Language of document : ECLI:EU:T:2014:977

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

10 novembre 2014 (*)

« Recours en annulation et en indemnité – Programme de soutien à la stabilité de Chypre – Protocole d’accord sur la politique de conditionnalité économique spécifique, conclu entre la République de Chypre et le MES – Compétence du Tribunal – Lien de causalité – Recours en partie irrecevable et en partie manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑292/13,

Christos Evangelou, demeurant à Dherynia (Chypre),

Yvonne Evangelou, demeurant à Dherynia,

représentés par M. C. Paschalides, solicitor, et Me A. Paschalides, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Smulders et J.‑P. Keppenne, en qualité d’agents,

et

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. A. Sáinz de Vicuña Barroso, N. Lenihan et F. Athanasiou, en qualité d’agents, assistés de Mes W. Bussian, W. Devroe et D. Arts, avocats,

parties défenderesses,

ayant pour objet, en premier lieu, une demande d’annulation des points 1.23 à 1.27 du protocole d’accord sur la politique de conditionnalité économique spécifique, conclu entre la République de Chypre et le mécanisme européen de stabilité (MES) le 26 avril 2013, et, en second lieu, une demande de réparation du préjudice prétendument subi par les requérants du fait de l’inclusion des points 1.23 à 1.27 du protocole d’accord dans ce dernier et d’une violation de l’obligation de surveillance de la Commission,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen (rapporteur), président, Mme I. Pelikánová et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

 Traité MES

1        Le 2 février 2012, a été conclu à Bruxelles (Belgique) le traité instituant le mécanisme européen de stabilité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, l’Irlande, la République italienne, la République de Chypre, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Malte, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Slovénie, la République slovaque et la République de Finlande (ci-après le « traité MES »). Conformément à ses articles 1er, 2 et à son article 32, paragraphe 2, les parties contractantes de ce traité, à savoir les États membres dont la monnaie est l’euro, instituent entre elles une institution financière internationale, le mécanisme européen de stabilité (MES), qui possède la personnalité juridique. Le traité MES est entré en vigueur le 27 septembre 2012.

2        Le considérant 1 du traité MES est libellé comme suit :

« Le Conseil européen est convenu le 17 décembre 2010 qu’il était nécessaire que les États membres de la zone euro mettent en place un mécanisme permanent de stabilité. [Le MES] assumera le rôle actuellement attribué à la Facilité européenne de stabilité financière (‘FESF’) et au Mécanisme européen de stabilisation financière (‘MESF’) en fournissant, pour autant que de besoin, une assistance financière aux États membres de la zone euro. »

3        L’article 3 du traité MES décrit le but de celui-ci comme suit :

« Le MES a pour but de mobiliser des ressources financières et de fournir, sous une stricte conditionnalité adaptée à l’instrument d’assistance financière choisi, un soutien à la stabilité à ses membres qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement, si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres. À cette fin, il est autorisé à lever des fonds en émettant des instruments financiers ou en concluant des accords ou des arrangements financiers ou d’autres accords ou arrangements avec ses membres, des institutions financières ou d’autres tiers. »

4        L’article 4 du traité MES énonce ce qui suit :

« 1. Le MES est doté d’un conseil des gouverneurs et d’un conseil d’administration, ainsi que d’un directeur général et des effectifs jugés nécessaires.

[…]

3. L’adoption d’une décision d’un commun accord requiert l’unanimité des membres participant au vote. Les abstentions ne font pas obstacle à l’adoption d’une décision d’un commun accord.

4. Par dérogation au paragraphe 3, une procédure de vote d’urgence est utilisée lorsque la Commission et la [Banque centrale européenne] considèrent toutes deux que le défaut d’adoption urgente d’une décision relative à l’octroi ou à la mise en œuvre d’une assistance financière, telle que définie aux articles 13 à 18, menacerait la soutenabilité économique et financière de la zone euro […] »

5        L’article 5, paragraphe 3, du traité MES prévoit que « [l]e membre de la Commission européenne en charge des affaires économiques et monétaires et le président de la [Banque centrale européenne], ainsi que le président de l’Eurogroupe (s’il n’est pas lui-même président ou gouverneur), peuvent participer aux réunions du conseil des gouverneurs [du MES] en qualité d’observateurs ».

6        L’article 6, paragraphe 2, du traité MES énonce que « [l]e membre de la Commission européenne en charge des affaires économiques et monétaires et le président de la [Banque centrale européenne] peuvent chacun désigner un observateur [au conseil d’administration du MES] ».

