Language of document : ECLI:EU:T:2023:153

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

22 mars 2023 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Enquête de sécurité interne à la Commission – Prétendues violences commises par des agents de sécurité de la Commission – Interdiction d’accès aux bâtiments – Confiscation de la carte de service – Demande indemnitaire – Rejet de la demande – Principe de bonne administration – Droit à l’intégrité et à la dignité – Erreur d’appréciation – Devoir de sollicitude »

Dans l’affaire T‑21/22,

NY, représenté par Mes A. Champetier et S. Rodrigues, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Lilamand et L. Vernier, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, S. Gervasoni et Mme T. Pynnä (rapporteure), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 26 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, le requérant demande l’annulation de la décision de la Commission européenne du 14 avril 2021 par laquelle celle-ci a rejeté sa demande indemnitaire (ci-après la « première décision attaquée ») ainsi que, en tant que de besoin, de la décision de la Commission du 4 octobre 2021 par laquelle celle-ci a rejeté sa réclamation (ci-après la « seconde décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 1er septembre 2020, le requérant, qui est fonctionnaire à la Commission à Bruxelles (Belgique), a été convoqué, conformément à l’article 13 de la décision (UE, Euratom) 2015/443 de la Commission, du 13 mars 2015, relative à la sécurité au sein de la Commission (JO 2015, L 72, p. 41), à une audition dans le cadre d’une enquête de sécurité. Cette enquête portait sur des allégations relatives à l’envoi de courriels anonymes à caractère menaçant et diffamatoire à des membres du personnel ainsi qu’à des personnes extérieures à la Commission.

3        L’audition a eu lieu le 11 septembre 2020, dans la zone sécurisée de la direction de la sécurité de la direction générale (DG) « Ressources humaines et sécurité » (ci-après la « direction de la sécurité »), au troisième étage du bâtiment Berlaymont de la Commission, en présence de deux enquêteurs de l’équipe d’enquêtes internes de la direction de la sécurité. Lors de cette audition, le requérant a quitté le bureau pour, d’une part, tenter de contacter son avocat et, d’autre part, parler au directeur de la direction de la sécurité. Il aurait, par ailleurs, refusé de quitter les lieux avant d’avoir pu parler à ce dernier et aurait adopté un comportement agressif et provocateur. Les deux enquêteurs, estimant que le comportement du requérant constituait une menace pour la sécurité, ont demandé à des agents chargés de la sécurité interne de le diriger hors des locaux.

4        Le 14 septembre 2020, à la suite de cet incident, l’un des enquêteurs a adopté une décision interdisant au requérant l’accès aux locaux de la Commission pour une durée de trois mois et lui enjoignant de restituer immédiatement à la direction de la sécurité les moyens d’accès aux bâtiments de la Commission dont il disposait, à savoir sa carte de service et sa vignette de stationnement.

5        Par courriel du 20 octobre 2020, le requérant a demandé une consultation avec le médecin du travail ainsi qu’avec le psychiatre de la Commission en vue d’établir l’impact de l’incident du 11 septembre 2020 sur sa santé physique et mentale.

6        Le 21 octobre 2020, le directeur de la direction de la sécurité a informé le requérant que l’administration avait l’intention d’adopter une nouvelle décision remplaçant la décision du 14 septembre 2020. Le conseil du requérant a fait part des observations de son client par courriel du 27 octobre 2020.

7        Le 6 novembre 2020, le directeur de la direction de la sécurité a adopté une nouvelle décision se substituant à celle du 14 septembre 2020. Cette décision interdisait au requérant l’accès à quatre bâtiments de la Commission, n’incluant pas le bâtiment Breydel, jusqu’au 14 novembre 2020 et ne mentionnait pas que sa carte de service devait être restituée.

8        Le 12 novembre 2020, lorsque le requérant s’est rendu au bâtiment Breydel pour un rendez-vous médical, sa carte de service n’a pas fonctionné à l’entrée. Il a été informé que cette dernière devait lui être retirée et que, en conséquence, il devait être accompagné par l’un des agents de sécurité présents jusqu’au service médical, puis jusqu’à la sortie du bâtiment.

9        Le même jour, en réponse à un courriel envoyé par le conseil du requérant au nom de son client, le directeur de la direction de la sécurité a indiqué que le retrait de la carte de service était injustifié et a présenté ses excuses au requérant, qui a pu récupérer ladite carte en fin de journée.

10      Le 22 décembre 2020, le requérant a introduit une demande indemnitaire, sur le fondement de l’article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») aux fins de réparation des préjudices subis en conséquence des incidents des 11 septembre et 12 novembre 2020. Par cette demande, le requérant a demandé le versement d’une somme de 5 000 euros au titre de la réparation des préjudices physique, moral et psychologique causés les 11 septembre et 12 novembre 2020 par des membres du personnel de la direction de la sécurité et d’une somme de 1 000 euros au titre du remboursement de ses frais d’assistance juridique.

11      Le 14 avril 2021, la Commission a adopté la première décision attaquée rejetant la demande indemnitaire du requérant.

12      Cette décision a fait l’objet d’une réclamation, introduite par le requérant le 1er juin 2021, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

13      Le 4 octobre 2021, la Commission a adopté la seconde décision attaquée, par laquelle elle a rejeté ladite réclamation.

 Conclusions des parties

14      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la première décision attaquée ainsi que, en tant que de besoin, la seconde décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du litige

16      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, la réclamation administrative, telle que visée à l’article 90, paragraphe 2, du statut et son rejet, explicite ou implicite, font partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge. Dans ces conditions, un recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée, sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation aurait une portée différente de celle de l’acte contre lequel cette réclamation a été formée (voir arrêt du 8 juillet 2020, WH/EUIPO, T‑138/19, non publié, EU:T:2020:316, point 33 et jurisprudence citée).

