Language of document : ECLI:EU:C:2013:663

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

17 octobre 2013 (*)

«Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles — Articles 3 et 7, paragraphe 2 — Liberté de choix des parties — Limites — Lois de police — Directive 86/653/CEE — Agents commerciaux indépendants — Contrats de vente ou d’achat de marchandises — Rupture du contrat d’agence par le commettant — Réglementation nationale de transposition prévoyant une protection allant au-delà des exigences minimales de la directive et prévoyant également une protection des agents commerciaux dans le cadre de contrats de fourniture de services»

Dans l’affaire C‑184/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre du premier protocole du 19 décembre 1988 concernant l’interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, introduite par le Hof van Cassatie (Belgique), par décision du 5 avril 2012, parvenue à la Cour le 20 avril 2012, dans la procédure

United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV

contre

Navigation Maritime Bulgare,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, A. Ó Caoimh, Mme C. Toader (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Navigation Maritime Bulgare, par Me S. Van Moorleghem, advocaat,

–        pour le gouvernement belge, par M. T. Materne et Mme C. Pochet, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. R. Troosters et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 mai 2013,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3 et 7, paragraphe 2, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO L 266, p. 1, ci-après la «convention de Rome»), lus en combinaison avec la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (JO L 382, p. 17).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV (ci-après «Unamar»), société de droit belge, à Navigation Maritime Bulgare (ci-après «NMB»), société de droit bulgare, au sujet du paiement de diverses indemnités prétendument dues à la suite de la résiliation, par NMB, du contrat d’agence commerciale liant ces deux sociétés.

 Le cadre juridique

 Le droit international

 La convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères

3        L’article II, paragraphes 1 et 3, de la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York le 10 juin 1958 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 330, p. 3), dispose:

«1.      Chacun des États contractants reconnaît la convention écrite par laquelle les parties s’obligent à soumettre à un arbitrage tous les différends ou certains des différends qui se sont élevés ou pourraient s’élever entre elles au sujet d’un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel, portant sur une question susceptible d’être réglée par voie d’arbitrage.

[...]

3.      Le tribunal d’un État contractant, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention au sens du présent article, renverra les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée.»

 Le droit de l’Union

 La convention de Rome

4        L’article 1er, paragraphe 1, de la convention de Rome, intitulé «Champ d’application», prévoit:

«Les dispositions de la présente convention sont applicables, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles.»

5        L’article 3 de cette convention, intitulé «Liberté de choix», dispose:

«1.      Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.

2.      Les parties peuvent convenir, à tout moment, de faire régir le contrat par une loi autre que celle qui le régissait auparavant soit en vertu d’un choix antérieur selon le présent article, soit en vertu d’autres dispositions de la présente convention. Toute modification quant à la détermination de la loi applicable, intervenue postérieurement à la conclusion du contrat, n’affecte pas la validité formelle du contrat au sens de l’article 9 et ne porte pas atteinte aux droits des tiers.

3.      Le choix par les parties d’une loi étrangère, assorti ou non de celui d’un tribunal étranger, ne peut, lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés au moment de ce choix dans un seul pays, porter atteinte aux dispositions auxquelles la loi de ce pays ne permet pas de déroger par contrat, ci-après dénommées ‘dispositions impératives’.

4.      L’existence et la validité du consentement des parties quant au choix de la loi applicable sont régies par les dispositions établies aux articles 8, 9 et 11.»

6        Sous le titre «Lois de police», l’article 7 de ladite convention prévoit:

«1.      Lors de l’application, en vertu de la présente convention, de la loi d’un pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application.

2.      Les dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l’application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat.»

7        Aux termes de l’article 18 de la même convention, intitulé «Interprétation uniforme»:

«Aux fins de l’interprétation et de l’application des règles uniformes qui précèdent, il sera tenu compte de leur caractère international et de l’opportunité de parvenir à l’uniformité dans la façon dont elles sont interprétées et appliquées.»

 Le règlement (CE) no 593/2008

8        Le règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO L 177, p. 6, ci-après le «règlement Rome I»), a remplacé la convention de Rome. L’article 9, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, intitulé «Lois de police», est libellé en ces termes:

«1.      Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement.

2.      Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l’application des lois de police du juge saisi.»

