Language of document : ECLI:EU:T:2023:133

Affaire T131/16 RENV

Royaume de Belgique

contre

Commission européenne

 Arrêt du Tribunal (deuxième chambre élargie) du 20 septembre 2023

« Aides d’État – Régime d’aides mis à exécution par la Belgique – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché intérieur et illégal et ordonnant la récupération de l’aide versée – Décision fiscale anticipée (tax ruling) – Bénéfices imposables – Exonération des bénéfices excédentaires – Avantage – Caractère sélectif – Atteinte à la concurrence – Récupération »

1.      Aides accordées par les États – Notion – Aides provenant de ressources de l’État – Décision fiscale anticipée – Réductions des charges fiscales d’entités nationales appartenant à des groupes multinationaux – Inclusion

(Art. 107, § 1, TFUE)

(voir points 27-32)

2.      Aides accordées par les États – Notion – Mesures fiscales – Décision fiscale anticipée – Cadre de référence pour déterminer l’existence d’un avantage et de sa sélectivité – Prise en compte du seul droit national – Non-inclusion dans le cadre de référence d’une pratique administrative contraire à la législation applicable – Admissibilité

(Art. 107, § 1, TFUE)

(voir points 37-81)

3.      Aides accordées par les États – Notion – Octroi d’un avantage aux bénéficiaires – Mesure conférant un avantage fiscal – Décision fiscale anticipée – Exonération fiscale résultant d’une pratique administrative contraire à la législation applicable – Exonération fiscale conduisant à un allègement de la charge fiscale par rapport à celle résultant de l’application des règles normales d’imposition – Inclusion

(Art. 107, § 1, TFUE)

(voir points 92-101)

4.      Aides accordées par les États – Notion – Caractère sélectif de la mesure – Mesure conférant un avantage fiscal – Décision fiscale anticipée – Introduction d’une différenciation entre des opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif du système fiscal national – Mesure pouvant être qualifiée de sélective

(Art. 107, § 1, TFUE)

(voir points 118-141)

5.      Aides accordées par les États – Notion – Caractère sélectif de la mesure – Dérogation au système fiscal général – Justification tirée de la nature et de l’économie du système – Exonération fiscale ne répondant pas de façon nécessaire et proportionnée à des situations de double imposition – Absence de justification

(Art. 107, § 1, TFUE)

(voir points 145-149)

6.      Aides accordées par les États – Affectation des échanges entre États membres – Atteinte à la concurrence – Critères d’appréciation – Aides susceptibles d’affecter lesdits échanges et de fausser la concurrence – Réductions des charges fiscales d’entités nationales appartenant à des groupes multinationaux – Inclusion

(Art. 107, § 1, TFUE)

(voir points 151-157)

7.      Aides accordées par les États – Récupération d’une aide illégale – Aide octroyée sous forme d’exonération fiscale – Réductions des charges fiscales d’entités nationales appartenant à des groupes multinationaux – Identification des entités nationales et des groupes multinationaux comme bénéficiaires de l’aide – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Récupération ordonnée auprès des groupes multinationaux concernés – Absence de violation des principes de sécurité juridique et de légalité

(Art. 108, § 2, TFUE)

(voir points 163-171, 179, 180)

8.      Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Décision de la Commission en matière d’aides d’État – Décision constatant l’incompatibilité d’une aide avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Décision comportant des indications permettant à son destinataire de déterminer le montant à récupérer et les bénéficiaires devant restituer les aides – Motivation suffisante

(Art. 108 TFUE)

(voir points 175-178)

Résumé

Entre 2004 et 2014, l’administration fiscale belge a émis des décisions fiscales anticipées (tax rulings) en faveur d’entités belges de groupes multinationaux d’entreprises. Moyennant ces décisions anticipées, lesdites entités pouvaient réduire leur base imposable en Belgique en déduisant les bénéfices considérés comme étant « excédentaires » des bénéfices qu’elles avaient enregistrés. Selon les autorités fiscales belges, ces bénéfices excédentaires découlaient de synergies, d’économies d’échelle ou d’autres avantages résultant du fait d’appartenir à un groupe multinational et, partant, n’étaient pas imputables aux entités belges en question.

