Language of document : ECLI:EU:T:2021:238

DOCUMENT DE TRAVAIL



ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

5 mai 2021 (*)

« Dumping – Importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie – Demande de réexamen intermédiaire partiel – Clôture du réexamen intermédiaire partiel – Absence de changement des circonstances – Erreur d’appréciation – Obligation de motivation – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑45/19,

Acron PAO, établie à Veliky Novgorod (Russie),

Dorogobuzh PAO, établie à Dorogobuzh (Russie),

Acron Switzerland AG, établie à Baar (Suisse),

représentées par Mes T. De Meese, J. Stuyck et M. Van Nieuwenborgh, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. M. Gustafsson et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Fertilizers Europe, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par M. B. O’Connor, solicitor,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2018/1703 de la Commission, du 12 novembre 2018, clôturant le réexamen intermédiaire partiel concernant les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO 2018, L 285, p. 97),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, U. Öberg (rapporteur) et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 14 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les requérantes, Acron PAO et Dorogobuzh PAO, et leur filiale, Acron Switzerland AG (ci-après, prises ensemble, les « requérantes »), sont des productrices et des exportatrices de nitrate d’ammonium établies, pour les deux premières, en Russie et, pour la troisième, en Suisse. Elles vendent du nitrate d’ammonium aux clients de l’Union européenne.

2        Par le règlement (CE) no 2022/95 du 16 août 1995, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO 1995, L 198, p. 1), le Conseil de l’Union européenne a institué un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium relevant des codes NC 3102 30 90 et 3102 40 90 originaires de la Russie.

3        À la suite du premier réexamen au titre de l’expiration des mesures, prévu à l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) no 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), et d’un premier réexamen intermédiaire en application de l’article 11, paragraphe 3, du même règlement, un droit antidumping définitif a été institué sur les exportations de Russie par le règlement (CE) no 658/2002 du Conseil, du 15 avril 2002, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO 2002, L 102, p. 1). Comme les importations en provenance de Russie relevaient de l’article 2, paragraphe 7, du règlement no 384/96 (concernant les importations à provenance des pays n’ayant pas une économie de marché), la valeur normale a été fondée sur les données obtenues dans un pays tiers à économie de marché approprié.

4        À la suite d’une demande de réexamen intermédiaire partiel introduite par les requérantes, par le règlement (CE) no 236/2008 du Conseil, du 10 mars 2008, clôturant le réexamen intermédiaire partiel du droit antidumping institué sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie, conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 384/96 (JO 2008, L 75, p. 1), les mesures antidumping adoptées précédemment sont restées en vigueur sans modification en raison des circonstances suivantes :

–        les tarifs acquittés par les requérantes étaient anormalement bas. À cet égard, il était noté que les données disponibles pour établir la « valeur normale » indiquaient que les prix intérieurs du gaz en Russie étaient des prix régulés, nettement inférieurs aux prix du marché payés sur les marchés du gaz naturel non régulés (considérant 18 du règlement no 236/2008) ;

–        les registres des requérantes ne tenant pas raisonnablement compte des coûts liés au gaz, ces derniers ont dû être ajustés en conséquence. En l’absence de prix du gaz non faussés sur le marché intérieur russe et conformément à l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 384/96, les prix du gaz avaient dû être calculés sur une autre base raisonnable, notamment à partir de données provenant d’autres marchés représentatifs. Le prix ajusté avait été établi à partir du prix moyen du gaz russe lorsque celui-ci était vendu à l’exportation à la frontière germano-tchèque (Waidhaus), net de frais de transport et ajusté afin de tenir compte des coûts de distribution locaux (considérant 19 du règlement no 236/2008) ; 

–        le critère essentiel qui avait motivé le choix de la base à partir de laquelle établir le prix du gaz était le fait que celle-ci reflétait raisonnablement un prix normalement pratiqué sur des marchés non faussés, ce qui était le cas pour les prix pratiqués à Waidhaus (considérant 29 du règlement no 236/2008).

5        En même temps, la Commission européenne a, par la décision 2008/577/CE, du 4 juillet 2008, portant acceptation d’engagements offerts dans le cadre de la procédure antidumping concernant les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie et d’Ukraine (JO 2008, L 185, p. 43), accepté les engagements couplés à un plafond quantitatif offerts par les requérantes.

6        Après un troisième réexamen au titre de l’expiration des mesures, la Commission a maintenu les mesures en cause en vigueur par le règlement d’exécution (UE) no 999/2014, du 23 septembre 2014, instaurant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie à la suite d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures effectué conformément à l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil (JO 2014, L 280, p. 19).

7        Par son règlement d’exécution (UE) no 2016/415, du 21 mars 2016, retirant l’acceptation de l’engagement de deux producteurs-exportateurs et abrogeant la décision no 2008/577 (JO 2016, L 75, p. 10), la Commission a retiré l’acceptation des engagements des requérantes en raison du fait qu’ils étaient impossibles à mettre en œuvre.

8        Les requérantes restaient donc soumises au droit antidumping applicable à l’ensemble du territoire russe, compris entre 41,42 euros et 47,07 euros par tonne en fonction du type de produit (ci-après la « mesure antidumping »).

9        Le 7 avril 2017, les requérantes ont déposé auprès de la Commission une demande de réexamen intermédiaire partiel (ci-après la « demande de réexamen ») au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21 ; ci-après le « règlement de base »).

10      La demande de réexamen portait uniquement sur la mesure antidumping et était fondée sur l’argumentation selon laquelle les circonstances sur lesquelles s’était appuyé le règlement n° 658/2002 avaient changé et ces changements étaient durables.

11      Le 17 août 2017, la Commission a publié un avis d’ouverture d’un réexamen intermédiaire partiel des mesures antidumping, limité à l’examen de la mesure antidumping (JO 2017, C 271, p. 9, ci-après l’« avis d’ouverture »). Cet avis d’ouverture portait uniquement sur deux des circonstances invoquées par les requérantes : les changements dans la structure des ventes faisant suite au retrait des engagements et des changements sensibles intervenus dans les prix de la matière première, notamment le gaz, en Russie. Le même jour, la Commission a publié un avis d’ouverture d’un autre réexamen intermédiaire partiel des mesures antidumping applicables aux importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie, limité à l’examen du préjudice (JO 2017, C 271, p. 15).

12      À la suite des éclaircissements fournis en réponse à des demandes de la Commission et de la vérification de telles réponses, la Commission a envoyé aux requérantes, le 31 août 2018, un « document d’information générale » exposant les faits et considérations essentiels sur lesquels elle envisageait de se fonder pour recommander la clôture du réexamen intermédiaire sans modification des mesures antidumping instituées dans le règlement originel. Le 14 septembre 2018, les requérantes ont transmis à la Commission leurs observations sur ce document d’information générale.

