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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 12 avril 2016 (1)

Affaire C‑176/15

Guy Riskin,

Geneviève Timmermans

contre

État belge

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal de première instance de Liège (Belgique)]

« Droit fiscal – Libre circulation des capitaux (article 63, paragraphe 1, TFUE) – Impôt sur le revenu national – Revenus de dividendes – Imputation de retenues à la source perçues à l’étranger – Conventions préventives de double imposition – Traitement moins favorable des participations détenues dans des sociétés ayant leur siège dans un autre État membre par rapport à celles ayant leur siège dans un État tiers »





I –    Introduction

1.        La Cour s’est penchée à de multiples reprises sur le traitement des distributions de dividendes au regard de l’impôt sur le revenu. Les systèmes d’imposition des États membres, en particulier leurs mesures visant à prévenir la double imposition juridique et économique, sont, pour partie, très complexes et sont parfois entrés en conflit avec les libertés fondamentales prévues dans le traité.

2.        Dans ce contexte, la demande de décision préjudicielle belge concerne une question très simple : un État membre peut-il favoriser l’investissement dans des sociétés d’un État tiers par rapport à l’investissement dans des sociétés d’autres États membres au regard de l’impôt sur le revenu ? En l’espèce, la Cour va devoir clarifier deux points concernant les règles belges relatives à l’imputation de retenues à la source perçues à l’étranger sur des dividendes. En premier lieu se pose la question fondamentale de savoir si un traitement moins favorable d’investissements réalisés dans d’autres États membres, uniquement par rapport à des États tiers et non par rapport à des investissements nationaux, est susceptible de porter atteinte à la libre circulation des capitaux. Le cas échéant, il convient, en second lieu, d’analyser l’incidence justificative des conventions préventives de double imposition dans un cas de figure qui n’a pas encore été examiné par la Cour.

II – Cadre juridique

 Droit de l’Union

3.        L’article 4, paragraphe 3, TUE (2) dispose ce qui suit :

« 3.      En vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

[…] »

4.        L’article 49 TFUE (3) accorde le droit d’établissement suivant :

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.

[…] »

5.        Concernant les services, l’article 56 TFUE énonce ce qui suit :

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.

[…] »

6.        L’article 58 TFUE contient des dispositions complémentaires concernant les services dans le domaine des transports, des banques et des assurances.

7.        L’article 63, paragraphe 1, TFUE prévoit, en ce qui concerne la circulation des capitaux :

« 1.      Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites. »

 Droit international des traités

8.        La convention entre le Royaume de Belgique et la République de Pologne tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir la fraude et l’évasion en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune a été signée à Varsovie (Pologne) le 20 août 2001 (ci-après la « CDI Belgique/Pologne »).

9.        Concernant les revenus issus de dividendes, l’article 10 de la CDI Belgique/Pologne est rédigé comme suit :

« 1.      Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un État contractant à un résident de l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État.

2.      Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l’État contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet État […] »

10.      Pour prévenir la double imposition, l’article 23 de la CDI Belgique/Pologne prévoit la réglementation suivante :

« 1.      En ce qui concerne [le Royaume de] Belgique, la double imposition est évitée de la manière suivante :

[…]

b)      Sous réserve des dispositions de la législation belge relatives à l’imputation sur l’impôt belge des impôts payés à l’étranger, lorsqu’un résident [du Royaume de] Belgique reçoit des éléments de revenu qui sont compris dans son revenu global soumis à l’impôt belge et qui consistent en dividendes non exemptés d’impôt belge en vertu du [point] c) ci-après, en intérêts ou en redevances, l’impôt polonais perçu sur ces revenus est imputé sur l’impôt belge afférent auxdits revenus.

[…] »

 Droit national

11.      Le Royaume de Belgique prélève un impôt sur les revenus des personnes physiques. Il couvre les revenus de tous les résidents du Royaume de Belgique, indépendamment du point de savoir s’ils ont été perçus sur le territoire national ou à l’étranger.

