Language of document : ECLI:EU:C:2022:120

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

24 février 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale – Directive 79/7/CEE – Article 4, paragraphe 1 – Prohibition de toute discrimination fondée sur le sexe – Employés de maison – Protection contre le chômage – Exclusion – Désavantage particulier pour les travailleurs féminins – Objectifs légitimes de politique sociale – Proportionnalité »

Dans l’affaire C‑389/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 2 de Vigo (tribunal administratif au niveau provincial no 2 de Vigo, Espagne), par décision du 29 juillet 2020, parvenue à la Cour le 14 août 2020, dans la procédure

CJ

contre

Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS),

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Passer, F. Biltgen, Mme L. S. Rossi (rapporteure) et M. N. Wahl, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 juin 2021,

considérant les observations présentées :

–        pour CJ, par M. J. de Cominges Cáceres, abogado,

–        pour la Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS), par Mme M. S. Amaya Pilares et M. E. Ablanedo Reyes, letrados,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. Ruiz Sánchez et M. S. Jiménez García, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes I. Galindo Martín et A. Szmytkowska, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 septembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24), ainsi que de l’article 5, sous b) et de l’article 9, paragraphe 1, sous e) et k), de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant CJ à la Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS) [Trésorerie générale de la sécurité sociale (TGSS), Espagne] au sujet d’une demande de CJ de cotiser au titre de la protection contre le risque de chômage.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 79/7

3        Aux termes du deuxième considérant de la directive 79/7 :

« considérant qu’il convient de mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale en premier lieu dans les régimes légaux qui assurent une protection contre les risques de maladie, d’invalidité, de vieillesse, d’accident du travail, de maladie professionnelle et de chômage, ainsi que dans les dispositions concernant l’aide sociale dans la mesure où elles sont destinées à compléter les régimes précités ou à y suppléer ».

4        L’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« La présente directive s’applique :

a)      aux régimes légaux qui assurent une protection contre les risques suivants :

–        maladie,

–        invalidité,

–        vieillesse,

–        accident du travail et maladie professionnelle,

–        chômage ;

[...] »

5        L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne :

–        le champ d’application des régimes et les conditions d’accès aux régimes,

[...] »

 La directive 2006/54

6        L’article 1er de la directive 2006/54, intitulé « Objet », est ainsi libellé :

« La présente directive vise à garantir la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

À cette fin, elle contient des dispositions destinées à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne :

[...]

c)      les régimes professionnels de sécurité sociale.

[...] »

7        L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », énonce, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b)      “discrimination indirecte” : la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires ;

[...]

f)      “régimes professionnels de sécurité sociale”: les régimes non régis par la directive [79/7] qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative. »

8        L’article 5 de ladite directive, intitulé « Interdiction de toute discrimination », dispose :

« Sans préjudice de l’article 4, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les régimes professionnels de sécurité sociale, en particulier en ce qui concerne :

a)      le champ d’application de tels régimes et les conditions d’accès à de tels régimes ;

b)      l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations ;

[...] »

9        L’article 9 de la même directive, intitulé « Exemples de discrimination », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sont à classer au nombre des dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement celles qui se fondent sur le sexe, soit directement, soit indirectement, pour :

[...]

e)      fixer des conditions différentes d’octroi des prestations ou réserver celles-ci aux travailleurs de l’un des deux sexes ;

[...]

k)      prévoir des normes différentes ou des normes applicables seulement aux travailleurs d’un sexe déterminé, sauf dans la mesure prévue aux points h) et j), en ce qui concerne la garantie ou le maintien du droit à des prestations différées quand le travailleur quitte le régime. »

 Le droit espagnol

 La LGSS

10      L’article 251 de la Ley General de la Seguridad Social (loi générale sur la sécurité sociale), dans sa version consolidée approuvée par le Real Decreto Legislativo 8/2015 (décret royal législatif 8/2015), du 30 octobre 2015 (BOE no 261, du 31 octobre 2015, p. 103291, et rectificatif BOE no 36, du 11 février 2016, p. 10898) (ci-après la « LGSS »), intitulé « Action protectrice », est ainsi libellé :

« Les travailleurs relevant du système spécial applicable aux employés de maison ont droit aux prestations de sécurité sociale selon les modalités et les conditions établies au présent régime général de la sécurité sociale, avec les particularités suivantes :

