Language of document : ECLI:EU:T:2000:307

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

14 décembre 2000 (1)

«Fonctionnaires - Recours en annulation - Mesures et instructions relevant de la discipline du travail - Acte faisant grief - Recours en indemnité - Irrecevabilité»

Dans l'affaire T-213/99,

Luc Verheyden, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Angera (Italie), représenté par Me É. Boigelot, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me L. Schiltz, 2, rue du Fort Rheinsheim,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Berardis-Kayser, membre du service juridique, en qualité d'agent, assistée de Me A. Dal Ferro, avocat au barreau de Vicence, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la note du 10 novembre 1998 du chef de l'unité «Logistique» de la direction «Infrastructure du site d'Ispra» ainsi que du refus, par l'administration, du 16 novembre 1998, de la retirer et, d'autre part, une demande d'indemnisation pour le préjudice moral prétendument subi,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas et J. D. Cooke, juges,

greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 14 novembre 2000,

rend le présent,

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le requérant est entré au service de la Commission en avril 1964, en qualité de fonctionnaire scientifique. Il est actuellement affecté au Centre commun de recherche (CCR) à Ispra (Italie) dans l'unité «Logistique» de la direction «Infrastructure du site d'Ispra», où, depuis avril 1995, il est chargé de la récupération et de la revente du matériel obsolète au sein du CCR.

2.
    Le 10 novembre 1998, M. Van Hattem, chef de cette unité, a adressé au requérant une note (ci-après la «note litigieuse») qui se lit comme suit:

«Suite aux opérations de nettoyage qui ont été faites dans le bâtiment 76 b le 25.9.1998 et le 23.10.1998, je vous communique ce qui suit:

Je considère que la façon [selon] laquelle vous avez géré les dernières deux années ce dépôt est au-dessous de tous les niveaux et ceci pour les raisons suivantes:

1. Le matériel a été rangé d'une telle façon [qu'il] ne pouvait plus être [atteint] par personne. Il était donc impossible de le [voir] et encore moins de le vendre.

2. Beaucoup des choses accumulées ne pouvaient jamais être vendues pour la simple raison qu'elles étaient cassées ou bien dans un état [inadéquat].

3. Des matériaux qui devraient être éliminés selon des procédures spéciales, par exemple des huiles et autres substances chimiques comme le mercure, ont été accumulés sans aucune précaution.

4. Le hangar était plein de matériel informatique totalement obsolète et donc invendable.

5. Certaines armoires étaient encore pleines des objets personnels ou autres objets inutiles.

6. Vous avez destiné à la vente (et vendu) des machines sans vérifier si [celles-ci étaient] compatible[s] avec les normes en vigueur dans l'Union européenne.

7. Le contenu et la présentation de ce dépôt sont devenus, sous votre responsabilité, une tache sur la bonne image de la Commission.

En conclusion, vous avez simplement accumulé une grande quantité de matériel et d'objets sans aucune logique ou politique. Par conséquent la situation est devenue insoutenable et même dangereuse sous certains aspects.

Afin d'éviter qu'une situation de ce genre se reproduise, je vous prie de bien vouloir vous tenir aux instructions suivantes:

a)    les matériaux qui demandent une procédure spéciale pour leur élimination (produits chimiques, vidéo, etc.) doivent être transmis à M. Bandirali sans délai;

b)    les matériaux qui ne sont pas vendables car ils sont cassés, obsolètes ou pas aux [normes] en vigueur dans l'Union européenne doivent être tout de suite mis au rebut;

c)    des matériaux intrinsèquement vendables mais pas vendus dans le délai de neuf mois doivent être éliminés suivant les procédures appropriées.»

3.
    Par lettre du 12 novembre 1998, le requérant a demandé au directeur de la direction «Infrastructure du site d'Ispra» l'annulation de cette note, ainsi que les excuses de son auteur.

4.
    Le 16 novembre 1998, le requérant a reçu sa demande en retour, avec la mention «Nein», signée par ce directeur.

5.
    Le 16 février 1999, le requérant a introduit, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), une réclamation contre la note litigieuse ainsi que contre le refus, par l'administration, du 16 novembre 1998, de la retirer. Cette réclamation a fait l'objet d'une décision de rejet en date du 22 juin 1999.