 La directive 86/653

9        Les premier à quatrième considérants de la directive 86/653 se lisent comme suit:

«considérant que les restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services pour les activités d’intermédiaires du commerce, de l’industrie et de l’artisanat ont été supprimées par la directive 64/224/CEE [...];

considérant que les différences entre les législations nationales en matière de représentation commerciale affectent sensiblement, à l’intérieur de la Communauté, les conditions de concurrence et l’exercice de la profession et portent atteinte au niveau de protection des agents commerciaux dans leurs relations avec leurs commettants, ainsi qu’à la sécurité des opérations commerciales; que, par ailleurs, ces différences sont de nature à gêner sensiblement l’établissement et le fonctionnement des contrats de représentation commerciale entre un commettant et un agent commercial établis dans des États membres différents;

considérant que les échanges de marchandises entre États membres doivent s’effectuer dans des conditions analogues à celles d’un marché unique, ce qui impose le rapprochement des systèmes juridiques des États membres dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement de ce marché commun; que, à cet égard, les règles de conflit de lois, même unifiées, n’éliminent pas, dans le domaine de la représentation commerciale, les inconvénients relevés ci-dessus et ne dispensent dès lors pas de l’harmonisation proposée;

considérant, à cet égard, que les rapports juridiques entre l’agent commercial et le commettant doivent être pris en considération par priorité».

10      L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de cette directive prévoit:

«1.      Les mesures d’harmonisation prescrites par la présente directive s’appliquent aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui régissent les relations entre les agents commerciaux et leurs commettants.

2.      Aux fins de la présente directive, l’agent commercial est celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée ‘commettant’, soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant.»

11      L’article 17 de ladite directive dispose:

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer à l’agent commercial, après cessation du contrat, une indemnité selon le paragraphe 2 ou la réparation du préjudice selon le paragraphe 3.

2.      a)      L’agent commercial a droit à une indemnité si et dans la mesure où:

–        il a apporté de nouveaux clients au commettant ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants et le commettant a encore des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients

et

–        le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment des commissions que l’agent commercial perd et qui résultent des opérations avec ces clients. Les États membres peuvent prévoir que ces circonstances comprennent aussi l’application ou non d’une clause de non-concurrence au sens de l’article 20.

b)      Le montant de l’indemnité ne peut excéder un chiffre équivalent à une indemnité annuelle calculée à partir de la moyenne annuelle des rémunérations touchées par l’agent commercial ou cours de cinq dernières années et, si le contrat remonte à moins de cinq ans, l’indemnité est calculée sur la moyenne de la période.

c)      L’octroi de cette indemnité ne prive pas l’agent commercial de faire valoir des dommages-intérêts.

3.      L’agent commercial a droit à la réparation du préjudice que lui cause la cessation de ses relations avec le commettant.

Ce préjudice découle notamment de l’intervention de la cessation dans des conditions:

–        qui privent l’agent commercial des commissions dont l’exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier tout en procurant au commettant des avantages substantiels liés à l’activité de l’agent commercial,

–        et/ou qui n’ont pas permis à l’agent commercial d’amortir les frais et dépenses qu’il a engagés pour l’exécution du contrat sur la recommandation du commettant.

[...]

5.      L’agent commercial perd le droit à l’indemnité dans les cas visés au paragraphe 2 ou à la réparation du préjudice dans les cas visés au paragraphe 3 s’il n’a pas notifié au commettant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits.

[...]»

12      Aux termes de l’article 18 de la même directive:

«L’indemnité ou la réparation visée à l’article 17 n’est pas due:

a)      lorsque le commettant a mis fin au contrat pour un manquement imputable à l’agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai;

[...]»

13      Selon l’article 22 de la directive 86/653, les États membres étaient tenus de transposer celle-ci dans leur législation interne avant le 1er janvier 1990.

 Les droits nationaux

 La loi belge relative au contrat d’agence commerciale

14      L’article 1er, premier alinéa, de la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d’agence commerciale (Moniteur belge du 2 juin 1995, p. 15621, ci-après la «loi relative au contrat d’agence commerciale»), laquelle a transposé en droit belge la directive 86/653, se lit comme suit:

«Le contrat d’agence commerciale est le contrat par lequel l’une des parties, l’agent commercial, est chargée de façon permanente, et moyennant rémunération, par l’autre partie, le commettant, sans être soumis à l’autorité de ce dernier, de la négociation et éventuellement de la conclusion d’affaires au nom et pour compte du commettant.»

