ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
5 mars 2003(1)
«Fonctionnaires - Concours général - Épreuves éliminatoires - Pouvoir du jury d'écarter les seuils minimaux de points requis par l'avis de concours - Épreuves de nature comparative - Recevabilité»
Dans l'affaire T-24/01,
Claire Staelen , agent temporaire du Parlement européen, demeurant à Bridel (Luxembourg), représentée par Me J. Choucroun, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,
contre
Parlement européen , représenté par MM. J. F. de Wachter et D. Moore, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
ayant pour objet, à titre principal, une demande d'annulation de la décision du jury du concours EUR/A/151/98 refusant d'admettre la requérante aux épreuves postérieures à l'épreuve VII A, d) dudit concours et, à titre subsidiaire, une demande de réparation du préjudice moral prétendument subi,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),
composé de M. M. Vilaras, président, Mme V. Tiili et M. P. Mengozzi, juges
greffier: M. J. Palacio González, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 20 novembre 2002,
rend le présent
Arrêt
Faits à lorigine du recours
- 1.
- Le 2 mars 1999, un avis a été publié au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 60 A, p. 10), portant sur lorganisation par le Parlement européen de trois concours généraux sur épreuves pour la constitution des listes daptitude en vue du recrutement dadministrateurs de langue française (EUR/A/151/98), dadministrateurs de formation en droit français (EUR/A/152/98) et dadministrateurs adjoints de langue française (PE/89/A). Le premier concours a été organisé avec le Conseil.
- 2.
- La requérante sest portée candidate au concours EUR/A/151/98 - Administrateurs de langue française (ci-après le «concours»).
- 3.
- Le point VII de lavis de concours intitulé «Nature, durée et notation des épreuves» est libellé comme suit:
«A. Épreuves écrites
a) Épreuve de compréhension et de raisonnement logique (tests objectifs à caractère non numérique), sous forme de questionnaire à choix multiple.
[...]
Notation: de 0 à 20 points
Toute note inférieure à 10 sera éliminatoire.
b) Épreuve constituée dune série de questions à choix multiple, visant à évaluer les connaissances relatives à lUnion européenne, ses institutions et ses politiques, voire son environnement culturel et social.
[...]
Notation: de 0 à 10 points
Toute note inférieure à 5 sera éliminatoire.
c) Dissertation sur un thème choisi par le candidat entre plusieurs sujets à caractère général dans des domaines intéressant lUnion européenne pour apprécier le niveau de ses connaissances, ses capacités rédactionnelles et la rigueur de son raisonnement.
[...]
Notation: de 0 à 40 points
Toute note inférieure à 20 sera éliminatoire.
d) Épreuve de nature pratique à partir dun dossier remis au candidat. Cette épreuve doit permettre dévaluer les capacités danalyse et de synthèse du candidat ainsi que son aptitude au traitement dun dossier.
[...]
Notation: de 0 à 40 points
Toute note inférieure à 20 sera éliminatoire.
[...]
Important:
Les épreuves sont corrigées dans lordre précité.
Seront admis aux épreuves orales les candidats ayant obtenu 60 % des points sur lensemble des épreuves écrites et ayant atteint le seuil minimal requis pour chaque épreuve éliminatoire.»
- 4.
- Le point VIII de lavis de concours prévoit que la liste daptitude comportera, par ordre de mérite, pour le concours EUR/A/151/98, le nom des 22 meilleurs candidats.
- 5.
- Les épreuves mentionnées au point VII A, sous a) et b), de lavis de concours [ci-après l«épreuve a)» et l«épreuve b)»] ont été communes aux trois concours mentionnés au point 1 ci-dessus. Les épreuves a) et b) consistaient en des épreuves comportant des questionnaires à choix multiple qui ont été corrigées automatiquement par lecteur optique. Le nombre de points maximal, attribués pour les deux épreuves, était de 152 pour lépreuve a) et de 66 pour lépreuve b).
- 6.
- La requérante a été invitée à participer aux épreuves écrites du concours qui se sont déroulées les 8 et 9 juin 2000.
- 7.
