Language of document : ECLI:EU:T:2023:741

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

22 novembre 2023 (*) (1)

« Fonction publique – Agents temporaires – Reclassement – Exercice de reclassement 2021 – Décision de non-reclassement – Taux multiplicateurs de référence – Dispositions générales d’exécution de l’article 54 du RAA – Exception d’illégalité – Égalité de traitement – Responsabilité »

Dans l’affaire T‑484/22,

QN, représenté par Me H. Tagaras, avocat,

partie requérante,

contre

Agence de l’Union européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (eu-LISA), représentée par M. M. Chiodi, en qualité d’agent, assisté de Mes A. Duron et D. Waelbroeck, avocats,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de Mme O. Porchia, présidente, MM. L. Madise et P. Nihoul (rapporteur), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 14 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, le requérant, QN, demande, d’une part, l’annulation de la décision de l’Agence de l’Union européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (eu-LISA) du 22 décembre 2021 de ne pas le reclasser au terme de l’exercice de reclassement de l’année 2021 (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, la réparation du préjudice qu’il aurait subi à la suite de son absence de reclassement.

 Antécédents du litige

2        Le 1er mars 2019, le requérant a été engagé par l’eu-LISA en qualité d’agent temporaire au titre de l’article 2, sous f), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA ») et classé au grade AD 9, pour y occuper les fonctions de chef de l’unité « Services généraux » de cette agence.

3        Le 28 février 2021, le requérant est devenu éligible au reclassement.

4        Le 29 octobre 2021, l’eu-LISA a publié une information administrative (ci-après l’« information administrative ») concernant le lancement de l’exercice de reclassement des agents temporaires pour l’année 2021 (ci-après l’« exercice 2021 »).

5        Le nom du requérant n’a pas été inclus dans la liste des agents proposés au reclassement, publiée le 3 décembre 2021.

6        Le 14 décembre 2021, le requérant a contesté auprès du comité paritaire de reclassement (ci-après le « comité paritaire ») le fait de ne pas avoir été proposé au reclassement. Le 22 décembre 2021, le comité paritaire l’a informé qu’il ne recommandait pas son reclassement.

7        Le même jour, le directeur exécutif de l’eu-LISA (ci-après le « directeur exécutif »), en tant qu’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’« AHCC »), a publié la liste des agents reclassés au titre de l’exercice 2021, sur laquelle le nom du requérant ne figurait pas.

8        Le 1er mars 2022, le requérant a introduit une réclamation contre la décision attaquée au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), applicable par analogie aux agents temporaires en vertu de l’article 46 du RAA. Cette réclamation a été rejetée par la décision du président du conseil d’administration de l’eu-LISA le 25 juin 2022 (ci-après la « décision de rejet »).

 Conclusions des parties

9        Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et la décision de rejet ;

–        condamner l’eu-LISA au paiement de 3 000 euros de dommages et intérêts ;

–        condamner l’eu-LISA aux dépens.

10      L’eu-LISA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du recours

11      S’agissant des conclusions formellement dirigées contre la décision de rejet, il y a lieu de rappeler que le recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le Tribunal de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée, sauf dans l’hypothèse où ce rejet a une portée différente de celle de cet acte (voir arrêt du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 21 et jurisprudence citée).

12      En l’espèce, la décision de rejet a la même portée que la décision attaquée. Il n’y a dès lors pas lieu de se prononcer expressément sur la décision de rejet et la légalité de la décision attaquée, acte initial faisant grief, doit donc être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision de rejet (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, points 23 et 25 et jurisprudence citée).

 Sur les conclusions en annulation

13      Le requérant soulève trois moyens, tirés :

–        d’une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de la clause des taux multiplicateurs (ci-après la « clause des taux multiplicateurs ») figurant à l’article 5, paragraphe 8, de la décision 2016-016 du conseil d’administration de l’eu-LISA, du 15 mars 2016, portant dispositions générales d’exécution de l’article 54 du RAA (ci-après les « DGE ») ;

–        à titre subsidiaire, d’une exception d’illégalité dirigée contre la clause des taux multiplicateurs ;

–        à titre très subsidiaire, d’une violation des principes d’égalité de traitement, de proportionnalité et de la vocation à la carrière et d’une erreur manifeste d’appréciation.

 Sur le cadre juridique applicable

14      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 45, paragraphe 1, du statut dispose ce qui suit :

« La promotion est attribuée par décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination en considération de l’article 6, paragraphe 2 […] La promotion entraîne pour le fonctionnaire la nomination au grade supérieur du groupe de fonctions auquel il appartient. Elle se fait exclusivement au choix, parmi les fonctionnaires justifiant d’un minimum de deux ans d’ancienneté dans leur grade, après examen comparatif des mérites des fonctionnaires ayant vocation à la promotion. Aux fins de l’examen comparatif des mérites, l’autorité investie du pouvoir de nomination prend en considération, en particulier, les rapports dont les fonctionnaires ont fait l’objet, l’utilisation dans l’exercice de leurs fonctions des langues autres que la langue dont ils ont justifié posséder une connaissance approfondie conformément à l’article 28, [sous] f) et le niveau des responsabilités exercées. »

15      Selon l’article 6, paragraphes 1 et 2, du statut :

« 1. Un tableau des effectifs annexé à la section du budget afférente à chaque institution fixe le nombre des emplois pour chaque grade et chaque groupe de fonctions.

2. Sans préjudice du principe de promotion fondée sur le mérite, énoncé à l’article 45, ce tableau garantit que, pour chaque institution, le nombre d’emplois vacants pour chaque grade est égal, au 1er janvier de chaque année, au nombre de fonctionnaires en activité au grade inférieur au 1er janvier de l’année précédente, multiplié par les taux fixés, pour ce grade, à l’annexe I, section B. Ces taux s’appliquent sur une base quinquennale moyenne à compter du 1er janvier 2014. »

16      L’annexe I, section B, du statut, intitulée « Taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes », fixe, dans un tableau figurant dans son premier paragraphe, les taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes dans les groupes de fonctions AST et AD pour chaque grade. Pour le grade AD 9, ce taux est de 25 %.

17      S’agissant du régime du reclassement des agents temporaires, l’article 54 du RAA dispose ce qui suit :

« En ce qui concerne les agents temporaires visés à l’article 2, [sous] f), le classement au grade immédiatement supérieur se fait exclusivement au choix, parmi les agents justifiant d’un minimum de deux ans d’ancienneté dans leur grade, après examen comparatif des mérites de ces agents temporaires ainsi que des rapports dont ils font l’objet. La dernière phrase de l’article 45, paragraphe 1, et l’article 45, paragraphe 2, du statut s’appliquent par analogie. Les taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes, tels qu’indiqués pour les fonctionnaires à l’annexe I, section B, du statut, ne peuvent pas être dépassés.

Conformément à l’article 110 du statut, chaque agence adopte des dispositions générales d’exécution du présent article. »

18      En outre, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, des DGE, « [l]a procédure de reclassement est fondée sur l’examen comparatif des mérites des agents temporaires éligibles au reclassement ».

19      Ensuite, l’article 5, paragraphes 3 et 5 à 8, des DGE prévoit que :

« 3. Au sein de l’Agence, le [directeur exécutif], les directeurs à un niveau hiérarchique intermédiaire entre les chefs d’unité ou équivalents et le directeur exécutif (“chefs de département”) et les chefs d’unité ou équivalents (“chefs d’unité”) procèdent à l’examen comparatif des mérites des agents temporaires éligibles au reclassement.

[…]

5. À la suite de la discussion mentionnée au paragraphe 4 [entre le directeur exécutif et une délégation nommée par le comité du personnel], le [d]irecteur [exécutif] prépare une liste d’agents temporaires proposés au reclassement. Cette liste satisfait aux conditions suivantes :

a)      elle ne doit pas épuiser les ressources budgétaires disponibles pour le reclassement des agents temporaires pour l’exercice concerné ; et

b)      elle ne doit pas excéder les taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes, tels que mis en œuvre dans l’annexe II.

6. Le [d]irecteur [exécutif] communique la liste mentionnée au précédent paragraphe à l’ensemble du personnel de l’Agence et [la] transmet au [comité paritaire].

7. Les agents temporaires disposent de dix jours ouvrables à compter de la date de publication de cette liste pour introduire une réclamation auprès du [comité paritaire] contre le fait qu’ils ne figurent pas sur la liste, avec des arguments à l’appui. Dès réception de la liste visée au paragraphe 6, le [comité paritaire], en tenant compte des réclamations qu’il a reçues, compare les mérites des agents temporaires éligibles au reclassement et présente à l’attention de l’AHCC la liste des agents temporaires dont il recommande le reclassement. Cette recommandation doit remplir les conditions suivantes :

a)      elle ne doit pas excéder les ressources budgétaires disponibles pour le reclassement des agents temporaires pour l’exercice concerné ; et

b)      elle ne doit pas excéder les taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes, tels que mis en œuvre dans l’annexe II.

En même temps que la recommandation est communiquée à l’AHCC, le [comité paritaire] transmet à l’AHCC les réclamations […]

8. Après avoir reçu les informations visées au paragraphe 7, et disposant des dossiers de tous les agents temporaires susceptibles d’être reclassés, l’AHCC procède à une comparaison finale des mérites des agents temporaires éligibles et, compte tenu des ressources budgétaires disponibles pour l’exercice en cours et de la nécessité de respecter les taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes, tels que mis en œuvre dans l’annexe II, arrête la liste des agents temporaires reclassés […] »

20      Enfin, l’annexe II des DGE prévoit que :

« 1. Les taux multiplicateurs destinés à l’équivalence des carrières moyennes ne peuvent pas dépasser ceux fixés à l’annexe I, section B, du statut. Ces taux s’appliquent sur une base quinquennale moyenne à compter du 1er janvier 2014.

À cet effet, il est fait référence à l’ancienneté moyenne dans le grade des agents temporaires reclassés, calculée à la date à laquelle le reclassement prend effet. Cette moyenne est calculée pour chaque exercice sur la base des cinq derniers exercices de reclassement, c’est-à-dire l’exercice en cours et les quatre exercices précédents […] Cette moyenne ne peut être inférieure au chiffre indiqué dans le tableau figurant au point 2 ci-dessous ([…] “moyenne cible”).