15      L’article 18, paragraphes 1 et 3, de cette loi prévoit:

«§ 1er.      Lorsque le contrat d’agence est conclu pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée avec faculté de dénonciation anticipée, chacune des parties peut y mettre fin en respectant un préavis.

[...]

§ 3.      La partie qui résilie le contrat sans invoquer un des motifs prévus à l’article 19, alinéa 1er, ou sans respecter le délai de préavis fixé au § 1er, alinéa 2, est tenue de payer à l’autre partie une indemnité égale à la rémunération en cours correspondant soit à la durée du préavis, soit à la partie de ce délai restant à courir.»

16      L’article 20, premier alinéa, de ladite loi dispose:

«Après la cessation du contrat, l’agent commercial a droit à une indemnité d’éviction lorsqu’il a apporté de nouveaux clients au commettant ou a développé sensiblement les affaires avec la clientèle existante, pour autant que cette activité doive encore procurer des avantages substantiels au commettant.»

17      Aux termes de l’article 21 de la même loi:

«Pour autant que l’agent commercial ait droit à l’indemnité d’éviction visée à l’article 20 et que le montant de cette indemnité ne couvre pas l’intégralité du préjudice réellement subi, l’agent commercial peut, mais à charge de prouver l’étendue du préjudice allégué, obtenir en plus de cette indemnité, des dommages et intérêts à concurrence de la différence entre le montant du préjudice réellement subi et celui de cette indemnité.»

18      L’article 27 de la loi relative au contrat d’agence commerciale prévoit ce qui suit:

«Sous réserve de l’application des conventions internationales auxquelles la Belgique est partie, toute activité d’un agent commercial ayant son établissement principal en Belgique relève de la loi belge et de la compétence des tribunaux belges.»

 La loi de commerce bulgare

19      En Bulgarie, la directive 86/653 a été transposée par une modification de la loi de commerce (DV no 59, du 21 juillet 2006).

 Le litige au principal et la question préjudicielle

20      Unamar, en qualité d’agent commercial, et NMB, en qualité de commettant, ont conclu, au cours de l’année 2005, un contrat d’agence commerciale portant sur l’exploitation du service de transport maritime régulier par conteneurs de NMB. Le contrat, conclu pour une année et renouvelé annuellement jusqu’au 31 décembre 2008, prévoyait que celui-ci était régi par le droit bulgare et que tout litige relatif audit contrat serait tranché par la chambre d’arbitrage instituée auprès de la chambre de commerce et d’industrie de Sofia (Bulgarie). Par circulaire du 19 décembre 2008, NMB a communiqué à ses agents qu’elle était contrainte, pour des raisons économiques, de mettre fin aux rapports contractuels. Dans ce contexte, le contrat d’agence conclu avec Unamar a été prolongé uniquement jusqu’au 31 mars 2009.

21      Estimant qu’il avait été irrégulièrement mis fin au contrat d’agence commerciale, Unamar a engagé, le 25 février 2009, une action devant le rechtbank van koophandel van Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers) en vue d’obtenir la condamnation de NMB au paiement de diverses indemnités prévues par la loi relative au contrat d’agence commerciale, à savoir une indemnité compensatoire de préavis, une indemnité d’éviction et une indemnité complémentaire du chef de licenciement de personnel, soit au total une somme de 849 557,05 euros.

22      À son tour, NMB a demandé devant le même tribunal la condamnation d’Unamar au paiement d’une somme de 327 207,87 euros, au titre d’arriérés de fret.

23      Dans le cadre de la procédure introduite par Unamar, NMB a soulevé une exception d’irrecevabilité tirée de l’incompétence du tribunal belge à connaître du litige dont il était saisi, en vertu de la clause compromissoire contenue dans le contrat d’agence commerciale. Par un jugement du 12 mai 2009, après la jonction des deux affaires dont il avait été saisi par chacune des parties, le rechtbank van koophandel van Antwerpen a estimé que cette exception d’incompétence soulevée par NMB était non fondée. S’agissant de la loi applicable aux deux litiges portés devant lui, ce tribunal a notamment jugé que l’article 27 de la loi relative au contrat d’agence commerciale était une règle de conflit de loi unilatérale, d’application immédiate en tant que «loi de police», et qui rendait ainsi inopérant le choix d’un droit étranger.