7        L’article 12 du traité MES définit les principes auxquels le soutien à la stabilité est soumis et il prévoit, en son paragraphe 1, ce qui suit :

« Si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres, le MES peut fournir à un membre du MES un soutien à la stabilité, subordonné à une stricte conditionnalité adaptée à l’instrument d’assistance financière choisi. Cette conditionnalité peut prendre la forme, notamment, d’un programme d’ajustement macroéconomique ou de l’obligation de continuer à respecter des conditions d’éligibilité préétablies. »

8        La procédure d’octroi d’un soutien à la stabilité à un membre du MES est décrite à l’article 13 du traité MES comme suit :

« 1. Un membre du MES peut adresser une demande de soutien à la stabilité au président du conseil des gouverneurs. Cette demande indique le ou les instruments d’assistance financière à envisager. Dès réception de cette demande, le président du conseil des gouverneurs charge la Commission européenne, en liaison avec la [Banque centrale européenne] :

a)      d’évaluer l’existence d’un risque pour la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble ou de ses États membres, à moins que la [Banque centrale européenne] n’ait déjà soumis une analyse en vertu de l’article 18, paragraphe 2 ;

b)      d’évaluer la soutenabilité de l’endettement public. Lorsque cela est utile et possible, il est attendu que cette évaluation soit effectuée en collaboration avec le [Fonds monétaire international] ;

c)      d’évaluer les besoins réels ou potentiels de financement du membre du MES concerné.

2. Sur la base de la demande du membre du MES et de l’évaluation visée au paragraphe 1, le conseil des gouverneurs peut décider d’octroyer, en principe, un soutien à la stabilité au membre du MES concerné sous la forme d’une facilité d’assistance financière.

3. S’il adopte une décision en vertu du paragraphe 2, le conseil des gouverneurs charge la Commission européenne – en liaison avec la [Banque centrale européenne] et, lorsque cela est possible, conjointement avec le [Fonds monétaire international] – de négocier avec le membre du MES concerné un protocole d’accord définissant précisément la conditionnalité dont est assortie cette facilité d’assistance financière. Le contenu du protocole d’accord tient compte de la gravité des faiblesses à traiter et de l’instrument d’assistance financière choisi. Parallèlement, le directeur général du MES prépare une proposition d’accord relatif à la facilité d’assistance financière précisant les modalités et les conditions financières de l’assistance ainsi que les instruments choisis, qui sera adoptée par le conseil des gouverneurs.

Le protocole d’accord doit être pleinement compatible avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le [traité FUE], notamment avec tout acte de droit de l’Union européenne, incluant tout avis, avertissement, recommandation ou décision s’adressant au membre du MES concerné.

4. La Commission européenne signe le protocole d’accord au nom du MES, pour autant qu’il respecte les conditions énoncées au paragraphe 3 et qu’il ait été approuvé par le conseil des gouverneurs.

5. Le conseil d’administration approuve l’accord relatif à la facilité d’assistance financière qui précise les aspects financiers du soutien à la stabilité à octroyer ainsi que, le cas échéant, les modalités du versement de la première tranche de l’assistance.

[…]

7. La Commission européenne – en liaison avec la [Banque centrale européenne] et, lorsque cela est possible, conjointement avec le [Fonds monétaire international] – est chargée de veiller au respect de la conditionnalité dont est assortie la facilité d’assistance financière. »

 Difficultés financières de la République de Chypre et mesures adoptées

9        Au cours des premiers mois de l’année 2012, certaines banques établies à Chypre, dont la Cyprus Popular Bank Public Co Ltd (Laïki) et la Trapeza Kyprou Dimosia Etaira Ltd (BoC), ont eu des difficultés financières. La République de Chypre a jugé nécessaire leur recapitalisation et a présenté à cet égard au président de l’Eurogroupe une demande d’assistance financière de la Facilité européenne de stabilité financière (FESF) ou du MES.

10      Par déclaration du 27 juin 2012, l’Eurogroupe a indiqué que l’assistance financière demandée serait fournie soit par la FESF soit par le MES, dans le cadre d’un programme d’ajustement macroéconomique devant se concrétiser dans un protocole d’accord dont la négociation serait menée, d’une part, par la Commission européenne, conjointement avec la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI), et, d’autre part, par les autorités chypriotes.