[…]

2. La durée indicative moyenne d’une carrière, par catégorie et par grade, est la suivante :

[…]

b) Chef d’unité ou équivalent

Grade occupé

Durée moyenne dans le grade, en années

[…]

[…]

AD 9

4

[…] »

21      C’est à l’aune de ces dispositions qu’il convient d’examiner les moyens invoqués par le requérant.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de la clause des taux multiplicateurs, figurant à l’article 5, paragraphe 8, des DGE

22      Le requérant considère que l’eu-LISA a interprété et appliqué erronément la clause des taux multiplicateurs, à savoir les dispositions de l’article 5, paragraphe 8, des DGE se référant aux « taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes, tels que mis en œuvre dans l’annexe II » des DGE, en faisant dépendre le reclassement d’une condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade.

23      À cet égard, à l’article 1er de la décision arrêtant la liste des agents reclassés, l’eu-LISA a indiqué avoir adopté cette liste après, d’une part, un dernier examen comparatif des mérites et, d’autre part, la prise en compte notamment de la clause des taux multiplicateurs, du tableau des effectifs et des ressources budgétaires disponibles.

24      Il ressort en outre de la décision de rejet que, dans un premier temps, les quotas de reclassement ont été calculés à partir du tableau des effectifs et des taux multiplicateurs prévus à l’annexe I, section B, du statut, que ces quotas ne revêtaient qu’un caractère indicatif et que le quota indicatif applicable pour le grade AD 9 était de trois.

25      Dans un second temps, le directeur exécutif a arrêté la liste des agents proposés au reclassement, après un premier examen comparatif des mérites des agents éligibles et la prise en compte du tableau des effectifs, des ressources budgétaires disponibles et de l’ancienneté moyenne minimale dans le grade applicable avant de pouvoir être reclassé.

26      S’agissant de cette dernière condition, l’eu-LISA a tout d’abord indiqué dans la décision de rejet s’être référée à son obligation de ne pas dépasser les taux multiplicateurs prévus à l’annexe I, section B, du statut et dans les DGE, et qui revêtaient pour elle un caractère contraignant. Elle a ensuite précisé que l’ancienneté moyenne minimale requise dans le grade AD 9 était de quatre ans, mais que celle-ci n’était pas satisfaite, car les sept agents éligibles de ce grade, dont le requérant, n’avaient environ que deux ans d’ancienneté dans ce grade. Elle a conclu que, en application de l’article 5, paragraphe 5, des DGE, elle n’avait pas les moyens juridiques de proposer des agents de ce grade au reclassement.

27      Le requérant invoque trois griefs.

–       Sur la prise en compte de l’annexe I, section B, du statut et de l’annexe II des DGE

28      Par ce grief, le requérant fait valoir que la clause des taux multiplicateurs ne peut, en dépit du libellé de l’annexe II des DGE, s’interpréter que comme un mécanisme visant à déterminer un nombre de postes disponibles pour le reclassement des agents.

29      Il s’appuie en substance sur une interprétation contextuelle de ladite clause et prend aussi en compte les objectifs de cette dernière.

30      L’eu-LISA conteste l’argumentation du requérant.

31      À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie (arrêt du 15 mars 2022, Autorité des marchés financiers, C‑302/20, EU:C:2022:190, point 63 ; voir, également, arrêts du 9 mars 2023, Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission, C‑682/20 P, EU:C:2023:170, point 86 et jurisprudence citée, et du 16 mars 2023, Towercast, C‑449/21, EU:C:2023:207, point 31).

32      S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 5, paragraphe 8, des DGE, il en ressort que la décision de reclassement est conditionnée, premièrement, à la comparaison des mérites et, deuxièmement, à ce que l’administration, d’une part, prenne en compte les ressources budgétaires disponibles pour l’exercice concerné et, d’autre part, respecte « les taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes, tels que mis en œuvre dans l’annexe II [des DGE] ».

33      De manière analogue, en vertu de l’article 5, paragraphes 5 et 7, des DGE, la liste des agents proposés au reclassement et la recommandation du comité paritaire ne doivent pas non plus excéder ces taux tels que mis en œuvre dans l’annexe II des DGE.

34      D’une part, l’annexe II des DGE exige que les taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes indiqués à l’annexe I, section B, du statut ne soient pas dépassés, en rappelant que ces taux s’appliquent sur une base quinquennale à partir du 1er janvier 2014. D’autre part, elle convertit ces taux en ancienneté moyenne dans chaque grade avant reclassement au grade supérieur. Pour le grade AD 9, le taux étant de 25 %, cette ancienneté moyenne est de quatre ans.

35      Ainsi, l’annexe II des DGE, à laquelle renvoie l’article 5 des DGE, prévoit de manière univoque la manière dont les taux multiplicateurs indiqués à l’annexe I, section B, du statut doivent être appliqués dans le cadre du reclassement.

36      Le libellé clair de l’annexe II va donc à l’encontre de la thèse du requérant.

37      S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’inscrit la clause des taux multiplicateurs, le requérant estime que cette clause doit exclusivement être interprétée à l’aune de plusieurs dispositions du statut. Il avance à cet égard que :

–        l’annexe II des DGE renvoie à l’annexe I, section B, du statut, attribuant les taux multiplicateurs à chaque grade ;

–        l’annexe I, section B mettant en œuvre l’article 6, paragraphe 2, du statut, ces taux ne peuvent servir qu’à calculer le nombre d’emplois vacants dans chaque grade ;

–        l’article 5, paragraphe 8, et l’annexe II des DGE doivent donc être interprétés ainsi, d’autant que l’article 54 du RAA, hiérarchiquement supérieur aux DGE, renvoie lui aussi pour les taux multiplicateurs à l’annexe I, section B, du statut ; dès lors, l’interprétation desdits taux à la lueur du statut l’emporte sur celle qui peut être faite à la lueur de l’annexe II des DGE.

38      À cet égard, l’interprétation contextuelle de la clause des taux multiplicateurs impose de clarifier la manière dont s’articulent les DGE, l’article 54 du RAA et les dispositions statutaires pertinentes, à savoir l’annexe I, section B, et l’article 6 du statut.

39      Premièrement, la clause des taux multiplicateurs figure dans les DGE et ces dernières précisent la manière dont l’article 54 du RAA doit être mis en œuvre au sein de l’eu-LISA.

40      Les DGE sont à cet égard l’expression du large pouvoir d’appréciation dont bénéficie l’eu-LISA en matière de reclassement des agents temporaires (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 38 et jurisprudence citée, et du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 54).

41      Or, selon la jurisprudence, lorsqu’une telle agence a, par directive interne, adopté un régime spécifique destiné à garantir la transparence du processus de reclassement, en en déterminant les modalités et la procédure, ce régime s’analyse comme une autolimitation de son pouvoir d’appréciation, dont elle ne peut s’écarter, sous peine d’enfreindre le principe d’égalité de traitement, qu’en précisant les raisons pouvant justifier ce changement (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 38 et jurisprudence citée ; voir également, par analogie, arrêt du 9 novembre 2022, QM/Europol, T‑164/21, EU:T:2022:695, point 87 et jurisprudence citée).

42      Toutefois, une telle directive interne ne peut en aucun cas rétrécir le champ d’application du statut ou du RAA ni poser des règles qui dérogeraient aux dispositions hiérarchiquement supérieures, telles que les dispositions du statut et du RAA ou les principes généraux de droit (voir arrêts du 20 mars 2018, Argyraki/Commission, T‑734/16, non publié, EU:T:2018:160, point 66 et jurisprudence citée, et du 15 février 2023, Freixas Montplet e.a./Comité des régions, T‑260/22, non publié, EU:T:2023:71, point 39 et jurisprudence citée).

43      Or, l’article 54, premier alinéa, du RAA conditionne le reclassement des agents temporaires à la comparaison des mérites et au respect des taux multiplicateurs, en disposant simplement au sujet de ces derniers que « [l]es taux multiplicateurs […], tels qu’indiqués pour les fonctionnaires à l’annexe I, section B, du statut, ne peuvent pas être dépassés ».

44      Cette disposition, la seule du RAA à faire référence aux taux multiplicateurs et à l’annexe I, section B, du statut, ne précise donc pas de quelle manière ces taux doivent être appliqués.

45      L’article 54, second alinéa, du RAA opère en revanche un renvoi aux dispositions générales d’exécution du présent article que chaque agence doit adopter conformément à l’article 110 du statut.

46      À cet égard, l’article 110, paragraphe 2, du statut fixe les modalités d’adoption des dispositions générales d’exécution applicables aux agences, en confiant l’adoption de ces dispositions à la Commission européenne et en prévoyant que ces dernières s’appliquent par analogie auxdites agences.

47      En outre, l’article 28, paragraphe 1, du règlement (UE) 2018/1726 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, relatif à l’eu-LISA, modifiant le règlement (CE) no 1987/2006 et la décision 2007/533/JAI du Conseil et abrogeant le règlement (UE) no 1077/2011 (JO 2018, L 295, p. 99), dispose que le statut et les modalités d’application de ce dernier adoptées d’un commun accord par les institutions de l’Union s’appliquent au personnel de l’eu-LISA.

48      Or, les DGE ont précisément été adoptées en application de l’article 110, paragraphe 2, du statut et de l’article 54 du RAA, ainsi que, d’une part, de l’article 20 du règlement (UE) no 1077/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (JO 2011, L 286, p. 1), lequel a été abrogé et remplacé, à partir du 11 décembre 2018, par l’article 28 du règlement 2018/1726 mentionné au point 47 ci-dessus, et, d’autre part, de l’accord préalable de la Commission, du 16 décembre 2015, donné aux agences, conformément à l’article 110, paragraphe 2, du statut, concernant les règles d’exécution de l’article 54 du RAA.

49      Les dispositions rappelées aux points 46 et 47 ci-dessus limitent ainsi la marge d’appréciation de l’eu-LISA pour déterminer ses règles relatives au reclassement de ses agents.

50      En outre, l’eu-LISA fait valoir, sans être contredite par le requérant, que les DGE ont été approuvées par la Commission et qu’elles se fondent sur les dispositions du modèle de décision pour les agences décentralisées et les entreprises communes établissant les dispositions générales d’exécution de l’article 54 du RAA (ci-après la « décision modèle »), qui a été arrêté par la Commission et qui figure en annexe I à la décision C(2015) 9563 final de cette dernière, du 16 décembre 2015, donnant aux agences décentralisées et aux entreprises communes un accord préalable concernant les dispositions générales d’exécution de l’article 45 du statut.