13      À l’issue de son réexamen intermédiaire partiel, la Commission a adopté sa décision d’exécution (UE) 2018/1703, du 12 novembre 2018, clôturant le réexamen intermédiaire partiel concernant les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO 2018, L 285, p. 97 ; ci-après la « décision attaquée »).

14      En particulier, conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base, la Commission a examiné si les circonstances à l’origine de la détermination de la marge de dumping avaient changé et si ce changement présentait un caractère durable, et a constaté :

–        que le gaz était la matière première la plus importante dans le processus de fabrication du nitrate d’ammonium, représentant plus de 60 % du coût de production total ;

–        que, comme lors des enquêtes précédentes, les prix intérieurs du gaz en Russie étaient réglementés par l’État par l’intermédiaire de lois fédérales et ne reflétaient pas des conditions de marché normales, où les prix dépendaient principalement des coûts de production et des perspectives de rentabilité ;

–        qu’il n’était pas possible de qualifier de « durables » des changements intervenus dans les prix de matières premières vendues sur un marché intérieur, car de tels changements résultaient généralement de la volatilité des forces de marché. En tout état de cause, les prix du gaz en Russie, fixés par l’État, s’appliquaient directement aux entreprises détenues par celui-ci, telles que Gazprom qui, en tant que fournisseur de gaz le plus important du pays, déterminait le niveau des prix. Dans ce contexte, la situation était analogue à celle qui prévalait lors des précédentes enquêtes et, par conséquent, une modification des mesures adoptées n’était pas justifiée sur cette base ;

–        que d’autres arguments avancés par les requérantes, tels que le retrait de leur engagement, une réorganisation interne de leur groupe, l’accession de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des variations de taux de change, n’étaient pas pertinents en ce qui concerne la marge de dumping ou le caractère durable allégué du changement de situation. En particulier, les requérantes n’avaient pas fourni d’éléments suffisants prouvant, premièrement, que leur prix à l’exportation vers l’Union avait changé en raison du retrait des engagements et, deuxièmement, que la réorganisation interne de leur groupe avait donné lieu à un changement de la valeur normale ou des prix de vente sur le marché intérieur. En outre, les requérantes n’avaient pas fourni d’éléments permettant de démontrer quelle avait été l’incidence de l’accession de la Russie à l’OMC sur la marge de dumping. Enfin, les variations de taux de change ne constituaient pas un changement à caractère durable, étant donné qu’elles étaient influencées par de nombreuses forces de marché et tendaient à évoluer dans le temps.

 Procédure et conclusions des parties

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 janvier 2019, les requérantes ont introduit le présent recours.

16      Le 18 avril 2019, la Commission a déposé le mémoire en défense.

17      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 mai 2019, l’association Fertilizers Europe a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

18      Les requérantes ont déposé la réplique le 17 juin 2019.

19      Par ordonnance du 12 juillet 2019, le président de la première chambre du Tribunal a admis cette intervention. L’intervenante a déposé son mémoire et les parties ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

20      La Commission a déposé la duplique le 20 septembre 2019.

21      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

22      Sur proposition du juge rapporteur, la cinquième chambre du Tribunal a adopté des mesures d’organisation de la procédure, prévues à l’article 89 du règlement de procédure, auxquelles les parties ont déféré dans le délai imparti.

23      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 14 octobre 2020. À la suite de l’audience, les parties et l’intervenante ont déposé des observations ultérieures dans le délai imparti.

24      La phase orale de la procédure a été close le 13 janvier 2021.

25      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

27      Au soutien de leur recours, les requérantes invoquent trois moyens :

–        le premier moyen est tiré de ce que la Commission n’aurait pas tenu compte de l’accession de la Russie à l’OMC comme facteur de changement dans le calcul de la marge de dumping des requérantes et, ce faisant, aurait violé ses obligations internationales dans le cadre de l’OMC, ce qui constituerait « une violation du traité » ;

–        le deuxième moyen se subdivise en deux branches, l’une tirée de ce que la Commission, en concluant que le changement de circonstances invoqué par les requérantes n’avait pas de caractère durable, aurait commis une erreur manifeste d’appréciation et l’autre tirée de ce que la Commission aurait omis de fournir des motifs suffisants supportant ses conclusions, aboutissant ainsi à une violation des droits de la défense des requérantes ;

–        le troisième moyen est tiré de ce que la Commission, en omettant de fournir son calcul du dumping, aurait violé l’article 19, paragraphe 2, et l’article 20, paragraphe 2, du règlement de base, ainsi que les droits de la défense des requérantes, et aurait créé un défaut de sécurité juridique.

28      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, le Tribunal n’est pas tenu de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige dès lors que la motivation permet aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles il n’a pas fait droit à leurs arguments et, le cas échéant, à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch/Commission, C‑625/13 P, EU:C:2017:52, point 72 et jurisprudence citée).

29      En outre, comme la prétendue absence d’un changement de circonstances de caractère durable constitue la pierre angulaire de la décision attaquée, le Tribunal examinera, en premier lieu, la première branche du deuxième moyen, visant à savoir si la Commission est parvenue à bon droit à la conclusion selon laquelle le changement de circonstances invoqué par les requérantes n’avait pas eu lieu et le maintien de la mesure antidumping était encore, par conséquent, nécessaire.

30      En second lieu, le Tribunal examinera la seconde branche du deuxième moyen, tirée d’une prétendue violation de l’obligation de motivation et d’une violation des droits de la défense des requérantes.

31      En troisième lieu, le Tribunal examinera le premier moyen, visant à savoir si Commission aurait dû tenir compte de l’accession de la Russie à l’OMC comme facteur de changement dans le calcul de la marge de dumping des requérantes.

32      En dernier lieu, le Tribunal examinera le troisième moyen, tiré des conséquences du fait que la Commission aurait omis de fournir aux requérantes son calcul du dumping.

 Sur le changement des circonstances invoqué par les requérantes

33      Dans le cadre de la première branche du deuxième moyen, les requérantes soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte, en tant que circonstances nouvelles de caractère durable justifiant le réexamen intermédiaire partiel, des circonstances et des éléments de preuve qu’elles ont produits dans le cadre de ce réexamen.

34      Les requérantes notent que, dans leur demande de réexamen, elles avaient fait valoir que les circonstances suivantes, de caractère durable, justifiaient d’entreprendre un réexamen intermédiaire partiel :

–        l’écoulement de plus de quatorze ans depuis l’adoption des mesures originelles, fondées sur la méthodologie applicable aux pays dépourvus d’une économie de marché, ce que la Russie ne serait plus depuis 2002 ;

–        les conséquences de l’accession de la Russie à l’OMC en 2012 ;

–        les changements dans leur structure des ventes dans l’Union à la suite du retrait des engagements ;

–        les changements dans leur coût de production du nitrate d’ammonium, l’augmentation des prix du gaz en Russie ainsi que les changements dans la structure du groupe et de ses ventes sur le marché intérieur ;

–        les changements dans la structure des coûts des producteurs de l’Union résultant de la baisse des prix du gaz dans celle-ci ;

–        l’importante dévaluation du rouble par rapport à l’euro à la suite de l’imposition de sanctions économiques à la Russie en mars 2014.

