Language of document : ECLI:EU:T:2021:649

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

6 octobre 2021 (*)

« Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Services de traduction – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire – Attribution du marché à un autre soumissionnaire – Critères d’attribution – Format de téléchargement du fichier fourni lors d’une épreuve »

Dans l’affaire T‑7/20,

Global Translation Solutions ltd., établie à La Valette (Malte), représentée par Me C. Mifsud-Bonnici, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mmes E. Taneva et K. Wójcik, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision contenue dans la lettre du Parlement du 28 octobre 2019 portant rejet de l’offre soumise par la requérante pour le lot no 15 dans le cadre de la procédure d’appel d’offres TRA/EU19/2019 ainsi que de la décision contenue dans la lettre du Parlement du 4 décembre 2019 portant attribution du marché à un autre soumissionnaire,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. A. M. Collins, président, Z. Csehi et Mme G. Steinfatt (rapporteure), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Le 18 mars 2019, par un avis de marché publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2019/S 054‑123613), tel que complété et rectifié par un avis publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2019/S 060‑137775) du 26 mars 2019, le Parlement européen a lancé la procédure ouverte TRA/EU19/2019, visant à passer des marchés publics pour la fourniture de services de traduction.

2        Le 15 avril 2019, la requérante, Global Translation Solutions ltd., a déposé, notamment, une offre pour le lot no 15 de l’appel d’offres, correspondant à la traduction de textes juridiques de l’anglais, du français, de l’allemand, de l’italien et de l’espagnol vers le maltais. Le 6 juin 2019, elle a passé l’épreuve de gestion d’un projet de traduction prévue par le cahier des charges pour le lot no 15 (ci-après l’« épreuve litigieuse »).

3        Par lettre du 28 octobre 2019, communiquée à la requérante par courrier électronique du 29 octobre suivant, le directeur général de la direction générale (DG) de la traduction du Parlement a informé la requérante que son offre avait été rejetée (ci-après la « décision de rejet »). Le motif avancé était que le document qu’elle avait fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse était au format Word DOC, alors que le format imposé était le format Word DOCX, méconnaissant ainsi l’un des sous-critères de forme présentant un caractère éliminatoire.

4        Par lettre du 15 novembre 2019, la requérante a envoyé une demande d’informations complémentaires au directeur général de la DG de la traduction du Parlement et invité ce dernier à reconsidérer la décision de rejet.

5        Par lettre du 4 décembre 2019, le Parlement a informé la requérante qu’il maintenait sa décision et lui a fait parvenir des informations complémentaires concernant les résultats de son offre, y compris la description de la méthodologie utilisée pour l’évaluation de l’épreuve litigieuse, les résultats détaillés de cette épreuve et des tableaux indiquant le classement des soumissionnaires (ci-après la « décision d’attribution »).

6        Par lettre du 5 décembre 2019, le Parlement a confirmé la décision de rejet.

7        Par courrier électronique du 20 décembre 2019, la requérante a contesté la décision d’attribution et invité le Parlement à annuler la procédure d’appel d’offres pour le lot no 15, au motif qu’un seul soumissionnaire avait été retenu.

8        Dans sa réponse du 13 février 2020, le Parlement a rejeté la demande d’annulation de la procédure d’appel d’offres pour le lot no 15, au motif que le libellé de l’avis de marché ne pouvait être interprété comme imposant une obligation d’annuler ladite procédure lorsqu’il ne pouvait être attribué qu’un seul contrat-cadre par lot.

II.    Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 janvier 2020, la requérante a introduit le présent recours.

10      Le 21 avril 2020, le Parlement a déposé le mémoire en réponse au greffe du Tribunal.

11      La réplique et la duplique ont été déposées au greffe du Tribunal, respectivement, le 15 juillet et le 13 octobre 2020.

12      Le Tribunal (troisième chambre) a décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure.

13      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de rejet ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision d’attribution ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

14      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

15      À l’appui de sa demande d’annulation de la décision de rejet, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une appréciation erronée des faits ainsi que d’une violation du principe de non-discrimination et, le second, d’une violation des principes généraux régissant les marchés publics et du principe général de bonne administration. À l’appui de sa demande, invoquée à titre subsidiaire, d’annulation de la décision d’attribution, la requérante invoque un troisième moyen, tiré d’une violation des principes généraux régissant les marchés publics, à savoir les principes d’autolimitation, d’égalité de traitement et de transparence.

A.      Sur la demande d’annulation de la décision de rejet

1.      Sur le premier moyen, tiré d’une appréciation erronée des faits ainsi que d’une violation du principe de non-discrimination

a)      Arguments des parties

16      Par son premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, que l’appréciation du Parlement, formulée dans la décision de rejet, selon laquelle le format du document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse n’était pas conforme aux instructions relatives à l’épreuve de gestion d’un projet de traduction, se fonde sur une appréciation erronée des faits, violant en outre le principe de non-discrimination dans le cadre des procédures de passation de marchés.

17      En premier lieu, la requérante soutient que le libellé des instructions relatives à l’épreuve de gestion d’un projet de traduction n’est pas suffisamment clair, précis et univoque pour exiger que le document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse soit téléchargé au format DOCX.

18      Premièrement, la requérante fait observer que l’exigence selon laquelle les documents de marché et, en particulier, les conditions et les modalités de la procédure d’attribution doivent être formulés de manière claire, précise et univoque découle des principes généraux d’égalité de traitement, de développement d’une concurrence réelle et de transparence, tels que codifiés à l’article 102, paragraphe 1, et à l’article 105 du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1). Toutefois, la mention du format de fichier DOCX en rapport avec le format Word n’apparaîtrait qu’à une seule reprise dans ces instructions. En revanche, le terme « word » serait mentionné à quatre autres reprises sans que soit spécifiée l’exigence d’un format de fichier particulier, à savoir DOC ou DOCX. Or, la mention du format Word en soi pourrait être interprétée comme faisant référence à la fois aux formats DOC et DOCX. Pour chaque lot, l’épreuve correspondante aurait été réalisée par une personne différente, de sorte que le fait que les personnes ayant passé les épreuves pour d’autres lots aient fourni pour ces épreuves des documents au format DOCX ne signifierait pas que l’exigence ait été formulée de manière claire pour la personne ayant passé l’épreuve litigieuse.

19      Deuxièmement, la requérante conteste l’allégation du Parlement selon laquelle le cahier des charges prévoyait que l’épreuve litigieuse visait, notamment, à évaluer la capacité de l’opérateur économique à tenir compte des spécifications du client concerné, telles que des instructions spécifiques, des guides de rédaction et de la terminologie, lors du traitement d’une commande. En effet, l’instruction du Parlement selon laquelle le document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse devait l’être au format DOCX ne pourrait être considérée comme spécifique dans le contexte des instructions relatives à l’épreuve de gestion d’un projet de traduction. En outre, les autres instructions spécifiques relatives à cette épreuve auraient été respectées.