- Il ressort du compte rendu de la réunion du jury du 19 juin 2000 que, à la suite des épreuves écrites, le jury a constaté que, «en appliquant la règle des 50 %, le minimum des points requis était de 76/152 pour lépreuve a) test objectifs, et de 33/66 pour lépreuve b) connaissances sur lUnion européenne». Or, le jury «a décidé de considérer que le minimum des points serait de 64 pour lépreuve a) et de 17 pour lépreuve b)» (ci-après la «décision du jury du 19 juin 2000»).
- 8.
- Par lettre du 26 octobre 2000, le président du jury du concours a informé la requérante que cette dernière, nayant obtenu que 17 points à lépreuve visée au point VII A, sous d), de lavis de concours [ci-après l«épreuve d)»], alors que le minimum exigé pour cette épreuve était de 20 points, ne serait pas admise aux épreuves ultérieures du concours.
- 9.
- Par lettre du 1er novembre 2000, intitulée «réclamation» et adressée au président du jury du concours, la requérante a sollicité un nouvel examen de sa prestation lors de lépreuve d).
- 10.
- Par lettre du 13 novembre 2000, le président du jury a indiqué à la requérante que le jury avait confirmé à lunanimité, après réexamen de ladite prestation, la note qui lui avait été attribuée.
- 11.
- Par lettre du 22 novembre 2000, adressée au président du jury, la requérante a contesté lévaluation de sa prestation par le jury et a interrogé le président du jury sur les critères de notation appliqués aux épreuves antérieures du concours.
- 12.
- Par lettre du 19 décembre 2000, le président du jury a fait savoir à la requérante que la notation de chacune des épreuves du concours avait été effectuée sur une base uniforme et anonyme et que la note initiale de sa prestation lors de lépreuve d) avait été confirmée, individuellement, par chaque membre du jury.
- 13.
- Le 12 janvier 2001, le jury a adopté le rapport comportant la liste d'aptitude des candidats au concours.
Procédure et conclusions des parties
- 14.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 janvier 2001, la requérante a introduit le présent recours, initialement dirigé contre le Parlement et le Conseil.
- 15.
- Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le même jour, elle a également introduit une demande de mesures provisoires ayant, en particulier, pour objet la suspension de la procédure de recrutement entamée par le concours. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal du 2 avril 2001.
- 16.
- Par ordonnance du Tribunal du 7 octobre 2002, le recours a été rejeté comme manifestement irrecevable dans la mesure où il était dirigé contre le Conseil.
- 17.
- Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 19 mars 2001, le Parlement a soulevé une exception dirrecevabilité au titre de larticle 114 du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 14 mai 2001.
- 18.
- Par ordonnance du Tribunal du 24 septembre 2001, l'exception a été jointe au fond.
- 19.
- Au titre de mesures dorganisation de la procédure, le Parlement a été invité à répondre, dans son mémoire en défense, aux questions écrites posées par le Tribunal.
- 20.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé douvrir la procédure orale sans procéder à des mesures dinstruction préalables.
- 21.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de laudience du 20 novembre 2002.
- 22.
- La requérante conclut à ce quil plaise au Tribunal:
à titre principal, annuler lensemble de la procédure de correction des épreuves écrites du concours, ou la décision du jury refusant dadmettre la requérante aux épreuves postérieures à lépreuve d);
à titre subsidiaire:
ordonner au Parlement de produire les notes obtenues par les lauréats et par la requérante aux épreuves c) et d);
ordonner au Parlement de dire si le jury a modifié les limites des points de ces épreuves parce que le nombre de candidats admis à la phase suivante aurait été insuffisant compte tenu du nombre de lauréats fixés par lavis de concours;
ordonner laudition de tous les membres du jury et de Mme Lutgen (en sa qualité de salariée du centre de psychologie appliquée);
condamner le Parlement à lui payer une somme de 12 000 euros en réparation du préjudice moral;
condamner le Parlement aux dépens.
- 23.
- Le Parlement conclut à ce quil plaise au Tribunal:
à titre principal, déclarer le recours irrecevable;
à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé;
ordonner la restitution des documents transmis à la requérante lors de la procédure en référé, à lexception des comptes rendus du jury des 19 juin, 8 novembre et 8 décembre 2000;
condamner la requérante à lensemble des dépens en application de larticle 87, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal.