35      La Commission rappelle que le réexamen intermédiaire était limité à deux allégations de changement de circonstances de caractère durable en Russie, les requérantes n’ayant pas suffisamment étayé la demande de réexamen en ce qui concernait les autres prétendus changements de circonstances. La portée de cet examen intermédiaire restait par ailleurs incontestée par les requérantes.

36      À titre liminaire, le Tribunal rappelle qu’un droit antidumping n’est applicable que pour le temps et dans la mesure nécessaires pour contrebalancer un dumping qui cause un préjudice.

37      En particulier, selon l’article 11, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de base, une mesure antidumping expire cinq ans après son institution ou cinq ans après la date de la conclusion du réexamen le plus récent ayant couvert à la fois le dumping et le préjudice, à moins qu’il n’ait été établi lors d’un réexamen que l’expiration de la mesure favoriserait la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice.

38      Aux termes de l’article 11, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de base, « [l]a nécessité du maintien des mesures antidumping peut aussi être réexaminée, si cela se justifie, à l’initiative de la Commission ou à la demande d’un État membre ou, sous réserve qu’une période raisonnable d’au moins un an se soit écoulée depuis l’institution de la mesure définitive, à la demande d’un exportateur, d’un importateur ou des producteurs de l’Union contenant des éléments de preuve suffisants établissant la nécessité d’un réexamen intermédiaire ».

39      La procédure de réexamen opère en cas d’évolution des données ayant permis l’établissement des valeurs mises en œuvre dans le règlement ayant institué des droits antidumping. Elle a donc pour finalité d’adapter les droits imposés à l’évolution des éléments qui étaient à leur origine et suppose donc la modification de ces éléments (voir arrêt du 29 juin 2000, Medici Grimm/Conseil, T‑7/99, EU:T:2000:175, point 82 et jurisprudence citée).

40      La Commission est dès lors dans l’obligation de tirer les conséquences de cette situation factuelle nouvelle, lorsqu’un changement de circonstances a été prouvé à suffisance de droit.

41      Plus particulièrement, s’agissant d’un réexamen intermédiaire au titre de l’article 11, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement de base, la Commission peut, notamment, lorsque la demande de réexamen porte uniquement sur le dumping, examiner si les circonstances concernant le dumping ont sensiblement changé ou si les mesures existantes ont produit les effets escomptés afin de proposer d’abroger, de modifier ou de maintenir le droit antidumping établi à l’issue de l’enquête initiale (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2015, CHEMK et KF/Conseil, T‑169/12, EU:T:2015:231, point 45).

42      Conformément encore à l’article 11, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de base, « il est procédé à un réexamen intermédiaire lorsque la demande contient des éléments de preuve suffisants que le maintien de la mesure n’est plus nécessaire pour contrebalancer le dumping et/ou que la continuation ou la réapparition du préjudice serait improbable au cas où la mesure serait supprimée ou modifiée ou que la mesure existante n’est pas ou n’est plus suffisante pour contrebalancer le dumping à l’origine du préjudice ».

43      Cette disposition ne prévoit pas de méthodes ou de modalités spécifiques s’imposant aux institutions afin de réaliser les vérifications prévues : il est seulement tenu compte, afin d’établir si les circonstances concernant le dumping et le préjudice ont sensiblement changé, « de tous les éléments de preuve pertinents et dûment documentés » (arrêt du 28 avril 2015, CHEMK et KF/Conseil, T‑169/12, EU:T:2015:231, point 46).

44      Il résulte de ces dispositions que c’est donc, dans le cas d’espèce, les requérantes qui doivent supporter la charge de la preuve visant à établir un changement durable de circonstances.

45      À cet égard, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la détermination de l’existence, dans une demande de réexamen intermédiaire, des éléments de preuve suffisants à établir la nécessité d’un tel réexamen (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2010, EWRIA/Commission, T‑369/08, EU:T:2010:549, point 79).

46      À ce titre, les termes « si cela se justifie », insérés à l’article 11, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de base doivent être interprétés comme signifiant que l’autorité chargée de l’enquête doit, préalablement à l’ouverture de la procédure, examiner s’il existe prima facie des motifs valables et suffisants légitimant l’ouverture du réexamen, ainsi que la Commission et l’intervenante l’ont relevé à juste titre dans leurs écritures. Interrogées sur ce point lors de l’audience, les requérantes n’ont pas contesté que la Commission disposait à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation pour concentrer son examen sur les circonstances et les éléments de preuve ayant justifié l’ouverture de la procédure de réexamen en faisant apparaître, à première vue, l’existence d’un changement.

47      Or, il ressort du considérant 21 de la décision attaquée que la Commission, en exerçant son large pouvoir d’appréciation, a conclu que les requérantes n’avaient pas suffisamment étayé la demande de réexamen en ce qui concerne quatre des six changements de circonstances allégués. À cet égard, les requérantes n’ont pas remis en question cette appréciation, ni en contestant l’avis d’ouverture du réexamen intermédiaire, ni en demandant un élargissement de sa portée. Dans sa requête, elle n’a pas non plus soulevé de moyen visant explicitement l’annulation de l’avis d’ouverture pour défaut de motivation.

48      Pour cette raison, comme il ressort du point 4 de l’avis d’ouverture, repris par le considérant 9 de la décision attaquée, la Commission a, à juste titre, uniquement ouvert le réexamen intermédiaire en cause en raison de deux prétendus changements de circonstances relatifs, premièrement, au retrait de l’engagement, qui aurait entraîné une modification de la structure des ventes du groupe, et, deuxièmement, à la prétendue augmentation substantielle du prix du gaz en Russie.

49      À cet égard, il y a lieu de constater que les institutions ne sont pas tenues de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elles par les intéressés : il suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêt du 15 mars 2018, Caviro Distillerie e.a./Commission, T‑211/16, EU:T:2018:148, point 104 et jurisprudence citée). Dans le cas d’espèce, la Commission a quand même traité, d’une manière superfétatoire, les circonstances invoquées par les requérantes et qui ne sont pas rentrées dans le cadre du réexamen intermédiaire, à savoir celles relatives aux engagements pris par la Russie concernant les prix du gaz lors de son accession à l’OMC en 2012, à des modifications alléguées de la structure des coûts des producteurs de l’Union et à la forte baisse de la valeur du rouble par rapport à l’euro, pour conclure qu’elles n’étaient pas pertinentes ou suffisamment étayées. Ces circonstances ne font donc pas l’objet du présent litige.

