Language of document : ECLI:EU:T:2013:248

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

16 mai 2013 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Importation de blé dur (froment) de haute qualité – Droits à l’importation – Règlement (CE) n° 919/2009 – Règlement (CE) n° 1249/96 – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Préjudice matériel – Lien de causalité »

Dans l’affaire T-437/10,

Gap SA granen & producten NV, établie à Zoersel (Belgique), représentée par Mes C. Ronse, A. Hansebout, K. Claeyé et J. Muyldermans, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. D. Triantafyllou et B. Burggraaf, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité introduit sur le fondement de l’article 340 TFUE visant à obtenir la réparation du préjudice prétendument subi par la requérante à la suite de la fixation des droits à l’importation pour le blé dur (froment) de haute qualité par le règlement (CE) n° 919/2009 de la Commission, du 1er octobre 2009, modifiant le règlement (CE) n° 915/2009 fixant les droits à l’importation dans le secteur des céréales à partir du 1er octobre 2009 (JO L 259, p. 5),

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, S. Soldevila Fragoso (rapporteur) et G. Berardis, juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 décembre 2012,

rend le présent

Arrêt

 Faits

1        La requérante, Gap SA granen & producten NV, a comme activité principale l’importation en Europe de blé dur et de blé tendre en provenance des États-Unis et du Canada et sa livraison à des moulins installés en Europe.

2        Les droits à l’importation du blé dur de haute qualité sont calculés conformément aux dispositions de l’article 136, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement « OCM unique ») (JO L 299, p. 1). Ce règlement a abrogé le règlement (CE) n° 1784/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales (JO L 270, p. 78), qui avait lui-même abrogé le règlement (CEE) n° 1766/92 du Conseil, du 30 juin 1992, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales (JO L 181, p. 21). L’article 136, paragraphe 1, du règlement n° 1234/2007 prévoit que les droits à l’importation sont calculés à partir du prix d’intervention, majoré de 55 % et diminué du prix représentatif à l’importation caf (cout, assurance et fret) journalier (ci-après le « prix à l’importation caf »). L’article 143 du règlement n° 1234/2007 confie à la Commission la tâche, en ce qui concerne l’article 136, de définir notamment les cotations de prix à prendre en considération.

3        Le règlement (CE) n° 1249/96 de la Commission, du 28 juin 1996, portant modalités d’application du règlement n° 1766/92 en ce qui concerne les droits à l’importation dans le secteur des céréales (JO L 161, p. 125), tel que modifié par le règlement (CE) n° 459/2009 de la Commission, du 29 mai 2009 (JO L 139, p. 3), détermine les modalités d’application du calcul des droits à l’importation. L’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1249/96 prévoit que la Commission détermine les droits à l’importation pour le blé dur de haute qualité le quinze et le dernier jour ouvrable de chaque mois, en se fondant sur le prix à l’importation caf déterminé selon la méthode définie à l’article 4 de ce règlement. Selon les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, du même règlement, le prix à l’importation caf est ainsi composé de la cotation boursière représentative sur le marché des États-Unis, des primes commerciales et des réductions connues attachées à cette cotation sur le marché des États-Unis le jour de la cotation, et du tarif du fret maritime et des coûts afférents entre les États-Unis (golfe du Mexique ou port de Duluth, Minnesota) et le port de Rotterdam (Pays-Bas) pour un bateau d’au moins 25 000 tonnes. Par ailleurs, les dispositions de l’article 4, paragraphe 2, sous a), dudit règlement précisent que la Commission constate ladite cotation boursière sur la base des Bourses et des qualités de référence reprises à son annexe II, cette dernière indiquant, en outre, que, si aucune cotation permettant le calcul d’un prix à l’importation caf n’est disponible, les cotations fob (franco à bord) publiquement disponibles aux États-Unis sont retenues. L’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1249/96 dispose que, s’agissant des primes commerciales et du tarif du fret maritime, la Commission se fonde sur les informations publiquement disponibles.

4        Les droits à l’importation pour le blé dur de haute qualité, qui étaient depuis longtemps fixés à zéro, ont été rétablis par le règlement (CE) n° 893/2009 de la Commission, du 25 septembre 2009, modifiant le règlement (CE) n ° 838/2009 fixant les droits à l’importation dans le secteur des céréales applicables à partir du 16 septembre 2009 (JO L 254, p. 97), à 2,04 euros par tonne, à partir du 26 septembre 2009.

5        Le règlement (CE) n° 915/2009 de la Commission, du 30 septembre 2009, fixant les droits à l’importation dans le secteur des céréales applicables à partir du 1er octobre 2009 (JO L 258, p. 6), a fixé les droits à l’importation pour le blé dur de haute qualité à 7,27 euros par tonne. Le règlement (CE) n° 919/2009 de la Commission, du 1er octobre 2009, modifiant le règlement n° 915/2009 (JO L 259, p. 5), a fixé ces droits à 17,20 euros par tonne à partir du 2 octobre 2009.

6        Les droits à l’importation ont été ramenés à zéro par le règlement (CE) n° 1037/2009 de la Commission, du 30 octobre 2009, fixant les droits à l’importation dans le secteur des céréales applicables à partir du 1er novembre 2009 (JO L 285, p. 7), à la suite d’une modification du calcul du tarif du fret entre les ports de Duluth et de Rotterdam.

