Language of document : ECLI:EU:T:2022:40

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

2 février 2022 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BEI – Politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail – Harcèlement moral – Procédure d’enquête – Recours en annulation – Rapport final du comité d’enquête – Acte préparatoire – Irrecevabilité – Décision portant rejet de la plainte – Acte faisant grief – Recevabilité – Article 41 de la charte des droits fondamentaux – Droits de la défense – Droit d’être entendu – Obligation de motivation – Responsabilité »

Dans l’affaire T‑536/20,

LU, représenté par Me B. Maréchal, avocat,

partie requérante,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mmes G. Faedo et K. Carr, en qualité d’agents, assistées de Mes J. Currall et B. Wägenbaur, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis, paragraphe 1, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, d’une part, en substance, à l’annulation du rapport final rendu par le comité d’enquête en matière de respect de la dignité au travail le 13 mai 2020 ainsi que de la décision du président de la BEI du 26 mai 2020 rejetant la plainte pour harcèlement déposée par le requérant et, d’autre part, à obtenir réparation des préjudices que le requérant aurait subis,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, M. Jaeger (rapporteur) et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, LU, est entré au service de la Banque européenne d’investissement (BEI) le 16 octobre 2009 en tant que [confidentiel] (1) au sein de la division [confidentiel].

2        Le 16 juin 2011, il a été affecté à la direction [confidentiel], dont fait partie la direction [confidentiel].

3        Le requérant, en tant que [confidentiel] à la direction [confidentiel], dont le directeur était A, avait comme supérieur hiérarchique direct B, chef de la division [confidentiel], jusqu’au 15 avril 2018, date à laquelle ce dernier, tout en restant membre du [confidentiel], a été remplacé par C.

4        Le 25 mai 2016, le comité de recours de la BEI a fait droit au recours du requérant dirigé contre le refus de promotion dont il avait fait l’objet au titre de son évaluation pour l’année 2014.

5        Le 9 octobre 2017, le requérant a saisi, une première fois, le comité d’enquête en matière de respect de la dignité au travail de la BEI (ci-après le « comité d’enquête »), au titre de prétendus faits de harcèlement commis à son égard par son supérieur hiérarchique direct, B.

6        Le 26 janvier 2018, le comité d’enquête a finalisé son rapport.

7        Par lettre du 31 janvier 2018, le président de la BEI a notifié au requérant le rejet de sa plainte pour harcèlement moral, tout en relevant la recommandation du comité d’enquête, adressée à la direction du personnel de la BEI, selon laquelle il importait de faire en sorte que le successeur de B ne soit pas négativement influencé à l’égard du requérant en raison de la procédure d’enquête prévue par la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail de la BEI qu’il avait initiée en 2017.

8        Le 22 mai 2018, le requérant a saisi le comité de recours de la BEI d’un recours dirigé contre l’évaluation globale de sa performance au titre de l’année 2017, laquelle lui avait été notifiée le 22 mars 2018. Ledit comité a rendu sa décision le 21 octobre 2019.

9        Le 26 juillet 2018, le Bureau de conformité de la BEI (Office of the Chief Compliance Officer) a décidé d’ouvrir une enquête administrative formelle à l’encontre du requérant concernant des enregistrements illégaux de conversations professionnelles, un comportement menaçant et une insubordination envers ses supérieurs hiérarchiques ainsi que la falsification de ses compétences en matière linguistique. Cette enquête a abouti au dépôt d’un rapport final en date du 12 juin 2019.

10      Par courriel du 29 août 2018, le requérant a saisi, une seconde fois, le comité d’enquête au titre de la procédure d’enquête prévue par la politique en matière de respect de la dignité de la personne au travail de la BEI. Cette plainte a été formalisée par le dépôt d’un mémorandum le 18 septembre 2018.

11      Dans cette nouvelle plainte, le requérant a informé le directeur général du personnel de la BEI qu’il souhaitait avoir recours à ladite procédure pour des faits intervenus depuis le mois de janvier 2018.