[...]

d)      La protection octroyée par le système spécial applicable aux employés de maison ne comprend pas la protection contre le chômage. »

11      L’article 264 de la LGSS, intitulé « Personnes protégées », énonce, à son paragraphe 1 :

« Sont couverts par la protection contre le chômage, à condition qu’ils prévoient de cotiser à ce titre :

a)      les travailleurs salariés qui relèvent du régime général de la sécurité sociale ;

[...] »

 Le décret royal 625/1985

12      L’article 19 du Real Decreto 625/1985, por el que se desarrolla la Ley 31/1984, de 2 de agosto, de protección por desempleo (décret royal 625/1985, portant application de la loi 31/1984, du 2 août 1984, relative à la protection contre le chômage), du 2 avril 1985 (BOE no 109, du 7 mai 1985, p. 12699, et rectificatif BOE no 134, du 5 juin 1985, p. 16992), intitulé « Cotisation », énonce, à son paragraphe 1 :

« Sont tenus de cotiser au titre du risque de chômage l’ensemble des entreprises et des travailleurs relevant du régime général et des régimes spéciaux de la sécurité sociale qui offrent une protection contre ce risque. [...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      CJ, employée de maison, travaille pour un employeur, personne physique. Depuis le mois de janvier 2011, elle est affiliée au système spécial de sécurité sociale applicable aux employés de maison (ci-après le « système spécial des employés de maison »).

14      Le 8 novembre 2019, CJ a adressé à la TGSS une demande de cotiser au titre de la protection contre le chômage, afin d’acquérir le droit aux prestations de chômage. Cette demande était assortie du consentement écrit de son employeur à verser la cotisation demandée.

15      Par décision du 13 novembre 2019, la TGSS a rejeté ladite demande au motif que, CJ étant affiliée au système spécial des employés de maison, la possibilité pour elle de cotiser à ce système afin d’obtenir une protection contre le chômage était expressément exclue à l’article 251, sous d), de la LGSS. Cette décision a été confirmée par une décision de la TGSS du 19 décembre 2019, prise à la suite d’un recours hiérarchique introduit par CJ.

16      Le 2 mars 2020, CJ a formé un recours contre la seconde décision de la TGSS devant le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 2 de Vigo (tribunal administratif au niveau provincial no 2 de Vigo, Espagne). À l’appui de son recours, CJ fait en substance valoir que l’article 251, sous d), de la LGSS comporte une discrimination indirecte fondée sur le sexe en matière de sécurité sociale à l’égard des employés de maison de sexe féminin, qui constituent la quasi-totalité de ce groupe de travailleurs.

17      À cet égard, CJ relève que, bien que les employés de maison soient protégés contre une situation d’incapacité temporaire, lorsque celle-ci perdure, ils finissent par perdre leur emploi soit à la suite d’un accord, soit du fait du désistement de l’employeur, sans être protégés contre le chômage, contrairement aux autres travailleurs salariés. La situation des employés de maison ayant perdu leur emploi n’étant pas assimilée à celle des travailleurs affiliés à la sécurité sociale, l’exclusion de la protection contre le chômage impliquerait également l’impossibilité, pour ces employés, d’accéder à toute autre prestation ou allocation subordonnée à l’extinction du droit aux prestations de chômage. Ainsi, l’article 251, sous d), de la LGSS placerait lesdits employés dans une situation de détresse sociale, se traduisant non seulement, directement, par l’impossibilité d’accéder aux prestations de chômage, mais également, indirectement, par celle d’accéder aux autres aides sociales.

18      La juridiction de renvoi émet des doutes quant à la compatibilité de cette disposition nationale avec le droit de l’Union. Elle souligne qu’il est constant entre les parties au principal que le groupe de travailleurs affiliés au système spécial des employés de maison serait constitué presque exclusivement de personnes de sexe féminin. Cette juridiction considère dès lors que, en ce qu’elle refuse aux travailleurs féminins appartenant à ce groupe la possibilité d’accéder aux prestations de chômage, en les empêchant de cotiser pour couvrir ce risque, ladite disposition nationale est constitutive d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe dans l’accès aux prestations de sécurité sociale. En l’absence d’une quelconque motivation explicite à cet égard, cette discrimination ne serait pas justifiée et pourrait donc être interdite par les directives 79/7 et 2006/54.

