Language of document : ECLI:EU:T:2024:398

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

19 juin 2024 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Notion d’“avantage tiré des décideurs russes” – Notion d’“avantage tiré du gouvernement de la Fédération de Russie” – Article 2, paragraphe 1, sous d) et f), de la décision 2014/145/PESC – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Proportionnalité – Droit de propriété – Liberté d’entreprise »

Dans l’affaire T‑738/22,

Igor Rotenberg, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes D. Rovetta, M. Campa, M. Moretto et V. Villante, avocats, et M. S. Gee, barrister,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J. Rurarz et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents, assistés de Mes B. Maingain et S. Remy, avocats,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, I. Gâlea et S. L. Kalėda, juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 7 février 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Igor Rotenberg, demande l’annulation de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1), dans la mesure où ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent. Il demande également l’annulation de la lettre du Conseil du 16 septembre 2022 par laquelle ce dernier l’a informé qu’il avait décidé de maintenir son nom sur les listes des personnes faisant l’objet de mesures restrictives en vertu des actes attaqués (ci-après les « listes litigieuses »).

 Antécédents du litige

2        La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement notamment de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16). Le même jour, il a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

4        Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1) et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

5        Le 8 avril 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/582 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 110, p. 55) et le règlement d’exécution (UE) 2022/581 mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 110, p. 3). Le Conseil a notamment estimé que les entreprises qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie ou qui tirent avantage de ce gouvernement et qui soutiennent matériellement ou financièrement des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine devraient également faire l’objet de mesures restrictives et a notamment ajouté à ce titre le nom du requérant à la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives figurant à l’annexe de la décision 2014/145.

6        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145 dans sa version ainsi modifiée, dispose ce qui suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

[…]

d) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;

[…]

f) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ;

[…]

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

7        Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

8        Le règlement no 269/2014, dans sa version également modifiée, impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

9        Par lettre du 12 septembre 2022, le requérant a demandé au Conseil l’accès aux éléments de preuve examinés à l’appui de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

10      Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les actes attaqués qui maintiennent le nom du requérant sur les listes litigieuses pour les mêmes motifs que ceux ayant fondé son inscription initiale. Le 15 septembre 2022, le Conseil a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, modifiée par la décision 2022/1530, et par le règlement no 269/2014, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2022/1529 (JO 2022, CI 353, p. 1).

11      Par lettre du 16 septembre 2022, le Conseil a informé le requérant qu’il avait décidé, par les actes attaqués, de maintenir, pour les mêmes motifs, son nom sur la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives.

12      Par lettre du même jour, le requérant a demandé au Conseil l’accès à tous les nouveaux documents et éléments de preuve examinés à l’appui du maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

13       Par lettre du 20 septembre 2022, le Conseil a adressé au requérant le dossier de preuves WK 5025/2022 INIT (ci-après le « dossier de preuves ») sur lequel il avait fondé sa décision.

14      Par lettre du 31 octobre 2022, le requérant a demandé au Conseil de reconsidérer la décision de le maintenir sur les listes litigieuses.

15      Les motifs de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses sont les suivants :

« [Le requérant] est un homme d’affaires milliardaire russe, ainsi que le fils aîné et l’héritier d’Arkady Rotenberg, homme d’affaires milliardaire russe et copropriétaire du groupe SGM (Stroygazmontazh). Il est l’actionnaire majoritaire de Gazprom Drilling. Les Rotenberg sont étroitement associés au président Poutine. En raison de ses fonctions dans des entreprises russes de premier plan, y compris SGM, Gazprom Drilling et Mostotrest, qui ont reçu d’importants contrats publics, et de ses liens étroits avec le président Poutine, Igor Rotenberg tire profit de décideurs russes et du gouvernement de la Fédération de Russie, responsables de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. En outre, c’est une personne physique associée à Arkady Rotenberg et au président Poutine, tous deux inscrits sur la liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. »

 Conclusions des parties

16      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        annuler la décision du Conseil matérialisée par la lettre du 16 septembre 2022 l’avisant du maintien de son nom sur les listes litigieuses ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

17      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la demande d’annulation de sa lettre du 16 septembre 2022 comme étant irrecevable ;

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

18      À l’appui du recours, le requérant soulève une exception d’illégalité de l’article 2, paragraphe 1, sous d) et f), de la décision 2014/145. Il soulève également un premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation et du droit à une protection juridictionnelle effective, un deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et un troisième moyen, tiré d’une violation des droits fondamentaux et notamment de son droit au libre exercice d’une activité économique et de son droit de propriété, ainsi que d’une violation du principe de proportionnalité.

 Sur la recevabilité du recours en tant qu’il est dirigé contre la lettre du 16 septembre 2022

19      Le Conseil soulève l’irrecevabilité du recours en tant qu’il est dirigé contre la lettre du Conseil du 16 septembre 2022, au motif que cette lettre ne ferait que communiquer la décision, adoptée par les actes attaqués, de maintenir le nom du requérant sur les listes litigieuses. Ladite lettre ne serait donc pas un acte affectant la situation juridique du requérant, qui n’aurait aucun intérêt à la contester.