20      En deuxième lieu, selon la requérante, en termes d’exigences fonctionnelles, le document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOC aurait dû être accepté comme étant équivalent à un document fourni au format DOCX, de sorte que, en refusant de l’accepter, le Parlement a violé l’article 105 du règlement no 966/2012 et l’article 139 du règlement délégué (UE) no 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement no 966/2012 (JO 2012, L 362, p. 1, ci-après le « règlement d’application »), ainsi que les principes généraux applicables aux marchés publics et, plus précisément, le principe de non-discrimination.

21      Selon la requérante, l’obligation de transmettre le document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOCX constitue une spécification technique, et non un critère d’attribution. En fait, cette obligation serait une expression des « spécifications techniques » sélectionnées par le Parlement et que la prestation de service sollicitée serait tenue de respecter. Par conséquent, il serait fallacieux de la part de ce dernier de soutenir que, étant donné que l’exigence de fournir le texte traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOCX était incluse dans les instructions relatives à ladite épreuve, elle devrait formellement être considérée comme un critère d’attribution. En tout état de cause, les principes généraux qui gouvernent les marchés publics tels que contenus dans l’article 160, paragraphe 1, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1), à savoir, notamment, les principes de non-discrimination, d’égalité de traitement et de développement d’une concurrence réelle, qui résulteraient également des traités ainsi que de la jurisprudence en la matière, seraient valables, qu’il s’agisse d’un critère de sélection, d’une spécification technique ou encore d’un critère d’attribution.

22      En outre, le fait que le document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse l’ait été au format DOC et non au format DOCX serait sans intérêt, puisque ces deux formats seraient, sur le plan fonctionnel, équivalents, surtout dans le contexte spécifique de l’épreuve litigieuse. Le document fourni dans le cadre de cette dernière respecterait, dans son intégralité, les exigences de formatage concernant la structure, la mise en page ainsi que la présentation du document source, de sorte qu’il n’existerait aucune différence matérielle entre ces deux formats de fichier. Aucune des différences relevées par le Parlement ne porterait atteinte à l’objectif poursuivi par l’appel d’offres. En outre, le fait que des interventions techniques supplémentaires soient nécessaires n’enlèverait rien à la capacité d’une solution technique qui viendrait en remplacement d’une solution technique spécifiée dans un document de marché à atteindre la même capacité que cette solution sur le plan fonctionnel ou de la performance.

23      La requérante précise que, en pratique, il est courant que le Parlement demande au contractant de transmettre à nouveau un travail dans un format correct si celui-ci a été transmis dans un format incorrect, ce qui est également expressément prévu dans les spécifications techniques figurant dans le cahier des charges, sous la rubrique « Demande d’une nouvelle livraison ». En alléguant que la requérante serait la seule candidate à avoir fourni le texte traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOC, le Parlement reconnaîtrait lui-même que formuler une telle demande n’aurait pas constitué pour lui une « charge ».

24      Le Parlement conteste l’argumentation de la requérante.

25      Le Parlement prétend qu’il ressort clairement du cahier des charges et des instructions relatives à l’épreuve de gestion d’un projet de traduction que le respect du format DOCX constitue un sous-critère de forme à caractère éliminatoire.

26      Entre les formats DOCX et DOC, il existerait des différences importantes, de sorte qu’ils ne pourraient être considérés comme étant équivalents. Contrairement au format DOC, la possibilité de lire et d’écrire au format « Office Open XML » ne se limiterait pas à la suite Microsoft Office. Les documents au format DOCX pourraient être lus par quasiment tout logiciel complet de traitement de texte, y compris par des outils en ligne, car il s’agirait d’une norme ouverte. En revanche, selon la plateforme utilisée, il y aurait des difficultés pour l’utilisateur lorsqu’il essaierait d’ouvrir un document au format DOC.

27      La conversion du format DOC au format DOCX aurait demandé une intervention manuelle des services du Parlement qui se serait traduite par une « charge » pour le Parlement, alors qu’il aurait dû examiner un grand nombre de candidatures. En outre, selon les exigences de bonne qualité définies par l’appel d’offres, le projet de traduction fourni devrait être prêt à l’emploi et ne pas nécessiter de corrections. Le contractant devrait suivre toute instruction spécifique et la traduction fournie devrait l’être dans le format convenu.

28      En tout état de cause, la requérante confondrait la notion de « spécifications techniques » et celle de « critères d’attribution ». Le format requis pour le document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse ne constituerait pas une spécification technique, dans la mesure où il aurait pour objet d’évaluer le meilleur candidat conformément aux critères d’attribution, et non de spécifier les exigences à respecter durant l’exécution du contrat. Il constituerait un critère éliminatoire servant à évaluer la capacité d’un soumissionnaire à suivre des instructions claires. Ni le règlement 2018/1046 ni la jurisprudence n’imposeraient, pour les critères d’attribution, un principe d’équivalence fonctionnelle.

29      Selon le Parlement, s’il avait accepté une offre transmise au format DOC, il aurait violé les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en favorisant un soumissionnaire qui n’avait pas déployé les mêmes efforts pour comprendre les conditions de l’appel d’offres et pour présenter le texte traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOCX. Par ailleurs, selon les documents de l’appel d’offres, il ne pourrait user de la faculté qui lui est offerte de demander la correction d’une traduction donnée qu’en cours de contrat, et non à l’occasion de l’épreuve litigieuse.

b)      Appréciation du Tribunal

30      À titre liminaire, il y a lieu de constater que la procédure d’appel d’offres litigieuse n’est pas régie par le règlement no 966/2012, mais par le règlement 2018/1046, comme la requérante l’admet d’ailleurs dans la réplique. En effet, la procédure d’appel d’offres a été lancée le 18 mars 2019, soit à une date postérieure à celle à partir de laquelle est devenu applicable le règlement 2018/1046, soit le 2 août 2018, selon son article 282, paragraphe 2.

1)      Sur le caractère clair et univoque des instructions

31      L’article 160, paragraphe 1, du règlement 2018/1046 dispose que tous les marchés financés totalement ou partiellement par le budget de l’Union européenne respectent les principes de transparence, de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination. Selon une jurisprudence constante, le pouvoir adjudicateur est tenu de veiller, à chaque phase d’une procédure d’appel d’offres, au respect du principe d’égalité de traitement et, par voie de conséquence, à l’égalité des chances de tous les soumissionnaires (arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 108 ; voir, également, arrêts du 14 juillet 2016, Alesa/Commission, T‑99/14, non publié, EU:T:2016:413, point 61 et jurisprudence citée, et du 16 octobre 2018, Proof IT/EIGE, T‑10/17, non publié, EU:T:2018:682, point 33 et jurisprudence citée).

