Conseil de la concurrence.

30.      La juridiction de renvoi, saisie d’un pourvoi par le Conseil de la concurrence, a des doutes quant à la justesse de l’interprétation des dispositions de droit interne retenue par la cour d’appel et demande, en substance, à la Cour : premièrement, si l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE obligent les autorités judiciaires nationales à interpréter de façon conforme à l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 les dispositions nationales relatives au régime de la prescription du droit d’imposer des sanctions administratives ; deuxièmement, si l’interprétation stricte d’une règle telle que l’article 62, précité, suivant laquelle le dernier acte susceptible d’interrompre la prescription est l’ouverture formelle de la procédure d’enquête par le président du Conseil de la concurrence, peut avoir pour effet de compromettre l’application effective de l’article 101 TFUE, violant ainsi le principe d’effectivité qui vient limiter l’autonomie procédurale des États membres, ainsi que le principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

31.      La question de droit qu’il convient de résoudre consiste par conséquent à déterminer les limites à l’intérieur desquelles les États membres peuvent réglementer la prescription des actions des autorités de concurrence, et en particulier à définir la notion d’« actes interruptifs de la prescription ».

32.      La référence contenue dans la question préjudicielle à l’article 25 du règlement no 1/2003, si on l’interprète (comme semblent le faire certaines des parties au litige) comme l’indice d’une applicabilité directe au présent cas, est de nature à induire en erreur pour la solution de la question de droit.

33.      En effet, cet article prévoit que le pouvoir conféré à la Commission en vertu des articles 23 et 24 du même règlement est soumis à des délais de prescription et à certaines règles définissant l’expiration des délais, telles que la condition prévue au paragraphe 3, qui veut que, pour l’infliction d’amendes ou de pénalités de retard, la prescription soit interrompue « par tout acte de la Commission ou d’une autorité de concurrence d’un État membre visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction ».

34.      Le libellé de l’article 25 indique clairement que cette disposition ne s’applique qu’à l’exercice des pouvoirs conférés à la Commission par le règlement no 1/2003, et non à l’exercice des pouvoirs conférés aux autorités nationales de concurrence.

35.      J’estime que le fait, évoqué par certaines parties, que le législateur roumain se soit inspiré du libellé de l’article 25, précité, du règlement no 1/2003 au moment de l’entrée en vigueur de la loi sur la concurrence est dépourvu de conséquences.

36.      Comme l’a aussi relevé la Commission (5), le texte de l’article 62 de la loi sur la concurrence est différent de celui de l’article 25 du règlement no 1/2003. On ne saurait donc soutenir que le législateur roumain a reproduit textuellement le contenu dudit article 25 ni que ce dernier peut s’appliquer directement aux actes accomplis par le Conseil de la concurrence.

37.      Il s’ensuit que la réponse à la question soulevée par la juridiction de renvoi devra dépendre non pas de l’application de l’article 25, mais de l’interprétation à donner à l’article 62 de la loi sur la concurrence au vu de la nécessité de concilier plusieurs principes du droit de l’Union (6), à savoir le principe de l’autonomie procédurale des États membres en l’absence de règles harmonisées, le principe d’effectivité de la mise en œuvre du droit des ententes, le principe de coopération loyale entre les États membres et l’Union et le principe de non-rétroactivité des dispositions de droit matériel ayant une nature répressive.

2.      Le droit applicable et les modifications intervenues par la suite

38.      Avant de passer à l’analyse des principes susmentionnés, il convient de rappeler, à titre liminaire, que la question qui est aujourd’hui soumise à la Cour a perdu, dans le droit national dans lequel elle a pris naissance, son utilité pratique pour l’avenir.

39.      Le législateur national a en effet modifié l’article 62 précité, en alignant ses dispositions sur celles contenues à l’article 25 du règlement no 1/2003 (7) et en prévoyant donc des causes d’interruption de la prescription supplémentaires et postérieures par rapport à l’ouverture de l’enquête (8).

40.      La disposition antérieurement en vigueur reste cependant applicable ratione temporis au litige porté par Whiteland devant la juridiction nationale et, pour cette raison, la Cour devra fournir à la juridiction de renvoi les critères permettant de résoudre cette affaire à la lumière d’une interprétation correcte du droit de l’Union.

41.      À mon avis, les modifications intervenues sont tout à fait neutres pour la solution du présent litige : l’appréciation que la Cour devra porter se limite, en effet, à la compatibilité avec le droit de l’Union d’une interprétation (telle que celle décrite par la juridiction de renvoi, retenue par la cour d’appel) des règles nationales en vigueur au moment des faits.

42.      Il convient de noter enfin que la directive 2019/1 (9) contient, en son article 29, certaines règles relatives aux délais de prescription applicables à l’infliction d’amendes par les autorités nationales de concurrence, mais qu’elles ne concernent toutefois pas les aspects sur lesquels porte le présent litige (10).

43.      Par conséquent, la volonté du législateur de l’Union de ne pas réglementer directement la question de la durée des délais de prescription ni la notion d’« actes interruptifs de la prescription » en ce qui concerne les mesures prises par les autorités nationales de concurrence paraît confirmée.

B.      Le principe de l’autonomie procédurale des États membres et le principe d’effectivité de la mise en œuvre du droit des ententes

44.      Dans l’affaire qui nous occupe, l’applicabilité directe de l’article 25 du règlement no 1/2003 étant exclue, il nous faut déterminer comment concilier entre eux certains principes généraux du droit de l’Union à propos desquels la Cour s’est déjà fréquemment prononcée.

