Language of document : ECLI:EU:T:2021:390

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

30 juin 2021 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BCE – Rémunération – Allocation de foyer – Modification du régime applicable – Rejet de la demande pour l’année 2019 – Exception d’illégalité – Égalité de traitement – Absence de mesures transitoires  »

Dans l’affaire T‑746/19,

GY, représenté par Mes L. Levi et A. Champetier, avocates,

partie requérante,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par M. F. von Lindeiner et Mme D. Nessaf, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant à l’annulation de la décision de la BCE du 28 janvier 2019 de ne pas octroyer l’allocation de foyer au requérant pour l’année 2019,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mmes N. Półtorak (rapporteure) et O. Porchia, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, GY, est entré au service de la Banque centrale européenne (BCE) le 5 janvier 2009 en vertu d’un contrat à durée déterminée. Depuis le 1er octobre 2017, il est employé par la BCE en vertu d’un contrat à durée indéterminée.

2        Aux termes de l’article 15 des conditions d’emploi de la BCE adoptées par la décision 1999/330/CE de la BCE, du 9 juin 1998, relative à l’adoption des conditions d’emploi du personnel de la BCE, modifiée le 31 mars 1999 (JO 1999, L 125, p. 32, ci-après les « conditions d’emploi ») : « [l]es membres du personnel qui sont chefs de foyer et remplissent les conditions fixées par les règles applicables au personnel perçoivent une allocation de foyer fixée à 5 % de leur salaire de base. Aux fins de la présente disposition, on entend par “chef de foyer” : i) un membre du personnel marié […] Un chef de foyer ne perçoit l’allocation de foyer que lorsque le revenu annuel brut de son conjoint ou partenaire reconnu n’excède pas 57.211 euros […] ».

3        Selon l’article 3.5.1 des règles applicables au personnel de la BCE, dans sa version en vigueur avant le 1er janvier 2019, « [l]es dispositions de l’article 15 des conditions d’emploi s’appliquent comme suit : on entend par “revenu annuel brut” les revenus provenant d’un emploi ou d’un travail indépendant, de remplacement du revenu (par exemple, allocation de maternité, allocation parentale, prestations de sécurité sociale et allocation de chômage, mais pas les paiements représentant le remboursement des dépenses) ou pension, avant impôt et avant déduction de cotisations de sécurité sociale ». Conformément à l’article 3.5.3, première phrase, des règles applicables, « [l]a période de référence pour la détermination du revenu annuel brut est l’année civile en cours » (ci-après l’« ancien régime »).

4        Avant l’année 2018, les revenus du conjoint du requérant avaient toujours été inférieurs au seuil fixé par les conditions d’emploi pour bénéficier de l’allocation de foyer. Le requérant percevait donc l’allocation de foyer. En revanche, pour la première et unique fois en 2018, le revenu du conjoint du requérant a dépassé ce seuil.

5        Le 22 mai 2018, la direction générale des ressources humaines de la BCE a informé les membres du personnel, via l’intranet, d’une proposition de modification des règles régissant le versement des prestations, des allocations et des indemnités. La communication informait notamment les membres du personnel que, à l’avenir, la période de référence pour déterminer, au début de chaque année, si le revenu annuel brut du conjoint dépasse le seuil, ne serait plus l’année en cours, mais l’année précédente.

6        Le 15 octobre 2018, la BCE a informé les membres du personnel des dernières modifications approuvées par le directoire et de leur date d’entrée en vigueur. Le 1er janvier 2019, la décision de la BCE du 25 septembre 2018 modifiant les règles applicables au personnel de la BCE concernant les allocations et indemnités (BCE/2018/NP19) est entrée en vigueur, modifiant le libellé de l’article 3.5.1 desdites règles comme suit : « [a]ux fins d’établir le seuil de revenu fixé à l’article 15 des conditions d’emploi, on entend par “revenu annuel brut” les revenus provenant, au cours de l’année civile précédant celle pour laquelle l’éligibilité est évaluée, du travail salarié ou indépendant, d’un revenu de remplacement, comme par exemple une allocation de maternité, une allocation parentale, des prestations de sécurité sociale et des allocations de chômage, mais pas les paiements correspondant au remboursement des frais ou à la pension, avant impôt et avant déduction des cotisations de sécurité sociale » (ci-après le « nouveau régime »).