12.      L’article 285 du code des impôts sur les revenus 1992 du Royaume de Belgique (ci‑après le « CIR belge ») énonce ce qui suit :

« Pour ce qui concerne les revenus de capitaux et biens mobiliers […], une quotité forfaitaire d’impôt étranger est imputée sur l’impôt lorsque ces revenus ont été soumis à l’étranger à un impôt analogue à l’impôt des personnes physiques, à l’impôt des sociétés ou à l’impôt des non-résidents, et lorsque lesdits capitaux et biens sont affectés en Belgique à l’exercice de l’activité professionnelle.

[…] »

13.      L’article 286 du CIR belge, dans la version applicable au litige au principal, ajoute ce qui suit :

« La quotité forfaitaire d’impôt étranger est fixée à quinze quatre-vingts cinquièmes du revenu net […]

[…] »

III – Litige au principal

14.      Le litige au principal concerne l’impôt sur le revenu de M. Guy Riskin et de Mme Geneviève Timmermans (ci-après « les contribuables ») relatif à l’année 2010.

15.      Les contribuables détenaient une participation dans la société Auto Truck Centrum Sp. z o.o., établie en Pologne. Cette société leur a versé des dividendes pour un montant s’élevant à près de 15 000 euros. La République de Pologne a prélevé un impôt sur le paiement de ces dividendes.

16.      L’imputation de l’impôt polonais sur l’impôt belge sur le revenu des contribuables au titre de l’article 285 du CIR belge leur a été refusée au motif qu’ils n’avaient pas affecté leur participation à l’exercice d’une activité professionnelle en Belgique. Les contribuables ont contesté cette décision en faisant valoir qu’ils faisaient l’objet d’une discrimination contraire au droit de l’Union. En effet, pour des contribuables détenant une participation dans une société établie dans certains États tiers et non en Pologne, l’imputation de l’impôt étranger serait possible.

IV – Procédure devant la Cour

17.      Dans ces conditions, le tribunal de première instance de Liège (Belgique) a saisi la Cour le 20 avril 2015, conformément à l’article 267 TFUE, des questions suivantes :

« 1)      La règle de droit inscrite à l’article 285 du [CIR belge], validant implicitement la double imposition de dividendes étrangers dans le chef d’une personne physique résidente en Belgique, est-elle conforme aux principes de droit [de l’Union] consacrés [à] l’article 63 [TFUE], lu en combinaison avec l’article 4 [TUE], en ce qu’elle permet [au Royaume de] Belgique de favoriser à son gré, selon les dispositions de droit belge auxquelles la convention préventive de double imposition négociée par [le Royaume de] Belgique renvoie, à savoir selon qu’elle renvoie à l’article 285 [du CIR belge] qui fixe les conditions d’imputation ou à l’article 286 [de ce code] qui fixe uniquement le taux d’imputation de la quotité forfaitaire d’impôt, des investissements dans des États tiers [États-Unis d’Amérique] au détriment de ceux pouvant être réalisés dans les États membres de l’Union [République de Pologne] ?

2)      Dans la mesure où il subordonne la possibilité d’imputer l’impôt étranger sur l’impôt belge à la condition que les capitaux et biens à l’origine des revenus soient affectés en Belgique à l’exercice de l’activité professionnelle, l’article 285 du [CIR belge] n’est-il pas en contradiction avec les articles 49, 56 et 58 [TFUE] ? »

18.      Devant la Cour, les contribuables, le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites sur ces questions.

V –    Analyse juridique

19.      Par ses deux questions, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si une disposition telle que la disposition belge relative à l’imputation de retenues à la source perçues à l’étranger sur des dividendes est, sous différents aspects, compatible avec les libertés fondamentales. À cet égard, la première question porte sur la différence d’imputation selon que la retenue à la source est perçue en Pologne ou dans un État tiers. La seconde question doit être comprise, à la lumière de la motivation de la décision de renvoi, en ce sens qu’elle concerne la différence d’imputation selon que l’activité professionnelle à laquelle une participation est affectée est exercée sur le territoire national ou dans un autre État membre.