- 24.
- Lors de laudience, la requérante a renoncé à sa demande dannulation de lensemble de la procédure de correction des épreuves écrites du concours et le Parlement sest désisté de sa demande de restitution des documents transmis à la requérante lors de la procédure en référé, ce dont il a été pris acte par le Tribunal dans le procès-verbal daudience.
Sur la recevabilité
Arguments des parties
- 25.
- Le Parlement soutient que le recours est irrecevable. Il considère que le moyen principal soulevé par la requérante se rapporte à une décision de modification des critères de notation des épreuves a) et b) qui nexiste pas. Le Parlement fait valoir que le jury a procédé à une fixation unique de critères de notation pour ces épreuves lors de sa réunion du 19 juin 2000 et que, partant, la prétendue décision de modification des critères de notation fait défaut.
- 26.
- En outre, il estime que la décision du jury relative aux critères de notation a été prise en vue dêtre appliquée de manière générale et uniforme à tous les candidats, de sorte que la requérante ne peut pas faire valoir lexistence dun acte lui faisant grief.
- 27.
- Le Parlement ajoute que le moyen présenté par la requérante à lappui de son recours en annulation doit être également déclaré irrecevable pour manque dintérêt à agir, car ce moyen concerne des prétendues irrégularités dans la correction des épreuves a) et b) que la requérante a réussies. En outre, le nombre de candidats ayant réussi les épreuves a) et b) naurait pas eu dinfluence sur la notation de lépreuve d), étant donné que, pour cette épreuve, chaque candidat a été noté selon ses propres mérites.
- 28.
- La requérante estime que le recours est recevable en tant quil est dirigé contre la décision de modification des minimums de points requis aux épreuves a) et b). La requérante souligne que le jury a modifié les critères de notation des épreuves a) et b) en baissant le minimum de points requis par lavis de concours. Or, cette possibilité ne figurerait pas dans lavis de concours. En outre, cette décision de modification naurait pas été motivée.
- 29.
- En ce qui concerne son prétendu manque dintérêt à agir, elle considère quelle aurait très probablement réussi lépreuve d) si le nombre de candidats admis à participer à cette épreuve navait pas été modifié en violation des conditions posées dans lavis de concours. Elle estime que, puisque le nombre des candidats participant à lépreuve d) a été plus élevé que si les critères de notation des épreuves a) et b) prévus par lavis de concours avaient été respectés, la sélection des candidats a été plus sévère.
Appréciation du Tribunal
- 30.
- À titre liminaire, il y a lieu didentifier quel est lacte attaqué, à titre principal, par le présent recours. À cet égard, il convient de rappeler que, par lettre du 26 octobre 2000, la requérante a été informée de la décision du jury de ne pas ladmettre aux épreuves postérieures à lépreuve d). Cette décision a fait lobjet dun réexamen par le jury à la suite dune demande en ce sens introduite par la requérante le 1er novembre 2000, conformément au point V de lavis de concours. Le jury a confirmé sa décision de ne pas admettre la requérante aux épreuves suivantes et en a informé la requérante par lettre du 13 novembre 2000. Le présent recours a été introduit à lencontre de cette décision du jury (ci-après la «décision attaquée»).
- 31.
- À cet égard, il y a lieu de relever que ladite décision, adoptée à la suite de la demande de réexamen introduite par la requérante en vertu dune règle que le Parlement sest engagé à respecter, et qui, dès lors, le lie (ordonnance du Tribunal du 3 avril 2001, Zaur-Gora et Dubigh/Commission, T-95/00 et T-96/00, RecFP p. I-A-79 et II-379, point 25; arrêt du Tribunal du 23 janvier 2002,Gonçalves/Parlement, T-386/00, RecFP p. I-A-13 et II-55, point 38), sest substituée à la décision initiale du jury et constitue, donc, lacte faisant grief.
- 32.