7        Par un courrier électronique du 14 janvier 2019, l’administration a demandé aux membres du personnel de confirmer leurs données à caractère personnel dans le régime de gestion du personnel de la BCE, et de déclarer le revenu annuel brut perçu par leur conjoint au cours de l’année 2018.

8        Le 27 janvier 2019, le requérant a répondu et confirmé que le revenu annuel brut de son conjoint pour l’année 2018 était supérieur au seuil.

9        Le 28 janvier 2019, le requérant a été informé que, conformément au nouveau régime, l’allocation de foyer ne lui serait pas accordée pour l’année 2019 et qu’il devrait rembourser rétroactivement le montant de 4 407,41 euros correspondant au paiement indu de l’allocation de foyer qui lui avait été accordée pour l’année 2018 (ci-après la « décision attaquée »).

10      Le 27 mars 2019, le requérant a introduit une demande de réexamen administratif auprès du directeur général adjoint de la direction générale (DG) « Ressources humaines » de la BCE afin d’annuler la décision attaquée dans la mesure où l’allocation de foyer ne lui est pas accordée pour l’année 2019. Le 24 avril 2019, le directeur général adjoint de la DG « Ressources humaines » a rejeté la demande de réexamen administratif du requérant.

11      Le 24 juin 2019, le requérant a introduit, sur le fondement de l’article 41 des conditions d’emploi et de l’article 8.1.2 des règles applicables au personnel, une réclamation contre la décision du 24 avril 2019 rejetant sa demande de réexamen administratif.

12      Le 26 août 2019, le président de la BCE a rejeté la réclamation du requérant.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 novembre 2019, le requérant a introduit le présent recours.

14      Par mesure d’organisation de la procédure du 29 janvier 2021, adoptée sur le fondement de l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal a invité la BCE à soumettre les conditions d’emploi et les règles applicables au personnel dans leur version applicable à la présente affaire. La BCE a présenté sa réponse dans le délai imparti.

15      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où l’allocation de foyer ne lui est pas accordée pour l’année 2019 ;

–        le cas échéant, annuler les décisions du 24 avril 2019 et du 26 août 2019 ayant respectivement débouté le requérant de sa demande de réexamen administratif et rejeté sa réclamation ;

–        condamner la BCE à l’intégralité des dépens.

16      La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du recours

17      En premier lieu, en ce qui concerne les conclusions en annulation, le requérant conclut à l’annulation tant des décisions du 24 avril 2019 et du 26 août 2019 l’ayant débouté de sa demande de réexamen administratif et de sa réclamation que de la décision attaquée dans la mesure où l’allocation de foyer ne lui est pas accordée pour l’année 2019.

18      Il convient de rappeler que des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée lorsqu’elles sont, en tant que telles, dépourvues de contenu autonome (arrêt du 24 septembre 2019, US/BCE, T‑255/18, non publié, EU:T:2019:680, point 39).

19      En l’espèce, étant donné que les décisions de rejet de la demande de réexamen administratif du requérant ainsi que de la réclamation ne font que confirmer la décision attaquée, il y a lieu de constater que les conclusions en annulation de la décision de rejet de la demande de réexamen administratif et de la décision de rejet de la réclamation du requérant sont dépourvues de contenu autonome et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer spécifiquement sur celles-ci, même si, dans l’examen de la légalité de l’acte attaqué, il conviendra de prendre en considération la motivation figurant dans celles-ci, cette motivation étant censée coïncider avec celle de la décision attaquée (arrêt du 24 septembre 2019, US/BCE, T‑255/18, non publié, EU:T:2019:680, point 40).

20      En second lieu, en ce qui concerne la nature des moyens soulevés par le requérant, il ressort du premier moyen examiné ci-après que le requérant, sans soulever formellement une exception d’illégalité au titre de l’article 277 TFUE, fait valoir que la mise en œuvre du nouveau régime, en l’absence de mesures transitoires, conduit à une inégalité de traitement.

21      À cet égard, le Tribunal rappelle que la jurisprudence permet de considérer qu’une exception d’illégalité est implicitement soulevée dans la mesure où il ressort, comme en l’espèce, de manière relativement claire que le requérant formule en fait un tel grief (arrêts du 25 octobre 2006, Carius/Commission, T‑173/04, EU:T:2006:333, point 44, et du 18 juin 2015, EG/Parlement, F‑79/14, EU:F:2015:63, point 34).