45.      Pour apprécier si une disposition législative telle que celle qui était en vigueur en Roumanie à l’époque des faits (interprétée de façon stricte comme l’a fait la cour d’appel) est compatible avec le droit de l’Union, il faut prendre pour postulat que la mise en œuvre du droit des ententes doit être dotée d’efficacité tant lorsqu’elle est de la responsabilité de la Commission que lorsqu’elle est de la responsabilité des autorités nationales de concurrence.

46.      En effet, les États membres « désignent l’autorité ou les autorités de concurrence compétentes pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE de telle sorte que les dispositions de ce règlement soient effectivement respectées. Les autorités ainsi désignées doivent, conformément à celui-ci, assurer l’application effective desdits articles dans l’intérêt général (voir les considérants 5, 6, 8, 34 et 35 du règlement no 1/2003) » (11).

47.      Il est certes incontestable que, « conformément au principe de l’autonomie nationale de procédure, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union » (12) et que « [p]our autant que le droit communautaire, y compris les principes généraux de celui-ci, ne comporte pas de règles communes à cet effet, les autorités nationales procèdent, lors de cette exécution des réglementations communautaires, en suivant les règles de forme et de fond de leur droit national » (13).

48.      Cependant, toujours selon les termes d’un arrêt déjà ancien de la Cour, ce principe « doit se concilier avec la nécessité d’une application uniforme du droit communautaire, nécessaire pour éviter un traitement inégal des opérateurs économiques » (14).

49.      Cela signifie que, comme la Cour l’a exprimé de façon limpide dans ses arrêts ultérieurs, la marge discrétionnaire des États membres est limitée par la nécessité de respecter le droit de l’Union (15) et en particulier le principe d’effectivité. Les dispositions nationales ne doivent pas être de nature à « rendre impossible ou excessivement difficile la mise en œuvre du droit de l’Union » (16).

50.      Ce qui précède vaut spécialement dans le domaine de la concurrence. La modernisation des règles et des procédures relatives à l’application des articles 101 et 102 TFUE, opérée par le règlement no 1/2003, repose en effet sur l’institution d’un système décentralisé d’application du droit européen des ententes, dans le cadre duquel la Commission, les autorités nationales de concurrence et les juridictions des États membres agissent en étroite collaboration. Ces entités ont été dotées de nouveaux pouvoirs par rapport au régime antérieurement en vigueur, de façon à favoriser une plus grande efficacité dans l’application et le respect des règles au niveau européen, tout en préservant en même temps leur cohérence et leur uniformité.

51.      Un système décentralisé ainsi conçu, dans lequel les autorités nationales appliquent directement le droit de l’Union, exige que, bien que le principe de l’autonomie procédurale des États membres soit à respecter, les règles édictées pour assurer l’application des sanctions en matière d’ententes ne soient pas de nature à faire obstacle à une application effective et efficace du droit des ententes.

52.      Par conséquent, les États membres « doivent veiller à ce que les règles qu’ils établissent ou appliquent ne portent pas atteinte à l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE » (17) et à ce que « les modalités procédurales des recours en justice introduits contre les décisions des autorités de concurrence » ne portent pas atteinte à l’objectif de ce règlement, qui est « [d’]assurer l’application effective [des articles 101 TFUE et 102 TFUE] par lesdites autorités » (18).

53.      En ce qui concerne plus particulièrement la prescription, la Cour a récemment été saisie d’une affaire portant sur le droit d’exercer un recours en indemnisation du préjudice causé par une violation du droit de la concurrence.

54.      Le droit de l’État membre limitait à trois ans le délai de prescription, qui commençait à courir indépendamment du fait que la personne lésée ne connaissait ni l’identité du responsable ni le montant total des préjudices, et ne prévoyait aucune suspension ou interruption de la prescription dans le cas où une procédure devant l’autorité nationale de concurrence était en cours.

55.      À cette occasion, la Cour a jugé que « l’article 102 TFUE et le principe d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, qui, d’une part, prévoit que le délai de prescription en ce qui concerne les actions en dommages et intérêts est de trois ans et commence à courir à compter de la date à laquelle la personne lésée a eu connaissance de son droit à réparation, même si le responsable de l’infraction n’est pas connu et, d’autre part, ne prévoit aucune possibilité de suspension ou d’interruption de ce délai au cours d’une procédure suivie devant l’autorité nationale de concurrence » (19).

56.      La Cour a aussi rappelé le principe suivant lequel « une réglementation nationale fixant la date à partir de laquelle le délai de prescription commence à courir, la durée et les modalités de la suspension ou de l’interruption de celui‑ci doit être adaptée aux spécificités du droit de la concurrence » (20), lequel requiert « en principe, la réalisation d’une analyse factuelle et économique complexe » (21).

57.      Ces principes, affirmés par la Cour dans le contexte d’actions intentées par des particuliers pour obtenir réparation d’un dommage subi du fait d’un comportement anticoncurrentiel (mise en œuvre du droit des ententes par la sphère privée) sont à mon avis applicables aussi au présent cas, dans lequel l’action soumise à prescription est celle d’une autorité nationale de concurrence (mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique).