A –    Sur la recevabilité

20.      En premier lieu, il convient d’examiner la recevabilité des deux questions préjudicielles. En effet, en vertu d’une jurisprudence constante, la Cour peut refuser de statuer sur une question préjudicielle s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’est pas pertinente pour la solution du litige ou lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la question qui lui est posée (4).

1.      Sur la recevabilité de la première question préjudicielle

21.      Concernant les éléments de droit nécessaires pour répondre à la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi n’expose pas les circonstances juridiques précises caractérisant une inégalité de traitement entre des investissements réalisés en Pologne et dans des États tiers. La décision de renvoi ne reproduit pas le contenu des conventions préventives de double imposition que le Royaume de Belgique a conclues avec des États tiers et ne décrit pas non plus l’influence de ces conventions sur le droit belge applicable au litige au principal.

22.      De surcroît, la décision de renvoi cite les États-Unis d’Amérique comme seul État tiers dont la retenue à la source sur les dividendes serait, d’après les constatations de la juridiction de renvoi, l’objet d’une imputation plus étendue que la retenue à la source polonaise. Or, tant les contribuables que le Royaume de Belgique ont contesté de manière circonstanciée l’existence d’une telle inégalité de traitement dans la procédure devant la Cour. Ce n’est pas la convention préventive de double imposition que le Royaume de Belgique a conclue avec les États-Unis d’Amérique, mais celle conclue avec le Japon, entre autres, qui contiendrait une règle d’imputation plus favorable que la CDI Belgique/Pologne applicable au litige au principal.

23.      Les éléments de fait présentés par la juridiction de renvoi sont également incomplets dans la mesure où ils ne fournissent aucune information sur l’étendue de la participation des contribuables dans la société polonaise. En effet, étant donné que l’article 285 du CIR belge semble applicable indépendamment du montant de la participation, l’étendue de la participation des contribuables dans la société polonaise est déterminante pour trancher la question de savoir quelle liberté fondamentale doit être prise en compte dans la présente affaire (5).

24.      En dépit de ce manque de précision du cadre factuel et juridique de la première question préjudicielle, les éléments disponibles sont suffisants pour pouvoir y répondre. On doit, cependant, pour cela, se fonder sur un double postulat que la juridiction de renvoi doit encore vérifier, le cas échéant, dans le litige au principal.

25.      Premièrement, on doit d’abord partir du principe qu’il existe au moins un État tiers (ci-après « l’État tiers ») dont la retenue à la source serait en l’espèce imputée sur l’impôt belge si la société était établie dans cet État tiers et non en Pologne. On doit ensuite supposer que cette imputation interviendrait sur la base d’une obligation correspondante du Royaume de Belgique résultant d’une convention préventive de double imposition conclue avec l’État tiers.

26.      Deuxièmement, il convient de considérer, eu égard à l’interprétation de l’article 63 TFUE demandée par la juridiction de renvoi, que les contribuables ne détenaient pas une participation dans la société polonaise leur permettant d’exercer une influence certaine sur ses décisions et de déterminer les activités de celle-ci. Dans un tel cas, les contribuables ne seraient effectivement protégés que par la liberté d’établissement de l’article 49 TFUE (6).

27.      Dans ces conditions, la première question préjudicielle est recevable.

2.      Sur la recevabilité de la seconde question préjudicielle

28.      La seconde question préjudicielle – telle qu’elle doit être comprise à la lumière de la motivation de la décision de renvoi – est, en revanche, irrecevable, parce qu’il est manifeste, compte tenu des éléments de fait fournis par la juridiction de renvoi, qu’elle n’est pas pertinente pour la solution du litige.

29.      La question de savoir si le droit de l’Union requiert qu’une imputation de la retenue à la source polonaise soit accordée, conformément à l’article 285 du CIR belge, lorsqu’une activité professionnelle, à laquelle la participation doit être affectée, est exercée dans un autre État membre que le Royaume de Belgique, est sans importance au regard de la solution du litige au principal. En effet, la décision de renvoi ne précise pas le fait que les contribuables aient affecté la participation litigieuse à l’exercice d’une activité professionnelle, que ce soit sur le territoire national ou à l’étranger. Les contribuables ont même soutenu le contraire dans la procédure devant la Cour.

