ARRÊT DE LA COUR
17 juillet 1997(1)
[234s«Article 177 Compétence de la Cour Législation nationale reprenant des
dispositions communautaires Transposition Directive 90/434/CEE Notion
de fusion par échange d'actions Abus ou évasion fiscales»[s
Dans l'affaire C-28/95,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177
du traité CE, par le Gerechtshof te Amsterdam, et tendant à obtenir, dans le litige
pendant devant cette juridiction entre
A. Leur-Bloem
et
Inspecteur der Belastingdienst/Ondernemingen Amsterdam 2,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 2, sous d), et 11,
paragraphe 1, sous a), de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990,
concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports
d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents
(JO L 225, p. 1),
LA COUR,
composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, G. F. Mancini, J. C.
Moitinho de Almeida, J. L. Murray et L. Sevón, présidents de chambre, C. N.
Kakouris, P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, G.
Hirsch, P. Jann (rapporteur) et H. Ragnemalm, juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Mme Leur-Bloem, par M. J. H. W. Lenior, conseiller fiscal,
- par M. l'Inspecteur der Belastingdienst Ondernemingen Amsterdam 2,
- pour le gouvernement néerlandais, par M. J. G. Lammers, conseiller
juridique remplaçant au ministère des Affaires étrangères, en qualité
d'agent,
- pour le gouvernement allemand, par MM. E. Röder, Ministerialrat au
ministère fédéral de l'Économie, et B. Kloke, Oberregierungsrat au même
ministère, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. B. J. Drijber,
membre du service juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales du gouvernement néerlandais, représenté par
M. A. Fierstra, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en
qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. B. J. Drijber, à l'audience
du 4 juin 1996,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 17 septembre
1996,
rend le présent
Arrêt
- Par ordonnance du 26 janvier 1995, parvenue à la Cour le 6 février suivant, le
Gerechtshof te Amsterdam a posé à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CE,
plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 2, sous d),
et 11, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet
1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports
d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents
(JO L 225, p. 1, ci-après la «directive»).
- Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Mme Leur-Bloem
à l'inspecteur des contributions des entreprises d'Amsterdam 2 (ci-après
l'«inspecteur»).
- Mme Leur-Bloem, qui est actionnaire unique et directeur de deux sociétés privées
de droit néerlandais, envisage d'acquérir les actions d'une troisième société privée,
une holding, le paiement devant s'opérer par échange avec les actions des deux
premières sociétés. Mme Leur-Bloem devait devenir, après l'opération, non plus
directement, mais seulement indirectement, l'actionnaire unique des deux autres
sociétés.
- Mme Leur-Bloem est assujettie à la loi néerlandaise de 1964 relative à l'impôt sur
le revenu (ci-après la «loi néerlandaise»). L'article 14 b, paragraphe 1, de la loi
néerlandaise prévoit, lors d'une opération de fusion par échange d'actions, la non-inclusion dans l'imposition de la plus-value sur participation importante.
L'application de cette facilité comporte en fait report de l'imposition.
- L'article 14 b, paragraphe 2, sous a) et b), de la loi néerlandaise dispose:
«2. Sont considérés comme fusions de sociétés les cas de figure suivants:
- Une société établie aux Pays-Bas acquiert, contre remise de ses propres
actions ou titres participatifs, avec paiement éventuel d'une soulte, une
quantité d'actions dans une autre société établie aux Pays-Bas lui
permettant d'exercer plus de la moitié des droits de vote dans cette dernière
société, afin de rassembler durablement, d'un point de vue financier et
économique, l'entreprise de cette société et celle d'une autre dans une
même entité.
- Une société établie dans un État membre des Communautés européennes
acquiert, contre remise de ses propres actions ou titres participatifs, avec
paiement éventuel d'une soulte, une quantité d'actions dans une autre
société établie dans un autre État membre des Communautés européennes
lui permettant d'exercer plus de la moitié des droits de vote dans cette
dernière société, afin de rassembler durablement, d'un point de vue
financier et économique, l'entreprise de cette société et celle d'une autre
dans une même entité.»