19      Dans ces conditions, le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 2 de Vigo (tribunal administratif au niveau provincial no 2 de Vigo) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 4, paragraphe 1, de la [directive 79/7], disposition qui consacre l’égalité de traitement et s’oppose à toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe en ce qui concerne l’obligation de cotiser, ainsi que l’article 5, sous b), de la [directive 2006/54], disposition qui contient la même interdiction de discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe en ce qui concerne l’application des régimes sociaux et les conditions d’accès à ceux-ci, ainsi que l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale telle que l’article 251, sous d), de la LGSS, prévoyant que [“]la protection octroyée par le système spécial applicable aux employés de maison ne comprend pas la protection contre le chômage” ?

2)      Si la Cour devait répondre par l’affirmative à la première question, faut-il considérer que cette disposition législative constitue un exemple de discrimination interdite, au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous e) et/ou k), de la directive 2006/54, dans la mesure où les destinataires de la disposition en cause, à savoir l’article 251, sous d), de la LGSS sont presque exclusivement des femmes ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

20      La TGSS et le gouvernement espagnol excipent de l’irrecevabilité tant de la demande de décision préjudicielle que des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi.

21      S’agissant, en premier lieu, de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, ils font en substance valoir que le litige au principal porte en réalité non pas sur un prétendu droit à cotiser, mais sur la reconnaissance du droit aux prestations de chômage. Il s’ensuivrait, d’une part, que ce litige serait artificiel en ce sens que CJ aurait saisi la juridiction de renvoi sur la base de motifs fallacieux. D’autre part, en ce que cette reconnaissance relèverait de la compétence des juridictions sociales, la juridiction de renvoi ne serait pas compétente pour connaître d’un tel litige, en tant que juridiction administrative, de sorte qu’il n’y aurait aucun lien entre l’interprétation du droit de l’Union sollicitée et la solution de ce litige.

22      En outre, la TGSS soutient que, dans l’hypothèse où ledit litige porterait effectivement sur la reconnaissance d’un droit à cotiser, l’interprétation de la directive 79/7 ne serait pas nécessaire pour le résoudre, la question de la portée de l’action protectrice du système spécial des employés de maison étant dissociée de celle du financement de ce système.

23      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 115 ainsi que jurisprudence citée).

24      Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 116 ainsi que jurisprudence citée).

25      En particulier, comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie. Ainsi, la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 117 ainsi que jurisprudence citée).

26      En l’occurrence, ainsi qu’il a été exposé aux points 15 et 18 du présent arrêt, tout d’abord, le litige au principal porte sur le rejet, par la TGSS, d’une demande de cotiser au titre de la protection contre le risque de chômage, afin d’acquérir le droit aux prestations de chômage correspondantes. Ensuite, ce rejet est fondé sur l’exclusion de ces prestations du système spécial des employés de maison, au sens de l’article 251, sous d), de la LGSS. Enfin, cette exclusion, dès lors qu’elle s’appliquerait à un groupe de travailleurs composé presque exclusivement de femmes, serait susceptible, selon la juridiction de renvoi, de constituer une discrimination indirecte fondée sur le sexe, interdite par les directives 79/7 et 2006/54.

27      Dans ces conditions, d’une part, les questions posées par la juridiction de renvoi ne sont pas de nature hypothétique et, d’autre part, l’interprétation sollicitée du droit de l’Union est en rapport avec l’objet du litige au principal, en ce qu’il porte en réalité sur la reconnaissance du droit aux prestations de chômage, et apparaît nécessaire, au sens de la jurisprudence rappelée au point 25 du présent arrêt, pour permettre à la juridiction de renvoi de rendre son jugement en la mettant en mesure d’apprécier la compatibilité de la disposition nationale en cause au principal avec le droit de l’Union. Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

28      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument du gouvernement espagnol tiré d’une prétendue incompétence de la juridiction de renvoi pour connaître du litige au principal ainsi défini, en ce que celui-ci relèverait de la compétence des juridictions sociales. En effet, il suffit de rappeler, à cet égard, que, conformément à une jurisprudence constante, il n’appartient à la Cour ni de remettre en cause l’appréciation par la juridiction de renvoi de la recevabilité du recours au principal, qui relève, dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel, de la compétence du juge national, ni de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires. La Cour doit s’en tenir à la décision de renvoi émanant d’une juridiction d’un État membre, tant qu’elle n’a pas été rapportée dans le cadre des voies de recours prévues éventuellement par le droit national [arrêt du 16 juillet 2020, Governo della Repubblica italiana (Statut des juges de paix italiens), C‑658/18, EU:C:2020:572, point 61 et jurisprudence citée].