12      Cette plainte était dirigée contre l’ancien supérieur hiérarchique direct du requérant et ancien chef de la division [confidentiel] dont il relevait, B, contre le directeur de [confidentiel], A, et contre sa nouvelle supérieure hiérarchique directe, C.

13      Les actes dont il se plaignait consistaient, notamment et en substance, dans la fixation d’objectifs de travail irréalisables, dans le retrait de dossiers de son portefeuille de travail sans justification objective, dans l’insertion d’appréciations diffamatoires dans le cadre de sa notation, dans sa mise en cause personnelle et injustifiée devant ses collègues de travail pour des faits dont il n’était pas responsable, dans une immixtion injustifiée de ses supérieurs hiérarchiques, notamment de C, dans son travail, de nature à le retarder et à porter atteinte à sa vie privée et, enfin, dans le fait de se voir imposer des tâches inutiles par ses supérieurs hiérarchiques.

14      Par courriel du 9 octobre 2018, le requérant a soumis au directeur général du personnel de la BEI une liste supplémentaire de faits imputés à sa supérieure hiérarchique directe et prétendument constitutifs de harcèlement.

15      Après diverses difficultés qui ont nécessité des ajournements de l’enquête et après que le requérant a émis des objections sur l’une des personnes composant le comité d’enquête initialement constitué, la BEI a désigné, le 8 octobre 2019, un nouveau membre de ce comité en remplacement de ladite personne.

16      Le 22 novembre 2019, le comité d’enquête a reçu un second addendum au mémorandum du requérant.

17      Le 14 janvier 2020, le comité d’enquête a procédé à l’audition du requérant et de quatre témoins.

18      Le 26 janvier 2020, le comité d’enquête a procédé à l’audition des trois personnes mises en cause par le requérant.

19      Le 30 mars 2020, le projet de rapport du comité d’enquête (ci-après le « projet de rapport ») a été envoyé au requérant et aux trois personnes mises en cause. Le 21 avril 2020, le requérant a fait part de ses commentaires sur ledit projet et l’a notifié au comité d’enquête.

20      Le rapport final du comité d’enquête (ci-après le « rapport du comité d’enquête ») a été établi le 13 mai 2020. Il conclut à l’absence de harcèlement pour défaut de preuve ainsi qu’au caractère malveillant et abusif de la seconde plainte du requérant et recommande d’initier une procédure disciplinaire à l’encontre de ce dernier.

21      Le 26 mai 2020, le président de la BEI a notifié en même temps au requérant le rapport du comité d’enquête ainsi que sa décision d’approuver la recommandation dudit comité et de rejeter sa plainte (ci-après la « décision attaquée »).

22      Le 8 janvier 2021, la BEI a notifié au requérant le fait qu’elle engageait à son égard une procédure disciplinaire, sur la base des faits consignés dans le rapport final de son Bureau de conformité et dans la décision attaquée, et qu’elle le suspendait de ses fonctions pour la durée de cette procédure.

 Procédure et conclusions des parties

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 août 2020, le requérant a introduit le présent recours.

24      Le mémoire en défense a été déposé le 4 janvier 2021, la réplique le 10 mars 2021 et la duplique le 26 avril 2021.

25      La phase écrite de la procédure a été clôturée le 30 avril 2021.

26      Les parties n’ayant pas demandé la tenue d’une audience de plaidoiries au titre de l’article 106, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal (première chambre), s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, dudit règlement, de statuer sans phase orale de la procédure.

27      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler le rapport du comité d’enquête et la décision attaquée ainsi que toute procédure disciplinaire fondée sur ledit rapport et sur ladite décision ;

–        à titre subsidiaire, modifier les conclusions du rapport du comité d’enquête et la décision attaquée, de sorte que, notamment, toute référence à un comportement malveillant, à une faute de sa part ainsi qu’à une procédure disciplinaire soit retirée ;

–        en tout état de cause, condamner la BEI à lui payer :

–        25 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la violation de son « intégrité physique et mentale » et de ses droits à la liberté de pensée, à la liberté d’expression, à une bonne administration ainsi qu’à un recours effectif et à un procès équitable ;

–        25 000 euros au titre du préjudice moral qu’il a subi ;

–        200 euros au titre du remboursement des frais médicaux qu’il a été contraint d’engager et qui ne lui ont pas été remboursés ;

–        enfin, faire supporter à la BEI les dépens relatifs à la présente procédure, fixés de manière provisoire à un montant de 15 000 euros.