50      Les arguments des requérantes à cet égard sont par conséquent inopérants aux fins de l’appréciation de la décision attaquée et en tout état de cause non fondés, à supposer même que les requérantes seraient recevables à soulever le défaut de motivation de l’avis d’ouverture au stade de la réplique.

51      En effet, et en tout état de cause, ni la compatibilité du système actuel de réglementation du gaz naturel russe avec les engagements de la Russie dans le cadre de l’OMC, ni les modifications alléguées de la structure des coûts des producteurs de l’Union ne peuvent faire l’objet d’un réexamen partiel portant sur l’imposition du dumping. Par ailleurs, comme il ressort du point 36 de la décision attaquée, les variations des taux de change ne sont normalement pas prises en considération dans la pratique de la Commission comme étant un changement à caractère durable en l’absence d’éléments susceptibles de remettre en question cette interprétation. L’existence de tels éléments n’a pas été démontrée par les requérantes dans le cas d’espèce, puisque les données historiques sur le taux de change rouble/euro de 2008 à 2017 qu’elles ont fournies démontrent que ce taux présente une forte instabilité, même pendant la période d’investigation.

52      C’est donc à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant, en ce qui concerne les circonstances examinées dans la décision attaquée, qu’il n’existait aucun changement sensible et de caractère durable justifiant une modification de la mesure antidumping.

 Sur l’augmentation des prix du gaz naturel en Russie et leur rapprochement dans l’Union et en Russie

53      Les requérantes font valoir que les prix du gaz naturel en Russie ont connu une croissance substantielle au cours des quatorze dernières années. Ils auraient plus que doublé depuis le réexamen intermédiaire qui a abouti au dernier calcul de la marge de dumping des requérantes en 2008, et encore plus depuis que la mesure antidumping a été instituée en 2002.

54      Selon les requérantes, ces augmentations des prix du gaz naturel n’auraient pas retenu l’attention qu’elles méritaient lors de l’examen au titre de l’expiration des mesures les plus récentes, en 2014. Il serait particulièrement justifié d’en tenir compte à présent, car la dernière fois que la marge de dumping individuelle des requérantes a été recalculée, elle l’aurait été sur la base de prix datant de plus de dix ans. En outre, lors du réexamen au titre de l’expiration des mesures les plus récentes, en 2014, la Commission n’aurait pas tenu compte des prix à l’exportation des requérantes, en particulier de la fiabilité des coûts de production qu’elles invoquaient, en raison des engagements de prix en vigueur à cette époque. Par conséquent, l’augmentation des prix du gaz naturel vendu aux consommateurs en Russie, entre le moment où les mesures actuelles ont été calculées et 2016, n’aurait jamais été pleinement prise en compte par la Commission.

55      À cet égard, les requérantes invoquent deux précédents, à savoir le règlement (CE) no 626/2009 du Conseil, du 13 juillet 2009, clôturant le réexamen intermédiaire partiel, au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 384/96, du droit antidumping sur les importations de certains systèmes d’électrodes en graphite originaires de l’Inde (JO 2009, L 185, p. 16, considérants 25 à 28), ainsi que le règlement (CE) no 249/2008 du Conseil, du 17 mars 2008, modifiant le règlement (CE) no 1425/2006, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains sacs et sachets en matières plastiques originaires de la République populaire de Chine et de Thaïlande (JO 2008, L 76, p. 8, considérants 34 à 36). Dans ces règlements, la Commission aurait décidé que les changements de prix pouvaient constituer des changements à caractère durable.

56      En outre, selon les requérantes, les consommateurs pourraient actuellement acheter du gaz à des prix réglementés, auprès de Gazprom, ou non réglementés, auprès des autres opérateurs qui appliqueraient des prix souvent inférieurs aux prix réglementés et qui, en tout état de cause, ne s’aligneraient pas sur la politique des prix de Gazprom. Les requérantes font valoir qu’elles achèteraient plus de la moitié de leur gaz naturel auprès de producteurs indépendants. Quant aux prix réglementés, les informations soumises par les requérantes au cours de la procédure de réexamen démontreraient que le système d’indexation utilisé par le gouvernement pour établir le prix du gaz tient compte des changements dans le temps des prix des biens de consommation et des services achetés et constitue un important moyen de mesure de l’inflation.

57      Enfin, le fait que les différences de prix du gaz naturel entre la Russie et l’Union avoisinent 50 % ne serait pas dû au fait que les prix intérieurs russes seraient trop bas et que ceux de l’Union seraient fondés sur le marché. Au contraire, les prix du gaz dans l’Union ne devraient pas être utilisés à la place des prix du gaz payés par les producteurs d’engrais russes, car ils ne seraient pas représentatifs du coût du gaz naturel en Russie. De plus, les prix du gaz dans l’Union seraient des estimations très inexactes du coût du gaz naturel en Russie. En effet, premièrement, les prix du gaz naturel sur le marché européen ne seraient pas entièrement déterminés par l’offre et la demande. Deuxièmement, à la différence de la Russie, l’Union ne disposerait pas de sources locales suffisantes de gaz naturel. Troisièmement, le niveau de développement économique de l’Union ne serait pas comparable à celui de la Russie.

58      La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.

59      Le Tribunal constate que, en l’espèce, la question n’est pas de savoir si, comme le soutiennent les requérantes, les prix du gaz en Russie sont en soi rémunérateurs, mais s’ils reflètent raisonnablement un prix normalement pratiqué sur des marchés non faussés, sans qu’il soit nécessaire dans la présente affaire de prendre position sur l’affirmation de l’intervenante selon laquelle les changements de prix ne peuvent pas, en tant que tels, être des changements de circonstances.

60      À cet égard, il ressort du considérant 26 de la décision attaquée que, après avoir examiné les conditions du marché du gaz naturel en Russie au cours de la période d’enquête de réexamen, la Commission a conclu, sur la base des constatations énoncées au considérant 20 de la décision attaquée, que ce marché était encore faussé, les prix du gaz en Russie étant encore réglementés par l’État par l’intermédiaire de lois fédérales et ne reflétant donc toujours pas des conditions de marché normales.

61      Les prix du gaz fixés par l’État s’appliquent directement aux entreprises détenues par l’État, telles que Gazprom qui, en vertu de sa part de marché de plus de 50 %, détermine leur niveau. Dans ce contexte, la Commission a estimé que la situation était analogue à celle qui prévalait lors de précédentes enquêtes et, partant, qu’une modification des mesures en vertu de l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base n’était pas justifiée sur cette base.

62      En réponse à des questions du Tribunal lors de l’audience, les requérantes elles-mêmes ont confirmé que le prix du gaz est encore réglementé par l’État lorsqu’il est vendu par Gazprom.

