Language of document : ECLI:EU:T:2001:14

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

18 janvier 2001 (1)

«Fonctionnaires - Refus de recrutement - Inaptitude physique - Avis de la commission médicale - Contrôle juridictionnel - Lien compréhensible entre les constatations médicales et la conclusion d'inaptitude»

Dans l'affaire T-65/00,

Angeliki Ioannou, ancienne employée de l'Union économique de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg (Benelux) affectée au secrétariat de Schengen, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Me J. van Rossum, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la Société de gestion fiduciaire SARL, 13, avenue du Bois,

partie requérante,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. F. Anton et M. Bauer, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. E. Uhlmann, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du Conseil du 21 mai 1999 refusant de nommer la requérante fonctionnaire stagiaire, dans le cadre de l'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil, en raison d'une inaptitude physique à l'exercice des fonctions envisagées,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, K. Lenaerts et M. Jaeger, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 23 novembre 2000,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le 1er mai 1999, le Conseil a adopté la décision 1999/307/CE fixant les modalités de l'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat général du Conseil (JO L 119, p. 49).

2.
    La décision 1999/307 prévoit que les personnes qui étaient employées au secrétariat de Schengen peuvent être nommées fonctionnaires stagiaires auprès du secrétariat général du Conseil. Toutefois, en vertu de l'article 3, sous d), de la décision 1999/307, qui reprend les termes de l'article 28, sous e), du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») du Conseil ne peut procéder à de telles nominations qu'après avoir vérifié que les personnes en cause «remplissent les conditions d'aptitude physique requises pour l'exercice de [leurs] fonctions».

3.
    L'article 33, deuxième alinéa, du statut dispose:

«Lorsque l'examen médical [d'embauche] a donné lieu à un avis médical négatif, le candidat peut demander, dans les 20 jours de la notification qui lui en est faite par l'institution, que son cas soit mis à l'avis d'une commission médicale composée de trois médecins choisis par l'[AIPN] parmi les médecins-conseils des institutions. Le médecin-conseil qui a émis le premier avis négatif est entendu par la commission médicale. Le candidat peut saisir la commission médicale de l'avis d'un médecin de son choix [...]»

Faits à l'origine du litige

4.
    La requérante a été engagée comme traductrice, à partir du 7 novembre 1994 et pour une durée indéterminée, par l'Union économique de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg (Benelux) à Bruxelles, et a été affectée en qualité d'employée à plein temps au secrétariat de Schengen. En vertu de la décision 1999/307, elle était donc susceptible d'occuper un emploi au secrétariat général du Conseil.

5.
    Toutefois, dans une note, datée à la fois du 3 février et du 17 mars 1999, adressée à l'administration du Conseil, le médecin-conseil de l'institution, le docteur Garcia, a estimé que la requérante «ne poss[édait] pas les aptitudes physiques requises pour l'exercice de ses fonctions».

6.
    Le 5 février 1999, le docteur Verelst, ophtalmologue, a examiné la requérante à la demande du médecin-conseil de l'institution. Par rapport daté du 8 février 1999, il a informé le médecin-conseil de ses conclusions, ainsi libellées:

«[L']aptitude ophtalmologique [de la requérante] pour [le] travail sur écran est forcément très mauvaise. Cette patiente est très inquiète, connaissant parfaitement son problème avec même une pointe d'agressivité dès le premier contact. Comme souvent, elle m'a affirmé n'avoir aucun problème pour son travail sur écran. Ce qui est possible après tout, les facultés d'adaptation d'un être humain sont parfois étonnantes. Peut-être pourriez-vous vous renseigner dans son service actuel?»

7.
    Le 10 mars 1999, le professeur Hermans, ophtalmologue, a pratiqué un nouvel examen médical à la demande du médecin-conseil. Dans son rapport du 11 mars 1999, il concluait:

«L'aptitude professionnelle de [la requérante] est à apprécier en fonction de ses activités antérieures et en prenant en compte les problèmes visuels. Le travail à l'écran n'est pas susceptible de détériorer les fonctions visuelles mais nécessite très certainement un effort accru par rapport à un travailleur avec des fonctions visuelles normales. La diminution de l'accommodation avec l'âge est susceptible de rendre l'adaptation au déficit visuel plus difficile.»