22      En ce sens, la BCE considère dans ses écritures que le requérant, quoiqu’implicitement, soulève une exception d’illégalité à l’encontre de la décision BCE/2018/NP19 du 25 septembre 2018 modifiant les règles applicables au personnel de la BCE en ce qui concerne les indemnités, soit la décision introduisant le nouveau régime.

23      Dès lors, étant donné que les prétentions du premier moyen portent en fait sur les dispositions de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision BCE/2018/NP19 du 25 septembre 2018 modifiant les règles applicables au personnel de la BCE en ce qu’elles modifient l’article 3.5.1 desdites règles afin de prévoir que, pour établir le seuil de revenu fixé à l’article 15 des conditions d’emploi, on entend par « revenu annuel brut » les revenus du conjoint au cours de l’année civile précédant celle pour laquelle l’éligibilité est évaluée, dans la mesure où la mise en œuvre de ladite décision en l’absence de mesure transitoire, conduit à une inégalité de traitement, force est de constater, ainsi que l’a d’ailleurs reconnu la BCE dans ses écritures, que lesdites dispositions font l’objet d’une exception implicite d’illégalité.

24      À cet égard, l’acte général, dont l’illégalité est soulevée, est applicable à l’espèce, et il existe un lien juridique direct entre la décision attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 27 octobre 2016, BCE/Cerafogli, T‑787/14 P, EU:T:2016:633, point 44). L’allégation de cette exception d’illégalité sera examinée dans le cadre du premier moyen, par lequel le requérant soulève une violation du principe d’égalité de traitement résultant de l’absence de mesures transitoires lors de l’introduction du nouveau régime et venant au soutien de la conclusion en annulation de la décision attaquée dans la mesure où l’allocation de foyer ne lui a pas été accordée pour l’année 2019 (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 59, et du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑348/14, EU:T:2016:508, point 60).

 Sur le fond

25      À l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant invoque quatre moyens tirés respectivement, premièrement, d’une violation du principe de non-discrimination, deuxièmement, d’une violation du principe des droits acquis, troisièmement, d’une violation du principe de l’effet utile et de l’article 15 des conditions d’emploi et, quatrièmement, d’une violation du principe du devoir de sollicitude.

26      Dans le cadre du premier moyen, le requérant déplore que sa situation, bien que différente de celle d’autres agents, n’ait pas été prise en compte lors de l’application du nouveau régime. D’une part, il avance que sa situation était différente du fait que, bien que le revenu de son conjoint ait dépassé en 2018 le seuil fixé par le nouveau régime, ledit revenu ne dépasserait pas ce seuil en 2019 et il ne percevrait néanmoins pas d’allocation de foyer pour cette même année, dès lors que le revenu de son conjoint avait dépassé le seuil l’année précédente. En ce sens, il aurait été traité de la même manière qu’un agent dont le revenu du conjoint aurait franchi le seuil pour chacune de ces deux années. D’autre part, le requérant fait remarquer qu’un membre du personnel dont le revenu du conjoint n’aurait pas dépassé le seuil pour l’année 2018 percevrait également l’allocation de foyer l’année suivante, même si le revenu de son conjoint dépassait alors ce même seuil en 2019. Le fait que les deux situations soient traitées de manière identique et mènent au même résultat ne pourrait pas être objectivement justifié par le but poursuivi par l’allocation de foyer.

27      À cet égard, il serait indifférent que le requérant puisse demander l’allocation de foyer en 2020, car le principe de l’égalité de traitement aurait été violé en raison de la double prise en compte des revenus de 2018. En effet, l’objectif principal de l’allocation de foyer serait d’assurer que le foyer qui en a besoin reçoive une aide financière appropriée, et il serait clair que dans le cadre du nouveau régime cet objectif ne serait pas rempli en ce qui concerne le requérant. Il serait donc erroné de prétendre que la différence de traitement est objectivement justifiée. L’obligation pour l’administration définissant les règles statutaires d’envisager une situation telle que celle du requérant n’était donc pas manifestement impossible à respecter. Cela mènerait à tout le moins à une définition « injuste » des droits, notamment parce qu’aucun régime transitoire n’a été élaboré. En effet, il était aisément prévisible que surviennent des situations telles que celle du requérant, en tenir compte ne représentait donc pas un effort excessif. Il n’était pas improbable que des conjoints de membres du personnel dont le revenu dépassait le seuil en 2018 puissent ensuite repasser en dessous en 2019.

