Language of document : ECLI:EU:T:2022:628

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

12 octobre 2022 (*)

« Droit institutionnel – Commission des pétitions du Parlement – Pétition relative au régime disciplinaire des employés publics en Espagne – Question ne relevant pas des domaines d’activités de l’Union – Obligation de motivation – Conflit d’intérêts – Incidence de la mise en ligne du statut d’une pétition sur le portail Internet des pétitions du Parlement »

Dans l’affaire T‑496/21,

Ángel Vasallo Andrés, demeurant à Valladolid (Espagne), représenté par Me F. J. González Álvarez, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mme P. López-Carceller et M. I. Liukkonen, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé, lors des délibérations, de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur) et J. Schwarcz, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Ángel Vasallo Andrés, demande l’annulation de la décision D 200663 de la commission des pétitions du Parlement européen (ci-après la « commission des pétitions »), adoptée le 17 mai 2021 et notifiée le 8 juin 2021, déclarant irrecevable sa pétition (no 99/2021) concernant le régime disciplinaire des employés publics en Espagne (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Au mois de janvier 2021, le requérant a présenté au Parlement une pétition intitulée « Pétition concernant le caractère défaillant du régime disciplinaire applicable aux employés publics en Espagne » (ci-après la « pétition »). En particulier, le requérant estimait que le régime administratif ainsi que le régime « contentieux-administratif » en vigueur en Espagne, en ce qu’ils ne reconnaissaient pas des droits procéduraux suffisants au profit des citoyens qui n’étaient pas personnellement lésés par le comportement d’un employé public de l’État, méconnaissaient le principe de bonne administration prévu à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ci-après la « Charte » ainsi que le droit à un recours effectif prévu tant à l’article 47 de la Charte qu’à l’article 19 TUE. La pétition a été enregistrée sous le numéro 99/2021.

3        Le 4 juin 2021, le requérant a reçu un courriel automatique envoyé par le Parlement l’informant que le statut de la pétition avait été « actualisé » et qu’une lettre officielle lui serait adressée contenant « tous les détails pertinents ». Ce courriel comportait un hyperlien renvoyant à la page du portail Internet des pétitions du Parlement relative à la pétition. Selon le requérant, le statut de la pétition indiquait alors « ouverte au soutien », ce que le Parlement conteste.

4        Le 5 juin 2021, le requérant a reçu un deuxième courriel, libellé de manière identique au précédent. En revanche, selon le requérant, la page à laquelle l’hyperlien renvoyait désormais indiquait que la pétition était « irrecevable ».

5        Par un troisième courriel, du 8 juin 2021, le Parlement a notifié la décision attaquée au requérant. Dans la décision attaquée, la commission des pétitions indiquait ne pouvoir donner suite à la pétition, le sujet qui y était abordé ne relevant pas des domaines d’action de l’Union européenne. Dans la décision attaquée, il était également indiqué :

« Toutefois, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’est destinée qu’aux États membres de l’Union dans le cadre de leur mise en œuvre du droit de l’Union. En outre, la législation nationale en matière d’administration publique relève de la compétence exclusive des États membres ; partant, le Parlement européen ne peut donner d’avis sur la législation des États membres dans ce domaine. »

 Conclusions des parties

6        Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        faire droit à la demande de récusation de la présidente de la commission des pétitions ainsi que de tout autre employé en activité ou en disponibilité de l’administration publique espagnole ou qui est ou a été, à un quelconque moment, lié à celle-ci ou membre du pouvoir législatif ou exécutif de cet État membre ;

–        reconnaître son droit à connaître les justifications des décisions adoptées au cours de la procédure d’adoption de la décision attaquée et, plus particulièrement, de la décision initiale de recevabilité de la pétition et du changement de statut de celle-ci d’« ouverte au soutien » à « irrecevable » ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        déclarer la recevabilité de la pétition ou, à défaut, condamner la commission des pétitions à reprendre la procédure et à déclarer la pétition recevable et ouverte au soutien ;

–        déterminer les responsabilités individuelles des personnes qui auraient violé la réglementation applicable ou, à défaut, énoncer dans l’arrêt à intervenir les agissements irréguliers susceptibles d’engager la responsabilité de leurs auteurs ;

–        condamner le Parlement aux dépens.