58.      La raison en est que la mise en œuvre par la sphère privée, véritable « deuxième pilier » (22) à côté de la mise en œuvre par la sphère publique, est devenue un élément faisant « désormais partie intégrante du système décentralisé de l’application du droit de la concurrence tel que mis en œuvre par le règlement (CE) no 1/2003 » (23). Les actions en dommages et intérêts pour violation de règles de concurrence de l’Union « font partie intégrante du système de mise en œuvre de ces règles, qui vise à réprimer les comportements anticoncurrentiels des entreprises et à dissuader celles‑ci de se livrer à de tels comportements » (24).

59.      Le règlement no 1/2003 soulignait déjà le lien de complémentarité entre la mise en œuvre par la sphère publique et la mise en œuvre par la sphère privée qui caractérise le modèle européen (25) : à la première, grâce aux pouvoirs étendus d’enquête et de sanctions attribués aux autorités compétentes, est confiée à titre principal la fonction de répression des infractions anticoncurrentielles et de dissuasion ; à la seconde est confiée la charge d’assurer la protection des droits et la réparation du préjudice des victimes d’infractions. Les directives les plus récentes (26) en la matière reprennent cette analyse, tout en y ajoutant des éléments qui semblent tendre vers une complémentarité toujours plus grande.

60.      Plutôt que d’examiner deux systèmes de mise en œuvre concurrents, il convient donc de raisonner en matière de système unique, s’agissant de deux modes de poursuite du même résultat (27). La coordination entre ces modes de mise en œuvre du droit des ententes se fixe pour objectif de favoriser une interaction vertueuse, de façon à poursuivre l’objectif commun qu’est l’application effective du droit de la concurrence (28).

61.      L’expérience concrète montre ensuite non seulement que les actions civiles en indemnisation du préjudice peuvent représenter une occasion concrète de porter devant le juge des faits potentiellement constitutifs d’infractions au droit des ententes qui demeureraient sinon sans protection (29), mais que, en outre, le droit de toute personne de demander réparation du préjudice découlant d’un comportement anticoncurrentiel « renforce [...] le caractère opérationnel des règles de concurrence de l’Union [...] en contribuant ainsi au maintien d’une concurrence effective dans l’Union européenne » (30).

62.      En raison de cette étroite complémentarité entre mise en œuvre privée et publique (31), visant l’une et l’autre à atteindre l’objectif d’intérêt général consistant dans une concurrence libre et effective sur le marché unique, j’estime que les principes évoqués ci‑dessus, énoncés par la Cour dans l’arrêt Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263), peuvent trouver à s’appliquer également à la situation objet du présent litige.

63.      Le principe d’effectivité exige ainsi que « les dispositions nationales ne [rendent pas] pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits accordés par l’ordre juridique de l’Union » (32).

64.      Cela vaut en particulier dans le domaine de la concurrence (33), en raison du système décentralisé de mise en œuvre de ce droit, décrit plus haut, et compte tenu du fait que « l’appréciation juridiquement correcte d’infractions au droit de la concurrence implique dans de nombreux cas l’appréciation de situations économiques complexes et de documents commerciaux internes qui régulièrement ne sont révélés que par le travail des autorités de concurrence » (34).

65.      Ainsi, pour ce qui est de la prescription, les règles édictées par les divers États membres doivent permettre une mise en œuvre efficace du droit des ententes, y compris dans les affaires présentant une plus grande complexité.

66.      L’analyse de l’affaire aujourd’hui soumise à la Cour fait apparaître un certain nombre d’éléments qui pourraient conduire à juger non conforme au principe d’effectivité l’interprétation des règles nationales retenue par la cour d’appel : l’exclusion absolue, au-delà de l’ouverture de l’enquête, de la possibilité d’actes interruptifs qui seraient de nature à tenir compte des aspects procéduraux postérieurs à l’ouverture proprement dite, ainsi que la réduction excessive qui en découle de l’application du délai de prescription absolue de dix ans, pourtant prévu par ces règles.

67.      Ce n’est pas l’étendue du délai de prescription en soi ni la catégorie spécifique des actes interruptifs du délai de prescription qui semblent constituer une violation du droit de l’Union dans un cas tel que celui qui nous occupe, mais la rigidité déraisonnable de l’interprétation stricte proposée, qui ne permettrait pas l’interruption de la prescription même dans des cas particulièrement complexes.

68.      Une telle interprétation priverait en outre quasiment de toute signification le délai absolu de dix ans, pourtant prévu par la même législation en plus du délai « ordinaire » de cinq ans : si aucun acte accompli postérieurement à l’ouverture officielle de la procédure ne peut interrompre la prescription, alors les cinq ans prévus par le délai de prescription en question pourront rarement être dépassés et, en tout état de cause, ne pourront l’être au mieux que pour le bref laps de temps séparant la prise de connaissance de l’éventuelle infraction au droit de la concurrence de l’ouverture de la procédure.

69.      Il est vrai que, avant l’ouverture de la procédure par le Conseil en formation collégiale, la direction compétente procède à des actes de préinstruction. À ce stade, il n’est cependant pas possible d’effectuer un certain nombre d’opérations qui sont pertinentes aux fins de la procédure, telles que les inspections par exemple, et, en tout état de cause, l’ensemble des opérations procédurales caractéristiques d’un contradictoire pleinement respecté ne peut exister.