51      Il convient à cet égard d’observer que les dispositions des DGE reprennent en substance celles de la décision modèle. En particulier, l’article 5 et l’annexe II des DGE reproduisent les dispositions pertinentes de ladite décision et ces dernières conditionnent aussi le reclassement des agents du grade AD 9 à une ancienneté moyenne minimale dans ce grade de quatre ans.

52      Il ressort de ce qui précède que la conversion, à l’annexe II des DGE, des taux multiplicateurs prévus à l’annexe I, section B, du statut en ancienneté moyenne minimale dans le grade reprend les dispositions arrêtées par la Commission ayant vocation, en vertu de l’article 110 du statut et de l’article 28, paragraphe 1, du règlement 2018/1726, à s’appliquer en principe à l’ensemble des agences.

53      Deuxièmement, s’agissant des dispositions statutaires, il y a lieu de rappeler que l’annexe I, section B, du statut détermine les « taux multiplicateurs de référence destinés à l’équivalence des carrières moyennes » dans les trois groupes de fonctions (AD, AST et AST/SC), en fixant un taux spécifique à chaque grade de ces groupes. Pour le grade AD 9, le taux est de 25 %.

54      L’annexe I, section B, du statut ne donne en revanche aucune précision sur le cadre dans lequel ces taux s’appliquent ni sur la manière dont ils doivent être utilisés.

55      La seule disposition statutaire se référant auxdits taux fixés dans cette annexe est l’article 6, paragraphe 2, du statut. À cet égard, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, dudit statut, un tableau des effectifs annexé à la section du budget afférente à chaque institution fixe le nombre des emplois pour chaque grade et chaque groupe de fonctions. Conformément à l’article 6, paragraphe 2, du statut, sans préjudice du principe de promotion fondée sur le mérite énoncé à l’article 45 du statut, ce tableau garantit que, pour chaque institution, le nombre d’emplois vacants pour chaque grade est égal, au 1er janvier de chaque année, au nombre de fonctionnaires en activité au grade inférieur au 1er janvier de l’année précédente, multiplié par les taux fixés, pour ce grade, à l’annexe I, section B, du statut, ces taux s’appliquant sur une base quinquennale moyenne à compter du 1er janvier 2014.

56      L’article 6, paragraphe 2, du statut prévoit ainsi que les taux multiplicateurs servent à calculer le nombre d’emplois vacants pour chaque grade et chaque année figurant dans le tableau des effectifs annexé à la section du budget de l’institution concernée et que ce nombre est pris en compte dans le cadre de la promotion des fonctionnaires.

57      À cet égard, si l’article 45, paragraphe 1, première phrase, du statut se réfère à l’article 6, paragraphe 2, dudit statut, en prévoyant que la promotion des fonctionnaires est attribuée par décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination en considération de cette dernière disposition, ce n’est pas le cas en revanche de l’article 54 du RAA gouvernant le reclassement des agents, ni d’aucune disposition des DGE.

58      En outre, l’article 5 des DGE renvoie exclusivement à la manière dont les taux multiplicateurs sont appliqués à l’annexe II des DGE, à savoir à l’ancienneté moyenne dans le grade avant reclassement calculée à partir de ces taux, sans viser l’article 6 du statut, ni le nombre d’emplois par grade figurant dans le tableau des effectifs. Dans ce cadre, il ne saurait être conclu que l’article 5 des DGE déroge aux dispositions hiérarchiquement supérieures pertinentes issues du statut ou du RAA.

59      Il ressort de l’analyse contextuelle qui précède que les taux multiplicateurs, exprimés en pourcentage dans l’annexe I, section B, du statut, sont utilisés à deux fins distinctes. D’une part, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du statut, ils servent à calculer le nombre annuel d’emplois vacants pour chaque grade et, partant, les possibilités de promotion. D’autre part, en vertu de l’article 5, paragraphe 8, et de l’annexe II des DGE, ils sont utilisés pour déterminer l’ancienneté moyenne minimale dans chaque grade conditionnant le reclassement des agents.

60      Or, dans le cadre de la promotion des fonctionnaires, le Tribunal a confirmé cette double vocation des taux multiplicateurs en jugeant qu’ils pouvaient, indépendamment de l’article 6, paragraphe 2, du statut, aussi servir à déterminer la durée de carrière moyenne dans un grade (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes, T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76, points 121, 122 et 124).

61      D’une part, le Tribunal a précisé à cet égard que, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du statut, ces taux permettaient de calculer le nombre de postes ouverts à la promotion et que, dans ce cadre, ils s’appliquaient sur une base quinquennale moyenne (arrêt du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes, T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76, point 121).

62      D’autre part, selon le Tribunal, convertis en années, lesdits taux servent à déterminer la durée de carrière moyenne dans un grade (arrêt du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes, T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76, points 121, 122 et 124). Pour cette question, il convient de tenir compte des taux multiplicateurs qui étaient applicables au cours des années pendant lesquelles l’agent se trouvait dans le grade en cause et la limitation de la base quinquennale prévue par l’article 6, paragraphe 2, du statut ne s’applique donc pas (arrêt du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes, T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76, point 121).

63      Il ressort de ce qui précède que les dispositions du statut et du RAA visant les taux multiplicateurs ne permettent pas de conclure que, dans le cadre du reclassement des agents, ces taux devraient uniquement être utilisés pour calculer le nombre d’emplois ouverts au reclassement, sans pouvoir servir à fixer une ancienneté moyenne minimale dans chaque grade avant d’être reclassé.

64      La thèse du requérant n’est donc pas non plus corroborée par le contexte dans lequel la clause des taux multiplicateurs s’insère.

65      S’agissant, en troisième lieu, des objectifs poursuivis par la clause des taux multiplicateurs, le requérant considère que celle-ci vise à poser une limite au nombre de postes disponibles pour un reclassement et ainsi à assurer un certain parallélisme avec les fonctionnaires en ce qui concerne la progression des carrières. Il estime que cette interprétation n’est pas remise en cause par le fait que le respect des ressources budgétaires disponibles imposées notamment par les DGE et le tableau des effectifs a la même fonction, dès lors que la limite résultant desdites ressources et dudit tableau sert des intérêts d’une autre nature.

66      À cet égard, premièrement, il ressort de l’article 6, paragraphe 2, du statut que, sans porter préjudice au principe de la promotion fondée sur le mérite, les taux multiplicateurs expriment la progression d’une carrière moyenne (arrêt du 13 mars 2013, AK/Commission, F‑91/10, EU:F:2013:34, point 71).

67      Or, la conversion de ces taux en ancienneté moyenne minimale dans le grade est une autre manière d’encadrer la vitesse moyenne à laquelle les agents peuvent être reclassés (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes, T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76, points 122 et 124) et poursuit donc le même objectif que l’article 6, paragraphe 2, du statut.

68      Le deuxième considérant des DGE et de la décision modèle fait sur ce point référence à la nécessité de définir des règles spécifiques et cohérentes pour le reclassement des agents temporaires afin notamment de faciliter leur mobilité entre agences.

69      En outre, les règles applicables au reclassement d’agents temporaires ne sauraient être identiques à celles applicables aux fonctionnaires, car les premiers n’ont pas la même vocation que les seconds à faire carrière au sein de leur institution (arrêts du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 55, et du 27 avril 2022, Correia/CESE, T‑750/20, non publié, EU:T:2022:246, point 80).

70      En effet, à la différence des fonctionnaires dont la stabilité d’emploi est garantie par le statut, les agents temporaires relèvent d’un régime spécifique à la base duquel se trouve le contrat d’emploi conclu avec l’institution concernée (arrêt du 28 janvier 1992, Speybrouck/Parlement, T‑45/90, EU:T:1992:7, point 90).

71      Ensuite, la reconnaissance statutaire de la vocation à la carrière des fonctionnaires ne leur confère pas un droit subjectif à une promotion, même s’ils réunissent toutes les conditions requises, dès lors qu’une décision de promotion dépend non des seules qualifications et capacités du candidat, mais également de leur appréciation en comparaison de celles des autres candidats ayant vocation à être promus (voir arrêt du 27 avril 2022, Correia/CESE, T‑750/20, non publié, EU:T:2022:246, point 85 et jurisprudence citée).

72      Il en va nécessairement de même en ce qui concerne les agents temporaires, pour les raisons exposées dans la jurisprudence citée aux points 69 et 70 ci-dessus.

73      Dans ce cadre, il n’est pas incohérent de conditionner le reclassement des agents à ce qu’ils passent en moyenne un certain nombre d’années dans leur grade, d’autant que, même en matière de promotion des fonctionnaires, lesquels ont vocation à faire carrière au sein de leur institution, la prise en compte du nombre de postes ouverts à la promotion n’exclut pas l’application concomitante d’une condition d’ancienneté minimale dans le grade (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes, T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76, points 121, 122 et 124).

74      Deuxièmement, en prévoyant que les taux multiplicateurs servent à calculer le nombre d’emplois vacants pour chaque grade indiqué dans le tableau des effectifs qui est annexé à la section du budget de l’institution concernée, l’article 6, paragraphes 1 et 2, du statut établit un lien direct entre les taux multiplicateurs et le budget de l’institution concernée. Pour autant, le fait qu’il ressorte de ce texte que ces taux constituent un mécanisme servant à la fois à encadrer la vitesse de progression des carrières et l’allocation des ressources budgétaires ne permet pas d’en déduire que, dans le cadre du reclassement des agents, l’encadrement de cette vitesse ne peut se faire qu’en appliquant des quotas, même indicatifs, de reclassement, sans pouvoir imposer une ancienneté moyenne minimum dans le grade.

75      Il ressort de ce qui précède que la thèse du requérant n’est pas non plus confirmée par l’objectif de la clause des taux multiplicateurs, à savoir l’encadrement de la vitesse moyenne à laquelle les agents peuvent être reclassés, qui peut être poursuivi en appliquant une ancienneté moyenne minimale dans le grade.

76      Il y a donc lieu de rejeter le premier grief.

–       Sur le non-respect de la condition d’ancienneté moyenne minimale dans les autres grades

77      Par ce grief, le requérant soutient que la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade n’a pas été respectée dans tous les grades, ce qui conforte le fait qu’une telle condition ne peut pas être imposée. Il fait valoir à cet égard que :

–        d’une part, dans le cadre de l’exercice 2021, cette condition n’aurait été satisfaite dans quasiment aucun autre grade que le grade AD 9, notamment dans les grades inférieurs à ce dernier ;

–        d’autre part, cette même condition n’aurait pas non plus été suivie dans les grades AD 9 et AD 10 lors de l’exercice de reclassement précédent.