28      La BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la compétence pour connaître de la demande tendant à la modification du rapport du comité d’enquête et de la décision attaquée

29      Le requérant demande que soit retirée du rapport du comité d’enquête et de la décision attaquée, notamment, toute référence à un comportement malveillant, à une faute de sa part ainsi qu’à une procédure disciplinaire.

30      Il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que, s’agissant du contrôle de légalité, le Tribunal n’est pas compétent pour adresser des injonctions à l’administration. Concernant le champ d’application de cette règle, il s’étend également aux cas où l’injonction consiste à fournir une certaine information à la partie requérante (voir ordonnance du 25 mars 2020, Lucaccioni/Commission, T‑507/19, non publiée, EU:T:2020:118, point 60 et jurisprudence citée).

31      En l’espèce, la demande du requérant tendant à ce que soient modifiées les conclusions du rapport du comité d’enquête et la décision attaquée par le retrait de tous les faits et déclarations qu’il juge inappropriés revient à adresser une injonction à l’administration, ce qui, selon la jurisprudence citée au point 30 ci-dessus, ne relève pas de la compétence du Tribunal.

32      Eu égard à ce qui précède, cette demande doit être rejetée pour cause d’incompétence.

 Sur la recevabilité

 Sur la recevabilité de la requête

33      La BEI indique éprouver des doutes quant à la recevabilité de la requête, à tout le moins de certaines parties de celle-ci. Elle précise avoir déterminé les passages de l’exposé du requérant concernés par le manque de clarté dans le cadre d’un examen au fond de ses moyens.

34      À cet égard, il y a lieu de relever que, dans la mesure où la BEI indique les passages qu’elle considère comme étant obscurs et justifiant une irrecevabilité, il y a lieu de considérer qu’elle n’excipe que de l’irrecevabilité de certains griefs, ce qui justifie que les fins de non-recevoir qu’elle soulève soient examinées dans le cadre de l’examen de chacun des moyens avancés par le requérant.

 Sur la recevabilité de la demande tendant à l’annulation du rapport du comité d’enquête

35      Le requérant sollicite l’annulation du rapport du comité d’enquête dans la mesure où il estime que c’est à tort que ledit comité n’a pas tenu compte des preuves dont il se prévalait et a conclu en sa défaveur.

36      Selon une jurisprudence constante, l’existence d’un acte faisant grief est une condition obligatoire de la recevabilité de tout recours formé par le personnel de la BEI (voir, en ce sens, arrêt du 7 février 2019, Arango Jaramillo e.a./BEI, T‑487/16, non publié, EU:T:2019:66, point 36 et jurisprudence citée).

37      Constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation les seules mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts de la partie requérante en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celle-ci en tant que fonctionnaire ou agent (voir arrêt du 12 mai 2021, DF et DG/BEI, T‑387/19, non publié, EU:T:2021:258, point 17 et jurisprudence citée).

38      Lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, en principe, ne constituent des actes attaquables que les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale (voir ordonnance du 26 juin 2018, Kerstens/Commission, T‑757/17, non publiée, EU:T:2018:391, point 26 et jurisprudence citée).

39      Les actes préparatoires d’une décision ne font pas grief et ce n’est qu’à l’occasion d’un recours contre la décision prise au terme de la procédure que la partie requérante peut faire valoir l’irrégularité des actes antérieurs qui lui sont étroitement liés. Si certaines mesures purement préparatoires sont susceptibles de faire grief au fonctionnaire dans la mesure où elles peuvent influencer le contenu d’un acte attaquable ultérieur, ces mesures ne peuvent toutefois pas faire l’objet d’un recours indépendant et doivent être contestées à l’occasion d’un recours dirigé contre cet acte (ordonnance du 26 juin 2018, Kerstens/Commission, T‑757/17, non publiée, EU:T:2018:391, point 27).