63      Il y a lieu de rappeler que la Commission avait fondé le règlement no 236/2008 sur la prémisse selon laquelle une différence sensible apparaissait entre le prix du gaz payé sur le marché intérieur russe et le prix à l’exportation du gaz naturel en provenance de Russie, d’une part, et celui payé par les producteurs de l’Union, d’autre part (considérant 18). Le prix du gaz naturel sur le marché intérieur russe étant régulé, il ne pouvait pas être considéré comme reflétant raisonnablement un prix normalement pratiqué sur un marché où les coûts ne sont pas faussés (considérant 29).

64      À cet égard, les requérantes n’ont pas été en mesure d’apporter des éléments de preuve pertinents et dûment documentés, tels que requis par l’article 11, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement de base, visant à démontrer que, en dépit de la différence sensible apparaissant dans la précédente enquête entre le prix du gaz payé par les producteurs de l’Union, d’une part, et le prix payé sur le marché intérieur russe et le prix à l’exportation du gaz en provenance de Russie, d’autre part, ces derniers reflétaient des prix normalement pratiqués sur des marchés non faussés et que ladite différence avait été réduite d’une manière telle que cela pouvait constituer un changement durable de circonstances.

65      En effet, les requérantes se sont bornées à produire devant le Tribunal une présentation générique de la politique des prix en Russie et un tableau reproduisant l’évolution des prix en Russie entre 1998 et 2017. Or, le prix du gaz naturel sur le marché intérieur russe étant régulé, de tels éléments de preuve ne sont pas suffisants afin de démontrer que ces prix peuvent être considérés comme reflétant raisonnablement un prix normalement pratiqué sur un marché où les coûts ne sont pas faussés, et les deux précédents règlements invoqués par les requérantes et évoqués au point 55 ci-dessus ne sont pas pertinents dans la mesure où ils ne concernaient pas des marchés régulés. À la lumière de cette considération, il n’est pas nécessaire d’examiner davantage la question de savoir si les changements des prix peuvent constituer des changements à caractère durable.

66      De plus, en ce qui concerne l’argument selon lequel Gazprom n’a plus la capacité de fixer les prix à l’égard des fournisseurs indépendants, les requérantes ont concentré leur argumentation sur le fait qu’elles achètent la plupart du gaz auprès de PAO Novatek, à des prix inférieurs à ceux appliqués par Gazprom.

67      Or, il résulte de la page 53 du rapport annuel de Novatek, « PAO Novatek Annual Report 2017 », invoqué par la Commission et l’intervenante que cette société elle-même admet que « les prix du groupe pour la vente du gaz naturel sont fortement influencés par les prix régulés par l’agence gouvernementale de Russie qui s’occupe de la réglementation des prix et tarifs pour les biens et services de monopoles naturels dans l’énergie, les utilités et le transports », ce qui confirme que les prix du gaz sont toujours faussés.

68      L’argument des requérantes tiré d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission quant à une hausse des prix du gaz en Russie doit donc être rejeté.

 Sur les changements dans la structure des ventes à la suite du retrait des engagements

69      Les requérantes font valoir que, dans sa pratique décisionnelle, la Commission a considéré le retrait des engagements comme un changement à caractère durable entraînant des conséquences dans le calcul du dumping.

70      La pratique décisionnelle de la Commission démontrerait également que de simples changements dans la structure des ventes pour l’exportation, tels que la cessation de ventes directes, ou l’introduction d’une société liée dans le circuit de vente ont été considérés comme des changements à caractère durable.

71      En particulier, dans la présente affaire, les requérantes soulignent, en premier lieu, que, après le retrait des engagements, toutes les ventes vers l’Union ont été opérées à travers Acron Switzerland, la filiale de vente en Suisse, par opposition aux ventes directes antérieures au retrait des engagements. Ce fait serait important, car il démontrerait, avant tout, l’investissement de longue durée des requérantes dans le marché européen.

72      En deuxième lieu, le prix même du nitrate d’ammonium vendu par les requérantes dans l’Union serait fondé sur les prix de marché de cette matière première, qui varient tout au long de l’année. En outre, le fait que toutes les ventes sont, depuis le retrait des engagements, opérées à travers la filiale de vente et non de manière directe aurait entraîné un changement sur les frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux et sur la valeur normale, ce qui jouerait un rôle important dans le calcul de la marge antidumping. Ce fait justifierait à lui seul de recalculer la marge de dumping des requérantes en se fondant, dans le calcul, sur le changement du prix à l’exportation en vertu de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base.

73      Troisièmement, les volumes et le prix du nitrate d’ammonium vendu par les requérantes sur le marché national pendant les années 2008 à 2016 auraient changé. En particulier, les prix pratiqués par les requérantes en Russie auraient plus que doublé, tandis que les volumes seraient restés stables.

74      Les requérantes font également valoir une réorganisation nationale de la structure de leurs ventes, ce qui aurait produit un effet sur les dépenses générales et administratives liées aux ventes et, par conséquent, sur la valeur normale et sur la marge de dumping.

75      La Commission et l’intervenante contestent que le retrait des engagements puisse constituer un changement durable des circonstances.

76      En premier lieu, le Tribunal constate que la pratique décisionnelle de la Commission concernant le retrait des engagements, avancée par les requérantes, n’est illustrée que par une décision, à savoir la décision 2006/37/CE de la Commission, du 5 décembre 2005, portant acceptation d’un engagement offert dans le cadre des procédures antidumping et antisubventions concernant les importations d’acide sulfanilique originaire de l’Inde (JO 2006, L 22, p. 52), qui n’est, en soi, pas pertinente, s’agissant d’une affaire, comme l’a à juste titre souligné la Commission, concernant les effets d’une enquête anti-absorption en vue du rétablissement d’un engagement. Ce contexte factuel n’est donc d’aucune manière assimilable à celui de la présente affaire.

77      En deuxième lieu, l’article 8, paragraphe 1, du règlement de base prévoit que, dans le cas où un examen préliminaire positif a établi l’existence d’un dumping et d’un préjudice, la Commission peut accepter des offres par lesquelles les exportateurs s’engagent volontairement et de manière satisfaisante à réviser leurs prix ou à ne plus exporter à des prix de dumping, si elle est convaincue que l’effet préjudiciable du dumping est éliminé. Dans ce cas, et aussi longtemps que ces engagements restent en vigueur, les droits antidumping institués par la Commission ne s’appliquent pas aux importations par les sociétés visées dans la décision d’acceptation des engagements.