70.      Les États membres peuvent donc prévoir des délais et des modalités de prescription différents de ceux prévus par la Commission avec l’article 25 du règlement no 1/2003, mais à la condition que ces délais et modalités permettent une mise en œuvre du droit des ententes qui tienne compte adéquatement de la complexité de l’analyse juridique et économique des affaires soumises aux autorités nationales de concurrence. C’est ainsi qu’il convient de comprendre, à mon avis, dans le domaine du droit de la concurrence, l’expression « ne pas rendre excessivement difficile la mise en œuvre du droit de l’Union » utilisée à de nombreuses reprises par la Cour.

71.      À cette fin, plus que la durée absolue du délai de prescription, qui ne doit pas être excessive afin d’éviter l’effet inverse, consistant en une mise en œuvre tardive du droit des ententes, ce sont les actes interruptifs de la prescription qui jouent un rôle crucial, en permettant d’adapter la durée des procédures à la complexité effective de l’affaire.

72.      Il s’ensuit qu’une disposition législative telle que la disposition roumaine doit être interprétée par les juridictions nationales, dans le respect bien entendu de l’autonomie procédurale des États membres, en tenant compte : premièrement, de l’ensemble des règles formant le régime de la prescription en vigueur, et non de dispositions isolées détachées du reste (35); secondement, de la complexité moyenne des affaires traitées par l’autorité nationale de concurrence et des durées nécessaires à une analyse juridicoéconomique appropriée. À cette fin, comme l’a suggéré la Commission dans ses observations écrites (36), on pourrait avoir recours au critère d’examen décrit par la Cour dans l’affaire « Taricco 1 » (37).

73.      Si l’on applique ce critère à l’affaire objet du présent litige, la juridiction nationale devrait vérifier si l’application des dispositions nationales en matière d’interruption de la prescription, telles qu’interprétées par la cour d’appel, conduit dans un nombre important de cas à l’impunité pour les entreprises ayant commis de graves infractions au droit des ententes parce que ces faits seront généralement prescrits avant que la sanction de l’infraction au droit des ententes prévue par la loi ne puisse être infligée. Si cela était avéré, la juridiction nationale devrait constater que les mesures prévues par le droit national pour lutter contre les infractions au droit des ententes ne peuvent pas être considérées comme étant effectives et dissuasives, ce qui est contraire à l’article 101 TFUE lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 3, TUE.

74.      On pourrait tenir compte non seulement du nombre effectif de cas d’impunité résultant de l’expiration du délai de prescription rapporté au nombre total de cas examinés par l’autorité de concurrence concernée, mais aussi du fait que, par exemple, certains types de violations du droit de la concurrence resteraient systématiquement impunis (38) par suite de l’application des dispositions nationales relatives à l’interruption du délai de prescription.

75.      J’observe enfin que, pour permettre d’apprécier les effets de l’éventuelle intervention de la prescription du pouvoir de mise en œuvre du droit des ententes appartenant à l’autorité nationale de concurrence, l’analyse de la juridiction nationale pourrait également porter sur les intérêts de tiers qui, du fait de l’annulation pour raison de prescription de la décision de l’autorité nationale de concurrence, subiraient un préjudice qui, même s’il n’est pas encore actualisé, peut être considéré comme pertinent.

76.      Je pense en particulier aux consommateurs qui, ayant subi un préjudice du fait du comportement anticoncurrentiel des entreprises sanctionnées, attendent la confirmation en justice de la décision de l’autorité de concurrence pour pouvoir intenter les actions en indemnisation du dommage qui en est résulté.

77.      Cela, à mon avis, viendrait encore conforter l’argumentation développée dans les points précédents (39) quant à la complémentarité de la mise en œuvre du droit des ententes par la sphère publique et par la sphère privée, les deux voies servant à la poursuite de l’intétêt général consistant en une concurrence libre et effective sur le marché unique.

78.      Cette appréciation supplémentaire présuppose l’existence de certaines conditions pouvant amener à inclure dans l’examen global de la juridiction nationale également l’intérêt des consommateurs : premièrement, la décision de l’autorité nationale de concurrence ne doit pas à première vue sembler illégale pour des motifs autres que ceux tenant à la prescription ; secondement, la décision attaquée de l’autorité nationale de concurrence doit avoir un contenu de nature, abstraitement, à servir de fondement à des actions dites « de follow on » de la part d’un nombre important de consommateurs ayant subi un préjudice du fait d’un comportement illégal des entreprises sanctionnées.

79.      Il incombe, à mon avis, à la juridiction nationale, après les constatations décrites ci-dessus, de vérifier un dernier point : celui de la conformité de la disposition nationale non pas au texte, mais à l’« esprit » du droit de l’Union régissant la prescription de la mise en œuvre du droit des ententes par la Commission.

80.      S’il ne lie pas les États membres, celui-ci représente néanmoins une « norme d’efficience » pour la mise en œuvre du droit des ententes, laquelle doit être aussi uniforme que possible dans un système juridique de mise en œuvre décentralisée où les autorités nationales de concurrence agissent de plus en plus en synergie avec la Commission.

81.      Il résulte de ce qui précède que, au vu de l’ensemble des circonstances ressortant du dossier, une interprétation stricte des actes interruptifs de la prescription telle que celle retenue par la cour d’appel pourrait représenter un obstacle à la mise en œuvre du droit des ententes par une autorité nationale de concurrence, en particulier lorsque les spécificités du cas d’espèce sont de nature à nécessiter des approfondissements économicojuridiques complexes (découlant aussi du volume du matériel à examiner) ainsi que des constatations postérieures, y compris au moyen d’inspections et d’autres modalités de recherche de la preuve.