- Par ailleurs, il convient de rappeler que constituent des actes ou décisions susceptibles de faire lobjet dun recours en annulation les seules mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci. Lorsquil sagit dactes ou de décisions dont lélaboration seffectue en plusieurs phases, notamment au cours dune procédure interne, telle que celle dun concours, ne constituent des actes attaquables que les mesures fixant définitivement la position de linstitution au terme de cette procédure. En revanche, les mesures intermédiaires dont lobjectif est de préparer la décision finale ne font pas grief au sens de larticle 90, paragraphe 2, du statut et ne peuvent être contestées que de façon incidente lors dun recours contre les actes annulables (arrêt du Tribunal du 15 juin 1994, Pérez Jiménez/Commission, T-6/93, RecFP p. I-A-155 et II-497, points 34 et 35; ordonnance du Tribunal du 2 mai 2001, Barleycorn Mongolue et Boixader Rivas/Conseil et Parlement, T-208/00, RecFP p. I-A-103 et II-479, point 34).
- 33.
- En lespèce, il y a lieu de relever que, à lappui de son recours, la requérante soulève la prétendue violation de lavis de concours, survenue à la suite de la décision du jury du 19 juin 2000 visant à considérer que «le minimum des points serait de 64 pour lépreuve a) et de 17 pour lépreuve b)». Or, une telle décision ne constitue pas, au vu de la jurisprudence susvisée, un acte attaquable et ne peut être contestée par la requérante que de manière incidente dans le cadre dun recours contre un acte lui faisant grief, tel que la décision attaquée.
- 34.
- En conséquence, le recours de la requérante visant, notamment, à lannulation de la décision du jury du 13 novembre 2000, et à lappui duquel elle soulève une éventuelle irrégularité de la procédure du concours, survenue à la suite dune décision du jury du 19 juin 2000, est recevable.
- 35.
- Largumentation du Parlement quant au défaut dintérêt à agir de la requérante est dénuée de toute pertinence sagissant de lappréciation de la recevabilité du présent recours. En réalité, cette argumentation soulève la question de savoir si la décision du jury du 19 juin 2000 modifiant les minimums de points requis aux épreuves a) et b) a eu une incidence sur les résultats des épreuves et, partant, sur la décision attaquée. Cette question relève donc de lexamen du fond du recours.
- 36.
- Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter lexception dirrecevabilité soulevée par le Parlement.
Sur le fond
Arguments des parties
- 37.
- À l'appui de son recours en annulation, la requérante invoque deux moyens. Le premier moyen est tiré d'une violation de lavis de concours ainsi que dune violation des principes dégalité de traitement, dobjectivité et de confiance légitime. Le second moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation.
- 38.
- La requérante affirme, en substance, que le jury a modifié le minimum de points requis par lavis de concours pour réussir les deux premières épreuves, à savoir les épreuves a) et b), de sorte que le nombre de candidats ayant réussi ces deux épreuves a augmenté. Or, le jury serait, malgré son large pouvoir dappréciation, lié par lavis de concours tel quil a été publié.
- 39.
- Elle fait valoir que lavis de concours indiquait que, pour être admis, les candidats devaient obtenir la moitié du nombre maximal de points. Ce nombre sélèverait pour lépreuve a) à 76 (sur un total de 152 points). Or, les candidats ont été admis à lépreuve suivante avec seulement 64 points. De même, la moyenne pour lépreuve b) aurait dû être de 33 points (sur un total de 66 points), alors que les candidats ont été admis à participer à lépreuve suivante après avoir obtenu seulement 17 points.
- 40.
- La requérante souligne que cette situation a eu pour conséquence directe la présence dun nombre beaucoup plus important de candidats aux épreuves suivantes qui étaient de nature comparative et quelle a ainsi été mise en compétition, notamment, avec des candidats ayant bénéficié - sans motifs - de la modification substantielle de lavis de concours.
- 41.
- Elle souligne quune partie des candidats finalement retenus sur la liste daptitude nont pas obtenu la moitié des points pour les épreuves a) et b) comme cela était exigé par lavis de concours.
- 42.
- Le Parlement considère que la décision de modification des critères de notation, dont parle la requérante, est inexistante. Selon lui, le jury na pas fixé initialement puis modifié les critères de notation des épreuves a) et b) du concours. Il aurait seulement décidé de considérer que le minimum de points requis serait de 64 pour lépreuve a) et de 17 pour lépreuve b). Le jury aurait simplement établi un taux de conversion permettant de convertir les points obtenus par les candidats aux épreuves a) et b) par correction automatique en points tels que prévus par lavis de concours.