B –    Sur la réponse à la première question préjudicielle

30.       Par sa première et seule question préjudicielle recevable, la juridiction de renvoi veut savoir, en substance, si une réglementation nationale telle que celle en cause, qui prévoit une imputation générale des retenues à la source perçues à l’étranger sur les dividendes lorsque la société distributrice est établie dans l’État tiers, mais pas lorsque cette société est établie dans un autre État membre, en particulier la République de Pologne, est compatible avec la libre circulation des capitaux.

1.      Sur la restriction à la libre circulation des capitaux

31.      À cet égard, il convient d’examiner l’hypothèse d’une restriction à la libre circulation des capitaux. L’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit, entre autres, toutes les mesures qui sont de nature à dissuader les résidents de faire des investissements dans d’autres États (7).

32.      Le point de savoir si le refus de l’imputation de la retenue à la source polonaise sur les dividendes en tant que tel – et donc indépendamment d’une comparaison avec les possibilités d’imputation dans le cas d’un État tiers – constitue une restriction à la libre circulation des capitaux n’est pas l’objet de la question préjudicielle. À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’une double imposition juridique de dividendes ne constituait pas, en principe, une restriction à une liberté fondamentale. En effet, elle est la conséquence de l’exercice parallèle des compétences fiscales de différents États membres (8). Aucun des États membres concernés n’est donc responsable du désavantage découlant de la double imposition juridique. Selon la jurisprudence, les libertés fondamentales ne peuvent, dès lors, pas non plus, en principe, obliger l’État membre de l’actionnaire à prévenir la double imposition juridique en prévoyant, notamment, l’imputation de la retenue à la source perçue dans l’autre État membre sur son propre impôt (9). C’est pourquoi le Royaume de Belgique est en principe libre, en l’espèce, d’imputer la retenue à la source polonaise ou pas.

33.      Il convient, toutefois, de distinguer cette faculté des États membres à effectuer une double imposition juridique de la question de savoir si le Royaume de Belgique peut, dans le respect de la libre circulation des capitaux, réserver aux actionnaires de sociétés établies dans certains États l’imputation générale d’un impôt payé sur des dividendes dans l’État de la source. En effet, un désavantage qui en résulterait pour d’autres actionnaires n’est pas la conséquence d’un exercice parallèle des compétences fiscales de différents États membres, mais résulte uniquement de la décision du Royaume de Belgique d’aménager différemment l’imputation de la retenue à la source perçue sur les dividendes selon l’État de la source (10). En effet, l’article 23, paragraphe 1, sous b), de la CDI Belgique/Pologne laisse au droit belge le soin de déterminer l’étendue de l’imputation de la retenue à la source polonaise.

34.      Dans cette mesure, on ne pourrait toutefois constater, en l’espèce, l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux que si l’article 63, paragraphe 1, TFUE interdisait un traitement différencié des investissements réalisés dans un État membre, d’une part, et dans un État tiers, d’autre part. En effet, cette disposition interdit avant tout de favoriser les dividendes versés par des sociétés nationales par rapport aux dividendes provenant de sociétés ayant leur siège dans un autre État membre (11) ou dans un État tiers (12).

35.      Concernant la pertinence d’une inégalité de traitement des dividendes provenant de différents États étrangers, la Cour a, à ce jour, formulé deux constatations. D’une part, l’article 63, paragraphe 1, TFUE s’oppose, en principe, au traitement différencié des dividendes provenant de différents États membres (13). D’autre part, un traitement différencié des revenus provenant de différents États tiers n’est pas contraire à la libre circulation des capitaux (14). Il n’y a pas lieu, en l’espèce, d’examiner la situation particulière des États tiers qui sont parties à l’accord EEE.