82.      Ce sera, comme nous l’avons vu, à la juridiction nationale de faire application des critères susmentionnés pour déterminer si, en l’espèce, la disposition nationale, telle qu’interprétée par la cour d’appel, rend excessivement difficile la mise en œuvre du droit des ententes par l’autorité nationale de concurrence, en violation ainsi du principe d’effectivité.

83.      À la suite de cette appréciation, la juridiction de renvoi devra faire application du principe d’interprétation conforme qui, comme on le sait, « requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci » (40).

84.      Pour le cas où la juridiction nationale jugerait l’interprétation conforme impossible et écarterait donc l’application de la règle de droit interne, il convient en conclusion de s’arrêter, comme l’a suggéré la Commission dans ses observations écrites (41), sur les conséquences juridiques que cela implique dans le litige au principal.

85.      Si la juridiction nationale devait en effet considérer que l’interprétation stricte de l’article 62 de la loi roumaine sur la concurrence est incompatible avec le droit de l’Union, écartant par conséquent l’application de la règle de droit interne et jugeant la prescription valablement interrompue par un autre acte postérieur à l’ouverture de l’enquête, il faudrait examiner la situation juridique au regard du principe de légalité et de non‑rétroactivité des règles répressives (42).

86.      Il ressort en effet du dossier, et en particulier des observations écrites de la Commission (43), que, dans le droit roumain, comme dans le droit italien objet des arrêts « Taricco 1 » (44) et « Taricco 2 » (45), les règles régissant la prescription des infractions, à l’instar des règles définissant les délits et déterminant les peines, reposent sur le droit pénal matériel et sont donc soumises, comme ces dernières, au principe de légalité des infractions et des peines (46), consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l’homme. Le régime de la prescription en matière pénale est donc soumis aux conditions de prévisibilité, de précision et de non-rétroactivité, inhérentes au principe de légalité des délits et des peines.

87.      La Cour a en effet précisé dans l’arrêt « Taricco 2 » (47) que, dans le cas où la juridiction nationale estime que l’obligation de laisser inappliquées les dispositions nationales concernées est contraire au principe de légalité des délits et des peines, qui exige que la loi définisse de façon prévisible, précise et non rétroactive les délits et les peines qu’elle sanctionne, elle n’est pas tenue de respecter cette obligation, quand bien même son respect permetttrait de remédier à une situation de droit national incompatible avec le droit de l’Union.

88.      Ce principe pourrait être transposable aux faits sanctionnés par le droit de la concurrence, en vertu d’une jurisprudence consolidée de la Cour européenne des droits de l’homme (48).

89.      Compte tenu de l’objectif du droit de la concurrence, de la nature des sanctions (effets préventif, dissuasif et répressif) et de leur gravité (peines pécuniaires de montants élevés), ces procédures doivent être soumises, selon la Cour européenne des droits de l’homme, aux garanties prévues à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme (49).

90.      Cette Cour a également, à plusieurs occasions, suivi une telle approche : dans l’arrêt Commission/Anic Partecipazioni, la Cour a admis l’applicabilité du principe de la responsabilité personnelle au droit de la concurrence (50); dans l’arrêt Hüls/Commission, la Cour a invoqué le principe de la présomption d’innocence garantie par l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l’homme (51).

91.      Pour reprendre les mots de l’avocat général Bot, « les amendes visées à l’article 23 du règlement no 1/2003 (52) sont, par leur nature et leur importance, assimilables à une sanction pénale » et la procédure qui en résulte « relève donc de la “matière pénale” au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (53).

92.      On ne saurait exclure que, lorsque les conditions susmentionnées sont remplies, une disposition légale jugée ultérieurement non conforme aux principes du droit de l’Union puisse continuer à lier les parties en vertu du principe de légalité et de non-rétroactivité des dispositions pénales ou répressives au sens large.

93.      On peut appliquer ce raisonnement par analogie au cas d’une interprétation consolidée d’une disposition légale en vigueur. La condition première nécessaire pour que cela puisse valoir est que l’on soit en présence d’interprétations jurisprudentielles univoques et constantes, pouvant être ainsi considérées dans le droit national concerné comme faisant partie intégrante du « droit positif ».

94.      Ce n’est, en effet, que dans une telle hypothèse que l’interprétation d’une disposition de loi de nature répressive peut, en tant que « droit positif », continuer à lier les parties même si elle est jugée par la suite non conforme au droit de l’Union.

95.      Dans notre affaire, au vu des éléments du dossier, il ne me semble pas que l’on soit en présence d’une telle situation dès lors que les interprétations jurisprudentielles paraissent diverger dans l’État membre.

96.      La juridiction de renvoi explique que, à la suite de la décision no 13 du 14 avril 2015, la cour d’appel aurait été saisie de dix affaires : dans cinq d’entre elles, la prescription du droit d’appliquer la sanction a été relevée, tandis que dans les cinq autres, la décision attaquée a été confirmée (54). Cela confirme l’existence d’une « pratique non uniforme des juges du fond en la matière » (55).