7        La requérante a acheté entre mai et juillet 2009 du blé dur de haute qualité qu’elle a acheminé en Europe au départ du port de Duluth. La cargaison étant parvenue au port d’Anvers (Belgique) le 3 octobre 2009, elle a été soumise aux droits à l’importation en vigueur depuis l’adoption du règlement n° 919/2009, soit 17,20 euros par tonne. Ainsi, la requérante s’est acquittée d’un montant de 295 690,43 euros pour le dédouanement de 17 191,304 tonnes de blé dur de haute qualité.

8        Par courrier du 8 mars 2010, le comité du commerce des céréales, aliments du bétail, oléagineux, huile d’olive, huiles et graisses et agrofournitures (ci-après le « Coceral »), porte-parole des opérateurs du commerce des céréales, du riz, des aliments pour animaux, des oléagineux et de l’agrofourniture en Europe, dont la requérante est membre, a demandé à la Commission si elle envisageait de rectifier rétroactivement les droits à l’importation fixés avant le 1er novembre 2009. La Commission a répondu négativement à cette demande le 25 mars 2010.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 septembre 2010, la requérante a introduit le présent recours.

10      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a invité les parties à répondre à certaines questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

11      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 13 décembre 2012.

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne ;

–        condamner l’Union à l’indemniser pour le préjudice de 295 690,43 euros qu’elle estime avoir subi, augmenté des intérêts légaux belges à compter des dates de paiement ;

–        condamner l’Union au paiement d’un montant provisionnel de 30 000 euros, augmenté des intérêts légaux belges, pour les dommages supplémentaires qu’elle estime avoir subis en raison du temps consacré à l’affaire et des frais d’avocat supportés.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

1.     Observations liminaires

14      La requérante estime que la responsabilité non contractuelle de l’Union doit être engagée en raison du comportement illégal de la Commission, qui a constitué la cause directe de son préjudice.

15      L’article 340 TFUE prévoit que, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions. Le régime dégagé par la jurisprudence au titre de cette disposition prend notamment en compte la complexité des situations à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes et, plus particulièrement, la marge d’appréciation dont dispose l’auteur de l’acte mis en cause (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, points 39 et 40).

16      L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi dépendent ainsi de la réunion de trois conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité direct entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir arrêts de la Cour Bergaderm et Goupil/Commission, point 15 supra, point 42, et du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, Rec. p. I‑10833, point 26, et la jurisprudence citée). Il y a donc lieu, en l’espèce, de procéder à l’examen de chacune de ces trois conditions.

2.     Sur l’illégalité du comportement de la Commission

17      La requérante soutient que la Commission, d’une part, a violé les dispositions de l’article 4 du règlement n° 1249/96 et, d’autre part, a méconnu le devoir de diligence.

18      Il y a lieu d’examiner, tout d’abord, les arguments de la requérante relatifs à la violation des dispositions de l’article 4 du règlement n° 1249/96.

19      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, seule une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers permet d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union (arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, point 15 supra, point 42). En revanche, il importe peu que la règle violée constitue ou non une règle supérieure de droit et il y a lieu d’écarter les arguments avancés à cet égard par la requérante comme inopérants (arrêt du Tribunal du 19 octobre 2005, Cofradía de pescadores « San Pedro » de Bermeo e.a./Conseil, T‑415/03, Rec. p. II‑4355, point 85) et d’examiner l’existence en l’espèce, d’une part, d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers et, d’autre part, d’une violation suffisamment caractérisée de ladite règle.

 Sur l’existence d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers

20      La requérante estime que l’article 4 du règlement n° 1249/96 est une règle de droit qui confère des droits aux particuliers en ce qu’elle offre une sécurité juridique quant à la méthode de calcul des droits à l’importation.

21      La Commission rétorque que cette disposition n’a pas pour objet de conférer de droits aux particuliers, dès lors qu’elle vise à protéger l’intérêt général de l’Union et non celui des importateurs.

22      Selon la jurisprudence, une règle de droit a pour objet de conférer des droits aux particuliers lorsqu’elle engendre un avantage susceptible d’être qualifié de droit acquis, qu’elle a pour fonction de protéger les intérêts des particuliers ou qu’elle procède à l’attribution de droits au profit des particuliers dont le contenu peut être suffisamment identifié (voir arrêt Cofradía de pescadores « San Pedro » de Bermeo e.a./Conseil, point 19 supra, point 86, et la jurisprudence citée). Il ressort en outre de la jurisprudence que cette condition est remplie lorsque la règle de droit violée, tout en visant par essence des intérêts de caractère général, assure également la protection des intérêts individuels des personnes concernées (arrêt du Tribunal du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, non encore publié au Recueil, point 47 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission, 5/66, 7/66 et 13/66 à 24/66, Rec. p. 317, 340, et arrêt du Tribunal du 10 avril 2002, Lamberts/Médiateur, T‑209/00, Rec. p. II‑2203, point 87).