17      En effet, toute décision de rejet d’une réclamation, qu’elle soit implicite ou explicite, ne fait, si elle est pure et simple, que confirmer l’acte ou l’abstention dont le réclamant se plaint et ne constitue pas, prise isolément, un acte attaquable, de sorte que les conclusions dirigées contre cette décision sans contenu autonome par rapport à la décision initiale doivent être regardées comme étant dirigées contre l’acte initial (voir arrêts du 12 septembre 2019, XI/Commission, T‑528/18, non publié, EU:T:2019:594, point 20 et jurisprudence citée, et du 8 juillet 2020, WH/EUIPO, T‑138/19, non publié, EU:T:2020:316, point 34 et jurisprudence citée).

18      Toutefois, une décision explicite de rejet d’une réclamation peut, eu égard à son contenu, ne pas avoir un caractère confirmatif de l’acte contesté par la partie requérante. Tel est le cas lorsque la décision de rejet de la réclamation contient un réexamen de la situation de la partie requérante, en fonction d’éléments de droit et de fait nouveaux, ou lorsqu’elle modifie ou complète la décision initiale. Dans ces hypothèses, le rejet de la réclamation constitue un acte soumis au contrôle du juge, qui le prend en considération dans l’appréciation de la légalité de l’acte contesté, voire le considère comme un acte faisant grief se substituant à ce dernier (voir arrêts du 10 octobre 2019, Colombani/SEAE, T‑372/18, non publié, EU:T:2019:734, point 19 et jurisprudence citée, et du 8 juillet 2020, WH/EUIPO, T‑138/19, non publié, EU:T:2020:316, point 35 et jurisprudence citée).

19      En l’espèce, il convient de constater que la seconde décision attaquée rejetant la réclamation et confirmant sur le fond la première décision attaquée complète cette dernière sans en modifier le sens ni la portée (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2021, LP/Parlement, T‑519/20, non publié, EU:T:2021:642, points 16 et 17 ; du 6 avril 2022, MF/eu-LISA, T‑568/20, non publié, EU:T:2022:223, points 26 et 27, et du 19 octobre 2022, JS/CRU, T‑271/20, non publié, EU:T:2022:652, points 28 et 29). En pareille hypothèse, la légalité de la première décision attaquée doit être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la seconde décision attaquée, cette motivation étant censée coïncider avec ledit acte (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2022, MZ/Commission, T‑631/20, EU:T:2022:426, point 21 et jurisprudence citée).

 Sur la recevabilité des observations du requérant du 19 janvier 2023 contenant deux nouvelles offres de preuve

20      Par lettre du 19 janvier 2023, le requérant a produit un document par lequel il a souhaité, d’une part, réagir par écrit au rapport d’audience communiqué aux parties et, d’autre part, soumettre deux nouvelles offres de preuve, en réaction à la duplique. Par décision du président de chambre du 24 janvier 2023, cette lettre a été versée au dossier sans préjudice de l’examen de la recevabilité des nouvelles offres de preuve.

21      Aux termes de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, « [à] titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié ».

22      En premier lieu, en ce qui concerne l’annexe E.1 de la lettre du 19 janvier 2023, celle-ci comprend, d’une part, une lettre du 2 septembre 2021 notifiant le requérant de l’ouverture d’une enquête administrative concernant des comportements allégués datant des 16 avril et 6 septembre 2020 et, d’autre part, une lettre du 1er septembre 2021 informant la directrice de l’Office d’investigation et de discipline de la Commission (IDOC) de l’ouverture d’une enquête administrative concernant des courriels non sollicités et inappropriés envoyés par le requérant à plusieurs personnes entre le 16 avril et le 6 septembre 2020.

23      Bien que le requérant ait indiqué avoir produit ces documents en réaction à un argument de la Commission soulevé dans le cadre de la duplique, il n’indique pas pour quelles raisons ils ont été présentés tardivement, alors qu’ils auraient déjà pu l’être lors du dépôt de la requête. Ces documents doivent, dès lors, être écartés comme étant irrecevables. En tout état de cause, il est constant que l’enquête disciplinaire dont il est question dans ces deux lettres ne concernait pas les mêmes faits que ceux qui sont visés dans le cadre du présent recours.

24      En second lieu, s’agissant de l’annexe E.2 de la lettre du 19 janvier 2023, qui contient une copie du contrat no 328, ayant pour objet des prestations de sécurisation des bâtiments de la Commission, il y a lieu de relever qu’il a été fait mention pour la première fois de ce contrat dans la duplique et que le requérant n’en avait pas connaissance auparavant. La Commission n’ayant pas elle-même fourni spontanément de copie de ce contrat en annexe à la duplique, il ne saurait être reproché au requérant de se l’être procuré lui-même et de l’avoir produit postérieurement. L’annexe E.2 doit donc être déclarée recevable.

 Sur le fond

25      Au soutien de son recours, le requérant invoque trois moyens, tirés, le premier, d’une violation du droit à une bonne administration dont découle un devoir d’impartialité, le deuxième, d’une violation du droit à l’intégrité physique et morale et à la dignité ainsi que d’erreurs manifestes d’appréciation et, le troisième, d’une violation du devoir de sollicitude.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation du droit à une bonne administration et du devoir d’impartialité qui en découle

26      À l’appui du premier moyen, le requérant fait valoir que les décisions attaquées auraient été adoptées par la Commission en violation du droit à une bonne administration, au sens de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que du devoir d’impartialité subjective et objective que ce droit comporte.

27      Ainsi, le requérant relève que la première décision attaquée a été adoptée par le directeur de la direction de la sécurité, alors que la plupart des faits reprochés étaient imputables au comportement d’agents placés sous sa responsabilité. Dès lors, le devoir d’impartialité n’aurait pas été respecté, tant sur le plan subjectif, en ce que le directeur de la direction de la sécurité ne pouvait que manifester un parti pris en faveur de ses agents en répondant lui-même aux accusations formulées contre ces derniers, que sur le plan objectif, en ce qu’il n’était pas en mesure d’offrir les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard.