97.      Le Conseil de la concurrence rappelle que « les juridictions du fond qui ont examiné la légalité de la décision no 13/2015 ont interprété et appliqué différemment les règles applicables en matière de prescription de l’infliction de sanctions dans le domaine de la concurrence au regard des actes interrompant la prescription » (56).

98.      C’est à la juridiction nationale qu’il appartiendra cependant d’apprécier si les conditions prévues dans l’arrêt « Taricco 2 » (arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C‑42/17, EU:C:2017:936), telles que précisées par les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour, sont remplies, en appliquant les critères indiqués ci-dessus.

IV.    Conclusion

99.      Au vu des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) dans les termes qui suivent :

1)      L’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE doivent être interprétés comme imposant aux autorités judiciaires des États membres l’obligation d’interpréter les dispositions nationales régissant la prescription du pouvoir de l’autorité de concurrence d’infliger des sanctions administratives de façon conforme aux principes de coopération loyale entre les États membres et l’Union et d’effectivité de la mise en œuvre du droit des ententes.

2)      Les États membres peuvent, dans le cadre de leur autonomie procédurale, réglementer la prescription du pouvoir d’infliger des sanctions reconnu aux autorités nationales de concurrence différemment de ce qui est prévu pour la Commission européenne avec l’article 25 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, à la condition toutefois que ces règles permettent, dans le respect du principe d’effectivité, un exercice de la mise en œuvre du droit des ententes qui soit adapté à la complexité de l’analyse juridique et économique des affaires soumises aux autorités nationales de concurrence.

3)      L’interprétation d’une norme de droit interne en ce sens que le dernier acte interruptif de la prescription est l’acte d’ouverture de l’enquête relative à une pratique anticoncurrentielle, sans que les actions ultérieures menées aux fins de cette enquête entrent dans la catégorie des actes interruptifs de la prescription, peut être non conforme aux principes susmentionnés de coopération loyale et d’effectivité de la mise en œuvre du droit des ententes si la juridiction nationale constate l’existence de certaines conditions rendant excessivement difficile l’action de l’autorité nationale de concurrence. La juridiction nationale doit tenir compte dans son appréciation : premièrement, des spécificités du droit de la concurrence, qui requiert en règle générale une analyse complexe factuelle et économique ; deuxièmement, de l’ensemble complet des règles en vigueur régissant la prescription ; troisièmement, de la fonction des actes interruptifs de la prescription, qui permettent d’adapter la durée des procédures à la complexité effective de l’affaire ; quatrièmement, de la complexité moyenne des affaires traitées par l’autorité nationale de concurrence, y compris en recourant au critère d’examen proposé dans l’arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555).

4)      Si lesdites conditions sont remplies, la juridiction de renvoi devra appliquer le principe de l’interprétation conforme et, dans le cas uniquement où cela s’avérerait impossible, laisser inappliquée la réglementation nationale, en vérifiant que cela est conforme au principe de légalité des délits et des peines dans les termes précisés par la Cour dans l’arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936).


1      Langue originale : l’italien.


2      Règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1).


3      Mise en italique par mes soins. La disposition modifiée, actuellement en vigueur, est en revanche ainsi libellée : « aux fins d’un examen préliminaire ou aux fins de la poursuite d’une infraction à la loi ».


4      La disposition modifiée, actuellement en vigueur, est en revanche ainsi libellée : « a) les demandes de renseignements écrites ; b) la décision du président du Conseil de la concurrence d’ouvrir une enquête ; c) l’exécution d’inspections ; d) la communication du rapport d’enquête ».


5      Voir observations écrites de la Commission, point 19.


6      Arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a. (205/82 à 215/82, EU:C:1983:233, point 17).


7      Ordonnance d’urgence du gouvernement no 31/2015. Selon l’exposé des motifs de l’ordonnance, les modifications apportées aux articles 61 et 62 de la loi « visent à éliminer les confusions concernant la prescription du droit de recours et le droit du Conseil de la concurrence d’imposer des sanctions » (voir note 7, p. 23, de la demande de décison préjudicielle).


8      Dont la réalisation d’inspections et la communication du rapport d’enquête (voir nouvel article 64 de la loi roumaine sur la concurrence).


9      Directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur (JO 2019, L 11, p. 3) (dite directive « ECN+ »), dont le délai de transposition expire le 4 février 2021.


10      Les nouvelles dispositions concernent uniquement l’obligation de suspendre ou d’interrompre les délais de prescription durant les procédures devant les autorités nationales de concurrence des États membres ou devant la Commission, ainsi que l’obligation de suspendre ou d’interrompre ces délais pendant la période durant laquelle la décision de l’autorité nationale de concurrence concernée fait l’objet d’une procédure pendante devant une instance de recours.


11      Voir arrêt du 7 décembre 2010, VEBIC (C‑439/08, EU:C:2010:739, point 56).


12      Arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a. (C‑550/07 P, EU:C:2010:512, point 113 et jurisprudence citée).


13      Arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a. (205/82 à 215/82, EU:C:1983:233, point 17).


14      Voir note 13 des présentes conclusions.


15      Arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389), où l’on lit au point 24 que « si l’établissement et l’application de ces règles relèvent de la compétence des États membres, ceux‑ci doivent exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union » ; voir aussi, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2009, Commission/Espagne (C‑154/08, non publié, EU:C:2009:695, point 121 et jurisprudence citée).