28      La BCE conteste cette argumentation.

29      À titre liminaire, il convient d’observer que les relations entre le requérant et la BCE, même si elles ont une origine contractuelle, relèvent essentiellement d’un régime réglementaire (voir, par analogie, arrêt du 14 septembre 2017, Bodson e.a./BEI, T‑504/16 et T‑505/16, EU:T:2017:603, point 46).

30      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 9, sous c), deuxième, troisième et cinquième phrases, des conditions d’emploi, dans sa version applicable au présent litige, dispose, notamment, que les relations de travail au sein de la BCE sont régies par les principes généraux du droit de l’Union et par les dispositions contenues dans les règlements et que, pour l’interprétation des droits et des obligations prévus par les conditions d’emploi, la BCE prendra dûment en considération les principes consacrés par les règlements, les règles et la jurisprudence s’appliquant au personnel des institutions de l’Union européenne.

31      Dès lors, il y a lieu de préciser que la BCE dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour fixer et pour modifier les éléments de la rémunération de son personnel (voir, par analogie, arrêt du 14 septembre 2017, Bodson e.a./BEI, T‑504/16 et T‑505/16, EU:T:2017:603, point 48) et, partant, pour modifier les conditions spécifiques d’octroi d’allocations à ses membres du personnel. Pour ce faire, conformément à l’article 13 des conditions d’emploi, le Conseil des gouverneurs, sur proposition du directoire, adopte les ajustements généraux des traitements qui prennent effet le 1er janvier de chaque année.

32      Il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 15 avril 2010, Gualtieri/Commission, C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 70).

33      Dans une matière qui relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, telle que la fixation des règles relatives à l’attribution de l’allocation de foyer, le principe de non-discrimination ou d’égalité de traitement est méconnu lorsqu’une institution procède à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate par rapport à l’objectif poursuivi (voir, par analogie, arrêts du 15 avril 2010, Gualtieri/Commission, C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 72, et du 30 septembre 1998, Busacca e.a./Cour des comptes, T‑164/97, EU:T:1998:233, point 49).

34      En outre, dans une matière qui relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, tel que le choix de recourir à l’édiction de règles transitoires visant à garantir la transition équitable d’un ancien régime statutaire à un nouveau, le principe d’égalité de traitement n’est méconnu que lorsque l’institution concernée procède à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate par rapport à l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 2012, Kurrer e.a./Commission, T‑441/10 P à T‑443/10 P, EU:T:2012:133, point 54, et du 14 décembre 2018, GQ e.a./Commission, T‑525/16, EU:T:2018:964, point 104).

35      Le requérant fait valoir que l’application du nouveau régime à son égard a entraîné une inégalité de traitement par rapport à d’autres membres du personnel hypothétiques de la BCE. À cet égard, le requérant ne conteste pas la mise en œuvre effective du nouveau régime, mais fait valoir que, en considérant à deux reprises la même année comme période de référence pour l’octroi de l’allocation de foyer pendant deux années consécutives, la mise en œuvre du nouveau régime conduit à une inégalité de traitement. Dès lors, selon le requérant, la BCE aurait dû introduire des mesures transitoires qui auraient permis d’obvier à cette inégalité de traitement.

36      Ainsi que cela ressort du point 26 ci-dessus, le requérant évoque deux hypothèses afin d’étayer son argumentation quant à l’existence d’une inégalité résultant de la mise en œuvre du nouveau régime. D’une part, sa situation serait traitée de la même manière qu’un membre du personnel dont le revenu du conjoint aurait dépassé le seuil à la fois en 2018 et en 2019, alors que le revenu du conjoint du requérant n’aurait lui-même dépassé le seuil qu’une seule fois, en 2018. D’autre part, le requérant fait remarquer qu’un membre du personnel dont le revenu du conjoint n’aurait pas dépassé le seuil pour l’année 2018 percevrait également l’allocation de foyer l’année suivante, même si le revenu de son conjoint dépassait alors ce même seuil en 2019.

37      Dès lors, contrairement aux affirmations de la BCE, afin d’apprécier si la modification des conditions d’attribution de l’allocation de foyer a entraîné, en l’absence de mesure transitoire, une inégalité de traitement à l’égard du requérant, tant l’ancien que le nouveau régime doivent être pris en compte.