- 43.
- Le Parlement fait valoir quil incombe au jury de fixer le niveau des épreuves, à savoir de déterminer à partir de quel niveau les candidats sont censés avoir obtenu la moitié des points.
- 44.
- Le Parlement admet, dans ses mémoires, que les épreuves c) et d) sont à considérer, conformément à une jurisprudence constante, comme des épreuves de nature comparative. Or, il fait valoir que les modalités et les critères dévaluation ont été fixés au préalable et que la prestation de chaque candidat à ces épreuvesa été, en conséquence, appréciée par les correcteurs en fonction de ses propres mérites. De cette façon, la nature comparative des épreuves nimpliquerait pas que la sélection des candidats soit plus sévère sil y a un nombre plus important de candidats.
- 45.
- Le Parlement soutient que la requérante naurait jamais pu réussir lépreuve d), même si le nombre de candidats avait été moindre. Il note que la prestation de la requérante à cette épreuve a été considérée par les membres du jury de concours comme étant très insatisfaisante. En effet, la requérante naurait pas préparé une note utilisable comme cela avait été demandé dans les instructions données aux candidats.
- 46.
- Il soutient que, si la fixation des critères de notation est faite de façon objective et que le jury ne commet ni erreur manifeste dappréciation ni détournement de pouvoir, celui-ci peut modifier le taux de conversion permettant de coter des épreuves consistant en une série de questions à choix multiple, à condition que lanonymat des candidats concernés soit respecté.
Appréciation du Tribunal
- 47.
- Il convient de rappeler, tout dabord, que, si lautorité investie du pouvoir de nomination dispose dun large pouvoir dappréciation pour fixer les conditions d'un concours, le jury est lié par le texte de lavis de concours tel quil a été publié (arrêt de la Cour du 18 février 1982, Ruske/Commission, 67/81, Rec. p. 661, point 9). Les termes de lavis de concours constituent aussi bien le cadre de légalité que le cadre dappréciation pour le jury de concours (arrêt du Tribunal du 16 avril 1997, Fernandes Leite Mateus/Conseil, T-80/96, RecFP p. I-A-87 et II-259, point 27).
- 48.
- En conséquence, il y a lieu de vérifier si, en lespèce, le jury du concours a respecté lavis de concours. À cet égard, il faut constater que lavis de concours prévoyait dans son point VII que, en ce qui concerne les épreuves a) et b), léchelle de notation était, respectivement, de 0 à 20 points et de 0 à 10 points et que toute note inférieure à, respectivement, 10 ou 5 serait éliminatoire. Ainsi, chaque épreuve était éliminatoire si le candidat navait pas obtenu la moyenne des points. Ainsi que cela ressort du compte rendu de la réunion du jury du 19 juin 2000, ce dernier a relevé que, «en appliquant la règle des 50 %, le minimum des points requis était de 76/152 pour lépreuve a) tests objectifs, et de 33/66 pour lépreuve b) connaissances sur lUnion européenne».
- 49.
- Il en résulte que, pour respecter lavis de concours sur ce point, le jury aurait dû exiger que les candidats obtiennent au minimum la moitié mathématique des points maximaux aux épreuves a) et b), à savoir 76 points pour lépreuve a) et 33 points pour lépreuve b). En lespèce, le jury a décidé que le minimum de points requis pour réussir lépreuve a) était de 64 et pour réussir lépreuve b) de 17.
- 50.
- Or, même si les points obtenus à la suite de la correction automatique des épreuves a) et b) devaient être convertis à léchelle correspondant à lavis de concours, il nen demeure pas moins que cette conversion ne faisait pas obstacle à une exacte interprétation de lavis de concours qui indiquait que, pour réussir ces épreuves, la moitié des points était exigée. Partant, le jury naurait pas dû admettre aux épreuves ultérieures du concours des candidats ayant obtenu moins de 76 points à lépreuve a) et moins de 33 points à lépreuve b). En effet, en admettant aux épreuves ultérieures du concours des candidats ayant obtenu pour les épreuves a) ou b) une note inférieure, respectivement, à 76 et à 33 points, le jury a méconnu la condition édictée au point VII A de lavis de concours, qui exigeait que tout candidat devait obtenir au moins la moitié des points pour réussir lesdites épreuves.