32      Il ressort également de la jurisprudence que le principe d’égalité de traitement implique une obligation de transparence afin de permettre de vérifier son respect (arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 109 ; du 14 juillet 2016, Alesa/Commission, T‑99/14, non publié, EU:T:2016:413, point 63, et du 9 avril 2019, Close et Cegelec/Parlement, T‑259/15, non publié, EU:T:2019:229, point 70).

33      Ce principe de transparence a essentiellement pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et de comportement arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Il implique que toutes les conditions et les modalités de la procédure de passation de marché soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de façon, d’une part, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, d’autre part, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier si effectivement les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause (arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 111 ; du 14 juillet 2016, Alesa/Commission, T‑99/14, non publié, EU:T:2016:413, point 64, et du 4 juillet 2016, Orange Business Belgium/Commission, T‑349/13, non publié, EU:T:2016:385, point 50). À cet égard, la Cour a précisé que, afin de vérifier si le soumissionnaire concerné était effectivement incapable de comprendre les critères d’attribution en cause ou s’il aurait dû les comprendre en appliquant le standard d’un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent, devait être pris en compte le fait que le soumissionnaire concerné et les autres soumissionnaires aient été capables de soumettre des offres et que le soumissionnaire concerné, avant la soumission de son offre, n’ait pas demandé d’éclaircissements au pouvoir adjudicateur (voir arrêt du 12 mars 2015, eVigilo, C‑538/13, EU:C:2015:166, points 54 à 56 et jurisprudence citée ; arrêt du 4 octobre 2018, Proof IT/EIGE, T‑914/16, non publié, EU:T:2018:650, point 97).

34      Selon l’article 166, paragraphe 2, du règlement 2018/1046, le pouvoir adjudicateur précise, dans les documents de marché, les critères d’exclusion, de sélection et d’attribution applicables. Selon une jurisprudence constante, le pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de prendre la décision de passer un marché à la suite d’un appel d’offres et le contrôle du Tribunal doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir. Ce large pouvoir d’appréciation est reconnu au pouvoir adjudicateur tout au long de la procédure de passation du marché, y compris en ce qui concerne le choix et l’évaluation des critères de sélection et d’attribution (voir arrêts du 17 septembre 2015, Ricoh Belgium/Conseil, T‑691/13, non publié, EU:T:2015:641, point 31 et jurisprudence citée, et du 4 juillet 2016, Orange Business Belgium/Commission, T‑349/13, non publié, EU:T:2016:385, point 45 et jurisprudence citée).

35      En particulier, le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse laisse aux pouvoirs adjudicateurs le choix des critères d’attribution du marché qu’ils entendent retenir, à condition que ces critères visent à identifier l’offre économiquement la plus avantageuse et qu’ils ne confèrent pas au pouvoir adjudicateur une liberté inconditionnée de choix pour l’attribution du marché à un soumissionnaire (voir, par analogie, arrêt du 4 décembre 2003, EVN et Wienstrom, C‑448/01, EU:C:2003:651, point 37 et jurisprudence citée). Les pouvoirs adjudicateurs sont libres non seulement de choisir les critères d’attribution du marché, mais également de déterminer la pondération de ceux-ci, pour autant qu’elle permette une évaluation synthétique des critères retenus afin d’identifier l’offre économiquement la plus avantageuse (voir, par analogie, arrêt du 4 décembre 2003, EVN et Wienstrom, C‑448/01, EU:C:2003:651, point 39). Les critères d’attribution doivent être expressément mentionnés dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché, si possible dans l’ordre décroissant de l’importance qui leur est attribuée, afin que les entrepreneurs soient mis en mesure d’avoir connaissance de leur existence et de leur portée (voir, par analogie, arrêts du 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland, C‑513/99, EU:C:2002:495, point 62, et du 24 novembre 2005, ATI EAC e Viaggi di Maio e.a., C‑331/04, EU:C:2005:718, point 23). De tels critères doivent également respecter tous les principes fondamentaux du droit de l’Union et, notamment, le principe de non-discrimination (voir, par analogie, arrêts du 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland, C‑513/99, EU:C:2002:495, point 63, et du 24 novembre 2005, ATI EAC e Viaggi di Maio e.a., C‑331/04, EU:C:2005:718, point 21).

36      L’article 167, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement 2018/1046 dispose que, pour attribuer les marchés, le pouvoir adjudicateur se fonde sur l’offre économiquement la plus avantageuse, en fonction de l’une des trois méthodes d’attribution suivantes : le prix le plus bas, le coût le plus bas ou le meilleur rapport qualité-prix. Selon le troisième alinéa de cette même disposition, pour déterminer le meilleur rapport qualité-prix, le pouvoir adjudicateur tient compte du prix ou du coût et d’autres critères de qualité liés à l’objet du marché. Les critères d’attribution qualitatifs doivent donc être liés à l’objet du marché.

37      En l’espèce, le cahier des charges prévoyait, à la page 34 et sous l’intitulé « Critères d’attribution », que le marché était attribué à l’offre qui présentait le meilleur rapport qualité-prix. Il précisait quels critères seraient appliqués et prévoyait, en outre, pour chaque critère, la façon dont les points seraient accordés. Outre le critère de prix, permettant d’obtenir un maximum de 50 points, les critères d’attribution comprenaient un critère qualitatif permettant d’obtenir un maximum de 100 points. En ce qui concerne ce critère qualitatif, il était précisé qu’il consisterait en une épreuve de gestion d’un projet de traduction qui avait pour objectif, entre autres, l’évaluation de la gestion du projet en fonction, notamment, de l’aptitude du soumissionnaire à prendre en compte les spécifications du client, par exemple des instructions spécifiques, lors du traitement d’une tâche. À la page 35 du cahier des charges se trouvait la précision suivant laquelle « [l]es points de l’épreuve ser[aie]nt répartis entre [plusieurs] sous-critères », dont « des [s]ous-critères formels éliminatoires » prévoyant que soit octroyé « [un] point si le document traduit [était] livré dans le(s) format(s) de fichier demandé(s) » et « [zéro] point dans le cas contraire. ». Enfin, à la page 36 du cahier des charges, il était précisé de manière univoque que, si le soumissionnaire obtenait zéro point pour l’un des trois sous-critères éliminatoires formels, son offre serait rejetée. De surcroît, le pouvoir adjudicateur attirait expressément l’attention des soumissionnaires potentiels sur l’importance d’avoir lu attentivement les instructions relatives à l’épreuve de gestion d’un projet de traduction ainsi que sur le fait qu’il appartenait auxdits soumissionnaires de veiller à ce que toute personne participant à l’épreuve ait eu connaissance de ces instructions.