38      Ainsi qu’il résulte de l’entrée en vigueur du nouveau régime, l’année 2018 est devenue pour tous les membres du personnel une année prise en référence à deux reprises, utilisée non seulement pour l’attribution de l’allocation de foyer en 2018, mais aussi en 2019, sans que les éventuelles variations du revenu du conjoint en 2019 aient été prises en compte. De la sorte, des situations de fait différentes ont été traitées de la même manière et des situations semblables ont été traitées différemment.

39      Ainsi, il existe une absence de traitement différencié des membres du personnel dont les revenus des conjoints, à l’instar du revenu du conjoint du requérant, n’ont dépassé le seuil qu’une année seulement, en 2018, et ceux dont les revenus des conjoints ont dépassé le seuil deux années, en 2018 et en 2019, l’ensemble de ces membres n’ayant pas bénéficié de l’allocation de foyer pendant deux années, en 2018 et en 2019. Il existe également un traitement différencié des membres du personnel placés dans une situation semblable, à savoir la situation où les revenus du conjoint ont excédé le seuil pendant une année, dans la mesure où lorsque ce seuil a été dépassé en 2018, le membre du personnel est privé du bénéfice de l’allocation de foyer pendant deux années, en 2018 et 2019, tandis que lorsque ce seuil a été dépassé en 2019, le membre du personnel n’est privé du bénéfice de l’allocation de foyer que pendant une année, en 2020.

40      Il convient d’examiner, en vertu de la jurisprudence citée au point 34 ci-dessus, si ces situations correspondent à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate par rapport à l’objectif poursuivi par la modification du régime d’attribution de l’allocation de foyer.

41      Il convient de rappeler que le requérant fait valoir que l’inégalité résultant de la mise en œuvre du nouveau régime à son égard est due à l’absence de mesures transitoires, de sorte qu’il a été privé à deux reprises de l’allocation de foyer sur la base d’une même et unique année de référence.

42      La BCE, pour sa part, constate que lors de l’appréciation de la justification de la prétendue inégalité de traitement, le requérant se borne à tenir compte de l’objectif de l’allocation de foyer, tout en invoquant l’absence de période transitoire, méconnaissant ainsi les autres objectifs poursuivis par la modification de la réglementation. À cet égard, le requérant déplorerait en réalité les effets que la mesure législative litigieuse produirait sur sa situation individuelle, c’est-à-dire en raison des circonstances de fait propres à son couple, dont aucune ne serait influencée, et encore moins conditionnée par l’administration définissant les règles statutaires.

43      À cet égard, il convient de rappeler, ainsi que cela ressort du point 35 ci-dessus, que le requérant ne conteste pas l’opportunité de modifier le régime d’attribution des allocations de foyer, mais fait valoir que, en considérant à deux reprises la même année comme période de référence pour l’octroi de l’allocation de foyer pendant deux années consécutives, la mise en œuvre du nouveau régime conduit à une inégalité de traitement. Ainsi, les arguments de la BCE relatifs à l’opportunité de changer le régime d’attribution de l’allocation de foyer, qui ne sont pas contestés par le requérant, ne sont pas pertinents.

44      Force est de constater que l’objectif de l’article 15 des conditions d’emploi est d’accorder l’opportunité aux membres du personnel de la BCE de demander une allocation de foyer annuelle en fonction de ses situations économiques et familiales. À cet égard, le requérant soutient à juste titre que l’objectif principal de l’allocation de foyer est d’assurer que le foyer qui en a besoin reçoive une aide financière appropriée pour une année donnée. Pour cette raison, l’attribution de l’allocation de foyer est liée au revenu annuel du conjoint ou partenaire d’un membre du personnel de la BCE, ce qui permet d’établir un lien entre l’allocation de foyer et l’évolution de la situation financière de ce foyer. Dès lors, l’allocation de foyer étant octroyée annuellement sur la base du revenu annuel brut du conjoint ou partenaire d’un membre du personnel de la BCE, le non-respect des conditions de son octroi, lors d’une année exclusivement, ne devrait entraîner le refus de son attribution que pour une année et non pour plusieurs années.

