Affaire T‑344/18
(publication par extraits)
Rubycon Corp.
et
Rubycon Holdings Co. Ltd
contre
Commission européenne
Arrêt du Tribunal (neuvième chambre élargie) du 29 septembre 2021
« Concurrence – Ententes – Marché des condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Coordination des prix dans l’ensemble de l’EEE – Amendes – Immunité partielle d’amende – Paragraphe 26 de la communication sur la coopération de 2006 – Réduction du montant de l’amende – Paragraphe 37 des lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Plafond de 10 % du chiffre d’affaires – Compétence de pleine juridiction »
1. Procédure juridictionnelle – Requête introductive d’instance – Exigences de forme – Exposé sommaire des moyens invoqués – Moyens de droit non exposés dans la requête – Irrecevabilité
[Statut de la Cour de justice, art. 21, 1er al., et 53, 1er al. ; règlement de procédure du Tribunal, art. 76, d) et e)]
(voir points 49-52)
2. Concurrence – Amendes – Montant – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction du juge de l’Union – Portée
(Art. 101, 261 et 263 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 31)
(voir points 54, 55)
3. Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Décision d’application des règles de concurrence – Décision exposant de façon claire et non équivoque les motifs du refus du bénéfice de l’immunité partielle d’amende
(Art.296 TFUE ; communication de la Commission 2006/C 298/11, point 26, 3e al.)
(voir points 63-70)
4. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Règles sur la clémence – Non-imposition ou réduction de l’amende en contrepartie de la coopération de l’entreprise incriminée – Immunité partielle – Absence d’incidence sur l’étendue de la responsabilité pour l’infraction retenue à l’égard des entreprises bénéficiaires d’une telle immunité
(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 298/11)
(voir points 73-76, 88, 89)
5. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Règles sur la clémence – Non-imposition ou réduction de l’amende en contrepartie de la coopération de l’entreprise incriminée – Immunité partielle – Conditions – Preuves produites par l’entreprise incriminée capables de renforcer la gravité de l’infraction – Absence
(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 ; communications de la Commission 2006/C 298/11, point 26, 3e al., et 2006/C 210/02)
(voir points 94-102)
6. Ententes – Infraction complexe présentant des éléments d’accord et des éléments de pratique concertée – Qualification unique en tant qu’"accord et/ou pratique concertée” – Admissibilité – Obligation pour la Commission de qualifier avec précision chacun des comportements infractionnels d’accord ou de pratique concertée – Absence
(Art. 101 TFUE)
(voir points 103-114)
7. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Règles sur la clémence – Non-imposition ou réduction de l’amende en contrepartie de la coopération de l’entreprise incriminée – Immunité partielle – Objectif
(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 298/11, point 26, 3e al.)
(voir points 123-125)
8. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Règles sur la clémence – Non-imposition ou réduction de l’amende en contrepartie de la coopération de l’entreprise incriminée – Immunité partielle – Prise en compte du degré de coopération de l’entreprise incriminée en tant que circonstance atténuante – Exclusion
(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 ; communications de la Commission 2006/C 298/11, point 26, 3e al., et 2006/C 210/02, point 29)
(voir points 141-145)
9. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Méthode de calcul définie par les lignes directrices arrêtées par la Commission – Obligation de la Commission d’appliquer les lignes directrices dans le respect des principes d’égalité de traitement et de la confiance légitime – Commission bénéficiant d’un large pouvoir d’appréciation quant à la méthode de calcul des amendes
(Art. 101, § 1, TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02)
(voir points 56-58, 153, 154)
10. Concurrence – Amendes – Décision infligeant des amendes – Obligation de motivation – Portée – Obligation de la Commission de motiver son refus de s’écarter des lignes directrices pour le calcul des amendes – Absence
(Art. 101 et 296, 2e al., TFUE ; communication de la Commission 2006/C 210/02, point 37)
(voir points 159-163)
11. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Principe d’égalité de traitement – Portée – Nécessité d’opérer une différenciation entre les entreprises impliquées dans une même infraction en fonction de leur chiffre d’affaires global – Absence – Violation du principe d’égalité de traitement – Absence
(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2)
(voir points 187-190)
12. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Obligation pour la Commission de se tenir à sa pratique décisionnelle antérieure – Absence
(Art. 101 et 102 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2 ; communication de la Commission 2006/C 210/02)
(voir point 195)
13. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction – Portée – Soumission aux lignes directrices pour le calcul des amendes – Exclusion – Obligation de respecter le principe d’égalité de traitement
(Art. 101, 261 et 263 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 31 ; communication de la Commission 2006/C 210/02)
(voir points 223-227)
Résumé
Rubycon Corp. est une société établie au Japon, qui fabrique et vend des condensateurs électrolytiques à l’aluminium. Depuis le 1er février 2007, Rubycon Holdings Co. Ltd. (ci-après « Rubycon Holdings ») détient 100 % du capital de Rubycon Corp.
