Language of document : ECLI:EU:T:2023:432

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

26 juillet 2023 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale Sütat – Cause de nullité absolue – Caractère descriptif – Article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) no 40/94 [devenu article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement (UE) 2017/1001] – Droit d’être entendu »

Dans l’affaire T‑315/22,

Yayla Türk Lebensmittelvertrieb GmbH, établie à Krefeld (Allemagne), représentée par Mes J. Bühling et D. Graetsch, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. E. Markakis, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Marmara Import-Export GmbH, établie à Ratingen (Allemagne), représentée par Me T. Moll, avocate,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. F. Schalin, président, I. Nõmm et D. Kukovec (rapporteur), juges,

greffier : Mme R. Ūkelytė, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 22 mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Yayla Türk Lebensmittelvertrieb GmbH, demande l’annulation et la réformation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 2 mars 2022 (affaire R 1184/2021‑5) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 17 juin 2020, l’intervenante, Marmara Import-Export GmbH, a présenté à l’EUIPO une demande de nullité de la marque de l’Union européenne ayant été enregistrée à la suite d’une demande déposée le 12 octobre 2006 pour le signe verbal Sütat.

3        Les produits couverts par la marque contestée pour lesquels la nullité était demandée relevaient, à l’issue d’une déclaration de déchéance partielle, de la classe 29 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient à la description suivante : « Produits laitiers ».

4        Les causes invoquées à l’appui de la demande en nullité étaient celles visées à l’article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), c) et d), du même règlement.

5        Le 3 mai 2021, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité.

6        Le 6 juillet 2021, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

7        Par la décision attaquée, la chambre de recours a accueilli le recours et annulé la marque contestée au motif qu’elle avait été enregistrée en méconnaissance de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement 2017/1001. Elle a conclu que, dans le contexte des produits laitiers, cette marque était descriptive et dépourvue de caractère distinctif aux yeux du public pertinent turcophone situé sur le territoire de l’Union européenne. En particulier, premièrement, la chambre de recours a considéré que la partie turcophone du public pertinent de l’Union identifierait, dans la marque contestée, les mots turcs « süt » et « tat » signifiant, respectivement, « lait » et « goût ». Elle en a conclu, en substance, que le signe dans son ensemble renvoyait donc aux concepts liés au goût de lait et, dès lors, était descriptif pour les produits laitiers. Deuxièmement, la chambre de recours a considéré que la marque contestée n’était pas apte à indiquer l’origine commerciale des produits en cause, car elle indiquait uniquement leur espèce et qualité.

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        rejeter la demande en nullité de la marque contestée ou, à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant l’EUIPO pour réexamen ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris ceux exposés dans le cadre de la procédure devant la chambre de recours.

9        L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        si une procédure orale est organisée, condamner la requérante aux dépens.

10      L’intervenante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la détermination du règlement applicable ratione temporis

11      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 12 octobre 2006, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement (CE) n40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement 2017/1001] (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée), ce que, au demeurant, l’EUIPO admet dans son mémoire en réponse.

12      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée ainsi que par la requérante et par l’intervenante dans leurs écritures aux dispositions du règlement 2017/1001 comme visant les dispositions d’une teneur identique du règlement no 40/94.

13      Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

 Sur les pièces présentées pour la première fois devant le Tribunal

14      L’EUIPO et l’intervenante contestent la recevabilité de l’annexe K8 de la requête au motif que le rapport d’expertise, qui y figure, a été produit pour la première fois devant le Tribunal.

15      Lorsqu’elle a été interrogée sur ce point pendant l’audience, la requérante a soutenu que l’annexe K8 de la requête devait être considérée comme recevable.

16      Force est de constater que, ainsi qu’il ressort du dossier, le rapport d’expertise figurant dans l’annexe K8 de la requête n’a pas été présenté au cours de la procédure devant l’EUIPO, mais a été produit pour la première fois devant le Tribunal. Il convient de préciser que la même conclusion vaut également pour l’annexe K9 qui contient le curriculum vitae de l’auteur dudit rapport expertise.