28      En outre, selon le requérant, la partialité subjective du directeur serait démontrée par d’autres circonstances. En effet, d’une part, il serait l’auteur de la décision du 6 novembre 2020 de restreindre l’accès du requérant à certains bâtiments de la Commission. D’autre part, il exercerait la « tutelle du service » auprès duquel le requérant a demandé l’accès aux enregistrements de vidéosurveillance relatifs à l’incident du 11 septembre 2020 ainsi qu’aux témoignages recueillis dans le cadre de sa demande d’assistance, accès qui se serait révélé biaisé et entravé.

29      Dans sa réplique, le requérant conteste l’interprétation de la jurisprudence invoquée par la Commission dans son mémoire en défense. Il conteste, par ailleurs, que les caméras présentes dans le couloir de sécurité n’aient pas été en état de fonctionnement pendant la période litigieuse et fournit, à cet égard, deux contrats portant sur le renouvellement des câbles et des caméras au troisième étage du bâtiment Berlaymont en avril et en juillet 2020. En outre, le requérant ajoute qu’il a demandé des preuves techniques de ce que les caméras étaient bien hors service, mais que la direction de la sécurité aurait refusé de donner suite à cette demande.

30      La Commission conteste cette argumentation.

31      Par le présent moyen, tiré d’une violation du droit à une bonne administration, tel qu’il découle de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, le requérant invoque, en substance, une violation du devoir d’impartialité de l’administration en raison de la position et du comportement du directeur de la direction de la sécurité en tant qu’auteur de la première décision attaquée.

32      Aux termes de l’article 41 de la Charte, toute personne a le droit, notamment, de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions et les organes de l’Union. Ce devoir d’impartialité recouvre, d’une part, l’impartialité subjective, en ce sens qu’aucun membre de l’institution concernée qui est chargé de l’affaire ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel et, d’autre part, l’impartialité objective, en ce sens que l’institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir arrêt du 20 octobre 2021, Kerstens/Commission, T‑220/20, EU:T:2021:716, point 34 et jurisprudence citée).

33      En premier lieu, s’agissant de l’impartialité subjective, il ressort de la jurisprudence que cette impartialité est présumée jusqu’à preuve du contraire (voir arrêt du 27 novembre 2018, Mouvement pour une Europe des nations et des libertés/Parlement, T‑829/16, EU:T:2018:840, point 49 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, il ne ressort d’aucun élément du dossier que le directeur de la direction de la sécurité ait exprimé le moindre parti pris ou qu’il ait fait des déclarations de nature à laisser transparaître un quelconque préjugé personnel à l’égard du requérant.

34      En second lieu, sur le plan de l’impartialité objective, tout d’abord, s’il est vrai que l’institution doit, selon ce principe, offrir des garanties suffisantes afin d’exclure tout doute légitime quant à un éventuel manque d’impartialité de l’un de ses membres, le requérant se borne à faire valoir, en l’espèce, que le directeur de la direction de la sécurité, auteur de la première décision attaquée, était nécessairement partial du fait que les agents de sécurité auxquels le requérant reproche un comportement fautif étaient sous son autorité lorsqu’il a adopté cette décision.

35      Or, dans un contexte analogue, la jurisprudence a déjà eu l’occasion de préciser que le fait qu’un agent ait introduit une plainte pour harcèlement à l’encontre du fonctionnaire qui devait apprécier ses prestations professionnelles ne saurait, comme tel, en dehors de toute autre circonstance, être de nature à mettre en cause l’impartialité de la personne visée par la plainte (voir arrêt du 8 novembre 2018, QB/BCE, T‑827/16, EU:T:2018:756, point 94 et jurisprudence citée).

36      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que seule l’implication des supérieurs hiérarchiques dans les activités professionnelles des membres du personnel placés sous leur autorité est de nature à leur permettre de porter l’appréciation la plus adéquate possible sur les activités des personnes exerçant sous leurs ordres. Accepter un argument selon lequel ni le chef d’unité ni aucun membre de la hiérarchie du service auprès duquel un membre du personnel est affecté ne devrait participer à une quelconque procédure concernant celui-ci conduirait à une situation dans laquelle une appréciation adéquate des prestations du membre du personnel et de sa conduite dans le service ne serait pas garantie (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2018, QB/BCE, T‑827/16, EU:T:2018:756, point 95 et jurisprudence citée).

37      Dès lors, contrairement à ce que fait valoir le requérant, il ne saurait être question d’une violation du devoir d’impartialité objective en l’espèce, du seul fait que le directeur de la direction de la sécurité ait rejeté sa demande indemnitaire, alors que cette demande trouvait sa cause dans le comportement prétendument fautif de certains agents de sécurité placés sous l’autorité de dernier. En effet, le directeur de la direction de la sécurité s’est limité à prendre une décision relevant de ses compétences, son implication étant de nature à lui permettre de porter l’appréciation la plus adéquate possible sur les activités des personnes exerçant sous ses ordres.

38      En outre, toujours quant au manque d’impartialité objective du directeur de la direction de la sécurité en l’espèce, en raison de l’autorité que celui-ci exerce sur les agents de sécurité dont le comportement a été mis en cause, il convient de tenir compte du fait que sa décision a fait l’objet d’une réclamation, de sorte qu’elle a été réexaminée et rejetée par une autre autorité compétente, dont l’impartialité n’a pas été contestée.

39      À cet égard, il convient de relever que l’objectif de la procédure administrative de réclamation est de permettre et de favoriser un règlement amiable du différend surgi entre le réclamant et l’autorité compétente et d’imposer à cette autorité, dont dépend le fonctionnaire, de réexaminer sa décision, dans le respect des règles, à la lumière des objections éventuelles de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2015, Z/Cour de justice, T‑88/13 P, EU:T:2015:393, point 144). Dans ce cadre, cette procédure permet au réclamant de préciser ses prétentions et à l’administration de corriger d’éventuelles erreurs, de reconsidérer sa position et de compléter la motivation de la décision contestée. Ainsi, la procédure précontentieuse a été prévue non seulement dans l’intérêt de l’administration, mais également dans l’intérêt du fonctionnaire (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 1990, Pfloeschner/Commission, T‑135/89, EU:T:1990:26, point 17), qui doit bénéficier d’un réexamen régulier de la décision de l’administration.