38      Dans les instructions relatives à l’épreuve de gestion d’un projet de traduction, il est expressément précisé que le format pour le téléchargement du fichier traduit est le format Word DOCX, cette exigence faisant partie de six exigences générales, dont la liste est dressée à la page 2 de ces instructions. En revanche, l’autre mention du format Word à laquelle la requérante fait référence et qui se trouve à la première page desdites instructions s’inscrit dans le contexte d’une description du déroulement de l’épreuve. Elle ne pouvait, dès lors, être comprise comme contenant une instruction selon laquelle la traduction pouvait être soumise dans un format Word quelconque, alors que l’instruction spécifique relative au format de fichier exigeait, de manière univoque, la soumission au format DOCX.

39      En ce qui concerne les trois autres mentions du format Word que la requérante a invoquées, il suffit de constater qu’elles ne présentent aucun lien avec le téléchargement du texte traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse. En effet, ces mentions se réfèrent soit au document source (page 1 des instructions relatives à l’épreuve de gestion d’un projet de traduction), soit au document de référence de base, y compris la version finale de ce document (page 5 desdites instructions), comme le précise d’ailleurs la requérante elle-même au point 32 de la requête.

40      Le cahier des charges précise aussi que la plupart des traductions sont produites au format DOCX, mais que certaines sont envoyées dans d’autres formats, qui y sont énumérés et parmi lesquels ne figure pas le format DOC.

41      La description du sous-critère de forme relatif au format de fichier requis ainsi que son caractère éliminatoire étaient donc suffisamment clairs pour que les soumissionnaires puissent comprendre ce qui était attendu d’eux. Partant, la requérante connaissait les critères d’attribution, y compris le sous-critère éliminatoire no 1, sous a), depuis la publication dudit cahier des charges. Malgré le fait que les instructions relatives à l’épreuve de gestion d’un projet de traduction lui accordaient la possibilité d’obtenir des informations supplémentaires en envoyant une demande par courrier électronique, la requérante n’a pas demandé d’éclaircissements au pouvoir adjudicateur au sujet de ce sous-critère. En outre, d’une part, les autres soumissionnaires ont été en mesure de soumettre des offres au format imposé sans demander d’éclaircissements sur ce sous-critère et, d’autre part, la requérante a elle-même déposé les épreuves pour les lots nos 12 et 13 au format de fichier DOCX. Il s’ensuit que l’argument de la requérante selon lequel les critères d’attribution, et notamment le sous-critère de forme éliminatoire relatif au format de fichier requis, n’étaient pas suffisamment clairs ne saurait prospérer.

42      Quant à l’argument de la requérante selon lequel le Parlement aurait dû la contacter pour lui demander la transmission d’un travail sous un format correct, il suffit de constater qu’il procède d’une confusion entre les obligations du soumissionnaire retenu et celles des candidats à l’appel d’offres. Comme le relève la requérante, cette possibilité de demander une nouvelle transmission d’un travail complété ou corrigé est expressément prévue dans les spécifications figurant dans le cahier des charges. En effet, ladite information se trouve sous l’intitulé « Exécution des contrats-cadres ». Il s’ensuit clairement qu’elle se réfère aux conditions d’exécution du contrat à conclure avec le soumissionnaire retenu, et non aux modalités applicables à l’épreuve à soumettre.

43      Pour ce qui concerne les critères d’attribution, dont le format requis pour le document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse, le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires, qui a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à un marché public, impose que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que celles-ci soient soumises aux mêmes conditions pour tous les soumissionnaires (arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 110 ; du 14 juillet 2016, Alesa/Commission, T‑99/14, non publié, EU:T:2016:413, point 62, et du 16 octobre 2018, Proof IT/EIGE, T‑10/17, non publié, EU:T:2018:682, point 34).

44      Si le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence s’opposent à l’exclusion d’un soumissionnaire à la suite du non-respect, par celui-ci, d’une obligation qui ne résulte pas expressément des documents afférents à cette procédure, ces mêmes principes ne sauraient, en principe, s’opposer à l’exclusion d’un opérateur économique de la procédure de passation d’un marché public en raison du non-respect, par celui-ci, d’une obligation expressément imposée, sous peine d’exclusion, par les documents afférents à cette procédure. Bien au contraire, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans l’hypothèse où des obligations étaient clairement imposées dans les documents relatifs au marché public sous peine d’exclusion, le pouvoir adjudicateur ne peut admettre des rectifications quelconques à des omissions auxdites obligations (voir, par analogie, arrêt du 2 mai 2019, Lavorgna, C‑309/18, EU:C:2019:350, points 20 à 22 et jurisprudence citée).

45      Conformément à ces principes, les renseignements fournis sur la procédure d’appel d’offres contenaient, sous la rubrique « Conditions générales de la participation à l’appel d’offres », l’information selon laquelle « tout contact entre le pouvoir adjudicateur et le soumissionnaire pendant la procédure [était] interdit, sauf, exceptionnellement, dans les conditions prévues à l’article 169 du règlement [2018/1046] ». Or, l’article 169, paragraphe 1, dudit règlement ne prévoit que la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de communiquer des informations complémentaires sur les documents de marché avant l’écoulement du délai fixé pour la réception des demandes de participation ou des offres s’il découvre une erreur ou une omission dans le texte ou à la demande des candidats ou des soumissionnaires. Le Parlement n’ayant pas été en présence d’un tel cas de figure, il lui était, en tout état de cause, interdit de contacter la requérante pour lui demander de lui retransmettre le travail dans le format requis. Il s’ensuit que c’est à bon droit qu’il avance qu’il aurait violé le principe d’égalité de traitement s’il avait permis à un soumissionnaire de fournir à nouveau le texte traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse dans un format correct, alors qu’il ressortait clairement des instructions relatives à l’épreuve de gestion d’un projet de traduction que la transmission du travail dans un format autre que celui qui était requis constituait un critère éliminatoire.

2)      Sur l’obligation du pouvoir adjudicateur d’accepter une solution équivalente en termes d’exigences fonctionnelles

46      Selon la requérante, en termes d’exigences fonctionnelles, le document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOC aurait dû être accepté comme étant d’un format équivalent au format DOCX, de sorte que, en refusant de l’accepter, le Parlement a violé l’article 105 du règlement no 966/2012 et l’article 139 du règlement d’application ainsi que les principes généraux applicables aux marchés publics et, plus précisément, le principe de non-discrimination.

47      L’article 166, paragraphe 2, du règlement 2018/1046 prévoit que le pouvoir adjudicateur précise, dans les documents de marché, les critères d’exclusion, de sélection et d’attribution applicables. Cette disposition reprend, en substance, l’article 105, premier alinéa, du règlement no 966/2012, invoqué par la requérante, qui prévoyait que les documents d’appel à la concurrence devaient fournir une description complète, claire et précise de l’objet du marché et préciser les critères d’exclusion, de sélection et d’attribution applicables au marché. Selon la jurisprudence, pour organiser le déroulement de la procédure d’appel d’offres, un pouvoir adjudicateur peut, en vue de l’application d’un critère d’attribution, se référer à une partie du cahier des charges relative à l’objet et au déroulement des contrats faisant l’objet de l’appel d’offres, aux fins d’évaluer, au vu d’un scénario de simulation en conditions réelles, les services présentés par les soumissionnaires dans leurs offres respectives (voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2014, European Dynamics Belgium e.a./EMA, T‑158/12, non publié, EU:T:2014:36, point 32).