23      En l’espèce, bien que le règlement n° 1249/96 ait essentiellement pour objet, comme l’affirme la Commission, de protéger le marché intérieur et les intérêts financiers de l’Union par la fixation de droits à l’importation (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 novembre 2002, SPKR, C‑112/01, Rec. p. I‑10655, point 31 ; du 2 avril 2009, Elshani, C‑459/07, Rec. p. I‑2759, point 31, et du 29 avril 2010, Dansk Transport og Logistik, C‑230/08, Rec. p. I‑3799, point 51), les dispositions de son article 4, qui définissent les éléments à prendre en considération pour la détermination des prix à l’importation caf, laquelle est indispensable au calcul des droits à l’importation pour les céréales, selon la méthode de calcul prévue par l’article 136, paragraphe 1, du règlement n° 1234/2007, ont pour objet d’assurer que les droits à l’importation sont calculés de manière objective, prévisible et transparente.

24      Ces dispositions assurent ainsi la protection des intérêts individuels des personnes susceptibles d’être concernées et elles sont, dès lors, à considérer comme des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, au sens de la jurisprudence citée aux points 19 et 22 ci-dessus.

 Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée de l’article 4 du règlement n° 1249/96

25      La requérante soutient que la Commission a violé de manière suffisamment caractérisée les dispositions de l’article 4 du règlement n° 1249/96.

26      Elle indique que la Commission ne dispose d’aucune marge d’appréciation lorsqu’elle fait application de ces dispositions et que, en tout état de cause, celle-ci a commis des erreurs manifestes d’appréciation dans la détermination de la cotation fob et du tarif du fret. De plus, la Commission aurait omis de fournir l’origine de ses données et de préciser sa méthode de calcul.

27      La Commission rejette les arguments de la requérante.

28      Afin d’apprécier l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit, il convient de prendre en compte la marge d’appréciation dont dispose l’institution à l’origine de l’acte. Ainsi, lorsque la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent à celui-ci. En revanche, lorsqu’elle ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, point 15 supra, points 43 et 44). La constatation d’une erreur ou d’une irrégularité de la part d’une institution ne suffit pas en soi pour engager la responsabilité extracontractuelle de l’Union, à moins que cette erreur ou irrégularité ne soit caractérisée par un manque de diligence ou de prudence (arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 144).

29      En l’espèce, il y a donc lieu, dans un premier temps, de déterminer la marge d’appréciation dont disposait la Commission lors de l’application des dispositions de l’article 4 du règlement n° 1249/96 aux fins du calcul des droits à l’importation prévu par le règlement n° 919/2009 et, dans un second temps, d’apprécier si elle a commis une violation suffisamment caractérisée de ces dispositions.

 Sur la marge d’appréciation de la Commission

30      Ainsi qu’il a été rappelé aux points 2 et 3 ci-dessus, la Commission est chargée de déterminer les droits à l’importation pour le blé dur de haute qualité chaque quinzaine sur la base du calcul prévu par les dispositions du règlement n° 1249/96, et notamment en arrêtant le prix à l’importation caf selon la méthode définie par son article 4.

31      Aux termes de ces dispositions, la Commission est chargée de déterminer le prix à l’importation caf à partir de la cotation boursière représentative sur le marché des États-Unis, des primes commerciales et des réductions connues attachées à cette cotation sur le marché des États-Unis le jour de la cotation et du tarif du fret maritime et des coûts afférents entre les États-Unis (golfe du Mexique ou Duluth) et le port de Rotterdam pour un bateau d’au moins 25 000 tonnes. La Commission constate ladite cotation boursière sur la base des Bourses et des qualités de référence reprises à l’annexe II, en utilisant les cotisations fob publiquement disponibles aux États-Unis si aucune cotation permettant le calcul d’un prix à l’importation caf n’est disponible. S’agissant des primes commerciales et du tarif du fret maritime, la Commission se fonde sur les informations publiquement disponibles.

32      La Commission est ainsi tenue de prendre en considération les éléments susmentionnés pour le calcul du prix à l’importation caf et ne dispose pas d’une marge d’appréciation à cet égard (voir, en ce sens, également dans le contexte d’une organisation commune des marchés, arrêts du Tribunal Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, point 28 supra, point 137, et du 3 février 2005, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑139/01, Rec. p. II‑409, point 158).

33      Il convient, ensuite, d’examiner si la Commission dispose d’une marge d’appréciation quant au choix des sources et à la constatation des données utilisées aux fins de la détermination desdits éléments et, dans l’affirmative, de déterminer l’étendue de cette marge d’appréciation.

34      Il ressort de l’article 4, paragraphe 2, et de l’annexe II du règlement n° 1249/96 que les données à prendre en considération pour la fixation tant de la cotation fob que des primes commerciales et des réductions connues attachées à cette cotation et du tarif du fret doivent être publiquement disponibles. Ces dispositions n’apportant aucune autre précision relative aux sources des données à prendre en considération, la Commission dispose d’une marge d’appréciation quant au choix de ces sources, avec pour seule contrainte leur disponibilité publique, l’annexe II du règlement n° 1249/96 étant toutefois plus précise à cet égard en ce qui concerne la cotation fob, en exigeant leur disponibilité publique aux États-Unis. Il y a lieu de préciser que, en principe, la Commission ne peut pas intervenir quant aux données provenant de ces sources, si ce n’est pour en faire la moyenne ou les combiner, car son rôle se limite à les « constater », en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1249/96.

35      En conséquence, la Commission dispose d’une marge d’appréciation quant au choix des sources publiquement disponibles lui permettant de constater les éléments représentatifs à prendre en considération pour le calcul du prix à l’importation caf.