Procédure et conclusions des parties

6.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 septembre 1999, le requérant a introduit le présent recours.

7.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

8.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 14 novembre 2000.

9.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la note litigieuse ainsi que le refus, par l'administration, du 16 novembre 1998 de la retirer,

-    annuler la décision du 22 juin 1999 rejetant sa réclamation du 16 février 1999,

-    l'indemniser pour dommage moral d'une somme fixée ex aequo et bono à 25 000 000 lires italiennes (ITL).

-    condamner la Commission aux dépens,

10.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable ou non fondé,

-    statuer sur les dépens comme de droit.

11.
    Lors de l'audience, la Commission a renoncé à l'argument tiré de la forclusion du délai pour l'introduction de la réclamation du requérant du 16 février 1999, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut.

Sur la recevabilité des conclusions en annulation

Arguments des parties

12.
    La Commission fait valoir que la note litigieuse ne peut pas être considérée comme un acte faisant grief au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut. En effet, selon une jurisprudence constante, seuls feraient grief, au sens dudit article, des actes ou desdécisions produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts d'un fonctionnaire en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de ce dernier. Ainsi, les simples mesures d'organisation interne des services, et plus particulièrement celles touchant à l'organisation administrative et à la discipline du travail, ne seraient pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel, dès lors qu'elles n'affectent pas la situation juridique ou matérielle du fonctionnaire concerné par la mesure dont il s'agit.

    

13.
    Selon la Commission, la première partie de la note litigieuse se borne à constater certaines omissions du requérant dans l'exercice de ses fonctions, qui constitueraient la base des instructions données dans la seconde partie. Des telles omissions n'auraient ainsi été reproduites qu'afin d'étayer les instructions données au requérant, même si, juridiquement, cela n'était pas nécessaire. De telles constatations ne sauraient être qualifiées d'acte faisant grief.

14.
    La seconde partie de la note ne pourrait pas non plus être considérée comme un acte faisant grief puisqu'elle se bornerait à donner des instructions au requérant. Or, de tels ordres relèveraient du pouvoir d'organisation du service.

15.
    La Commission en conclut que la note litigieuse, par elle-même, n'a modifié ni la situation juridique ni la situation matérielle du requérant dans une mesure permettant de la qualifier d'acte faisant grief.

16.
    Le requérant fait valoir que la note litigieuse constitue un acte de nature à affecter ses intérêts, en modifiant, de façon caractérisée, sa situation juridique en ce qu'elle est susceptible de lui causer un préjudice parce qu'il prétend à une promotion.

17.
    À cet égard, il soutient que la note litigieuse ne vise pas à l'organisation interne du service ni à la discipline du travail, mais expose une appréciation de la qualité de son travail lui faisant grief. En effet, il suffirait de lire la note litigieuse pour se rendre compte qu'elle contient des phrases qui ne sont pas des instructions mais qui dépeignent le requérant comme un incompétent notoire, voire une personne dangereuse et à éviter.

18.
    Le requérant estime que la note litigieuse contiendrait des accusations graves quant à son honorabilité professionnelle à l'égard desquelles il était en droit de présenter devant l'administration une demande d'assistance au sens de l'article 24, premier alinéa, du statut.

Appréciation du Tribunal

19.
    Selon une jurisprudence constante, l'existence d'un acte faisant grief au sens des articles 90, paragraphe 2, et 91, paragraphe 1, du statut est une condition indispensable de la recevabilité de tout recours formé par les fonctionnaires contre l'institution dont ils relèvent. Or, selon la jurisprudence, seuls constituent des actes ou des décisionssusceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation les actes ou mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts d'un fonctionnaire, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci (arrêts du Tribunal du 19 octobre 1995, Obst/Commission, T-562/93, RecFP p. I-A-247 et II-737, point 23, et du 6 juin 1996, Baiwir/Commission, T-391/94, RecFP p. I-A-269 et II-787, point 34).