Par décision du 21 mars 2018 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a constaté que Rubycon Corp. et Rubycon Holdings avaient enfreint l’article 101 TFUE en participant à des accords et/ou pratiques concertées qui avaient pour objet la coordination des politiques de prix pour la fourniture de condensateurs électrolytiques à l’aluminium et au tantale (1). La Commission a retenu la responsabilité de Rubycon Corp. en raison de sa participation directe à l’entente du 26 juin 1998 au 23 avril 2012, et la responsabilité de Rubycon Holdings en sa qualité de société mère pour la période allant du 1er février 2007 au 23 avril 2012.
La décision attaquée infligeait, d’une part, une amende à Rubycon Corp., conjointement et solidairement avec Rubycon Holdings, et, d’autre part, une amende individuelle à Rubycon Corp.
Aux fins du calcul du montant desdites amendes, la Commission a suivi la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes (2) (ci-après les « lignes directrices de 2006 »).
Ainsi, la Commission a déterminé le montant de base en se référant à la valeur des ventes des condensateurs électrolytiques concernés durant la dernière année complète de participation à l’infraction et en appliquant des coefficients multiplicateurs en fonction de la durée de l’infraction. En considérant que les arrangements horizontaux de coordination des prix comptent, de par leur nature même, parmi les infractions les plus graves à l’article 101 TFUE, la Commission a, ensuite, fixé la proportion de la valeur des ventes à retenir au titre de la gravité de l’infraction à 16 %. Afin de s’assurer du caractère suffisamment dissuasif des amendes infligées, la Commission a, en outre, appliqué un montant additionnel de 16 %.
S’agissant du coefficient multiplicateur relatif à la durée de l’infraction, la Commission a accordé à Rubycon Corp. une immunité partielle d’amende relative à la durée de l’infraction, au titre du paragraphe 26, troisième alinéa, de la communication sur la coopération de 2006 (3), pour avoir fourni des preuves déterminantes établissant des éléments de fait supplémentaires renforçant la durée de l’infraction pour la période allant du 26 juin 1998 au 28 août 2003.
En revanche, la Commission a refusé d’accorder à Rubycon Corp. et à Rubycon Holdings une immunité partielle d’amende relative à la gravité de l’infraction au titre dudit paragraphe 26, troisième alinéa, au motif que les preuves qu’elles avaient fournies ne lui avaient pas permis d’établir des éléments de fait supplémentaires renforçant la gravité de l’infraction.
Enfin, après l’application du plafond de 10 %, la Commission a accordé à Rubycon Corp. et à Rubycon Holdings une réduction supplémentaire de 30 % du montant de l’amende (4), au motif qu’elles avaient été la deuxième entreprise à fournir des éléments apportant une valeur ajoutée significative quant à la preuve de l’existence de l’entente.
Rubycon Corp. et Rubycon Holdings ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée et à la réduction des amendes infligées, qui est néanmoins rejeté par la neuvième chambre élargie du Tribunal.
Appréciation du Tribunal
Par leur recours, Rubycon Corp. et Rubycon Holdings contestent notamment le refus de la Commission de leur accorder une immunité partielle d’amende relative à la gravité de l’infraction au titre du paragraphe 26, troisième alinéa, de la communication sur la coopération de 2006.