78      Le requérant invoque aussi de manière incidente une violation du principe de non-discrimination et de l’égalité de traitement.

79      L’eu-LISA conteste l’argumentation du requérant.

80      À cet égard, il ressort du premier grief que, en vertu de l’article 54 du RAA, tel que mis en œuvre dans les DGE reprenant les dispositions de la décision modèle, les taux multiplicateurs pouvaient être convertis en ancienneté moyenne minimale dans le grade, comme le prévoit l’annexe II desdites DGE. Or, l’eu-LISA étant tenue, en vertu de l’article 54, premier alinéa, du RAA de conditionner le reclassement de ses agents au respect des taux multiplicateurs, elle était en droit de soumettre ce reclassement au respect de cette ancienneté moyenne minimale dans le grade prévue à l’annexe II des DGE.

81      Le fait que, selon le requérant, la condition d’ancienneté moyenne minimale n’ait pas été appliquée dans plusieurs grades ne saurait remettre en cause la validité de cette condition. Cet argument relève de la question distincte de la conformité de l’application de ladite condition au principe d’égalité de traitement, qui sera traitée dans le cadre du troisième moyen.

82      Par conséquent, le second grief doit être écarté comme étant inopérant.

–       Sur l’application du principe de l’interprétation conforme

83      Par ce grief, le requérant estime que, en application du principe de l’interprétation conforme, l’interprétation selon laquelle la clause des taux multiplicateurs impose une condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade, sans tenir compte des mérites des candidats au reclassement, heurte des règles et des principes supérieurs du droit de l’Union, tels que le principe du reclassement selon les mérites et la condition d’éligibilité statutaire de deux ans.

84      L’eu-LISA conteste l’argumentation du requérant.

85      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante qu’un texte de droit de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité avec les dispositions du traité et les principes généraux du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2018, BPCE/BCE, T‑745/16, EU:T:2018:476, point 32 et jurisprudence citée).

86      Toutefois, à l’égard d’une disposition dont le sens est clair et dépourvu d’ambiguïté, il appartient seulement au Tribunal, dans l’éventualité où une exception d’illégalité au sens de l’article 277 TFUE serait soulevée, de contrôler sa conformité aux dispositions du traité et aux principes généraux du droit de l’Union (voir arrêt du 13 juillet 2018, BPCE/BCE, T‑745/16, EU:T:2018:476, point 33 et jurisprudence citée).

87      Or, en l’espèce, il ressort sans ambiguïté de l’annexe II des DGE que, dans le cadre de la procédure de reclassement de l’eu-LISA, les taux multiplicateurs servent à déterminer l’ancienneté moyenne minimale dans le grade.

88      En outre, la jurisprudence a confirmé que ces taux pouvaient être utilisés à cette fin (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 février 2017, Schönberger/Cour des comptes, T‑688/15 P, non publié, EU:T:2017:76, points 121 et 122).

89      La décision attaquée ne révèle donc pas une interprétation erronée de la clause des taux multiplicateurs.

90      Il convient donc de rejeter le troisième grief et, par conséquent, le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré, à titre subsidiaire, d’une exception d’illégalité dirigée contre la clause des taux multiplicateurs

91      À titre subsidiaire, le requérant invoque une exception d’illégalité des dispositions des DGE prévoyant l’application de la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade. Ce moyen est divisé en deux griefs.

–       Sur la violation de l’article 45 du statut, de l’article 54 du RAA, de l’article 4 des DGE et du principe de reclassement fondé sur les mérites

92      Par ce grief, le requérant fait valoir que la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade contrevient au principe du reclassement fondé sur les mérites, prévu à l’article 45 du statut, à l’article 54 du RAA et à l’article 4 des DGE. Il estime que, d’une part, le mérite est subordonné à cette condition et la satisfaction de celle-ci ne dépend pas du seul intéressé et que, d’autre part, ladite condition exclut ainsi du reclassement des grades entiers, quels que soient les mérites des agents reclassables.

93      L’eu-LISA conteste l’argumentation du requérant.

94      À cet égard, l’article 54 du RAA étend au reclassement le principe de la promotion fondée sur le mérite énoncé à l’article 45 du statut, tout en imposant également à l’administration de ne pas dépasser les taux multiplicateurs. Cette double exigence est respectivement reprise aux articles 4 et 5 des DGE, lesquels reprennent verbatim les dispositions pertinentes de la décision modèle.

95      Les deux paramètres conditionnant le reclassement, à savoir la comparaison des mérites et l’ancienneté moyenne minimale dans le grade, ne sont pas des critères purement individuels, puisqu’ils dépendent respectivement des mérites et de l’ancienneté des autres candidats éligibles du grade concerné.

96      En outre, il ressort de la décision de rejet que les mérites des candidats conditionnent, d’une part, le calcul de l’ancienneté moyenne dans le grade, puisque seuls les candidats les mieux classés, à hauteur du nombre de postes disponibles dans le tableau des effectifs (ci-après les « candidats les plus méritants »), sont pris en compte dans ce calcul et, d’autre part, la possibilité de reclasser les plus méritants ayant, le cas échéant, une ancienneté individuelle dans le grade supérieure à l’ancienneté moyenne applicable.

97      À cet égard, l’eu-LISA a exposé dans la décision de rejet, à l’aide d’un exemple, la méthode appliquée lors de l’exercice 2021. Selon cette méthode, la comparaison des mérites sert tout d’abord à classer les candidats et l’eu-LISA ne retient que les candidats les plus méritants. Elle calcule ensuite l’ancienneté moyenne dans le grade des candidats les plus méritants. Si cette ancienneté moyenne est insuffisante, mais que l’un des candidats les plus méritants a une ancienneté individuelle dans le grade supérieure à l’ancienneté moyenne applicable, il ne pourra pas être reclassé si un candidat mieux classé que lui a une ancienneté individuelle inférieure à cette ancienneté moyenne. Dans ce cas, aucun des candidats les plus méritants n’est reclassé.

98      Avec cette méthode, l’application de la condition d’ancienneté moyenne dans le grade pouvait donc conduire à écarter du reclassement une cohorte complète de candidats appartenant au même grade si, d’une part, les candidats les plus méritants avaient, collectivement, une ancienneté moyenne dans leur grade inférieure à celle applicable et si, d’autre part, parmi ces candidats, ceux qui étaient les mieux classés avaient une ancienneté individuelle dans le grade inférieure à cette ancienneté moyenne. Dans ce cas, les candidats moins bien classés avec une ancienneté individuelle supérieure à l’ancienneté moyenne minimale applicable ne pouvaient pas être reclassés.

99      Ladite méthode démontre toutefois que la comparaison des mérites reste le principal critère fondant le reclassement. En effet, elle sert à classer les candidats selon leurs mérites et l’ordre de classement détermine ensuite si l’ancienneté moyenne dans le grade empêche tout ou partie de la cohorte d’être reclassée. En d’autres termes, si un agent fait partie des candidats les plus méritants, mais qu’il n’est pas le mieux classé, et qu’il a une ancienneté individuelle dans le grade supérieure à l’ancienneté moyenne, il ne pourra pas être reclassé si, d’une part, cette ancienneté moyenne n’est pas satisfaite collectivement par l’ensemble des plus méritants et si, d’autre part, les mieux classés de cette cohorte ont une ancienneté inférieure à l’ancienneté moyenne. Dans ce cas, ce sont bien les mérites, et pas seulement l’ancienneté, qui font barrage au reclassement de l’agent plus expérimenté dans le grade.

100    L’eu-LISA a donc relevé à juste titre dans la décision de rejet que l’ancienneté moyenne dans le grade applicable ne compromettait en rien le reclassement des candidats les plus méritants.

101    S’agissant du grade du requérant, elle y a énoncé ce qui suit :

–        elle a procédé à l’examen comparatif des mérites des agents éligibles dans chaque grade ; à la suite de cet examen, elle a vérifié la condition de l’ancienneté moyenne dans le grade ;

–        cette condition n’était pas remplie dans le grade AD 9, car chacun des sept agents éligibles, dont le requérant, n’avait passé en moyenne que deux ans dans ce grade, alors que l’ancienneté moyenne devait y atteindre quatre ans ;

–        en vertu de l’article 5, paragraphe 5, des DGE, la non-satisfaction de cette condition l’empêchait de reclasser les agents de ce grade ;

–        elle a donc décidé de ne proposer aucun agent du grade AD 9 au reclassement.

102    Il en ressort que les mérites des agents éligibles du grade AD 9 ont été examinés lors de la première étape de la procédure de reclassement, avant l’établissement de la liste des agents proposés. Les mérites ne sont toutefois pas la cause du non-reclassement. Ce dernier est dû à l’ancienneté moyenne insuffisante de l’ensemble des agents éligibles de ce grade, puisque l’ancienneté de chacun d’entre eux, dont celle du requérant, était environ deux fois inférieure à l’ancienneté moyenne minimale applicable.

103    Or, il convient de rappeler que, premièrement, la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade prévue par les DGE reprend celle figurant dans la décision modèle et vise à maintenir une équivalence des carrières moyennes en fournissant un cadre à la vitesse avec laquelle une agence peut reclasser ses agents les plus méritants. Deuxièmement, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du statut, le fait d’encadrer par une condition d’ancienneté moyenne dans le grade fondée sur les taux multiplicateurs la vitesse à laquelle les fonctionnaires peuvent être promus ne porte pas préjudice au principe de la promotion fondée sur le mérite (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2013, AK/Commission, F‑91/10, EU:F:2013:34, point 71) et il en est a fortiori de même pour les agents, qui n’ont pas la même vocation à la carrière que les fonctionnaires. Troisièmement, la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade vise en outre à faciliter la mobilité entre agences (voir point 68 ci-dessus), ce qui sert les intérêts des agents les plus méritants.

104    Au vu de ce qui précède, le requérant ne saurait soutenir que la condition d’ancienneté moyenne dans le grade méconnaît le principe du reclassement fondé sur les mérites.

105    Le requérant invoque trois arguments tendant à contester cette conclusion.

106    En premier lieu, il fait valoir que l’ancienneté moyenne minimale dans le grade pourrait inciter les responsables des reclassements à écarter des agents méritants ayant une ancienneté dans le grade insuffisante au profit d’agents moins méritants plus expérimentés dans le grade.

107    Or, cette affirmation constitue une simple spéculation, au demeurant non applicable au grade du requérant pour les raisons rappelées aux points 101 et 102 ci-dessus.