48      Certes, le point 17 de l’annexe I du règlement 2018/1046 prévoit la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de fixer des spécifications techniques. Selon le point 17.1, second alinéa, de ladite annexe, les spécifications techniques contiennent les caractéristiques requises des services, notamment les exigences minimales, afin de s’assurer qu’ils répondent à l’usage auquel le pouvoir adjudicateur les destine. Concernant ces spécifications, les points 17.4 et 17.5 disposent effectivement que le pouvoir adjudicateur ne doit pas rejeter une offre qui, bien que non conforme auxdites spécifications, y satisfait d’une manière équivalente. Or, en l’espèce, l’exigence de fourniture du texte traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format requis ne constitue pas une telle spécification, à laquelle ne correspondrait pas l’offre de la requérante. En effet, le format imposé pour fournir le texte traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse n’est pas une caractéristique requise des services en vue desquels le pouvoir adjudicateur procède à la procédure d’appel d’offres. Comme cela a été démontré au point 37 ci-dessus, il s’agit au contraire d’un critère d’attribution éliminatoire dans le cadre de ladite épreuve qui n’a pas été respecté. L’obligation de fournir le texte traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOCX est certes une conséquence des spécifications techniques, dans la mesure où, selon le cahier des charges, le soumissionnaire retenu sera tenu de fournir les traductions effectuées soit au format du document source, soit au format demandé. Toutefois, il ne s’ensuit pas pour autant qu’elle constitue elle-même une spécification technique.

49      Il n’y a pas non plus lieu de transposer le principe d’équivalence fonctionnelle au critère qualitatif d’attribution que constitue l’épreuve de gestion d’un projet de traduction. Comme le relève à bon droit le Parlement, et comme il ressort du cahier des charges (voir point 37 ci-dessus), ladite épreuve avait pour objet d’évaluer les offres sur le plan qualitatif et servait, entre autres, à évaluer la capacité des soumissionnaires à tenir compte du cahier des charges et, notamment, des instructions spécifiques. En vue d’atteindre cet objectif, le sous-critère de forme relatif au format de fichier est en effet susceptible de permettre au Parlement d’évaluer certaines des compétences dont auront besoin les soumissionnaires aux fins de la bonne exécution du contrat. Comme le fait valoir le Parlement, dans le cahier des charges, il est indiqué, au titre des exigences de qualité, que les traductions livrées doivent être prêtes à l’emploi et ne pas nécessiter de corrections supplémentaires. Les spécifications techniques de l’annexe I du cahier des charges prévoient que les traductions achevées doivent être remises à l’institution concernée dans leur format d’origine ou dans le format demandé. Le Parlement a en outre expliqué que le format DOC n’était pas équivalent au format DOCX, dans la mesure où seul ce dernier format était compatible avec d’autres outils informatiques utilisés pour le traitement de textes. La requérante n’a donc même pas été en mesure de démontrer que le format dans lequel elle avait fourni le texte traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse était équivalent au format requis et, partant, que le Parlement devait, lors de l’exécution du contrat à conclure, accepter des travaux transmis dans ce format. S’il est donc indispensable, pour la bonne exécution du contrat, que le soumissionnaire transmette les travaux accomplis dans le format de fichier requis, il n’est pas disproportionné que le Parlement demande aux candidats lors de l’épreuve passée dans le cadre de la procédure d’appel d’offres de se conformer aux instructions relatives au format. En effet, si le Parlement était tenu d’accepter des solutions équivalentes lors du passage d’une épreuve, il serait privé de la possibilité d’évaluer la capacité d’un soumissionnaire à se conformer aux exigences spécifiques définies pour un projet de traduction, alors qu’il a démontré que cette capacité était nécessaire et que le format DOC n’était pas équivalent au format DOCX au regard des besoins du pouvoir adjudicateur.

50      En tout état de cause, comme la requérante le précise elle-même, l’obligation d’admettre des solutions équivalentes sur le plan fonctionnel vise notamment à permettre l’accès égal des soumissionnaires. Or, comme le prouvent les fichiers fournis dans le cadre des épreuves subies pour les autres lots, la requérante était en mesure de répondre à l’exigence formelle de fourniture de fichiers au format DOCX.

51      Il s’ensuit que l’argumentation de la requérante selon laquelle le Parlement aurait dû accepter le document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse comme étant équivalent d’un point de vue fonctionnel à celui qui aurait dû être fourni, en faisant valoir une violation des principes de non-discrimination, d’égalité de traitement, de développement d’une concurrence réelle et de proportionnalité, consacrés à l’article 160, paragraphe 1, du règlement 2018/1046, ne saurait prospérer.

52      Partant, le premier moyen, tiré d’une appréciation erronée des faits et d’une violation du principe de non-discrimination, doit être rejeté.

2.      Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des principes généraux régissant les marchés publics et du principe général de bonne administration

a)      Arguments des parties

53      En premier lieu, la requérante soutient que le Parlement a violé l’obligation d’agir de manière proportionnée qui lui était impartie, puisque le comité d’évaluation aurait eu le droit, voire l’obligation, de prendre contact avec elle pour corriger la prétendue erreur matérielle manifeste commise dans le cadre de l’épreuve litigieuse, en application de l’article 160, paragraphe 3, du règlement d’application. En se référant aux arrêts du 27 septembre 2002, Tideland Signal/Commission (T‑211/02, EU:T:2002:232), et du 10 décembre 2009, Antwerpse Bouwwerken/Commission (T‑195/08, EU:T:2009:491), la requérante souligne que le fait d’avoir sauvegardé l’épreuve litigieuse au format DOC et non au format DOCX était un oubli qui aurait aisément pu être corrigé et qui n’avait pas affecté la substance matérielle de ladite épreuve ou de l’offre soumise. Le principe de proportionnalité aurait obligé le Parlement soit à considérer que le fichier transmis au format DOC était équivalent sur le plan fonctionnel à un fichier au format DOCX, soit à permettre à la requérante de rectifier une erreur matérielle manifeste en fournissant un nouveau document dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOCX. Par conséquent, la décision de rejet ne serait ni nécessaire ni appropriée à la réalisation des objectifs immédiats de l’épreuve litigieuse et de l’objectif plus large de la procédure de passation de marché pour le lot no 15.