7        Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la demande d’annulation de la décision attaquée

8        Aux termes de l’article 227 TFUE, tout citoyen de l’Union, ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre, a le droit de présenter, à titre individuel ou en association avec d’autres citoyens ou personnes, une pétition au Parlement européen sur un sujet relevant des domaines d’activité de l’Union et qui le ou la concerne directement. Cette disposition, initialement introduite, en 1981, dans le règlement intérieur du Parlement, est l’expression du droit fondamental de pétition désormais garanti à l’article 44 de la Charte.

9        Ainsi, le droit de pétition constitue un instrument de participation des citoyens à la vie démocratique de l’Union. Il s’agit de l’une des voies du dialogue direct entre les citoyens de l’Union et leurs représentants (arrêt du 9 décembre 2014, Schönberger/Parlement, C‑261/13 P, EU:C:2014:2423, point 17).

10      Toute décision par laquelle le Parlement considère qu’une pétition dont il est saisi ne satisfait pas aux conditions énoncées à l’article 227 TFUE est susceptible de faire l’objet d’un recours juridictionnel. En effet, une telle décision est de nature à affecter le droit de pétition de l’intéressé (arrêt du 9 décembre 2014, Schönberger/Parlement, C‑261/13 P, EU:C:2014:2423, point 22).

11      Une décision négative du Parlement, pour ce qui concerne la question de savoir si les conditions énoncées à l’article 227 TFUE sont satisfaites, doit être motivée de façon à permettre au pétitionnaire de connaître laquelle parmi lesdites conditions n’est pas remplie dans son cas. À cet égard, contrairement à l’appréciation faite par le Tribunal au point 28 de son arrêt du 14 septembre 2011, Tegebauer/Parlement (T‑308/07, EU:T:2011:466), une motivation sommaire, telle que celle qui figurait dans la décision en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, répond à cette exigence (arrêt du 9 décembre 2014, Schönberger/Parlement, C‑261/13 P, EU:C:2014:2423, point 23).

12      À l’appui de sa demande tendant à l’annulation de la décision attaquée, le requérant invoque trois moyens. Le premier est tiré de l’existence d’un conflit d’intérêts et de la violation de l’article 47 de la Charte. Le deuxième est pris de la violation de l’article 227 TFUE et d’un défaut de motivation. Par le troisième moyen qu’il invoque, le requérant se prévaut d’une irrégularité de la procédure d’adoption de la décision attaquée en ce que, après avoir été initialement ouverte au soutien, la pétition aurait ensuite été déclarée irrecevable sans que les motifs de ce changement de statut ne lui aient été communiqués.

 Sur le premier moyen, tiré d’un conflit d’intérêts et de la violation de l’article 47 de la Charte

13      À l’appui du premier moyen qu’il invoque, le requérant fait valoir que la présidente de la commission des pétitions aurait dû s’abstenir de statuer sur la demande de pétition et que sa participation à la procédure d’adoption de la décision attaquée caractérise un conflit d’intérêts. Elle aurait, en effet, en sa qualité d’employée publique de l’État et parce qu’elle a exercé des fonctions politiques, un intérêt personnel dans l’affaire en cause.

14      La participation de la présidente de la commission des pétitions à la procédure d’adoption de la décision attaquée méconnaîtrait, en outre, le droit du requérant à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, consacré à l’article 47 de la Charte.

15      Le Parlement conteste cette argumentation.

–       En ce qui concerne la violation de l’article 47 de la Charte

16      L’article 47 de la Charte, dont le requérant allègue la violation, est relatif au droit à un recours effectif devant un tribunal. Or, la commission des pétitions ne saurait être assimilée à une juridiction, le recours juridictionnel contre les décisions de ladite commission s’exerçant devant le juge de l’Union. Il s’ensuit que l’article 47 de la Charte n’est pas applicable à la procédure d’adoption de la décision attaquée par le Parlement et que le grief invoqué en ce sens par le requérant doit être écarté comme inopérant.