36.      Cette différenciation ne peut s’expliquer que par le fait que les mouvements de capitaux avec les autres États membres jouissent, dans le cadre de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, d’une protection plus importante que les mouvements de capitaux avec les États tiers. Les mouvements de capitaux avec un État tiers ne sont protégés que dans la mesure où ils sont désavantagés par rapport aux mouvements de capitaux nationaux. En revanche, les mouvements de capitaux avec un autre État membre sont en outre protégés contre l’existence de conditions plus favorables pour des investissements dans d’autres États membres.

37.      Il résulte presque obligatoirement de cette protection différenciée que l’article 63, paragraphe 1, TFUE prévoit, pour les investissements effectués dans d’autres États membres, d’une part, et dans des États tiers, d’autre part, que le traitement moins favorable des dividendes provenant d’un autre État membre par rapport aux dividendes provenant d’un État tiers constitue également une restriction à la libre circulation des capitaux. En effet, si la jurisprudence considère déjà que le traitement moins favorable des mouvements de capitaux avec un autre État membre par rapport aux mouvements de capitaux avec un autre État membre différent est en principe interdit, il doit en aller de même, a fortiori, en cas de traitement moins favorable par rapport aux mouvements de capitaux avec un État tiers, auxquels l’article 63, paragraphe 1, TFUE n’offre qu’une protection comparativement moins importante.

38.      Le fait que la jurisprudence considère que le principe général de non‑discrimination en raison de la nationalité (actuel article 18 TFUE) ne s’oppose pas, en principe, en raison de son champ d’application limité, à un traitement discriminatoire des ressortissants des États membres par rapport à ceux des États tiers (15), ne fait pas obstacle à cette approche. En effet, le champ d’application de la libre circulation des capitaux soumise à examen en l’espèce va au-delà. Conformément à l’article 63, paragraphe 1, TFUE, celle-ci s’applique aux mouvements de capitaux non seulement avec les autres États membres mais également avec les États tiers.

39.      Étant donné qu’une imputation de la retenue à la source perçue sur les dividendes en République de Pologne n’est pas possible en l’espèce, alors que celle-ci aurait lieu si la société était établie dans l’État tiers, la présente réglementation constitue une restriction à la libre circulation des capitaux.

2.      Sur la justification de la restriction

40.      Selon la jurisprudence, une restriction à la libre circulation des capitaux n’est compatible avec l’article 63, paragraphe 1, TFUE que s’il existe un motif suffisant pour justifier la différence de traitement. Tel est le cas lorsque la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (16).

41.      Dans cette mesure, le fait que le Royaume de Belgique ait pris la décision d’aménager différemment l’imputation des retenues à la source perçues à l’étranger selon l’État de la source dans le contexte d’obligations de droit international conventionnel différentes est important au cas particulier. Alors que la CDI Belgique/Pologne lui laisse le choix, en l’espèce, d’imputer la retenue à la source polonaise, la convention préventive de double imposition avec l’État tiers prévoit une obligation d’imputer la retenue à la source perçue par cet État tiers (17).

42.      Dans l’arrêt D., la Cour a déjà constaté que des non-résidents établis dans différents États membres pouvaient être traités différemment par l’État membre d’accueil des capitaux lorsqu’un avantage fiscal découlait d’une convention bilatérale préventive de double imposition. En effet, un tel avantage, qui ne s’applique qu’aux assujettis résidant dans l’État membre partie à la convention, ne saurait être détaché des autres dispositions de la convention, mais ferait partie intégrante de son équilibre général (18).

43.      Il ne s’agit, certes, pas, en l’espèce, d’une restriction à la libre circulation des capitaux opérée par l’État membre d’accueil, mais par l’État membre d’origine des capitaux. En effet, le Royaume de Belgique traite les résidents différemment selon le lieu d’investissement de leurs capitaux. Toutefois, la décision de la Cour dans l’arrêt D. est transposable à la présente espèce. Effectivement, les dispositions distinctes relatives à l’imputation de la retenue à la source figurant dans les conventions préventives de double imposition conclues avec l’État membre d’accueil des capitaux ne sont pas, là non plus, détachables des autres dispositions de ces conventions. Par ailleurs, cette situation est la même s’agissant de conventions préventives de double imposition conclues avec les États membres ou avec des États tiers.