16      Arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389, point 24) ; arrêt du 16 juillet 1998, Oelmühle et Schmidt Söhne (C‑298/96, EU:C:1998:372, points 23 et 24 et jurisprudence citée). Dans le même sens, voir, également, arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, point 95) et arrêt du 18 septembre 2003, Pflücke (C‑125/01, EU:C:2003:477, points 33 et 34).


17      Arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer (C‑360/09, EU:C:2011:389, point 24).


18      Arrêt du 7 décembre 2010, VEBIC (C‑439/08, EU:C:2010:739, point 57).


19      Arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 55).


20      Arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 47).


21      Arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 46).


22      Conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Otis Gesellschaft e.a. (C‑435/18, EU:C:2019:651, point 40).


23      Voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 1). Voir, également, à ce propos, arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465) ; du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461) ; du 5 juin 2014, KONE e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:1317, point 25), et, récemment, du 12 décembre 2019, Otis Gesellschaft e.a. (C‑435/18, EU:C:2019:1069, en particulier point 24).


24      Arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:204, point 45).


25      On lit dans le considérant 7 du règlement no 1/2003 que « [l]es juridictions nationales remplissent une fonction essentielle dans l’application des règles communautaires de concurrence. Elles préservent les droits subjectifs prévus par le droit communautaire lorsqu’elles statuent sur des litiges entre particuliers, notamment en octroyant des dommages et intérêts aux victimes des infractions. Le rôle des juridictions nationales est, à cet égard, complémentaire de celui des autorités de concurrence des États membres. Il convient dès lors de leur permettre d’appliquer pleinement les articles [101 TFUE et 102 TFUE] ».


26      Directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union europénne (JO 2014, L 349, p. 1), ainsi que directive dite « ECN+ », citée à la note 9 des présentes conclusions.


27      Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:100, point 76), où l’on lit que « la mise en œuvre du droit de la concurrence de l’Union par la sphère publique forme avec la mise en œuvre de ce droit sur l’initiative de la sphère privée un système de mise en œuvre complet, dont les deux branches doivent être considérées comme un tout ».


28      Chieppa, R., « Coordination between Private and Public Antitrust Enforcement in Italy and in the EU. Due modalità di un sistema bilanciato di enforcement », in « Il private antitrust enforcement in Italia e nell’Unione europea : scenari applicativi e le prospettive del mercato . Atti del VII Convegno Antitrust di Trento », 11‑13 avril 2019 – (a cura di) Gian Antonio Benacchio, Michele Carpagnano, 2019.


29      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:100, point 47), où l’on lit que « la mise en œuvre du droit de la concurrence sur l’initiative de la sphère privée moyennant des actions en réparation offre un élément complémentaire de dissuasion de comportements anticoncurrentiels, dissuasion que, à elle seule, la mise en œuvre du droit par la sphère publique ne parvient pas à mener à bien ».


30      Arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 41). Encore plus clairement, en ce qui concerne spécifiquement l’article 101 TFUE, la Cour a précisé dans l’arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:204, point 43), que « le droit de toute personne de demander réparation du préjudice causé par une entente ou une pratique interdite par l’article 101 TFUE assure la pleine efficacité de cet article, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée au paragraphe 1 de celui‑ci » (mise en italique par mes soins).


31      « La mise en œuvre du droit de la concurrence de l’Union par la sphère publique et la mise en œuvre de ce droit sur l’initiative de la sphère privée [sont] complémentaires et form[e]nt un ensemble », comme on peut le lire dans les conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:100, point 80).


32      Conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 77), et, en ce sens, plus anciennement, arrêts du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 62) ; du 6 juin 2013, Donau Chemie e.a. (C‑536/11, EU:C:2013:366, point 27), et du 5 juin 2014, KONE e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:1317, point 25).


33      Arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 44).


34      Conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:32, point 85).


35      Voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 45).


36      Observations écrites de la Commission, point 34.


37      Arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555, point 47), dans lequel la Cour a suggéré à la juridiction de vérifier si « l’application des dispositions nationales en matière d’interruption de la prescription aurait pour effet que, dans un nombre considérable des cas, les faits constitutifs de fraude grave ne seront pas pénalement punis, dans la mesure où ces faits seront généralement prescrits avant que la sanction pénale prévue par la loi puisse être infligée par une décision judiciaire définitive ». Si tel était le cas, « il y aurait lieu de constater que les mesures prévues par le droit national pour combattre la fraude et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, ne sauraient être considérées comme étant effectives et dissuasives, ce qui serait incompatible avec l’article 325, paragraphe 1, TFUE, l’article 2, paragraphe 1, de la convention [relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes] ainsi que la directive 2006/112, lue en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE ».


38      Arrêts du 5 juin 2018, Kolev e.a. (C‑612/15, EU:C:2018:392, point 65), et du 17 janvier 2019, Dzivev e.a. (C‑310/16, EU:C:2019:30, point 31).


39      Points 62 et suiv. des présentes conclusions.


40      Voir, ex multis, arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften (C‑684/16, EU:C:2018:874, point 59). Comme l’explique la Cour au point 60 de cet arrêt, « l’exigence d’une telle interprétation conforme inclut, notamment, l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle‑ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit ».