–       En ce qui concerne l’allégation de conflit d’intérêts

17      S’agissant du conflit d’intérêts allégué, en premier lieu, le requérant se borne à faire état de ce que la présidente de la commission des pétitions a été employée par le royaume d’Espagne ainsi que de l’exercice, par elle, de fonctions législatives et exécutives dans cet État membre. En dehors de son appartenance à une catégorie de personnes déterminée, laquelle est de nature, selon lui, à porter atteinte à son impartialité, le requérant n’invoque aucun intérêt susceptible d’influencer la position prise pour des motifs personnels par la présidente de la commission des pétitions sur la recevabilité de la pétition.

18      Or, la notion de conflit d’intérêts est définie, pour les membres du Parlement, à l’article 3, paragraphe 1, de l’annexe I du règlement intérieur de l’institution (JO 2019, L 302, p. 1), dans les termes suivants :

« Un conflit d’intérêts existe lorsqu’un député au Parlement européen a un intérêt personnel qui pourrait influencer indûment l’exercice de ses fonctions en tant que député. Il n’y a pas de conflit d’intérêts lorsque le député tire un avantage du seul fait d’appartenir à la population dans son ensemble ou à une large catégorie de personnes. »

19      Il convient donc de constater que, au regard du règlement intérieur du Parlement, l’intérêt allégué par le requérant, lequel constitue un intérêt catégoriel, ne répond pas aux conditions requises pour la caractérisation d’un conflit d’intérêts.

20      En deuxième lieu, il convient d’observer, plus généralement, que la nécessité de prévenir les conflits d’intérêts est une exigence découlant du principe de bonne administration et du droit de toute personne physique ou morale à voir ses affaires traitées avec impartialité, consacrés à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte.

21      L’exigence d’impartialité, qui s’impose aux institutions, aux organes et aux organismes dans l’accomplissement de leurs missions, vise à garantir l’égalité de traitement, qui est un des fondements de l’Union. Cette exigence vise, notamment, à éviter des situations de conflits d’intérêts éventuels pour des fonctionnaires et des agents agissant pour le compte des institutions, des organes et des organismes. Compte tenu de l’importance fondamentale de la garantie d’indépendance et d’intégrité en ce qui concerne tant le fonctionnement interne que l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes de l’Union, l’exigence d’impartialité couvre toutes circonstances que le fonctionnaire ou l’agent amené à se prononcer sur une affaire doit raisonnablement comprendre comme étant de nature à apparaître, aux yeux des tiers, comme susceptible d’affecter son indépendance en la matière (voir arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 26 et jurisprudence citée).

22      Aussi, il incombe à ces institutions, organes et organismes de se conformer à l’exigence d’impartialité, dans ses deux composantes que sont, d’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel, et, d’autre part, l’impartialité objective, conformément à laquelle cette institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé (voir arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 27 et jurisprudence citée).

23      Ainsi qu’il a été rappelé au point 17 ci-dessus, le requérant n’invoque aucune prise de position de la part de la présidente de la commission des pétitions pouvant laisser penser qu’elle aurait abordé l’examen de la pétition avec un préjugé personnel qu’elle aurait antérieurement manifesté. Il convient donc de considérer que le requérant ne met pas en cause son impartialité subjective.

24      S’agissant de l’impartialité objective de la présidente de la commission des pétitions, l’argument du Parlement selon lequel il y aurait lieu d’appliquer des critères moins stricts aux membres du Parlement dans l’exercice de leurs fonctions politiques que ceux applicables aux fonctionnaires et aux agents de l’Union dans l’exercice de fonctions administratives ne saurait être admis. En effet, la question soumise à la commission des pétitions lors de l’examen préliminaire d’une pétition ne porte pas sur la nature des suites éventuelles à y apporter, mais exclusivement sur la question de savoir si cette pétition relève des compétences de l’Union, ce qui constitue une question de qualification juridique dans laquelle n’entre aucune appréciation politique et laquelle est, pour cette raison, soumise à un entier contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2014, Schönberger/Parlement, C‑261/13 P, EU:C:2014:2423, points 22 et 23).