20.
    Il est également de jurisprudence constante que l'autorité administrative dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour organiser, dans l'intérêt du service public communautaire, les modalités d'exercice de leurs fonctions par les fonctionnaires et les agents. Par suite, les simples mesures d'organisation interne des services, et plus particulièrement celles touchant à l'organisation administrative et à la discipline du travail, ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel, dès lors qu'elles n'affectent pas la situation juridique ou matérielle du fonctionnaire concerné par la mesure dont il s'agit (arrêt du Tribunal du 24 juin 1993, Seghers/Conseil, T-69/92, Rec. p. II-651, point 29, et ordonnances du Tribunal du 4 juillet 1991, Herremans/Commission, T-47/90, Rec. p. II-467, point 22, et du 25 octobre 1996, Lopes/Cour de justice, T-26/96, RecFP p. I-487 et II-1357, point 35).

21.
    S'agissant de la partie de la note litigieuse qualifiant le travail du requérant, il y a lieu de relever qu'elle n'affecte pas directement et immédiatement les intérêts de celui-ci, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. En effet, d'une part, elle ne modifie ni la nature ni l'étendue des fonctions du requérant, mais se borne à qualifier l'exercice de telles fonctions par celui-ci. D'autre part, même si elle peut avoir une influence sur un futur rapport de notation ou même sur un futur exercice de promotion, les effets juridiques de cette note sur la situation du requérant seraient alors uniquement déployés lors de cet exercice de promotion ou lors de l'élaboration du rapport de notation.

22.
    Il résulte de ce qui précède que cette partie de la note litigieuse n'est pas susceptible, en tant que telle, d'affecter la situation juridique ou matérielle du requérant et, en conséquence, de lui faire grief.

23.
    L'irrégularité éventuelle de cette partie de la note litigieuse ne pourrait être mise en cause qu'à l'occasion d'un recours dirigé contre un acte attaquable pour autant qu'elle en constitue un acte antérieur qui lui est étroitement lié (voir arrêt Baiwir/Commission, précité, point 36, et ordonnance Lopes/Cour de justice, précitée, point 19).

24.
    La conclusion selon laquelle cette partie de la note litigieuse ne fait pas grief n'est pas remise en cause par l'argument du requérant selon lequel cette partie de la note litigieuse contiendrait des accusations graves quant à son honorabilité professionnelle à l'égard desquelles il était en droit de présenter, devant l'administration, une demande d'assistance au sens de l'article 24, premier alinéa, du statut.

25.
    En effet, selon l'article 24, premier alinéa, du statut, les Communautés européennes assistent le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs demenaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne dont il est l'objet en raison de sa qualité et de ses fonctions. Cet article exige, d'une part, que, en présence d'accusations graves quant à l'honorabilité professionnelle d'un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, l'administration prenne toutes mesures pour vérifier si les accusations sont fondées et, d'autre part, lorsque tel n'est pas le cas, qu'elle les rejette et prenne toutes mesures pour rétablir la réputation lésée (arrêt de la Cour du 18 octobre 1976, N./Commission, 128/75, Rec. p. 1567, point 10, et ordonnance Lopes/Cour de justice, précitée, point 40).

26.
    Conformément à une jurisprudence constante, bien que l'article 24 du statut soit conçu avant tout en vue de protéger les fonctionnaires de la Communauté contre des attaques et de mauvais traitements émanant de tiers, l'obligation d'assistance envisagée par cette disposition existe également dans le cas où l'auteur des faits envisagés par cette disposition est un autre fonctionnaire de la Communauté (arrêts de la Cour du 14 juin 1979, V./Commission, 18/78, Rec. p. 2093, point 15; du Tribunal du 21 avril 1993, Tallarico/Parlement, T-5/92, Rec. p. II-477, point 30, et du 11 octobre 1995, Baltsavias/Commission, T-39/93 et T-553/93, RecFP p. I-A-233 et II-695, point 58).