108    En deuxième lieu, le requérant soutient que la violation du principe du reclassement fondé sur les mérites est particulièrement grave et enfreint le principe de proportionnalité, car il a été privé d’un reclassement en dépit, d’une part, de son mérite exceptionnel, attesté par ses points de reclassement (13,2 sur 14), potentiellement les plus élevés des agents reclassés, et, d’autre part, des ressources budgétaires et des postes disponibles pour les reclassements du grade AD 9, ces postes disponibles, non pourvus, n’ayant pas été réaffectés à d’autres grades.

109    À cet égard, s’agissant, premièrement, de l’invocation des mérites personnels du requérant, le RAA ne confère aucun droit à un reclassement, y compris aux agents qui réunissent toutes les conditions pour pouvoir être reclassés (voir arrêt du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 49 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Correia/CESE, T‑750/20, non publié, EU:T:2022:246, point 85 et jurisprudence citée).

110    D’une part, en vertu de l’article 54 du RAA, le reclassement se fonde sur la comparaison des mérites des agents éligibles, de sorte qu’une décision de reclassement ne dépend pas des seules qualifications et capacités de l’agent, mais de leur appréciation relativement à celles des autres agents ayant vocation à être reclassés (voir arrêt du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, points 49 et 81 et jurisprudence citée).

111    En particulier, l’attribution de points de reclassement ne fixe pas définitivement la position de l’agence au terme de la procédure de reclassement, l’AHCC conservant son pouvoir d’appréciation (voir, par analogie, arrêts du 14 décembre 2017, RL/Cour de justice de l’Union européenne, T‑21/17, EU:T:2017:907, point 55 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, KZ/Commission, T‑453/20, non publié, EU:T:2021:339, point 47).

112    D’autre part, l’article 54, premier alinéa, du RAA conditionne le reclassement des agents éligibles, même des plus méritants, à un autre critère en partie exogène à chaque candidat, en interdisant le dépassement des taux multiplicateurs dans le cadre de l’exercice de reclassement. Or, la non-satisfaction de ce critère par l’ensemble de la cohorte du grade AD 9 est la raison pour laquelle le requérant n’a pas été reclassé.

113    L’argument tiré des mérites du requérant et de ses points de reclassement est donc inopérant et doit être écarté.

114    Deuxièmement, s’agissant de la disponibilité des ressources budgétaires et des postes pour reclasser le requérant, les quotas censés les refléter sont simplement indicatifs et ne sauraient donner lieu à une obligation pour l’administration de les atteindre, sous peine d’instaurer un droit automatique au reclassement qui, conformément à la jurisprudence rappelée au point 109 ci-dessus, n’existe pas.

115    Troisièmement, en vertu d’une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêts du 14 décembre 2018, GQ e.a./Commission, T‑525/16, EU:T:2018:964, point 70 et jurisprudence citée, et du 3 mars 2021, Barata/Parlement, T‑723/18, EU:T:2021:113, point 94 et jurisprudence citée).

116    Or, l’ancienneté moyenne dans le grade est une condition appropriée pour encadrer la vitesse de reclassement des agents qui ne compromet pas pour autant l’objectif de garantir le reclassement des candidats les plus méritants, conformément à l’article 54 du RAA.

117    En outre, en l’espèce, les sept agents éligibles du grade AD 9 n’atteignaient pas la moyenne de quatre ans minimale applicable dans le grade, chacun n’y ayant passé qu’environ deux ans.

118    L’application de la condition d’ancienneté moyenne dans le grade AD 9 au requérant et à ses collègues ayant conduit à leur non-reclassement n’apparaît donc pas en soi disproportionnée.

119    Il convient donc d’écarter la violation alléguée du principe de proportionnalité et de rejeter le deuxième argument.

120    En troisième lieu, le requérant fait valoir que la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade a primé sur les mérites et que, du fait de la non-satisfaction de cette ancienneté, les mérites des agents n’ont pas été comparativement examinés. Puis, dans la réplique, il concède que cet examen a eu lieu, mais conteste l’application après ledit examen de ladite condition comme un facteur éliminatoire excluant du reclassement des grades entiers, quels que soient les mérites des agents concernés.

121    À cet égard, il ressort de la décision de rejet que, d’une part, les mérites des agents du grade AD 9 ont été comparativement examinés (voir point 101 ci-dessus) et, d’autre part, la manière dont l’eu-LISA a articulé le critère des mérites et la condition d’ancienneté moyenne infirme la primauté invoquée de la seconde sur le premier (voir points 96 à 99 ci-dessus).

122    Il y a donc lieu de rejeter le troisième argument et, par conséquent, le premier grief.

–       Sur la violation de la condition d’éligibilité de deux ans dans le grade

123    Par ce grief, d’une part, le requérant fait valoir que l’application de la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade va à l’encontre de la condition d’éligibilité de deux ans fixée par l’article 54 du RAA et la rend caduque, car elle dépasse cette durée de deux ans. Le candidat écarté à la suite de l’application de la condition d’ancienneté moyenne serait en effet considéré comme inéligible. D’autre part, elle enfreindrait le principe venire contra factum proprium (interdiction de se contredire au détriment d’autrui), car la condition d’éligibilité serait reprise à l’article 3, premier tiret, des DGE et à l’article 2.3 de l’information administrative.

124    L’eu-LISA conteste l’argumentation du requérant.

125    À cet égard, la condition d’éligibilité de deux ans dans le grade, exigée par l’article 54 du RAA et reprise à l’article 3, premier tiret, des DGE et à l’article 2.3 de l’information administrative, est distincte de celle de l’ancienneté moyenne dans le grade prévue à l’article 5 et l’annexe II des DGE.

126    L’éligibilité est en effet propre à chaque agent et s’apprécie au début de la procédure de reclassement pour déterminer simplement la capacité de l’agent à participer à l’exercice de reclassement. Elle ne joue en revanche aucun rôle dans les paramètres qui vont déterminer les possibilités de reclassement de ce dernier, lesquelles ne dépendent pas que de celui-ci, mais aussi d’éléments externes liés, d’une part, aux ressources budgétaires et aux postes disponibles et, d’autre part, aux mérites et à l’ancienneté dans le grade de ses collègues éligibles, l’objectif étant notamment d’encadrer la vitesse moyenne de reclassement.

127    Or, en l’espèce, l’ancienneté moyenne dans le grade AD 9, prévue par les DGE et la décision modèle, était fixée au double de la condition d’éligibilité. En outre, l’eu-LISA a constaté dans la décision de rejet que le requérant avait été éligible au reclassement à partir du 28 février 2021, ce qui lui avait permis de participer à la procédure en cause. Grâce à cette éligibilité, ses mérites ont pu être comparativement examinés et ils se sont révélés très bons, puisque, avec une note de reclassement de 13,2 sur 14, l’eu-LISA a indiqué que le requérant avait obtenu le second score le plus élevé au sein de l’agence. Toutefois, en application des règles du RAA telles que mises en œuvre dans les DGE selon la décision modèle, ce critère n’a pas été suffisant, car l’ancienneté moyenne dans le grade de l’ensemble de sa cohorte, d’environ deux ans seulement, était inférieure de moitié à celle applicable, de quatre ans.

128    Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, l’application de la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade n’a pas empêché l’application de la condition d’éligibilité. En effet, cette première condition, qui excédait l’ancienneté requise pour être éligible, n’a en rien entravé le droit du requérant de participer à la procédure de reclassement et de voir ses mérites examinés. Ce dernier n’a donc pas été considéré comme étant inéligible.

129    Il convient donc de rejeter le second grief et, partant, le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré, à titre très subsidiaire, d’une violation du principe d’égalité de traitement et d’une erreur manifeste d’appréciation

130    Ce moyen se divise en substance en deux griefs, tirés, d’une part, d’une violation du principe d’égalité de traitement et, d’autre part, d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que les points de reclassement du requérant auraient été plus élevés que ceux de pratiquement tous les agents qui ont été reclassés.

131    S’agissant de l’exercice 2021, le requérant soutient qu’il a été traité, ainsi que ses collègues éligibles de son grade, de manière inégale par rapport aux agents des autres grades, à qui la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade n’a, selon lui, pas été appliquée.

132    Ce traitement constituerait une discrimination relative à l’âge et contre les grades supérieurs et enfreindrait le principe de la vocation à la carrière et, à supposer que l’inégalité soit justifiée, le principe de proportionnalité.

133    Le requérant avance à cet égard que l’ancienneté moyenne effective des agents reclassés dans les autres grades que le sien était inférieure à celle requise et ne représentait qu’un pourcentage de celle-ci, de l’ordre de :

–        71 % pour le grade AD 5 ;

–        95 % pour le grade AD 6 ;

–        73 % pour le grade AD 7 ;

–        67 % pour les grades AD 8 et GFIV 14.

134    L’eu-LISA conteste l’argumentation du requérant.

135    Dans la décision de rejet, après avoir avancé que la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade fixée dans les DGE revêtait un caractère contraignant et qu’elle ne disposait d’aucune marge de manœuvre concernant son application, l’eu-LISA a fait valoir qu’elle avait mis en œuvre cette condition dans l’ensemble des grades, et notamment dans celui du requérant.

136    Or, revenant sur sa position retenue dans la décision de rejet, l’eu-LISA a reconnu à juste titre lors de l’audience que ladite condition n’était pas contraignante, qu’elle devait certes en tenir compte autant que possible dans le cadre du reclassement, mais qu’elle pouvait néanmoins y déroger.

137    En effet, la condition de l’ancienneté moyenne minimale fixée à l’annexe II des DGE pour chacun des grades y est qualifiée de « moyenne cible » et de « durée moyenne indicative ». Les DGE reprennent à cet égard mot pour mot les dispositions de la décision modèle. Il ne saurait donc être conclu que cette condition revêtait un caractère obligatoire. L’annexe II des DGE laisse au contraire à l’eu-LISA une certaine marge pour l’appliquer ou l’écarter.

138    Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu de constater que sont entachés d’illégalité les motifs de la décision de rejet ayant retenu que la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade fixée dans les DGE revêtait un caractère contraignant et que l’eu-LISA ne disposait d’aucune marge de manœuvre concernant son application.

139    Toutefois, si l’eu-LISA disposait d’un pouvoir d’appréciation s’agissant de l’application de la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade, elle devait l’exercer dans le respect du principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 38 et jurisprudence citée, et du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 59).