40      Partant, à supposer même que la première décision attaquée ait pu être perçue par le requérant comme ayant été prise par une personne manquant d’impartialité objective, il y a lieu de constater qu’un tel manquement a pu être neutralisé lors de la procédure de réexamen de cette décision, qui a abouti à l’adoption de la seconde décision attaquée, à savoir la décision de rejet de sa réclamation (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Hamers/Cedefop, T‑159/20, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:913, points 60 et 61).

41      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter les éléments invoqués par le requérant visant à remettre en cause l’impartialité du directeur de la direction de la sécurité, auteur de la première décision attaquée, puisque ces éléments ne permettent pas de remettre en cause l’impartialité de l’auteur de la seconde décision attaquée.

42      En tout état de cause, premièrement, s’agissant de la circonstance selon laquelle le directeur de la direction de la sécurité, qui a rejeté la demande indemnitaire du requérant, est également l’auteur de la décision du 6 novembre 2020 de restreindre l’accès de ce dernier à certains bâtiments de la Commission, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que cette décision du 6 novembre 2020 était plus favorable au requérant que la décision initiale à laquelle elle s’est substituée. Cette décision a donc eu pour effet d’améliorer la situation du requérant, et non de la détériorer, de sorte qu’il est difficile de percevoir en quoi elle constituerait le fondement d’un éventuel parti pris négatif à l’égard du requérant.

43      Deuxièmement, s’il est vrai que le directeur de la direction de la sécurité exerçait la tutelle du service auprès duquel le requérant a demandé l’accès aux enregistrements de vidéosurveillance relatifs à l’incident du 11 septembre 2020 ainsi qu’aux témoignages recueillis dans le cadre de sa demande d’assistance, il n’apparaît pas, contrairement à ce que fait valoir le requérant, que cet accès se serait révélé biaisé et entravé. À cet égard, il ressort d’une note signée par le chef de l’unité 2 de la direction de la sécurité que certaines caméras n’étaient pas en état de fonctionnement le jour de l’incident du 11 septembre 2020.

44      En l’absence d’éléments de preuve de nature à remettre en cause le caractère sensé et fiable de cette note, eu égard à son origine, aux circonstances de son élaboration, à son destinataire ou à son contenu, celle-ci doit se voir accorder une force probante (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 124 et jurisprudence citée).

45      En outre, ainsi qu’il ressort du point 61 ci-après, ni les contrats fournis par le requérant dans la réplique ni celui qu’il a produit en annexe à ses observations écrites du 19 janvier 2023 ne sont susceptibles de remettre en cause le caractère plausible des explications selon lesquelles certaines caméras de surveillance n’étaient pas en état de fonctionnement lors de l’incident du 11 septembre 2020.

46      Il convient, par conséquent, de rejeter le premier moyen comme non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du droit à l’intégrité et à la dignité et d’erreurs manifestes d’appréciation

47      À l’appui du deuxième moyen, le requérant fait valoir que, lors de l’incident du 11 septembre 2020, il aurait fait l’objet de violences physiques de la part des agents de sécurité qui l’ont escorté, en violation de l’article 1er et de l’article 3, paragraphe 1, de la Charte, en vertu desquels il incombe à la Commission de protéger sa dignité et son intégrité. En effet, il aurait été plaqué et maintenu dans un coin de l’ascenseur et l’un des agents l’aurait pris violemment par le cou pour le forcer à prendre l’ascenseur et à quitter le bâtiment. Selon le requérant, l’enregistrement vidéo des caméras de surveillance auquel il a pu avoir accès (ci-après la « vidéo litigieuse ») montrerait qu’il était fortement tenu par les mains et le cou et qu’il n’avait pas un comportement agressif, mais était, au contraire, calme et non violent.

48      En outre, le requérant allègue que le rejet de sa réclamation serait fondé sur les conclusions de l’IDOC relatives à la demande d’assistance qu’il a introduite en même temps que ladite réclamation. Or, compte tenu des constats pouvant être tirés de la vidéo litigieuse, dont disposait l’IDOC, les conclusions de cet office selon lesquelles le requérant n’aurait produit aucun commencement de preuve seraient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation, qui entacherait nécessairement la régularité de la décision de rejet de la réclamation.

49      Par ailleurs, le requérant rappelle que, lors de l’incident du 11 septembre 2020, l’un des agents de sécurité l’ayant escorté ne portait pas de masque, ce qui aurait créé un risque pour lui de contracter la COVID-19. Cette violation du protocole sanitaire constituerait une violation par la Commission du devoir de protection de l’intégrité de ses fonctionnaires.

50      La Commission conteste cette argumentation.

51      Il convient de rappeler que, dans le cadre d’une demande en dommages et intérêts formulée par un fonctionnaire ou par un agent, l’engagement de la responsabilité non contractuelle pour comportement illicite d’une institution est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement qui lui est reproché, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de la responsabilité non contractuelle (voir arrêt du 14 décembre 2017, RL/Cour de justice de l’Union européenne, T‑21/17, EU:T:2017:907, point 59 et jurisprudence citée).

52      En l’espèce, le requérant invoque des atteintes à son intégrité (physique et mentale) et à sa dignité qui auraient été causées par les comportements des agents de sécurité lors de l’incident du 11 septembre 2020. Il se fonde à cet égard, sur ses propres déclarations, sur une attestation médicale fournie par son médecin traitant ainsi que sur la vidéo litigieuse restituant, en partie, l’incident du 11 septembre 2020, vidéo qu’il a pu visionner avec son conseil, le 15 novembre 2021, dans les locaux de la direction de la sécurité.