- Par «entreprise» au sens de la loi néerlandaise, il convient, en substance,
d'entendre l'activité économique d'une personne morale, le terme «société» faisant
référence à la personne juridique.
- Mme Leur-Bloem a demandé à l'administration fiscale néerlandaise de considérer
que l'opération envisagée était une «fusion par échange d'actions» au sens de la
législation néerlandaise, ce qui lui permettait de bénéficier de l'exonération d'impôt
sur la plus-value éventuellement réalisée sur la cession d'actions et de la possibilité
de compenser les pertes éventuelles à l'intérieur de l'entité fiscale ainsi créée.
- L'inspecteur, estimant qu'il n'y avait pas fusion par échange d'actions au sens de
l'article 14 b, paragraphe 2, sous a), de la loi néerlandaise, a rejeté sa demande.
- Mme Leur-Bloem a donc formé un recours à l'encontre de cette décision devant le
Gerechtshof te Amsterdam. Elle considère en effet que, dans la mesure où
l'opération vise à une coopération plus étroite entre les sociétés, elle doit être
considérée comme une fusion.
- En revanche, l'inspecteur soutient que l'opération envisagée n'a pas pour objet de
rassembler durablement, du point de vue financier et économique, l'entreprise de
ces sociétés au sein d'une entité plus importante. En effet, une telle entité existerait
déjà, du point de vue financier et économique, dans la mesure où les deux sociétés
ont déjà le même directeur et un seul actionnaire.
- Le Gerechtshof a estimé que, pour résoudre ce litige, il convenait d'interpréter une
disposition de la loi néerlandaise insérée à l'occasion de la transposition en droit
national de la directive.
- A cet égard, la juridiction de renvoi a tout d'abord constaté que, selon ses
considérants, la directive vise à l'élimination des dispositions d'ordre fiscal qui
pénalisent, notamment, les fusions et les échanges d'actions entre des sociétés
d'États membres différents par rapport à ceux qui sont effectués entre des sociétés
situées dans un seul État membre. Elle a ensuite relevé que les termes de l'article
14 b, paragraphe 2, sous a), d'une part, et sous b), d'autre part, de la loi
néerlandaise n'opèrent aucune distinction entre les fusions qui ne concernent que
des sociétés établies aux Pays-Bas et celles concernant des sociétés établies dans
différents États membres de la Communauté.
- Elle a enfin indiqué qu'il ressort des objectifs de la directive, du libellé de la
disposition concernée de la loi néerlandaise ainsi que des travaux préparatoires de
cette dernière, notamment de son exposé des motifs, que le législateur néerlandais
a entendu traiter de la même manière les fusions entre sociétés établies, d'une part,
uniquement aux Pays-Bas et, d'autre part, dans différents États membres.
- Il résulte de l'article 2, sous d) et h), de la directive:
«Aux fins de l'application de la présente directive, on entend par
...
d) échange d'actions: l'opération par laquelle une société acquiert, dans le
capital social d'une autre société, une participation ayant pour effet de lui
conférer la majorité des droits de vote de cette société, moyennant
l'attribution aux associés de l'autre société, en échange de leurs titres, de
titres représentatifs du capital social de la première société et,
éventuellement, d'une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur
nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable des titres qui
sont remis en échange;
...
h) société acquérante: la société qui acquiert une participation, moyennant un
échange de titres.»
Le titre II de la directive, qui comprend les articles 4 à 8, contient les règles
applicables au traitement fiscal des fusions, scissions et échanges d'actions. L'article
8 prévoit notamment que l'attribution, à l'occasion d'un échange d'actions, de titres
représentatifs du capital social de la société acquérante à un associé de la société
acquise, en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière
société, ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu ou les
plus-values de cet associé.