20      Le requérant n’a pas présenté d’observations écrites à cet égard. Lors de l’audience, il a soutenu que la lettre du Conseil du 16 septembre 2022 était une décision autonome confirmant la position du Conseil, formalisée dans les actes attaqués. Il s’agirait d’un acte préparatoire, inextricablement lié aux actes attaqués et qui constituerait un complément de motivation.

21      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation, au sens de l’article 263 TFUE, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci. À cet égard, il a été jugé qu’un acte à caractère purement informatif ne saurait ni affecter les intérêts du destinataire ni modifier la situation juridique de celui-ci par rapport à la situation antérieure à la réception dudit acte (arrêt du 11 décembre 2012, Sina Bank/Conseil, T‑15/11, EU:T:2012:661, point 30 ; voir, également, ordonnance du 25 avril 2023, RT France/Conseil, T‑605/22, non publiée, EU:T:2023:228, point 31 et jurisprudence citée).

22      En l’espèce, la lettre du Conseil du 16 septembre 2022 est l’acte par lequel ce dernier a indiqué au requérant qu’il avait décidé de prolonger les mesures restrictives dont il faisait l’objet. Dans cette lettre, le Conseil a également mentionné que le requérant pouvait demander des dérogations aux autorités nationales compétentes en application de l’article 4 du règlement no 269/2014 et qu’il pouvait lui demander, avant le 2 novembre 2022, de reconsidérer sa décision, documentation à l’appui. Il a également mentionné le droit de recours du requérant.

23      L’envoi de cette lettre faisait suite à l’adoption des actes attaqués, à savoir la décision 2022/1530 et le règlement d’exécution 2022/1529, qui maintiennent le nom du requérant sur les listes litigieuses.

24      Il s’agit donc d’un acte purement informatif qui, comme tel, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation, au sens de l’article 263 TFUE. 

25      Partant, le deuxième chef de conclusions du requérant tendant à l’annulation de cet acte doit être rejeté comme étant irrecevable.

 Sur le fond

 Sur l’exception d’illégalité de l’article 2, paragraphe 1, sous d) et f), de la décision 2014/145

26      Le requérant se fonde, en réplique, sur l’article 277 TFUE et fait valoir que la notion d’ « avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie » telle que strictement interprétée par le Conseil, est illégale car elle permet d’inscrire sur les listes litigieuses toute personne active dans des marchés publics, ce qui ne serait pas compatible avec la liberté d’entreprise, protégée par l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et le droit de propriété protégé par son article 17, pas plus qu’avec les objectifs des sanctions européennes à l’encontre de la Russie.

27      Le Conseil estime que l’exception d’illégalité doit être déclarée irrecevable ou, en tout état de cause, non fondée.

28      Il convient de relever que l’exception d’illégalité n’a été invoquée que dans la réplique. Le fait que le requérant ait explicité, lors de l’audience, que cette exception d’illégalité dépendait de l’interprétation par le Tribunal de la notion d’ « avantage », n’infirme pas ce constat.

29      Or, le cadre du litige est déterminé par la requête introductive d’instance et une exception d’illégalité est irrecevable au stade de la réplique (voir arrêt du 27 septembre 2005, Common Market Fertilizers/Commission, T‑134/03 et T‑135/03, EU:T:2005:339, point 51 et jurisprudence citée). En outre, l’exception d’illégalité n’est fondée sur aucun élément de droit ou de fait qui se serait révélé au cours de la procédure au sens de l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal.

30      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter comme irrecevable l’exception d’illégalité soulevée, pour la première fois, au stade de la réplique.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation et du droit à une protection juridictionnelle effective

31      Le requérant soutient que les motifs indiqués dans les actes attaqués constituent une motivation incomplète, stéréotypée ou contradictoire. Il fait valoir que le Conseil n’explique pas en quoi il tirerait avantage de décideurs russes et du gouvernement de la Fédération de Russie, alors qu’il ne détiendrait plus de participation dans les sociétés qui y sont mentionnées. En outre, le Conseil n’indiquerait pas en quoi le fait d’être le fils d’Arkady Rotenberg serait pertinent au regard des critères d’inscription appliqués. Il n’indiquerait pas davantage en quoi « les Rotenberg » seraient étroitement associés au président Poutine et qui serait visé. En outre, le requérant indique ne pas comprendre en quoi le fait d’avoir conclu d’importants contrats publics permettrait de considérer qu’il a contribué ou soutenu l’action de la Russie. Enfin, selon le requérant, il n’est pas expliqué en quoi le fait d’obtenir des contrats publics impliquerait un avantage indu par rapport à ceux attribués à des tiers.

32      Le Conseil conteste cette argumentation.

33      Selon une jurisprudence constante, le droit à une protection juridictionnelle effective, affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite à sa demande (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 100 et jurisprudence citée).

34      En outre, il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises aux fins d’en apprécier le bien-fondé et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêts du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 25, et du 6 septembre 2023, Pumpyanskiy/Conseil, T‑291/22, non publié, EU:T:2023:499, point 25).

35      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).

36      Enfin, il importe de rappeler que la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application des mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 60, et du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 111).

37      En l’espèce, la motivation retenue à l’égard du requérant dans les actes attaqués est celle exposée au point 15 ci-dessus.