53      Il convient de relever, tout d’abord, en ce qui concerne les déclarations du requérant selon lesquelles il aurait fait l’objet de violences physiques, qu’un agent de sécurité l’aurait « pris violemment par le cou », « plaqué et maintenu dans un coin de l’ascenseur » et qu’un autre agent lui aurait tenu les poignets droit et gauche avec ses deux mains « tout aussi fortement », alors qu’il aurait fait preuve d’un comportement « calme et non violent », que celles-ci ne sont étayées par aucun élément de preuve et qu’elles sont formellement démenties par les conclusions du rapport de l’IDOC du 4 octobre 2021, produit dans le cadre de la demande d’assistance introduite par le requérant, qui repose notamment sur les témoignages de six personnes présentes lors de l’incident du 11 septembre 2020.

54      À cet égard, il ressort des conclusions du rapport de l’IDOC, dont il est fait mention dans la seconde décision attaquée, que, lors de l’entretien de sécurité impliquant le requérant ce jour-là, celui-ci a fait preuve d’un comportement agressif non seulement envers les deux enquêteurs de l’équipe d’enquêtes internes de la direction de la sécurité, mais aussi, à l’issue de l’audition à laquelle il a lui-même mis fin, envers différents membres du personnel de la direction de la sécurité, en haussant le ton et en refusant de collaborer et de sortir des locaux de la Commission avant d’avoir pu parler au directeur. C’est donc au vu de son comportement non collaboratif, provocateur et verbalement agressif que le requérant a été considéré comme présentant une menace pour la sécurité, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous b), de la décision 2015/443 et qu’il a été escorté par deux agents de sécurité, sans que l’intervention de ces derniers puisse être qualifiée d’inappropriée ou de disproportionnée au vu de ce comportement. Enfin, selon ce rapport, il ne ressort d’aucun élément du dossier que le requérant aurait été pris violemment par le cou ni qu’il aurait été plaqué et maintenu dans un coin de l’ascenseur comme il le soutient.

55      Ensuite, le requérant fait valoir, cependant, que le contenu de la vidéo litigieuse montrerait clairement qu’il était fermement tenu par le cou par l’un des agents de sécurité et qu’un autre agent le tenait fermement par les poignets, alors qu’il avait un comportement non agressif, contrairement aux allégations de la Commission.

56      Par ordonnance du 19 décembre 2022, le Tribunal a ordonné qu’une copie de cette vidéo soit produite, conformément à l’article 92, paragraphe 3, du règlement de procédure.

57      Or, après avoir visionné le contenu de ladite vidéo, le Tribunal estime qu’elle ne permet pas davantage d’établir les allégations du requérant selon lesquelles il aurait été victime de « violences » ou « fermement tenu par le cou ». Tout au plus cette vidéo permet-elle de constater l’exercice d’une contrainte physique sur le requérant, dans un premier temps, afin de l’escorter vers la sortie du bâtiment Berlaymont. Une telle contrainte physique ne saurait toutefois être assimilée à de la « violence », comme le fait valoir le requérant. Lors de sa sortie du bâtiment à proprement parler, le requérant a même été escorté sans le moindre contact physique, comme en atteste l’enregistrement des caméras du hall d’entrée du bâtiment. Dans ces conditions, au vu du comportement non collaboratif et verbalement agressif du requérant lors de son audition, tel qu’attesté par le rapport de l’IDOC, il y a lieu de considérer que, compte tenu des éléments du dossier, il n’apparaît pas que les agents de sécurité aient fait un usage inapproprié ou disproportionné de leurs prérogatives.

58      Le requérant maintient, néanmoins, qu’il aurait été « pris violemment par le cou » et « plaqué et maintenu dans un coin de l’ascenseur » dans le couloir de la zone non sécurisée et dans l’ascenseur, c’est-à-dire dans des zones qui n’apparaissent pas sur la vidéo litigieuse et qui auraient normalement dû être filmées par d’autres caméras de surveillance (ci-après la « zone litigieuse »).

59      Toutefois, il y a lieu de relever que la Commission a précisé, tant dans le cadre de la procédure administrative que dans le cadre du présent litige, que ces caméras n’étaient pas en état de fonctionnement au moment des faits, ce qui est confirmé par une note du chef de service de l’unité 2 de la direction de la sécurité (voir points 43 et 44 ci-dessus).

60      Si le requérant produit, en annexe à ses observations écrites du 19 janvier 2023, le contrat no 328 (voir point 24 ci-dessus), mentionné par la Commission dans la duplique, selon les explications fournies par la Commission lors de l’audience, ce contrat prévoyait la mise à jour du système de sécurité, ce qui permettrait d’expliquer pourquoi les caméras de surveillance ne fonctionnaient pas dans la zone litigieuse lors de l’incident du 11 septembre 2020. Interrogé à ce sujet lors de l’audience, le requérant a estimé, cependant, qu’il était peu plausible que toutes les caméras de surveillance situées dans la zone litigieuse n’aient pas fonctionné en même temps pendant près de neuf mois, alors que ce contrat prévoyait que les travaux en cause seraient finalisés dans un délai de 90 jours ouvrables. La Commission a néanmoins expliqué, de manière plausible, qu’il était fréquent que l’exécution d’un tel contrat prenne plus de temps que ce qui était initialement prévu, pour des raisons de contraintes techniques notamment. De plus, la Commission a précisé que les caméras de surveillance dans la zone litigieuse ne fonctionnaient pas lors de l’incident du 11 septembre 2020 en raison de travaux de rénovation, ce qui est confirmé par la note du chef de service de l’unité 2 de la direction de la sécurité (voir points 43 et 44 ci-dessus).

61      Enfin, il convient de relever que le requérant n’a avancé aucun autre élément de preuve permettant de démontrer la réalité du préjudice qu’il aurait prétendument subi du fait de l’intervention des agents de sécurité lors de l’incident du 11 septembre 2020.