36      Dans ce contexte, la Commission soutient avoir rencontré des difficultés à trouver des données pertinentes publiquement disponibles tant pour le tarif de fret que pour la cotation fob du blé dur de haute qualité.

37      En ce qui concerne la cotation fob du blé dur de haute qualité, la Commission se borne à soutenir que celle-ci était difficile à trouver et qu’elle s’est dès lors fondée sur des données communiquées par le ministère de l’Agriculture américain et par une agence de presse. Il convient cependant de relever que l’unique élément invoqué par la Commission à l’appui de cette allégation est un courrier électronique d’une association de promotion du blé américain, qu’elle a par ailleurs considéré dans ses écritures comme ne constituant pas une source pertinente. Ce courrier indiquait que le ministère de l’Agriculture américain ne proposait pas à ce moment de cotations fob Duluth pour le blé dur et expliquait comment déterminer une cotation fob Duluth à partir des prix du Montana. Par ailleurs, à supposer même que ces informations aient été difficiles à trouver, cette difficulté ne saurait suffire, à elle seule, à conférer une marge d’appréciation importante à la Commission.

38      En ce qui concerne le tarif du fret entre Duluth et Rotterdam, la Commission soutient qu’elle disposait d’une marge d’appréciation importante pour l’application des dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1249/96 en raison des particularités de la navigation sur les Grands Lacs et sur la voie maritime du Saint-Laurent.

39      À cet égard, il convient de constater que, alors que le règlement n° 1249/96 prévoit que le tarif du fret devant être pris en compte est celui entre les ports de Duluth et de Rotterdam pour un bateau d’au moins 25 000 tonnes, les parties s’accordent sur le fait que les bateaux de cette capacité ne sont pas en mesure de naviguer entre les Grands Lacs et le golfe du Saint-Laurent et, dès lors, d’effectuer l’intégralité du trajet. En conséquence, afin de déterminer le coût du transport entre les ports de Duluth et de Rotterdam, la Commission peut prendre en compte deux méthodes de calcul différentes. La première, celle du « laker », consiste à se fonder sur le transport de charges de 18 000 à 20 000 tonnes environ par des bateaux conçus pour naviguer sur les Grands Lacs et sur la voie maritime du Saint-Laurent, puis sur leur stockage dans un silo à Saint-Laurent et, enfin, sur la poursuite du trajet dans un navire de haute mer d’une capacité de 25 000 à 35 000 tonnes. La seconde, celle du « salty », consiste à se fonder sur le chargement partiel d’un navire de haute mer à Duluth et sur l’augmentation de la cargaison à Saint-Laurent avec de la marchandise transportée par un « laker », sans stockage de celle-ci dans un silo.

40      Il y a dès lors lieu de considérer que, afin de déterminer le tarif de fret conformément aux dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1249/96, la Commission ne peut se limiter à constater le tarif de fret. En effet, si celle-ci ne dispose d’aucune marge d’appréciation quant à la distance à prendre en compte (Duluth à Rotterdam), elle jouit d’une telle marge quant à la détermination de sa méthode de calcul.

41      En conclusion, la Commission dispose d’une marge d’appréciation limitée, d’une part, au choix des sources qu’elle utilise pour constater la cotation fob, les primes commerciales et le tarif de fret applicable et, d’autre part, à la détermination de sa méthode de calcul du tarif du fret entre Duluth et Rotterdam. Partant, pour engager la responsabilité de l’Union, la requérante doit établir une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation sur ces deux éléments. En revanche, en ce qui concerne les autres éléments lui permettant de déterminer le prix à l’importation caf, à savoir le constat de la cotation fob, des primes commerciales et des réductions connues attachées à cette cotation sur le marché des États-Unis le jour de sa cotation, et la distance à prendre en considération pour le calcul du tarif du fret maritime et des coûts afférents entre les États-Unis et le port de Rotterdam, la Commission dispose d’une marge d’appréciation réduite, voire inexistante, et ainsi une simple infraction au droit de l’Union peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée.

 Sur la violation suffisamment caractérisée des dispositions du règlement n° 1249/96

42      La requérante soutient que la Commission a commis des erreurs manifestes d’appréciation dans la détermination de la cotation fob et du tarif du fret maritime entre Duluth et Rotterdam, qu’elle ne lui a pas fourni l’origine des données utilisées ni sa méthode de calcul et qu’elle s’est fondée sur des données qui n’étaient pas publiquement disponibles.

–       Sur les sources

43      À titre préalable, il y a lieu de constater que, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a fourni le 28 novembre 2011 des informations relatives aux données et à la méthode de calcul utilisées dans la détermination de la cotation fob et du tarif de fret applicables et que la requérante a présenté ses observations sur ces informations lors de l’audience du 13 décembre 2012.

44      À titre principal, il y a lieu de rappeler qu’il ressort des points 34 et 35 ci-dessus que la Commission dispose d’une certaine marge d’appréciation quant au choix des sources utilisées, dès lors que celles-ci sont publiquement disponibles, notamment aux États-Unis, en ce qui concerne la cotation fob. Dès lors, seule une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission permettrait de considérer que cette dernière a violé de manière suffisamment caractérisée les dispositions de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1249/96. Compte tenu de la marge d’appréciation que lui reconnaît le règlement n° 1249/96, il y a lieu de considérer que la Commission peut, comme elle le soutient, utiliser, dans le choix de ses sources, outre le critère de publicité, les critères d’indépendance et de fiabilité.