11      La République de Chypre et les autres États membres dont la monnaie est l’euro sont parvenus à un accord politique sur un projet de protocole d’accord en mars 2013. Par déclaration du 16 mars 2013, l’Eurogroupe a salué cet accord et a évoqué certaines mesures d’ajustement prévues, parmi lesquelles la création d’une taxe sur les dépôts bancaires. L’Eurogroupe a indiqué que, eu égard à ce contexte, il considérait que l’octroi d’une assistance financière susceptible d’assurer la stabilité financière de la République de Chypre et de la zone euro était, en principe, justifié et a invité les parties intéressées à accélérer les négociations en cours.

12      Le 18 mars 2013, la République de Chypre a ordonné la fermeture des banques les jours ouvrables des 19 et 20 mars 2013. Les autorités chypriotes ont décidé de proroger la fermeture des banques jusqu’au 28 mars 2013 afin d’éviter une ruée vers les guichets.

13      Le 19 mars 2013, le parlement chypriote a rejeté le projet de loi du gouvernement chypriote relatif à la création d’une taxe sur tous les dépôts bancaires de Chypre. Le gouvernement chypriote a, dès lors, élaboré un nouveau projet prévoyant uniquement la restructuration de deux banques, la BoC et la Laïki.

14      Le 22 mars 2013, le parlement chypriote a adopté la O peri exiyiansis pistotikon kai allon idrimaton nomos [loi sur l’assainissement d’établissements de crédit et d’autres établissements, EE, annexe I (I), n° 4379, 22.3.2013, ci-après la « loi du 22 mars 2013 »]. En vertu du point 3 (1) et du point 5 (1) de cette loi, la Banque centrale de Chypre (BCC) a été chargée de l’assainissement des établissements visés par ladite loi, conjointement avec le ministère des Finances. À cette fin, d’une part, le point 12 (1) de la loi du 22 mars 2013 prévoit que la BCC peut, par le biais d’un décret, restructurer les dettes et les obligations d’un établissement soumis à une procédure de résolution, y compris par voie de réduction, de modification, de rééchelonnement ou de novation du capital nominal ou du solde de tout genre de créances existantes ou futures sur cet établissement ou par le biais d’une conversion de titres de dette en fonds propres. D’autre part, ce point prévoit que les « dépôts garantis », au sens du point 2, cinquième alinéa, de la loi du 22 mars 2013, sont exclus de ces mesures. Il est constant entre les parties qu’il s’agit des dépôts inférieurs à 100 000 euros.

15      Par déclaration du 25 mars 2013, l’Eurogroupe a indiqué être parvenu à un accord avec les autorités chypriotes sur les éléments essentiels d’un futur programme macroéconomique d’ajustement ayant le soutien de tous les États membres dont la monnaie est l’euro ainsi que de la Commission, de la BCE et du FMI. En outre, l’Eurogroupe a salué les plans de restructuration du secteur financier mentionnés en annexe à cette déclaration.

16      Le 25 mars 2013, le gouverneur de la BCC a soumis la BoC et la Laïki à une procédure d’assainissement. Le 29 mars 2013, deux décrets ont été publiés à cette fin sur le fondement de la loi du 22 mars 2013, à savoir :

–        le to peri diasosis me idia mesa tis Trapezas Kyprou Dimosias Etaireias Ltd Diatagma tou 2013, Kanonistiki Dioikitiki Praxi No. 103 [décret de 2013 sur l’assainissement par des moyens propres de la BoC, acte administratif réglementaire n° 103, ci-après le « décret n° 103 », EE, annexe III(I), n° 4645, 29.3.2013, p. 769 à 780] et,

–        le to Peri tis Polisis Orismenon Ergasion tis Cyprus Popular Bank Public Co Ltd Diatagma tou 2013, Kanonistiki Dioikitiki Praxi No. 104 [décret de 2013 sur la vente de certaines activités de la Laïki, acte administratif réglementaire n° 104, ci-après le « décret n° 104 », EE, annexe III(I), n° 4645, 29.3.2013, p. 781 à 788].

17      Le décret n° 103 prévoit une recapitalisation de la BoC, aux frais, notamment, de ses déposants non garantis, de ses actionnaires et de ses créanciers obligataires, afin qu’elle puisse continuer à fournir des services bancaires. Ainsi, les dépôts non garantis ont été convertis en actions de la BoC (37,5 % de chaque dépôt non garanti), en titres convertibles par la BoC, soit en actions soit en dépôts (22,5 % de chaque dépôt non garanti), et en titres pouvant être convertis en dépôts par la BCC (40 % de chaque dépôt non garanti). Le décret n° 103, conformément à son point 10, est entré en vigueur le 29 mars 2013, à 6 heures.