24      Par un arrêt du 23 décembre 2010, le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) a accueilli partiellement l’appel formé par NMB à l’encontre du jugement du 12 mai 2009, en condamnant Unamar au paiement d’arriérés de fret à concurrence d’un montant de 77 207,87 euros, majoré des intérêts de retard au taux légal et des dépens. Par ailleurs, il s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande en paiement d’indemnités qui avait été introduite par Unamar eu égard à la clause compromissoire contenue dans le contrat d’agence commerciale, jugée valable par cette juridiction. En effet, cette dernière a estimé que la loi relative au contrat d’agence commerciale n’était pas d’ordre public et ne relevait pas non plus de l’ordre public international belge, au sens de l’article 7 de la convention de Rome. En outre, elle a estimé que le droit bulgare choisi par les parties offrait également à Unamar, en tant qu’agent maritime de NMB, la protection prévue par la directive 86/653, même si cette dernière ne prévoit qu’une protection minimale. Dans ces conditions, selon cette même juridiction, le principe de l’autonomie de la volonté des parties doit prévaloir et, partant, c’est le droit bulgare qui doit trouver à s’appliquer.

25      Unamar s’est pourvue en cassation à l’encontre de cet arrêt du hof van beroep te Antwerpen. Il ressort de la décision de renvoi que le Hof van Cassatie est d’avis qu’il résulte des travaux préparatoires de la loi relative au contrat d’agence commerciale que les articles 18, 20 et 21 de celle-ci doivent être considérés comme des dispositions impératives en raison du caractère impératif de la directive 86/653 qu’elle transpose dans l’ordre juridique interne. En effet, il ressortirait de l’article 27 de cette loi que l’objectif poursuivi par celle-ci serait d’offrir à l’agent commercial qui a son établissement principal en Belgique la protection des dispositions impératives de la loi belge, indépendamment du droit applicable au contrat.

26      C’est dans ces conditions que le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Compte tenu également de la qualification en droit belge des articles 18, 20 et 21 de la [loi relative au contrat d’agence commerciale] en cause dans la procédure, comme lois de police au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome [...], les articles 3 et 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, lus ou non en combinaison avec la directive 86/653 [...], doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent que les lois de police du pays du juge qui offrent une protection plus étendue que la protection minimale imposée par la directive [86/653], soient appliquées au contrat, même s’il apparaît que le droit applicable au contrat est le droit d’un autre État membre de l’Union européenne dans lequel c’est également la protection minimale offerte par la directive [86/653] qui a été mise en œuvre?»

 Sur la question préjudicielle

27      À titre liminaire, il convient de préciser, d’une part, que la Cour est compétente pour se prononcer sur la présente demande de décision préjudicielle portant sur la convention de Rome en vertu du premier protocole de celle-ci, lequel est entré en vigueur le 1er août 2004. En effet, en vertu de l’article 2, sous a), de ce protocole, le Hof van Cassatie a la faculté de demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur une question soulevée dans une affaire pendante devant lui et portant sur l’interprétation des dispositions de la convention de Rome.

28      D’autre part, nonobstant le fait que la question de la compétence pour connaître du litige au principal a été débattue devant les juridictions de fond et d’appel, la juridiction de renvoi n’a saisi la Cour que de la seule question relative à la loi applicable au contrat, s’estimant dès lors compétente pour trancher le litige sur le fondement de l’article II, paragraphe 3, de la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, signée à New York le 10 juin 1958. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (arrêt du 19 juillet 2012, Garkalns, C‑470/11, point 17 et jurisprudence citée). C’est, partant, sans préjuger de la question de la compétence juridictionnelle que la Cour entend répondre à la question posée.

29      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 3 et 7, paragraphe 2, de la convention de Rome doivent être interprétés en ce sens que la loi d’un État membre qui satisfait à la protection minimale prescrite par la directive 86/653, choisie par les parties à un contrat d’agence commerciale, peut être écartée par la juridiction saisie, établie dans un autre État membre, en faveur de la lex fori pour un motif tiré du caractère impératif, dans l’ordre juridique de ce dernier État membre, des règles régissant la situation des agents commerciaux indépendants.