- 51.
- Cette conclusion nest pas infirmée par les affirmations du Parlement selon lesquelles, en décidant de baisser les minimums de points requis, le jury naurait fait que fixer le niveau de difficulté des épreuves. Certes, il est vrai que le jury dun concours dispose dun large pouvoir dappréciation en ce qui concerne les modalités et le contenu détaillé des épreuves prévues dans le cadre du concours (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 21 mai 1996, Kaps/Cour de justice, T-153/95, RecFP p. I-A-233 et II-663, point 37). Toutefois, le niveau de difficulté des épreuves dun concours est fixé en établissant le contenu détaillé des questions, tandis que les seuils de réussite des épreuves sont fixés par lautorité investie du pouvoir de nomination dans lavis de concours conformément à larticle 1er, paragraphe 1, sous e), de lannexe III du statut des fonctionnaires des Communautés européennes qui indique que cet avis doit spécifier, notamment, dans le cas de concours sur épreuves, la nature des examens et leur cotation respective.
- 52.
- En conséquence, il y a lieu de conclure que, en lespèce, la décision du jury du 19 juin 2000, qui modifie les seuils de réussite pour les épreuves a) et b), a entaché dune irrégularité la procédure du concours.
- 53.
- Or, il est de jurisprudence constante quune irrégularité de procédure nest de nature à vicier un acte que sil est établi que, en labsence de cette irrégularité, ledit acte aurait pu avoir un contenu différent (arrêts de la Cour du 23 avril 1986, Bernardi/Parlement, 150/84, Rec. p. 1375, point 28, et du 10 décembre 1987, Del Plato e.a./Commission, 181/86 à 184/86, Rec. p. 4991, point 36).
- 54.
- Quant à linfluence qua pu avoir, en lespèce, lirrégularité susmentionnée sur les résultats du concours, il y a lieu de relever que, à la suite de la modification des seuils de réussite par le jury, le nombre de candidats acceptés aux étapes postérieures aux épreuves a) et b) du concours a augmenté de façon significative. Comme cela ressort des réponses du Parlement aux questions du Tribunal, si les seuils de réussite pour les épreuves a) et b) avaient été fixés, respectivement, à 76 et à 33 points, seulement 443 candidats pour lépreuve a) et 20 candidats pour lépreuve b) auraient obtenu un nombre de points suffisant pour réussir cesépreuves. Or, à la suite de la fixation des seuils dadmissibilité pour les épreuves a) et b), respectivement, à 64 et à 17 points, 598 candidats pour lépreuve a) et 252 candidats pour lépreuve b) ont été admis aux épreuves ultérieures du concours. Il sensuit que la modification des seuils de réussite par le jury a eu pour conséquence directe daugmenter de manière significative le nombre de candidats présents aux épreuves suivantes qui étaient de nature comparative. Cette circonstance est de nature à vicier le déroulement des épreuves ultérieures. En effet, comme cela ressort de larrêt du Tribunal du 12 juillet 1990, Albani e.a./Commission (T-35/89, Rec. p. II-395, points 43 à 45), une décision du jury qui a pour effet délargir le nombre de candidats autorisés à continuer le concours est susceptible de constituer une irrégularité de nature à vicier la correction ultérieure des épreuves.
- 55.
- Le Parlement soutient que le nombre des candidats na pas affecté les résultats de lépreuve c) et, plus particulièrement, de lépreuve d), dans laquelle la requérante na pas reçu le minimum de points exigé par lavis de concours pour être admise à lépreuve orale. Selon le Parlement, la correction de ces épreuves ne se faisait pas en fonction du nombre de candidats, mais en fonction des critères dappréciation fixés au préalable par le jury et qui étaient objectifs et identiques pour tous les candidats.
- 56.
