Language of document : ECLI:EU:T:1998:76

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

30 avril 1998(1)

«Fonctionnaires — Échange de fonctionnaires entre le Parlement et lesadministrations nationales — Indemnité de séjour — Frais de voyage —Réclamation — Rejet explicite — Irrecevabilité du recours»

Dans l'affaire T-205/95,

Giampaolo Cordiale, ancien agent temporaire du Parlement européen, demeurantà Messine (Italie), représenté par Mes Jean Noël Louis, avocat au barreau deBruxelles, et Alberto Panuccio, avocat au barreau de Reggio de Calabre, ayant éludomicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. Manfred Peter, chef de division auservice juridique, et Antonio Caiola, membre du service juridique, en qualitéd'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au secrétariat général du Parlementeuropéen, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision duParlement refusant d'accorder au requérant l'indemnité de séjour et le

remboursement des frais de voyage visés par la décision du Parlement du 26octobre 1988 et, d'autre part, une demande de dommages et intérêts,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de Mme P. Lindh, président, MM. K. Lenaerts et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 5 février 1998,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le 26 octobre 1988, le bureau du Parlement européen a adopté une décisionrelative aux échanges de fonctionnaires entre le Parlement et les administrationsnationales (ci-après «décision du 26 octobre 1988»).

2.
    Cette décision dispose :

«Les échanges de fonctionnaires s'effectuent entre le Parlement et lesadministrations publiques et semi-publiques des États membres [...].

[...]

Les agents exerçant leurs fonctions auprès des secrétariats des groupes politiquesdu Parlement peuvent être échangés dans les mêmes conditions que celles prévuespour les échanges de fonctionnaires.

[...]

Le fonctionnaire du Parlement participant aux échanges est mis à dispositionauprès d'une administration nationale. Il reste soumis au statut des fonctionnairesdes Communautés européennes et demeure en position d'activité au sens del'article 35, sous a), de ce statut [...].

[...]

Le Parlement [lui] accorde une indemnité de séjour d'un montant égal à 2/3 del'indemnité de mission de longue durée fixée pour le lieu de mise à disposition etrembourse les frais de voyage au début et à la fin de la mise à disposition».

3.
    Le 12 janvier 1989, le directeur général de la direction générale du personnel, dubudget et des finances du Parlement (ci-après «directeur général») a adressé auxsecrétaires généraux des groupes politiques une note concernant les modalitésd'application de la décision susvisée. Cette note énonce que «[l]a gestionadministrative des opérations d'échanges sera assurée par les services de la divisiondu personnel».

4.
    La décision du Parlement du 12 décembre 1962 relative à la détermination desautorités investies du pouvoir de nomination, modifiée les 16 décembre 1976 et 16février 1982, dispose, en ce qui concerne les agents temporaires, que les pouvoirsdévolus à l'autorité habilitée à conclure les contrats d'engagement par le régimeapplicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après «RAA»)sont exercés, notamment, par les autorités désignées par chaque groupe politiqueen ce qui concerne les agents de ces groupes, le président du groupe ou sonsecrétaire général.

Faits à l'origine du litige

5.
    Le 15 février 1989, le requérant est entré en fonction auprès du groupe politiquelibéral, démocratique et réformateur du Parlement (ci-après «groupe LDR») entant qu'agent temporaire de la catégorie B.

6.
    Par lettre du 23 juillet 1992, le ministre de la Coordination des politiquescommunautaires italien (ci-après «ministre») a demandé au président du groupeLDR le détachement du requérant auprès de ses services.

7.
    Le 15 décembre 1992, le président a répondu qu'un tel détachement priverait legroupe LDR de l'un de ses collaborateurs. Il a indiqué sa préférence pour laprocédure d'échange prévue par la décision du 26 octobre 1988 et a invité leministre à proposer la candidature d'un fonctionnaire italien.

8.
    Par lettre du 13 janvier 1993, le ministre a expliqué qu'il n'avait pu trouver unfonctionnaire disponible au sein de son administration. Il a toutefois proposé lacandidature de Mlle Ruaro qui «souhait[ait] effectuer un stage auprès desinstitutions européennes». Le curriculum vitae de Mlle Ruaro, joint en annexe,indiquait qu'elle était étudiante à la faculté de Trieste et membre bénévole de laJeunesse libérale italienne.