Par une décision du 11 janvier 2016 (1), la Commission a constaté que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires, en vertu duquel le Royaume de Belgique avait émis les décisions fiscales anticipées, constituait un régime d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui était incompatible avec le marché intérieur. Estimant que ce régime avait été mis à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a ordonné la récupération des aides ainsi octroyées auprès de leurs bénéficiaires, dont la liste définitive devait être ultérieurement établie par le Royaume de Belgique.

Saisi à la suite de recours en annulation introduits par le Royaume de Belgique et par plusieurs entreprises identifiées dans la décision de la Commission ou ayant bénéficié d’une décision fiscale anticipée, le Tribunal a annulé la décision de la Commission par un arrêt du 14 février 2019 (2), au motif qu’elle avait erronément constaté l’existence d’un régime d’aides.

Sur pourvoi introduit par la Commission, la Cour a, d’une part, annulé l’arrêt du Tribunal, et, d’autre part, rejeté définitivement les moyens contestant l’existence d’un régime d’aides et la compétence de la Commission (3). Le litige n’étant pas en état d’être jugé s’agissant des moyens d’annulation non encore examinés par le Tribunal, la Cour a renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur ces moyens.

Dans la procédure après renvoi, le Tribunal écarte tous les moyens en annulation soumis à son contrôle et rejette, par conséquent, les recours du Royaume de Belgique et des entreprises requérantes dans leur intégralité.

Appréciation du Tribunal

Au soutien de leurs recours en annulation, le Royaume de Belgique et les entreprises requérantes contestaient notamment l’existence d’un avantage découlant du régime des bénéfices excédentaires et la sélectivité de celui-ci.

S’agissant du système de référence, à savoir le régime fiscal commun ou « normal » par rapport auquel doivent être analysés les deux éléments précédents, le Royaume de Belgique et les requérantes reprochaient à la Commission d’avoir erronément considéré que le système de l’impôt sur le revenu des sociétés en Belgique prévoyait que la totalité des bénéfices enregistrés des sociétés étaient imposés, en ignorant la possibilité d’effectuer des ajustements. Par ailleurs, la Commission aurait erronément exclu le régime des bénéfices excédentaires dudit système de référence.

À cet égard, il ressortait, toutefois, des dispositions applicables du code des impôts sur le revenu que les bénéfices imposables étaient constitués, à la base, par tous les bénéfices enregistrés par les entreprises assujetties à l’impôt en Belgique. En effet, ces bénéfices enregistrés constituaient le point de départ du calcul dudit impôt, sur lesquels pouvaient être effectués les ajustements positifs et négatifs légalement prévus. Or, alors que la législation applicable subordonnait l’ajustement négatif des bénéfices à une double condition, à savoir que les bénéfices de l’entité belge à ajuster aient été repris dans les bénéfices d’une autre société liée et que cette dernière aurait réalisé ces bénéfices si des conditions similaires à celles convenues entre sociétés indépendantes avaient été applicables, l’exonération des bénéfices excédentaires appliquée par les autorités fiscales belges dans leurs décisions fiscales anticipées n’était pas soumise à cette double condition. Au regard de ce constat, le Tribunal conclut que c’est à juste titre que la Commission a considéré que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires, tel qu’appliqué par les autorités fiscales belges, ne faisait pas partie du système de référence applicable en l’espèce.

Le Tribunal rejette également les critiques avancées par le Royaume de Belgique et les entreprises requérantes à l’égard de la constatation, dans la décision attaquée, de l’existence d’un avantage favorisant les bénéficiaires des décisions fiscales anticipées.

D’une part, le Tribunal confirme que la Commission a effectivement examiné le critère de l’avantage et a fourni les éléments pris en compte pour considérer l’existence d’un avantage. Le fait que l’analyse de l’avantage ait été insérée dans une section qui couvre également l’examen de la sélectivité n’a pas d’impact à cet égard. D’autre part, le Tribunal relève que la mise en œuvre du régime des bénéfices excédentaires, caractérisée par l’octroi d’exonérations en méconnaissance des conditions légales applicables, était susceptible de conduire à un allègement de l’impôt que les entités bénéficiaires auraient autrement dû payer. Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir constaté que ce régime était de nature à favoriser ses bénéficiaires.