À cet égard, le Tribunal écarte, en premier lieu, le grief tiré du fait que la Commission aurait dû exclure la responsabilité de Rubycon Corp. et de Rubycon Holdings pour leur participation aux réunions dont l’existence avait été prouvée grâce aux éléments de preuve qu’elles avaient fournis. En effet, dans la mesure où le bénéfice de l’immunité partielle d’amende ne concerne que le montant de l’amende, il ne peut pas avoir d’incidence sur l’étendue de la responsabilité pour l’infraction retenue à l’égard de l’entreprise bénéficiaire d’une telle immunité.
En deuxième lieu, le Tribunal rejette le grief tiré du fait que la Commission aurait conclu à tort que les preuves produites étaient sans incidence sur la gravité de l’infraction. À cet égard, Rubycon Corp. et Rubycon Holdings avaient, plus particulièrement, avancé que les preuves apportées au sujet de plusieurs réunions dans le cadre desquelles les entreprises s’étaient accordées sur des prix et sur un mécanisme de surveillance de leur application avaient permis de renforcer la gravité de l’entente en cause.
Le Tribunal rappelle, tout d’abord, que seules les entreprises ayant produit des preuves déterminantes permettant d’établir des éléments de fait supplémentaires capables de renforcer la gravité ou la durée de l’infraction peuvent bénéficier de l’immunité partielle d’amende au titre du paragraphe 26, troisième alinéa, de la communication sur la coopération de 2006.
Ensuite, le Tribunal confirme la conclusion de la Commission selon laquelle les preuves fournies par Rubycon Corp. et Rubycon Holdings n’avaient pas eu d’incidence sur sa capacité d’établir la gravité de l’infraction. Bien que ces preuves démontraient que, lors de certaines réunions, les entreprises avaient conclu des accords sur les prix accompagnés d’un mécanisme de surveillance afin de garantir leur application, il n’en demeurait pas moins que ces éléments n’étaient pas des composants autonomes de l’infraction, susceptibles d’avoir un impact sur la gravité de celle-ci.
En troisième lieu, le Tribunal rejette le grief tiré de la violation du principe d’égalité de traitement.
Rubycon Corp. et Rubycon Holdings se référaient, plus particulièrement, à l’octroi à d’autres entreprises d’une réduction du montant de base de l’amende de 3 % au regard du fait que leur participation à certaines réunions multilatérales n’avait pas été établie. En octroyant cette réduction, la Commission aurait traité de manière plus favorable les entreprises qui avaient décidé de ne pas fournir des éléments de preuve concernant l’infraction par rapport à celles qui avaient décidé de fournir de tels éléments.
À cet égard, le Tribunal relève que la situation factuelle de Rubycon Corp. et Rubycon Holdings et celle des autres entreprises mentionnées étaient substantiellement différentes, dans la mesure où la participation de ces dernières à certaines réunions auxquelles Rubycon Corp avait participé n’avait pas été démontré e et que, contrairement aux autres entreprises mentionnées, Rubycon Corp. et Rubycon Holdings avaient coopéré à l’enquête.
De plus, le Tribunal constate que les deux situations n’étaient pas non plus comparables d’un point de vue juridique. En ce qui concerne les autres entreprises mentionnées, il s’agissait d’évaluer si la non-participation à certains échanges anticoncurrentiels devait être prise en compte dans le cadre des circonstances atténuantes. En ce qui concerne Rubycon Corp. et Rubycon Holdings, il s’agissait, en revanche, d’évaluer si leur coopération à l’enquête devait conduire à leur accorder une immunité partielle d’amende.
À cet égard, le Tribunal précise, en outre, qu’une entreprise ayant décidé de coopérer avec la Commission au titre de la communication sur la coopération de 2006 ne peut valablement reprocher à la Commission de ne pas avoir pris en compte le degré de sa coopération en tant que circonstance atténuante en dehors du cadre juridique de ladite communication.
En quatrième lieu, le Tribunal confirme qu’en appliquant, en l’espèce, la méthode générale de calcul des amendes prévue par les lignes directrices de 2006, la Commission n’avait commis aucune violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et d’individualisation des peines et des sanctions.