140    L’eu-LISA a à cet égard considéré dans la décision de rejet que l’égalité de traitement n’était exigée qu’au niveau du grade et non de l’agence en son entier, que le requérant et l’ensemble des agents du grade AD 9 ne pouvaient pas être comparés à ceux des autres grades ni au groupe de fonctions AST et que la différence de grade était une justification objective à une différence de traitement.

141    Or, il y a lieu de rappeler que tout exercice de reclassement doit se dérouler dans le respect des principes généraux du droit, tels que le principe d’égalité de traitement, également consacré par l’article 21 de la charte de droits fondamentaux de l’Union européenne, qui s’imposent à tous les organes, organismes et institutions de l’Union (arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 56).

142    En vertu d’une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement exige notamment que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêts du 11 septembre 2007, Lindorfer/Conseil, C‑227/04 P, EU:C:2007:490, point 63 et jurisprudence citée, et du 2 avril 2020, Veit/BCE, T‑474/18, non publié, EU:T:2020:140, point 35).

143    Ce principe est ainsi enfreint lorsque deux catégories de personnes, dont les situations factuelles et juridiques ne présentent pas de différences essentielles, se voient appliquer un traitement différent et que les différences de traitement ne sont pas justifiées sur la base d’un critère objectif et raisonnable ni proportionnées au but poursuivi par la différentiation en question (voir arrêt du 2 avril 2020, Veit/BCE, T‑474/18, non publié, EU:T:2020:140, point 36 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêts du 7 mai 2019, WP/EUIPO, T‑407/18, non publié, EU:T:2019:290, point 133 et jurisprudence citée, et du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 57 et jurisprudence citée).

144    En l’espèce, tous les agents de l’eu-LISA, quel que soit leur grade, sont soumis aux dispositions de l’article 54 du RAA tel que mis en œuvre par les DGE et se trouvent donc dans une situation objectivement comparable au regard des règles gouvernant leur reclassement et des objectifs poursuivis par ces dernières, y compris en ce qui concerne la vitesse à laquelle les carrières avancent au sein de leur agence.

145    Les DGE visent donc à garantir à l’ensemble des agents de l’eu-LISA un traitement identique dans un domaine dans lequel elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation conféré par le statut et le RAA. Elles constituent à ce titre une directive interne que l’eu-LISA s’impose à elle-même et dont elle ne peut s’écarter sans préciser les raisons qui l’y ont amenée, sous peine d’enfreindre le principe d’égalité de traitement (voir arrêt du 12 février 2020, WD/EFSA, T‑320/18, non publié, EU:T:2020:45, point 38 et jurisprudence citée).

146    Le principe d’égalité de traitement impose ainsi que le reclassement s’opère, à l’échelle de l’ensemble de l’eu-LISA, sur des bases communes (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 60), sans que l’exigence d’égalité dans l’application des critères de reclassement puisse être limitée au niveau du grade (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 janvier 2022, YG/Commission, C‑361/20 P, non publié, EU:C:2022:17, points 23 et 24), contrairement à ce qu’a soutenu l’eu-LISA dans la décision de rejet (voir point 140 ci-dessus).

147    Par conséquent, en application de la jurisprudence rappelée aux points 143 et 145 ci-dessus, le principe d’égalité de traitement imposait en principe à l’eu-LISA d’appliquer la condition relative à l’ancienneté moyenne minimale dans le grade prévue à l’annexe II des DGE à l’ensemble des agents éligibles au reclassement dans les différents grades ou de ne l’appliquer à aucun grade.

148    Toutefois, il lui était possible d’écarter cette condition dans certains grades, à condition de justifier cette application différentiée par un critère objectif et raisonnable et la différentiation ainsi opérée entre les grades ne devait pas être disproportionnée par rapport au but qu’elle poursuivait.

149    À cet égard, la liste des 24 agents reclassés ne mentionne ni le grade de ces agents ni leur ancienneté dans leur grade avant leur reclassement et ne permet donc pas à elle seule de contrôler si la condition relative à l’ancienneté moyenne minimale a été appliquée de manière égale entre les grades.

150    Par une mesure d’organisation de la procédure, le Tribunal a demandé à l’eu-LISA de produire un ou plusieurs documents permettant d’établir que la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade avait été appliquée à tous les grades lors de l’exercice 2021 ou, le cas échéant, que l’application différentiée de cette condition selon les grades pouvait être justifiée. Puis, lors de l’audience, le Tribunal lui a adressé une demande complémentaire en ce sens.

151    En réponse à ces demandes, l’eu-LISA a fourni deux versions du procès-verbal d’une réunion (ci-après le « procès-verbal ») de son comité de direction du 25 novembre 2021 (ci-après la « réunion du 25 novembre 2021 »), lors de laquelle ce comité a examiné les mérites des 115 agents éligibles issus de 23 grades et sélectionné parmi eux 29 agents qu’il suggérait de proposer au reclassement.

152    Ont participé à la réunion du 25 novembre 2021 le directeur exécutif et quinze autres membres, dont le requérant, ce dernier n’ayant toutefois pris part à la discussion que pour les grades inférieurs au sien, à savoir jusqu’au grade AD 8, et n’a donc pas assisté aux échanges relatifs aux propositions de reclassement dans les grades AD 9 à AD 13.

153    C’est à la suite de cette réunion que le directeur exécutif a adopté la liste des 23 agents proposés au reclassement, puis, en tant qu’AHCC, arrêté la liste des 24 agents reclassés.

154    Il convient de relever d’emblée que les deux versions du procès-verbal ne répondent que partiellement à la première partie de la demande formulée dans la mesure d’organisation de la procédure susvisée au point 150 ci-dessus, en ce sens qu’elles ne permettent pas de déterminer de manière exhaustive si, au terme de l’exercice 2021, la condition d’ancienneté moyenne minimale a été appliquée à l’ensemble des grades.

155    À cet égard, la première version du procès-verbal, fournie en réponse à la mesure d’organisation de la procédure rappelée au point 150 ci-dessus, couvre les 23 grades dont étaient issus les agents éligibles au reclassement dans le cadre de l’exercice 2021, soit les grades AST 3 à AST 9, AD 5 à AD 13, GFIII 9, GFIII 10 et GFIV 14 à GFIV 18. Il ressort de ce document que le comité de direction a suggéré que des propositions de reclassement soient effectuées dans huit grades, à savoir AST 4 à AST 6, AD 5 à AD 8 et GFIV 14, et qu’aucun agent ne soit proposé dans les grades AD 9 à AD 13.

156    La seconde version du procès-verbal, communiquée à la suite de l’audience, le 29 juin 2023, reprend les informations qui se trouvaient dans la première version pour les 18 premiers grades (AST 3 à AST 9, AD 5 à AD 8, GFIII 9, GFIII 10 et GFIV 14 à GFIV 18), mais ne comporte aucune donnée concernant les cinq grades AD les plus élevés (AD 9 à AD 13). Y est toutefois ajoutée une information qui ne figurait pas dans cette première version, à savoir le pourcentage de satisfaction de l’ancienneté moyenne minimale dans le grade des agents que le comité de direction suggérait de proposer au reclassement dans les huit grades visés au point 155 ci-dessus, cette condition étant respectée lorsque le pourcentage indiqué était supérieur ou égal à 100 %.

157    Il ressort des deux versions du procès-verbal et de la liste des agents reclassés que la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade a été respectée, à l’issue de l’exercice 2021, dans 17 grades, à savoir :

–        dans les quinze grades dans lesquels aucun agent n’a été reclassé, à savoir les grades AST 3, AST 7 à AST 9, le grade AD 9 auquel appartenait le requérant et les grades AD supérieurs au sien (AD 10 à AD 13), ainsi que les grades GFIII 9, GFIII 10 et GFIV 15 à GFIV 18 ;

–        dans deux des huit grades dans lesquels l’eu-LISA a procédé à des reclassements, à savoir les grades AST 4 et AST 6, dans lesquels quatre agents au total ont été reclassés.

158    En revanche, l’eu-LISA n’a pas respecté la condition relative à l’ancienneté moyenne minimale dans les grades AST 5, AD 5, AD 6 et GFIV 14 et a procédé au reclassement de seize agents de ces grades, comme suit :

–        dans les grades AST 5, AD 6 et GFIV 14, dans lesquels les agents proposés lors de la réunion du 25 novembre 2021 et les agents reclassés étaient les mêmes, cette condition n’a été satisfaite respectivement qu’à hauteur de 92 %, 95 % et 67 % ; ces deux derniers pourcentages corroborent ceux invoqués par le requérant pour les grades AD 6 et GFIV 14 (voir point 133 ci-dessus) ;

–        les six agents du grade AD 5 proposés au reclassement lors de cette réunion ne remplissaient pas non plus ladite condition, avec un taux de satisfaction de celle-ci de seulement 71 % ; si seulement cinq d’entre eux ont été reclassés, le procès-verbal spécifie toutefois qu’aucun des six sélectionnés lors de ladite réunion ne remplissait la condition d’ancienneté requise, ce qui était donc aussi nécessairement le cas pour les cinq reclassés.

159    Quant aux deux derniers grades dans lesquels des reclassements ont eu lieu, à savoir les grades AD 7 et AD 8, les agents que le comité de direction a suggéré de proposer au reclassement ne remplissaient pas non plus la condition d’ancienneté moyenne minimale dans ces grades, avec respectivement un taux de satisfaction de cette condition de seulement 83 % et 67 %. Toutefois, sur les huit agents au total proposés par ledit comité dans ces deux grades, la moitié seulement, soit quatre, a été reclassée, ce qui a pu modifier le taux de satisfaction de ladite condition à l’issue de la procédure de reclassement.

160    Il ressort ainsi de ce qui précède que, contrairement à ce qu’elle a affirmé dans la décision de rejet, l’eu-LISA n’a pas appliqué la condition d’ancienneté moyenne minimale à l’ensemble des agents éligibles des différents grades. Si elle a appliqué cette condition aux grades supérieurs, notamment aux grades AD 9 à AD 13, elle s’en est en revanche affranchie dans au moins quatre grades (AST 5, AD 5, AD 6 et GFIV 14), dont deux grades AD moins élevés que celui du requérant.

161    Cette approche a ainsi bénéficié aux seize agents reclassés dans ces quatre grades dans lesquels ladite condition n’était pas satisfaite (voir point 158 ci-dessus), soit les deux tiers des 24 agents reclassés à l’échelle de l’agence.

162    Par conséquent, il y a lieu de constater que sont erronés les motifs de la décision de rejet ayant retenu que la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade a été appliquée à l’ensemble des grades.