9.
    Le 24 février 1993, le président a écrit au ministre dans les termes suivants :

«[...] j'ai le plaisir de vous faire savoir que le bureau de la présidence du [groupeLDR] a donné une réponse positive à votre demande d'échange de personnel entreM. Giampaolo Cordiale et Mlle Giulia Paola Ruaro, dans le cadre de la procédureprévue par la décision du [...] 26 octobre 1988».

10.
    Le 1er mars 1993, le requérant a rejoint les services du ministre à Rome. Il aréintégré ses fonctions auprès du groupe LDR à Bruxelles le 15 février 1994.

11.
    Par lettre du 21 novembre 1994, il a demandé au secrétaire général du groupeLDR (ci-après «secrétaire général») le paiement de l'indemnité de séjour et leremboursement des frais de voyage prévus par la décision du 26 octobre 1988.

12.
    Par lettre du 22 février 1995, le secrétaire général a rejeté cette demande. Enannexe à sa lettre, il a transmis une lettre que le directeur général lui avaitadressée le 12 décembre 1994.

13.
    Celle-ci indiquait :

«[Les services de la division du personnel] n'ont jamais été saisis d'une demandede mise à disposition de M. Cordiale auprès d'une administration italienne. Dansces conditions il [...] est malheureusement impossible de [...] lui verser lesindemnités qu'il réclame et auxquelles il aurait pu prétendre».

14.
    Le 2 mars 1995, Me Bruno Cordiale, avocat au barreau de Messine, conseil durequérant, a écrit au secrétaire général. Il a fait valoir que la réponse du directeurgénéral du 12 décembre 1994 «[n'était pas] conforme aux dispositions s'appliquanten leur temps aux secrétaires généraux des groupes politiques», soulignant qu'ilincombait au responsable de la division du personnel de mettre en oeuvre, audébut de l'échange, les dispositions pertinentes. Il a conclu que le requérant avaitdroit aux indemnités qu'il réclamait, dans la mesure où il ne pouvait «subir lesconséquences d'une erreur du personnel». Par suite, il a invité le secrétaire généralà «résoudre» ce problème.

15.
    Par lettre du 9 mars 1995, le secrétaire général a répondu à Me Bruno Cordialecomme suit :

«Je vous remercie pour votre lettre du 2 mars dernier, mais je dois vous avouermon étonnement vis-à-vis de son contenu.

M. Giampaolo Cordiale a bien été informé qu'on ne pourrait pas lui appliquer laréglementation relative aux échanges de personnel entre le Parlement européen etle secteur public des États membres, car Mlle Giulia Ruaro n'était pas membre del'administration italienne et que son détachement auprès du cabinet du [ministre]était un accord privé [...] sans aucune implication financière pour notre groupe.

Ceci explique pourquoi notre secrétariat n'a pas informé l'administration duParlement européen, vu que la réglementation en question ne s'appliquait pas».

16.
    Par lettre du 22 mars 1995, Me Bruno Cordiale a transmis au secrétaire général, «àtitre de réclamation», copie de sa lettre du 2 mars 1995, demandant à nouveau lepaiement de l'indemnité de séjour prévue par la décision du 26 octobre 1988. Parlettre du 25 mars 1995 également adressée au secrétaire général, il a formuléquelques observations complémentaires.

17.
    Le secrétaire général n'a pas répondu à ces courriers.

Procédure et conclusions des parties

18.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 octobre 1995, le requérant aintroduit le présent recours.

19.
    Par acte séparé déposé le 26 janvier 1996, le Parlement a soulevé une exceptiond'irrecevabilité au titre de l'article 114 du règlement de procédure. Le requéranta déposé ses observations sur cette exception le 15 mai 1996.

20.
    Par ordonnance du 2 octobre 1996, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé dejoindre cette exception au fond.

21.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure oralesans procéder à des mesures d'instruction préalables. Toutefois, par lettre du 23décembre 1997, il a invité les parties à répondre à certaines questions. LeParlement et la requérante ont répondu à ces questions par lettres déposées augreffe respectivement les 12 et 15 janvier 1998.

22.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses auxquestions posées par le Tribunal à l'audience du 5 février 1998.