62      À cet égard, dans son attestation établie le 27 octobre 2020, soit plus d’un mois après les faits, le médecin traitant du requérant a constaté ce qui suit :

« J’atteste avoir eu une consultation avec [le requérant] le 12 [septembre] pour des symptômes de maux de tête violents et une fatigue extrême. Sa fatigue artérielle était grimpée à des chiffres très élevés alors que d’habitude celle-ci est bien contrôlée sous traitement. Traitement que j’ai dû majorer significativement ce même jour. Cette dégradation de son état tensionnel aurait pu découler d’un incident regrettable survenu au travail le 11 [septembre] (altercation avec gardes de sécurité). »

63      Le médecin traitant du requérant s’est ainsi limité à constater qu’une dégradation de l’état tensionnel du requérant, qui faisait lieu apparemment d’un suivi régulier, « aurait pu découler » d’un incident allégué par le requérant lors de sa consultation le lendemain de cet incident, sans toutefois formellement établir un lien entre l’incident du 11 septembre 2020 et les symptômes qui étaient décrits. Ledit médecin n’a par ailleurs établi aucune lésion corporelle ni aucun dommage sur le plan psychologique et n’a pas non plus mis le requérant en arrêt maladie.

64      Il convient également de relever que, alors même que le requérant invoque un traumatisme psychologique, ce qui l’aurait conduit à consulter un premier psychiatre le 23 septembre 2020, à se présenter aux urgences psychiatriques le 23 octobre 2020, puis à consulter un autre psychiatre les 6 novembre et 1er décembre 2020, il n’a produit aucun certificat médical ou aucune attestation signée par l’un de ces médecins faisant état d’un tel traumatisme, ni encore moins, à plus forte raison, établissant un quelconque lien avec l’incident survenu le 11 septembre 2020.

65      Force est de constater, dans ces conditions, que les déclarations du requérant ne sont étayées par aucun élément concret et objectif et ne peuvent être qualifiées que de simples supputations. Il ne saurait, dès lors, être considéré que le requérant a satisfait aux exigences de preuve de la réalité du préjudice allégué (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2004, Polinsky/Cour de justice, T‑1/02, non publié, EU:T:2004:298, point 93).

66      De même, s’agissant des allégations du requérant concernant le défaut de port du masque de l’un des agents de sécurité lors de l’incident du 11 septembre 2020, si elles sont corroborées par la vidéo litigieuse et si la Commission reconnaît qu’il s’agit d’un fait « regrettable », le requérant se limite à faire valoir qu’un tel comportement lui a fait courir un « risque pour sa santé », sans toutefois établir le moindre dommage concret en résultant, consistant par exemple en une dégradation de son état de santé à la suite d’une contamination à la COVID-19.

67      Or, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le préjudice dont il est demandé réparation doit être réel et certain, ce qu’il appartient à la partie requérante de démontrer (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, EU:C:2006:708, point 27 et jurisprudence citée).

68      En l’espèce, le seul fait que l’omission du port du masque, par un seul des agents de sécurité concernés et pendant un temps limité, ait pu, par ailleurs, constituer une violation des règles sanitaires en vigueur ne saurait suffire pour établir l’existence d’un dommage réel et certain pour le requérant.

69      Il convient de constater, dès lors, que le requérant, auquel incombe la charge de la preuve à cet égard (voir, en ce sens, ordonnance du 28 septembre 2009, Marcuccio/Commission, T‑46/08 P, EU:T:2009:362, point 67 et jurisprudence citée), n’a pas été en mesure de produire d’élément probant établissant la réalité du dommage qu’il prétend avoir subi, ni d’établir l’existence d’un lien de causalité direct entre ce prétendu dommage et le comportement fautif allégué.

70      Partant, contrairement à ce que fait valoir, en substance, le requérant, la Commission n’a commis aucune erreur d’appréciation en rejetant sa demande indemnitaire, dès lors que, à supposer même qu’une faute de service puisse être imputée à la Commission en raison du comportement inapproprié de certains de ses agents de sécurité, la réalité du dommage que le requérant prétend avoir subi, concernant les atteintes alléguées à son intégrité et à sa dignité, n’était pas suffisamment établie.

71      Par conséquent, les conditions visées au point 51 ci-dessus n’étant pas réunies, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen comme non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du devoir de sollicitude

72      À l’appui de son troisième moyen, le requérant relève plusieurs comportements de la Commission constitutifs d’une violation du devoir de sollicitude, qui auraient engendré à son égard un préjudice moral.

73      Premièrement, le requérant invoque le manque de soutien du service médical de la Commission à la suite de l’incident du 11 septembre 2020. D’une part, il souligne l’absence de réponse du DA, médecin-conseil psychiatre, même après le retour de congé maladie de ce dernier, le 1er décembre 2020, à son courriel du 13 novembre 2020. D’autre part, il relève l’absence de réponse du Dr B, médecin du service médical, à ses courriels des 20 et 27 octobre 2020, alors que le départ à la retraite du Dr B aurait eu lieu à la fin du mois de décembre 2020. Il estime que la crise sanitaire ne saurait suffire à expliquer l’absence totale de réaction à ses demandes.

74      Deuxièmement, le requérant fait valoir que le comportement de la directrice faisant fonction de la direction de la sécurité, le jour même de l’incident précité, démontre aussi un manque de sollicitude en ce qu’elle n’a pas donné suite à son appel téléphonique, alors qu’il souhaitait s’entretenir avec elle avant l’arrivée des agents chargés de l’escorter à l’extérieur du bâtiment.

75      Troisièmement, s’agissant de l’incident du 12 novembre 2020, le requérant soutient, en premier lieu, que la Commission ne conteste pas avoir commis une faute de service, en qualifiant elle-même d’« injustifié » le traitement qui lui a été infligé, tout en évoquant un « malentendu » ou un « cas isolé » dans la décision de rejet de la réclamation. En deuxième lieu, le requérant fait valoir que les dommages qu’il a subis consistent en l’humiliation publique, en l’injustice et en l’atteinte à sa réputation professionnelle résultant de la confiscation de sa carte de service et du fait d’avoir été escorté par deux gardes en présence de collègues et d’autres personnes, indépendamment de leur nombre. En troisième lieu, il estime que les excuses dont se prévaut la Commission ne pourraient suffire à nier la réalité de ces dommages, dans la mesure où elles ont été adressées uniquement à lui. Enfin, le requérant allègue que l’incident du 12 novembre 2020 aurait aggravé les dommages causés par celui du 11 septembre 2020 et qu’il serait permis de s’interroger sur le caractère prémédité et intentionnel de la confiscation de sa carte de service, à des fins d’intimidation visant à l’empêcher de poursuivre ses actions précontentieuses dénonçant les graves dysfonctionnements de la direction de la sécurité.