25      Pour autant, ni l’emploi passé de l’intéressée par l’administration nationale espagnole ni l’exercice d’activités politiques nationales en Espagne ne sauraient à eux seuls suffire pour caractériser un conflit d’intérêts pour la seule raison que la pétition conteste le régime disciplinaire applicable aux agents publics espagnols. En effet, pour entacher la légalité de la décision attaquée, le conflit d’intérêts allégué devrait être de nature à faire naître un doute sur l’impartialité en l’espèce de l’appréciation par la présidente de la commission des pétitions de la question de savoir si le régime administratif et contentieux applicable aux employés publics espagnols relève ou non des compétences de l’Union.

26      Or, d’une part, une telle question, ainsi qu’il a été rappelé au point 24 ci-dessus, exclut tout pouvoir d’appréciation autonome. D’autre part, le requérant n’allègue pas que la présidente de la commission des pétitions ait personnellement pris part à l’adoption de la législation nationale contestée dans la pétition. Dès lors, compte tenu de l’absence de marge d’appréciation de la commission des pétitions en ce qui concerne la recevabilité de la pétition et en l’absence de tout élément circonstancié présenté par le requérant de nature à faire naître un doute quant à l’impartialité de l’intéressée, il convient de considérer que l’emploi antérieur de celle-ci par l’administration nationale espagnole et l’exercice de fonctions politiques dans cet État membre ne sont pas, en l’espèce des circonstances susceptibles de faire naître un doute sur son impartialité objective.

27      En troisième lieu, les précisions apportées par le Parlement relatives à la procédure d’adoption des décisions relatives à la recevabilité des pétitions suivie en l’espèce permettent de constater que la présidente de la commission des pétitions n’a pas joué un rôle déterminant dans l’adoption de la décision attaquée. En effet, il résulte des informations fournies par le Parlement, lesquelles ne sont ni contestées par le requérant ni contredites par aucune des pièces du dossier, que le document de synthèse préparé par le secrétariat de la commission des pétitions proposant de classer la pétition comme irrecevable a été adopté par consensus des membres de ladite commission, aucun d’entre eux n’ayant exprimé d’opposition à cette proposition.

28      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de constater que, d’une part, la présidente de la commission des pétitions n’a joué aucun rôle personnel dans la procédure d’adoption de la décision attaquée et que, d’autre part, le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour faire naître un doute quant à l’existence du conflit d’intérêts qu’il allègue. Dès lors, le premier moyen doit être écarté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de ce que la pétition relève des domaines d’activité de l’Union

–       En ce qui concerne la première branche du deuxième moyen, tirée de la violation de l’article 227 TFUE

29      À l’appui du deuxième moyen qu’il invoque, le requérant fait valoir que la pétition relève des domaines d’activité de l’Union au sens de l’article 227 TFUE. En effet, selon lui, il ne saurait être indifférent que le droit administratif interne d’un État membre viole le droit de l’Union. Or, en l’espèce, le régime disciplinaire des employés publics espagnols  violerait le droit à une protection juridictionnelle effective ainsi que le droit à une bonne administration, garantis aux articles 6, 40 et 47 de la Charte. Ces droits, consacrés par les traités, seraient « incorporés au droit de l’Union ». La pétition ayant pour objet de dénoncer leur violation, elle relèverait, dès lors, des domaines d’activité de l’Union.

30      S’agissant du droit à une protection juridictionnelle effective, « directement lié » à l’article 19 TUE, celui-ci imposerait aux États membres d’assurer à leurs ressortissants une protection juridictionnelle conforme à ce que prévoit la jurisprudence de la Cour. Cette obligation serait « inhérente à l’existence d’un État de droit » (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 73).  