L'article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive prévoit:
«1. Un État membre peut refuser d'appliquer tout ou partie des dispositions
des titres II, III et IV ou en retirer le bénéfice lorsque l'opération de fusion,
de scission, d'apport d'actifs ou d'échange d'actions:
a) a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la
fraude ou l'évasion fiscales; le fait qu'une des opérations visées à l'article 1er
n'est pas effectuée pour des motifs économiques valables, tels que la
restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à
l'opération, peut constituer une présomption que cette opération a comme
objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou
l'évasion fiscales.»
- Estimant que l'interprétation des dispositions de la directive était nécessaire pour
trancher le litige dont il est saisi, le Gerechtshof te Amsterdam a sursis à statuer
et a posé à la Cour les questions suivantes:
«1) La Cour de justice peut-elle être saisie de questions relatives à
l'interprétation des dispositions d'une directive du Conseil des
Communautés européennes et à la portée de cette directive même si cette
directive ne s'applique pas directement à la situation concrète soumise à la
juridiction de renvoi, alors que le législateur national entend traiter cette
situation concrète de la même façon qu'une situation à laquelle ladite
directive se rapporte?
En cas de réponse affirmative:
2) a) Peut-il être question d'un échange d'actions au sens de l'article 2,
initio et sous d), de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet
1990 (ci-après la 'directive), lorsque la société acquérante au sens de
la disposition de la lettre h) du même article n'exploite pas elle-même
une entreprise?
b) Le fait que ce soit la même personne physique qui, avant l'échange,
était l'unique actionnaire et le directeur des sociétés acquises et, après
l'échange, deviendra le directeur et l'unique actionnaire de la société
acquérante s'oppose-t-il à un échange d'actions au sens précité?
c) N'y a-t-il échange d'actions au sens précité que si celui-ci tend à
rassembler durablement d'un point de vue financier et économique,
dans une entité, l'entreprise de la société acquérante et celle d'une
autre personne?
d) N'y a-t-il échange d'actions au sens précité que si celui-ci tend à
rassembler durablement d'un point de vue financier et économique,
dans une entité, les entreprises de deux ou plusieurs sociétés
acquises?
e) Le fait qu'un échange d'actions ait lieu en vue de réaliser une
compensation fiscale horizontale des pertes entre les sociétés
participantes, dans le cadre d'une même entité fiscale au sens del'article 15 de la 'wet op de vennootschapsbelasting 1969 (loi
néerlandaise de 1969 relative à l'impôt sur les sociétés), constitue-t-il
un motif économique valable de cet échange au sens de l'article 11 de
la directive?»
Sur la première question
- Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si la Cour
est compétente au titre de l'article 177 du traité pour interpréter le droit
communautaire lorsque celui-ci ne régit pas directement la situation en cause, mais
que le législateur national a décidé, lors de la transposition en droit national des
dispositions d'une directive, d'appliquer le même traitement aux situations
purement internes et à celles qui relèvent de la directive, en sorte qu'il a aligné sa
législation sur le droit communautaire.
- Mme Leur-Bloem estime que la Cour est compétente compte tenu de l'objectif de
la directive et du principe d'égalité de traitement. En effet, refuser de traiter de la
même manière les fusions internes et les fusions communautaires aboutirait à créer
des distorsions de concurrence entre des groupes de sociétés ayant les mêmes
structures, mais dont l'un seulement présenterait un caractère communautaire.
- La Commission ainsi que les gouvernements néerlandais et allemand estiment que
la Cour n'est pas compétente pour répondre à des questions posées hors du champ
d'application de la directive. Tel serait le cas en l'occurrence dès lors que, aux
termes de l'article 1er de la directive, celle-ci s'applique aux fusions, scissions,
apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres
différents.
- Par ailleurs, la Commission et le gouvernement néerlandais se réfèrent à l'arrêt du
28 mars 1995, Kleinwort Benson (C-346/93, Rec. p. I-615), rendu dans le cadre de
la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32,
ci-après la «convention»), dans lequel la Cour s'est déclarée incompétente. A cet
égard, ils font valoir que, eu égard à la similitude des procédures, il n'y a pas lieu
d'établir de distinction entre les questions posées dans le cadre de cette convention
et celles qui le sont au titre de l'article 177 du traité.