44.      La libre circulation des capitaux ne peut donc pas obliger, d’une manière générale, un État membre à accorder des avantages fiscaux, auxquels il s’est engagé dans une convention préventive de double imposition dans le cadre d’une répartition générale équilibrée des pouvoirs d’imposition superposés des États parties à la convention, également dans des situations qui ne sont pas soumises à cette convention ni aux autres contraintes qui en découlent. Le fait que cela puisse être établi en ces termes généraux résulte aussi de la circonstance que l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE permet expressément aux États membres – ne serait-ce que dans le cadre des engagements du paragraphe 3 de cette même disposition et de la jurisprudence y afférente (19) – d’établir une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis.

45.      Compte tenu de ce poids comparativement plus faible de la libre circulation des capitaux en droit fiscal (20), il n’y a pas non plus lieu en l’espèce – ainsi que dans l’arrêt D. – d’examiner la proportionnalité de l’inégalité de traitement découlant des conventions préventives de double imposition (21), qui est régulièrement une condition pour justifier une restriction à la libre circulation des capitaux (22). Pour la même raison, l’exigence de loyauté qui existe, d’après l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, entre les États membres, et qui doit sans doute être abordée par la juridiction de renvoi dans sa question préjudicielle, n’est pas susceptible de justifier un principe de la nation la plus favorisée concernant des conventions préventives de double imposition conclues entre les États membres et des États tiers.

46.      Il convient, toutefois, de souligner que les conventions préventives de double imposition ne donnent pas carte blanche aux États membres pour désavantager les lieux d’investissement des capitaux au sein de l’Union par rapport à ceux qui sont situés en dehors de l’Union. En effet, en vertu d’une jurisprudence constante, si les États membres peuvent répartir leur compétence fiscale dans le cadre de conventions bilatérales, ils doivent toutefois respecter, en ce qui concerne l’exercice du pouvoir d’imposition ainsi réparti, tant le principe d’égalité de traitement que les libertés fondamentales (23). Par conséquent, si, dans un cas tel que celui de la présente espèce, les deux conventions préventives de double imposition pertinentes laissaient le choix au Royaume de Belgique d’imputer la retenue à la source étrangère sur l’impôt belge, une imputation différenciée – sous réserve d’une autre justification – serait contraire à la libre circulation des capitaux.

47.      Cependant, étant donné que, compte tenu de la convention, le Royaume de Belgique est obligé, vis-à-vis de l’État tiers, de prévoir une imputation générale de la retenue à la source perçue sur les dividendes (24), la restriction existante à la libre circulation des capitaux est justifiée.

VI – Conclusion

48.      Ainsi convient-il de répondre à la seule question préjudicielle recevable du tribunal de première instance de Liège (Belgique) dans les termes suivants :

L’article 63, paragraphe 1, TFUE ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, en raison d’une obligation résultant d’une convention préventive de double imposition conclue avec un État tiers, impute d’une manière générale la retenue à la source perçue par l’État tiers sur les dividendes provenant de sociétés qui y sont établies sur l’impôt prélevé sur lesdits dividendes au niveau national, auprès de leurs actionnaires résidents, alors que, s’agissant de dividendes versés par des sociétés établies dans un autre État membre, elle subordonne cette imputation au respect de conditions supplémentaires.


1 – Langue originale : l’allemand.


2 –      Traité sur l’Union européenne (JO 2012, C 326, p. 13).


3 –      Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2012, C 326, p. 47).


4 –      Voir, notamment, arrêts du 26 septembre 2000, Kachelmann (C‑322/98, EU:C:2000:495, point 17) ; du 18 juillet 2005, Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, point 44), et du 11 novembre 2015, Pujante Rivera (C‑422/14, EU:C:2015:743, point 20).


5 –      Voir, notamment, arrêt du 10 juin 2004, X (C‑686/13, EU:C:2015:375, points 16 à 23).