45      En l’espèce, il ressort du dossier que la Commission s’est fondée, pour déterminer la cotation fob aux États-Unis du blé dur de haute qualité, sur des données transmises par le ministère de l’Agriculture américain, la Farm Service Agency – une agence étroitement liée à ce dernier – et une agence de presse et que, s’agissant du tarif de fret, elle a utilisé des données fournies par le conseil international des céréales, la même agence de presse et une organisation spécialisée dans la collecte de données en rapport avec les coûts du transport maritime.

46      En premier lieu, la requérante ne conteste pas que le ministère de l’Agriculture américain constitue une source fiable et indépendante en ce qui concerne la cotation fob pour le blé dur de haute qualité.

47      En deuxième lieu, les arguments de la requérante tendant à établir que la Commission aurait pu se fonder sur les données fournies par une association de promotion du blé américain doivent être rejetés comme inopérants, dès lors que la requérante a admis dans ses écritures que la Commission était libre d’utiliser des cotations fob provenant d’autres sources.

48      En troisième lieu, la requérante estime que l’agence de presse et l’organisation spécialisée dans la collecte de données en rapport avec les coûts du transport maritime retenues par la Commission ne constituent pas des sources indépendantes. Ainsi, selon la requérante, d’une part, la fiabilité de cette agence de presse pourrait être mise en cause au motif qu’elle utiliserait en réalité des données provenant du ministère de l’Agriculture américain et aurait elle-même admis faire face à de sérieux problèmes de qualité et, d’autre part, ses données comme celles de l’organisation spécialisée dans la collecte de données en rapport avec les coûts du transport maritime ne seraient pas publiquement disponibles.

49      Tout d’abord, l’allégation de la requérante selon laquelle l’agence de presse retenue par la Commission aurait uniquement repris des informations fournies par le ministère de l’Agriculture américain, à la supposer établie, ne saurait constituer une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission, dès lors qu’il n’est pas contesté que lesdites informations ont un caractère public.

50      Ensuite, l’allégation de la requérante selon laquelle cette agence de presse serait confrontée à de sérieux problèmes de qualité n’est fondée que sur deux articles de presse parus en 2005, qui concernent le contenu d’un seul courrier électronique interne de ladite agence et qui sont sans lien avec les cotations fob ou le tarif du fret du blé dur de haute qualité. Elle ne saurait dès lors être considérée comme suffisante pour remettre en cause le choix de cette agence de presse en tant que source.

51      Enfin, l’argument de la requérante selon lequel l’agence de presse et l’organisation spécialisée dans la collecte de données en rapport avec les coûts du transport maritime retenues par la Commission ne constitueraient pas des sources publiquement disponibles, car l’accès à leurs informations serait payant, doit également être écarté, cette circonstance ne portant pas atteinte à leur caractère public.

52      Dès lors, le Tribunal estime que la Commission n’a commis aucune violation suffisamment caractérisée du règlement n° 1249/96 en ce qui concerne le choix de ses sources.

–       Sur la cotation fob

53      Il y a lieu de rappeler que, afin de calculer le prix à l’importation caf, la Commission doit, aux termes des dispositions de l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1249/96, déterminer la cotation boursière représentative sur le marché des États-Unis en se fondant sur les Bourses et les qualités de référence reprises à l’annexe II de ce règlement ou, si aucune cotation n’est disponible, en utilisant les cotations fob publiquement disponibles aux États-Unis. Les parties s’accordent par ailleurs sur le fait que la cotation fob pertinente pour le calcul des droits à l’importation en l’espèce était la cotation fob Duluth du 30 septembre 2009.

54      La requérante soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant une cotation fob Duluth au 30 septembre 2009 de 115,58 euros par tonne. Elle souligne ainsi que cette cotation, comme celle des mois précédents, s’écartait considérablement des prix du marché mondial fixés par d’autres sources, ce que le Coceral ainsi que sa délégation italienne lui avaient déjà signalé les 11 août et 1er septembre 2009. Ces différences de prix s’expliqueraient par le fait que la Commission aurait utilisé les prix d’achat direct aux agriculteurs (« Posted County Prices », ci-après les « PCP ») ainsi que les prix d’achat fixés par le ministère de l’Agriculture américain afin de déterminer le montant des prêts pouvant être accordés aux agriculteurs (« loanprices », ci-après les « prix d’emprunt »), qui diffèreraient tous deux des prix fob en ce qu’ils ne prendraient pas en compte les coûts de transport vers le port d’exportation et qu’ils correspondraient au prix du blé non nettoyé, non conditionné et comportant certains grains gelés.

55      Dans ses écritures, la Commission a indiqué s’être fondée sur des cotations fob et non sur les PCP. Lors de l’audience, la Commission a cependant reconnu que les données qu’elle avait utilisées pour arrêter le règlement n° 919/2009 concernaient les PCP et les prix d’emprunt, mais elle a soutenu que ces prix constituaient la meilleure source disponible à ce moment-là et que le ministère de l’Agriculture américain lui avait indiqué que la différence entre ces prix et les prix fob était minime.