78      La procédure des engagements vise donc à donner aux entreprises une alternative à l’imposition des droits antidumping dans les mêmes circonstances qui justifient l’imposition de ces derniers, d’autant que, dans les cas où l’acceptation de l’engagement est retirée, le droit antidumping est à nouveau automatiquement appliqué. Il est donc constant que les circonstances qui donnent lieu à l’application d’un droit antidumping sont les mêmes que celles qui peuvent donner lieu à la présentation d’engagements. Dans la même logique, le retrait d’engagements ne peut avoir, en soi, aucune influence sur les circonstances qui ont justifié l’imposition d’un droit antidumping, qui demeurent les mêmes, sauf pour les aspects qui conduisent au retrait de ces engagements.

79      En ce qui concerne le premier argument des requérantes, à savoir la création de la filiale suisse en tant que manifestation de leur investissement de longue durée dans le marché européen afin de renforcer leurs contacts, cela ne saurait, dans le cas d’espèce, constituer une circonstance qui pourrait, en soi, influencer la marge de dumping. En particulier, les requérantes n’ont pas démontré comment leur engagement renforcé sur le marché européen a influencé les facteurs qui sont à l’origine de l’application du droit antidumping, c’est-à-dire la comparaison entre la valeur normale et les prix à l’exportation.

80      En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le prix du nitrate d’ammonium vendu par les requérantes dans l’Union serait « basé sur les prix de marché de cette matière première, qui varient tout au long de l’année », il suffit de constater que les prix à l’exportation sont des éléments qui relèvent entièrement de l’appréciation des entreprises et que les requérantes n’ont apporté aucune preuve convaincante au soutien de leur allégation.

81      Quant à l’argument selon lequel toutes les ventes seraient, depuis le retrait des engagements, opérées à travers la filiale suisse au lieu d’être effectuées directement, ce qui constituerait un changement susceptible de justifier à lui seul le nouveau calcul de la marge de dumping des requérantes sur le fondement de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base, le Tribunal observe ce qui suit.

82      La question de la méthodologie à utiliser pour calculer la marge de dumping ne devient pertinente que si un changement sensible et durable des circonstances a été démontré. Une modification de la structure des ventes peut, en principe, rentrer dans l’ensemble des éléments, pertinents et dûment documentés, permettant à la Commission d’évaluer, d’une part, la nécessité du maintien ou d’une modification d’une mesure antidumping et, d’autre part, l’évolution probable de la situation afin d’évaluer l’incidence éventuelle d’une suppression ou d’une modification de ladite mesure (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2015, CHEMK et KF/Conseil, T‑169/12, EU:T:2015:231, points 66 et 77). En revanche, s’il suffisait de modifier la structure des ventes pour demander un nouveau calcul du droit antidumping selon une méthodologie différente, cela signifierait que le critère de changement durable des circonstances serait rempli de manière automatique, et la Commission n’aurait ainsi aucune marge d’appréciation à cet égard dans le cadre d’une procédure de réexamen intermédiaire partiel.

83      Cette considération vaut d’autant plus dans la présente affaire, et ce pour deux raisons. En premier lieu, les requérantes elles-mêmes ont à plusieurs reprises admis que le changement de la structure des ventes faisait suite au retrait des engagements. En effet, l’utilisation de la filiale suisse pour les ventes dans l’Union, existante depuis 2009, a commencé peu après le retrait des engagements. En second lieu, les requérantes n’ont pas été en mesure de donner d’autres justifications économiques pour la modification de la structure des ventes.

84      Il n’y a donc, dans la présente affaire, aucune explication alternative plausible qui soit susceptible de faire obstacle à l’établissement d’un lien de causalité entre le changement de la structure des ventes et la demande d’utilisation d’une méthodologie différente pour recalculer la marge du dumping (voir, par analogie, arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/Chin Haur Indonesia, C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2017:61, points 101 à 103).

85      Les arguments concernant les changements dans la structure des ventes à la suite du retrait des engagements doivent donc être rejetés comme étant non fondés.

86      En conclusion, les requérantes n’ayant pas apporté d’éléments de preuve pertinents et dûment documentés, la Commission a sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation conclu qu’aucun changement sensible et durable de circonstances au sens de l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base n’avait eu lieu.

87      La première branche du deuxième moyen doit par conséquent être rejetée.

 Sur la violation alléguée de l’obligation de motivation et des droits de la défense

88      Dans le cadre de la seconde branche du deuxième moyen, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir manqué à son obligation de motivation au titre de l’article 296 TFUE et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en omettant de motiver la décision attaquée de façon claire et univoque, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. En outre, au cours de la procédure administrative, la Commission n’aurait pas mis les entreprises intéressées en mesure de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués.

89      En particulier, d’une part, la décision attaquée n’indiquerait pas pour quelles raisons le critère du changement de circonstances n’est pas satisfait et, d’autre part, le document d’information générale ne répondrait que dans trois courts paragraphes aux six circonstances à caractère durable invoquées par les requérantes dans leur demande de réexamen intermédiaire.

90      À ce titre, les motifs invoqués dans la demande de réexamen intermédiaire n’auraient pas fait l’objet d’un examen suffisant dans le document d’information générale et n’auraient pas été clarifiés à l’égard des requérantes dans la procédure administrative avant l’adoption de la décision attaquée. Par conséquent, les requérantes n’auraient pas pu faire connaître utilement leur point de vue pendant la procédure qui a amené à la décision attaquée, ce qui aurait conduit à une violation des droits de la défense.

91      La Commission et l’intervenante estiment que le document d’information générale reçu par les requérantes contient tous les faits et les considérations que la Commission a jugé essentiels et sur la base desquels elle entendait mettre fin au réexamen intermédiaire en cause.

92      À cet égard, le Tribunal rappelle que les entreprises concernées par une enquête précédant l’adoption d’un règlement antidumping doivent être mises en mesure de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués et sur les éléments de preuve retenus par la Commission à l’appui de son appréciation sur l’existence d’une pratique de dumping et du préjudice qui en résulterait (arrêt du 4 mars 2010, Sun Sang Kong Yuen Shoes Factory/Conseil, T‑409/06, EU:T:2010:69, point 134).

93      Conformément à l’article 20, paragraphe 2, du règlement de base, les requérantes ont reçu un document d’information générale, daté du 3 août 2018, qui contenait les faits et les considérations que la Commission jugeait essentiels et sur la base desquels elle entendait mettre fin au réexamen intermédiaire en cause, auquel elles ont répondu par une lettre du 14 septembre 2018.

94      Or, selon la jurisprudence, une absence alléguée de prise en compte des observations de la partie requérante ne constitue pas une violation de ses droits de la défense ou de son droit d’être entendue. Le respect desdits droits ne peut imposer aux institutions de l’Union de partager le point de vue des entreprises intéressées. En effet, si le respect desdits droits exige des institutions de l’Union de permettre aux parties intéressées de faire connaître utilement leur point de vue, le caractère utile de la soumission de celui-ci requiert seulement que ce point de vue ait pu être soumis en temps voulu pour que les institutions de l’Union puissent en prendre connaissance et, avec toute l’attention requise, en apprécier la pertinence pour le contenu de l’acte en voie d’adoption [voir arrêt du 12 décembre 2014, Crown Equipment (Suzhou) et Crown Gabelstapler/Conseil, T‑643/11, EU:T:2014:1076, point 43 et jurisprudence citée].