163    En particulier, le requérant a été traité, ainsi que ses collègues éligibles de son grade, de manière inégale par rapport aux seize agents reclassés dans les grades AST 5, AD 5, AD 6 et GFIV 14 (voir point 158 ci-dessus). Il en est de même pour les agents éligibles des seize autres grades rappelés au point 157 ci-dessus, à qui la condition d’ancienneté moyenne minimale a aussi été appliquée.

164    Dans ce contexte, il convient de vérifier si des raisons suffisantes ont été avancées par l’eu-LISA pour justifier objectivement cette inégalité au sens de la jurisprudence rappelée aux points 142 et 143 ci-dessus.

165    À cet égard, en premier lieu, il ressort du procès-verbal que le comité de direction a justifié sa décision de ne proposer aucun reclassement dans les grades AST 7, GFIV 16 et AD 9 en se fondant sur le fait que l’ancienneté moyenne dans le grade des agents les plus performants de ces grades était trop basse. Cette condition a donc été déterminante dans l’absence de reclassement dans ces trois grades.

166    La même préoccupation a été exprimée dans l’un des huit grades dans lesquels des agents avaient été proposés au reclassement et reclassés, à savoir le grade AST 4. Lors de la réunion du comité de direction, le directeur exécutif a en effet suggéré d’être strict sur la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade et de la respecter dans ce grade. Ledit comité l’a suivi en proposant d’y reclasser trois agents qui satisfaisaient cette condition à hauteur de 133 % et ce sont ces trois mêmes agents qui ont été finalement reclassés.

167    En deuxième lieu, en revanche, l’ancienneté moyenne minimale dans le grade n’a pas été évoquée par le comité de direction pour les agents qu’il a suggéré de reclasser dans les grades AST 5, AD 6, AD 7 et GFIV 14, alors que ces agents ne satisfaisaient pas cette condition dans leur grade et que quatorze d’entre eux ont au total été reclassés.

168    Leur proposition de reclassement y a été justifiée par les motifs suivants.

169    Premièrement, s’agissant du grade AST 5, le procès-verbal indique que l’un des membres du comité de direction, A, a rappelé que chaque poste utilisé lors de l’exercice 2021 pouvait empêcher le reclassement d’un agent l’année suivante. Le directeur exécutif a répondu que cela ne devait pas être le principe directeur pour évaluer le « groupe » et que l’approche à suivre devait être la même que celle suivie pour le « groupe précédent ». Il n’y a pas eu d’objections à cet égard et, par conséquent, après avoir comparé les mérites des agents éligibles de ce grade, le comité de direction a suggéré de proposer au reclassement trois d’entre eux. Or, à supposer que le « groupe précédent » visé dans le procès-verbal, et dont il a été convenu de suivre l’approche, renvoie au grade AST 4, il y a lieu de rappeler que, dans ce dernier grade, la condition d’ancienneté moyenne minimale était remplie par les agents proposés au reclassement, à hauteur de 133 %, ce qui n’était pas le cas pour le grade AST 5, ladite condition n’y étant satisfaite qu’à hauteur de 92 %.

170    Deuxièmement, s’agissant du grade AD 6, le procès-verbal indique que deux postes étaient ouverts au reclassement pour les agents de ce grade, qu’un membre du comité de direction, B, a évoqué le cas de l’un des six agents éligibles, C, à qui il avait été offert un grade inférieur à celui correspondant à ses fonctions, et que B préconisait de le reclasser au grade supérieur. Le directeur exécutif a, de son côté, fait valoir que deux autres agents éligibles satisfaisaient aux critères avec un score élevé et devaient aussi être pris en compte, mais que trois agents ne pouvaient pas être reclassés dans ce grade et il a suggéré que, dans ce cas, « [ils] ne pouv[aient] pas déroger ». Il a toutefois finalement proposé que les trois agents les plus performants susmentionnés soient reclassés, en utilisant un poste du groupe supérieur pour reclasser C, proposition qu’a entérinée le comité de direction. Ce sont donc les mérites élevés de ces trois agents qui semblent avoir été déterminants et avoir justifié que la condition d’ancienneté moyenne dans le grade, non satisfaite par ces agents, mais non évoquée, soit écartée.

171    Troisièmement, s’agissant du grade AD 7, dans lequel 18 agents étaient éligibles, le procès-verbal se contente d’indiquer que le directeur exécutif a estimé que « la liste étendue des agents devrait être reclassée, afin de se conformer à la décision pour la catégorie AD 5 », et que, par conséquent, après avoir procédé à l’examen comparatif des mérites des agents éligibles, le comité de direction a convenu de proposer que les agents les plus performants soient reclassés. Or, s’agissant du grade AD 5, le procès-verbal indique que dix postes étaient ouverts au reclassement pour les neuf agents éligibles de ce grade, mais qu’aucun d’eux ne satisfaisait l’ancienneté dans le grade requise. Il est toutefois souligné que certains d’entre eux avaient atteint des scores très élevés, que le directeur exécutif a proposé que ceux qui avaient des mérites comparativement égaux soient tous reclassés ou qu’aucun d’eux ne le soit et que le comité de direction a pris la décision de proposer le reclassement des six agents les plus performants. Il ressort de ce qui précède que, comme pour les grades AD 5 et AD 6, ce sont les mérites élevés des agents éligibles du grade AD 7 qui semblent avoir été déterminants dans la proposition, puis le reclassement, de ces derniers.

172    Quatrièmement, s’agissant du grade GFIV 14, le procès-verbal indique ce qui suit :

–        A a considéré que seul l’aspect budgétaire devait être gardé à l’esprit, que l’avancement de grade était négligé et que l’eu-LISA allait appliquer une approche plus modérée en matière de reclassement lors de l’exercice 2021 ;

–        un autre membre du comité de direction, D, a considéré qu’une sévère critique était à prévoir s’ils continuaient à reclasser trop d’agents, que les agents avaient été informés des changements dans le processus de reclassement et qu’ils devaient donc agir en conséquence ;

–        le directeur exécutif a demandé la note d’évaluation globale des agents les plus performants et répondu que l’année 2020 avait été une année exceptionnelle, lors de laquelle de nombreux agents avaient fait un effort supplémentaire dont il devait être tenu compte, ce qui constituait une bonne raison pour appliquer des exceptions, et que la performance et la motivation des agents étaient plus importantes que les statistiques ;

–        E, un autre membre du comité de direction, a souligné que le seuil de reclassement serait similaire à celui de l’année antérieure, ce à quoi D a objecté que les nouveaux arrivants n’étaient pas éligibles ;

–        à l’issue de ces discussions, le comité de direction, après avoir procédé à l’examen comparatif des mérites, a proposé le reclassement des cinq agents les plus performants.

173    Ainsi, il ressort de ce qui précède que, comme pour les grades AD 5 à AD 7, ce sont les mérites élevés des agents éligibles du grade GFIV 14 qui ont finalement été déterminants dans la proposition, puis le reclassement, de ces derniers.

174    En troisième lieu, la question de la satisfaction de la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade n’a été explicitement discutée par le comité de direction que dans deux des six grades dans lesquels des agents ont été proposés par ledit comité et reclassés par l’AHCC, et pour lesquels les propositions dudit comité ne satisfaisaient pas cette condition, à savoir les grades AD 5 (voir point 171 ci-dessus) et AD 8.

175    S’agissant du grade AD 8, le procès-verbal indique ce qui suit:

–        A a souligné que l’ancienneté moyenne dans le grade n’était pas satisfaite et que le taux des promotions y avait été jusqu’alors élevé ; il a ajouté qu’il convenait d’éviter des reclassements dans ce grade élevé, alors que le rythme des reclassements dans le grade supérieur, AD 9, avait été significativement ralenti ; D a souligné à cet égard que l’eu-LISA avait informé son personnel de son approche plus stricte concernant l’ancienneté moyenne dans le grade ;

–        F, un autre membre du comité de direction, était toutefois en désaccord, arguant qu’un mauvais signe serait envoyé aux agents de ce grade si aucun n’était reclassé ; il a également soutenu l’un de ces agents, avançant qu’il avait été reclassé une fois avant ; c’est cet agent qui a été reclassé dans ce grade à l’issue de l’exercice 2021 ;

–        après avoir d’abord suggéré de ne reclasser personne dans ce grade, le directeur exécutif a finalement décidé d’introduire une exception pour les trois agents les plus performants et cette décision a été entérinée par le comité de direction ;

–        après vérification des dossiers des agents, la proposition de reclassement dans ce grade a été ramenée à deux agents, le troisième étant exclu en raison de sa note évaluant ses performances globales.

176    Il ressort ainsi du procès-verbal que, dans les grades AD 5 et AD 8 (voir points 171 et 175 ci-dessus), la position du comité de direction est clairement contraire à celle adoptée pour les grades AST 4, AST 7, GFIV 16 et AD 9, évoquée aux points 165 et 166 ci-dessus, et rejoint celle suivie dans les grades AD 6, AD 7 et GFIV 14, rappelés aux points 170 à 172 ci-dessus, en mettant l’accent sur les mérites élevés des agents sélectionnés.

177    C’est donc ce critère des mérites qui a, d’une part, été déterminant dans le reclassement des agents dans les grades AD 5 à AD 8 et GFIV 14 et, d’autre part, justifié d’y écarter l’application de la condition d’ancienneté moyenne minimale.

178    Il ressort également du procès-verbal que le directeur exécutif fait partie de ceux qui étaient en faveur de cette position durant la réunion du 25 novembre 2021. Ce dernier a d’ailleurs réaffirmé en substance cette approche quatre jours plus tard, dans un courriel du 29 novembre 2021 (ci-après le « courriel du 29 novembre 2021 ») répondant au service des ressources humaines de l’eu-LISA qui avait demandé de réduire le nombre d’agents qui avaient été proposés au reclassement par le comité de direction dans les grades AD 5, AD 7, AD 8 et « GFIV ».

179    Dans le courriel du 29 novembre 2021, le directeur exécutif a indiqué qu’il était nécessaire de reconnaître la contribution des agents durant l’année très difficile qu’avait été l’année 2020, qu’il assumait la responsabilité du fait que les « statistiques ne sembl[ai]ent peut-être pas parfaites » et préférait que les agents voient leurs efforts reconnus plutôt que l’eu-LISA se concentre à titre principal sur l’obtention de « statistiques plus attrayantes », qu’il estimait qu’atteindre cette exigence prendrait du temps, mais qu’il serait parti en 2022 et que son successeur pourrait adopter une autre approche.