8.
    Par lettre du 29 mars 1999, le directeur de la direction du personnel et de l'administration du Conseil a informé la requérante que le médecin-conseil avait émis un avis négatif quant à son aptitude physique.

9.
    Par lettre du 13 avril 1999, la requérante a saisi la commission médicale conformément à l'article 33, deuxième alinéa, du statut et a désigné le docteur Ismaïl pour la représenter. Par le même courrier, elle a demandé que soient «communiqu[és] au docteur Ismaïl copie [du] rapport qui fonde [l']avis d'inaptitude ainsi que tout document, résultat d'analyse ou renseignement complémentaire sur lesquels [l']avis se fonde».

10.
    Par lettre du 19 avril 1999, le médecin-conseil a informé le docteur Ismaïl qu'il avait conclu à l'inaptitude physique de la requérante pour exercer les fonctions envisagées sur la base des rapports du docteur Verelst et du professeur Hermans. Il a joint ces deux rapports à sa lettre. Dans cette dernière, le médecin-conseil expliquait encore:

«En effet, étant appelée à travailler comme traductrice, Mme Ioannou devrait travailler en permanence sur ordinateur. Les deux rapports me permettent de juger qu'elle ne possède pas les qualités visuelles appropriées pour un travail de ce type au risque d'une évolution dans le futur d'une diminution des performances visuelles actuelles et d'invalidité permanente pour l'exercice de ses fonctions.

Selon la jurisprudence de la Cour et du Tribunal [...], il est possible, pour le médecin-conseil d'une institution, de fonder son avis d'inaptitude non seulement sur l'existence de troubles physiques ou psychiques actuels, mais encore sur un pronostic, médicalement fondé, de troubles futurs susceptibles de mettre en cause dans un avenir prévisible l'accomplissement normal des fonctions envisagées.

Compte tenu de l'avis des deux ophtalmologues, j'ai conclu à son inaptitude car

-    le travail envisagé exige l'ordinateur comme outil de travail;

-    l'aptitude ophtalmologique actuelle est, [selon les] rapports, mauvaise;

-    même si le travail à l'écran n'est pas susceptible de détériorer les fonctions visuelles, il nécessite un effort accru;

-    l[a] diminution[...] de l'accommodation avec l'âge est susceptible de rendre l'adaptation au déficit visuel plus difficile.

J'ai donc conclu que les troubles actuels et futurs sont susceptibles de mettre en cause dans l'avenir l'accomplissement normal des fonctions envisagées.»

11.
    Par lettre du 30 avril 1999, M. Gyselbrecht, directeur du service linguistique du secrétariat de Schengen, a informé le docteur Ismaïl de ce qui suit:

« -    Depuis son entrée en service le 7 novembre 1994, [la requérante] travaille comme traductrice dans la division grecque du service linguistique de Schengen. Au sein de Schengen, les capacités physiques requises pour cette fonction ne sont pas inférieures à celles requises à l'Union européenne. En outre, une simple comparaison de la qualité et [des] dimensions de nos écrans vous convaincra que les traducteurs à l'Union sont, d'un point de vue conditions de travail, nettement mieux servis.

-    En annexe I, vous trouverez les résultats quantitatifs relatifs à la traduction de 1997, période pendant laquelle il s'est avéré que ceux de [la requérante] sont parmi les meilleurs de mon service. Je souligne dans ce contexte que le métier de traducteur ne se limite pas à travailler à l'écran pendant toute la journée. Au contraire, un bon traducteur sait dactylographier à l'aveugle, fait les corrections sur support papier et n'utilise l'écran que pour introduire ces corrections dans le texte.

-    D'ailleurs, le taux d'absence de [la requérante] est parmi les plus bas du service.

-    Conclusion: aucun problème ophtalmologique n'empêche à l'heure actuelle [la requérante] d'exercer la fonction de traductrice.»