31      En l’espèce, selon le requérant, le régime des sanctions administratives et de leur contentieux en Espagne violerait les droits fondamentaux et entraînerait une « privation absolue de liberté », en limitant indûment l’accès des citoyens aux procédures juridictionnelles, y compris dans les cas dans lesquels ils sont eux-mêmes les auteurs d’une plainte visant un employé public. En effet, le régime disciplinaire contesté dans la plainte limiterait les droits des citoyens victimes d’agissements fautifs de la part d’un employé public au dépôt d’une plainte, dont l’instruction serait laissée au pouvoir discrétionnaire de l’administration nationale. Les juridictions administratives ne pourraient pas se saisir elles-mêmes et les plaignants, sauf cas exceptionnels, ne pourraient ni saisir ces juridictions ni intervenir dans les procédures juridictionnelles. Cette absence de recours effectif ne permettrait pas aux citoyens, par exemple, d’intervenir afin de faire cesser des malversations commises au détriment des fonds de l’Union, dans les cas où les employés publics qui en seraient responsables seraient indûment protégés par leur administration.

32      Le Parlement conteste cette argumentation.

33      Aux termes de l’article 227 TFUE, tout citoyen de l’Union, ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre, a le droit de présenter, à titre individuel ou en association avec d’autres citoyens ou personnes, une pétition au Parlement européen sur un sujet relevant des domaines d’activité de l’Union et qui le ou la concerne directement.

34      Cette disposition doit être rapprochée des articles 2 à 6 TFUE, lesquelles définissent les compétences exclusives, les compétences partagées et les compétences d’appui attribuées à l’Union par les traités. Or, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE, le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union et, en vertu de ce principe, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées. Or, force est de constater que le droit de la fonction publique nationale des États membres ne fait partie d’aucune de ces compétences d’attribution.

35      En premier lieu, l’argument du requérant selon lequel les articles 41 et 47 de la Charte et l’article 19 TUE sont « incorporés » au droit de l’Union et, dès lors, toute violation du principe de bonne administration ou du droit à une protection juridictionnelle effective relève des compétences de l’Union ne saurait prospérer.

36      En effet, d’une part, une telle conception remettrait en cause le principe de répartition des compétences expressément prévu dans les traités. Or, celui-ci a pour conséquence la seule attribution à l’Union des compétences qui lui sont limitativement dévolues dans les traités (voir point 34 ci-dessus).

37      D’autre part, les dispositions de droit de l’Union invoquées par le requérant contiennent toutes une réserve expressément destinée à éviter que la définition de ces principes généraux ne puisse être invoquée pour remettre en cause la définition stricte du principe d’attribution. Elles excluent ainsi expressément l’interprétation qu’en propose le requérant. À cet égard, la Charte précise que ses dispositions s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union (article 51, paragraphe 1) et qu’elle ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et les tâches définies par les traites (article 51, paragraphe 2). De même, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE limite expressément son champ d’application aux domaines couverts par le droit de l’Union.

38      En second lieu, les exemples avancés par le requérant ne sont pas susceptibles de venir à l’appui de son argumentation.

39      Ainsi, premièrement, l’argument selon lequel la Commission a engagé la procédure en manquement prévue à l’article 258 TFUE pour faire constater la violation par certains États membres des obligations qui leur incombaient en vertu de directives relatives aux procédures d’asile, de retour ou aux conditions d’accueil vise des cas relevant des domaines d’activité de l’Union, puisque, dans tous ces cas, des actes de droit dérivés avaient été adoptés sur la base des compétences prévues dans les traités. Au contraire, en l’espèce, le requérant ne peut citer aucun acte dérivé qui serait intervenu en matière de régime disciplinaire ou de contentieux des procédures disciplinaires applicables aux employés publics nationaux.

40      Deuxièmement, la référence faite par le requérant à des résolutions du Parlement visant à inciter la Commission à faire usage de son pouvoir d’initiative pour proposer des règles en matière de procédure administrative concerne, ainsi que le Parlement le fait valoir en défense, la procédure applicable aux institutions, organes et organismes de l’Union, et non les procédures internes aux États membres. De telles résolutions ne démontrent donc pas que les règles disciplinaires et contentieuses applicables aux employés publics espagnols relèvent des domaines d’activité de l’Union.