180    Ces motifs, centrés sur le souci de récompenser les agents ayant fourni des efforts, tout particulièrement dans le contexte de l’année difficile qu’avait été l’année 2020, ne font toutefois référence à aucun des grades dans lesquels la condition relative à l’ancienneté moyenne minimale n’a pas été appliquée.

181    Or, la mise en avant des mérites élevés des agents choisis pour être reclassés ou le souci général de récompenser leurs efforts durant la pandémie de COVID-19 (ci-après la « pandémie ») n’a pas été retenue ni pour le requérant ni pour les agents appartenant au grade de ce dernier, alors que le dossier montre pourtant les mérites élevés du requérant ainsi que son rôle déterminant et salué par sa hiérarchie durant cette pandémie.

182    À cet égard, l’eu-LISA a souligné que la note de reclassement du requérant (13,2 sur 14) représentait le second score le plus élevé en son sein lors de l’exercice 2021. Cette note reflète les mérites élevés ressortant de ses rapports d’évaluation annuels de 2020 (ci-après le « rapport 2020 ») et de 2021 (ci-après le « rapport 2021 ») pris en compte dans le cadre de l’exercice 2021.

183    Le rapport 2021 indique d’abord que le requérant a excédé les objectifs qui lui avaient été assignés et le rapport 2020 qu’il les avait partiellement dépassés l’année précédente. Ces deux rapports spécifient en outre que sa conduite, son rendement et sa compétence avaient excédé partiellement les attentes de l’eu-LISA. Le requérant s’est ainsi vu attribuer, dans le cadre de la procédure de reclassement, 5,2 points, sur un maximum de 6, au titre de ces critères.

184    Les rapports 2020 et 2021 précisent ensuite que la contribution du requérant est allée au-delà des responsabilités qui lui étaient assignées et que cette contribution a eu un impact significatif sur l’organisation de l’eu-LISA. Ce dernier a, à ce titre, obtenu le nombre de points maximal (3 points) évaluant ces critères dans le cadre de la procédure de reclassement.

185    Dans le cadre de cette procédure, le requérant a également obtenu le nombre maximal de points au titre, d’une part, de sa contribution à la collaboration entre les secteurs, les unités et les départements, des valeurs et du niveau des responsabilités (4,5 points) et, d’autre part, pour avoir soumis à temps sa déclaration sur les conflits d’intérêts (0,5 point).

186    Enfin, le rapport 2021 souligne que l’année 2020, sur laquelle portait ledit rapport, avait été difficile, mais que le requérant avait su s’adapter rapidement aux nouveaux besoins liés à la pandémie, en accélérant le processus de numérisation et le déploiement de nouvelles solutions, en citant à titre d’exemples l’amélioration des connexions sur un réseau privé virtuel (VPN) et la finalisation de l’amélioration des systèmes de visioconférence. Ce rapport ajoute, d’une part, que ces chantiers ont été conduits à partir d’analyses, de discussions ou de médiations appropriées avec les parties prenantes internes, dans les règles, et après obtention des approbations requises, et, d’autre part, que le requérant a réussi à maintenir une forte motivation du personnel de son unité et à entretenir de bonnes relations avec les chefs des autres départements concernés.

187    Il ressort de ce qui précède que, si les mérites des agents des grades AD 5 à AD 8 et GFIV 14 ont primé sur l’ancienneté moyenne minimale dans ces grades et justifié que ces agents soient récompensés par un reclassement, rien n’explique pourquoi le critère des mérites a été appliqué de manière différente au requérant. On ne trouve en effet dans le dossier aucune justification à la différence de traitement entre les agents méritants de ces grades, dont certains ont été reclassés sans atteindre l’ancienneté moyenne minimale dans leur grade, et le requérant qui était aussi très méritant, comme cela ressort de la note de reclassement qui lui a été attribuée et de l’appréciation élogieuse résultant de ses rapports 2020 et 2021.

188    De même, la volonté exprimée par le directeur exécutif de récompenser les agents qui avaient déployé de gros efforts pour surmonter la crise exceptionnelle due à la pandémie aurait aussi pu bénéficier au requérant, le rapport 2021 soulignant la contribution à cet égard de ce dernier (voir point 186 ci-dessus).

189    Ainsi, les éléments du dossier ne permettent pas de justifier la différence de traitement de la situation du requérant par rapport au traitement réservé aux agents pour lesquels la condition d’ancienneté moyenne minimale dans le grade n’était pas satisfaite. En particulier, une différence d’approche sensible a été suivie à cet égard entre les grades AD 8 et AD 9, deux grades voisins, que le procès-verbal a qualifiés d’élevés.

190    En outre, si l’objectif recherché par l’eu-LISA était de récompenser les agents les plus méritants et ceux dont la contribution avait été significative durant la pandémie, la différence de traitement observée au détriment du requérant est disproportionnée au regard du niveau de ses mérites et de sa note de reclassement, de sa contribution significative lors de la pandémie et du fait qu’au moins trois postes avaient été ouverts aux agents de son grade pour être reclassés.

191    Il ressort de ce qui précède que l’eu-LISA n’a pas appliqué de manière égale la condition d’ancienneté moyenne minimale entre les grades et n’a pas avancé de motifs suffisants permettant de justifier objectivement cette inégalité.

192    Dans ces conditions, il y a lieu de constater, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments invoqués à l’appui de ce grief, que la décision attaquée est entachée d’une violation du principe d’égalité de traitement.

193    Il convient donc d’accueillir le premier grief et, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second grief, d’annuler la décision attaquée.

194    Par conséquent, il convient de faire droit aux conclusions en annulation.

 Sur les conclusions indemnitaires

195    Le requérant demande au Tribunal de condamner l’eu-LISA au paiement de dommages et intérêts d’un montant de 3 000 euros à titre de réparation d’un préjudice moral détachable de l’illégalité susceptible de fonder l’annulation.

196    Le requérant estime à cet égard que cette annulation n’est pas susceptible de compenser intégralement ce préjudice, car, pour des raisons analogues à celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE (T‑843/19, EU:T:2021:221), l’illégalité commise ne pourra pas être aisément corrigée de manière rétroactive.

197    L’eu-LISA conclut au rejet de la demande indemnitaire.

198    À cet égard, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une demande indemnitaire formulée par un fonctionnaire ou par un agent, la responsabilité de l’Union suppose la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement illégal et le préjudice invoqué (voir arrêts du 16 décembre 2010, Commission/Petrilli, T‑143/09 P, EU:T:2010:531, point 45 et jurisprudence citée, et du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 84 et jurisprudence citée).

199    Par ailleurs, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé, à moins que la partie requérante ne démontre avoir subi un préjudice moral insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir, en ce sens, ordonnance du 3 septembre 2019, FV/Conseil, C‑188/19 P, non publiée, EU:C:2019:690, point 26, et arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, point 86 et jurisprudence citée).

200    En l’espèce, le requérant attribue le préjudice moral qu’il allègue, d’une part, à l’inégalité de traitement invoquée dans le troisième moyen et, d’autre part, à l’ouverture d’une enquête administrative à son égard à la suite d’une plainte relative à une violation alléguée de l’article 12 du statut.

201    Premièrement, les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE (T‑843/19, EU:T:2021:221), dans laquelle la partie requérante a été indemnisée pour un préjudice lié à son non-reclassement, étaient significativement différentes de la présente affaire, puisque, avant le recours de la partie requérante, le Comité économique et social européen (CESE) n’avait mis en place aucune procédure transparente de reclassement (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2021, Correia/CESE, T‑843/19, EU:T:2021:221, points 49, 60, 69 et 88). Tel n’est pas le cas dans la présente affaire.

202    Deuxièmement, dans la mesure où la demande indemnitaire est fondée sur l’une des illégalités invoquées à l’appui des conclusions en annulation, à savoir l’inégalité de traitement, elle présente à cet égard un lien étroit avec celles-ci. En effet, en l’absence de précision sur la nature exacte du préjudice découlant de cette inégalité, ce préjudice se confond avec l’absence de reclassement du requérant. L’existence d’un préjudice moral insusceptible d’être intégralement réparé par cette annulation n’est donc pas démontrée.

203    Troisièmement, le requérant demande réparation en se fondant sur le prétendu lien entre son absence de reclassement et l’enquête administrative visée au point 200 ci-dessus dont il a fait l’objet durant la procédure de reclassement et qui s’est finalement conclue par un rejet de la plainte après l’adoption de la décision attaquée. Il avance que les auteurs de cette décision ont pu se montrer réticents à le reclasser en raison de cette enquête. Or, le requérant n’a apporté aucun élément démontrant l’existence du lien allégué entre ladite enquête et son absence de reclassement. Il ne saurait donc être indemnisé à ce titre.

204    Par conséquent, l’annulation de la décision attaquée constitue en elle-même la réparation adéquate et suffisante du préjudice moral causé par la violation du principe d’égalité de traitement, de sorte qu’il y a lieu de rejeter les conclusions indemnitaires du requérant.

205    Le recours doit donc être accueilli en ce qu’il tend à l’annulation de la décision attaquée et rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

206    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie. Néanmoins, en vertu de l’article 135, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

207    En l’espèce, l’eu-LISA ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il sera fait une juste appréciation de la cause en décidant qu’elle supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de l’Agence de l’Union européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (eu-LISA) du 22 décembre 2021 de ne pas reclasser QN au terme de l’exercice de reclassement de l’année 2021 est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’eu-LISA est condamnée aux dépens.

Porchia

Madise

Nihoul

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 novembre 2023.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Conclusions des parties

En droit

Sur l’objet du recours

Sur les conclusions en annulation

Sur le cadre juridique applicable

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de la clause des taux multiplicateurs, figurant à l’article 5, paragraphe 8, des DGE

– Sur la prise en compte de l’annexe I, section B, du statut et de l’annexe II des DGE

– Sur le non-respect de la condition d’ancienneté moyenne minimale dans les autres grades

– Sur l’application du principe de l’interprétation conforme

Sur le deuxième moyen, tiré, à titre subsidiaire, d’une exception d’illégalité dirigée contre la clause des taux multiplicateurs

– Sur la violation de l’article 45 du statut, de l’article 54 du RAA, de l’article 4 des DGE et du principe de reclassement fondé sur les mérites

– Sur la violation de la condition d’éligibilité de deux ans dans le grade

Sur le troisième moyen, tiré, à titre très subsidiaire, d’une violation du principe d’égalité de traitement et d’une erreur manifeste d’appréciation

Sur les conclusions indemnitaires

Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.