38      Il en résulte de manière suffisamment claire que le Conseil a inscrit le nom du requérant sur les listes litigieuses en se fondant, d’une part, sur l’avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie, responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145 et au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f) de la même décision [ci-après, pris ensemble, les « critères d) et f) »] ainsi que, d’autre part, sur le critère relatif aux personnes physiques et morales, entités ou organismes qui leur sont associés (article 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145).

39      En outre, contrairement à ce que fait valoir le requérant, les circonstances énoncées dans la motivation sont suffisamment claires, précises et non stéréotypées pour lui permettre de comprendre les raisons pour lesquelles son nom a été maintenu sur les listes litigieuses.

40      En particulier, il en résulte suffisamment clairement que l’avantage tiré de décideurs russes et du gouvernement de la Fédération de Russie consiste notamment dans le fait d’être copropriétaire du groupe SGM (Stroygazmontazh), actionnaire majoritaire de Gazprom Drilling et des fonctions occupées dans des entreprises russes de premier plan ayant conclu d’importants contrats publics. Le fait que la motivation ne contienne pas davantage de détails concernant notamment les contrats publics ne saurait conduire à constater une violation de l’obligation de motivation, dès lors que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 34 ci-dessus, le Conseil n’est pas tenu de spécifier tous les éléments de fait et de droit pertinents et que le requérant a été mis en mesure de comprendre la portée des mesures prises à son égard.

41      De même, la motivation concernant le critère de l’association du requérant à son père et au président Poutine est explicitement mentionnée.

42      Il y a lieu d’ajouter que, par lettre du 20 septembre 2022, le Conseil a fait droit à la demande d’accès au dossier formulée par le requérant et lui a adressé le dossier de preuves sur lequel il avait fondé les actes attaqués. Or, ce dossier contenait les précisions relatives aux éléments justifiant le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, y compris les fondements juridiques de celui-ci.

43      Dès lors, le requérant ayant été mis en mesure de comprendre la portée des mesures prises à son égard, le fait que la motivation ne mentionne pas davantage de précisions sur l’avantage tiré et sur la nature du lien d’association en cause ne contrevient pas aux exigences de motivation telles que rappelées aux points 32 à 34 ci-dessus.

44      Enfin, les autres arguments soulevés par le requérant, concernant le fait qu’il ne détiendrait plus de participation dans les sociétés mentionnées, que le fait de conclure d’importants contrats publics ne permettrait pas d’étayer son soutien à l’action de la Russie, que l’obtention de contrats publics n’impliquerait pas un avantage « indu » et que le lien avec son père serait purement familial, relèvent de l’appréciation au fond.

45      Il convient d’en conclure que la motivation des actes attaqués est suffisamment claire et précise pour permettre au requérant de connaître les raisons ayant conduit le Conseil à considérer que l’inscription de son nom sur les listes litigieuses était justifiée, d’en contester la légalité devant le juge de l’Union et pour permettre à ce dernier d’exercer son contrôle.

46      Partant, il y a lieu de rejeter les arguments du requérant selon lesquels la motivation des actes attaqués serait imprécise et, ce faisant, méconnaîtrait l’obligation de motivation ainsi que son droit à une protection juridictionnelle effective.

47      Dès lors, le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

48      Le requérant soutient que les faits exposés par le Conseil dans les motifs des actes attaqués sont inexacts. D’une part, il conteste tirer avantage des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie au sens des critères d) et f) et, d’autre part, il conteste être associé à son père et au président Poutine au sens du critère 2, paragraphe 1, in fine, de la décision 2014/145.

49      Le Conseil conteste cette argumentation.

50      Tout d’abord, il importe de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 121).

51      Ensuite, il convient de souligner que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 122).

52      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 123).

53      En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 115).

54      En outre, il importe de relever que la situation de conflit dans lequel la Fédération de Russie et l’Ukraine sont impliqués rend en pratique particulièrement difficile l’accès à certaines sources, l’indication expresse de la source primaire de certaines informations ainsi que l’éventuel recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent ainsi contribuer à faire obstacle à ce que des preuves précises et des éléments d’information objectifs soient apportés (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 116 et jurisprudence citée).

55      C’est à la lumière de ces règles jurisprudentielles qu’il convient d’examiner le bien-fondé des arguments du requérant concernant le respect des critères d) et f) appliqués en l’espèce.

56      Pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil s’est fondé sur les éléments du dossier de preuves suivants :

–        un article de l’encyclopédie en ligne Wikipédia concernant le requérant (élément de preuve no 1) ;

–        un article publié sur le site Internet du magazine Forbes en date du 8 mars 2018, concernant une vue d’ensemble des avoirs du requérant et de la structure de ses revenus (élément de preuve no 2) ;

–        un article publié sur le site Internet du quotidien Süddeutsche Zeitung en date du 21 septembre 2020 concernant le transfert d’avoirs au sein de la famille Rotenberg pour contourner les sanctions (élément de preuve no 3) ;

–        un article publié sur le site Internet du quotidien Washington Post en date du 5 octobre 2021 concernant l’effet des sanctions sur les oligarques et notamment en matière de contournement desdites sanctions (élément de preuve no 4) ;