12.
    En vue de préparer la réunion de la commission médicale, la requérante a subi, de sa propre initiative, des examens supplémentaires, qui ont été effectués les 8 avril et 6 mai 1999, respectivement par le docteur Wibail et le professeur Spileers, ophtalmologues. Dans son rapport du 13 avril 1999, le docteur Wibail a estimé que la requérante était «apte pour le travail sur écran». Dans son rapport du 17 mai 1999, le professeur Spileers a conclu, après avoir décrit l'affection de la requérante, que la «situation [était] stable».

13.
    Le 18 mai 1999, la commission médicale a émis l'avis suivant:

«Après avoir examiné soigneusement le dossier médical d'embauche de l'intéressée, y compris les rapports des médecins spécialistes consultés, après avoir entendu le médecin qui a émis l'avis d'inaptitude, après avoir entendu le docteur Ismaïl désigné par [la requérante] dans sa lettre du 13 avril 1999 pour la représenter auprès de la commission médicale de recours, après avoir pris connaissance des rapports médicaux présentés par le docteur Ismaïl et de son argumentation, après avoir entendu, à la demande de [la requérante], Monsieur Gyselbrecht, son ancien supérieur hiérarchique (directeur du service linguistique du secrétariat de Schengen), la commission médicale est d'avis que: [la requérante] ne possède pas les aptitudes requises pour l'exercice de ses fonctions.»

14.
    Par lettre recommandée du 21 mai 1999, reçue le 24 mai, le directeur de la direction du personnel et de l'administration du Conseil a informé la requérantede sa décision de ne pas la nommer fonctionnaire stagiaire (ci-après la «décision attaquée»). Il lui a indiqué que l'avis de la commission médicale avait établi qu'«[elle] ne rempliss[ait] pas les conditions d'aptitude physique requises pour l'exercice des fonctions prévues».

15.
    Le 23 août 1999, la requérante a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, laquelle a été rejetée par décision du 16 décembre 1999.

Procédure et conclusions des parties

16.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 mars 2000, la requérante a introduit le présent recours.

17.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    condamner le Conseil aux dépens.

18.
    Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    déclarer que chaque partie supportera ses propres dépens.

19.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 23 novembre 2000.

En droit

20.
    La requérante invoque deux moyens dans sa requête. Le premier moyen est tiré d'une violation des droits de la défense et le second moyen est pris d'une erreur manifeste d'appréciation. Il y a lieu d'examiner d'abord ce dernier moyen.

Observations liminaires

21.
    La décision attaquée, portant refus de recrutement de la requérante, est fondée sur un motif, à savoir l'inaptitude physique de la requérante à l'exercice de ses fonctions telle qu'elle ressort de l'avis de la commission médicale du 18 mai 1999 (voir ci-dessus points 13 et 14).

22.
    Le contrôle juridictionnel d'une telle décision ne s'étend pas aux appréciations médicales proprement dites, qui doivent être tenues pour définitives dès lorsqu'elles sont intervenues dans des conditions régulières (arrêts du Tribunal du 9 juin 1994, X/Commission, T-94/92, RecFP p. I-A-149 et II-481, point 40, et du 27 octobre 1994, C/Commission, T-47/93, RecFP p. I-A-233 et II-743, point 47).

23.
    Dans le cadre du présent moyen, il appartient donc au Tribunal de vérifier si ces conditions ont été respectées et, plus particulièrement, d'examiner si la décision de l'AIPN, refusant le recrutement de la requérante en raison de son inaptitude physique, repose sur un avis médical motivé, établissant un lien compréhensible entre les constatations médicales qu'il comporte et la conclusion à laquelle il arrive (arrêt de la Cour du 26 janvier 1984, Seiler e.a./Conseil, 189/82, Rec. p. 229, point 15; arrêts du Tribunal C/Commission, précité, point 47, et du 14 avril 1994, A/Commission, T-10/93, RecFP p. I-A-119 et II-387, point 61).

Sur l'existence d'un lien compréhensible entre les constatations médicales et la conclusion d'inaptitude physique

24.
    La requérante soutient que l'avis de la commission médicale n'établit pas de lien compréhensible entre les constatations médicales qu'il comporte et la conclusion à laquelle il arrive. Elle insiste sur le fait qu'elle avait exercé pendant plus de cinq ans, sans le moindre problème, la fonction de traductrice, avec un taux de productivité parmi les meilleurs du service et un taux d'absence pour maladie parmi les plus bas.