29      S’agissant, en second lieu, de la recevabilité des questions préjudicielles, le gouvernement espagnol, rejoint sur ce point par la Commission européenne, soutient, d’une part, que la directive 2006/54 n’est pas applicable au régime légal de sécurité sociale espagnol régi par la LGSS. Dans la mesure où ces questions portent sur la directive 2006/54, elles devraient dès lors être déclarées irrecevables.

30      D’autre part, le gouvernement espagnol conclut, de manière implicite, à l’irrecevabilité desdites questions également en ce qu’elles portent sur la directive 79/7. En effet, selon ce gouvernement, cette directive n’imposerait pas aux États membres d’instaurer une protection contre un risque particulier, tel que celui du chômage, ce qui impliquerait qu’une demande de cotiser au titre de ce risque afin d’acquérir le droit aux prestations correspondantes, telle que celle en cause au principal, ne relèverait pas du champ d’application de ladite directive.

31      À cet égard, il suffit de relever que, conformément à une jurisprudence constante, lorsqu’il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, l’objection tirée de l’inapplicabilité de cette disposition à l’affaire au principal n’a pas trait à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, mais relève du fond des questions (arrêt du 28 octobre 2021, Komisia za protivodeystvie na koruptsiyata i za otnemane na nezakonno pridobitoto imushtestvo, C‑319/19, EU:C:2021:883, point 25 et jurisprudence citée).

32      Dans ces conditions, eu égard aux considérations exposées aux points 26 et 27 du présent arrêt, les questions posées sont recevables.

 Sur le fond

33      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 et l’article 5, sous b), de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale qui exclut les prestations de chômage des prestations de sécurité sociale accordées aux employés de maison par un régime légal de sécurité sociale.

34      À cet égard, il y a lieu de relever, à titre liminaire, qu’il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour, ainsi que du libellé de l’article 251 de la LGSS, que le système spécial des employés de maison est intégré dans le régime général de sécurité sociale régi par la LGSS et que ces employés ont droit aux prestations de sécurité sociale selon les modalités et les conditions établies dans ce régime général. S’agissant, plus particulièrement, des prestations de chômage, il découle de l’article 264, paragraphe 1, sous a), de la LGSS que tous les travailleurs salariés qui relèvent dudit régime général sont, en principe, couverts par la protection contre le chômage, à condition qu’ils prévoient de cotiser à ce titre.

35      Ainsi, dès lors que, comme il a été relevé au point 26 du présent arrêt, le litige au principal a trait à la reconnaissance aux employés de maison de la protection contre le chômage dont ils sont exclus en vertu de l’article 251, sous d), de la LGSS, ce litige porte en substance sur l’étendue du champ d’application personnel des prestations de chômage accordées par le régime légal de sécurité sociale espagnol.

36      Il s’ensuit, d’une part, que les prestations de chômage en cause dans l’affaire au principal relèvent du champ d’application de la directive 79/7 et, partant, que celle-ci est applicable à cette affaire. En effet, ces prestations font partie d’un régime légal de protection contre l’un des risques énumérés à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de cette directive, à savoir le risque de chômage, et sont directement et effectivement liées à la protection contre ce risque [voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2021, INSS (Pension de veuvage fondée sur le concubinage), C‑244/20, non publié, EU:C:2021:854, point 43 et jurisprudence citée].

37      Cela implique, d’autre part, que la directive 2006/54 n’est pas applicable à l’affaire au principal. En effet, il ressort de l’article 1er, deuxième alinéa, sous c), de cette directive, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, sous f), de celle-ci, que ladite directive ne s’applique pas aux régimes légaux régis par la directive 79/7 [arrêt du 12 décembre 2019, Instituto Nacional de la Seguridad Social (Complément de pension pour les mères), C‑450/18, EU:C:2019:1075, point 34].