40      En l’espèce, le rapport du comité d’enquête ne contient qu’une recommandation faite au président de la BEI et constitue ainsi une mesure intermédiaire. Il ne préjuge pas de la position finale adoptée par ce dernier et ne saurait dès lors être regardé comme un acte faisant grief, seule la décision attaquée faisant grief au requérant.

41      Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter comme étant irrecevable la demande tendant à l’annulation du rapport du comité d’enquête.

 Sur la recevabilité de la demande tendant à l’annulation de toute procédure disciplinaire fondée sur le rapport du comité d’enquête et sur la décision attaquée

42      Selon une jurisprudence constante, le Tribunal ne peut valablement être saisi que d’une demande tendant à l’annulation d’un acte existant et faisant grief. En effet, un recours en annulation ne saurait viser le contrôle spéculatif d’actes hypothétiques non encore adoptés (voir arrêt du 5 octobre 2017, Ben Ali/Conseil, T‑149/15, non publié, EU:T:2017:693, point 59 et jurisprudence citée).

43      En l’espèce, il y a lieu de relever que, au moment du dépôt de la requête, à savoir le 25 août 2020, le requérant n’avait encore fait l’objet d’aucune procédure disciplinaire. Ce n’est que par la lettre du 8 janvier 2021, à laquelle le requérant se réfère dans la réplique, que la BEI lui a notifié l’ouverture d’une procédure disciplinaire à son encontre ainsi que la décision de le suspendre jusqu’à l’issue de cette procédure.

44      Ainsi, dans la mesure où la procédure disciplinaire dont fait état le requérant est postérieure au dépôt de la requête, il y a lieu de rejeter comme étant irrecevable sa demande tendant à l’annulation de toute procédure disciplinaire fondée sur le rapport du comité d’enquête et sur la décision attaquée.

 Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

45      À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée, le requérant soulève, en substance, deux moyens, tirés, le premier, de vices entachant la décision attaquée et, le second, de vices entachant le rapport du comité d’enquête.

46      Le premier moyen est divisé en deux branches.

47      Par la première branche, le requérant fait valoir une violation des droits de la défense. Il affirme, en effet, qu’il n’a pas été entendu par le président de la BEI avant que ce dernier n’adopte la décision attaquée, en violation de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). En se référant à l’arrêt du 4 avril 2019, OZ/BEI (C‑558/17 P, EU:C:2019:289), et plus particulièrement à son point 59, le requérant indique, en substance, ne pas s’être vu communiquer les déclarations des témoins, ce qui lui a fait grief.

48      Par la seconde branche, le requérant soutient que le président de la BEI, en se bornant à approuver le rapport du comité d’enquête sans donner d’autre explication, n’a pas motivé la décision attaquée.

49      La BEI conclut au rejet au fond des deux branches du premier moyen.

50      S’agissant de la recevabilité, tout en critiquant la longueur des développements du requérant dans la réplique, ce qui irait « à l’encontre de la finalité de la réplique, qui est de répondre au mémoire en défense et donc, simplement, d’affiner, le cas échéant, les arguments présentés dans la requête » et qui « confirme[rait] tout bonnement les critiques émises par la [BEI] concernant la requête et son manque de clarté », celle-ci, s’agissant du moyen tiré du droit d’être entendu, excipe l’irrecevabilité de deux arguments du requérant, relatifs au fait que le comité d’enquête n’a pas tenu compte « de nombreux éléments contenus dans les observations et de nombreux éléments de preuve » et au fait qu’il n’a pas été tenu compte de sa demande tendant à ce que le comité d’enquête soit remplacé par une nouvelle formation.

51      Sur le fond, s’agissant de la première branche du premier moyen, la BEI fait valoir que l’audition préalable du requérant par son président n’était pas nécessaire dès lors que, premièrement, ce dernier s’était borné à faire siennes les conclusions du comité d’enquête qui, lui, avait préalablement entendu le requérant et, deuxièmement, la procédure d’enquête en matière de harcèlement doit être distinguée de celle intervenant en matière disciplinaire, qui répond à des impératifs propres.