76      Dans la réplique, le requérant conteste, en outre, que « peu de personnes » auraient été présentes lors de l’incident du 12 novembre 2020 et souhaite mettre à la disposition du Tribunal une vidéo dont il est l’auteur, qui confirmerait les allées et venues de plusieurs personnes dans le hall en question.

77      Le requérant fait valoir, par ailleurs, s’agissant de sa demande d’entretien avec la directrice faisant fonction de la direction de la sécurité, le 11 septembre 2020, qu’à supposer qu’une telle demande ait été impromptue, il ne comprend pas pour quelles raisons la directrice sollicitée n’a pas pu, une fois disponible, convenir d’un entretien avec lui.

78      La Commission conteste cette argumentation.

79      Selon la jurisprudence, le devoir de sollicitude reflète l’équilibre des droits et des obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre l’autorité publique et les agents du service public, ce qui implique notamment que, lorsqu’elle statue à propos de la situation d’un fonctionnaire, l’autorité prenne en considération l’ensemble des éléments qui sont susceptibles de déterminer sa décision et que, ce faisant, elle tienne compte non seulement de l’intérêt du service, mais aussi de celui du fonctionnaire concerné (voir arrêt du 29 avril 2020, CZ e.a./SEAE, T‑497/19, non publié, EU:T:2020:165, point 50 et jurisprudence citée)

80      S’agissant, premièrement, du grief du requérant relatif au manque de soutien du service médical de la Commission à la suite de l’incident du 11 septembre 2020, il convient tout d’abord de relever que le requérant renvoie notamment, dans le cadre du présent moyen, aux réponses de la Commission, dans la seconde décision attaquée, aux arguments qu’il a présentés dans sa réclamation, sans toutefois présenter ces arguments dans la requête elle-même.

81      Or, il convient de rappeler que, en application de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal, conformément à l’article 53, premier alinéa, dudit statut et à l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit néanmoins être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. Par conséquent, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même [voir arrêt du 25 juin 2020, XH/Commission, T‑511/18, EU:T:2020:291, point 45 (non publié) et jurisprudence citée].

82      En l’espèce, les seuls comportements reprochés à la Commission qui ressortent suffisamment clairement de la requête concernant le prétendu manque de soutien de la part du service médical de la Commission sont, d’une part, l’absence de réponse du Dr A au courriel du requérant du 13 novembre 2020 et, d’autre part, l’absence de réponse de la part du Dr B à ses courriels des 20 et 27 octobre 2020.

83      Certes, il n’apparaît pas que le requérant ait obtenu une réponse du DB à ses courriels des 20 et 27 octobre 2020 ni du Dr A à son courriel du 13 novembre 2020.

84      Il convient de relever, toutefois, que cette absence de réponse peut en partie s’expliquer, d’une part, par le départ à la retraite du DB, en décembre 2020, ainsi que par le congé maladie du Dr A du 16 juillet au 30 novembre 2020 inclus et, d’autre part, par le fait que les membres du service médical étaient très occupés à cette période en raison de la pandémie de COVID-19.

85      En outre, contrairement à ce que fait valoir le requérant, l’absence de réponse auxdits courriels ne suffit pas pour établir le manque de soutien psychologique dont il se prévaut.

86      En effet, selon ce qui ressort de la première décision attaquée :

« [Le requérant] a contacté le service médical le 20 octobre 2020 et a eu une séance téléphonique avec un psychologue du service médical, [Mme C ;] [i]l a indiqué que son psychologue externe l’avait envoyé au service médical afin que son état psychologique soit évalué et certifié[ ; Mme C] lui a expliqué que le secteur psychosocial ne fourni[ssai]t pas une telle certification et lui a conseillé de contacter le médecin du travail, le Dr [B], et un psychologue/psychiatre externe pour l’évaluation de son état psychologique[ ;] Mme [C] a invité [le requérant] à la contacter au cas où il aurait besoin d’un soutien psychologique pendant cette période[ ; e]lle lui a également demandé de contacter son médecin traitant en raison de sa tension artérielle élevée[ ; e]nfin, Mme [C] l’a invité à contacter, le cas échéant, le chef d’unité du service médical, Mme [D ; le requérant] n’a pas contacté le Dr [D ; n]ous ne savons pas si [le requérant] a suivi les conseils donnés pour contacter le Dr [B ; m]ême s’il ne pouvait pas la joindre, il aurait pu revenir vers le secteur psychosocial pour obtenir une aide supplémentaire[ ; l]e service médical de la Commission s’occupe de la médecine du travail et a une mission très claire à cet égard[ ; i]l n’assure pas de suivi médical en termes de traitement ou de médication, il ne peut que renvoyer le personnel à leurs médecins traitants. »

87      Dans le cadre du présent recours, le requérant ne conteste pas les faits mentionnés au point 86 ci-dessus, tels qu’ils sont établis dans la première décision attaquée. Il ressort, par ailleurs, de la seconde décision attaquée que le requérant affirme que le Dr C lui aurait « indiqué qu’il pouvait être entendu, mais que cela resterait confidentiel et que pour une certification, il valait mieux se tourner à l’extérieur de la Commission ». Contrairement à ce que fait valoir le requérant, il ressort de cette déclaration que le DC lui a bien offert une aide psychologique, même s’il lui a indiqué, par ailleurs, que cela resterait confidentiel et que le secteur psychosocial de la Commission ne fournissait pas de « certification ».

88      En tout état de cause, comme le fait valoir la Commission, l’absence de réponse du service médical à ses courriels n’a pas empêché le requérant de consulter son médecin traitant ou des psychiatres externes en vue d’obtenir un tel certificat.