41      Troisièmement, l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), ne saurait être interprété comme venant au soutien de la position du requérant. En effet, le régime disciplinaire applicable aux magistrats polonais qui était en cause dans cette affaire prévoyait, notamment, que le contenu des décisions juridictionnelles, en particulier la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, pourrait être qualifié d’infraction disciplinaire. En outre, l’indépendance et l’impartialité de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise, à laquelle incombait le contrôle des procédures disciplinaires engagées contre les juges, n’étaient pas garanties. Enfin, les procédures disciplinaires engagées contre les juges pouvaient être examinées par une juridiction désignée arbitrairement.

42      La Cour, certes, a itérativement jugé que, si l’organisation de la justice dans les États membres relevait de la compétence de ces derniers, il n’en demeurait pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres étaient tenus de respecter les obligations qui découlaient, pour eux, du droit de l’Union et, en particulier, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Or, aux termes de ces obligations figure, en particulier, l’existence de garanties suffisantes pour assurer l’indépendance de la justice [voir arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 52 et jurisprudence citée ; du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, point 102 et jurisprudence citée, et du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 56 et jurisprudence citée].

43      En effet, les règles nationales contestées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), s’appliquaient à l’ensemble des juridictions nationales, juges de droit commun du droit de l’Union [voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Tanchev dans l’affaire Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:366, points 65 et 66]. Il s’ensuivait que des décisions juridictionnelles susceptibles d’aboutir au constat de la violation du droit de l’Union par les organes nationaux étaient, en réalité, susceptibles de faire l’objet d’un contrôle de la part du pouvoir exécutif.

44      Or, il convient de constater que le contexte juridique et factuel dans lequel est intervenu l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), diffère de celui de l’espèce.

45      En effet, d’une part, il ne ressort pas du présent recours que la juridiction contentieuse-administrative espagnole soit compétente pour faire application d’autres règles que celles qui régissent la fonction publique nationale.

46      D’autre part, ce qui était en cause dans le cas du régime disciplinaire des juges polonais était la possibilité, pour un justiciable, d’obtenir qu’une juridiction indépendante du pouvoir exécutif se prononce sur l’application du droit de l’Union à sa situation. En revanche, il ressort des arguments avancés par le requérant que son interprétation de la portée des articles 41 et 47 de la Charte et de l’article 19 TUE aboutirait à permettre à tout justiciable, indépendamment du degré auquel il peut être affecté par une violation du droit de l’Union, d’obtenir la sanction personnelle de l’employé public qu’il estime coupable, et ce indépendamment de celle de l’administration. Or, outre le fait que le droit d’obtenir une telle sanction ne trouve aucun fondement dans la jurisprudence, il convient également d’observer que ladite sanction n’aurait pas nécessairement pour conséquence que l’effectivité du droit de l’Union serait, du seul fait de son prononcé, pleinement garantie.

47      Il résulte de ce qui précède que les arguments avancés par le requérant ne sont pas de nature à démontrer que, en estimant dans la décision attaquée que la pétition ne relevait pas des domaines d’activité de l’Union, la commission des pétitions a violé l’article 227 TFUE. Partant, la première branche du deuxième moyen doit être écartée.

–       En ce qui concerne la seconde branche du deuxième moyen, tirée d’un défaut de motivation

48      À l’appui de la seconde branche du deuxième moyen, le requérant fait valoir que, dès lors que la motivation énoncée dans la décision attaquée est erronée, celle-ci est, de ce fait, dépourvue d’une motivation suffisante. Cette absence de motivation constituerait un vice distinct de l’erreur de droit relevée dans le cadre de la première branche du deuxième moyen et celui-ci ne serait pas régularisable.

49      Le Parlement conteste cette argumentation.

50      L’obligation de motivation découlant de l’article 296 TFUE poursuit la double finalité de permettre aux destinataires des décisions adoptées par les institutions, les organes et les organismes de l’Union de connaître les justifications de la mesure prise et au juge de l’Union d’exercer le contrôle de légalité qui lui incombe en application de l’article 263 TFUE.