- La Commission estime que, conformément à cet arrêt, la Cour n'est compétente
que lorsque la réglementation nationale renvoie directement et
inconditionnellement au droit communautaire. Or, tel ne serait pas le cas dans
l'affaire au principal.
- Le gouvernement néerlandais souligne que l'arrêt que la Cour serait amenée à
rendre ne lierait pas les juridictions nationales au sens de l'arrêt Kleinwort Benson,
précité, puisque l'interprétation demandée doit seulement permettre à la juridiction
de renvoi d'appliquer le droit national. Il précise également que la référence au
droit communautaire, qui figure dans l'exposé des motifs de la loi néerlandaise,
n'est pas contraignante, mais peut seulement constituer un élément en vue de
l'interprétation de cette loi.
- Le gouvernement allemand fait valoir que, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt
du 8 novembre 1990, Gmurzynska-Bscher (C-231/89, Rec. p. I-4003), cette dernière
n'a pas à statuer à titre préjudiciel lorsque, comme en l'espèce au principal, il est
manifeste que la disposition de droit communautaire soumise à l'interprétation de
la Cour ne peut trouver à s'appliquer.
- Conformément à l'article 177 du traité, la Cour est compétente pour statuer, à titre
préjudiciel, sur l'interprétation de ce traité ainsi que des actes pris par les
institutions de la Communauté.
- Selon une jurisprudence constante, la procédure prévue à l'article 177 du traité est
un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales. Il en
découle qu'il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige
et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir
d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une
décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la
pertinence des questions qu'elles posent à la Cour (voir, notamment, arrêts du 18
octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, points 33 et 34, et
Gmurzynska-Bscher, précité, points 18 et 19).
- En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales
portent sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, la Cour est,
en principe, tenue de statuer (voir arrêts Dzodzi et Gmurzynska-Bscher, précités,
respectivement points 35 et 20). En effet, il ne ressort ni des termes de l'article 177
ni de l'objet de la procédure instituée par cet article que les auteurs du traité aient
entendu exclure de la compétence de la Cour les renvois préjudiciels portant sur
une disposition communautaire dans le cas particulier où le droit national d'un État
membre renvoie au contenu de cette disposition pour déterminer les règles
applicables à une situation purement interne à cet État (voir arrêts Dzodzi et
Gmurzynska-Bscher, précités, respectivement points 36 et 25).
- En effet, le rejet d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible
que s'il apparaît que la procédure de l'article 177 du traité a été détournée de son
objet et tend, en réalité, à amener la Cour à statuer par le biais d'un litige construit
ou s'il est manifeste que le droit communautaire ne saurait trouver à s'appliquer,
ni directement ni indirectement, aux circonstances de l'espèce (voir, en ce sens,
arrêts Dzodzi et Gmurzynska-Bscher, précités, respectivement points 40 et 23).
- En application de cette jurisprudence, la Cour s'est à maintes reprises déclarée
compétente pour statuer sur des demandes préjudicielles portant sur des
dispositions communautaires dans des situations dans lesquelles les faits au
principal se situaient en dehors du champ d'application du droit communautaire,
mais dans lesquelles lesdites dispositions de ce droit avaient été rendues applicables
soit par le droit national, soit en vertu de simples dispositions contractuelles (voir,
en ce qui concerne l'application du droit communautaire par le droit national,
arrêts Dzodzi et Gmurzynska-Bscher, précités; du 26 septembre 1985,
Thomasdünger, 166/84, Rec. p. 3001; du 24 janvier 1991, Tomatis et Fulchiron,
C-384/89, Rec. p. I-127, et, en ce qui concerne l'application du droit
communautaire par les dispositions contractuelles, arrêts du 25 juin 1992,
Federconsorzi, C-88/91, Rec. p. I-4035, et du 12 novembre 1992, Fournier, C-73/89,
Rec. p. I-5621, ci-après la «jurisprudence Dzodzi»). En effet, dans ces arrêts, les
dispositions tant nationales que contractuelles reprenant les dispositions
communautaires n'avaient manifestement pas limité l'application de ces dernières.