17      Dès lors, les annexes K8 et K9, produites pour la première fois devant le Tribunal, ne peuvent être prises en considération. En effet, le recours devant le Tribunal vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO au sens de l’article 72 du règlement 2017/1001, de sorte que la fonction du Tribunal n’est pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des documents présentés pour la première fois devant lui. Il convient donc d’écarter les documents susvisés sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur force probante [voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2005, Sadas/OHMI – LTJ Diffusion (ARTHUR ET FELICIE), T‑346/04, EU:T:2005:420, point 19 et jurisprudence citée].

 Sur le fond

18      La requérante invoque en substance trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94 [devenu l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001], le deuxième, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du même règlement [devenu l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001], et, le troisième, de la violation du droit d’être entendu.

 Sur la recevabilité des arguments de la requérante

19      L’intervenante conteste la recevabilité des arguments de la requérante, notamment ceux exposés aux points 20, 21, 25, 32, 33, 42 et 46 de la requête, en soutenant qu’ils sont fondés sur un renvoi global aux arguments présentés devant les instances de l’EUIPO.

20      Il convient de souligner d’emblée que l’intervenante présente, à cet égard, seulement des arguments vagues et génériques, sans indiquer de manière précise et détaillée en quoi consiste sa contestation de la recevabilité des arguments de la requérante.

21      Certes, si le texte de la requête peut être étayé par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale. Il s’ensuit qu’une requête, pour autant qu’elle renvoie aux écrits déposés devant l’EUIPO, est irrecevable dans la mesure où le renvoi global qu’elle contient n’est pas rattachable aux moyens et aux arguments développés dans cette requête elle-même [voir arrêt du 22 juin 2017, Biogena Naturprodukte/EUIPO (ZUM wohl), T‑236/16, EU:T:2017:416, point 12 et jurisprudence citée].

22      Toutefois, tel n’est pas le cas en l’espèce. Contrairement à ce que soutient l’intervenante, la requête ne contient pas des renvois globaux aux écrits déposés devant l’EUIPO qui ne seraient pas rattachables aux moyens et aux arguments développés dans cette requête.

23      En outre, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, le seul fait que la requérante ait réutilisé certains passages de ses écrits déposés auprès de l’EUIPO ne saurait impliquer l’irrecevabilité de la requête [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2022, Distintiva Solutions/EUIPO – Makeblock (Makeblock), T‑86/21, non publié, EU:T:2022:107, point 23].

24      Par ailleurs, s’agissant des renvois aux annexes K8 et K9 de la requête figurant au point 42 de la requête, il convient de rappeler que ces annexes sont en tout état de cause considérées comme irrecevables, car elles ont été présentées pour la première fois devant le Tribunal (voir points 14 à 17 ci-dessus).

25      Il résulte des considérations qui précèdent que la fin de non-recevoir opposée par l’intervenante à l’égard des arguments mentionnés au point 19 ci-dessus doit être rejetée.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94

26      Dans le cadre du premier moyen, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir violé l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94, en ayant considéré que la marque contestée présentait un caractère descriptif à l’égard des produits en cause.

27      L’EUIPO, soutenu par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

28      Il convient de rappeler que, conformément à l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94, la nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, notamment sur demande présentée auprès de l’EUIPO, lorsqu’elle a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7 dudit règlement. Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci.

29      Ces signes ou indications sont réputés incapables d’exercer la fonction essentielle de la marque, à savoir celle d’identifier l’origine commerciale du produit ou du service [arrêts du 23 octobre 2003, OHMI/Wrigley, C‑191/01 P, EU:C:2003:579, point 30, et du 27 février 2002, Eurocool Logistik/OHMI (EUROCOOL), T‑34/00, EU:T:2002:41, point 37].

30      Pour qu’un signe tombe sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94, il faut qu’il présente avec les produits ou les services en cause un rapport suffisamment direct et concret de nature à permettre au public pertinent de percevoir immédiatement, et sans autre réflexion, une description des produits et des services en cause ou d’une de leurs caractéristiques [voir arrêts du 12 janvier 2005, Deutsche Post EURO EXPRESS/OHMI (EUROPREMIUM), T‑334/03, EU:T:2005:4, point 25 et jurisprudence citée, et du 22 juin 2005, Metso Paper Automation/OHMI (PAPERLAB), T‑19/04, EU:T:2005:247, point 25 et jurisprudence citée].