–        un article publié sur le site Internet du magazine Forbes en date du 22 février 2018 concernant les Russes qui profitent le plus des contrats publics et mentionnant notamment le requérant pour ses actions à hauteur de 78,71 % dans Gazprom Burenie au 29 décembre 2017, société bénéficiaire d’appels d’offres des sociétés d’État Gazprom et Rosneft en 2017 (élément de preuve no 5) ;

–        une étude du 29 juillet 2020 du comité d’investigation du Sénat des États-Unis sur la structure des avoirs des oligarques russes, notamment sur le marché de l’art et sur leur utilisation pour contourner les sanctions (élément de preuve no 6) ;

–        un article publié sur le site Internet « rbc.ru » en date du 13 janvier 2018, indiquant que le requérant est parmi les trois propriétaires de Gazprom Drilling (élément de preuve no 7) ;

–        un article publié sur le site Internet « Fortune.com » en date du 23 février 2022, indiquant notamment que le requérant est copropriétaire du groupe SGM et qu’il est un « proche associé de Poutine » (élément de preuve no 8) ;

–        un article sur le site Internet du Moscow Times en date du 17 novembre 2013 indiquant que le requérant a profité du gouvernement russe en se voyant attribuer un appel d’offres pour construire une autoroute (élément de preuve no 9).

57      Le Tribunal estime pertinent d’examiner d’abord le maintien de l’inscription du requérant au regard de la notion d’ « avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie » au sens des critères d) et f).

58      Le requérant conteste tirer avantage des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie. Premièrement, il indique avoir cédé ses parts du groupe SGM en 2014 à son père, qui les a lui-même revendues en 2019, de sorte que le groupe SGM n’était détenu, au 21 novembre 2019, que par JSC Stroyinvestholding. Depuis le 28 avril 2022, JSC Stroygazmontazh (ci-après « la société SGM » ou « SGM ») serait en procédure de liquidation. Deuxièmement, il indique avoir cédé les parts qu’il détenait dans la société Gazprom Drilling le 26 juillet 2021 et conteste donc contrôler cette société. Troisièmement, il indique avoir cédé les parts qu’il détenait dans la société Mostotrest PJSC en avril 2015 et conteste contrôler ou détenir des parts dans cette société à la date des actes attaqués. En réplique, il évoque diverses sociétés dans lesquelles il soutient ne plus exercer de fonctions ou détenir des parts ou un pouvoir de contrôle. Il ajoute que le fait d’être ou, principalement d’avoir été, impliqué dans certaines sociétés ayant conclu des contrats publics ne suffit pas pour considérer qu’il tire avantage des décideurs ou du gouvernement de la Fédération de Russie. Selon lui, la notion d’ « avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie » exige un avantage indu par rapport à ceux attribués à des tiers, qualitativement ou quantitativement supérieur à un avantage ordinaire. Or, le fait de conclure d’importants contrats publics ne permettrait pas de considérer que le requérant aurait contribué ou soutenu l’action du gouvernement russe en Ukraine ou qu’il aurait obtenu un avantage indu par rapport à d’autres entrepreneurs. Il en conclut que le Conseil n’a pas rapporté la preuve qu’il tirait avantage des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie et soutient ne bénéficier d’aucun contrat d’État attribué à ces sociétés.

59      Le Conseil conteste cette argumentation.

60      Il convient de relever que, s’agissant de la condition afférente à l’avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie, les critères d) et f) n’exigent pas que les personnes ou entités concernées tirent personnellement avantage de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’est de l’Ukraine. Il suffit qu’elles tirent avantage d’un des « décideurs russes » ou du « gouvernement » responsables de ces événements, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien entre les avantages dont bénéficient les personnes désignées et l’annexion de la Crimée ou la déstabilisation de l’est de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 87).

61      Dès lors, l’argument du requérant, selon lequel le fait de conclure d’importants contrats publics ne permettrait pas de considérer qu’il aurait contribué ou soutenu l’action de la Fédération de Russie, est inopérant.

62      Concernant la notion d’ « avantage », au sens des critères d) et f), elle s’analyse comme un bénéfice de toute nature. Ainsi, il a été jugé que la prise de contrôle de certaines entreprises peut apparaître en soi comme un bénéfice, quand bien même elle n’impliquerait pas de profits financiers immédiats (arrêt du 7 juin 2023, Shakutin/Conseil, T‑141/21, non publié, EU:T:2023:303, points 172 et 173).

63      Dans le cadre de l’application des critères d) et f), un tel avantage peut être constitué dès lors que son existence est démontrée.

64      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le simple fait de remporter un ou plusieurs appels d’offres n’est pas en soi suffisant pour conclure à l’existence de liens permettant à la personne intéressée de tirer avantage des décideurs ou du gouvernement russes, au sens des critères applicables (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 215). Toutefois, la notion d’ « avantage » et la question de son ampleur doivent être interprétées au regard des éléments d’espèce, compte tenu de la situation en Ukraine et des objectifs visés par les actes attaqués, à savoir exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine.