56      Il y a lieu de rappeler qu’il ressort des points 37 et 41 ci-dessus que, même si la Commission dispose d’une marge d’appréciation concernant le choix des sources utilisées, elle ne dispose pas d’une telle marge pour déterminer la cotation fob. Ainsi, une simple infraction sur ce point, dont ne se serait pas rendue coupable une administration normalement prudente et diligente, peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union (arrêts de la Cour du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schoeppenstedt/Conseil, 5/71, Rec. p. 975, points 61 et 62, et Bergaderm et Goupil/Commission, point 15 supra, points 43 et 44 ; arrêt du 12 juillet 2011, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, point 28 supra, point 144).

57      En l’espèce, en premier lieu, il ressort de la réponse de la Commission du 28 novembre 2011 à une question écrite du Tribunal et de l’audience que la Commission a déterminé la cotation fob en effectuant une moyenne de quatre données, à savoir un prix d’emprunt fixé par une agence de presse à 180,6 dollars (123,33 euros) par tonne, un PCP de 166,08 dollars (113,42 euros) par tonne fourni par la Farm Service Agency, un PCP de 165,34 dollars (112,91 euros) par tonne arrêté par le ministère de l’Agriculture américain et une autre cotation de ce dernier s’élevant également à 165,34 dollars (112,91 euros) par tonne relative à un blé de moindre qualité. La Commission a admis, lors de l’audience, d’une part, avoir utilisé les PCP et les prix d’emprunt, contrairement à ce qu’elle avait soutenu dans ses écritures, et, d’autre part, ne pas avoir procédé à un ajustement de ces données pour déterminer la cotation fob.

58      En deuxième lieu, il ressort de documents fournis par la requérante que les données retenues par la Commission comme constituant les cotations fob sur la période du 18 septembre 2009 au 15 octobre 2009 étaient nettement inférieures aux prix établis par une association de promotion du blé américain et que le Coceral ainsi que sa délégation italienne le lui avaient déjà signalé les 11 août et 1er septembre 2009. Si une association de promotion du blé américain ne saurait, comme l’affirme la Commission, être considérée comme une source indépendante, compte tenu de ses objectifs de promotion des exportations de produits céréaliers américains, ces éléments peuvent cependant être pris en compte par le Tribunal comme constituant un indice de ce que, d’une part, la cotation fixée par la Commission différait de la cotation fob et, d’autre part, la Commission en avait été informée.

59      En troisième lieu, il ressort de documents du ministère de l’Agriculture américain que les cotations fournies par ce dernier correspondaient aux PCP et étaient utilisées afin de fixer les prix d’emprunt et qu’il était précisé que l’usage de ces données à d’autres fins pouvait être inapproprié.

60      En quatrième lieu, la Commission n’a apporté aucun élément à l’appui de son affirmation selon laquelle les PCP et les prix d’emprunt seraient très proches du niveau des cotations fob.

61      En cinquième lieu, la seule circonstance selon laquelle les données utilisées par la Commission constituaient la meilleure source disponible ne saurait suffire à considérer que la Commission n’était pas tenue de procéder à un ajustement desdites données afin de déterminer la cotation fob.

62      Il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’en effectuant une simple moyenne des PCP et des prix d’emprunt pour déterminer les cotations fob la Commission a commis une erreur dont ne se serait pas rendue coupable une administration normalement prudente et diligente, de nature à engager la responsabilité de l’Union. La seule circonstance selon laquelle la Commission se serait efforcée d’obtenir des données relatives à la cotation fob plus pertinentes après l’adoption du règlement n° 919/2009 ne saurait suffire à remettre en cause cette conclusion.

–       Sur le tarif du fret

63      Il convient de rappeler qu’afin de calculer le prix à l’importation caf la Commission doit également, aux termes des dispositions de l’article 4, paragraphe 1, premier et second alinéas, du règlement n° 1249/96, déterminer le tarif du fret maritime entre les États-Unis (golfe du Mexique ou Duluth) et le port de Rotterdam pour un bateau d’au moins 25 000 tonnes à partir d’informations publiquement disponibles. Les parties s’accordent sur le fait que le tarif de fret pertinent en l’espèce était celui correspondant au trajet Duluth-Rotterdam au 30 septembre 2009.

64      La requérante soutient que le montant arrêté par la Commission pour le tarif du fret entre Duluth et Rotterdam, à savoir 24,24 euros la tonne, était très inférieur au tarif du marché et que la Commission se serait rendue compte du caractère incorrect de sa méthode de calcul en la modifiant considérablement dès l’adoption du règlement n° 1037/2009, le 30 octobre 2009.

65      La Commission soutient s’être fondée sur des sources indépendantes aux fins de son calcul et souligne la complexité de celui-ci. Elle a, par ailleurs, fourni le 28 novembre 2011 des informations relatives aux données et à la méthode de calcul utilisées, desquelles il ressort qu’elle a déterminé le tarif de fret Duluth-Rotterdam en effectuant une moyenne de trois données, à savoir un tarif de fret pour un trajet Grands Lacs-Italie fixé par une agence de presse à 32,30 dollars (22,06 euros) par tonne qu’elle a minoré de 4 dollars (2,73 euros) afin de tenir compte de la distance moindre, un tarif de fret Grands Lacs-Rotterdam fixé par une organisation spécialisée dans la collecte de données en rapport avec les coûts du transport maritime à 36,14 dollars (24,68 euros) par tonne et un tarif de fret pour un trajet Saint-Laurent-Anvers/Hambourg fixé par le conseil international des céréales à 27 dollars (18,44 euros) par tonne qu’elle a majoré de 12,93 dollars (8,83 euros) conformément au coût du trajet Duluth-Saint-Laurent fourni par une agence de presse.