31      L’appréciation du caractère descriptif d’un signe ne peut être opérée que, d’une part, par rapport aux produits ou aux services concernés et, d’autre part, par rapport à la compréhension qu’en a le public pertinent [voir arrêt du 25 octobre 2005, Peek & Cloppenburg/OHMI (Cloppenburg), T‑379/03, EU:T:2005:373, point 37 et jurisprudence citée].

32      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si, comme le soutient la requérante, la chambre de recours a violé l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94.

33      Ainsi, il convient, tout d’abord, de définir le public pertinent, ensuite, d’examiner la signification de la marque contestée pour ce public et, enfin, d’apprécier le rapport entre la signification de la marque contestée et les produits en cause.

–       Sur le public pertinent

34      S’agissant de la détermination du public pertinent, la chambre de recours a conclu, à juste titre, au point 33 de la décision attaquée, que les produits en cause, à savoir les produits laitiers compris dans la classe 29, s’adressaient surtout au grand public. Cette appréciation n’est pas remise en cause par la requérante.

35      Afin de déterminer la signification de la marque contestée pour le public pertinent, la chambre de recours s’est fondée sur la perception du public turcophone, en précisant que, bien que le turc n’était pas au nombre des langues officielles de l’Union, il figurait parmi les langues officielles de la République de Chypre et que, dès lors, il serait compris et parlé par une partie de la population de ce pays.

36      La requérante conteste cette appréciation de la chambre de recours en faisant valoir, en substance, que les consommateurs n’associeront pas la marque contestée à la langue turque.

37      L’EUIPO, soutenu par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

38      À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 40/94 (devenu l’article 7, paragraphe 2, du règlement 2017/1001), ainsi que de la jurisprudence, que les motifs absolus de refus peuvent être opposés à l’enregistrement d’une marque même s’ils ne sont applicables qu’à une partie de l’Union. Ainsi, afin qu’un signe tombe sous le coup de l’interdiction de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94, il suffit qu’un motif de refus existe à l’égard d’une partie non négligeable du public ciblé [voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2022, F I S I/EUIPO – Verband der Deutschen Daunen- und Federnindustrie (ECODOWN), T‑338/21, non publié, EU:T:2022:360, point 24 et jurisprudence citée].

39      Si le turc ne figure pas au nombre des langues officielles de l’Union, il est toutefois constant qu’il figure parmi les langues officielles de la République de Chypre. Dès lors, la chambre de recours a conclu, à juste titre, que le turc sera compris et parlé par une partie de la population de Chypre [voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2012, Organismos Kypriakis Galaktokomikis Viomichanias/OHMI – Garmo (HELLIM), T‑534/10, EU:T:2012:292, point 38]. De plus, ainsi que le fait valoir l’intervenante dans son mémoire en réponse, il est notoirement connu qu’un nombre important de ressortissants turcs résident sur le territoire de l’Union, notamment en Allemagne.

40      Ainsi, la langue turque étant comprise et parlée par une partie non négligeable des consommateurs de l’Union, il était suffisant, au sens de la jurisprudence citée au point 38 ci-dessus, pour la chambre de recours de retenir la perception du public pertinent turcophone de l’Union pour apprécier le caractère descriptif de la marque contestée.

41      Dès lors, sont sans pertinence les arguments de la requérante selon lesquels une partie des consommateurs de l’Union ne vont pas associer la marque contestée à la langue turque. De plus, dès lors qu’il suffisait de prendre en considération la partie turcophone du public pertinent, la chambre de recours n’était pas tenue de motiver les raisons pour lesquelles elle n’a pas pris en compte le reste du public pertinent (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2022, ECODOWN, T‑338/21, non publié, EU:T:2022:360, point 25).

42      En outre, dans ces circonstances, sont également sans pertinence les arguments de la requérante selon lesquels les produits en cause ne se limitent pas aux produits laitiers turcs ou aux produits laitiers fabriqués en Turquie. En effet, cette circonstance n’a aucune incidence sur le fait que les produits en cause s’adressent au grand public de l’Union et, notamment, aux consommateurs turcophones qui constituent une partie non négligeable de ce public.

43      Partant, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en ce qu’elle s’est référée au public turcophone de l’Union pour opérer l’examen du caractère descriptif du signe verbal constituant la marque contestée.