Le Tribunal écarte, en outre, les différents griefs avancés contre la constatation par la Commission, à l’issue de son raisonnement à titre principal, selon laquelle le régime des bénéfices excédentaires dérogeait au système commun de l’impôt sur les sociétés en Belgique, en ce que la pratique des autorités fiscales belges consistant à effectuer un ajustement négatif unilatéral sans qu’il soit besoin d’établir que les bénéfices à ajuster aient été repris dans les bénéfices d’une autre société et qu’ils soient des bénéfices qui auraient été réalisés par cette autre société si les transactions concernées avaient été réalisées entre sociétés indépendantes, n’était pas prévue par ledit système. Le Tribunal rejette également les griefs avancés contre la conclusion de la Commission selon laquelle l’avantage issu d’une telle pratique des autorités fiscales belges, en dérogation du système de référence, n’était pas accessible à toutes les entités se trouvant dans une situation juridique et factuelle similaire.

En premier lieu, le Tribunal juge que, au regard de la pratique administrative des autorités fiscales, la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que les entités faisant partie d’un groupe multinational ayant bénéficié de l’exonération des bénéfices excédentaires ont reçu un traitement différencié par rapport à d’autres entités en Belgique n’en ayant pas bénéficié, alors que ces entités se trouvaient dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif des règles fiscales de droit commun, à savoir imposer tous les bénéfices imposables de toutes les sociétés résidentes ou actives par l’intermédiaire d’un établissement stable en Belgique.

En deuxième lieu, le Tribunal constate que la Commission n’a pas non plus commis d’erreur d’appréciation en soutenant que le régime en cause était sélectif en ce qu’il excluait les sociétés qui avaient décidé de ne pas effectuer des investissements en Belgique, de ne pas y centraliser des activités et de ne pas y créer d’emplois. En effet, il résultait de l’échantillon de décisions fiscales anticipées analysé dans la décision attaquée que toutes ces décisions avaient été accordées à la suite de propositions des demandeurs de réaliser des investissements en Belgique, d’y relocaliser certaines fonctions ou d’y créer un certain nombre d’emplois.

En troisième lieu, vu qu’aucune décision fiscale anticipée figurant dans ledit échantillon ne concernait des entités appartenant à des groupes d’entreprises de petite taille, il ne saurait pas non plus être reproché à la Commission d’avoir soutenu que le régime en cause était sélectif en ce qu’il n’était pas ouvert aux entreprises faisant partie d’un groupe de petite taille.

Dans ces circonstances, le Tribunal n’estime pas nécessaire d’examiner les griefs avancés à l’encontre du raisonnement sur la sélectivité effectué par la Commission à titre subsidiaire, en ce que l’exonération des bénéfices excédentaires dérogeait au principe de pleine concurrence.

Le Tribunal rejette, de plus, l’argumentation du Royaume de Belgique selon laquelle le régime des bénéfices excédentaires n’était pas financé au moyen de ressources d’État dès lors que les bénéfices excédentaires ne relèveraient pas de sa compétence fiscale.

Sur ce point, le Tribunal précise que, en vertu du système commun d’imposition des bénéfices des sociétés en Belgique, le montant total des bénéfices enregistrés par les sociétés résidentes est, à la base, imposable en Belgique. Ainsi, c’est en prenant en compte ce choix effectué par le législateur belge, dans l’exercice de la compétence fiscale dont il bénéficie, que la Commission a pu conclure que la non-imposition des bénéfices excédentaires d’entités belges de groupes multinationaux, alors qu’ils étaient, à la base, des bénéfices imposables, constituait une perte de ressources qui appartenaient à cet État.

L’argumentation du Royaume de Belgique selon laquelle l’exonération des bénéfices excédentaires, telle qu’appliquée par les autorités fiscales, était justifiée par la nature et l’économie générale du système fiscal et, plus particulièrement, par l’objectif d’éviter les doubles impositions ne saurait pas non plus convaincre. En effet, dans la pratique, une telle exonération n’était pas soumise à la condition de prouver que les bénéfices excédentaires avaient été inclus dans les bénéfices d’une autre société liée ni qu’ils aient effectivement fait l’objet d’une imposition dans un autre État. C’est donc à juste titre que la Commission a conclu que le système d’exonération en cause ne répondait pas de façon nécessaire et proportionnée à des situations de double imposition.