54      En deuxième lieu, la requérante estime que le fait de ne pas lui avoir demandé de clarification ou permis d’apporter une rectification démontre que le Parlement n’a pas respecté son obligation d’agir avec prudence lors de l’examen du contenu de chaque offre. Il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que le devoir de prudence, qui serait un principe de bonne administration consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, oblige l’institution compétente à examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce. Ce devoir existerait lorsque l’institution compétente dispose d’un pouvoir d’appréciation qui aurait été également reconnu aux institutions de l’Union dans les procédures de passation de marchés. Ledit devoir serait également illustré à l’article 96, paragraphe 2, du règlement no 966/2012, qui se fonderait expressément sur les principes généraux du droit administratif et qui prévoirait ainsi, à l’instar de l’article 160, paragraphe 3, du règlement d’application, que le comité d’évaluation a, en cas d’erreur matérielle manifeste commise dans une offre, l’obligation positive de demander des clarifications ou une rectification. L’allégation du Parlement selon laquelle la transmission du document traduit dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOC et non au format DOCX ne serait pas une erreur matérielle manifeste relèverait d’une appréciation erronée des faits qui aurait entraîné une violation du devoir de prudence lui incombant.

55      En réponse à l’argument du Parlement selon lequel le libellé impératif de l’article 96, paragraphe 2, du règlement no 966/2012 n’aurait pas été repris à l’article 151 du règlement 2018/1046, la requérante soutient, en substance, que cette constatation est manifestement erronée, dans la mesure où, d’une part, cette dernière disposition est rédigée en des termes contraignants et, d’autre part, le considérant 89 du règlement 2018/1046, bien qu’il reste subordonné à l’article 151 du même règlement, prévoit notamment que l’ordonnateur compétent doit pouvoir corriger une erreur matérielle manifeste ou demander au participant de corriger celle-ci, de sorte que, en cas de commission d’une telle erreur matérielle manifeste, le pouvoir adjudicateur devrait s’abstenir de pénaliser les soumissionnaires sans toutefois modifier de manière substantielle les documents relatifs à la demande.

56      En outre, la question du format de fichier serait une question de forme qui n’aurait pas d’incidence matérielle sur la substance de l’épreuve. La décision du Parlement de rejeter l’offre de la requérante serait disproportionnée en ce qu’il insisterait sur le fait que les spécifications du cahier des charges concernant le format de fichier Word devraient être interprétées comme un critère éliminatoire, alors qu’il ne représenterait qu’un point sur les 100 points attribués à l’épreuve.

57      Le Parlement conteste l’argumentation de la requérante.

58      Le Parlement soutient que l’article 151 du règlement 2018/1046, qui n’est pas rédigé en des termes impératifs, reconnaît au pouvoir adjudicateur la seule faculté de corriger des erreurs matérielles manifestes. Or, le format erroné du document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse ne pourrait être qualifié d’erreur matérielle manifeste, puisqu’il correspondrait à un sous-critère éliminatoire. Si le pouvoir adjudicateur avait invité le soumissionnaire à corriger le format du document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse, cela aurait donné lieu à une offre différente du point de vue des critères d’attribution. Ainsi, il aurait porté atteinte au principe de non-discrimination et d’égalité de traitement s’il avait contacté la requérante à propos de l’erreur commise dans le cadre de l’un des sous-critères d’attribution éliminatoires.

59      Le Parlement ajoute que le rejet de l’offre de la requérante au motif qu’elle n’avait pas remis la traduction prévue dans le cadre de l’épreuve litigieuse au format DOCX était proportionné à l’objet de cette épreuve, qui était d’évaluer les compétences dont auraient besoin les soumissionnaires aux fins de la bonne exécution du contrat. Dans le cahier des charges, il serait indiqué, au titre des exigences de qualité, que les traductions livrées devaient être prêtes à l’emploi et ne pas nécessiter de corrections supplémentaires. Les spécifications techniques de l’annexe I du cahier des charges prévoiraient que les traductions achevées devaient être remises à l’institution concernée dans leur format d’origine ou dans le format demandé.

b)      Appréciation du Tribunal

60      En vertu de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union. À cet égard, la jurisprudence a précisé qu’il appartenait à l’administration, en vertu du principe de bonne administration, d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents d’une affaire et de réunir tous les éléments de fait et de droit nécessaires à l’exercice de son pouvoir d’appréciation ainsi que d’assurer le bon déroulement et l’efficacité des procédures qu’elle mettait en œuvre (voir arrêt du 28 juin 2016, AF Steelcase/EUIPO, T‑652/14, non publié, EU:T:2016:370, point 57 et jurisprudence citée).

61      Aux termes du considérant 89 du règlement 2018/1046, conformément au principe de bonne administration, l’ordonnateur devrait demander des éclaircissements ou la production de documents manquants tout en respectant le principe d’égalité de traitement et sans modifier de manière substantielle les documents relatifs à la demande. L’ordonnateur devrait avoir la possibilité de décider dans des cas dûment justifiés de s’abstenir de procéder de la sorte. En outre, l’ordonnateur compétent devrait pouvoir corriger une erreur matérielle manifeste ou demander au participant de corriger celle-ci. Ainsi, l’article 151, premier alinéa, du règlement 2018/1046 énonce que l’ordonnateur compétent peut corriger des erreurs matérielles manifestes dans les documents relatifs à la demande, après confirmation du participant au sujet de la correction envisagée. Selon l’article 151, deuxième alinéa, de ce même règlement, lorsqu’un participant omet de présenter des pièces ou de remettre des relevés, le comité d’évaluation ou, le cas échéant, l’ordonnateur compétent demande au participant, sauf dans les cas dûment justifiés, de fournir les informations manquantes ou de clarifier les pièces justificatives.

62      Le principe de proportionnalité, également invoqué par la requérante, exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés. Ce principe impose au pouvoir adjudicateur, lorsqu’il est confronté à une offre ambiguë et qu’une demande de précisions sur le contenu de ladite offre permettrait de garantir la sécurité juridique de la même manière que le rejet immédiat de l’offre en question, de demander des précisions au candidat concerné, plutôt que d’opter pour le rejet pur et simple de l’offre de celui-ci (arrêt du 25 octobre 2012, Astrim et Elyo Italia/Commission, T‑216/09, non publié, EU:T:2012:574, point 24).