95      Il convient aussi de rappeler que la Commission n’est pas tenue de répondre, dans un règlement fixant des droits antidumping définitifs, à l’ensemble des arguments avancés par les parties intéressées au cours de la procédure d’enquête, et que cette absence de réponse ne saurait automatiquement établir un défaut d’examen de ces arguments. Il suffit, au contraire, que la Commission expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie du règlement contesté (arrêts du 13 septembre 2010, Whirlpool Europe/Conseil, T‑314/06, EU:T:2010:390, point 114, et du 30 juin 2016, Jinan Meide Casting/Conseil, T‑424/13, EU:T:2016:378, point 126). Cette jurisprudence est a fortiori applicable à une décision de clôture d’un réexamen partiel.

96      Cela vaut d’autant plus à l’égard de certaines des circonstances, à savoir la qualification de la Russie d’économie de marché et son accession à l’OMC, la modification de la structure des coûts des producteurs dans l’Union et la baisse de valeur du rouble, qui n’ont pas été considérées par la Commission comme constituant, à première vue, des « éléments de preuve suffisants » pour établir la nécessité d’un réexamen intermédiaire aux termes de l’application de l’article 11, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de base.

97      En outre, comme cela a déjà été expliqué au point 49 ci-dessus, la Commission est allée au-delà de son obligation de motivation en les traitant, bien que d’une manière succincte et superfétatoire, dans le document d’information générale et dans la décision attaquée.

98      D’autre part, en ce qui concerne les changements dans les prix de la matière première, la Commission a expliqué, aux points 19 et 20 du document d’information générale, ainsi qu’aux considérants 20, 28 et 29 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle estimait que les requérantes n’avaient démontré aucun changement sensible et durable.

99      La Commission a également expliqué, au point 21 du document d’information générale, que les requérantes n’avaient produit aucune preuve satisfaisante concernant le fait que la réorganisation du système des ventes faisant suite au retrait des engagements avait donné lieu à un changement de la valeur normale ou des prix des ventes sur le marché intérieur.

100    Au-delà des contestations génériques contenues dans leur lettre du 14 septembre 2018, les requérantes n’ont pas démontré avoir produit de telles preuves, ce qui a conduit la Commission à confirmer, au considérant 21 de la décision attaquée, la constatation faite dans le document d’information générale.

101    Ainsi, la Commission a donné aux requérantes une information complète quant aux faits et aux considérations essentielles sur la base desquels elle a tiré ses conclusions ou refusé de prendre en compte les observations, les arguments et les éléments de preuve apportés.

102    Il en découle qu’aucune violation de l’obligation de motivation ou aucune entrave à l’exercice des droits de la défense ne peut être constatée dans le cas d’espèce.

103    Par conséquent, la seconde branche du deuxième moyen doit être rejetée.

 Sur la violation des obligations internationales dans le cadre de l’OMC

104    Dans le cadre du premier moyen, les requérantes font valoir que la Commission a omis de tenir compte des changements dans le prix du gaz naturel résultant des engagements pris par la Russie lors de son accession à l’OMC comme étant un facteur de changement aux fins du calcul de la marge de dumping des requérantes. Ce faisant, et en affirmant que la Russie ne respectait pas le protocole d’accession de la Fédération de Russie à l’OMC, du 16  décembre 2011 (ci-après le « protocole »), la Commission aurait violé les obligations internationales découlant de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (ci-après le « GATT ») et de l’article II de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI du GATT de 1994 (ci-après « l’accord antidumping »), ce qui constituerait une violation du traité UE.

105    Les requérantes ont indiqué que, en 2012, la Russie a accédé à l’OMC. À cette occasion, elle s’est engagée à assurer que, à partir de la date d’accession, les producteurs et distributeurs de gaz naturel du pays agissent sur la base de considérations d’ordre commercial normales, axées sur le recouvrement des coûts et la réalisation d’un bénéfice. Ces engagements de la Russie ont ensuite été incorporés dans l’article 2 du protocole. Par conséquent, puisque les protocoles d’accession forment partie intégrante de l’accord sur l’OMC, ces obligations seraient tout aussi contraignantes que toutes les autres obligations contenues dans le GATT et les autres accords de l’OMC, tels que l’accord antidumping.

106    Selon les requérantes, faute de preuve contraire, la Commission devait présumer que la Russie respectait les engagements pris dans le protocole. Par contre, en faisant valoir que la Russie n’a pas respecté le protocole et a agi en contradiction avec l’article VI du GATT et avec l’article II de l’accord antidumping, la Commission aurait manqué à ses obligations internationales, ce qui équivaudrait à une violation du traité UE.

107    La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments et indique, dans le mémoire en défense, qu’elle n’a pas conclu, et qu’il ne s’agit pas de conclure, que la Russie ne respecte pas ses obligations à l’égard de l’OMC. En effet, une telle constatation n’était pas l’objet de l’enquête et ne saurait contribuer à l’analyse factuelle du fonctionnement du système de tarification du gaz sur le marché russe, ni à l’évaluation des éléments selon lesquels un changement de circonstances serait durable ou non.

108    À titre liminaire, le Tribunal constate que la question du respect des engagements de la Russie envers l’OMC n’a, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, pas fait l’objet d’une appréciation de la part de la Commission, cette dernière n’ayant, nulle part dans la décision attaquée, conclu que « la Russie a[vait] manqué à ses engagements relatifs à son industrie du gaz naturel », ni affirmé que « la Russie ne respect[ait] pas [le protocole] ».

109    En effet, la vérification du respect par la Russie de ses engagements ne formait pas l’objet de la procédure de réexamen partiel, qui, comme il ressort du considérant 18 de la décision attaquée, visait uniquement à vérifier si, sur le fond et conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base, « les circonstances à l’origine de la détermination de la marge de dumping actuelle avaient changé et si ce changement présentait un caractère durable ».

110    En ce qui concerne une possible violation du traité UE, découlant d’une violation par la Commission des accords de l’OMC, il résulte d’une jurisprudence constante que ces accords ont pour effet de lier l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a., 21/72 à 24/72, EU:C:1972:115, point 18, et du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C‑69/89, EU:C:1991:186, point 29), mais que, compte tenu de leur nature et de leur économie, ceux-ci ne figurent en principe pas parmi les normes au regard desquelles la légalité des actes des institutions de l’Union peut être contrôlée (arrêts du 16 juillet 2015, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P, EU:C:2015:494, point 38 ; du 15 novembre 2018, Baby Dan, C‑592/17, EU:C:2018:913, point 66, et du 19 septembre 2019, Zhejiang Jndia Pipeline Industry/Commission, T‑228/17, EU:T:2019:619, point 99).