66      Il ressort des points 40 et 41 ci-dessus que la Commission jouit d’une certaine marge d’appréciation quant à la méthode de calcul du tarif de fret entre Duluth et Rotterdam. La requérante doit dès lors établir l’existence d’une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposaient au pouvoir d’appréciation de la Commission afin d’engager la responsabilité de l’Union sur ce point.

67      En premier lieu, la requérante souligne que les tarifs de fret retenus par la Commission en septembre et en octobre 2009 étaient très inférieurs aux tarifs effectivement pratiqués sur le marché. Ainsi, le 2 octobre 2009, une association de promotion du blé américain avait, par exemple, fixé le tarif de fret entre les Grands lacs et Rotterdam à 65 dollars (44,29 euros) par tonne. La requérante a également présenté des factures relatives au transport de son blé à destination d’Anvers qui indiquent un tarif de 37,96 euros par tonne à la même période.

68      En deuxième lieu, la requérante indique que ces divergences ont été signalées à la Commission les 11 août, 1er et 17 septembre 2009 par le Coceral ainsi que sa délégation italienne. La requérante a par ailleurs participé à une réunion avec la Commission et le Coceral le 21 octobre 2009 relative à la mise en place d’une nouvelle méthode de calcul du tarif de fret.

69      En troisième lieu, la Commission admet avoir procédé à une modification de sa méthode de calcul à compter du 30 octobre 2009, qui l’a conduite à fixer, dans le règlement n° 1037/2009, le tarif de fret à 42,46 euros par tonne, soit une hausse de 75,16 %. Elle précise à cet égard que, après avoir consulté des experts externes à la suite de plusieurs plaintes, il lui est apparu que le modèle de calcul utilisé ne reflétait pas parfaitement les coûts du transport maritime, mais elle ne considère cependant pas avoir commis d’erreur. La Commission n’a cependant fourni aucune explication objective à cette hausse considérable du tarif de fret en l’espace d’un mois, telle que, par exemple, une modification du prix du pétrole.

70      Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que, en arrêtant le tarif de fret, la Commission a manifestement et gravement méconnu les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation.

71      Il résulte de tout ce qui précède que la première condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est remplie.

72      Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner les arguments de la requérante tirés d’une violation du devoir de diligence.

3.     Sur le caractère réel et certain du préjudice

73      La requérante estime que son préjudice s’élève au montant total des droits à l’importation dont elle a dû s’acquitter, soit 295 690,43 euros, majoré des intérêts légaux belges à compter des dates de paiement desdits droits. Elle sollicite également le versement d’un montant provisionnel de 30 000 euros, qui correspond aux dommages supplémentaires qu’elle estime avoir subis en raison du temps qu’elle a consacré à l’affaire et des frais d’avocat qu’elle a supportés, majoré des intérêts légaux belges.

74      Selon une jurisprudence constante, la deuxième condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union exige que le préjudice dont il est demandé réparation soit réel et certain (voir arrêt Agraz e.a./Commission, point 16 supra, point 27, et la jurisprudence citée).

75      En ce qui concerne le montant de 295 690,43 euros, force est de constater qu’il correspond à la totalité des droits à l’importation payés par la requérante pour l’importation de 17 191,304 tonnes de blé dur de haute qualité. Il apparaît ainsi que la requérante considère que les droits à l’importation devraient être non seulement inférieurs à 17,20 euros par tonne, mais égaux à zéro. Or, compte tenu de la marge d’appréciation dont bénéficie la Commission concernant le choix de ses sources et sa méthode de calcul du tarif de fret, il n’est pas certain, à ce stade de la procédure, que les droits à l’importation imposés à la requérante auraient dû être égaux à zéro.

76      Toutefois, si cette considération conduit à constater une incertitude quant à l’étendue exacte du préjudice invoqué, elle ne met pas en cause le caractère certain de l’existence même de ce préjudice (arrêt Agraz e.a./Commission, point 16 supra, point 36). En effet, il ressort de ce qui précède que la requérante se serait retrouvée dans une situation meilleure si la Commission n’avait pas pris en compte les seuls PCP et prix d’emprunt comme cotation fob et avait adopté une méthode de calcul reflétant les coûts de fret réels.

77      Dès lors, la deuxième condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est établie.

4.     Sur le lien de causalité

78      S’agissant du lien de causalité qui doit exister entre le comportement illégal de la Commission et le préjudice subi par la requérante, qui a été examiné aux points 73 à 77 ci-dessus, celle-ci considère que ce lien est direct et ne peut pas être contesté.

79      La Commission soutient que le préjudice prétendument subi par la requérante résulterait notamment du retard pris dans le transport du blé de la requérante, qui serait uniquement imputable à cette dernière, rompant ainsi le lien de causalité entre son comportement et le dommage allégué.