30      À cet égard, il convient de relever que, bien que la question posée par la juridiction de renvoi vise non pas un contrat de vente ou d’achat de marchandises, mais un contrat d’agence relatif à l’exploitation d’un service de transport maritime, de sorte que la directive 86/653 ne saurait régir directement la situation en cause au principal, il n’en demeure pas moins que, lors de la transposition en droit interne des dispositions de cette directive, le législateur belge a décidé d’appliquer un traitement identique à ces deux types de situations (voir, par analogie, arrêts du 16 mars 2006, Poseidon Chartering, C‑3/04, Rec. p. I‑2505, point 17, et du 28 octobre 2010, Volvo Car Germany, C‑203/09, Rec. p. I‑10721, point 26). Par ailleurs, ainsi que cela a été évoqué au point 24 du présent arrêt, le législateur bulgare a également décidé d’appliquer le régime de la directive à un agent commercial chargé de la négociation et de la conclusion d’affaires, tel que celui en cause dans l’affaire au principal.

31      Selon une jurisprudence constante, lorsqu’une législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues en droit de l’Union afin, notamment, d’éviter l’apparition de discriminations ou d’éventuelles distorsions de concurrence, il existe un intérêt certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 1997, Leur-Bloem, C‑28/95, Rec. p. I‑4161, point 32, ainsi que Poseidon Chartering, précité, point 16 et jurisprudence citée).

32      C’est dans ce contexte que se pose la question de savoir si le juge national peut écarter, en application de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, la loi d’un État membre, choisie par les parties au contrat et transposant les dispositions contraignantes du droit de l’Union, et ce en faveur de la loi d’un autre État membre, la loi du for, qualifiée dans cet ordre juridique d’impérative.

33      Selon NMB, la loi relative au contrat d’agence commerciale ne peut pas être considérée comme «régissant impérativement» le litige au principal, au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome, étant donné que ce litige concerne une matière qui relève de la directive 86/653 et que la loi choisie par les parties est précisément la loi d’un autre État membre de l’Union qui a tout autant transposé cette directive dans son ordre juridique interne. Ainsi, selon NMB, les principes d’autonomie de la volonté des parties et de sécurité juridique s’opposent à ce que, dans des circonstances telles que celles au principal, le droit bulgare soit écarté au profit du droit belge.

34      Le gouvernement belge soutient, pour sa part, que les dispositions de la loi relative au contrat d’agence commerciale présentent un caractère impératif et peuvent être qualifiées de lois de police. À cet égard, ce gouvernement relève que cette loi, bien qu’ayant été adoptée en tant que mesure de transposition de la directive 86/653, a conféré une portée plus large à la notion d’«agent commercial» que celle contenue dans cette directive, dans la mesure où tout agent commercial chargé «de la négociation et éventuellement de la conclusion d’affaires» est visé par ladite loi. Le gouvernement belge a également insisté, dans ses observations, sur le fait que cette même loi a étendu les possibilités d’indemnisation au profit de l’agent commercial en cas de rupture de son contrat, ce qui aurait pour conséquence que c’est bien à l’aune de la loi belge que le litige au principal devrait être jugé.

35      La Commission européenne fait valoir, en substance, que l’invocation unilatérale de règles de police par un État est, en tout état de cause, contraire aux principes qui sous-tendent la convention de Rome, en particulier à la règle fondamentale de la prévalence de la loi choisie contractuellement par les parties, dans la mesure où cette loi est celle d’un État membre ayant intégré dans son ordre juridique interne les dispositions impératives du droit de l’Union concernées. Par conséquent, les États membres ne pourraient pas aller à l’encontre de ce principe fondamental en qualifiant systématiquement d’impératives leurs règles nationales, sauf lorsqu’elles concernent explicitement un intérêt important.