25.
    Le Conseil rétorque que l'AIPN a décidé de ne pas nommer la requérante fonctionnaire stagiaire en raison du fait qu'elle n'est pas apte à travailler sur écran, les fonctions de traductrice au secrétariat général du Conseil impliquant un tel travail. Or, les rapports des quatre médecins consultés (voir ci-dessus points 6, 7 et 12) confirmeraient que la requérante est atteinte d'un nystagmus.

26.
    En outre, il existerait un lien direct entre, d'une part, l'affection dont est atteinte la requérante et, d'autre part, la nature ainsi que les modalités d'exercice des fonctions envisagées. Le Conseil insiste, à cet égard, sur le fait que le rapport du docteur Verelst mentionne que l'«aptitude ophtalmologique [de la requérante] pour [le] travail sur écran est forcément très mauvaise». Il se réfère en outre au rapport du professeur Hermans qui indique que, pour la requérante, «le travail à l'écran [...] nécessite très certainement un effort accru par rapport à un travailleur avec des fonctions visuelles normales» et que «[l]a diminution de l'accommodation avec l'âge est susceptible de rendre l'adaptation au déficit visuel plus difficile».

27.
    Le Tribunal rappelle que la décision attaquée est fondée sur l'inaptitude physique de la requérante à l'exercice des fonctions envisagées, telle qu'elle ressort de l'avis de la commission médicale.

28.
    Il est constant entre les parties que la requérante est atteinte d'un nystagmus. La commission médicale et le médecin-conseil, dont l'avis a donné lieu à la saisine de celle-ci, ont estimé que cette affection aux yeux rendait la requérante inapte à l'exercice des fonctions envisagées, qui impliquent un travail sur écran.

29.
    Il y a donc lieu d'examiner si l'avis de la commission médicale établit un lien compréhensible entre l'affection précitée et la conclusion d'inaptitude.

30.
    Il doit être constaté d'abord que l'avis d'inaptitude physique émis par la commission médicale ne contient pas de motifs proprement dits. La commission médicale s'est, en effet, limitée à énumérer les investigations qu'elle a menées, à savoir l'examen de différents documents ainsi que l'audition de plusieurs personnes, et à l'issue desquelles elle a rendu son avis. Dans ces circonstances, il y a lieu de vérifier si ces documents et les déclarations recueillies, sur lesquels se base l'avis de la commission médicale, font apparaître un lien compréhensible entre l'affection dont souffre la requérante et la conclusion d'inaptitude physique à laquelle l'avis arrive.

31.
    Les documents auxquels se réfère l'avis de la commission médicale sont «le dossier médical d'embauche de la requérante, y compris les rapports des médecins spécialistes consultés» et «les rapports médicaux présentés par le docteur Ismaïl», qui représentait la requérante devant la commission. Cette dernière s'est encore fondée sur les déclarations du médecin-conseil, du docteur Ismaïl et de M. Gyselbrecht, l'ancien supérieur hiérarchique de la requérante.

32.
    À la suite d'une question écrite du Tribunal, le Conseil a confirmé que les «rapports des médecins spécialistes consultés» sont ceux du docteur Verelst et du professeur Hermans, et que les «rapports médicaux présentés par le docteur Ismaïl» sont ceux du docteur Wibail et du professeur Spileers.

33.
    Même si les quatre rapports médicaux sur lesquels la commission médicale s'est fondée pour émettre son avis font apparaître que le nystagmus de la requérante affecte les fonctions visuelles de cette dernière, aucun de ces rapports ne contient la conclusion selon laquelle la requérante est inapte au travail sur écran.