41      Observations écrites de la Commission, point 39.


42      Arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, points 61 et 62).


43      Observations écrites de la Commission, point 41.


44      Arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555).


45      Arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936).


46      Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, points 88 et 89), où l’on lit que, « [e]n ce qui concerne les règles de procédure, celles‑ci sont censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur. [...] En revanche, tel n’est pas le cas des règles de fond. Celles-ci ne sont pas rétroactives, sauf expression contraire du législateur de l’Union ». Voir, en ce sens, comme indiqué dans les observations écrites de la Commission, note 19, la décision no 297/2018 de la Curtea Constituțională a României (Cour constitutionnelle, Roumanie), qui accueille l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 155, paragraphe 1, du code pénal roumain, publiée le 25 juin 2018.


47      Arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936).


48      La Cour européenne des droits de l’homme utilise trois critères pour déterminer si une accusation relève du domaine pénal : la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature répressive et dissuasive de la sanction, ainsi que le degré de sévérité de la sanction dont est passible, a priori, l’intéressé (Cour EDH, 8 juin 1976, Engel e.a. c. Pays-Bas (CE:ECHR:1976:0608JUD000510071), § 82. Pour un panorama de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’application de ces critères, voir Cour EDH, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande (CE:ECHR:2006:1123JUD007305301), §§ 29‑39). La Cour européenne des droits de l’homme a adopté un tel raisonnement pour diverses sanctions administratives, dont les sanctions infligées par les autorités nationales de concurrence (voir Cour EDH, 9 février 1990, Melchers and Co. c. Allemagne (CE:ECHR:1990:0209DEC001325887) ; Cour EDH, 30 mai 1991, Société Stenuit c. France (CE:ECHR:1992:0227JUD001159885), et Cour EDH, 14 octobre 2003, Lilly France c. France (CE:ECHR:2003:1014JUD005389200). Voir, également, Cour EDH, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande (CE:ECHR:2006:1123JUD007305301), § 43, Cour EDH, 11 juin 2009, Dubus S.A. c. France (CE:ECHR:2009:0611JUD000524204), § 35, et, pour une interprétation isolée, Cour EDH, 3 juin 2004, OOO Neste e.a. c. Russie, n° 69042/01). Pour toutes ces références, voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, points 48 à 52 et jurisprudence citée).


49      Voir Cour EDH, 14 octobre 2003, Lilly France c. France (CE:ECHR:2003:1014JUD005389200) ; 11 juin 2009, Dubus S.A. c. France (CE:ECHR:2009:0611JUD000524204),§§ 37‑38 ; 27 septembre 2011, A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie (CE:ECHR:2011:0927JUD004350908), §§ 38‑44, et 23 octobre 2018, Produkcija Plus Storitveno podjetje d.o.o. c. Slovénie (CE:ECHR:2018:1023JUD004707215), §§ 45‑46.


50      Arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 78). Cette jurisprudence a été confirmée dans l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, EU:C:2009:536, point 77).


51      Arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C‑199/92 P, EU:C:1999:358) ; la Cour a jugé que, étant donné la nature des infractions en cause, ainsi que le degré de sévérité des sanctions y associées, le principe de la présomption d’innocence s’appliquait aux procédures relatives à la violation de règles de droit de la concurrence applicables à des entreprises susceptibles de cesser d’exister en cas de condamnation à des pénalités ou amendes.


52      Donc, par hypothèse, également celles imposées par les diverses autorités nationales de concurrence sur la base des pouvoirs décentralisés que leur confie le règlement no 1/2003.


53      Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, point 49).


54      Voir point 36 de la demande de décision préjudicielle.


55      Voir point 70 de la demande de décision préjudicielle.


56      Voir observations écrites du Conseil de la concurrence, note 37, où il est indiqué que a) certaines juridictions ont jugé que la décision d’ouverture de l’enquête est le dernier acte de l’autorité susceptible d’interrompre le délai de prescription ; les actions menées ultérieurement par le Conseil de la concurrence aux fins d’enquêter sur l’infraction n’ont pas d’effet interruptif ; l’enquête de l’autorité de concurrence doit être achevée dans un délai de cinq ans à compter de la date d’ouverture de l’enquête ; ce n’est qu’à la suite des modifications apportées par l’OUG no 31/2015 que la loi sur la concurrence a été harmonisée avec les dispositions du règlement no 1/2003, en ce sens que le délai de prescription peut être interrompu par toute action menée par l’autorité aux fins d’enquêter sur l’infraction ; alors que b) d’autres juridictions ont adopté la position suivante : la décision d’ouverture de l’enquête n’est pas le dernier acte de l’autorité interrompant le délai de prescription ; toute action menée par l’autorité aux fins d’enquêter sur l’infraction a un effet interruptif ; l’infliction de la sanction est soumise à un délai de dix ans à compter de la date à laquelle les faits ont pris fin (délai de prescription spécial) qui représente donc la limite supérieure de la période d’enquête ; les modifications apportées par l’OUG no 31/2015 sont exclusivement des modifications d’ordre formel dans la mesure où la loi sur la concurrence a été harmonisée avec les dispositions du règlement no 1/2003 par l’OUG no 121/2003, prévoyant que les actions interrompant le délai de prescription sont celles menées aux fins d’enquêter sur l’infraction, incluant les demandes de renseignements et la communication des griefs, en tant qu’actes procéduraux postérieurs à l’adoption de la décision d’ouverture de l’enquête.