–       Sur la signification de la marque contestée

44      Au point 41 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté que le public pertinent turcophone identifiait, dans la marque contestée, les mots turcs « süt », signifiant notamment le « lait », et « tat », signifiant notamment le « goût ». Selon la chambre de recours, confrontés au signe verbal Sütat dans le contexte des produits laitiers, les consommateurs turcophones comprendraient ce signe comme une référence aux concepts liés au goût de lait.

45      La requérante conteste cette appréciation de la chambre de recours, car, selon elle, la marque contestée, constituée du terme « sütat », est dépourvue de signification propre dans la langue turque.

46      L’EUIPO, soutenu par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

47      En premier lieu, il n’y a pas lieu de remettre en cause la conclusion de la chambre de recours, au demeurant non contestée par la requérante, selon laquelle les mots « süt » et « tat », conformément aux dictionnaires visés au point 37 de la décision attaquée, signifient, notamment, le « lait » et le « goût » en turc.

48      En deuxième lieu, s’agissant de la manière dont la marque contestée est perçue par le public pertinent, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir erronément fondé son analyse sur le fait que la marque contestée est formée des mots « süt » et « tat », une telle juxtaposition n’étant pas conforme aux règles grammaticales et lexicales de la langue turque.

49      Il convient de préciser que, dans la marque contestée, il est exact que l’orthographe est incorrecte, dans la mesure où les mots « süt » et « tat » sont écrits en un seul mot, la deuxième lettre « t » étant omise. Par ailleurs, la requérante soutient que la combinaison de deux substantifs n’est pas en tant que telle habituelle dans la langue turque.

50      À cet égard, premièrement, il y a lieu de rappeler que, si le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails, il n’en reste pas moins que, en percevant un signe verbal, il décomposera celui-ci en des éléments verbaux qui lui suggèrent une signification concrète et immédiatement compréhensible ou qui ressemblent à des mots qu’il connaît [voir arrêt du 1er février 2023, NFL Properties Europe/EUIPO – Groupe Duval (DUUUVAL), T‑671/21, non publié, EU:T:2023:33, point 57 et jurisprudence citée].

51      Ainsi, il est tout à fait logique que, dans le contexte des produits laitiers, le public pertinent décompose le terme « sütat » en deux mots « süt » et « tat », car ces derniers lui suggèrent, par rapport aux produits laitiers, une signification concrète, à savoir le « lait » et le « goût ».

52      Deuxièmement, s’agissant des arguments de la requérante quant au non-respect des règles grammaticales et lexicales de la langue turque, mentionnés au point 49 ci-dessus, il convient tout d’abord de rappeler que, selon la jurisprudence, le fait que le signe en cause soit doté d’une structure grammaticalement incorrecte n’est pas suffisant, en lui‑même, pour conclure à l’absence de caractère descriptif [voir arrêt du 16 mai 2017, Mühlbauer Technology/EUIPO (Magicrown), T‑218/16, non publié, EU:T:2017:334, point 31 et jurisprudence citée].

53      Ensuite, il y a lieu de constater que, malgré l’absence de respect strict des règles d’orthographe de la langue turque, les mots « süt » et « tat » restent aisément identifiables dans la marque contestée, laquelle est constituée du terme « sütat ». Il convient également de relever, à cet égard, que, d’une part, l’omission d’espaces entre les mots est habituelle dans le monde de la publicité et du marketing [voir, en ce sens, ordonnance du 26 janvier 2017, Topera/EUIPO (RHYTHMVIEW) T‑119/16, non publiée, EU:T:2017:38, point 24] et, d’autre part, l’omission d’une lettre « t » située respectivement à la fin du mot « süt » et au début du mot « tat » n’est pas particulièrement remarquable, de sorte qu’elle n’empêche non plus d’identifier lesdits mots (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2017, Magicrown, T‑218/16, non publié, EU:T:2017:334, point 28).