34.
    Au contraire, dans son rapport du 13 avril 1999, le docteur Wibail, qui a examiné la requérante à l'initiative de cette dernière, conclut même explicitement que la requérante est «apte pour le travail sur écran». Les rapports des ophtalmologues qui ont examiné la requérante à la demande du médecin-conseil du Conseil ne sont pas aussi explicites, mais leurs auteurs n'excluent pas que la requérante soit apte pour effectuer un tel travail. Ainsi, même si le docteur Verelst affirme que l'«aptitude ophtalmologique [de la requérante] pour [le] travail sur écran est forcément très mauvaise», il ajoute que «les facultés d'adaptation d'un être humain sont parfois étonnantes» et suggère au médecin-conseil qu'il se «renseigne dans [...] le service actuel [de la requérante]». Le professeur Hermans ne conclut pas non plus à une inaptitude. Il estime que «le travail à l'écran [...] nécessite trèscertainement un effort accru par rapport à un travailleur avec des fonctions visuelles normales». Le professeur Hermans suggère aussi au médecin-conseil d'apprécier l'«aptitude professionnelle de l'intéressée [...] en fonction de ses activités antérieures».

35.
    Or, il ressort des éléments du dossier que, au moment où la décision attaquée a été prise, l'affection dont souffre la requérante ne l'empêchait pas de remplir, de manière satisfaisante, toutes les obligations qui étaient susceptibles de lui incomber dans le cadre de ses fonctions envisagées auprès du Conseil. Il est, en effet, constant que la requérante a exercé les fonctions de traductrice impliquant un travail sur écran auprès du secrétariat de Schengen, du 7 novembre 1994 jusqu'au 26 mai 1999, date à laquelle il a été mis fin à son contrat. Il ressort, en outre, de la lettre de M. Gyselbrecht au docteur Ismaïl, du 30 avril 1999, que la requérante était l'une des traductrices les plus efficaces de son service et qu'elle n'avait, par ailleurs, presque jamais été absente pour cause de maladie (voir ci-dessus point 11).

36.
    Dans ce contexte, il est exclu que la commission médicale ait pu baser sa conclusion d'inaptitude physique sur l'état de santé de la requérante, apprécié au moment où elle a émis son avis.

37.
    Toutefois, il est possible pour le médecin-conseil d'une institution et la commission médicale de fonder un avis d'inaptitude non seulement sur l'existence de troubles physiques ou psychiques actuels, mais encore sur un pronostic, médicalement fondé, de troubles futurs, susceptibles de mettre en cause, dans un avenir prévisible, l'exercice normal des fonctions envisagées (arrêt de la Cour du 10 juin 1980, M./Commission, 155/78, Rec. p. 1797, point 11; arrêts A/Commission, précité, point 62, et C/Commission, précité, point 49).

38.
    Les «troubles futurs» dont fait état la jurisprudence citée au point précédent sont ceux liés à l'évolution de l'affection dont souffre le candidat à l'exercice de fonctions dans l'administration communautaire, au moment de l'examen médical d'embauche. Un candidat, atteint d'une affection qui, au moment de l'examen médical d'embauche, ne l'empêche pas de remplir toutes les obligations qui sont susceptibles de lui incomber dans le cadre des fonctions envisagées, peut ainsi être déclaré physiquement inapte à exercer celles-ci, s'il est prévisible, avec un degré de certitude raisonnable, que l'affection en question connaîtra une évolution telle que, dans un avenir prévisible, l'intéressé sera incapable d'exercer normalement lesdites fonctions.

39.
    Ainsi, s'agissant d'un candidat qui avait été traité pour un cancer, il a été jugé qu'un risque de récidive avec métastases sur cinq ans estimé à 50 % constituait un pronostic suffisamment précis pour fonder un avis d'inaptitude (arrêt du Tribunal du 23 février 1995, F/Conseil, T-535/93, RecFP p. I-A-49 et II-163, point 52). En revanche, des statistiques qui font apparaître qu'une personne atteinte d'une hépatite C chronique aura 25 % de chances de développer une cirrhose du foiedans les 20 années à venir ne constituent pas un pronostic, médicalement fondé, de troubles futurs, susceptibles de mettre en cause, dans un avenir prévisible, l'exercice normal des fonctions envisagées (arrêt X/Commission, précité, points 46 et 47). De même, les personnes porteuses du virus d'immunodéficience humaine sont considérées comme aptes à exercer leurs fonctions pour autant qu'elles ne présentent pas de symptômes pathologiques liés au syndrome d'immunodéficience acquise (arrêt A/Commission, précité, point 59).