38      Dès lors, eu égard aux considérations exposées aux points 34 à 37 du présent arrêt, afin de répondre aux questions posées, il convient, en substance, d’apprécier si une disposition nationale, telle que l’article 251, sous d), de la LGSS, est susceptible de comporter une discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne le champ d’application personnel du régime légal de sécurité sociale espagnol qui assure une protection contre le chômage, au sens de l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 79/7, lu en combinaison avec le deuxième considérant et l’article 3, paragraphe 1, sous a), cinquième tiret, de celle-ci.

39      À cet égard, il y a lieu, d’emblée, de constater qu’une disposition nationale telle que celle en cause au principal ne comporte pas de discrimination directement fondée sur le sexe, dès lors qu’elle s’applique indistinctement aux travailleurs masculins et aux travailleurs féminins affiliés au système spécial des employés de maison.

40      S’agissant de la question de savoir si la même disposition nationale comporte une discrimination indirecte, il convient, en premier lieu, de rappeler que cette notion doit, dans le contexte de la directive 79/7, être comprise de la même manière que dans le contexte de la directive 2006/54 (arrêts du 8 mai 2019, Villar Láiz, C‑161/18, EU:C:2019:382, point 37 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 janvier 2021, INSS, C‑843/19, EU:C:2021:55, point 24). Or, il ressort de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de cette dernière directive que constitue une discrimination indirecte fondée sur le sexe, la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires.

41      L’existence d’un tel désavantage particulier pourrait être établie, notamment, s’il était prouvé que ladite disposition, ledit critère ou ladite pratique affecte négativement une proportion significativement plus importante des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe. Il revient au juge national d’apprécier si tel est le cas dans l’affaire au principal (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2019, Villar Láiz, C‑161/18, EU:C:2019:382, point 38, et du 21 janvier 2021, INSS, C‑843/19, EU:C:2021:55, point 25).

42      Dans l’hypothèse où le juge national disposerait de données statistiques, la Cour a jugé que celui-ci doit, d’une part, prendre en considération l’ensemble des travailleurs soumis à la réglementation nationale dans laquelle la différence de traitement trouve sa source et, d’autre part, comparer les proportions respectives des travailleurs qui sont et qui ne sont pas affectés par la prétendue différence de traitement au sein de la main-d’œuvre féminine relevant du champ d’application de cette réglementation et les mêmes proportions au sein de la main-d’œuvre masculine en relevant [voir, en ce sens, arrêts du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre), C‑223/19, EU:C:2020:753, point 52 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 janvier 2021, INSS, C‑843/19, EU:C:2021:55, point 26].

43      À cet égard, il incombe au juge national d’apprécier dans quelle mesure les données statistiques produites devant lui sont fiables et si celles-ci peuvent être prises en compte, c’est-à-dire si, notamment, elles ne sont pas l’expression de phénomènes purement fortuits ou conjoncturels et si elles sont suffisamment significatives [arrêts du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre), C‑223/19, EU:C:2020:753, point 51 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 janvier 2021, INSS, C‑843/19, EU:C:2021:55, point 27].

44      En l’occurrence, ainsi que l’a considéré M. l’avocat général, au point 58 de ses conclusions, il convient de prendre en considération non seulement les affiliés au système spécial des employés de maison, mais aussi l’ensemble des travailleurs soumis au régime général de sécurité sociale espagnol, au sein duquel ces affiliés sont intégrés (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2021, INSS, C‑843/19, EU:C:2021:55, point 28). En effet, comme il a déjà été relevé au point 35 du présent arrêt, la disposition nationale en cause au principal contribue à déterminer le champ d’application personnel des prestations de chômage accordées par ce régime général.

45      Or, il y a lieu de constater qu’il ressort des données statistiques présentées dans les observations orales de la TGSS que, d’une part, à la date du 31 mai 2021, le nombre des travailleurs salariés soumis audit régime général était de 15 872 720, dont 7 770 798 femmes (48,96 % des salariés) et 8 101 899 hommes (51,04 % des salariés). D’autre part, à la même date, le groupe de salariés affiliés au système spécial des employés de maison comptait 384 175 travailleurs, dont 366 991 femmes (95,53 % des affiliés à ce système spécial, soit 4,72 % des femmes salariés) et 17 171 hommes (4,47 % des affiliés audit système spécial, soit 0,21 % des hommes salariés).