63      En l’espèce, premièrement, comme il a été constaté aux points 38 et 41 ci-dessus, l’exigence consistant à fournir dans le cadre de l’épreuve litigieuse le texte traduit au format DOCX constitue un critère d’attribution expressément prévu dans les documents de l’avis de marché et dont le non-respect est sanctionné par le rejet de l’offre en cause. Il s’ensuit que l’article 151 du règlement 2018/1046 n’est pas applicable au cas d’espèce. En effet, l’article 151, troisième alinéa, dudit règlement dispose que d’éventuelles informations, clarifications ou confirmations ne modifient pas substantiellement les documents relatifs à la demande. Or, une modification qui aurait pour conséquence qu’une offre qui devrait être rejetée, en raison du non-respect d’un critère éliminatoire, deviendrait admissible ne peut être qualifiée que de substantielle. En outre, cet article doit être lu à la lumière du considérant 89 dudit règlement, selon lequel l’ordonnateur devrait certes demander des éclaircissements ou la production de documents manquants, mais sans modifier de manière substantielle les documents relatifs à la demande et en respectant le principe d’égalité de traitement. Or, c’est précisément ce dernier principe, ainsi que l’obligation de transparence qui en découle, qui imposent au pouvoir adjudicateur le respect des critères qu’il a lui-même fixés. En effet, lorsque, dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, le pouvoir adjudicateur définit les conditions qu’il entend imposer aux soumissionnaires, il s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait par la suite se départir des conditions qu’il a ainsi définies à l’égard de l’un quelconque des soumissionnaires sans violer le principe d’égalité de traitement entre les candidats (voir arrêt du 28 juin 2016, AF Steelcase/EUIPO, T‑652/14, non publié, EU:T:2016:370, point 78 et jurisprudence citée). Ainsi, dans l’hypothèse où des obligations sont clairement imposées dans les documents relatifs au marché public sous peine d’exclusion, le pouvoir adjudicateur ne peut admettre des rectifications quelconques à des omissions auxdites obligations (voir, par analogie, arrêts du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 49 ; du 10 novembre 2016, Ciclat, C‑199/15, EU:C:2016:853, point 30, et du 2 mai 2019, Lavorgna, C‑309/18, EU:C:2019:350, point 22). Il s’ensuit que le Parlement aurait méconnu le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires s’il n’avait pas respecté les conditions qu’il avait lui-même fixées dans les documents de la procédure d’appel d’offres. Il était donc obligé de rejeter les offres qui ne se conformaient pas aux critères qui avaient été présentés comme éliminatoires dans ces documents.

64      Dès lors, la requérante ne saurait reprocher au Parlement d’avoir violé le principe de bonne administration en s’abstenant de lui demander des éclaircissements ou une rectification du document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse avant d’adopter la décision de rejet.

65      Deuxièmement, concernant la prétendue violation du principe de proportionnalité, il suffit de constater que, en l’espèce, le pouvoir adjudicateur ne se trouvait pas en présence d’une offre ambiguë dont il aurait été possible de clarifier certains éléments, de sorte que la jurisprudence invoquée par la requérante n’est pas transposable au cas d’espèce. Bien au contraire, le Parlement se trouvait en présence d’un document fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse qui ne respectait pas l’un des critères d’attribution éliminatoires, de sorte qu’il n’aurait pas pu demander des éclaircissements ou rectifier l’omission de la requérante de fournir ce document au format de fichier correct sans violer le principe d’égalité de traitement de tous les soumissionnaires (voir point 63 ci-dessus). Il n’avait donc pas le choix entre plusieurs mesures substituables entre elles, mais était tenu de rejeter l’offre de la requérante. Par conséquent, contrairement à ce que prétend cette dernière, il n’aurait pas non plus pu recourir à une solution moins contraignante consistant à considérer le format DOC comme équivalent au format DOCX.

66      Il s’ensuit que le Parlement n’a pas non plus violé le principe de proportionnalité en rejetant l’offre de la requérante au motif que le document qu’elle avait fourni dans le cadre de l’épreuve litigieuse n’était pas conforme à l’un des sous-critères éliminatoires fixés dans les documents relatifs au marché.

67      Partant, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen et la demande d’annulation de la décision de rejet.

B.      Sur la demande, invoquée à titre subsidiaire, d’annulation de la décision d’attribution

1.      Arguments des parties

68      Par son troisième moyen, au soutien du chef de conclusions invoqué dans l’hypothèse où le Tribunal considérerait comme non fondée la demande tendant à l’annulation de la décision de rejet, la requérante soulève une violation des principes généraux régissant les marchés publics, à savoir les principes d’autolimitation, d’égalité de traitement et de transparence. La requérante soutient, en substance, que le fait qu’un seul soumissionnaire ait été classé pour le lot no 15 aurait dû entraîner l’annulation de la procédure de passation de marché et la publication d’une nouvelle procédure de passation de marché pour ce lot.

69      Selon la requérante, la procédure de passation de marché en question et, en particulier, le fait de passer par une procédure-cadre étaient fondés sur l’idée que plus de deux opérateurs économiques se seraient classés pour un lot donné, ce qui aurait notamment permis au Parlement de faire appel à des contractants secondaires dans l’hypothèse où le contractant principal refuserait un travail. La requérante fait observer que l’article I.7 du contrat principal ainsi que le cahier des charges, sous l’intitulé « Assignation des travaux de traduction à des contractants secondaires », prévoient, en substance, que, lorsqu’un travail de traduction ne peut être confié au contractant principal, il sera proposé au contractant secondaire le mieux classé pour le lot. Il serait dans l’intérêt du Parlement, d’une part, de pouvoir faire appel à des contractants secondaires dans le cas où le contractant principal refuserait une mission et, d’autre part, de bénéficier de l’avantage d’avoir plusieurs opérateurs économiques qui se font concurrence pour chaque lot.

70      En outre, il ressortirait du document intitulé « Invitation à soumissionner et conditions de soumission d’une offre » que le Parlement, tout en conservant une marge d’appréciation, se serait réservé le droit d’annuler la procédure de passation de marché pour un lot donné si seulement deux opérateurs économiques étaient classés pour ce lot. La décision de n’attribuer qu’un seul opérateur économique pour le lot no 15 violerait les conditions de la procédure que le Parlement avait lui-même définies ex ante et communiquées à tous les opérateurs économiques. En refusant de respecter ces conditions, il aurait violé les principes d’autolimitation, de transparence et d’égalité de traitement entre les soumissionnaires. Par ailleurs, le principe de concurrence réelle dans le domaine des marchés publics imposerait au pouvoir adjudicateur d’annuler l’appel d’offres, ainsi qu’il en avait le droit. Le fait que la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’annuler la procédure de passation soit également prévue par l’article 171 du règlement 2018/1046 aurait pour conséquence que l’annulation de ladite procédure pour le lot no 15 serait non seulement permise, mais obligatoire. En effet, puisque le pouvoir adjudicateur est en droit d’annuler l’appel d’offres en vertu de cette disposition, la formulation contenue dans l’appel d’offres TRA/EU19/2019 constituerait, en soi, une limitation de la marge d’appréciation plus large prévue par la même disposition.

71      Par ailleurs, le Parlement n’aurait pas légitimement pu tenir compte, lors de sa décision d’attribuer le lot no 15 à un seul soumissionnaire, du fait que ce dernier avait exécuté avec succès le contrat principal attribué au terme du précédent appel d’offres, de sorte qu’il aurait considéré que le risque de devoir mettre fin au contrat pour qualité défaillante ou pour non-respect d’autres exigences de performance était faible. En effet, il ne serait pas fait mention, dans les documents de marché ou dans les spécifications techniques, de l’expérience des opérateurs économiques dans le cadre de marchés publics de services antérieurs conclus avec le Parlement. Partant, ce dernier aurait violé le principe d’autolimitation en allant au-delà des paramètres qu’il avait lui-même fixés dans les documents de marché de l’appel d’offres en tenant compte d’éléments qui ne relevaient pas de ces documents pour adopter sa décision quant à l’attribution ou à l’annulation de l’appel d’offres.