40.
    En l'espèce, il ressort de la lettre du médecin-conseil du 19 avril 1999 au docteur Ismaïl que le premier a considéré que les rapports du docteur Verelst et du professeur Hermans lui permettaient de conclure à l'inaptitude physique de la requérante en raison du fait que les «troubles actuels et futurs» affectant cette dernière étaient «susceptibles de mettre en cause dans l'avenir l'accomplissement normal des fonctions envisagées» (voir ci-dessus point 10).

41.
    Il convient, dès lors, d'examiner si les éléments sur lesquels la commission médicale a fondé son avis d'inaptitude contenaient des pronostics concernant le nystagmus, dont est atteinte la requérante, permettant de prévoir, avec un degré de certitude raisonnable, une détérioration des fonctions visuelles de la requérante susceptible de mettre en cause, dans un avenir prévisible, l'exercice normal des fonctions envisagées.

42.
    À l'audience, le Tribunal a invité le Conseil à indiquer les passages dans les rapports médicaux figurant au dossier qui contiendraient de tels pronostics.

43.
    En réponse à cette question, le Conseil s'est uniquement référé au rapport du professeur Hermans et, notamment, au passage suivant:

«Le travail à l'écran n'est pas susceptible de détériorer les fonctions visuelles mais nécessite très certainement un effort accru par rapport à un travailleur avec des fonctions visuelles normales. La diminution de l'accommodation avec l'âge est susceptible de rendre l'adaptation au déficit visuel plus difficile.»

44.
    Force est toutefois de constater que, dans ce passage, le professeur Hermans ne se prononce nullement sur l'évolution du nystagmus. Il se borne en effet à indiquer que le travail sur écran nécessite pour la requérante un effort accru, compte tenu de son déficit visuel, tout en constatant que ce travail n'est pas susceptible de détériorer ses fonctions visuelles. Le fait que, avec l'âge, la diminution de l'accomodation rendra éventuellement l'adaptation audit déficit plus difficile ne signifie pas que la requérante sera physiquement incapable d'exercer les fonctions envisagées. Dès lors, il ne saurait être considéré que le passage en question comporte un pronostic, médicalement fondé, de troubles futurs au sens de la jurisprudence citée au point 37 ci-dessus.

45.
    La partie défenderesse ne prétend même pas qu'un autre élément, figurant au dossier de la requérante au moment où la commission médicale s'est réunie,contenait le pronostic, médicalement fondé, d'une détérioration des fonctions visuelles de la requérante. Par ailleurs, il doit être constaté que le professeur Spileers conclut explicitement dans son rapport que la «situation est stable».

46.
    Eu égard au fait que les éléments sur lesquels l'avis de la commission médicale est fondé ne contiennent ni indication d'une incapacité actuelle de la requérante à exercer les fonctions envisagées (voir ci-dessus points 31 à 36), ni pronostics, médicalement fondés, de troubles futurs, susceptibles de mettre en cause, dans un avenir prévisible, l'accomplissement normal desdites fonctions, l'avis en question, qui ne comporte aucune explication supplémentaire, ne fait pas apparaître un lien compréhensible entre l'affection dont souffre la requérante et la conclusion d'inaptitude physique. L'avis de la commission médicale, du 18 mai 1999, n'est donc pas régulier au sens de la jurisprudence citée ci-dessus au point 23 et ne pouvait fonder une décision de l'AIPN.

47.
    Il s'ensuit que la décision attaquée, qui est directement et exclusivement fondée sur cet avis, est illégale. La décision attaquée doit donc être annulée sans qu'il soit besoin d'examiner encore les autres arguments et moyen invoqués dans la requête.

Sur les dépens

48.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

49.
    Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision du Conseil du 21 mai 1999 refusant de nommer la requérante fonctionnaire stagiaire, dans le cadre de l'intégration du secrétariat de Schengen au secrétariat du Conseil, en raison d'une inaptitude physique à l'exercice des fonctions envisagées, est annulée.

2)    Le Conseil est condamné aux dépens.

Azizi

Lenaerts
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 janvier 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1: Langue de procédure: le français.