51      Or, en l’espèce, le requérant ne conteste pas que la décision attaquée, conformément au libellé qui lui en a été communiquée, présentait un caractère suffisant au regard de la double finalité énoncée au point 50 ci-dessus, mais il soutient que, aucun des motifs énoncés n’étant fondé selon lui, ladite décision doit néanmoins être considérée comme non motivée.

52      Une telle argumentation procède d’une confusion entre l’exigence de motivation, laquelle relève de la violation des formes substantielles et constitue un moyen d’ordre public, d’une part, et le contrôle du bien-fondé des motifs, portant sur la légalité au fond de la décision contestée et dont l’examen est exclusivement limité aux arguments invoqués par la partie requérante, d’autre part (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67 et jurisprudence citée).

53      Il s’ensuit qu’aucune règle de droit de l’Union ne permet de considérer comme dépourvue de motivation une décision dans le cas où les motifs sur lesquels celle-ci se fonde s’avéreraient dépourvus de fondement. Par suite, la deuxième branche du second moyen doit être écartée comme inopérante et, partant, le deuxième moyen écarté dans son ensemble.

 Sur le troisième moyen, tiré d’un vice de forme issu du changement de statut de la pétition sur le site Internet du Parlement et d’un défaut de motivation

54      Le requérant estime que la modification du statut de la pétition, passée en quelques heures, sur le site Internet du Parlement, d’« ouverte au soutien » à « irrecevable », est indue et irrégulière. En outre, les raisons de ce changement de statut ne lui auraient pas été indiquées, ce qui constituerait un défaut de motivation.

55      Le Parlement estime que le troisième moyen doit être écarté comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé.

56      Il convient, ainsi que le Parlement le soutient, de constater que le requérant reste en défaut de qualifier juridiquement les conséquences du changement du statut de la pétition qu’il conteste, à supposer qu’il soit effectivement intervenu. Or, selon l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, la requête introductive d’instance doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. La requête doit, de ce fait, expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen (voir arrêt du 5 mars 2019, Pethke/EUIPO, T‑169/17, non publié, EU:T:2019:135, point 112 et jurisprudence citée). En outre, il n’appartient pas au Tribunal de procéder par voie de conjectures quant aux raisonnements et aux considérations précises, tant factuelles que juridiques, de nature à sous-tendre les contestations du recours (voir arrêt du 15 mars 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑236/09, non publié, EU:T:2012:127, point 115 et jurisprudence citée). Il s’ensuit qu’il convient d’accueillir la fin de non-recevoir présentée par le Parlement et d’écarter le troisième moyen comme irrecevable.

57      En tout état de cause, d’une part, il convient de constater également que le renvoi, par le lien figurant dans le courriel automatique reçu par le requérant le 4 juin 2021, à une page du site Internet du Parlement indiquant que la pétition était « ouverte au soutien » repose sur les seules allégations du requérant et est contesté par le Parlement. L’explication fournie par le Parlement à l’envoi au requérant de deux courriels distincts, l’un le 4 juin 2021 et l’autre le lendemain, à savoir des modifications orthographiques ou grammaticales ou un simple doublon du premier envoi, n’est pas dépourvue de crédibilité. Dans ces conditions, il convient de considérer que, si le requérant établit avoir reçu du Parlement deux courriels successifs relatifs à la pétition, il reste néanmoins en défaut de démontrer le changement de statut qu’il allègue.

58      D’autre part, même dans l’hypothèse où le changement de statut allégué par le requérant serait considéré comme établi, force serait néanmoins de constater qu’un tel changement n’aurait pu avoir d’incidence sur la légalité de la décision attaquée. En effet, les courriels automatiques adressés par le portail Internet des pétitions du Parlement indiquaient que seule une décision adoptée par la commission des pétitions était susceptible de statuer sur la demande d’enregistrement de la pétition et qu’une décision motivée émanant de ladite commission serait adressée ultérieurement au requérant.