- À cet égard, il y a lieu dexaminer la nature des épreuves intervenues à la suite de lirrégularité susmentionnée. Lavis de concours prévoit que lépreuve c) consistait en une dissertation sur un thème choisi par le candidat entre plusieurs sujets à caractère général dans des domaines intéressant lUnion européenne et que lépreuve d) était une épreuve de nature pratique à partir dun dossier. Le Parlement a reconnu quil sagissait dépreuves de nature comparative (défense, points 26 à 30, et duplique, point 26).
- 57.
- À cet égard, force est de constater que les épreuves de nature comparative sont par définition des épreuves dans lesquelles les performances de chaque candidat sont appréciées en fonction de celles des autres, de sorte que le nombre des candidats admis à ces épreuves est susceptible davoir une incidence sur les appréciations portées par le jury sur les candidats. Ces dernières reflètent le jugement de valeur porté sur la prestation dun candidat par rapport à celle des autres candidats. Or, plus le nombre des candidats à ce type dépreuves est élevé, plus le niveau des exigences du jury à légard de ceux-ci est important. En lespèce, cette conclusion est dautant plus évidente que seuls 20 candidats auraient été admis aux épreuves ultérieures à lépreuve b) si le minimum des points exigé par lavis de concours avait été suivi par le jury.
- 58.
- Cette conclusion pourrait être remise en cause uniquement si linstitution défenderesse apportait la preuve que chaque candidat a été noté de façon à éliminer toute comparaison par rapport aux autres candidats. À cet égard, il convient de rappeler quil ressort de la jurisprudence que, si une irrégularité intervient pendant un concours, il incombe à linstitution défenderesse de prouverque celle-ci na pas affecté le résultat final du concours (arrêt du Tribunal du 11 février 1999, Jiménez/OHMI, T-200/97, RecFP p. I-A-19 et II-73, point 55).
- 59.
- Or, en lespèce, le Parlement na pas démontré que la correction des épreuves c) et d) aurait été organisée de façon à écarter toute évaluation comparative des candidats. Le Parlement na pas apporté la preuve que les critères de correction de lépreuve c) et, plus particulièrement, de lépreuve d) ont été fixés de telle façon que chaque candidat a été noté sans que ses prestations aient été comparées avec celles des autres candidats. Au contraire, il ressort des documents fournis par le Parlement, et notamment des fiches dévaluation de la performance de la requérante pour lépreuve d) (annexe 6 à la duplique), que chaque candidat na pas seulement été évalué daprès ses propres mérites, mais que ces derniers ont été comparés avec ceux des autres candidats.
- 60.
- Enfin, en ce qui concerne les affirmations du Parlement selon lesquelles les fiches dévaluation de la performance de la requérante démontrent que la correction des épreuves a été effectuée en appliquant des critères objectifs et liés aux exigences de lavis de concours pour lépreuve d), ou selon lesquelles la requérante naurait jamais pu réussir lépreuve d), même si le nombre des candidats à cette épreuve avait été moindre, elles ne sauraient être retenues. En effet, rien ne permet dexclure que, malgré les appréciations négatives portées par les correcteurs sur la performance de la requérante dans lépreuve d), elle aurait pu avoir une note supérieure au minimum exigé par lavis de concours, si le nombre des candidats avait été moindre.
- 61.
- Au vu de ce qui précède, la décision attaquée doit être annulée sans quil soit nécessaire de statuer, dune part, sur le moyen tiré dune violation de lobligation de motivation et, dautre part, sur les autres chefs de conclusions de la requérante, tendant à ce que le Tribunal ordonne certaines mesures dinstruction et à ce qu'elle soit indemnisée pour le préjudice moral subi, ceux-ci ayant été présentés à titre subsidiaire.
Sur les dépens
- 62.
- Aux termes de larticle 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens sil est conclu en ce sens. Le Parlement ayant succombé dans ses conclusions, il y a lieu de le condamner à supporter les dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé, de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête:
1) La décision du jury de concours EUR/A/151/98 refusant d'admettre la requérante aux épreuves postérieures à l'épreuve VII A, d) dudit concours est annulée.
2) Le Parlement supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, y compris les dépens afférents à la procédure en référé.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mars 2003.
Le greffier
Le président
H. Jung
M. Vilaras