65      En outre, s’agissant des notions de « décideurs russes » et de « gouvernement de la Fédération de Russie » à l’origine des avantages dont bénéficient les personnes inscrites sur les listes litigieuses au titre des critères d) et f), il est nécessaire que ces décideurs ou ce gouvernement aient déjà à tout le moins entamé la préparation de l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’est de l’Ukraine. C’est lorsque cette condition est remplie qu’il doit être considéré que les bénéficiaires desdits avantages ne peuvent pas ignorer l’implication de ces décideurs et de ce gouvernement dans cette préparation et qu’ils peuvent ainsi s’attendre à ce que leurs ressources, obtenues au moins en partie grâce auxdits avantages, soient visées par des mesures restrictives, dans le but d’empêcher qu’ils puissent apporter un soutien aux décideurs ou au gouvernement en question (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 91).

66      Sur ce point, en effet, il doit être relevé que les mesures restrictives en cause constituent une réaction aux politiques et aux activités des autorités russes concernant spécifiquement l’Ukraine, et non à la conduite de ces autorités en général. Or, lesdites politiques et activités ont été mises en œuvre à partir de fin février 2014 (arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 92) et se sont accentuées en 2021 pour culminer avec l’opération militaire en Ukraine du 24 février 2022, la gravité de la situation perdurant à ce jour.

67      Par ailleurs, la notion de « décideurs russes », placée dans le contexte des mesures restrictives en cause, fait référence aux hauts fonctionnaires de la Fédération de Russie, y compris le président de la Fédération de Russie et les membres du gouvernement russe (arrêt du 20 septembre 2023, Mordashov/Conseil, T‑248/22, non publié, EU:T:2023:573, point 92).

68      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si le Conseil a justifié à suffisance de droit que les critères d) et f) étaient remplis.

69      Au préalable, il y a lieu de se prononcer sur la recevabilité des preuves supplémentaires produites par le requérant.

–       Sur la recevabilité des preuves supplémentaires produites par le requérant

70      Il y a lieu de rappeler que l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure prévoit que, à titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

71      En l’espèce, le requérant a produit cinq documents le 24 janvier 2024 en indiquant qu’ils n’ont été disponibles qu’après la clôture de la phase écrite de la procédure intervenue le 24 mai 2023. Il allègue que ces documents sont nouveaux et nécessaires pour réfuter certaines affirmations du Conseil.

72      Le Conseil soutient que ces preuves sont tardives et donc irrecevables ainsi que, en tout état de cause, non pertinentes.

73      Il y a lieu de constater que le premier document, produit en annexe AE.1, consiste en un extrait du registre d’État concernant la liquidation de SGM le 20 juillet 2023. Les deuxième, troisième et quatrième documents, produits en annexe AE.2 à AE.4, consistent en un extrait du registre d’État du 26 décembre 2023, en un article publié sur le site Internet « rbc.ru » en date du 15 décembre 2023 et en un article publié sur le site Internet « tass.ru » en date du 27 décembre 2023 et concernent la cession, le 26 décembre 2023, des parts du requérant dans la société RT-Invest Transport Systems (RTITS) au directeur général de ladite société.

74      Ces documents se réfèrent ainsi à des éléments factuels postérieurs aux actes attaqués. Leur prise en compte est donc exclue en vue de l’appréciation de la légalité de ces actes. Ainsi, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de l’offre de preuves, il convient de constater que, dès lors que ces documents sont sans influence sur l’examen de la légalité des actes attaqués, cette offre de preuve n’est pas pertinente dans le cadre du présent litige.

75      S’agissant des annexes AE.5 et AE.6, en date, respectivement, du 28 juillet et du 27 juin 2023, elles contiennent deux analyses commanditées par le requérant. Il s’agit, premièrement, de la consultation d’un « expert juridique russe indépendant » concernant l’étude du testament du père du requérant concluant que le requérant n’y figure pas et, deuxièmement, d’un rapport d’expert concernant la perception de la corruption en Russie.

76      Selon le requérant, ces analyses visent à réfuter les allégations factuelles avancées par le Conseil à un stade où le requérant n’avait plus la possibilité de répondre.

77      Toutefois, force est de relever que les motifs des actes attaqués se référaient, dès l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, à la notion d’ « héritier », à laquelle la consultation du 28 juillet 2023 entend répondre.

78      De même, l’allégation afférente à la corruption en Russie était déjà présente dans les observations en défense du Conseil, qui avait produit en annexes à sa défense des articles sur le népotisme et la corruption en Russie, auxquelles le rapport du 27 juin 2023 entend répondre.

79      Or, le requérant, qui a lui-même commandité ces analyses, n’a pas exposé les raisons pour lesquelles il n’avait pas été en mesure de les produire à tout le moins à l’appui du mémoire en réplique, de sorte qu’il n’a pas justifié leur production tardive.

80      Partant, les annexes AE.5 et AE.6 ont été produites tardivement et sont donc irrecevables.

–       Sur l’erreur d’appréciation concernant la notion d’ « avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie » au sens des critères d) et f)

81      Il y a lieu d’examiner si c’est à juste titre que le Conseil a maintenu le nom du requérant sur les listes litigieuses aux motifs notamment qu’il était l’actionnaire majoritaire de Gazprom Drilling, copropriétaire du groupe SGM et en raison de ses fonctions dans des entreprises russes de premier plan y compris SGM, Gazprom Drilling et Mostotrest PJSC, qui ont reçu d’importants contrats publics.