18      Quant au décret n° 104, les dispositions combinées des points 2 et 5 de celui-ci prévoient, pour le 29 mars 2013, à 6 h 10, le transfert de certains éléments d’actif et de passif de la Laïki à la BoC, y compris les dépôts inférieurs à 100 000 euros. Les dépôts supérieurs à 100 000 euros ont été maintenus auprès de la Laïki, en attendant sa liquidation.

19      Lors de l’entrée en vigueur des décrets nos 103 et 104, les requérants étaient titulaires d’un dépôt auprès de la Laïki. L’application des mesures prévues par le décret no 104 a provoqué une réduction substantielle de la valeur de ce dépôt, chiffrée précisément par les requérants.

20      Lors de sa réunion du 24 avril 2013, le conseil des gouverneurs du MES a :

–        décidé d’octroyer un soutien à la stabilité à la République de Chypre sous la forme d’une facilité d’assistance financière (ci-après la « FAF »), conformément à la proposition du directeur général du MES ;

–        approuvé le projet de protocole d’accord négocié par la Commission (en collaboration avec la BCE et le FMI) et la République de Chypre ;

–        chargé la Commission de signer ce protocole au nom du MES.

21      Le protocole d’accord a été signé le 26 avril 2013 par le ministre des Finances de la République de Chypre, par le gouverneur de la BCC et par M. O. Rehn, vice-président de la Commission, au nom de celle-ci.

22      Les points 1.23 à 1.27 du protocole d’accord, tels que fournis par les requérants dans la requête (ci-après les « passages litigieux »), sous le titre « Restructuration et résolution de [Laïki] et [BoC] », sont rédigés comme suit :

« 1.23 L’examen de la valeur financière et comptable déjà mentionné a révélé que les deux plus grandes banques de Chypre étaient insolvables. Afin de régler cette situation, le gouvernement a mis en œuvre un plan de résolution et de restructuration de grande ampleur. Afin d’éviter l’accumulation de futurs déséquilibres et de rétablir la viabilité du secteur, tout en préservant la concurrence, une stratégie comprenant quatre volets, qui n’implique pas l’utilisation de l’argent des contribuables, a été adoptée.

1.24 Premièrement, tous les actifs (y compris les prêts dans le domaine du transport maritime) et les passifs liés à la Grèce, estimés respectivement à 16,4 et à 15 milliards d’euros, selon l’hypothèse défavorable, ont été cédés. Les actifs et les passifs grecs ont été acquis par Piraeus Bank, dont la restructuration sera prise en charge par les autorités helléniques. La cession a été mise en place en vertu d’un accord signé le 26 mars 2013. La valeur comptable des actifs s’élevant à 19,2 milliards d’euros, cette cession a permis de réduire substantiellement l’exposition mutuelle entre la Grèce et Chypre.

1.25 Concernant la succursale de [la Laïki] au Royaume-Uni, tous les dépôts ont été transférés à la filiale britannique de [la BoC]. Les actifs associés ont été intégrés au sein de [la BoC].

1.26 Deuxièmement, [la BoC] reprend – par le biais d’une procédure d’achat et d’absorption les actifs chypriotes de [la Laïki], à leur juste valeur, ainsi que ses dépôts assurés et son exposition à l’apport urgent de liquidités, à leur valeur nominale. Les dépôts non assurés de [la Laïki] seront maintenus au sein de l’ancienne entité. Le but est que la valeur des actifs cédés soit supérieure à celle des passifs cédés de sorte que la différence corresponde à la recapitalisation de [la BoC] par [la Laïki] à hauteur de 9 % des actifs pondérés en fonction des risques qui ont été cédés. [La BoC] fait l’objet d’une recapitalisation de sorte à atteindre, à la fin du programme, un ratio minimal de fonds propres (core tier one ratio) de 9 %, selon l’hypothèse défavorable du test de résistance, ce qui devrait contribuer à rétablir la confiance et à normaliser les conditions de financement. La conversion de 37,5 % des dépôts non assurés détenus dans [la BoC] en actions de catégorie A, assorties d’un plein droit de vote et des droits à dividendes, fournit la plus grande partie des besoins en capital, avec un apport supplémentaire en capitaux propres de la part de l’ancienne entité de [la Laïki]. Une partie des dépôts non assurés restants de [la BoC] sera temporairement gelée.