- En revanche, la Cour s'est déclarée, dans l'arrêt Kleinwort Benson, précité,
incompétente pour statuer sur une demande préjudicielle portant sur la convention.
- Dans cet arrêt, la Cour a souligné, au point 19, que, à la différence de la
jurisprudence Dzodzi, les dispositions de la convention soumises à l'interprétation
de la Cour n'avaient pas été rendues applicables en tant que telles par le droit de
l'État contractant concerné. En effet, la Cour a relevé, au point 16 de cet arrêt, que
la loi nationale concernée se bornait à prendre la convention pour modèle et n'en
reproduisait que partiellement les termes. En outre, elle a constaté, au point 18,
que la loi prévoyait expressément la possibilité pour les autorités de l'État
contractant concerné d'adopter des modifications «destinées à produire des
divergences» entre les dispositions de celle-ci et les dispositions correspondantes
de la convention. De surcroît, la loi opérait encore une distinction expresse entre
les dispositions applicables aux situations communautaires et celles applicables aux
situations internes. Dans le premier cas, lors de l'interprétation des dispositions
pertinentes de la loi, les juridictions nationales étaient tenues par la jurisprudence
de la Cour relative à la convention, alors que, dans le second cas, elles ne devaient
qu'en tenir compte de sorte qu'elles pouvaient l'écarter.
- Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.
- Le juge national estime que l'interprétation de la notion de «fusion par échange
d'actions», prise dans son contexte communautaire, est nécessaire à la solution du
litige qui lui est soumis, que cette notion figure dans la directive, qu'elle a été
reprise dans la loi nationale la transposant et qu'elle a été étendue aux situations
similaires purement internes.
- En effet, lorsqu'une législation nationale se conforme pour les solutions qu'elle
apporte à des situations purement internes à celles retenues en droit
communautaire afin, notamment, d'éviter l'apparition de discriminations à
l'encontre des ressortissants nationaux ou, comme en l'espèce au principal,
d'éventuelles distorsions de concurrence, il existe un intérêt communautaire certain
à ce que, pour éviter des divergences d'interprétation futures, les dispositions ou
les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme,
quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s'appliquer
(voir, en ce sens, arrêt Dzodzi, précité, point 37).
- Il convient toutefois de préciser que, dans un tel cas, et dans le cadre de la
répartition des fonctions juridictionnelles entre les juridictions nationales et la Cour
prévue par l'article 177, il appartient au seul juge national d'apprécier la portée
exacte de ce renvoi au droit communautaire, la compétence de la Cour étant
limitée à l'examen des seules dispositions de ce droit (arrêts Dzodzi et
Federconsorzi, précités, respectivement points 41 et 42, et 10). En effet, la prise en
considération des limites que le législateur national a pu apporter à l'application
du droit communautaire à des situations purement internes relève du droit interne
et, par conséquent, de la compétence exclusive des juridictions de l'État membre
(arrêts Dzodzi, précité, point 42, et du 12 novembre 1992, Fournier, C-73/89, Rec.
p. I-5621, point 23).
- Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent qu'il y a lieu de répondre
à la première question que la Cour est compétente, au titre de l'article 177 du
traité, pour interpréter le droit communautaire lorsque celui-ci ne régit pas
directement la situation en cause, mais que le législateur national a décidé, lors de
la transposition en droit national des dispositions d'une directive, d'appliquer le
même traitement aux situations purement internes et à celles régies par la directive,
en sorte qu'il a aligné sa législation interne sur le droit communautaire.