111    À cet égard, la Cour a relevé que le fait d’admettre que la tâche d’assurer la conformité du droit de l’Union avec les règles de l’OMC incombait directement au juge de l’Union revenait à priver les organes législatifs ou exécutifs de l’Union de la marge de manœuvre dont jouissent les organes similaires des partenaires commerciaux de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P, EU:C:2015:494, point 39).

112    Toutefois, dans deux situations exceptionnelles, qui découlent de la volonté du législateur de l’Union de limiter lui-même sa marge de manœuvre dans l’application des règles de l’OMC, la Cour a admis qu’il appartenait au juge de l’Union, le cas échéant, de contrôler la légalité d’un acte de l’Union et des actes pris pour son application au regard des accords de l’OMC (arrêt du 16 juillet 2015, Rusal Armenal, C‑21/14 P, EU:C:2015:494, point 40 ; voir également, en ce sens, arrêts du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C‑69/89, EU:C:1991:186, points 29 à 32 ; du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica/Conseil, C‑76/00 P, EU:C:2003:4, points 55 et 56).

113    Il s’agit, en premier lieu, de l’hypothèse dans laquelle l’Union a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de ces accords, obligation que le législateur a manifesté la volonté de mettre en œuvre en droit de l’Union (arrêt du 16 juillet 2015, Commission/Rusal Armenal, C‑21/14 P, EU:C:2015:494, point 45).

114    En second lieu, il s’agit du cas dans lequel l’acte du droit de l’Union en cause renvoie expressément à des dispositions précises des mêmes accords (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 1989, Fediol/Commission, 70/87, EU:C:1989:254, points 19 à 22 ; du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C‑69/89, EU:C:1991:186, points 29 à 32, et du 30 septembre 2003, Biret et Cie/Conseil, C‑94/02 P, EU:C:2003:518, point 73).

115    Dans la présente affaire, il ne ressort d’aucune des dispositions de la décision attaquée que celle-ci a été adoptée par l’Union pour satisfaire à des obligations internationales et pour donner exécution à des obligations particulières assumées dans le cadre des accords de l’OMC, ni qu’elle renvoie expressément à des dispositions précises des mêmes accords. Comme cela a déjà été constaté au point 109 ci-dessus, l’objet et le but de la décision attaquée étaient de clore une procédure destinée à vérifier l’existence d’un changement de circonstances de nature à justifier la réévaluation des mesures antidumping mises en place précédemment.

116    Il n’est pas non plus possible de déterminer quelle serait l’obligation particulière pour la Commission qui devrait être tirée du libellé du paragraphe 132 du rapport du groupe de travail sur l’accession de la Russie à l’OMC du 17 novembre 2011, invoqué par les requérantes. Celui-ci prévoit simplement l’engagement de la Russie à ce que « à compter de la date d’accession, les producteurs/distributeurs de gaz naturel en Russie agi[ss]ent dans le cadre réglementaire pertinent, sur la base de considérations d’ordre commercial normales axées sur le recouvrement des coûts et la réalisation d’un bénéfice ».

117    Dès lors, il y a lieu de rejeter le premier moyen tiré de la violation des obligations internationales dans le cadre de l’OMC comme étant non fondé.

 Sur le refus de la Commission de révéler aux requérantes le calcul final de la marge de dumping

118    Dans le cadre du troisième moyen, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir omis de leur communiquer le calcul final de la marge de dumping, bien que ce calcul ait servi de fondement aux conclusions relatives à la continuation et à l’existence du dumping, au caractère durable du changement de circonstances et à la clôture du réexamen intermédiaire partiel. Selon les requérantes, si la Commission leur avait communiqué ce calcul, elles auraient pu défendre leurs droits plus efficacement, tant à l’égard du calcul du dumping et des constats de dumping dans leur ensemble que de la méthodologie de calcul mise en œuvre dans l’enquête initiale, ce qui aurait pu avoir une incidence considérable sur leur situation juridique.

119    En particulier, la Commission aurait violé l’article 19, paragraphe 2, et l’article 20, paragraphe 2, du règlement de base, les droits de la défense des requérantes et le principe de sécurité juridique, en omettant de fournir aux requérantes un résumé sérieux des éléments de preuve recueillis durant l’enquête ou des considérations sur la base desquels la Commission envisageait de modifier la marge antidumping des requérantes.

120    La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste cet argument.

121    À cet égard, le Tribunal rappelle que la nécessité de procéder au réexamen d’une mesure en vigueur est conditionnée par le constat, d’une part, que les circonstances concernant le dumping ont sensiblement changé et, d’autre part, que ces changements revêtent un caractère durable. Il suffit que l’une de ces conditions cumulatives ne soit pas satisfaite pour que les institutions concernées puissent conclure qu’il y a lieu de maintenir ladite mesure en vigueur.

122    Dans l’hypothèse où les institutions concernées concluent que le changement de circonstances dont se prévaut l’auteur de la demande de réexamen n’est pas durable, elles peuvent s’abstenir, dans le cadre de la procédure de réexamen, de calculer précisément la marge de dumping (voir, en ce sens, arrêt du 8 avril 2015, CHEMK et KF/Conseil, T‑169/12, EU:T:2015:231, point 51). Il serait en effet inutile de procéder à une évaluation rétrospective détaillée et, partant, s’agissant du dumping, à un calcul détaillé de la marge de dumping dans des circonstances où il n’a pas été démontré qu’il existe des changements de circonstances à caractère durable qui justifient un tel calcul. Il en va de même, évidemment, quand il n’a pas été démontré que les circonstances concernant le dumping ont sensiblement changé.

123    En l’espèce, ainsi que le soulignent la Commission et l’intervenante à juste titre, il ressort des considérants 11, 18 à 28 et 31 de la décision attaquée que, dans le cadre de la demande de réexamen intermédiaire, la Commission s’est limitée à évaluer un possible changement des circonstances sur la base desquelles la marge de dumping actuelle avait été établie et à déterminer si ce changement avait un caractère durable. Dans ce contexte, étant donné que la conclusion indiquait l’absence de changements de caractère durable, il n’était pas nécessaire de déterminer une nouvelle marge de dumping

124    C’est donc à bon droit que la Commission n’a pas jugé nécessaire de déterminer une nouvelle marge de dumping.

125    Dès lors, il convient de rejeter également le troisième moyen.

126    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

127    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

128    Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux de la Commission et de l’intervenante, conformément aux conclusions de celles-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Acron PAO, Dorogobuzh PAO et Acron Switzerland AG supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et par Fertilizers Europe.

Spielmann

Öberg

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mai 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.