1.27 Troisièmement, afin de s’assurer que les objectifs de la capitalisation seront atteints, une évaluation indépendante plus détaillée et actualisée des actifs de [la BoC] et de [la Laïki] sera menée à bien, conformément aux exigences du cadre pour la résolution des défaillances bancaires, pour la fin juin 2013. À cet effet, les termes de référence de l’exercice d’évaluation indépendante seront convenus au plus tard pour la mi-avril 2013, en consultation avec la Commission européenne, la [BCE] et le [FMI]. Après cette évaluation, il sera procédé, si nécessaire, à une conversion additionnelle de dépôts non assurés en actions de catégorie A, de sorte à s’assurer que l’objectif visant un niveau minimum de capitaux propres de 9 % en conditions de crise puisse être atteint à la fin du programme. Si [la BoC] devait être surcapitalisée au regard de cet objectif, il sera procédé à un rachat d’actions afin de rembourser les déposants du montant correspondant à la surcapitalisation. »

23      Le 8 mai 2013, le conseil d’administration du MES a approuvé l’accord relatif à la FAF ainsi qu’une proposition relative aux modalités de paiement d’une première tranche d’aide à la République de Chypre. Cette tranche a été divisée en deux versements effectués, respectivement, le 13 mai 2013 (deux milliards d’euros) et le 26 juin 2013 (un milliard d’euros).

 Procédure et conclusions des parties

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 mai 2013, les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission et la BCE à leur verser une indemnité équivalente à la diminution de la valeur de leur dépôt auprès de la Laïki ;

–        « en outre et/ou à titre subsidiaire » annuler les passages litigieux ;

–        examiner en urgence le recours et, en attente de cet examen, adopter « les mesures provisoires nécessaires en vertu de l’article [279 TFUE] afin de préserver l[eur] position […] sans pour autant affecter le soutien à la stabilité octroyée à [la République de Chypre] ».

25      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal, respectivement, les 24 septembre et 1er octobre 2013, la Commission et la BCE ont soulevé des exceptions d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. Elles concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        condamner les requérants aux dépens.

26      La Commission fait valoir, à titre subsidiaire, que le recours est manifestement dénué de tout fondement en droit au sens de l’article 111 du règlement de procédure.

27      Les requérants ont présenté leurs observations sur les exceptions d’irrecevabilité de la Commission et de la BCE les 13 et 16 décembre 2013.

 En droit

28      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Aux termes du paragraphe 4 du même article, le Tribunal statue sur la demande ou la joint au fond.

29      Par ailleurs, en vertu de l’article 111 du règlement de procédure, lorsqu’un recours est manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

30      En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par les pièces versées au dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

31      Il convient d’examiner, d’une part, la recevabilité et le bien-fondé du premier chef de conclusions et, d’autre part, la recevabilité des deuxième et troisième chefs de conclusions.

 Sur la recevabilité et le bien-fondé du premier chef de conclusions

32      Le premier chef de conclusions comporte une demande en indemnité au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. Or, la BCE fait valoir, dans son exception d’irrecevabilité, que la requête ne respecte pas les exigences formelles prévues par l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et par l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal. Cette fin de non-recevoir doit être examinée à titre liminaire.

33      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit contenir l’objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnances du Tribunal du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T‑85/92, Rec. p. II‑523, point 20, et du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T‑154/98, Rec. p. II‑1703, point 49).

34      Selon une jurisprudence constante, pour satisfaire aux exigences rappelées au point 33 ci-dessus, une requête visant à la réparation des dommages prétendument causés par une institution de l’Union doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que la partie requérante reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles elle estime qu’un lien de causalité existe entre ce comportement et le préjudice qu’elle prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T‑387/94, Rec. p. II‑961, point 107, et du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, Rec. p. II‑125, point 30).

35      En l’espèce, les requérants indiquent, tout d’abord, que la Commission a signé le protocole d’accord en vertu des pouvoirs lui étant conférés par l’article 13 du traité MES et relèvent que les passages litigieux violent l’article 1er du protocole nº 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

36      Ensuite, les requérants font valoir qu’il existe « un lien de causalité suffisant » entre l’insertion des passages litigieux dans le protocole d’accord, « [requise] par la Commission en vertu de l’article 13 du [traité MES,] et la perte des fonds qui étaient à [leur] actif […] et dont ils ont été privés [à la suite d’]une violation suffisamment caractérisée d’une règle supérieure de droit protégeant les particuliers ».