27.
    Or, en l'espèce, la note litigieuse se borne à indiquer au requérant soit qu'il a omis de réaliser des tâches qui lui étaient attribuées, soit qu'il les a exécutées en violation de la procédure applicable. De telles remarques, adressées afin d'assurer le bon fonctionnement du service en question, ne sauraient être qualifiées d'accusations graves susceptibles de nuire à l'honorabilité professionnelle du requérant, et moins encore de «diffamations» ou d'«attentats contre sa personne» (voir, en ce sens, ordonnance Lopes/Cour de justice, précitée, point 41).

28.
    Les droits du requérant n'étant en aucune façon atteints par les affirmations contenues dans la note litigieuse, l'administration n'était statutairement tenue de prendre aucune mesure de caractère décisionnel en réponse à sa «demande». Dès lors, et à supposer que la lettre du requérant du 12 novembre 1998 puisse être considérée comme une demande d'assistance au titre de l'article 24, premier alinéa, du statut, le refus par l'administration d'y donner suite ne saurait être considéré comme un acte faisant grief (voir, en ce sens, ordonnance Lopes/Cour de justice, précitée, point 42).

29.
    En conséquence, il y a lieu de déclarer le recours irrecevable en ce qu'il conclut à l'annulation de la partie de la note litigieuse qualifiant le travail du requérant.

30.
    S'agissant de la partie de la note litigieuse qui contient des instructions au requérant, il y a lieu de relever que les trois instructions données affectent exclusivement les rapports internes du service et relèvent, plus particulièrement, des questions touchant à l'organisation administrative et à la discipline du travail dans les services du CCR. Or, les directives internes destinées à assurer la bonne exécution du travail ne sont pas de nature à affecter la situation juridique ou matérielle du fonctionnaire concerné, ni sa position statutaire (voir la jurisprudence citée au point 19 ci-dessus ainsi que l'ordonnance Lopes/Cour de justice, précitée, point 34).

31.
    En conséquence, cette partie de la note n'est qu'une mesure interne non susceptible d'être qualifiée d'acte faisant grief au sens de la jurisprudence précitée. Dès lors, le recours doit être déclaré également irrecevable en ce qu'il vise à l'annulation de cette partie de la note litigieuse.

32.
    Il résulte de tout ce qui précède que la demande en annulation doit être déclarée irrecevable dans son intégralité.

Sur la recevabilité des conclusions en indemnité

Arguments des parties

33.
    Le requérant fait valoir que les atteintes dont il est victime, le touchant dans sa dignité personnelle et professionnelle, sont dommageables. La note litigieuse constituerait ainsi une faute de service justifiant une indemnisation fixée ex aequo et bono à 25 000 000 ITL.

34.
    La Commission observe qu'il existe un lien étroit entre la demande en annulation et l'action en indemnité. Dès lors, l'irrecevabilité de la demande en annulation devrait entraîner celle de la demande en indemnité.

Appréciation du Tribunal

35.
    Selon une jurisprudence constante en matière de fonction publique, lorsqu'un requérant introduit un recours tendant en même temps à l'annulation d'un acte d'une institution et à l'octroi d'une indemnité pour le préjudice causé par cet acte, les demandes sont tellement liées l'une à l'autre que l'irrecevabilité de la demande en annulation entraîne l'irrecevabilité de celle en indemnité (ordonnance du Tribunal du 24 juin 1992, H. S./Conseil, T-11/90, Rec. p. II-1869, point 25; arrêt du Tribunal du 9 février 1994, Latham/Commission, T-82/91, RecFP p. I-A-15 et II-61, point 34).

36.
    En l'espèce, la demande en indemnité tend à la réparation du préjudice prétendument causé au requérant par l'acte attaqué dans la demande en annulation et y est, donc, étroitement liée.

37.
    En conséquence, il y a lieu de déclarer la demande en indemnité irrecevable.

38.
    Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que le recours doit être intégralement rejeté comme irrecevable.

Sur les dépens

39.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe doit être condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.Toutefois, aux termes de l'article 88 de ce règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. En l'espèce, chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)    Chaque partie supportera ses propres dépens.

Lindh
García-Valdecasas
Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1: Langue de procédure: le français.