36      La Cour a déjà eu l’occasion de juger que la directive 86/653 a pour objectif d’harmoniser le droit des États membres en ce qui concerne les rapports juridiques entre les parties à un contrat d’agence commerciale (arrêts du 30 avril 1998, Bellone, C‑215/97, Rec. p. I‑2191, point 10; du 23 mars 2006, Honyvem Informazioni Commerciali, C‑465/04, Rec. p. I‑2879, point 18, et du 26 mars 2009, Semen, C‑348/07, Rec. p. I‑2341, point 14).

37      Il ressort, en effet, du deuxième considérant de cette directive que les mesures d’harmonisation prescrites par celle-ci visent, entre autres, à supprimer les restrictions à l’exercice de la profession d’agent commercial, à uniformiser les conditions de concurrence à l’intérieur de l’Union et à accroître la sécurité des opérations commerciales (arrêt du 9 novembre 2000, Ingmar, C‑381/98, Rec. p. I‑9305, point 23).

38      Il résulte également d’une jurisprudence établie que, notamment, les dispositions nationales subordonnant la validité d’un contrat d’agence à l’inscription de l’agent commercial à un registre prévu à cet effet sont de nature à gêner sensiblement l’établissement et le fonctionnement de contrats d’agence entre parties dans des États membres différents et sont dès lors, sous cet aspect, contraires aux finalités de la directive 86/653 (voir, en ce sens, arrêt Bellone, précité, point 17).

39      À cet égard, les articles 17 et 18 de cette directive revêtent une importance déterminante, car ils définissent le niveau de protection que le législateur de l’Union a estimé raisonnable d’accorder aux agents commerciaux dans le cadre de la création du marché unique.

40      Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, le régime instauré à cette fin par la directive 86/653 présente un caractère impératif. L’article 17 de cette directive fait en effet obligation aux États membres de mettre en place un mécanisme de dédommagement de l’agent commercial après la cessation du contrat. Même si cet article offre aux États membres une option entre le système d’indemnité et celui de réparation du préjudice, les articles 17 et 18 de ladite directive fixent un cadre précis à l’intérieur duquel les États membres peuvent exercer leur marge d’appréciation quant au choix des méthodes de calcul de l’indemnité ou de la réparation à octroyer. En outre, selon l’article 19 de la même directive, les parties ne peuvent pas déroger à ces dispositions au détriment de l’agent commercial avant l’échéance du contrat (arrêt Ingmar, précité, point 21).

41      S’agissant de la question de savoir si un juge national peut écarter la loi choisie par les parties au profit de sa loi nationale transposant les articles 17 et 18 de la directive 86/653, il convient de se référer à l’article 7 de la convention de Rome.

42      Il y a lieu de rappeler que l’article 7 de cette convention, intitulé «Lois de police», désigne, à son paragraphe 1, les dispositions impératives de la loi étrangère et, au paragraphe 2 de ce même article, les dispositions impératives de la loi du for.

43      Ainsi, l’article 7, paragraphe 1, de ladite convention permet à l’État du for d’appliquer les dispositions impératives de la loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit en lieu et place du droit applicable au contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application.

44      L’article 7, paragraphe 2, de la même convention permet quant à lui d’appliquer des règles de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable au contrat.

45      Il découle de ce qui précède que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la convention de Rome, l’application par le juge national des dispositions impératives d’une loi étrangère ne peut intervenir que dans des conditions expressément définies, tandis que le libellé de l’article 7, paragraphe 2, de cette convention ne prévoit pas explicitement de condition particulière pour l’application des dispositions impératives de la loi du for.

46      Cependant, il convient de relever que la possibilité d’exciper de l’existence de règles de police en vertu de l’article 7, paragraphe 2, de la convention de Rome n’affecte pas l’obligation des États membres de veiller à la conformité de ces règles avec le droit de l’Union. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, l’appartenance de règles nationales à la catégorie des lois de police et de sûreté ne les soustrait pas au respect des dispositions du traité, sous peine de méconnaître la primauté et l’application uniforme du droit de l’Union. Les motifs à la base de telles législations nationales ne peuvent être pris en considération par le droit de l’Union qu’au titre des exceptions aux libertés expressément prévues par le traité et, le cas échéant, au titre des raisons impérieuses d’intérêt général (arrêt du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C‑369/96 et C‑376/96, Rec. p. I‑8453, point 31).