89      Partant, même si certains courriels du requérant sont restés sans réponse, il n’en reste pas moins que le manque de soutien allégué du service médical de la Commission n’est nullement établi et que, par conséquent, la Commission n’a pas manqué à son devoir de sollicitude à l’égard du requérant.

90      En ce qui concerne, deuxièmement, l’absence d’entretien avec la directrice faisant fonction de la direction de la sécurité, le 11 septembre 2020, il convient de relever que le requérant n’avait pas de rendez-vous avec le directeur, qui était en outre remplacé ce jour-là par une directrice faisant fonction. Dans ces circonstances, celle-ci n’avait aucune obligation d’aller à la rencontre du requérant et de lui accorder un entretien dans l’immédiat. Par ailleurs, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que le fait qu’un entretien avec un membre d’encadrement ne soit pas accordé à un fonctionnaire ne saurait constituer en tant que tel une violation du devoir de sollicitude, surtout lorsque cet entretien est sollicité de manière impromptue, comme en l’espèce.

91      Quant à la circonstance selon laquelle le directeur en question n’a pas fait suite à sa demande et ne lui a pas accordé d’entretien dans les jours qui ont suivi, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur la recevabilité d’un tel argument, il convient de relever, d’une part, que le requérant n’a pas démontré avoir sollicité un tel entretien à nouveau après l’incident du 11 septembre 2020 et, d’autre part, qu’il ressort des éléments du dossier que le requérant a, par le biais de son représentant, été rapidement en contact avec l’administration au sujet de cet incident.

92      Partant, l’absence d’entretien avec le directeur de la direction de la sécurité n’est pas constitutif d’un manquement au devoir de sollicitude de la part de la Commission en l’espèce. En tout état de cause, à supposer même qu’un tel manquement fût établi, le requérant n’a pas démontré qu’il lui aurait causé un quelconque préjudice.

93      Troisièmement, s’agissant de l’incident du 12 novembre 2020, il convient de relever que la Commission admet elle-même que le retrait de la carte de service du requérant lors de sa visite médicale au bâtiment Breydel, le 12 novembre 2020, est le fruit d’un malentendu résultant d’un oubli de la direction de la sécurité d’informer les agents de sécurité de l’existence de la nouvelle décision du 6 novembre 2020.

94      S’il est vrai qu’un tel retrait n’était pas justifié et peut avoir généré un sentiment d’injustice et de frustration chez le requérant, le directeur de la direction de la sécurité de la Commission a reconnu le jour même que le retrait de la carte de service du requérant n’était pas justifié et que celui-ci serait contacté pour trouver le moyen le plus simple et le plus rapide de lui rendre cette carte. Le directeur en question s’est par ailleurs excusé pour les désagréments causés. Le requérant a ainsi pu récupérer sa carte de service quelques heures plus tard et il n’indique pas que ce retrait temporaire l’ait empêché d’accéder à un quelconque bâtiment.

95      En outre, il ne ressort d’aucun élément du dossier que le retrait de la carte de service du requérant ait été intentionnel ni qu’il ait pu constituer un acte de pression et d’intimidation, comme le fait valoir le requérant. Ainsi, le requérant n’est pas parvenu à priver de plausibilité l’allégation de la Commission selon laquelle les agents de sécurité ont agi uniquement sur la base de la décision du 14 septembre 2020, qui prévoyait notamment le retrait de sa carte de service, car ils ignoraient l’adoption de la nouvelle décision du 6 novembre 2020, intervenue entre-temps.

96      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’allégation du requérant selon laquelle les dommages causés à sa santé mentale et à sa réputation par l’indicent du 11 septembre 2020 auraient été aggravés par l’incident du 12 novembre 2020 n’est pas établie à suffisance de droit.

97      S’agissant, enfin, des allégations du requérant selon lesquelles le fait d’avoir été escorté par des agents de sécurité à son rendez-vous médical, puis vers la sortie du bâtiment, aurait été constitutif d’une « humiliation publique » et d’une atteinte à sa réputation professionnelle, il convient de relever, tout d’abord, que, ainsi que le fait valoir la Commission, sans avoir été contredite par le requérant sur ce point, l’accompagnement du requérant par lesdits agents s’est fait discrètement et sans contact physique.

98      Par ailleurs, interrogé à ce sujet lors de l’audience, le requérant n’a pas été en mesure d’affirmer que certaines personnes présentes dans le bâtiment Breydel ce jour-là le connaissaient personnellement, de sorte qu’aucune atteinte à sa réputation professionnelle ne saurait être considérée comme étant établie. Il est indifférent, à cet égard, que peu de personnes ou au moins cinq personnes aient été présentes dans ce bâtiment ce jour-là, puisqu’il ne ressort d’aucun élément de preuve que ces personnes auraient été témoins d’une situation humiliante ou embarrassante ni qu’elles connaissaient personnellement le requérant.

99      Au vu de ce qui précède, le préjudice dont se prévaut le requérant, consistant en une humiliation publique et en une atteinte à sa réputation professionnelle, n’est pas suffisamment établi.

100    Par conséquent, les conditions visées au point 51 ci-dessus n’étant pas réunies, il convient de rejeter le troisième moyen comme non fondé, ainsi que le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

101    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 135, paragraphe 1, de ce règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doive pas être condamnée à ce titre.

102    Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que le requérant est la partie qui succombe. En outre, la Commission a, dans ses conclusions, expressément conclu à ce qu’il soit condamné aux dépens. En l’espèce cependant, la Commission a elle-même admis que l’absence de port du masque de l’un des agents de sécurité lors de l’incident du 11 septembre 2020, le retrait de la carte de service du requérant et le fait qu’il ait dû être escorté à son rendez-vous médical lors de l’incident du 12 novembre 2020, bien que n’étant pas susceptibles d’engager sa responsabilité, constituaient néanmoins des faits regrettables. Les circonstances de l’espèce justifient, dès lors, en application des dispositions de l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

da Silva Passos

Gervasoni

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 mars 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : le français