54      En outre, conformément à la jurisprudence, lorsque la graphie déformée d’une marque verbale n’est pas perceptible phonétiquement, elle est sans incidence sur l’éventuel contenu conceptuel que le public pertinent attribuera à ladite marque (voir arrêt du 30 avril 2013, RELY-ABLE, T‑640/11, non publié, EU:T:2013:225, point 20 et jurisprudence citée). Ainsi, la graphie déformée des mots « süt » et « tat » dans le signe en cause, perceptible plus visuellement que phonétiquement, est sans incidence sur l’éventuel contenu conceptuel que le public pertinent attribue à ladite marque.

55      Enfin, la requérante ne saurait valablement soutenir que l’analyse menée par la chambre de recours repose sur des règles linguistiques allemandes, selon lesquelles la combinaison de plusieurs substantifs serait habituelle pour former un nouveau substantif. D’une part, les particularités de la grammaire allemande sont sans pertinence pour le présent litige, car la marque contestée est analysée dans le contexte de sa perception par le public turcophone. Or, ainsi que cela a été démontré aux points 50 à 54 ci-dessus, bien que la combinaison des mots « süt » et « tat » ne soit pas tout à fait conforme aux règles de la grammaire turque, ledit public identifiera sans difficulté ces deux mots dans la marque contestée. D’autre part, il y a lieu de souligner, à l’instar de l’EUIPO, que la chambre de recours a effectué son analyse de la perception de la marque contestée en se fondant sur des principes établis par la jurisprudence, lesquels s’appliquent de la même manière dans toutes les zones linguistiques de l’Union.

56      Partant, contrairement à ce que soutient la requérante, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que le public pertinent percevait la marque contestée, immédiatement et sans autre réflexion, comme étant composée de deux mots turcs, à savoir, « süt » et « tat », qui signifient respectivement le « lait » et le « goût ».

57      En troisième lieu, s’agissant de la signification de la marque contestée dans son ensemble, la requérante soutient que le public turcophone de l’Union comprend cette marque comme un terme indépendant, dépourvu d’une signification propre.

58      À cet égard, il convient de rappeler qu’une marque constituée d’un mot composé d’éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé est elle-même descriptive desdites caractéristiques, sauf s’il existe un écart perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent. Cela suppose que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu’il prime la somme desdits éléments (voir arrêt du 25 février 2010, Lancôme/OHMI, C‑408/08 P, EU:C:2010:92, point 62 et jurisprudence citée).

59      À cet égard, certes, l’analyse du terme en cause au vu des règles lexicales et grammaticales appropriées est également pertinente (voir arrêt du 22 juin 2005, PAPERLAB, T‑19/04, EU:T:2005:247, point 27 et jurisprudence citée). Toutefois, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le simple fait qu’un signe soit doté d’une structure grammaticale incorrecte ne permet pas de considérer qu’il crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par les termes qui le composent [voir arrêt du 24 avril 2012, Leifheit/OHMI (EcoPerfect), T‑328/11, non publié, EU:T:2012:197, point 33 et jurisprudence citée].

60      En l’espèce, il ressort des points 53 et 54 ci-dessus que la structure grammaticale incorrecte de la marque contestée n’empêche pas d’identifier les mots « süt » et « tat » et ne nuit pas à la compréhension du public pertinent de ladite marque.

61      En outre, le fait que le message véhiculé par la marque en cause reste clair constitue un critère important à cet égard [voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2021, Micron Technology/EUIPO (INTELLIGENCE, ACCELERATED), T‑386/20, non publié, EU:T:2021:422, point 31]. En l’espèce, la marque dans son ensemble ne transmet aucun autre message que celui d’une simple somme desdits mots.

62      Partant, et eu égard à la signification des mots « süt » et « tat » dans la langue turque, telle que rappelée au point 47 ci-dessus, il y a lieu de relever que la chambre de recours a considéré, à juste titre, que le public pertinent turcophone comprenait le signe en cause comme une référence aux concepts liés au goût de lait.

63      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments de la requérante, selon lesquels la chambre de recours aurait commis des erreurs en ce qui concerne l’appréciation des preuves sur lesquelles la décision attaquée est fondée.

64      Premièrement, la requérante avance plusieurs arguments afin de contester la recevabilité et la valeur probante, d’une part, du rapport d’expertise, présenté devant la chambre de recours par l’intervenante, et, d’autre part, des résultats de la recherche sur Internet effectuée par la chambre de recours elle-même et présentés au point 46 de la décision attaquée.