47      Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que la qualification de dispositions nationales de lois de police et de sûreté par un État membre vise les dispositions dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national dudit État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci (arrêts Arblade e.a., précité, point 30, ainsi que du 19 juin 2008, Commission/Luxembourg, C‑319/06, Rec. p. I‑4323, point 29).

48      Cette interprétation est également conforme au libellé de l’article 9, paragraphe 1, du règlement Rome I, qui n’est toutefois pas applicable ratione temporis au litige au principal. En effet, selon cet article, une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après ce règlement.

49      Ainsi, pour donner plein effet au principe d’autonomie de la volonté des parties au contrat, pierre angulaire de la convention de Rome, reprise dans le règlement Rome I, il y a lieu de faire en sorte que le choix librement opéré par ces parties quant à la loi applicable dans le cadre de leur relation contractuelle soit respecté, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la convention de Rome, de sorte que l’exception relative à l’existence d’une «loi de police», au sens de la législation de l’État membre concerné, telle que visée à l’article 7, paragraphe 2, de cette convention, doit être interprétée de manière stricte.

50      Il revient ainsi au juge national, dans le cadre de son appréciation quant au caractère de «loi de police» de la loi nationale qu’il entend substituer à celle expressément choisie par les parties au contrat, de tenir compte non seulement des termes précis de cette loi, mais aussi de l’économie générale et de l’ensemble des circonstances dans lesquelles ladite loi a été adoptée pour pouvoir en déduire qu’elle revêt un caractère impératif, dans la mesure où il apparaît que le législateur national a adopté celle-ci en vue de protéger un intérêt jugé essentiel par l’État membre concerné. Ainsi que l’a souligné la Commission, un tel cas pourrait être celui où la transposition dans l’État du for offre, par une extension du champ d’application d’une directive ou par le choix d’une utilisation plus étendue de la marge d’appréciation laissée par celle-ci, une protection plus grande des agents commerciaux en vertu de l’intérêt particulier que l’État membre accorde à cette catégorie de ressortissants.

51      Toutefois, dans le cadre de cette appréciation et aux fins de ne compromettre ni l’effet d’harmonisation voulu par la directive 86/653 ni l’application uniforme de la convention de Rome au niveau de l’Union, il convient de prendre en compte le fait que, à la différence du contrat qui était en cause dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Ingmar, précité, dans laquelle la loi qui a été écartée était la loi d’un pays tiers, dans le cadre de l’affaire au principal, la loi qui viendrait à être écartée au profit de la loi du for serait celle d’un autre État membre qui, selon tous les intervenants et de l’avis de la juridiction de renvoi, a correctement transposé la directive 86/653.

52      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 3 et 7, paragraphe 2, de la convention de Rome doivent être interprétés en ce sens que la loi d’un État membre de l’Union qui satisfait à la protection minimale prescrite par la directive 86/653, choisie par les parties à un contrat d’agence commerciale, peut être écartée par la juridiction saisie, établie dans un autre État membre, en faveur de la lex fori pour un motif tiré du caractère impératif, dans l’ordre juridique de ce dernier État membre, des règles régissant la situation des agents commerciaux indépendants uniquement si la juridiction saisie constate de façon circonstanciée que, dans le cadre de cette transposition, le législateur de l’État du for a jugé crucial, au sein de l’ordre juridique concerné, d’accorder à l’agent commercial une protection allant au-delà de celle prévue par ladite directive, en tenant compte à cet égard de la nature et de l’objet de telles dispositions impératives.

 Sur les dépens

53      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Les articles 3 et 7, paragraphe 2, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, doivent être interprétés en ce sens que la loi d’un État membre de l’Union européenne qui satisfait à la protection minimale prescrite par la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, choisie par les parties à un contrat d’agence commerciale, peut être écartée par la juridiction saisie, établie dans un autre État membre, en faveur de la lex fori pour un motif tiré du caractère impératif, dans l’ordre juridique de ce dernier État membre, des règles régissant la situation des agents commerciaux indépendants uniquement si la juridiction saisie constate de façon circonstanciée que, dans le cadre de cette transposition, le législateur de l’État du for a jugé crucial, au sein de l’ordre juridique concerné, d’accorder à l’agent commercial une protection allant au-delà de celle prévue par ladite directive, en tenant compte à cet égard de la nature et de l’objet de telles dispositions impératives.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.