37      Enfin, les requérants identifient le préjudice qu’ils estiment avoir subi avec précision.

38      Il y a donc lieu de considérer que, en ce qui concerne le premier chef de conclusions, la requête respecte les exigences formelles prévues par l’article 21 du statut de la Cour et par l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

39      Il convient, ensuite, d’examiner si le premier chef de conclusions est irrecevable pour d’autres motifs, comme la Commission et la BCE le font valoir dans leurs exceptions d’irrecevabilité. À cet égard, elles font notamment valoir, en substance, que le comportement qui serait à l’origine du préjudice subi ne peut pas être imputé à une institution de l’Union.

40      Sur ce point, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort des points 35 et 36 ci-dessus, la requête mentionne un seul acte ou comportement qui, selon les requérants, est à l’origine du dommage qu’ils estiment avoir subi, à savoir l’inclusion des passages litigieux dans le protocole d’accord.

41      En effet, les requérants n’identifient dans la requête aucun autre acte ni aucun comportement qui auraient été adoptés en violation d’une règle de droit et qui auraient abouti à la diminution de la valeur de son dépôt dans la Laïki. Cette constatation se voit confirmée par l’affirmation des requérants dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité déposée par la BCE selon laquelle « [c]e sont les conditions assorties à la [FAF] fournie à [la République de Chypre] le 26 avril 2013 et la manière dont elles ont été exigées par la Commission et la BCE qui ont causé aux requérants le préjudice pour lequel ils visent à obtenir une indemnité en vertu des articles 268 [TFUE] et 340 TFUE ».

42      Or, en vertu des dispositions de l’article 268 TFUE et de l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE, le Tribunal, en matière de responsabilité non contractuelle, n’est compétent que pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par les institutions de l’Union ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

43      Dès lors, une demande en indemnité dirigée contre l’Union et fondée sur la simple illégalité d’un acte ou d’un comportement n’ayant pas été adopté par une institution de l’Union ou par ses agents doit être rejetée comme étant irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 4 juillet 2013, Diadikasia Symvouloi Epicheiriseon/Commission e.a, C‑520/12 P, non publiée au Recueil, points 35 à 38, et arrêt du Tribunal du 4 février 1998, Laga/Commission, T‑93/95, Rec. p. II‑195, point 47).

44      Le protocole d’accord a été adopté conjointement par le MES et par la République de Chypre. En effet, le protocole d’accord a été signé le 26 avril 2013, d’une part, par les autorités chypriotes mentionnées au point 21 ci-dessus et, d’autre part, par le vice-président de la Commission, au nom de celle-ci. Or, il ressort de l’article 13, paragraphe 4, du traité MES que la Commission ne signe le protocole d’accord qu’au nom du MES.

45      À cet égard, il y a lieu d’ajouter que, alors même que le traité MES confère à la Commission et à la BCE certaines tâches liées à la mise en œuvre des objectifs de ce traité, il ressort de la jurisprudence de la Cour, d’une part, que les fonctions confiées à la Commission et à la BCE dans le cadre du traité MES ne comportent aucun pouvoir décisionnel propre et, d’autre part, que les activités exercées par ces deux institutions dans le cadre du même traité n’engagent que le MES (arrêt de la Cour du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, non encore publié au Recueil, point 161).

46      Dès lors, il n’est pas possible de considérer que la Commission ou la BCE soient à l’origine de l’adoption du protocole d’accord.

47      Conformément à la jurisprudence visée au point 43 ci-dessus, le Tribunal n’est donc pas compétent pour examiner la présente demande en indemnité, dans la mesure où elle est fondée sur l’illégalité de certaines dispositions du protocole d’accord.

48      Ensuite, il y a lieu de relever que la requérante, dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité de la Commission et de la BCE, a fait valoir que la Commission « n’a[vait] pas cédé le contrôle effectif de son rôle dans le processus décisionnel en vertu de l’article 136, paragraphe 3, TFUE en application des pouvoirs qui lui sont reconnus par l’article 17 TUE d’agir en tant qu’institution de l’[Union] responsable de veiller à la compatibilité avec le droit de l’Union [des actes conclus en vertu du traité MES] ».