23.
    Dans le dispositif de sa requête, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision du Parlement rejetant implicitement sa réclamation;

—    condamner le Parlement au paiement des indemnités et frais de séjour dus;

—    le condamner aux dépens.

24.
    Dans la partie introductive de sa requête, il demande également la condamnationdu Parlement au paiement de dommages et intérêts.

25.
    Le Parlement conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    déclarer le recours irrecevable;

—    le rejeter comme non fondé;

—    condamner le requérant aux dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

26.
    Le Parlement excipe de l'irrecevabilité du recours au motif que le requérant aintroduit sa réclamation en dehors du délai de trois mois prévu par l'article 90,paragraphe 2, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après«statut»).

27.
    Les bulletins de rémunération établis par une institution et délivrés aufonctionnaire constitueraient des actes faisant grief susceptibles de faire l'objetd'une réclamation et, éventuellement, d'un recours (arrêt de la Cour du 19 janvier1984, Andersen e.a./Parlement, 262/80, Rec. p. 195). Pendant la durée dudétachement du requérant auprès du ministre, le Parlement lui aurait envoyé tousles mois ses bulletins de rémunération à son adresse privée à Rome. Ces bulletinsn'auraient contenu aucune indication concernant le paiement de l'indemnité deséjour et le remboursement des frais de voyage visés par la décision du 26 octobre1988. En conséquence, le requérant aurait dû introduire sa réclamation dans undélai de trois mois à compter de sa réintégration dans ses fonctions à Bruxelles, soitle 15 mai 1994 au plus tard. Sa réclamation du 22 mars 1995 serait donc tardive.

28.
    Le requérant soutient que son recours est recevable.

29.
    Premièrement, ses bulletins de rémunération ne pourraient constituer les actes quilui font grief. En effet, ils ne feraient pas apparaître clairement la décision duParlement refusant de lui accorder le paiement de l'indemnité de séjour et leremboursement de ses frais de voyage (arrêts de la Cour du 15 juin 1976,Wack/Commission, 1/76, Rec. p. 1017, du 2 juillet 1981, Garganese/Commission,185/80, Rec. p. 1785, et du 22 septembre 1988, Canters/Commission, 159/86, Rec.p. 4859).

30.
    Deuxièmement, il aurait respecté les délais prévus par les articles 90 et 91 dustatut. En effet, sa lettre du 21 novembre 1994 constituerait une demande au sensde l'article 90, paragraphe 1. Le secrétaire général l'aurait rejetée par ses lettresdes 22 février et 9 mars 1995. Le requérant aurait introduit sa réclamation par lalettre de son conseil du 22 mars 1995, reçue le 27 mars 1995. Cette réclamationaurait fait l'objet d'un rejet implicite réputé être intervenu le 27 juillet 1995. Or, lerequérant aurait déposé son recours le 31 octobre 1995, c'est-à-dire dans le délaide trois mois imparti par l'article 91, paragraphe 3, du statut, augmenté du délaide distance applicable.

Appréciation du Tribunal

31.
    Les dispositions des articles 90 et 91 du statut sont applicables aux agentstemporaires en vertu de l'article 46 du RAA.

32.
    Les délais de réclamation et de recours qu'elles prévoient sont d'ordre public et lejuge communautaire a l'obligation de vérifier la recevabilité du recours au regarddesdits délais (voir arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Moussis/Commission, 227/83,p. 3133, points 12 et 13, et ordonnances du Tribunal du 15 juillet 1993,Hogan/Parlement, T-115/92, Rec. p. II-895, point 31, et du 20 mars 1998,Feral/Comité des régions, T-301/97, non encore publiée au Recueil, point 19).

33.
    Sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'exception d'irrecevabilité tirée par leParlement du non-respect du délai de réclamation prévu par l'article 90,paragraphe 2, du statut, le Tribunal doit constater d'office que le recours est, entout état de cause, tardif, comme n'ayant pas été introduit dans le délai de l'article91, paragraphe 3, du statut.