59      Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen doit être écarté comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé.

60      Dès lors, il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en annulation doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin d’ordonner les mesures d’organisation de la procédure demandées par le requérant.

 Sur les autres chefs de conclusions présentés par le requérant

61      Outre sa demande d’annulation de la décision attaquée, le requérant présente quatre chefs de conclusions tendant à ce que le Tribunal, premièrement, fasse droit à sa demande de récusation de la présidente de la commission des pétitions ainsi que de tout autre employé en activité ou en disponibilité de l’administration publique espagnole ou qui est ou a été, à un quelconque moment, lié à celle-ci ou membre du pouvoir législatif ou exécutif de cet État membre, lors de la procédure d’adoption de la nouvelle décision qui devrait être adoptée sur la recevabilité de la pétition à la suite de l’annulation de la décision attaquée ; deuxièmement, reconnaisse son droit à connaître les justifications des « décisions » adoptées au cours de la procédure d’adoption de la décision attaquée et, plus particulièrement, de la décision initiale de recevabilité de la pétition et du changement de statut de celle-ci d’« ouverte au soutien » à « irrecevable » ; troisièmement, déclare la recevabilité de la pétition ou, à défaut, condamne la commission des pétitions à reprendre la procédure et à déclarer la pétition recevable et ouverte au soutien et, quatrièmement, détermine les responsabilités individuelles des personnes qui auraient violé la réglementation applicable ou, à défaut, énonce dans le présent arrêt les agissements irréguliers susceptibles d’engager la responsabilité de leurs auteurs.

62      En ce qui concerne les premier et troisième chefs de conclusions énoncés au point 61 ci-dessus, il convient de constater qu’ils tendent à ce que le Tribunal prononce des injonctions à l’égard du Parlement. À cet égard, il suffit de rappeler que, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal n’a pas compétence pour prononcer des injonctions à l’encontre des institutions, des organes et des organismes de l’Union (voir ordonnance du 26 octobre 1995, Pevasa et Inpesca/Commission, C‑199/94 P et C‑200/94 P, EU:C:1995:360, point 24 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 25 septembre 2018, Suède/Commission, T‑260/16, EU:T:2018:597, point 104 et jurisprudence citée). Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter lesdits chef de conclusions pour cause d’incompétence.

63      En ce qui concerne le deuxième chef de conclusions énoncé au point 61 ci-dessus, celui-ci tend à obtenir du Tribunal la reconnaissance du droit du requérant à obtenir communication de « justifications » de la part du Parlement. À supposer qu’une telle demande ne constitue pas une demande d’injonction supplémentaire, mais se limite à ce que le Tribunal prenne position sur l’existence d’un droit subjectif du requérant, force est constater que le contentieux de l’Union ne connaît pas de voie de droit permettant au juge de prendre position par le biais d’une déclaration générale ou de principe (voir arrêt du 11 décembre 2017, Léon Van Parys/Commission, T‑125/16, EU:T:2017:884, point 44 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que ce chef de conclusions doit être lui aussi rejeté pour cause d’incompétence.

64      En ce qui concerne, enfin, le quatrième chef de conclusions énoncé au point 61 ci-dessus, d’une part, il convient de constater qu’il n’appartient pas au juge de l’Union, lorsque, comme en l’espèce, il est exclusivement saisi d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE, de se prononcer sur le point de savoir si les conditions de l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union en raison de l’agissement de l’une de ses institutions sont par ailleurs réunies. D’autre part, les compétences limitativement énumérées aux articles 258 à 276 TFUE ne prévoient pas de voies de droit permettant de mettre en cause la responsabilité civile ou pénale des personnes physiques ou morales devant le juge de l’Union (voir, en ce sens, ordonnance du 14 juillet 1998, Glasoltherm/Commission e.a., C‑399/97, EU:C:1998:362, points 6 à 8). Il s’ensuit que ce chef de conclusions doit être rejeté en partie comme irrecevable et en partie pour incompétence.

65      Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

66      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Parlement.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Ángel Vasallo Andrés est condamné aux dépens.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 octobre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.