46      Ainsi, il résulterait de ces données statistiques que la proportion des travailleurs salariés de sexe féminin soumis au régime général de sécurité sociale espagnol qui sont affectés par la différence de traitement découlant de la disposition nationale en cause au principal est significativement plus élevée que celle des salariés de sexe masculin.

47      Il s’ensuit que, si, à l’issue de l’appréciation qu’il lui incombe de mener, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 42 et 43 du présent arrêt, la juridiction de renvoi parvenait à la conclusion que lesdites données statistiques sont fiables, représentatives et significatives, il y aurait lieu de considérer que l’article 251, sous d), de la LGSS désavantage particulièrement les travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins.

48      Il en découlerait que cette disposition nationale comporterait une discrimination indirecte fondée sur le sexe contraire à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, à moins qu’elle ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. Tel est le cas si cette disposition répond à un objectif légitime de politique sociale, est apte à atteindre cet objectif et est nécessaire à cet effet, étant entendu qu’elle ne saurait être considérée comme étant propre à garantir l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre et si elle est mise en œuvre de manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêts du 20 octobre 2011, Brachner, C‑123/10, EU:C:2011:675, points 70 et 71 ainsi que jurisprudence citée, et du 21 janvier 2021, INSS, C‑843/19, EU:C:2021:55, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

49      La prétendue absence de comparabilité de la situation des employés de maison par rapport à celle des autres travailleurs salariés affiliés au régime général de sécurité sociale espagnol, alléguée par le gouvernement espagnol pour soutenir l’absence d’une telle discrimination indirecte, est dénuée de pertinence à cet égard.

50      En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, au point 47 de ses conclusions, contrairement à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite) (C‑451/16, EU:C:2018:492), évoqué par ce gouvernement, la disposition nationale en cause au principal ne constitue pas une discrimination directe fondée sur le sexe qui pourrait être mise en cause par la prétendue absence de comparabilité de la situation des employés de maison par rapport à celle des autres travailleurs salariés.

51      S’agissant, en second lieu, de l’existence d’un facteur objectif de justification au sens de la jurisprudence rappelée au point 48 du présent arrêt, il convient de souligner que, s’il appartient en dernier lieu au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure la disposition nationale en cause au principal est justifiée par un tel facteur objectif, la Cour, appelée à fournir à celui-ci des réponses utiles dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, est compétente pour donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises, de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer [arrêts du 20 octobre 2011, Brachner, C‑123/10, EU:C:2011:675, point 72 et jurisprudence citée, ainsi que du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre), C‑223/19, EU:C:2020:753, point 58 ainsi que jurisprudence citée].

52      Dans ce contexte, la Cour a itérativement jugé que, bien que, en choisissant les mesures susceptibles de réaliser les objectifs de leur politique sociale et de l’emploi, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation (arrêts du 20 octobre 2011, Brachner, C‑123/10, EU:C:2011:675, point 73 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 janvier 2021, INSS, C‑843/19, EU:C:2021:55, point 33), il incombe, toutefois, à l’État membre concerné, en sa qualité d’auteur de la règle présumée discriminatoire, de faire apparaître que cette règle remplit les conditions énoncées au point 48 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts du 20 octobre 2011, Brachner, C‑123/10, EU:C:2011:675, point 74, et du 17 juillet 2014, Leone, C‑173/13, EU:C:2014:2090, point 55).

53      En l’occurrence, le gouvernement espagnol et la TGSS font valoir, dans leurs observations écrites et orales, que la décision de politique législative d’exclure de la protection contre le chômage les employés de maison est liée aux spécificités de ce secteur professionnel. En effet, d’une part, le domaine de travail des employés de maison présenterait des taux d’occupation élevés, un faible niveau de qualification et, partant, de rémunération, et un pourcentage substantiel de travailleurs non affiliés au système de sécurité sociale. D’autre part, la relation de travail de ces employés se caractériserait par la nature non professionnelle de leur employeur, qui serait un chef de famille ne tirant pas profit du travail salarié desdits employés, et par le fait que cette relation se déroulerait dans le foyer familial, ce qui rendrait difficile tant la vérification des conditions pour l’accès aux prestations de chômage que les contrôles, en raison de l’inviolabilité du domicile.