6 –      Voir, notamment, arrêt du 10 juin 2015, X (C‑686/13, EU:C:2015:375, points 23 à 25).


7 –      Voir, notamment, arrêt du 28 février 2013, Beker (C‑168/11, EU:C:2013:117, point 35 et jurisprudence citée).


8 –      Arrêt du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen (C‑436/08 et C‑437/08, EU:C:2011:61, points 167 à 169 et jurisprudence citée).


9 –      Voir arrêts du 14 novembre 2006, Kerckhaert und Morres (C‑513/04, EU:C:2006:713) ; du 12 février 2009, Block (C‑67/08, EU:C:2009:92, point 31), ainsi que du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen (C‑436/08 et C‑437/08, EU:C:2011:61, points 170 et 171, et jurisprudence citée).


10 –      Voir, en ce sens, également, arrêts du 20 mai 2008, Orange European Smallcap Fund (C‑194/06, EU:C:2008:289, point 54), et du 16 octobre 2008, Renneberg (C‑527/06, EU:C:2008:566, point 57).


11 –      Voir, entre autres, arrêts du 7 septembre 2004, Manninen (C‑319/02, EU:C:2004:484, point 20) ; du 6 mars 2007, Meilicke e.a. (C‑292/04, EU:C:2007:132, point 22), ainsi que du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑35/11, EU:C:2012:707, point 38).


12 –      Voir, notamment, arrêt du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen (C‑436/08 et C‑437/08, EU:C:2011:61, point 48).      


13 –      Voir arrêt du 20 mai 2008, Orange European Smallcap Fund (C‑194/06, EU:C:2008:289, point 56) ; voir, en ce sens également, arrêts du 5 juillet 2005, D. (C‑376/03, EU:C:2005:424, points 53 à 63), et du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C‑374/04, EU:C:2006:773, points 82 et 83).


14 –      Arrêt du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen (C‑436/08 et C‑437/08, EU:C:2011:61, point 48).


15 –      Arrêt du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze (C‑22/08 et C‑23/08, EU:C:2009:344, point 52).


16 –      Voir, notamment, arrêts du 25 octobre 2012, Commission/Belgique (C‑387/11, EU:C:2012:670, point 45) ; du 7 novembre 2013, K (C‑322/11, EU:C:2013:716, point 36), ainsi que du 17 septembre 2015, Miljoen e.a. (C‑10/14, C‑14/14 et C‑17/14, EU:C:2015:608, point 64).


17 –      Voir point 25 des présentes conclusions.


18 –      Arrêt du 5 juillet 2005, D. (C‑376/03, EU:C:2005:424, points 61 et 62) ; voir, également, arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C‑374/04, EU:C:2006:773, point 88), concernant la liberté d’établissement.


19 –      Voir, notamment, arrêt du 17 septembre 2015, Miljoen e.a. (C‑10/14, C‑14/14 et C‑17/14, EU:C:2015:608, points 62 à 64 et jurisprudence citée).


20 –      Voir, également, à cet égard, point 48 de mes conclusions dans l’affaire Q (C‑133/13, EU:C:2014:2255).


21 –      Voir arrêt du 5 juillet 2005, D. (C‑376/03, EU:C:2005:424, points 58 à 63), sans référence toutefois à l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE ; voir, en revanche, arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C‑374/04, EU:C:2006:773, point 87), dans lequel la Cour examine la proportionnalité au fond dans le cadre de la liberté d’établissement.


22 –      Voir, notamment, arrêt du 4 septembre 2014, Commission/Allemagne (C‑211/13, EU:C:2014:2148, point 47).


23 –      Voir, notamment, arrêts du 12 décembre 2002, de Groot (C‑385/00, EU:C:2002:750, points 93 et 94) ; du 16 octobre 2008, Renneberg (C‑527/06, EU:C:2008:566, points 50 et 51), ainsi que du 19 novembre 2015, Bukovansky (C‑241/14, EU:C:2015:766, point 37).


24 – Voir point 25 des présentes conclusions.