49      Pour autant que cet argument puisse être interprété comme signifiant que le comportement qui, selon les requérants, est à l’origine du dommage qu’ils estiment avoir subi est la violation par la Commission d’une prétendue obligation de garantir la compatibilité du protocole d’accord avec le droit de l’Union, et sans qu’il soit besoin d’examiner s’il s’agit d’un argument nouveau introduit en cours d’instance, au sens des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, il y a lieu de relever que, conformément à une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340 TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir : l’illégalité du comportement reproché aux institutions de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir ordonnance du Tribunal du 17 décembre 2008, Portela/Commission, T‑137/07, non publiée au Recueil, point 76, et la jurisprudence citée).

50      Il ressort également d’une jurisprudence bien établie que, dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours en indemnité doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de ladite responsabilité (voir ordonnance Portela/Commission, point 49 supra, point 77, et la jurisprudence citée).

51      Il y a lieu, en l’espèce, de commencer l’examen par la question de l’existence d’un lien de causalité entre l’omission prétendument illégale reprochée à la Commission et le préjudice allégué par les requérants.

52      Il est de jurisprudence constante que la condition relative au lien de causalité exigée par l’article 340 TFUE suppose l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement des institutions de l’Union et le dommage (voir ordonnance Portela/Commission, point 49 supra, point 79, et la jurisprudence citée).

53      Il résulte en outre de la jurisprudence que, dans des cas où le comportement prétendument à l’origine du dommage invoqué consiste en une abstention d’agir, il est particulièrement nécessaire d’avoir la certitude que ledit dommage a effectivement été causé par les inactions reprochées et n’a pas pu être provoqué par des comportements distincts de ceux reprochés à l’institution défenderesse (voir ordonnance Portela/Commission, point 49 supra, point 80, et la jurisprudence citée).

54      En l’espèce, le comportement prétendument à l’origine du dommage invoqué est une abstention d’agir de la part de la Commission lors de la signature du protocole d’accord, dans la mesure où les requérants font valoir que la Commission aurait dû veiller à ce que ce protocole fût compatible avec le droit de l’Union (voir point 49 ci-dessus). Toutefois, la signature du protocole d’accord est intervenue après la réduction de la valeur du dépôt des requérants auprès de la Laïki. En effet, cette réduction a eu lieu lors de l’entrée en vigueur du décret nº 104, en vertu duquel la partie supérieure à 100 000 euros a été maintenue auprès de la Laïki, en attendant sa liquidation. Dès lors, il ne saurait être considéré que les requérants sont parvenus à démontrer avec la certitude nécessaire que le dommage qu’ils estiment avoir subi a effectivement été causé par l’inaction reprochée à la Commission.

55      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que le premier chef de conclusions doit être rejeté en partie comme étant irrecevable et en partie comme étant manifestement dépourvu de tout fondement en droit, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres fins de non-recevoir et arguments présentés par la Commission et par la BCE.

 Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions

56      Il y a lieu de relever que, dans le cadre du recours en annulation visé par l’article 263 TFUE, le Tribunal n’est compétent que pour contrôler la légalité des actes des institutions, organes et organismes de l’Union.

57      En demandant l’annulation des passages litigieux, les requérants sollicitent l’annulation partielle du protocole d’accord, qui a été adopté conjointement par la République de Chypre et par le MES.

58      Or, dès lors que ni le MES ni la République de Chypre ne font partie des institutions, organes et organismes de l’Union, le Tribunal n’est pas compétent pour examiner la légalité des actes qu’ils ont adoptés ensemble.

59      La demande d’annulation des passages litigieux est, partant, irrecevable.

60      Le deuxième chef de conclusions doit donc être rejeté.

 Sur la recevabilité du troisième chef de conclusions

61      Par son troisième chef de conclusions, les requérants visent à obtenir du Tribunal une mesure provisoire. Or, il ressort de l’article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure qu’une demande de mesures provisoires n’est recevable que pour autant qu’elle ait été introduite par acte séparé, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

62      Par conséquent, le troisième chef de conclusions doit être rejeté comme étant irrecevable.

63      Le recours doit donc être rejeté dans son ensemble comme étant, pour partie, irrecevable et, pour partie, manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

 Sur les dépens

64      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission et de la BCE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Christos Evangelou et Mme Yvonne Evangelou sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et par la Banque centrale européenne (BCE).

Fait à Luxembourg, le 10 novembre 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       H. Kanninen


* Langue de procédure : l'anglais.