82      En premier lieu, s’agissant des fonctions du requérant dans les sociétés Gazprom Drilling, SGM et Mostotrest PJSC, il convient de relever ce qui suit.

83      Tout d’abord, la société Gazprom Drilling (ou Gazprom Burenie) est la plus grande entreprise de forage de Russie, issue de la fusion des services de forage des sociétés du groupe Gazprom, à la suite de la privatisation des actifs fin 2010. Le père du requérant qui la détenait en 2011 a cédé ses parts au requérant en 2014.

84      Comme souligné par le Conseil, il résulte de l’élément de preuve no 5 du dossier de preuves que cette société a remporté plusieurs dizaines d’appels d’offres lancés par les entreprises Rosneft et Gazprom en 2017. Il ressort également de l’élément de preuve no 7 que le requérant détenait 78,71 % de cette société depuis le 29 décembre 2017. Les éléments de preuve no 2, 5 et 7, corroborés par l’annexe B.2 à la défense donnent ainsi des indications sur la fortune du requérant, estimée en 2018 à 1,1 milliard de dollars des États-Unis (USD) (environ 1,02 milliard d’euros), notamment grâce à ses avoirs dans la société Gazprom Drilling, dont la valeur de vente a été estimée à 41-48 milliards de roubles russes (RUB) (environ 418-489 millions d’euros) en 2020.

85      Il ressort cependant du dossier que le requérant et les autres actionnaires de Gazprom Drilling ont cédé leurs parts le 26 juillet 2021 pour 67,929 milliards de RUB (environ 692 millions d’euros) au total à Gazprom. En outre, le requérant souligne ne plus faire partie du conseil d’administration depuis 2019, ce qui n’est pas contesté par le Conseil. À la date des actes attaqués, le requérant n’était donc plus actionnaire majoritaire de Gazprom Drilling.

86      Ensuite, il ressort des éléments du dossier que la société SGM a notamment géré le projet de construction du pont du détroit de Kertch qui relie la Crimée à la Russie et a participé à sa construction. La société SGM a remporté par le passé des appels d’offres et a également conclu des contrats publics sans appels d’offres. Le requérant ne conteste pas avoir contrôlé cette société de 2012 au 5 août 2014, mais indique que ses parts ont été vendues notamment à son père en 2014, via une autre société, puis revendues ensuite. Il indique que, en 2019, le seul actionnaire de cette société était la JSC Stroyinvestholding, réorganisée en « JSC Stroygazmontazh » en septembre 2020, rejoignant le groupe Gazprom en 2021. Il soutient que, lors de l’adoption des actes attaqués, il ne détenait plus de parts dans cette société SGM. Il ajoute que cette société est en procédure de liquidation depuis le 28 avril 2022.

87      Le Conseil ne conteste pas que, lors de l’adoption des actes attaqués, les parts du requérant avaient été vendues. À cet égard, le Conseil a soutenu, dans ses écritures, que les parts du requérant dans SGM ont été vendues en novembre 2019. Toutefois, il ressort de ses réponses lors de l’audience que les actions vendues en novembre 2019 étaient celles du père du requérant. Dès lors, en l’absence de contestation du Conseil à l’audience et en l’absence d’élément infirmant cette allégation, il est considéré que le requérant avait vendu ses parts dans SGM en 2014.

88      Il résulte de ce qui précède que le requérant n’était plus copropriétaire de SGM à la date d’adoption des actes attaqués. En outre, ses fonctions dans SGM datent d’une période qui commence en 2012 et s’achève le 5 août 2014.

89      Enfin, concernant Mostotrest PJSC (ci-après « Mostotrest »), créée en 1992, il ressort de l’élément de preuve no 9 du dossier de preuves que, en 2013, cette société, codétenue par le requérant et son père, a remporté un appel d’offres pour construire et exploiter un tronçon de 209 kilomètres d’une autoroute à péage entre Moscou et Saint-Pétersbourg (Russie). La durée de ce contrat était de 22 ans. Le requérant indique que, de juillet 2014 à avril 2015, il détenait une participation de 38,63 % dans cette société, mais qu’il a vendu cette participation le 28 avril 2015 à un fonds de pension non commercial pour 10 milliards de RUB (environ 102 millions d’euros).

90      Il y a lieu de constater que le contrat en cause est lié à un appel d’offres remporté avant l’annexion de la Crimée. En application de la jurisprudence citée aux points 64 et 65 ci-dessus, il s’agit ainsi d’un contrat conclu avec des décideurs dont le requérant pouvait ignorer l’implication dans le conflit visé par les actes attaqués.

91      En outre, même si l’on ne saurait exclure par principe l’existence d’un avantage tiré des décideurs russes en raison de l’exécution d’un contrat dont la durée se prolongerait après 2014, il reste que, en l’espèce, le constat de l’existence d’un avantage tiré des décideurs russes ne saurait être fondé sur les fonctions du requérant dans la société Mostotrest.

92      Il résulte de tout ce qui précède que les motifs des actes attaqués fondés sur la qualité de copropriétaire de SGM du requérant, sur sa qualité d’actionnaire majoritaire de Gazprom Drilling ou sur ses fonctions dans SGM, Gazprom Drilling et Mostotrest, qui ne reposent pas sur des éléments contemporains des actes attaqués, ne sauraient être considérés comme étant de nature à justifier, par eux-mêmes, l’existence d’un avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie.