80      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la troisième condition d’engagement de la responsabilité de l’Union réside dans l’existence d’un lien de causalité direct entre le comportement de l’institution et le préjudice invoqué, et qu’il appartient au requérant d’établir son existence (voir arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier Frères e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, et arrêt du Tribunal du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, Rec. p. II‑3331, point 118, et la jurisprudence citée). L’Union ne peut ainsi être tenue pour responsable que du préjudice qui découle de manière suffisamment directe du comportement irrégulier de l’institution concernée (voir arrêts du Tribunal du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T‑149/96, Rec. p. II‑3841, point 101, et Fresh Marine/Commission, précité, point 118, et la jurisprudence citée).

81      Par ailleurs, lors de l’examen du lien de causalité entre le comportement reproché à l’institution et le préjudice allégué par la personne lésée, il y a lieu de vérifier si cette dernière, au risque de devoir supporter son dommage elle-même, a fait preuve, en justiciable averti, d’une diligence raisonnable pour éviter le préjudice ou en limiter la portée (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 4 février 1975, Compagnie Continentale/Conseil, 169/73, Rec. p. 117, points 22 et 23, et du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C‑104/89 et C‑37/90, Rec. p. I‑3061, point 33 ; arrêt Fresh Marine/Commission, point 80 supra, point 121). Par conséquent, même si le comportement illégal de l’institution a contribué à la réalisation du préjudice allégué, le lien de causalité peut être rompu par un comportement négligent de la personne lésée, dès lors que ce dernier s’avère constituer la cause déterminante du préjudice (arrêt du Tribunal du 19 juillet 2007, Bouychou/Commission, T‑344/04, non publié au Recueil, point 52).

82      En l’espèce, il est constant que la requérante a réglé un montant de 295 690,43 euros au titre des droits à l’importation sur le blé dur de haute qualité qu’elle a acheminé des États-Unis à Anvers le 3 octobre 2009 et il ressort de ce qui précède qu’elle se serait acquittée d’une somme inférieure si la Commission n’avait pas pris en compte les seuls PCP et prix d’emprunt comme cotation fob et avait adopté une méthode de calcul reflétant les coûts de fret réels. Le comportement irrégulier de la Commission présente donc un lien de causalité, au sens de la jurisprudence rappelée au point 80 ci-dessus, avec le préjudice subi par la requérante.

83      Il y a par ailleurs lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel le préjudice subi par la requérante résulterait du retard pris dans le transport de son blé. En effet, si la requérante doit certes supporter les risques commerciaux liés au transport du blé qui sont inhérents à l’activité entrepreneuriale d’importateur, les variations du niveau des droits à l’importation dont elle doit s’acquitter sont exclues de ces risques lorsqu’elles résultent d’erreurs dans la fixation du niveau de ces droits dont ne se serait pas rendue coupable une administration normalement prudente et diligente et de la méconnaissance grave et manifeste, par ladite administration, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation lors de ladite fixation.

84      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union sont réunies en l’espèce.

5.     Sur le montant du préjudice

85      En premier lieu, il résulte du point 75 ci-dessus que le Tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour se prononcer, à ce stade de la procédure, sur le montant des indemnités que la Commission doit verser à la requérante. Il convient d’inviter les parties, sous réserve d’une décision ultérieure du Tribunal, à se mettre d’accord sur ce montant, y compris les intérêts, à la lumière des considérations qui précèdent, et à transmettre au Tribunal, dans un délai de six mois, les montants à payer, établis d’un commun accord, ou, à défaut, à lui faire parvenir, dans le même délai, leurs conclusions chiffrées (arrêt Mulder e.a./Conseil et Commission, point 81 supra, points 37 et 38).

86      S’agissant, en second lieu, de la demande de la requérante tendant au versement d’un montant provisionnel de 30 000 euros correspondant aux dommages supplémentaires que la requérante estime avoir subis en raison du temps qu’elle a consacré à l’affaire et des frais d’avocat qu’elle a supportés, elle doit être comprise en ce sens que la requérante demande au Tribunal de condamner la Commission aux dépens de l’instance, dès lors que les frais exposés par les parties aux fins de la procédure juridictionnelle ne sauraient, comme tels, être considérés comme constituant un préjudice distinct de la charge des dépens de l’instance (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 juin 1999, Commission/Montorio, C‑334/97, Rec. p. I‑3387, point 54).

 Sur les dépens

87      Eu égard à ce qui a été exposé au point 85 ci-dessus, la décision sur les dépens doit être réservée.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La Commission européenne est tenue de réparer le dommage subi par Gap SA granen & producten NV du fait de l’application du règlement (CE) n° 919/2009 de la Commission, du 1er octobre 2009, modifiant le règlement (CE) n° 915/2009 fixant les droits à l’importation dans le secteur des céréales à partir du 1er octobre 2009, dans la mesure où ce règlement n’a pas tenu compte de la cotation fob ni utilisé une méthode de calcul représentative des coûts de fret réels pour la fixation des droits à l’importation pour le blé dur (froment) de haute qualité.

2)      Gap granen & producten et la Commission transmettront au Tribunal, dans un délai de six mois à partir de la date du prononcé de l’arrêt, les montants à payer, y compris les intérêts, établis d’un commun accord.

3)      À défaut d’accord, Gap granen & producten et la Commission feront parvenir au Tribunal, dans le même délai, leurs conclusions chiffrées.

4)      Les dépens sont réservés.

Kanninen

Soldevila Fragoso

Berardis

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 mai 2013.

Signatures


* Langue de procédure : le néerlandais.