52      La BEI ajoute que le requérant a eu trois occasions d’être entendu, à savoir, d’abord, au moment du dépôt de sa plainte, ensuite, lors de son audition par le comité d’enquête et, enfin, lorsqu’il a envoyé ses observations sur le projet de rapport qui lui avait préalablement été notifié. Dans la duplique, la BEI fait valoir que le requérant ne saurait lui reprocher de ne pas avoir reçu de résumé des témoignages des autres témoins et personnes mises en cause alors même que le projet de rapport résume ces témoignages et que le requérant a pu utilement formuler des observations sur ledit projet.

53      À cet égard et s’agissant de la recevabilité, il y a lieu de relever que, ainsi que cela est mentionné au point 50 ci-dessus, la BEI n’a, concernant le droit d’être entendu, excipé l’irrecevabilité que de deux arguments. Or, il n’est pas interdit de présenter des arguments nouveaux au stade de la réplique, à moins qu’ils constituent, en réalité, un moyen nouveau, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En outre, la BEI n’a pas excipé l’irrecevabilité de l’argument du requérant selon lequel son droit d’être entendu a été violé du fait de l’absence de communication des témoignages ou d’un résumé des témoignages, argument auquel elle a, au demeurant, répondu dans la duplique.

54      Sur le fond, il convient de rappeler, à titre liminaire, que les droits de la défense, consacrés par l’article 41 de la Charte, incluent le droit procédural de toute personne, prévu au paragraphe 2, sous a), dudit article, d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.

55      Le droit d’être entendu, tel que protégé par l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (arrêt du 14 juillet 2021, AI/ECDC, T‑65/19, EU:T:2021:454, point 122).

56      La Cour a déjà jugé, dans un litige en matière de harcèlement, que le comité d’enquête, avant de transmettre ses recommandations au président de la BEI et, en tout état de cause, ce dernier, avant qu’il ne prenne une décision affectant défavorablement la partie requérante, étaient tenus de respecter le droit de celle-ci d’être entendue en sa qualité de plaignante (arrêt du 4 avril 2019, OZ/BEI, C‑558/17 P, EU:C:2019:289, point 56).

57      En tant que plaignante, la partie requérante est ainsi en droit, afin de pouvoir présenter utilement ses observations, de se faire communiquer, à tout le moins, un résumé des déclarations de la personne accusée de harcèlement et des différents témoins entendus, dans la mesure où ces déclarations ont été utilisées par le comité d’enquête, dans son rapport, pour formuler des recommandations au président de l’institution en cause et où ce dernier a fondé sa décision sur celles-ci, la communication de ce résumé devant être effectuée dans le respect, le cas échéant, du principe de confidentialité (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 60 et jurisprudence citée).

58      Afin de garantir la confidentialité des témoignages et les objectifs que celle-ci protège tout en s’assurant que c’est utilement que la partie requérante est entendue avant qu’une décision lui faisant grief ne soit adoptée, il peut être recouru à certaines techniques telles que l’anonymisation, voire la divulgation de la substance des témoignages sous la forme d’un résumé, ou encore le masquage de certaines parties du contenu des témoignages (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 66 et jurisprudence citée).

59      À cet égard, il y a lieu de souligner que, contrairement à ce qu’indique la BEI et à la différence, notamment, d’un résumé de l’ensemble des déclarations formulées par un témoin, le seul extrait d’une déclaration de témoin, comme c’est le cas en l’espèce des extraits qui figurent dans le rapport du comité d’enquête, ne permet pas au requérant de connaître l’ensemble des déclarations des témoins considérés, pas plus que le contexte dans lequel les faits qui ont fait l’objet de ces déclarations ont été relatés, de sorte que de tels extraits ne sont pas suffisants pour lui permettre de faire utilement valoir ses observations.