93      En second lieu, il convient d’examiner le bien-fondé des motifs des actes attaqués au regard des fonctions du requérant au sein de la société Platon ou RT-Invest Transport System (ci-après « RTITS »).

94      En effet, même si cette société n’est pas en tant que telle mentionnée dans les motifs, l’expression « y compris » indique de façon suffisamment explicite que les sociétés nommément visées dans les motifs ne le sont qu’à titre d’exemples. En outre, les éléments de preuve nos 1 et 2 du dossier de preuves mentionnent cette société RTITS et le requérant lui-même l’a évoquée dans ses écritures et lors de sa demande de présentation de nouvelles preuves.

95      Le requérant indique avoir intégré la société RTITS en novembre 2014. Il ressort des éléments du dossier que, lors de l’adoption des actes attaqués, le requérant détenait 23,5 % des parts de cette société.

96      Il y a lieu de constater que la société RTITS s’est vue attribuer, sans appel d’offres, la gestion d’un système de télépéage permettant de suivre les camions sur les routes fédérales russes et de leur facturer le péage. Cela résulte notamment, d’une part, de l’élément de preuve no 1 du dossier de preuves, lequel est corroboré par l’annexe à la défense B.1, qui contient un article publié sur le site Internet « syl.ru » en date du 19 mars 2017 relatif à la biographie du requérant, ainsi que, d’autre part, de l’élément de preuve no 2. En réplique, le requérant précise que RTITS et la Fédération de Russie, représentée par l’Agence fédérale des routes, ont conclu un contrat de concession le 29 septembre 2014 conformément à l’ordonnance du gouvernement de la Fédération de Russie du 29 août 2014, pour une durée totale de 13 ans à compter de la date de la signature, la redevance de base en vertu du contrat de concession étant de 10 610 millions de RUB (environ 108 millions d’euros) (hors TVA) par an.

97      Certes, selon le requérant, RTITS crée et exploite le système de péage à ses propres frais en utilisant le financement reçu et transfère quotidiennement tous les fonds collectés au budget fédéral. Ces fonds collectés sont, selon lui, versés au Fonds fédéral routier de la Fédération de Russie, les fonds routiers étant alimentés, en particulier, par les péages du système de péage, étant précisé que les péages du système Platon ne sont pas des impôts, mais visent à compenser les coûts liés à la remise en état des routes fédérales publiques. Il se réfère à un article de 2015 du quotidien Vedomosti et à un article de 2017 publié sur le site Internet « Forbes.ru » pour indiquer que les 10,6 milliards de RUB (environ 108 millions d’euros) annuels reçus pour la gestion de Platon « permettent à la société de supporter les frais d’exploitation, les coûts du crédit, les accords avec les fournisseurs, etc. Selon les résultats financiers de 2015, RTITS LLC a exposé 473 millions de RUB (environ 4,82 millions d’euros) en frais de gestion et a subi une perte de 621 millions de RUB (environ 6,33 millions d’euros) du fait d’activités financières et économiques ».

98      Toutefois, force est de constater, à l’instar du Conseil, que le requérant a eu, par le biais de la concession accordée sans appel d’offre à la société RTITS, la garantie de recevoir du budget de l’État une part exceptionnellement importante des 10,6 milliards de RUB (environ 108 millions d’euros) versés à RTITS. À cet égard, il ressort de l’article du 3 août 2021 concernant le requérant, annexé au mémoire en défense en tant qu’annexe B.2, confirmant le dossier de preuves, que, entre 2017 et 2020, « RT-Invest Transport Systems a versé 1,8 milliard de RUB (environ 18 millions d’euros) de dividendes ». Comme le souligne le Conseil, et nonobstant les affirmations du requérant lors de l’audience, selon lesquelles le bénéfice retiré par le requérant ne serait pas considérable pour ce type d’investissement par rapport à la valorisation de la société RTITS, le fait que le requérant confirme détenir 23,5 % de RTITS lui donne droit, à des sommes non négligeables, voire considérables, chaque année, évaluées à plus de 7 millions d’euros sur la période de 2017 à 2020.

99      En outre, il ressort des écritures du requérant que le contrat de concession au profit de RTITS résulte d’une ordonnance no 1662-r du gouvernement de la Fédération de Russie du 29 août 2014, que le système Platon géré par RTITS a en outre été financé par un prêt de la banque d’État Gazprombank et que « l’État était prêt à renoncer à d’autres revenus pour le bien de Platon. En décembre, le président Vladimir Poutine a proposé d’abolir la taxe de transport pour les poids lourds en guise de compensation ». Il résulte également de l’article de 2015 publié sur le site Internet « vedomosti.ru », mentionné par le requérant dans ses écritures, que selon un membre du Conseil de coordination des camionneurs de Saint-Pétersbourg, la société « ‘Platon’ révèle tous les mécanismes cachés de prise de décision dans le système de pouvoir : la redistribution des revenus, quand une concurrence ouverte est remplacée par le lobbying ». Selon l’élément de preuve no 1, le requérant serait assuré de recevoir du budget de l’État une très grande partie des 10,6 milliards de RUB (environ 108 millions d’euros) du 15 novembre 2015 au 29 septembre 2027.