Sur la seconde question
Sur la seconde question sous a) à d)
- La juridiction de renvoi pose la seconde question sous a) à d) au regard de l'article
2, sous d), de la directive, qui définit les fusions par échange d'actions. Cependant,
il résulte de son libellé que cette question porte en réalité sur la condition de
rassemblement durable, d'un point de vue économique et financier, de l'entreprise
des deux sociétés dans une même entité, qui ne figure pas à l'article 2, sous d), de
la directive, mais qui a été ajoutée par le législateur néerlandais, lors de la
transposition, à la définition résultant de la directive. Il ressort du dossier au
principal que cette condition a été insérée afin d'écarter, comme le permet l'article
11 de la directive, de l'octroi des avantages fiscaux que la directive prévoit les
opérations qui ont principalement pour objet la fraude ou l'évasion fiscales. La
seconde question sous a) à d) doit donc être examinée au regard non seulement
de l'article 2, sous d), de la directive, mais également de son article 11, qui accorde
aux États membres, notamment dans ce cas, une réserve de compétence.
- Il convient de relever, en premier lieu, qu'il ressort de l'article 2, sous d), ainsi que
de l'économie générale de la directive que le régime fiscal commun qu'elle institue,
lequel comprend différents avantages fiscaux, s'applique indistinctement à toutes
les opérations de fusion, de scission, d'apport d'actifs et d'échange d'actions, sans
considération de leurs motifs, qu'ils soient financiers, économiques ou purement
fiscaux.
- En conséquence, le fait que la société acquérante, au sens de l'article 2, sous h),
de la directive, n'exploite pas elle-même une entreprise ou qu'une même personne
physique, qui était l'unique actionnaire et directeur des sociétés acquises, devient
l'unique actionnaire et directeur de la société acquérante n'empêche pas que
l'opération soit qualifiée d'échange d'actions au sens de l'article 2, sous d), de la
directive. De même, le rassemblement durable, d'un point de vue financier et
économique, dans une entité de l'entreprise de deux sociétés n'est pas nécessaire
pour que l'opération soit qualifiée d'échange d'actions au sens de cette disposition.
- En second lieu, il convient de relever que l'article 11, paragraphe 1, sous a),
autorise les États membres à ne pas appliquer tout ou partie des dispositions de
la directive, y compris les avantages fiscaux sur lesquels porte le litige au principal,
ou à en retirer le bénéfice lorsque l'opération de fusion, de scission, d'apport
d'actifs ou d'échange d'actions a, notamment, comme objectif principal ou commel'un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales.
- L'article 11, paragraphe 1, sous a), précise que, dans le cadre de cette réserve de
compétence, l'État membre peut prévoir une présomption de fraude ou d'évasion
fiscales lorsqu'«une des opérations visées ... n'est pas effectuée pour des motifs
économiques valables, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités
des sociétés participant à l'opération».
- Il résulte donc des articles 2, sous d) et h), ainsi que 11, paragraphe 1, sous a), que
les États membres doivent accorder les avantages fiscaux prévus par la directive
aux opérations d'échange d'actions visées à l'article 2, sous d), à moins que ces
opérations aient comme objectif principal ou comme l'un de leurs objectifs
principaux la fraude ou l'évasion fiscales. A cet égard, les États membres peuvent
prévoir que le fait que ces opérations n'ont pas été effectuées pour des motifs
économiques valables constitue une présomption de fraude ou d'évasion fiscales.
- Toutefois, pour vérifier si l'opération envisagée a un tel objectif, les autorités
nationales compétentes ne sauraient se contenter d'appliquer des critères généraux
prédéterminés, mais doivent procéder, au cas par cas, à un examen global de celle-ci. Selon une jurisprudence constante, un tel examen doit pouvoir faire l'objet d'un
contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, arrêt du 31 mars 1993, Kraus, C-19/92,
Rec. p. I-1663, point 40).