60      Or, en l’espèce, il résulte des points 28, 34, 49, 57, 61, 105, 106 et 113 tant du projet de rapport que du rapport du comité d’enquête, sur la base duquel le président de la BEI a motivé sa décision de rejet de la plainte, que leurs conclusions sont fondées sur les déclarations des personnes accusées de harcèlement et d’autres témoins, desquelles il ressortait notamment que les rapports d’études concernant les pays francophones pouvaient toujours être rédigés en anglais, que le requérant éprouvait du ressentiment à l’encontre de C en raison des promotions dont elle avait bénéficié depuis son arrivée au sein de la division [confidentiel], qu’il pouvait être très agressif sur un plan tant physique que verbal et que C, qui n’était pas un « missile guidé » envoyé par sa hiérarchie, souffrait de cette situation, ce qui l’avait amenée à prendre conseil auprès du médecin de la BEI.

61      Ainsi, dans la mesure où le requérant ne s’est pas vu communiquer, à tout le moins, un résumé anonymisé des déclarations des témoins et des personnes accusées de harcèlement, il y a lieu de considérer qu’il n’a pas été mis en mesure de formuler utilement ses observations sur le contenu desdites déclarations avant que ne soit prise la décision qui lui faisait grief. Une telle irrégularité a inévitablement affecté tant le rapport du comité d’enquête que la décision attaquée, dans la mesure où, s’il avait pu être utilement entendu, le requérant aurait pu convaincre ce comité, voire le président de la BEI, qu’une autre appréciation des faits et des différents éléments de contexte, déterminante pour ladite décision, était possible et qu’une pondération différente devait leur être appliquée (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, HF/Parlement, C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 73).

62      Il en résulte qu’il y a lieu d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’analyser ni la seconde branche du premier moyen, ni le second moyen.

 Sur les conclusions indemnitaires

63      S’agissant de la réparation des préjudices qu’il prétend avoir subis, il convient de relever que le requérant se contente d’invoquer une série de violations de droits ainsi que l’existence d’un préjudice moral et d’un préjudice matériel, sans aucun autre élément d’explication ni aucun renvoi à d’éventuels éléments de preuve.

64      À cet égard, il y a lieu, notamment, de considérer que, si le requérant se prévaut de certificats médicaux d’arrêt de travail et d’incapacité de travail temporaire, il demeure qu’il n’explique pas en quoi ces éléments permettent d’établir un lien de causalité entre la faute qu’il impute à la BEI et le préjudice dont il se prévaut.

65      Ainsi, outre le fait qu’il est impossible, pour le Tribunal, de déterminer si les préjudices invoqués sont détachables ou non de l’illégalité fondant l’annulation de la décision attaquée, il est constant que le requérant n’apporte pas suffisamment d’éléments au soutien de ses conclusions en indemnité pour qu’elles soient considérées comme étant recevables.

66      Il convient, par conséquent, de rejeter l’ensemble des demandes indemnitaires du requérant comme étant irrecevables, au motif qu’elles ne respectent pas les exigences de l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

 Sur les dépens

67      Le requérant demande que la BEI supporte les dépens relatifs à la présente procédure, fixés à un montant provisoire de 15 000 euros.

68      Or, il convient de rappeler que, dans la décision mettant fin à l’instance, le Tribunal détermine exclusivement la répartition de la charge des dépens entre les parties, sans se prononcer sur le montant de ceux-ci. En cas de contestation, la hauteur des dépens récupérables peut faire l’objet d’une procédure autonome, régie par les dispositions de l’article 170 du règlement de procédure, distincte de la décision concernant la répartition des dépens. Ainsi, il ne saurait être procédé à la taxation des dépens qu’à la suite de l’arrêt ou de l’ordonnance mettant fin à l’instance (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2019, Karp/Parlement, T‑580/17, non publié, EU:T:2019:62, point 100).

69      Il y a donc lieu de rejeter la demande du requérant de fixer les dépens afférents au présent recours à un montant provisoire de 15 000 euros.

70      Il n’en demeure pas moins que le requérant sollicite la condamnation de la BEI aux dépens.

71      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

72      La BEI ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du président de la Banque européenne d’investissement (BEI) du 26 mai 2020 rejetant la plainte pour harcèlement introduite par LU est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La BEI est condamnée aux dépens.

Kanninen

Jaeger

Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 février 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.