La Commission n’avait pas non plus commis d’erreur en constatant que le régime d’exonération des bénéfices excédentaires faussait ou menaçait de fausser la concurrence et était susceptible d’affecter les échanges au sein de l’Union.

À cet égard, le Tribunal relève que le système d’exonération en cause était susceptible d’altérer les activités au sein des groupes d’entreprises comportant une entité belge, en ce que les décisions d’investissements, de localisation d’activités et de création d’emplois étaient susceptibles d’être prises de façon à ce que cette entité belge réalise des bénéfices qui seraient, par la suite, exonérés en Belgique. Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir considéré que les aides accordées par les décisions fiscales anticipées étaient de nature à affecter les échanges entre les États membres et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence.

Le Tribunal rejette, en outre, les moyens du Royaume de Belgique et des entreprises requérantes tirés d’erreurs commises par la Commission lorsqu’elle a identifié les entités belges ayant obtenu une décision anticipée ainsi que les groupes multinationaux auxquels elles appartenaient en tant que bénéficiaires du régime en cause.

Sur ce point, le Tribunal indique que, dans la décision attaquée, la Commission a mis en exergue des éléments lui permettant de conclure à l’existence, en principe, de liens de contrôle au sein des groupes multinationaux d’entreprises auxquels appartenaient les entités belges ayant obtenu des décisions anticipées. Compte tenu de ces éléments, la Commission n’a pas outrepassé sa large marge d’appréciation lorsqu’elle a estimé que lesdits groupes constituaient une unité économique avec ces entités, bénéficiant d’aides d’État au titre du régime en cause, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Au regard de ces considérations, la Commission n’avait pas non plus violé les principes de sécurité juridique et de légalité en ordonnant la récupération des aides illégales auprès desdits groupes.

Par ailleurs, il ressort également de la décision attaquée que la Commission avait fourni, conformément à la jurisprudence, des explications permettant au Royaume de Belgique de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée tant en ce qui concerne les bénéficiaires auprès desquels les aides devaient être récupérées que le montant à récupérer.

Dans ce même contexte, le Tribunal réfute les arguments des entreprises requérantes tirés d’une violation du principe de proportionnalité en ce que la récupération aurait été ordonnée auprès de tous les bénéficiaires, indépendamment de leur taille, de leurs ressources et de leur degré de sophistication. En effet, la récupération des aides d’État étant la seule conséquence de leur illégalité et de leur incompatibilité avec les règles en matière d’aides d’État, elle ne saurait dépendre de la situation de leurs bénéficiaires.

Enfin, le Tribunal écarte le grief des entreprises requérantes tiré du fait que, en ordonnant la récupération d’un montant égal à l’impôt qui aurait grevé les revenus des bénéficiaires en l’absence d’une décision fiscale anticipée, sans prise en compte des éventuels ajustements positifs qui auraient pu être opérés par une autre administration fiscale au titre des bénéfices excédentaires, la décision attaquée aurait imposé la récupération d’un montant qui pourrait être plus élevé que l’avantage reçu par les bénéficiaires.

À cet égard, le Tribunal rappelle, d’une part, que la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un régime d’aides. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée. D’autre part, et en tout état de cause, la décision attaquée n’a aucune incidence sur les droits dont pourrait se prévaloir tout contribuable, en vertu des conventions de double imposition applicables, notamment, afin d’obtenir un ajustement approprié de ses bénéfices imposables, à la suite d’un ajustement positif effectué par les autorités fiscales d’autres juridictions.


1      Décision (UE) 2016/1699 de la Commission, du 11 janvier 2016, relative au régime d’aides d’État concernant l’exonération des bénéfices excédentaires SA.37667 (2015/C) (ex 2015/NN) mis en œuvre par la Belgique (JO 2016, L 260, p. 61, ci-après la « décision attaquée »).


2      Arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, EU:T:2019:91).


3      Arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International (C‑337/19 P, EU:C:2021:741).