54      Dans ce contexte, la hausse des charges et des coûts salariaux résultant de l’augmentation des cotisations pour couvrir le risque de chômage pourrait, selon ces intéressés, se traduire par une baisse des niveaux d’emploi dans ce domaine de travail, sous la forme d’une réduction des nouvelles embauches et des cessations d’emploi, ainsi que par des situations de travail illégal et de fraude sociale, et serait ainsi susceptible d’entraîner une réduction de la protection des employés de maison. La disposition nationale en cause au principal viserait dès lors à sauvegarder les niveaux d’emploi et à lutter contre le travail illégal et la fraude sociale à des fins de protection sociale des travailleurs.

55      Le gouvernement espagnol ajoute que cette disposition nationale est proportionnée à la réalisation des objectifs légitimes de politique sociale qu’elle poursuit. En effet, d’une part, à la seule exception des prestations de chômage, les employés de maison bénéficieraient, en principe, de toutes les prestations accordées par le régime général de sécurité sociale espagnol, en dépit d’une moindre contribution au financement de ce régime en raison de taux de cotisation réduits. En outre, l’exclusion de la protection contre le chômage concernerait un risque qui ne serait pas généralisé dans ce groupe de travailleurs.

56      D’autre part, l’exclusion des prestations de chômage de celles accordées par le système spécial des employés de maison n’entraînerait pas un manque total de protection à l’égard du risque de chômage, une allocation exceptionnelle et temporaire pour absence d’activité ayant été prévue en faveur de ces employés en raison de la cessation ou de la réduction de leur activité dans le contexte de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19.

57      À cet égard, s’agissant, premièrement, des objectifs poursuivis par la disposition nationale en cause au principal, il convient de relever que les finalités tenant, d’une part, à la sauvegarde des niveaux d’emploi et à la promotion de l’embauche et, d’autre part, à la lutte contre le travail illégal et la fraude sociale à des fins de protection sociale des travailleurs constituent des objectifs généraux de l’Union, ainsi qu’il résulte de l’article 3, paragraphe 3, TUE et de l’article 9 TFUE.

58      En outre, ainsi que l’a, en substance, relevé M. l’avocat général, au point 67 de ses conclusions, ces finalités ont été reconnues par la Cour comme, respectivement, un objectif légitime de politique sociale (voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa, C‑411/05, EU:C:2007:604, points 64 à 66, et du 2 avril 2020, Comune di Gesturi, C‑670/18, EU:C:2020:272, points 36 et 37 ainsi que jurisprudence citée), et une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales reconnues par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 28 ainsi que jurisprudence citée, et du 13 novembre 2018, Čepelnik, C‑33/17, EU:C:2018:896, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

59      Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que lesdites finalités pouvaient justifier une différence de traitement touchant nettement plus de femmes que d’hommes dans l’accès à un régime légal d’assurance chômage (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 1995, Megner et Scheffel, C‑444/93, EU:C:1995:442, points 27, 28 et 32).

60      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les objectifs poursuivis à l’article 251, sous d), de la LGSS sont, en principe, des objectifs légitimes de politique sociale, susceptibles de justifier la discrimination indirecte fondée sur le sexe que comporterait cette disposition nationale.

61      S’agissant, deuxièmement, de l’aptitude de ladite disposition nationale à réaliser ces objectifs, et notamment de la question de savoir si celle-ci est mise en œuvre de manière cohérente et systématique, il convient de relever, d’une part, que le fait de protéger les travailleurs au moyen de régimes de sécurité sociale entraînera par nature une augmentation des coûts associés à ce facteur de production pouvant, en fonction des circonstances caractérisant le marché de travail, affecter le niveau d’emploi dans tout secteur de ce marché, et, d’autre part, que l’existence même de tels régimes comporte le risque, indépendamment du secteur concerné, de voir la protection qu’ils offrent invoquée de manière frauduleuse.