100    Au vu de ce qui précède, il convient de considérer que le Conseil a ainsi suffisamment démontré l’existence d’un avantage, octroyé par le gouvernement de la Fédération de Russie, à la société RTITS par le biais d’un contrat de concession conclu sans appel d’offres, avantage dont le requérant a bénéficié dès sa prise de fonctions au sein de la société RTITS et qui s’est prolongé à tout le moins jusqu’à la date d’adoption des actes attaqués.

101    Dans ce contexte, le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses au titre des critères d) et f) doit être considéré comme justifié à suffisance de droit.

102    Il s’ensuit que le présent moyen doit être rejeté, sans qu’il soit besoin d’examiner les arguments du requérant concernant le critère de l’association.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des droits fondamentaux du requérant et notamment de son droit au libre exercice d’une activité économique et de son droit de propriété, ainsi que d’une violation du principe de proportionnalité

103    Le requérant soutient que l’objectif des mesures restrictives vise à sanctionner ceux qui menacent ou du moins soutiennent ceux qui menacent la souveraineté de l’Ukraine. Or, tel ne serait pas son cas et les mesures restrictives qui lui ont été imposées seraient donc disproportionnées. Il demande l’adoption de mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction pour obtenir l’accès au prétendu dossier confidentiel détenu par le Conseil.

104    Le Conseil conteste cette argumentation.

105    Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 122, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 133).

106    En outre, le droit de propriété fait partie des principes généraux de droit de l’Union et se trouve consacré à l’article 17 de la Charte. De même, aux termes de l’article 16 de la Charte, « [l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».

107    En l’espèce, il y a lieu de relever que les mesures restrictives que comportent les actes attaqués entraînent des limitations dans l’exercice par le requérant de son droit de propriété et de son droit à la liberté d’entreprise.

108    Toutefois, les droits fondamentaux invoqués par le requérant ne constituent pas des prérogatives absolues et leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, à condition que de telles restrictions répondent effectivement auxdits objectifs d’intérêt général et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 148, et du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil, C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, point 80).

109    Pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte aux droits fondamentaux en cause doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel de ladite liberté, viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, et ne pas être disproportionnée (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 222 et jurisprudence citée).

110    Or, force est de constater que ces quatre conditions sont remplies en l’espèce.

111    Il a ainsi été jugé que les mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 et par le règlement no 269/2014 imposées aux personnes physiques et morales, aux entités et aux organismes figurant sur les listes annexées à ces actes remplissaient ces quatre conditions (arrêts du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, points 195 à 200, et du 6 décembre 2023, Zubitskiy/Conseil, T‑359/22, non publié, EU:T:2023:779, points 98 à 105).

112    En outre, en ce qui concerne le préjudice causé au requérant, il est vrai que le droit de propriété et la liberté d’entreprendre de celui-ci sont restreints par les actes attaqués. Toutefois, les inconvénients causés au requérant ne sont pas démesurés par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi par les actes attaqués. En effet, ces actes prévoient de réviser l’inscription sur les listes litigieuses périodiquement en vue d’assurer que les noms des personnes et entités ne répondant plus aux critères pour figurer sur ces listes soient radiés. En outre, les actes attaqués prévoient la possibilité d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

113    Enfin, ce constat d’absence de violation du principe de proportionnalité n’est pas infirmé par l’argument du requérant fondé sur le fait que la notion d’ « avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie », au sens des critères d) et f), permettrait d’imposer des mesures restrictives à des personnes pour la seule raison qu’elles sont actives dans des marchés publics et obtiennent ainsi des « avantages ordinaires » non liés à la crise ukrainienne. Certes, il est exact que le simple fait de remporter un ou plusieurs appels d’offres n’est pas suffisant pour conclure à l’existence de liens permettant à la personne intéressée de tirer avantage des décideurs ou du gouvernement russes, au sens des critères d) et f) (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 215). Toutefois, le contexte doit être pris en compte à cet égard. En outre, il y a lieu de constater que si la notion d’ « avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie » au sens des critères d) et f) peut concerner des personnes actives dans des marchés publics, il reste qu’elle est appliquée en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Au demeurant, en l’espèce, l’avantage relatif à la participation dans la société RTITS ne résulte pas d’un appel d’offres.

114    Dès lors, le requérant n’a pas démontré que cette interprétation de la notion d’ « avantage tiré des décideurs russes ou du gouvernement de la Fédération de Russie », qui concerne notamment les personnes actives dans les marchés publics, irait au-delà de ce qui est nécessaire au regard de l’objectif visé, à savoir exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine.

115    Il s’ensuit que les actes attaqués n’ont pas méconnu le principe de proportionnalité et, en particulier, n’ont pas porté d’atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprise du requérant.

116    Au vu des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le troisième moyen, et partant le recours dans son ensemble, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande du requérant tendant à la production du dossier confidentiel, étant relevé que le Conseil a souligné à cet égard que le dossier de preuves fourni au requérant était complet.

 Sur les dépens

117    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Igor Rotenberg est condamné aux dépens.

Spielmann

Gâlea

Kalėda

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 juin 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.