72      Le Parlement conteste l’argumentation de la requérante.

73      Le Parlement fait valoir que le pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider s’il convient ou non d’annuler un appel d’offres. Il ne serait pas tenu d’annuler l’appel d’offres lorsqu’un ou deux soumissionnaires seulement ont été retenus, car l’objectif de cette clause dans les documents de l’appel d’offres serait de fixer le nombre maximal, et non minimal, de contrats par lot.

74      Le Parlement souligne qu’il a apprécié le risque qu’il a pris en poursuivant la procédure, alors qu’un seul contractant était en lice pour le lot no 15. Le soumissionnaire arrivé en première place pour ce lot ayant exécuté avec succès le contrat principal attribué au terme du précédent appel d’offres, le Parlement aurait considéré que le risque de devoir mettre fin au contrat pour qualité défaillante ou pour non-respect d’autres exigences de performance était faible.

75      Le Parlement ajoute que, conformément à l’article 16.1, sous d), de l’annexe I du règlement 2018/1046, le projet de contrat annexé aux documents de l’appel d’offres n’est qu’un projet fondé sur un modèle de contrat et doit être adapté en fonction du résultat de la procédure d’adjudication. Il précise que, contrairement à ce que la requérante soutient, il n’a pas tenu compte de l’exécution du précédent marché public par le soumissionnaire retenu pour attribuer à ce dernier le marché de l’appel d’offres TRA/EU19/2019. Il n’en aurait tenu compte qu’une fois désigné l’adjudicataire du marché, afin d’évaluer la nécessité d’un contrat secondaire pour le lot no 15. Dans ce cas, le pouvoir adjudicateur disposerait d’un pouvoir discrétionnaire pour évaluer ses besoins en matière de services de traduction pour une langue donnée, qui ne serait pas limité par les conditions établies dans les documents de l’appel d’offres.

2.      Appréciation du Tribunal

76      Conformément à l’article 171 du règlement 2018/1046, le pouvoir adjudicateur peut, avant la signature du marché, annuler la procédure de passation de marché, sans que les candidats ou les soumissionnaires puissent prétendre à une quelconque indemnisation. Cette décision est motivée et portée à la connaissance des candidats ou des soumissionnaires dans les meilleurs délais. Cette disposition ne subordonne pas le droit des pouvoirs adjudicateurs d’annuler une procédure de passation de marché à l’indication, dans les appels d’offres eux-mêmes, des raisons susceptibles de justifier une telle annulation. De même, aucune disposition n’impose de mentionner dans les documents de l’appel d’offres le nombre minimal de soumissions requis pour mener une procédure de passation de marché à son terme (voir, par analogie, arrêt du 5 mars 2019, Eurosupport – Fineurop support/EIGE, T‑450/17, non publié, EU:T:2019:137, point 84).

77      En l’espèce, une telle limitation du large pouvoir d’appréciation dont dispose le pouvoir adjudicateur à tout stade de la procédure (voir point 34 ci-dessus) ne ressort pas non plus des documents relatifs à la passation du marché.

78      Selon le point 2 du cahier des charges ainsi que le point 8 du document intitulé « Invitation à soumissionner et conditions de soumission d’une offre » mentionné au point 70 ci-dessus, auxquels la requérante fait référence, le pouvoir adjudicateur envisage la conclusion d’un contrat-cadre principal et d’un nombre maximal de quatre contrats-cadres secondaires par lot. Néanmoins, si seulement deux contrats-cadres (un contrat-cadre principal et un contrat-cadre secondaire) peuvent être attribués par lot, le pouvoir adjudicateur peut décider de n’attribuer aucun contrat-cadre pour ce lot et de lancer, au lieu de cela, un nouvel appel d’offres pour les services de traduction en question. Il ressort de l’emploi du terme « peut » que le Parlement dispose d’une faculté de décider de n’attribuer aucun contrat-cadre pour le lot en question et de lancer un nouvel appel d’offres. Or, lesdits points ne sauraient être interprétés comme fixant un nombre minimal de contrats-cadres devant être attribués par lot pour mener une procédure de passation de marché à son terme. En effet, il ne ressort aucunement de ces points que le Parlement serait tenu d’annuler la procédure d’appel d’offres lorsque seulement un ou deux contrats-cadres peuvent être attribués par lot.

79      Partant, l’allégation de la requérante selon laquelle le fait qu’un seul soumissionnaire a été classé pour le lot no 15 aurait dû entraîner l’annulation de la procédure de passation de marché ainsi que le lancement d’un nouvel appel d’offres pour ce lot doit être rejetée.

80      La requérante ne saurait non plus utilement faire valoir que le Parlement a tenu compte de l’exécution par le soumissionnaire retenu du précédent marché public pour attribuer à ce dernier le lot no 15 du présent marché. En effet, une telle constatation ne ressort nullement de la décision d’attribution. Cette dernière précise clairement la méthodologie utilisée pour l’évaluation de l’épreuve litigieuse, les résultats détaillés de cette épreuve ainsi que des tableaux indiquant le classement des soumissionnaires.

81      C’est à tort que la requérante prétend qu’il ressort des écritures du Parlement qu’il a tenu compte de ce fait lors de sa décision d’attribution. En effet, le Parlement a explicitement expliqué que c’était après l’évaluation des offres que la considération selon laquelle le seul soumissionnaire retenu avait déjà, avec succès, exécuté un marché précédent l’avait conduit à la décision de ne pas annuler la procédure d’appel d’offres pour le lot no 15. Or, comme cela a été constaté au point 34 ci-dessus, le pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation qui s’étend également à la décision d’annuler ou non un appel d’offres. Le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite, dès lors, à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (arrêt du 8 mai 2019, Enrico Colombo et Corinti Giacomo/Commission, T‑690/16, non publié, EU:T:2019:303, point 81). En appliquant les critères d’attribution fixés à l’avance, puis en décidant qu’il convenait de mener la procédure à son terme, le Parlement n’a ni violé des règles de procédure ni commis une erreur manifeste d’appréciation.

82      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que, en renonçant à son droit d’annuler la procédure d’appel d’offres pour le lot no 15, le Parlement n’a violé ni les principes généraux régissant la procédure de passation du marché ni, notamment, le principe d’autolimitation, tel que défini au point 63 ci-dessus.

83      Il s’ensuit que le troisième moyen, la demande d’annulation de la décision d’attribution et, partant, le recours dans son ensemble doivent être rejetés.

IV.    Sur les dépens

84      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Parlement.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Global Translation Solutions ltd. est condamnée aux dépens.

Collins

Csehi

Steinfatt

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 octobre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.