34.
    Selon une jurisprudence constante, la qualification juridique d'une lettre durequérant de «demande» ou «réclamation» relève de la seule appréciation du jugeet non de la volonté des parties (arrêt du Tribunal du 20 mars 1991, Pérez-MínguezCasariego/Commission, T-1/90, Rec. p. II-143, points 38 à 40, et ordonnances duTribunal du 1er octobre 1991, Coussios/Commission, T-38/91, Rec. p. II-763, point25, Hogan/Parlement, précitée, point 36, du 26 mars 1997, X/Parlement, T-119/96,RecFP p. II-225, point 20, et Feral/Comité des régions, précitée, point 22).

35.
    Dans sa lettre du 21 novembre 1994, le requérant a demandé au secrétaire généralle paiement de l'indemnité de séjour et le remboursement des frais de voyage viséspar la décision du 26 octobre 1988. Dans la mesure où elle invite l'autoritécompétente à prendre une décision à son égard, cette lettre constitue effectivementune demande au sens de l'article 90, paragraphe 1 (arrêt de la Cour du 17décembre 1981, Bellardi-Ricci e.a./Commission, 178/80, Rec. p. 3187, point 9, etordonnance du Tribunal du 25 février 1992, Marcato/Commission, T-64/91, Rec.p. II-243, point 44).

36.
    Le secrétaire général a explicitement rejeté cette demande par sa lettre du 22février 1995. Cette lettre constitue l'acte faisant grief au requérant. En effet, ellerevêt un caractère décisionnel et produit des effets juridiques obligatoires de natureà affecter ses intérêts, en modifiant, de façon caractérisée, sa situation juridique(ordonnance du Tribunal du 25 octobre 1996, Lopes/Cour de justice, T-26/96,RecFP p. II-1357, point 19). De plus, elle lui a été notifiée dans le délai de quatremois imparti par l'article 90, paragraphe 1, du statut.

37.
    Le 2 mars 1995, Me Bruno Cordiale a écrit au secrétaire général. Après avoirsouligné la faute commise par le groupe LDR et réaffirmé le droit du requérant

à l'indemnité de séjour, il a invité le secrétaire général à «résoudre le problème[que le responsable de la division du personnel avait] créé en n'ayant pas pris lesdispositions nécessaires lors de l'échange» du requérant.

38.
    Même si elle n'exige pas expressément le retrait de la décision du 22 février 1995,cette lettre manifeste la volonté du requérant de la contester et vise clairement àobtenir satisfaction de ses griefs à l'amiable. En conséquence, elle constitue saréclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut (arrêts de la Cour du28 mai 1970, Lacroix/Commission, 30/68, Rec. p. 301, point 4, du 22 novembre1972, Thomik/Commission, 19/72, Rec. p. 1155, point 4, et du 14 juillet 1988,Aldinger et Virgili/Parlement, 23/87 et 24/87, Rec. p. 4395, point 13, et ordonnancesdu Tribunal du 7 juin 1991, Weyrich/Commission, T-14/91, Rec. p II-235, point 39,et Feral/Comité des régions, précitée, point 22).

39.
    Au demeurant, le requérant lui-même a considéré que le contenu de cette lettrecorrespondait à celui d'une réclamation. En effet, par sa lettre du 22 mars 1995,son conseil s'est contenté d'en transmettre une copie au secrétaire général, «à titrede réclamation».

40.
    La réclamation du 2 mars 1995 a été explicitement rejetée par la lettre dusecrétaire général du 9 mars 1995, qui excluait tout droit aux sommes litigieuses.

41.
    Dans ces conditions, conformément à l'article 91, paragraphe 3, du statut, ilappartenait au requérant d'introduire son recours dans un délai de trois mois àpartir de la notification de la décision du secrétaire général du 9 mars 1995.

42.
    Si le dossier n'indique pas la date de cette notification, il est établi qu'elle a eu lieuau plus tard le 22 mars 1995. En effet, c'est à cette date que son conseil y arépondu. En conséquence, le délai de recours de trois mois, augmenté d'un délaide distance de dix jours en application de l'article 102, paragraphe 2, du règlementde procédure, a commencé à courir au plus tard à compter du 22 mars 1995.

43.
    N'ayant été déposé que le 31 octobre 1995, le recours est donc irrecevable.

Sur les dépens

44.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partiequi succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selonl'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leursagents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Enconséquence, chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)    Chaque partie supportera ses propres dépens.

Lindh
Lenaerts
Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1: Langue de procédure: l'italien.