45      Ainsi que cela ressort des points 38 et 39 ci-dessus, l’application du nouveau régime au requérant a abouti, en l’absence de justification objective, à le traiter de manière discriminatoire. Ces constatations témoignent une différentiation arbitraire et d’une inadaptation du nouveau régime aux différentes situations factuelles qui peuvent être rencontrées en pratique. Elles révèlent ainsi une différenciation manifestement inadéquate par rapport à l’objectif de l’article 15 des conditions d’emploi qui vise à accorder aux membres du personnel de la BCE qui remplissent chaque année les conditions fixées une allocation de foyer annuelle adaptée à l’évolution de la situation financière d’un foyer sur la base du revenu du conjoint d’une année spécifique.

46      À l’égard de membres du personnel présentant une situation analogue à celle du requérant, la mise en œuvre du nouveau régime a donc eu des conséquences arbitraires et, à tout le moins, manifestement inadéquates par rapport à l’objectif de l’allocation de foyer. Par conséquent, la BCE aurait dû prévoir une telle situation et introduire une mesure transitoire susceptible d’obvier à toute discrimination de la sorte.

47      À cet égard, la BCE observe que l’objectif du nouveau régime serait de rétablir un équilibre entre, d’une part, l’intérêt légitime du service consistant à garantir une gestion saine et efficace des avantages financiers provenant de fonds publics et, d’autre part, l’intérêt de tous les membres du personnel consistant à préserver leur situation financière personnelle et leur fournir un critère plus stable et plus prévisible déterminant leur droit à l’allocation de foyer. En l’espèce, le simple fait qu’une allocation viserait à apporter un soutien aux familles n’empêcherait pas l’administration définissant les règles statutaires, dans les limites de son pouvoir discrétionnaire, de fixer des conditions d’octroi ou de les modifier dans le temps, même dans un sens défavorable au personnel. Le nouveau régime serait donc proportionné, car dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la BCE aurait dûment pris en compte les conséquences éventuelles et les autres options existantes afin d’atténuer les effets de la réforme sur les membres du personnel. Même si l’adoption du nouveau régime impliquait nécessairement de compter deux fois l’année 2018 comme année de référence pour mettre en œuvre la loi, ce chevauchement était exceptionnel et nécessaire aux fins d’une application et d’une mise en œuvre rapides de la réforme. Dès lors, la BCE aurait agi avec la diligence nécessaire, permettant ainsi aux membres du personnel d’adapter, si nécessaire, leur situation au nouveau régime. Cette constatation ne saurait être remise en cause du simple fait que la modification législative aurait eu des répercussions négatives sur un seul membre du personnel pour une année seulement.

48      À cet égard, certes, l’introduction du nouveau régime était motivée par la BCE par une considération légitime de meilleure gestion des avantages financiers des membres du personnel. Il n’en reste pas moins que le nouveau régime emporte un désavantage pour les membres du personnel se trouvant dans une situation analogue à celle du requérant, à savoir la perte du bénéfice de l’allocation pendant deux années consécutives lorsque les revenus du conjoint n’ont dépassé le seuil qu’en 2018, qui constitue une différenciation arbitraire et manifestement inadéquate par rapport à l’objectif poursuivi par le nouveau régime. En effet, ainsi que le fait valoir le requérant, lorsqu’elle réforme les règles relatives à l’année civile prise en compte pour déterminer un élément de rémunération, l’administration dispose de la possibilité de compenser, au moyen de mesures transitoires, les désavantages de la réforme pour certaines catégories des membres du personnel.

49      Partant, il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés par le requérant, que les dispositions de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision BCE/2018/NP19 du 25 septembre 2018 modifiant les règles applicables au personnel de la BCE, en ce qu’elles modifient l’article 3.5.1 desdites règles, sont illégales dans la mesure où elles n’ont pas garanti la transition équitable d’un ancien régime statutaire à un nouveau, par une mesure transitoire appropriée à même de garantir que les membres du personnel dont les revenus des conjoints qui, à l’instar du requérant, n’ont dépassé le seuil de l’attribution de l’allocation de foyer qu’à l’occasion d’une année seulement ne seraient pas privés du droit à ladite allocation durant deux années consécutives.

50      Par conséquent, la décision attaquée, émise sur le fondement de la décision illégale susmentionnée, doit être annulée dans la mesure où l’allocation de foyer n’est pas accordée au requérant pour l’année 2019.

 Sur les dépens

51      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La BCE ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 28 janvier 2019 est annulée dans la mesure où elle refuse l’octroi de l’allocation de foyer pour l’année 2019 à GY.

2)      La BCE est condamnée aux dépens.

Kanninen

Półtorak

Porchia

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 juin 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.