65      Or, il ressort du point 43 de la décision attaquée que la chambre de recours s’est appuyée sur ledit rapport d’expertise uniquement à titre confirmatif, tandis qu’elle a précisé, aux points 46 et 47 de ladite décision, n’avoir utilisé les résultats de ses propres recherches sur Internet que « par souci d’exhaustivité » et « à titre d’illustration » pour « illustrer des faits notoires ». Au point 48 de la décision attaquée, la chambre de recours a conclu que, même sans tenir compte dudit rapport d’expertise et desdits résultats, sa conclusion sur la signification du signe Sütat était étayée par les données issues de dictionnaires, selon lesquels les mots turcs « süt » et « tat » signifiaient respectivement le « lait » et le « goût ». Ainsi qu’il a été constaté au point 62 ci-dessus, cette conclusion de la chambre de recours est correcte.

66      Il s’ensuit que les considérations de la chambre de recours, qui sont fondées sur le rapport d’expertise présenté devant la chambre de recours par l’intervenante, ainsi que sur les résultats de la recherche effectuée par la chambre de recours elle-même, ont été développées uniquement à titre surabondant. Dès lors, les arguments de la requérante à cet égard ne sauraient avoir une incidence sur la légalité de la conclusion de la chambre de recours quant à la signification de la marque contestée, laquelle se fonde, à suffisance de droit, sur d’autres considérations formulées à bon droit dans la décision attaquée.

67      Partant, les arguments de la requérante ne sont pas susceptibles de remettre en cause la légalité de la décision attaquée et doivent être rejetés comme inopérants.

68      Deuxièmement, ne saurait non plus prospérer l’argument de la requérante selon lequel l’arrêt du 10 juin 2021 de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) aurait confirmé l’absence de motif d’annulation de la marque contestée. À cet égard, il suffit de rappeler que le régime des marques de l’Union européenne est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national. Dès lors, l’EUIPO et, le cas échéant, le juge de l’Union ne sont pas liés par les décisions intervenues dans les États membres, voire dans des pays tiers, qui ne constituent qu’un élément qui, sans être déterminant, peut seulement être pris en considération aux fins de l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2018, Apcoa Parking Holdings/EUIPO, C‑32/17 P, non publié, EU:C:2018:396, points 31, 32 et 34).

69      Partant, il y a lieu de rejeter cet argument de la requérante.

–       Sur le rapport entre la signification de la marque contestée et les produits en cause

70      Il y a lieu de relever que la requérante a uniquement contesté la signification de la marque contestée telle que retenue par la chambre de recours, mais n’a, en aucune façon, indiqué dans quelle mesure cette signification n’était pas descriptive des produits visés, à savoir les produits laitiers compris dans la classe 29.

71      Eu égard aux circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de remettre en cause la conclusion de la chambre de recours selon laquelle la marque en cause est descriptive pour lesdits produits. En effet, le signe Sütat, compris dans le sens de goût de lait, est une indication pour le public pertinent de la nature et de la qualité des produits visés, à savoir les produits laitiers, de sorte qu’il présente avec ces produits un rapport suffisamment direct et concret pour que la marque contestée tombe sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94, au sens de la jurisprudence citée au point 30 ci-dessus.

72      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la chambre de recours a conclu à bon droit que la marque contestée était descriptive pour les produits visés, à savoir les produits laitiers compris dans la classe 29.

73      Le premier moyen doit donc être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94

74      Dans le cadre de son deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, la requérante soutient que, contrairement aux conclusions de la chambre de recours, la marque contestée n’est pas dépourvue de caractère distinctif au regard des produits en cause.

75      L’EUIPO, soutenu par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

76      Il ressort de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 40/94 (devenu article 7, paragraphe 1, du règlement 2017/1001), qu’il suffit qu’un des motifs absolus de refus qui y sont énumérés s’applique pour que le signe ne puisse être enregistré comme marque de l’Union européenne [arrêt du 12 octobre 2010, Asenbaum/OHMI (WIENER WERKSTÄTTE), T‑230/08 et T‑231/08, non publié, EU:T:2010:433, point 48].