- Cet examen peut éventuellement inclure les éléments mentionnés par la juridiction
de renvoi dans sa seconde question sous a) à d). Toutefois, aucun de ces éléments
ne saurait être considéré, en lui-même, comme décisif. En effet, une fusion ou une
restructuration faite sous la forme d'un échange d'actions impliquant une société
holding nouvellement créée, qui ne possède donc pas d'entreprise, peut être
considérée comme ayant été effectuée pour des motifs économiques valables. De
même, de tels motifs peuvent rendre nécessaire la restructuration juridique de
sociétés qui forment déjà une entité d'un point de vue économique et financier. Il
n'est pas non plus exclu, même si cela peut constituer un indice de fraude ou
d'évasion fiscales, qu'une fusion par échange d'actions visant à créer une structure
déterminée pour une période limitée, et non de manière durable, puisse poursuivre
des motifs économiques valables.
- En l'absence de dispositions communautaires plus précises concernant la mise en
oeuvre de la présomption prévue à l'article 11, paragraphe 1, sous a), il appartient
aux États membres de déterminer, dans le respect du principe de proportionnalité,
les modalités nécessaires aux fins de l'application de cette disposition.
- Cependant, l'institution d'une règle revêtant une portée générale excluant
automatiquement certaines catégories d'opérations de l'avantage fiscal, sur la base
de critères tels que ceux mentionnés dans la seconde question sous a) à d), qu'il y
ait ou non effectivement évasion ou fraude fiscales, irait au-delà de ce qui est
nécessaire pour éviter une telle fraude ou une telle évasion fiscales et porterait
atteinte à l'objectif poursuivi par la directive. Tel serait également le cas si une
règle de ce type était assortie d'une simple possibilité de dérogation laissée à la
discrétion de l'autorité administrative.
- Une telle interprétation est conforme aux objectifs tant de la directive que de son
article 11. En effet, selon son premier considérant, l'objectif poursuivi par la
directive est d'instaurer des règles fiscales neutres au regard de la concurrence afin
de permettre aux entreprises de s'adapter aux exigences du marché commun,
d'accroître leur productivité et de renforcer leur position concurrentielle sur le plan
international. Ce même considérant prévoit également que les fusions, scissions,
apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres
différents ne doivent pas être entravés par des restrictions, des désavantages ou des
distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres. C'est
seulement lorsque l'opération envisagée a pour objectif la fraude ou l'évasion
fiscales que, selon l'article 11 ainsi que selon le dernier considérant de la directive,
les États membres peuvent refuser l'application de cette dernière.
Sur la seconde question sous e)
- Par sa seconde question sous e), la juridiction nationale demande si une
compensation fiscale horizontale des pertes entre les sociétés participant à
l'opération constitue un motif économique valable au sens de l'article 11 de la
directive.
- Il résulte du libellé et des objectifs de l'article 11, comme de ceux de la directive,
que la notion de motifs économiques valables va au-delà de la seule recherche d'un
avantage purement fiscal. Dès lors, une opération de fusion par échange d'actions
qui ne viserait qu'à atteindre un tel but ne saurait constituer un motif économique
valable au sens de cet article.
- Il y a donc lieu de répondre à la seconde question que:
- L'article 2, sous d), de la directive n'exige pas que la société acquérante, au
sens de l'article 2, sous h), de cette directive, exploite elle-même une
entreprise ni qu'il y ait un rassemblement durable, d'un point de vue
financier et économique, dans une même entité, de l'entreprise de deux
sociétés. De même, la circonstance qu'une même personne physique qui
était l'unique actionnaire et directeur des sociétés acquises devient l'unique
actionnaire et directeur de la société acquérante ne fait pas obstacle à ce
que l'opération en cause puisse être qualifiée de fusion par échange
d'actions.