62      Par conséquent, pour que la disposition nationale en cause au principal puisse être considérée comme étant mise en œuvre de manière cohérente et systématique au regard des objectifs évoqués au point 57 du présent arrêt, il doit être établi que la catégorie de travailleurs qu’elle exclut de la protection contre le chômage se distingue de manière pertinente d’autres catégories de travailleurs qui n’en sont pas exclues.

63      À cet égard, il découle des observations de la TGSS et du gouvernement espagnol que d’autres catégories de travailleurs dont la relation de travail se déroule à domicile pour des employeurs non professionnels, ou dont le domaine de travail présente les mêmes spécificités en termes de taux d’occupation, de qualification et de rémunération que celui des employés de maison, telles que les jardiniers et les chauffeurs particuliers ou les travailleurs agricoles et les travailleurs employés par des entreprises de nettoyage, sont toutes couvertes par la protection contre le chômage, et ce malgré des taux de cotisation parfois inférieurs à ceux applicables aux employés de maison.

64      Ainsi, le choix législatif d’exclure les employés de maison des prestations de chômage accordées par le régime général de sécurité sociale espagnol n’apparaît pas être mis en œuvre d’une manière cohérente et systématique par rapport à d’autres catégories de travailleurs qui bénéficient des mêmes prestations tout en présentant des caractéristiques et des conditions de travail analogues à celles des employés de maison évoquées au point 53 du présent arrêt et, partant, des risques analogues en termes de réduction des niveaux d’emploi, de fraude sociale et de recours au travail illégal.

65      En outre, il importe de souligner la circonstance, constante entre les parties au principal, que l’affiliation au système spécial des employés de maison ouvre, en principe, droit à toutes les prestations accordées par le régime général de sécurité sociale espagnol à l’exclusion de celles de chômage. En particulier, il ressort des observations du gouvernement espagnol que ce système couvre, notamment, les risques relatifs aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.

66      Or, dans la mesure où ces autres prestations apparaissent comme présentant les mêmes risques de fraude sociale que celles de chômage, cette circonstance apparaît susceptible de remettre en cause également la cohérence interne de la disposition nationale en cause au principal par rapport auxdites autres prestations. Dans ce contexte, il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier l’incidence, sur la cohérence de cette disposition nationale, de l’augmentation progressive des taux de cotisation applicables aux employés de maison, dont le gouvernement espagnol a fait état dans ses observations écrites.

67      Dans ces conditions, ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général, au point 99 de ses conclusions, il y a lieu de considérer que les éléments fournis par le gouvernement espagnol et la TGSS ne font pas apparaître que les moyens choisis par l’État membre concerné sont aptes à atteindre les objectifs légitimes de politique sociale poursuivis, ce qu’il appartient, toutefois, à la juridiction de renvoi d’apprécier.

68      Par ailleurs, il importe encore de relever, troisièmement, que, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi devrait néanmoins constater que la disposition nationale en cause au principal répond à des objectifs légitimes de politique sociale et qu’elle est apte à réaliser ces objectifs, il lui appartiendrait encore de vérifier si cette disposition ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation desdits objectifs.

69      Dans ce contexte, il ressort de la décision de renvoi ainsi que des observations orales de CJ que l’exclusion de la protection contre le chômage comporterait l’impossibilité, pour les employés de maison, d’obtenir d’autres prestations de sécurité sociale auxquelles ces employés auraient droit, dont l’octroi serait subordonné à l’extinction du droit aux prestations de chômage, telles que les allocations pour incapacité permanente ou les aides sociales pour les personnes sans travail.

70      Dès lors que cette exclusion entraînerait un plus grand manque de protection sociale des employés de maison se traduisant par une situation de détresse sociale, la disposition nationale en cause au principal n’apparaît pas, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi des conséquences alléguées de ladite exclusion sur l’octroi d’autres prestations sociales, nécessaire pour atteindre lesdits objectifs.

71      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale qui exclut les prestations de chômage des prestations de sécurité sociale accordées aux employés de maison par un régime légal de sécurité sociale, dès lors que cette disposition désavantage particulièrement les travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins, et qu’elle n’est pas justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

 Sur les dépens

72      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale qui exclut les prestations de chômage des prestations de sécurité sociale accordées aux employés de maison par un régime légal de sécurité sociale, dès lors que cette disposition désavantage particulièrement les travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins, et qu’elle n’est pas justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.