77      En l’espèce, dès lors qu’il a été considéré que la marque contestée était descriptive des produits en cause au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94, et que ce motif justifiait à lui seul le refus d’enregistrement, il n’est pas nécessaire d’examiner le bien-fondé du moyen tiré de la violation l’article 7, paragraphe 1, sous b), dudit règlement.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu

78      Dans le cadre du troisième moyen, la requérante fait valoir que son droit d’être entendue a été méconnu, car elle n’a pas pu présenter d’observations sur les résultats de la recherche sur Internet menée par la chambre de recours, figurant au point 46 de la décision attaquée, ni sur les conclusions qui en ont été tirées.

79      L’EUIPO, soutenu par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

80      Il convient de rappeler qu’il découle de l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001 que l’EUIPO ne peut fonder sa décision que sur des éléments de fait ou de droit sur lesquels les parties ont pu présenter leurs observations. Cette disposition consacre, dans le cadre du droit des marques de l’Union européenne, le principe général de protection des droits de la défense. En vertu de ce principe, les destinataires des décisions des autorités publiques qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue [voir arrêt du 6 septembre 2013, Eurocool Logistik/OHMI – Lenger (EUROCOOL), T‑599/10, non publié, EU:T:2013:399, point 50 et jurisprudence citée].

81      Premièrement, s’agissant des résultats de la recherche sur Internet menée par la chambre de recours, certes, au point 46 de la décision attaquée, cette dernière fait référence à plusieurs exemples de l’utilisation des mots « süt » et « tat » sur le marché, pour la description de produits laitiers. Ces exemples résultent de la propre recherche de la chambre de recours effectuée sur Internet, sur laquelle les parties n’ont pas été invitées à prendre position.

82      Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, les droits de la défense ne sont violés du fait d’une irrégularité procédurale que dans la mesure où celle-ci a eu une incidence concrète sur la possibilité pour les parties mises en cause de se défendre. Ainsi, le non-respect des règles en vigueur ayant pour finalité de protéger les droits de la défense n’est susceptible de vicier la procédure administrative que s’il est établi que celle-ci aurait pu aboutir à un résultat différent en son absence [voir arrêt du 12 mai 2009, Jurado Hermanos/OHMI (JURADO), T‑410/07, EU:T:2009:153, point 32 et jurisprudence citée].

83      Or, comme cela a été déjà constaté au point 65 ci-dessus, dans la décision attaquée, la chambre de recours n’a utilisé les résultats de sa recherche sur Internet que « par souci d’exhaustivité » et qu’« à titre d’illustration » pour « illustrer des faits notoires ». Il en découle que ces résultats n’ont pas été déterminants pour décider si la marque contestée était descriptive par rapport aux produits en cause. En effet, la chambre de recours a précisé, au point 48 de la décision attaquée, que, même sans tenir compte des résultats de la recherche en question, sa conclusion sur la signification du terme « sütat », étayée par les données des dictionnaires, aurait été la même. Ainsi qu’il a été constaté au point 65 ci-dessus, cette conclusion n’est pas entachée d’erreur d’appréciation.

84      Eu égard à ce qui précède, il n’est donc pas établi que la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent en l’absence de l’irrégularité procédurale alléguée qui, en tout état de cause, n’aurait pas pu affecter la légalité de la décision attaquée.

85      Deuxièmement, s’agissant des conclusions qui ont été tirées des résultats de la recherche ci-dessus mentionnée, il suffit de rappeler, à l’instar de l’EUIPO et de l’intervenante, que, selon la jurisprudence, le droit d’être entendu ne s’étend pas à la position finale que l’administration entend adopter (voir arrêt du 12 mai 2009, JURADO, T‑410/07, EU:T:2009:153, point 31 et jurisprudence citée).

86      Ainsi, la chambre de recours n’avait pas l’obligation d’inviter la requérante de présenter ses observations quant à la conclusion finale tirée des résultats de sa propre recherche sur Internet.

87      Par conséquent, le troisième moyen doit être rejeté.

88      Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions de la requérante, contestée par l’EUIPO et l’intervenante et tendant notamment au rejet de la demande en nullité de la marque contestée.

 Sur les dépens

89      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

90      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Yayla Türk Lebensmittelvertrieb GmbH est condamnée aux dépens.

Schalin

Nõmm

Kukovec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 juillet 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.