- L'article 11 de la directive doit être interprété en ce sens que, pour vérifier
si l'opération envisagée a comme objectif principal ou comme l'un de ses
objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales, les autorités nationales
compétentes doivent procéder, dans chaque cas, à un examen global de
ladite opération. Un tel examen doit pouvoir faire l'objet d'un contrôle
juridictionnel. Conformément à l'article 11, paragraphe 1, sous a), de la
directive, les États membres peuvent prévoir que le fait que l'opération
envisagée n'est pas effectuée pour des motifs économiques valables
constitue une présomption de fraude ou d'évasion fiscales. Il leur appartient
de déterminer les procédures internes nécessaires à cette fin dans le respect
du principe de proportionnalité. Cependant, l'institution d'une règle revêtant
une portée générale excluant automatiquement certaines catégories
d'opérations de l'avantage fiscal, sur la base de critères tels que ceux
mentionnés dans la seconde réponse sous a), qu'il y ait ou non
effectivement évasion ou fraude fiscales, irait au-delà de ce qui est
nécessaire pour éviter une telle fraude ou une telle évasion fiscales et
porterait atteinte à l'objectif poursuivi par la directive.
- La notion de motif économique valable au sens de l'article 11 de la directive
doit être interprétée comme allant au-delà de la recherche d'un avantage
purement fiscal, tel que la compensation horizontale des pertes.
Sur les dépens
- Les frais exposés par les gouvernements néerlandais et allemand, ainsi que par la
Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la
Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à
l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la
juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par le Gerechtshof te Amsterdam, par
ordonnance du 26 janvier 1995, dit pour droit:
- La Cour est compétente, au titre de l'article 177 du traité CE, pour
interpréter le droit communautaire lorsque celui-ci ne régit pas directement
la situation en cause, mais que le législateur national a décidé, lors de la
transposition en droit national des dispositions d'une directive, d'appliquer
le même traitement aux situations purement internes et à celles régies par
la directive, en sorte qu'il a aligné sa législation interne sur le droit
communautaire.
- a) L'article 2, sous d), de la directive 90/434/CEE du Conseil, du 23
juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux
fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant
des sociétés d'États membres différents, n'exige pas que la société
acquérante, au sens de l'article 2, sous h), de cette directive, exploite
elle-même une entreprise ni qu'il y ait un rassemblement durable,
d'un point de vue financier et économique, dans une même entité, de
l'entreprise de deux sociétés. De même, la circonstance qu'une même
personne physique qui était l'unique actionnaire et directeur des
sociétés acquises devient l'unique actionnaire et directeur de la société
acquérante ne fait pas obstacle à ce que l'opération en cause puisse
être qualifiée de fusion par échange d'actions.
b) L'article 11 de la directive 90/434 doit être interprété en ce sens que,
pour vérifier si l'opération envisagée a comme objectif principal ou
comme l'un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales,
les autorités nationales compétentes doivent procéder, dans chaque
cas, à un examen global de ladite opération. Un tel examen doit
pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. Conformément à
l'article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/434, les États
membres peuvent prévoir que le fait que l'opération envisagée n'est
pas effectuée pour des motifs économiques valables constitue une
présomption de fraude ou d'évasion fiscales. Il leur appartient de
déterminer les procédures internes nécessaires à cette fin dans le
respect du principe de proportionnalité. Cependant, l'institution d'une
règle revêtant une portée générale excluant automatiquement
certaines catégories d'opérations de l'avantage fiscal, sur la base de
critères tels que ceux mentionnés dans la seconde réponse sous a),
qu'il y ait ou non effectivement évasion ou fraude fiscales, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter une telle fraude ou une telle
évasion fiscales et porterait atteinte à l'objectif poursuivi par la
directive 90/434.
c) La notion de motif économique valable au sens de l'article 11 de la
directive 90/434 doit être interprétée comme allant au-delà de la
recherche d'un avantage purement fiscal, tel que la compensation
horizontale des pertes.
Rodríguez Iglesias Mancini Moitinho de Almeida Murray Sevón Kakouris Kapteyn Gulmann Edward Puissochet Hirsch Jann Ragnemalm
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Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 juillet 1997.
Le greffier
Le président
R. Grass
G. C. Rodríguez Iglesias
1: Langue de procédure: le néerlandais.